Olivier Cresp : « Ces notes fraîches, propres, transparentes, apparaissent comme des moyens de protection » 

Maître parfumeur chez DSM-Firmenich (anc. Firmenich), société de composition dans laquelle il est entré en 1992, Olivier Cresp est l’auteur de quelques-unes des créations les plus emblématiques des années 1990 (Angel de Thierry Mugler, Noa de Cacharel, L’Eau par Kenzo pour femme et pour homme…) et des suivantes (Light Blue de Dolce & Gabbana, Nina de Nina Ricci, Black Opium d’Yves Saint Laurent…), mais aussi le cofondateur de sa propre marque de parfums, Akro. Il nous partage ses impressions sur la parfumerie de cette décennie, et en particulier sur la tendance marine, véritable marqueur olfactif de l’époque. À l’occasion de la Journée mondiale de l’océan ce jeudi 8 juin, nous vous offrons cet entretien initialement paru dans Une histoire de parfums de Yohan Cervi.

Comment se passait le développement d’un parfum dans les années 1990 ? 

Il y avait beaucoup moins de lancements. Quand on avait 350 nouvelles références par an, c’était le bout du monde. Aujourd’hui, nous sommes à plus de 2 500 lancements mondiaux, notamment du fait des flankers et de la profusion de marques de niche. Il est très difficile de faire un grand succès. À l’époque, la logique était différente. On signait un parfum féminin pour une marque, puis, éventuellement, un ou deux ans plus tard, sa version masculine. Le turn-over était moins important, et les parfums restaient généralement plus longtemps sur le marché. 

Quelles sont pour vous les créations emblématiques de la sous-famille olfactive des aquatiques ? 

On peut trouver les origines de ce courant en 1989, dans Parfum d’elle de Montana, le premier aquatique transparent. Mais la tendance va véritablement exploser l’année suivante, aux États-Unis, avec New West d’Aramis. Parmi les parfums emblématiques, il y a Escape de Calvin Klein, L’Eau d’Issey d’Issey Miyake et bien sûr Acqua di Giò de Giorgio Armani, tous de très grands succès. On peut également citer L’Eau par Kenzo, un aquatique assez atypique sur lequel j’ai travaillé.

Des créations originales et novatrices, très marquées par la Calone…

Oui, c’est une molécule artificielle de DSM-Firmenich, brevetée par Pfizer dans les années 1960. Lorsque j’ai commencé ma carrière, on l’employait en très petite quantité, presque à l’état de traces. À partir des années 1990, on a osé multiplier les proportions par cent dans les formules… La Calone a été une vraie révolution. J’ai même tenté de l’introduire dans un des essais d’Angel. Comme le parfum était bleu, une couleur froide, Vera Strubi (alors présidente des Parfums Mugler) se demandait si l’on ne devait pas en ajouter, pour créer une fraîcheur aquatique. J’ai donc essayé une variante avec la fameuse molécule, mais le résultat était assez désagréable et créait une dissonance avec les notes gourmandes et le patchouli. Le parfum devenait également trop puissant et intense. 

C’est par ailleurs la décennie d’un autre grand succès de DSM-Firmenich, CK One, qui incarne aussi à sa manière une nouvelle fraîcheur. 

Oui, car on ne peut pas parler de cette vague de fraîcheur sans parler de CK One, créé par Alberto Morillas et Harry Frémont. C’est un accord thé très frais et propre, une cologne moderne. Nous nous sommes tous beaucoup interrogés à l’époque sur la capacité de ce genre de notes à fonctionner sur le marché américain. C’était une vraie prise de risque, car il n’existait pas de fragrances de ce type aux États-Unis, et CK One constitue le premier parfum frais contemporain sur ce marché. Le brief était simple, il s’agissait de composer une cologne fraîche autour d’une note de thé. Un parfum frais et moderne pour une nouvelle génération d’adolescents. Il avait une ambition américaine, mais a connu un immense succès mondial. Il a ouvert la voie à une nouvelle forme de fraîcheur et une nouvelle génération de colognes. 

En quoi la tendance marine, avec cette quête de l’odeur de l’eau de mer, rencontrait-elle son époque ? 

Les grandes ruptures en parfumerie sont marquées par les crises. Dans les années 1990, il y a peut-être la pandémie du sida, les prises de conscience écologiques. Ces notes fraîches, propres, transparentes, apparaissent comme des moyens de protection. C’est également une parfumerie plus jeune, qui s’éloigne de la tendance des parfums à base de tubéreuse et au profil olfactif chargé des années 1980. Et la contribution de DSM-Firmenich à ce courant est considérable, de nombreuses fragrances emblématiques ayant été créées par des parfumeurs de la maison, comme Acqua di Giò d’Armani. 

Vous avez d’ailleurs vous-même signé L’Eau par Kenzo pour femme en 1996, pouvez-vous nous en parler ? 

J’ai travaillé sur ce parfum avec Pierre Broc, qui était à ce moment-là président des Parfums Kenzo. Il était pour moi comme un deuxième père. Avec Kenzo Takada, ils marchaient à l’intuition. Le brief, c’était « H2O ». « Mais attention, me disait-il, de l’eau de source, pas de l’eau de mer. » L’idée était de faire surgir un paysage de campagne au printemps : une prairie, le ciel bleu, une rivière, les coquelicots et la rosée du matin. J’ai écrit tous ces mots, que j’ai traduits en matières premières pour créer un parfum figuratif. Le rendu est aérien, vif, cristallin, avec cette fraîcheur humide qui perdure. 

Et la version masculine ? 

Pour le masculin, j’ai eu envie de travailler autour du yuzu (un agrume japonais), une note peu connue à l’époque. Ce fut une intuition. Il y a également dans ce parfum de la Calone, de la bergamote, de l’orange, de la limette, des aldéhydes et beaucoup de muscs. Il a un beau sillage, mais conserve cette fraîcheur propre et transparente. L’idée initiale était de le lancer uniquement au Japon, mais, devant son succès, sa distribution a finalement été déployée à l’international. 

Vous êtes aussi l’auteur de Dune pour homme de Dior, qui n’est pas vraiment océanique olfactivement parlant, mais qui s’inspire d’un environnement de bord de mer. 

Dior voulait faire un Dune au masculin, qui crée une passerelle avec le féminin signé Jean-Louis Sieuzac et Dominique Ropion. Je l’ai senti de nouveau et j’y ai décelé une note de figue. Je suis ainsi parti sur une feuille de figuier plutôt que sur le fruit, avec beaucoup de mandarine, qui confère à l’ensemble une fraîcheur intense. À travers ce parfum, l’idée était également d’imaginer une nouvelle Eau sauvage, celle d’une nouvelle ère, en quelque sorte. Il a été très bien accueilli par le public à son lancement. 

Même si le marketing était déjà très important, on a le sentiment que certains grands lancements étaient plus intuitifs… 

Oui, il y avait beaucoup moins de tests consommateurs, et une certaine forme d’audace. Je ne dis pas que c’était mieux qu’aujourd’hui – chaque période apporte son lot de merveilles, de progrès et d’innovations –, mais il s’agit d’une époque qui mérite d’être célébrée. 

Qu’est-ce qui a changé, depuis, dans votre manière de travailler ? 

À l’époque, on travaillait davantage en solitaire. Aujourd’hui, il y a bien évidemment une compétition avec les autres sociétés de composition, mais en interne, chez DSM-Firmenich, la concurrence n’existe plus. On travaille ensemble dès le départ, cela fait partie de notre culture. Les étudiants en parfumerie, à l’Isipca ou à l’École supérieure du parfum, ont également l’habitude du travail collectif. Nos clients apprécient cette démarche collaborative pour le développement d’un parfum. Nous signons désormais souvent une fragrance à deux, à trois. Je trouve cela agréable et reposant. Il y a une véritable entraide, qui constitue selon moi une forme de progrès. 

Visuel principal : © Franck Juery

Smell Talks : Table ronde « Au fil du temps »

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Le jeudi 11 mai 2023, la librairie Ici, à Paris, accueillait le lancement du quinzième numéro de Nez, la revue olfactive. En écho à la thématique du dossier, Au fil du temps, une table ronde rassemblait ce soir-là trois expertes : Céline Perdriel, parfumeuse senior chez Cosmo International Fragrance, Véronique Nyberg, parfumeuse et vice-présidente de la création fine fragrance chez Mane et Isabelle Chazot, membre du conseil d’administration et présidente du comité scientifique de l’Osmothèque. 

Une table ronde modérée par Sarah Bouasse, du collectif Nez.

Avec La Fabrica, IFF explore de nouvelles voies pour l’olfaction

Partenariat éditorial 

Depuis 2002, IFF multiplie les synergies entre ses parfumeurs, des artistes de tous bords et les élèves de différentes écoles. L’objectif est double : encourager les créateurs de demain à s’emparer de l’olfaction et nourrir la créativité des compositeurs de la maison.

« La Fabrica ? Ce n’est ni un lieu, encore moins un concept hermétique. C’est un espace de réflexion à part entière permettant de découvrir de nouveaux créateurs et de les mettre en résonance avec nos parfumeurs », résume Judith Gross, vice-présidente communication de la division parfums chez IFF et co-curatrice de La Fabrica au côté de Bernardo Fleming, directeur prospective et tendances chez IFF et partenaire du projet Odeuropa – qui œuvre à la reconstitution du patrimoine olfactif européen à partir d’analyses de textes et d’images numérisées.

Depuis 2002, La Fabrica s’inspire de La Factory, fondée à l’initiative d’Andy Warhol à New York, ville où se situe le siège d’IFF, qui favorisa dans les années 1960 les interactions entre artistes, quel que soit leur moyen d’expression (peinture, musique, théâtre…). Dans ce même esprit, IFF a initié des liens entre ses équipes créatives (parfumeurs et équipes de développement) et des artistes, penseurs, et des élèves d’écoles d’art, de mode et de design, parmi lesquelles le Royal College of Art de Londres, l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, la Rhode Island School of Design (Providence, USA) ou encore l’École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD) – plus communément appelée « les Arts Déco » – et l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art (ENSAAMA) à Paris. 

L’enjeu, pour les jeunes créateurs, est de se confronter à la conceptualisation des odeurs, par essence invisibles. Cela peut prendre la forme d’un parfum présenté lors du défilé de fin d’année aux Arts décoratifs, ou par l’intermédiaire de travaux liant étroitement mentors et disciples. Chacun se nourrit de la discipline de l’autre et les connexions entre pays sont encouragées. Depuis quelques années, chaque étudiant du Royal College of Art, dont IFF est le plus ancien partenaire (30 ans en 2024), est invité à réfléchir au futur du parfum : nouvelles utilisations, nouvelles vocations, nouveaux supports. Les initiatives les plus créatives et pertinentes se concrétisent par une collaboration avec les élèves du Master IFF Scent Design & Creation de l’Isipca, à Versailles. On peut découvrir sur Youtube une présentation des projets réalisés par les élèves en 2022, sous forme de courts reportages.

Au-delà d’une simple sensibilisation des penseurs de la mode de demain à la dimension olfactive, l’objectif, pour la maison de composition, est de nourrir l’inspiration des équipes d’IFF et d’immerger ces futurs créateurs de mode dans l’univers du parfum.

 « La Fabrica inscrit ses partenariats dans la durée. Sa temporalité exclut le court terme, de même que ses réalisations écartent l’anecdotique. C’est le contraire d’une démarche opportuniste », complète Judith Gross. Pour preuve, la complicité esthétique qui se poursuit entre le parfumeur Nicolas Beaulieu et Jeanne Vicerial, douze ans après que la plasticienne a obtenu son diplôme à l’ENSAD. Armoressence est ainsi une fragrance composée à quatre mains dans le cadre du projet 1+1 de Nez. De son côté, après une première collaboration fructueuse autour de l’odeur d’étreintes sexuelles en forêt, Joël Harder, artiste franco-suisse diplômé de l’ENSAD, continue de solliciter Anne Flipo. Tout comme les deux performeuses du duo Young Girl Reading Group, anciennes élèves du Royal College of Art, qui font appel à IFF à chaque nouvelle performance artistique. 

L’histoire entre Dominique Ropion et la styliste Yiqing Yin illustre elle aussi à quel point l’inspiration peut être mutuelle. Leur collaboration débute en 2008. À l’époque, le parfumeur conçoit une fragrance pour une collection de vêtements dessinés par l’étudiante. En 2020, pour le pavillon français de l’Exposition universelle à Dubaï, il compose un parfum… que Yiqing Yin « traduit » visuellement sous la forme d’une robe-fleur en cristal.

Les tandems se forment à l’initiative des parfumeurs. Ce sont eux qui choisissent la personne avec qui ils ont envie de cheminer artistiquement. De ces rencontres, les créateurs de la maison IFF sortent stimulés, voire déstabilisés par l’ampleur des défis à relever. « Chaque année, à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, un parfumeur IFF assiste au jury de présentation des projets des élèves. Il se retrouve propulsé dans une bulle, bombardé d’idées… C’est un véritable cadeau ! », souligne Judith Gross. Lorsque le designer Alexis Foiny (ENSAD) demande à Domitille Michalon d’imaginer le parfum d’une fleur préhistorique, par définition disparue, celle-ci en vient à interroger sa propre conception de la réalité.

Amenés à être « challengés » et à sortir de l’atmosphère feutrée de leurs bureaux, les parfumeurs IFF gagneraient-ils en audace ? 

Une rencontre entre le parfumeur Julien Rasquinet et le curateur de l’exposition L’Argent dans l’art à la Monnaie de Paris [1]Jusqu’au 23 septembre 2023.lui a permis de réaliser un rêve jamais assouvi : imaginer une fragrance illustrant les aspects olfactifs de l’argent, réels et imaginaires. Son parfum d’ambiance, L’Argent dans l’air, en vente à la boutique du musée, retranscrit « toutes les facettes du billet de banque, de l’odeur du papier aux empreintes, en passant par l’odeur de l’encre et du vernis »

Au printemps 2021, les parfumeurs IFF avaient déjà été sollicités pour composer les fragrances suggérées par huit tableaux du XVIIe siècle présentés lors de l’exposition Smell the art : Fleeting – Scents in Color au musée Mauritshuis de La Haye (Pays-Bas), parmi lesquelles les effluves des canaux pollués, un bouquet de fleurs ou une armoire garnie de linge propre. Sur place, un appareil placé devant l’œuvre et actionné par une pédale permettait de diffuser le parfum. Il était même possible de commander un coffret contenant quatre des huit odeurs afin de profiter d’une visite virtuelle depuis son canapé.

Enfin, à l’initiative de l’entrepreneuse Diane Thalheimer-Krief, à la fois éprise d’olfaction et d’art contemporain, plusieurs noms de la maison de composition ont été sollicités pour imaginer des formules pour des sculptures destinées à accueillir des parfums et réalisées en édition limitée, voire en exemplaires uniques, dans le cadre du projet Profile by. Pour l’occasion, Paul Guerlain a formé un duo avec Adel Abdessemed, Domitille Michalon avec Pablo Reinoso, Anne Flipo avec Joana Vasconcelos, Nicolas Beaulieu avec Daniel Firman, Juliette Karagueuzoglou avec Ori Gersht, Jean-Christophe Hérault avec Hubert Le Gall et Nelly Hachem-Ruiz avec Valérie Jolly. Présentées en juin 2021 à Paris, les sculptures et leurs jus sont aujourd’hui disponibles à la vente sur Internet. Telle cette amphore fissurée en bronze, hommage à Dionysos, qui exhale le fumet des bains grecs (myrte et laurier) et la sensualité charnelle des bacchanales (muscs).

À l’heure où la dimension olfactive de notre environnement quotidien est défendue comme faisant partie intégrante de notre patrimoine culturel, on peut imaginer que de telles initiatives vont peu à peu se multiplier. Et rêver aux prochaines collaborations artistiques qui prendront source chez IFF, que l’on pourra sentir et ressentir lors de concerts, défilés, expositions… Mais aussi évidemment dans nos flacons ! 

Visuel principal : Paul Guerlain et Adel Abdessemed pour « Noli me tangere » pour le projet Profile By (©Charly Hel)

Notes

Notes
1 Jusqu’au 23 septembre 2023.

Allô maman dodo : une chronique olfactive de Céline Ellena 

Le lien qui unit la mère et son nouveau-né passe essentiellement par l’odorat, comme le rappellait Eléonore de Bonneval dans un précédent article. Mais il n’a pourtant parfois rien d’une évidence : si l’odeur du bébé attendrit et fascine, elle peut aussi mettre un certain temps à prendre sa place. À l’occasion de la fête des mères, la compositrice de parfums Céline Ellena partage dans un texte émouvant son expérience olfactive de la maternité, entre odeur primaire et nuits apaisées.

Des mois d’attente. Des heures de travail. 

Jambes en l’air et mollets entravés hors des étriers par des sangles de fortunes, car je suis bien trop grande pour cette table, j’attends sa venue. 

Lors des moments de répit, ma tête, en équilibre sur le bord du matelas, bascule un peu en arrière et, le regard vide, le souffle court, je contemple le plafond fané, jaune pipi délavé. Je deviens oreilles : babil du personnel médical qui veille et vaque à son affaire, sorte de mélopée lounge sécurisante. Et narines : remugle confus des corps, des fluides et des antiseptiques, sorte de court-bouillon rassurant. Une émanation moite, douce-amère comme la fleur des troènes au printemps. Un peu cra-cra, comme un immense doudou usé jusqu’au kapok. Sang. Sueur. Salive. Les trois senteurs de l’animal. Comme moi, à cet instant de l’ultime poussée. Respiration bloquée, cabrée dents serrées, j’éprouve purement l’effort de mes veines tendues à claquer. Geste récompense, le nouveau-né est déposé délicatement sur mon ventre mou, son minuscule visage contre ma poitrine. Mon nez affleure le sommet de son crâne humide. On se renifle. Il me reconnaît. Moi, pas. Je suis vidée, et son odeur me dérange. Pourtant, je suis heureuse qu’il soit enfin sur ma peau. Auparavant, il a barboté au sein de mon odeur cachée : un bouquet visqueux, ancien et sucré, composé de fibres et sédiments, de globules et molécules, qu’il connaît comme sa poche. Son odeur, vierge et salée qui prend vie sous mon blair, est une étrangère. Je suis indisposée par cet arôme chaud qui soudain m’envahit et m’étourdit de fatigue. Je souhaite disparaître sous ma propre chair. Aucune personne présente dans cette pièce ne peut imaginer que machinalement, j’analyse le relent familier et réconfortant des fluides qui accompagne la naissance, et le sépare de celui, neuf et déroutant, de mon enfant. Lorsque je détourne la tête, la sage-femme se méprend sur mon geste et emporte le tout petit avec des mots rassurants, tout en m’expliquant qu’il va sentir bien « meilleur » après son premier bain, lorsqu’on lui aura retiré tous ces fichus résidus issus de ma matrice. 

Une heure plus tard, le bébé nu a disparu. Bonnet et body lessivés aux muscs macro, peau savonnée au petit grain et antiseptique à la sauge ont définitivement ordonné mon enfant dans la case petit humain en bonne santé. Mon rejeton sent le propre et tout le monde est content. Sauf moi. Car sous le vernis, je sens son odeur primaire. Celle du liquide amniotique et la sienne en devenir. La trace invisible surligne de manière tangible ma responsabilité. Je ne suis plus seule. Je deviens son odeur…

La peau de mes amants n’a jamais été un problème. Nos effluves, étroitement enlacées, frottées et chauffées jusqu’à créer un nouveau composant, m’étourdissaient, m’imprégnaient et pénétraient mes narines jusqu’au fin fond de mon cortex. Cependant, la vague refluait toujours et, repue, je redevenais moi-même… plus quelques souvenirs. 

De retour à la maison, rien n’y fait. Même lorsque le bébé est loin de moi, dans la pièce d’à côté ou dans les bras de la famille, quand je cuisine ou me douche vigoureusement, le tatouage odorant ne me quitte plus. Inscrit sur mon corps et dans mon cerveau, l’effluve du nourrisson me dévore et je recule, déstabilisée. Cordon ombilical invisible et exigeant, je m’agace de ce remugle accaparant. Les premiers jours après la naissance, je me sens coupable de ne pas accepter l’odeur. Déni d’amour et d’attachement ? Alors, plutôt que d’escamoter ta signature olfactive sous une cloche forgée des diverses lotions et lessives parfumées, j’ai mis à nue nos peaux et accueilli ta senteur nuit après nuit, lorsque, comme seuls au monde, je t’allaitais dans un demi-sommeil sillonné de brume. Je me laissais balloter par mes émotions en vrac et, le nez abandonné sur ton minuscule crâne chauve, je tentais de conserver le cap, ancrée sur cette nouvelle senteur que je tenais au cœur de mes bras. Paumée, perdue dans mon rôle d’apprentie maman le jour, je trouvais enfin la paix et la sécurité au creux de la nuit, ton odeur crochetée à mes pensées vagabondes. En cherchant bien dans ma mémoire, j’ai encore, dissimulé dans un tiroir, sous la pile d’odeurs utiles à mon métier, un reliquat de ta sueur exsudée pendant l’effort de l’allaitement. Un accord qu’aucune formule ne peut illustrer.

Céline Ellena, Spéracèdes, le 30 mai 2023

Visuel principal : Elizabeth Nourse, La Mère, 1888. Source : Wikimédia commons

Patrice Revillard : « J’ai réalisé bien plus tard que mon coup de foudre pour Body Kouros n’était pas si anodin »

Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a ceux qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Semaine après semaine, ils sont désormais plusieurs à nous avoir conté leur rapport à une création, et l’influence parfois inconsciente de celle-ci sur leur manière de composer. Aujourd’hui, Patrice Revillard [1]Patrice Revillard est rédacteur pour Nez nous parle de l’importance de la création d’Annick Menardo dans son travail.

Quand on m’a demandé de citer un parfum m’ayant marqué et qui influence mon travail, j’ai d’abord écrit un long paragraphe sur Miss Dior. « L’Original », évidemment, celui de 1947. J’y abordais le fait que ma mère l’a porté, détail attendu, avant de me souvenir que c’était par ma faute, l’ayant quelque peu orientée dans ses choix. Détail un peu plus intéressant ! Je parlais aussi, au-delà de la figure maternelle consciente ou inconsciente qu’il incarne en partie pour moi, de tout ce qui me fascine dans son odeur, dans sa construction technique et dans sa place dans l’histoire de la parfumerie. Mais quand on m’a demandé de préciser quelle incidence il a, ou a eu, sur ma façon de composer, je me suis finalement rendu compte qu’il m’accompagnait peu au quotidien. Je devais me rendre à l’évidence : même si j’ai passé du temps à tenter de le reformuler au nez pendant mes années d’étude, avant de pouvoir un jour poser mes yeux sur la formule d’origine pour comprendre les rouages de sa construction dans le moindres détails, Miss Dior n’a pas de réel impact sur ma façon de créer. Il me fascine toujours, et je l’ai beaucoup eu en tête lorsque je me suis attelé à la recomposition de l’Iris gris de Jacques Fath en 2017, mais c’est tout.

Je devais donc répondre à cette question par un autre parfum !

Au lieu de trouver celui qui m’a marqué et de vérifier s’il a influencé mes créations, il fallait finalement opter pour le cheminement inverse : que je prenne du recul sur mon travail et ma façon de composer pour trouver le parfum qui s’y rattache, qui m’inspire au quotidien ou me sert de repère, de phare, de modèle.

Contre toute attente, cette introspection créative m’a amené à une autre fragrance que j’adore et que j’ai portée : Body Kouros d’Yves Saint Laurent.

À l’origine, il y a un coup de foudre olfactif immédiat au hasard d’une balade en parfumerie, alors que mon intérêt pour le parfum n’en était qu’à ses débuts. Le sillage troublant et magnétique d’un boisé chaud et ambré, épicé, à l’odeur affolante, grisante, presque palpable et érotique, avec un je-ne-sais-quoi de familier créant une addiction quasi immédiate. C’est très subjectif me direz-vous, puisqu’il n’a pas eu le succès que mon avis personnel laissait présager.

Il est des parfums dont le potentiel commercial est immense, mais qui sont lancés au mauvais endroit, au mauvais moment, ou au sein de la mauvaise marque, sous le mauvais nom, dans la mauvaise franchise ou que sais-je encore. C’est le jeu, c’est bien dommage, et c’est, je crois, le cas de Body Kouros. Comme en témoignent les avis des personnes à qui je le fais sentir et qui avouent aujourd’hui être passées à côté, à tort.

J’ai réalisé bien plus tard après l’avoir acheté et porté, que ce coup de foudre n’était peut-être pas si anodin. Le premier parfum que j’ai porté et que l’on m’a offert – je rentrais au collège je crois – était Boss Bottled, créé comme Body Kouros par Annick Menardo.

Avec le temps et mon intérêt grandissant pour la parfumerie, je l’ai analysé de façon plus technique. Body Kouros est construit sur une note généreuse, mais tenue et maîtrisée, simple et efficace, grâce à une formule qui ne se perd ni dans des fariboles, ni dans la facilité. Sa construction est typique du style d’Annick Menardo, que je résume comme une injection des notes puissantes, chaudes et diffusives dans une boule musquée, boisée ou florale faisant office de caisse de résonance. Le tout fusionnant parfaitement en un accord signé, nouveau et à chaque fois incontestablement moderne car innovant. Techniquement parlant, ce sont ici des notes florales et musquées qui sont utilisées pour créer un corps tactile, le volume apparent du parfum, dans lequel la coumarine, les bois et les épices apportent leur signature odorante, leur force et leur vibration. Lolita Lempicka et Bulgari Black, qu’elle a signés également, reprennent cette structure coumarinée plus ou moins gommeuse. Hypnotic Poison de Dior explore le côté amandé. Boss Bottled pour Hugo Boss, Bois d’argent chez Dior et Bois d’Arménie chez Guerlain misent quant à eux sur la vanille et l’Ambroxan. Tous sont d’autant plus géniaux que leur accord central réside souvent sur des matières communes.

Finalement, plus que Body Kouros, c’est toute la lecture que je fais des œuvres d’Annick Menardo qui m’a marqué et qui m’influence ; sa facilité apparente à jouer avec des matières simples pour les mettre en résonance et créer des accords forts et marquants. C’est la parfumerie que j’aime sentir et que j’aime travailler ! 

Patrice Revillard, le 27 avril 2023

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DOSSIER « CONFIDENCES PARFUMEES »

Visuel principal : © Alaric Bey

Notes

Notes
1 Patrice Revillard est rédacteur pour Nez

Thierry Duclos : « L’organisation du Simppar à Grasse était une évidence » 

Le maire de Grasse, Jérôme Viaud, a annoncé lors du traditionnel cocktail du Simppar – Salon international des matières premières pour la parfumerie – ce 31 mai que le salon aura lieu l’an prochain dans la capitale du parfum, après seize éditions parisiennes. Thierry Duclos, qui gère l’événement depuis plus de vingt ans, revient sur son évolution, et sur cette organisation grassoise.

Avant de piloter l’organisation du Simppar, vous aviez déjà une belle carrière dans les matières premières. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

J’ai consacré cinquante ans de ma vie aux huiles essentielles. J’ai directement intégré l’entreprise fondée par mon arrière-grand-père en 1874. Il s’agissait alors de faire du courtage de matières premières, à une époque où la communication était radicalement limitée par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui. Lorsque j’ai commencé à travailler, dans les années 1970, c’était évidemment différent – mais encore très loin de la réalité actuelle. C’est un métier où l’on voyage beaucoup, dans des pays où la situation géopolitique est parfois très compliquée, mais où l’on rencontre des personnes extraordinaires, passionnées par leurs beaux produits.
La société Duclos Trading, créée en 1986 pour passer au négoce, a été vendue en 2009 à Quimdis, qui a été racheté par le groupe Azelis en 2021.
J’ai aussi cocréé la Fédération européenne des huiles essentielles – l’EFEO – en 2002, pour répondre à la menace des réglementations qui pèsent sur nos matières.
Et c’est lorsque j’ai été membre du comité directeur de la Société française des parfumeurs-créateurs (SFP) que j’ai repris les rênes de l’organisation du Simppar, qui avec sa croissance devient un travail à plein temps.

Quelles ont été les principales évolutions du Simppar au cours de ces années ?

Au départ, le salon était organisé par la SFP pour présenter à ses membres – parfumeurs, évaluateurs, analystes… – des  producteurs et leurs matières premières. Le premier a eu lieu en 1991, avec une poignée d’exposants, mais ce n’était alors pas régulier.
Très vite, il a été décidé de l’organiser tous les deux ans, en alternance avec le World Perfumery Congress (WPC) pour alterner nos dates, et avons ainsi pu organiser un salon tous les deux ans. D’une dizaine de stands, nous sommes passés à une vingtaine, à l’hôtel Evergreen de Levallois.
Puis en 2011, afin de disposer d’un espace plus grand pour pouvoir accueillir une cinquantaine d’exposants, nous avons loué l’Espace Champerret, toujours à Levallois ; c’était déjà une tout autre histoire, car nous avions désormais un lieu nu, demandant une organisation plus importante.
Cette année, nous accueillons 110 stands. Il y a aussi plusieurs associations qui peuvent parler de leur travail de défense des huiles essentielles à Bruxelles, mais aussi des sociétés qui présentent des nouveautés technologiques, comme celles autour de l’intelligence artificielle, un autre enjeu contemporain.
Mais l’idée du salon reste la même qu’à ses débuts : nous souhaitons qu’il demeure un lieu de rencontres convivial, qui évite le « speed dating », afin de permettre aux intéressés de faire des découvertes, de voir ce qu’ils ont envie de voir, sentir ce qu’ils ont envie de sentir, sur deux jours. Et nous continuons de mettre chaque exposant sur un pied d’égalité : multinationales et petits producteurs ont le même stand de 12 m2, nous leur fournissons le matériel, ils n’ont plus qu’à s’installer – ce qui n’empêche pas certains d’être très ingénieux au niveau des décors.

Le maire de Grasse, Jérôme Viaud, a officiellement annoncé hier soir que la prochaine édition aurait lieu à Grasse : quelles sont les raisons de ce choix ?

Nous avons toujours organisé le Simppar à Levallois, à proximité du lieu de travail des parfumeurs. Mais c’est aussi le cas de Grasse, berceau français de la parfumerie et de ses ingrédients. Cela fait plusieurs années que la ville souhaitait organiser des événements internationaux liés à ses matières premières, et elle nous a déroulé son tapis rouge pour accueillir l’événement : c’est une chance, car l’organisation d’un salon d’une telle ampleur n’était pas chose aisée dans cette ville.

Comment s’est déroulée la mise en place ?

L’organisation du Simppar à Grasse est une évidence, mais la mise en place était complexe. Cela fait deux ans que nous travaillons, avec le maire, pour rendre cet événement possible.
Il y avait déjà la question de l’emplacement : il n’y a pas d’espace couvert assez spacieux sur place. Le seul endroit possible était la grande esplanade en face du Palais des congrès, avec sa vue magnifique ; mais elle est ouverte. Il nous a donc fallu trouver des solutions pour que les exposants soient abrités, en conservant la même qualité qu’à Paris : cela nécessite des structures lourdes, avec une tente d’environ 1300 m2. Le Palais des congrès servira de lieu de convivialité, avec des buvettes et des espaces de restauration.

L’autre problématique était celle de la capacité hôtelière de la ville de Grasse : à Paris, sur les 2300 entrées cette année, 1000 personnes environ viennent de l’extérieur. Il y aura certes des gens sur place, puisqu’il y a de nombreux parfumeurs et maisons de compositions à Grasse et ses alentours. Mais même si le salon à Grasse est envisagé à plus petite échelle, il a fallu penser à des solutions hôtelières.
Enfin, il fallait trouver une date qui évite le chevauchement avec le festival de Cannes, tout en permettant de participer à d’autres activités qui seront organisées autour du Simppar : c’est en tenant compte de ces impératifs que les dates du 28 et 29 mai 2024 ont été choisies.

Quels sont les autres événements auxquels les visiteurs pourront participer à Grasse ?

Nous voulions lier le salon à la fête de la rose, qui a lieu tous les ans à Grasse. Des circuits seront proposés afin d’aller visiter les champs de roses, les distilleries, les usines locales. L’idée est de penser une semaine complète autour des huiles essentielles. Un peu comme les « field trips » proposés lors de certains congrès comme l’IFEAT[1] La prochaine édition de l’IFEAT (International Federation of Essential Oils and Aroma Trades) aura lieu à Berlin, du 8 au 12 octobre 2023.. Cela permet aux personnes de pouvoir sentir les matières premières produites sur place, de mieux s’ancrer dans leur culture et dans leur transformation.

L’événement est-il voué à se pérenniser ?

Nous allons d’abord voir comment se passe cette première édition, mais nous serions ravis d’alterner régulièrement avec Paris.

Visuel principal : Jérôme Viaud, Philippe Massé et Thierry Duclos. Crédit photo : Vincent Krieger

Notes

Notes
1  La prochaine édition de l’IFEAT (International Federation of Essential Oils and Aroma Trades) aura lieu à Berlin, du 8 au 12 octobre 2023.

La tubéreuse, par LMR Naturals

À l’occasion du Salon international des matières premières pour la parfumerie (SIMPPAR) qui aura lieu les 31 mai et 1er juin prochains à Paris, nous vous proposons de découvrir une série d’articles initialement publiés en 2021 dans l’ouvrage De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum. Pour la dernière étape de notre périple, embarquons pour l’Inde, où LMR Naturals, la filiale d’IFF pour les ingrédients naturels, a noué un partenariat avec Nesso, société productrice de tubéreuse.

Cultivée dans le sud de l’Inde essentiellement pour l’ornementation, la tubéreuse fait désormais l’objet d’une filière spécifique à la parfumerie, à l’initiative de LMR Naturals, la filiale d’IFF pour les ingrédients naturels. Ornant la chevelure des femmes ou décorant les temples lors des cérémonies et des mariages, tressée en collier ou en guirlande, la tubéreuse est omniprésente en Inde, où elle est cultivée dans le Tamil Nadu et le Karnataka. Seules 10% environ des fleurs sont destinées à l’industrie du parfum, qui raffole des effluves voluptueux de celle que l’on nomme rajni gandha en hindi.

C’est avec Nesso, principal producteur de la fleur dans le pays, que LMR a noué un partenariat pour se fournir en tubéreuse. Ce spécialiste de l’extraction de matières premières exploite trois usines situées à proximité des zones de culture, près des villes de Madurai, Sathyamangalam et surtout Mysore. On y plante les bulbes, ou « griffes », en février-mars. Pour fleurir en juillet (et dès mars, lors de la deuxième et la troisième année), la tubéreuse réclame un apport en eau et en fertilisants, mais surtout un désherbage manuel soigneux des parcelles. Réalisée de mars à décembre, la récolte se déroule traditionnellement tôt le matin : les boutons encore fermés, parfois teintés de rose, sont délicatement détachés de la hampe florale. Ils sont ensuite acheminés à un point de collecte au village le plus proche, puis à plusieurs marchés aux fleurs tout au long de la journée. La tubéreuse y est vendue comme fleur d’ornement, dont le cours varie en fonction de l’offre et de la demande, jusqu’à 10 euros le kilo en pleine saison des mariages. « Un tarif inabordable pour l’industrie du parfum quand on sait que sept tonnes de fleurs sont nécessaires pour obtenir un kilo d’absolue », souligne Sophie Palatan, responsable des filières en recherche et développement chez LMR. Les tubéreuses destinées à être extraites sont donc achetées en fin de journée, au moment où leur prix est au plus bas, et uniquement lors des pics de production, d’avril à juin et de septembre à décembre. Depuis 2020, LMR et son partenaire local ont cependant mis en place une filière entièrement consacrée à la parfumerie, qui leur permet de se détacher de ce circuit classique : l’année dernière, Nesso a acheté plus de la moitié de ses tubéreuses directement auprès d’un réseau de producteurs. Ce fonctionnement favorise la maîtrise de la qualité et de la traçabilité de la production, ainsi que la définition de bonnes pratiques agricoles : réduction de l’usage des pesticides, amélioration des techniques d’irrigation et de fertilisation, recherches portant sur la mécanisation du désherbage…

Acheter aux fermiers sans intermédiaire présente aussi l’avantage de raccourcir le délai entre la cueillette et le traitement, donc de mieux préserver la fraîcheur des fleurs. « En s’engageant à l’avance sur une quantité et un prix donnés, la société garantit également aux paysans une visibilité sur leur avenir et un revenu équitable », affirme Sophie Palatan. Ces efforts pour une culture raisonnée et responsable ont été validés par une certification For Life, une première pour la tubéreuse. Enfin, la création de champs spécifiques à la parfumerie a permis d’ajouter à la palette des parfumeurs IFF une qualité exclusive d’absolue, plus proche de la fleur fraîche : la Tubéreuse Blooming.

Visuel principal : © Grégoire Mähler

Cet article est initialement paru dans l’ouvrage De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum, publié aux éditions Nez.

Découvrez tout ce qu’il y a à savoir sur cette fleur avec le livre La Tubéreuse en parfumerie, dans la collection « Nez+LMR  Cahiers des naturels », disponible sur le shop by Nez.

La vanille, par Mane

À l’occasion du Salon international des matières premières pour la parfumerie (SIMPPAR) qui aura lieu les 31 mai et 1er juin prochains à Paris, nous vous proposons de découvrir une série d’articles initialement publiés en 2021 dans l’ouvrage De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum. Aujourd’hui, partons à la découverte de la gousse de vanille malgache cultivée par Floribis, avec qui Mane a noué un partenariat depuis 2000, et dont Julie Massé avait parlé dans une interview.

C’est dans la région de la Sava, à Madagascar, capitale mondiale de la gousse, que Mane s’est implantée il y a quarante ans. La maison de composition française y bénéficie de l’expertise de son partenaire local pour produire une absolue, mais aussi un Jungle Essence, ainsi qu’une huile de vanille et une infusion qui nourriront la palette des parfumeurs et des aromaticiens. On les appelle les marieuses : au petit matin, d’octobre à décembre, elles repèrent les fleurs de vanille prêtes à être fécondées et mettent délicatement en contact le pistil et l’étamine à l’aide d’une aiguille ou d’une épine de citronnier. Ce geste précis témoigne du caractère indispensable de la main-d’œuvre et de son savoir-faire pour la culture de la gousse. Au nord-est de Madagascar, la région de la Sava en a fait sa spécialité. Cette zone côtière au climat chaud et humide abrite la vanille dans des plantations semi-ombragées où les arbres, souvent des gliricidias ou autres espèces endémiques, servent à la fois de parasol et de tuteur naturel à la liane qui donne les précieuses gousses. Source de revenus pour une grande partie du pays, la vanille a connu de très fortes variations de prix ces vingt dernières années. « Son cours peut fluctuer de 100 à 600 dollars le kilo, en fonction du volume de production, du taux de vanilline, mais surtout de la spéculation. D’où l’importance d’avoir une implantation solide et des partenaires stables dans le pays », souligne Clément Toussaint, chargé du sourcing des matières premières naturelles stratégiques chez Mane.

Pionnière, la maison de composition française est présente sur l’île depuis quarante ans et a noué en 2000 un partenariat avec Floribis, un des leaders du secteur, portée par la volonté de soutenir une filière durable, traçable et responsable. « La vanille est l’une des matières premières naturelles les plus importantes chez Mane, et il est essentiel pour nous de préserver le savoir-faire unique qui nous l’offre. » Méthode traditionnelle en trois étapes Ce fameux savoir-faire, le minutieux processus de préparation de la vanille en témoigne. Neuf mois après la pollinisation, entre juillet et septembre, il est temps de cueillir la gousse, même si celle-ci reste faiblement odorante à ce stade. Pour être récoltée à maturité, elle doit revêtir une couleur vert clair tirant sur le jaune : c’est ce qui garantira ensuite la qualité de la vanille « préparée ».

Le processus pour obtenir cette dernière débute dans les deux à trois jours après la cueillette afin que les molécules odorantes ne se détériorent pas. La méthode de préparation traditionnelle comprend trois étapes. D’abord l’échaudage : la vanille est immergée dans une eau à 65 °C pendant trois minutes, ce qui a pour effet de libérer la vanilline, molécule responsable de son odeur. Puis vient l’étuvage : pendant douze heures, les gousses reposent dans des caisses en bois capitonnées de couvertures de laine afin de conserver la chaleur. Elles commencent alors à noircir. C’est enfin le séchage : la vanille séjourne au soleil sur des claies, une à deux semaines selon le climat, puis à l’ombre pendant un mois. La gousse se fripe, sa couleur noire s’intensifie ; elle est dès lors triée au toucher et à l’odeur pour vérifier qu’elle est prête à être exploitée. C’est près de Grasse, dans les ateliers de Mane, qu’elle sera transformée et extraite.   

Visuel principal : © Mane

Cet article est initialement paru dans l’ouvrage De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum, publié aux éditions Nez.

Karine Chevallier : « Ma rencontre avec le Vétiver de Carven participe aux fondements de ma manière de composer »

Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a les parfums qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Semaine après semaine, ils sont désormais plusieurs à nous avoir conté leur rapport à une création, et l’influence parfois inconsciente de celle-ci sur leur manière de composer. Dans ce nouveau témoignage, la parfumeuse indépendante Karine Chevallier se souvient de l’histoire qui la lie au Vétiver de Carven, comme une leçon de parfumerie.

Il a toujours été là. Ce vétiver que pourtant, au début, je ne savais pas nommer. 
Quand j’étais enfant, mon père portait le Vétiver de Carven. Ce magnifique opus sur la matière a été créé en 1957 par Édouard Hache, à la demande de Madame Carven qui voulait l’offrir à son mari, même si d’aucuns disent qu’elle avait en réalité voulu ce parfum pour elle-même. Ce Vétiver était donc là, bien présent, surtout les soirs où mes parents sortaient. J’étais à la fois subjuguée par cette présence si « chic » , réconfortante : « mon père ce héros », et la crainte de la séparation à venir : « on sort ce soir ». L’harmonie. Le choc.

À 18 ans, j’ai eu la chance de faire un premier stage, l’été, chez Robertet à Grasse. Sous la houlette du parfumeur Daniel Molière, je faisais mes premiers pas sur la longue route de l’apprentissage des matières premières. Méthode Jean Carles en mains, je dévalais les colonnes et les lignes des ingrédients, par famille, puis par opposition. Et soudain, il était là : essence de vétiver. Le choc, à nouveau.
En cet instant, c’est comme si ma mémoire olfactive, par soustraction du souvenir du Vétiver de Carven, me faisait appréhender l’art de la composition. L’art d’étirer les différentes facettes d’une matière première pour la transcender et en faire un parfum : l’essence a une facette zestée pamplemousse ? Qu’à cela ne tienne, nous lui ajouterons des agrumes ; elle est moelleuse ? Ajoutons une facette santal et un peu de myrrhe ; elle est terreuse ? La mousse de chêne fera l’affaire. Le choc. L’harmonie, toujours.

Plus tard sur les bancs de l’Isipca, nous avions ce cours que nous attendions tous, donné par Jean-François Blayn, disciple d’Edmond Roudnitska. Il avait intitulé une de ses leçons « la forme dans la forme ». C’était notre premier contact avec la formulation docte. Il s’agissait de travailler autour de la mousse de chêne, d’en décrire les facettes puis de définir, selon notre approche personnelle, celle qui nous marquait le plus. En somme, nommer quelle forme chacun attribuait à la mousse de chêne, puis lui donner une nouvelle dimension en ne s’aidant que de trois autres matières premières. Je me suis évidemment braquée sur la facette boisée de la mousse, à laquelle je n’avais pas eu le droit d’ajouter l’essence de vétiver : « trop caractériel ! », s’était exclamé le parfumeur. Mais cette simple leçon sur la construction d’un accord, en écho à ma rencontre avec le Vétiver de Carven puis l’essence de vétiver seule, sont les fondements de ma manière de composer : chercher l’accord, trouver l’harmonie.

Ce n’est que bien des années plus tard, à l’occasion d’une conférence donnée par Fabrice Pellegrin, que j’ai compris qu’un beau parfum n’était pas qu’harmonie, mais que la provocation de l’accident, l’opposition, la matière première à laquelle on ne s’attend pas, vient sceller la perfection d’une composition réussie. L’accident, c’est la menthe froissée dans la magnifique Eau d’orange verte créée par Françoise Caron pour Hermès ; c’est la note cassis dans Ombre dans l’eau de Diptyque c’est le styrax dans l’incroyable tubéreuse Nuit de bakélite par Isabelle Doyen pour Naomi Goodsir… 

Y avait-il un accident dans le Vétiver de Carven ? Mon souvenir de l’original est trop lointain pour m’en rappeler. En revanche, lorsque j’ai créé Lime Absolue pour le Cercle des parfumeurs créateurs, qui est une sorte de cologne vétiver, j’ai étiré sa facette moelleuse en opposant la racine à la sève juteuse, presque coco de la figue : mon accident, mon choc, mon harmonie. Enfin l’accident c’est aussi, dans Emotional Drop, « le » vétiver de Mark Buxton, l’occurrence en fond d’une facette sucrée de maltol, provenant certainement d’une grande quantité d’absolue de fir balsam, qui vient contrebalancer la facette terreuse de la racine tout en se noyant dans les muscs. Le choc, l’harmonie, la perfection du vétiver.

Karine Chevallier, le 9 mai 2023.

Visuel principal : © Serge Nicolas

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DOSSIER « CONFIDENCES PARFUMEES »

Smell Talks : Clara Muller – Exposer le design olfactif et ses enjeux contemporains

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En octobre 2022, au lycée hôtelier Guillaume Tirel à Paris, s’est déroulée la rencontre annuelle du groupement de recherche GDR O3 (Odorant-Odeur-Olfaction). Ce collectif développe des recherches multi et transdisciplinaires autour des domaines de la perception des odeurs, des composés odorants ou des arômes et parfums.

Clara Muller est historienne de l’art, critique, commissaire d’exposition et membre du collectif Nez. Elle mène des recherches sur la respiration dans l’art contemporain ainsi que sur les pratiques artistiques employant les odeurs comme médium. Dans cet épisode, elle propose une conférence intitulée « Exposer le design olfactif et ses enjeux contemporains ».

Crédit photo : Manon Raczynski

Le gingembre, par Symrise

À l’occasion du Salon international des matières premières pour la parfumerie (SIMPPAR) qui aura lieu les 31 mai et 1er juin prochains à Paris, nous vous proposons de découvrir une série d’articles initialement publiés en 2021 dans l’ouvrage De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum. Aujourd’hui, place au gingembre cultivé et distillé à Madagascar par Symrise, un ingrédient qu’Alexandra Carlin avait déjà évoqué dans une interview.

À Madagascar, le gingembre est le petit prince des épices. Intimement liée à celle de la vanille, la reine mère, sa culture sur l’île a été mise en place par Symrise afin de diversifier les sources de revenus des producteurs locaux en dehors de la saison de la gousse. On le dit aphrodisiaque. En brunoise ou en julienne, le gingembre aromatise la cuisine asiatique. En médecine chinoise, il est réputé détoxifier et revigorer l’organisme. Et en parfumerie, son huile essentielle apporte des notes piquantes et citronnées aux eaux fraîches et aux colognes.

Le gingembre cultivé à Madagascar est parfois surnommé « gingembre bleu », une appellation poétique – ou marketing – qui trouve sa source dans une simple réaction chimique : en s’oxydant au contact de l’air, une fois coupé, le rhizome de gingembre prend une teinte bleutée. Plus épicé, plus piquant, son cousin venu de Chine, le gingembre rose (70 % du gingembre mondial), possède une odeur plus savonneuse. La faute à ses racines, plus grosses, plus fibreuses, davantage chargées en eau. Mais aussi aux engrais, absents sur l’île. Frais au nez, il est pourtant brûlant sur la langue. Les Chinois classent d’ailleurs le gingembre parmi les épices chaudes, alors que, pour les parfumeurs occidentaux, il est perçu comme frais, surtout dans sa qualité malgache. Cela tient également au savoir-faire de Symrise à Madagascar : ici, le gingembre est distillé le plus tôt possible, à peine deux jours après la récolte. Sur la terre rouge de la Sava, dans le nord-est de l’île, où se cultive l’essentiel de la vanille mondiale, le rendement du gingembre est bien meilleur qu’à Antananarivo, dans la région centrale des Hautes Terres, où les pluies sont plus rares. Pour s’épanouir, le gingembre a besoin de chaleur, de soleil et d’humidité sur un sol léger et bien drainé. Il est planté en janvier-février, au cœur de l’été malgache, et sa récolte a lieu six mois plus tard, en juin. « Quand les feuilles commencent à sécher, cela signifie que toute l’essence de la plante est descendue dans ses racines et qu’il est temps de récolter », raconte Mihen, l’un des producteurs malgaches installés dans la Sava. Chaque année, Symrise lui achète sa production, qui rejoint ensuite l’usine de Benavony où elle sera transformée.

À Madagascar, les racines de gingembre sont distillées juste après leur récolte. Une vraie nouveauté, qui permet d’obtenir une huile essentielle de qualité exceptionnelle à partir du rhizome frais : historiquement, ce dernier était d’abord mis à sécher avant d’être traité pour la parfumerie ou l’aromathérapie. Mais aujourd’hui, aussitôt la plante récoltée, son rhizome est nettoyé dans une machine à laver utilisée spécialement pour toutes les racines de plantes (vétiver, curcuma). Le gingembre est ensuite pelé, broyé, puis mélangé à de l’eau et mis à chauffer dans une marmite, de façon à constituer une sorte de soupe fine de gingembre. La mixture est alors versée dans la cuve d’un alambic à pression atmosphérique. Le processus de distillation dure cinq heures environ. 250 kilos de rhizome frais sont nécessaires pour obtenir 1 kilo d’huile essentielle, avec trois distillations quotidiennes possibles selon les récoltes. Et pas seulement dans l’usine de Benavony : Symrise aide aussi les paysans à installer leurs propres alambics de brousse partout dans la Sava, au plus près de la richesse olfactive de la plante. 

Cet article est initialement paru dans De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum, publié aux éditions Nez.

Visuel principal : © Symrise

1+1 : Armoressence – Jeanne Vicerial & Nicolas Beaulieu

Également disponible sur : SpotifyDeezerApple PodcastsAmazon MusicYouTube

Jeanne Vicerial, plasticienne, a d’abord imaginé de nouvelles manières de créer des vêtements, avant d’interroger la féminité et ses représentations à travers des sculptures monumentales tissées de fils. L’artiste connaît bien Nicolas Beaulieu, parfumeur chez IFF, qui a déjà composé pour elle les fragrances de deux expositions. Entre fin 2022 et début 2023, ils ont esquissé ensemble un nouveau projet olfactif, Armoressence, inspiré par le travail de Jeanne. Plongez dans les coulisses de cette création.

Ce podcast a été réalisé par Guillaume Tesson.

1+1 : une expérience de création

Nez propose une série de rencontres entre des parfumeurs et des personnalités d’autres univers. Chacune donne naissance à une création olfactive disponible en édition limitée avec chaque nouveau numéro de la revue.

Ces créations sont disponibles sur le Shop by Nez.

Photos : Ava du Parc / Atelier Marge Design

Des effluves et une œuvre : Chop Suey, d’Edward Hopper

Peintre d’une Amérique sans éclat, celle de la middle-class urbaine, Edward Hopper savait faire surgir le mystère au cœur de la réalité la plus banale. Né en 1882, il a vécu près de soixante ans à New York, où il est mort dans son atelier de Greenwich Village, à 84 ans. À l’occasion de la Journée internationale des musées ce jeudi 18 mai, nous vous proposons la lecture d’un texte consacré à ce tableau de 1929, initialement publié dans Nez, la revue olfactive #15 – Au fil du temps.

« New York, son odeur d’essence et d’asphalte, de menthe verte, de poudre de talc et de parfum »[1]Extrait de Manhattan Transfer (1925), de John Dos Passos est son terrain de chasse favori. À l’affût, Hopper en saisit les habitants dans des compositions simplifiées pour condenser l’essentiel : leur solitude abyssale. Éclairées à la manière des films noirs, ses scènes invitent à s’immiscer dans la pensée souvent mélancolique des personnages. Comme celle de ces clients attablés dans un chop suey. Si ce terme dérivé du cantonais désigne à l’origine un plat, on nommait alors ainsi les restaurants populaires chinois, en général situés au-dessus de magasins. En témoigne le fragment de l’enseigne lumineuse où l’on devine, à la verticale, le mot « suey ». On y croisait le tout-venant new-yorkais dans une ambiance bruyante, enfumée et saturée d’odeurs de chou, de crevettes et de gingembre grésillants. À l’inverse, Hopper nous plonge dans une salle étrangement calme, baignée de clarté naturelle. Seule la théière rouge, avec ses effluves de thé fumé, rappelle ici la Chine. Peu amateur des joies sensuelles de la cuisine, l’artiste n’a jamais représenté le moindre aliment dans ses toiles.

Au fond de la salle, un couple. Au centre, un éclat de lumière éclaire le visage fardé d’une jeune femme moulée dans un pull vert. C’est Josephine Verstille Nivison, la femme du peintre et le modèle féminin de ses tableaux. C’est probablement elle encore que l’on voit de dos, toujours coiffée d’un chapeau cloche. « Jo » incarne la femme des années folles. Cette décennie 1920 a vu naître l’Art déco et le jazz, la publicité et la libération des femmes. Les flappers, les « garçonnes » américaines, sont actives et autonomes. Elles font du sport, fument et boivent en défiant la prohibition, mènent leur sexualité comme elles l’entendent, et se ruent sur la mode et les parfums made in France. Gabrielle Chanel, Jean Patou, Jacques Guerlain et autres acteurs du luxe français ont les yeux rivés vers cet eldorado. D’autres inventeurs d’une parfumerie moderne où se côtoient les matières premières naturelles et les molécules de synthèse ont déjà pignon sur rue à New York. Paris, lancé en 1923 par François Coty, puis Evening in Paris, signé par Ernest Beaux pour Bourjois en 1928, font un carton outre-Atlantique. Jusqu’à ce que survienne l’impensable… Le 24 octobre 1929 – l’année où Hopper a peint ce tableau –, c’est le krach. La grande dépression qui s’ensuit jettera dans la misère des millions d’Américains et gagnera l’Europe. En 1930, Jean Patou offre à ses clientes américaines qui n’ont plus les moyens de venir à Paris une luxueuse création, Joy. Symbole d’espoir et d’allégresse, « le parfum le plus cher du monde » connaîtra un succès planétaire, à l’instar des toiles d’Edward Hopper.

Visuel : Edward Hopper, Chop Suey, 1929. Huile sur toile 81,3 × 96,5 cm, collection privée. © Domaine public / An American Place : The Barney A. Ebsworth Collection

Notes

Notes
1 Extrait de Manhattan Transfer (1925), de John Dos Passos

L’extraction naturelle de la prochaine décennie par Firmenich

À l’occasion du Salon international des matières premières de la parfumerie (SIMPPAR) qui aura lieu les 31 mai et 1er juin prochains à Paris, nous vous proposons de découvrir une série d’articles initialement publiés en 2021 et en 2022 dans l’ouvrage De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum.
Commençons par la méthode d’extraction Firgood[1]Firgood est une marque Firmenich., révolution naturelle au sein de la maison de composition et d’ingrédients suisse. Firmenich a en effet installé à Grasse un équipement inédit d’extraction assistée par micro-ondes et a dévoilé il y a deux ans ses premiers ingrédients.

Depuis plus de six ans, une équipe de chercheurs travaille sur un projet tenu secret dans l’enceinte de l’usine grassoise. Celui-ci implique la mise au point d’un procédé inédit au double enjeu : pouvoir traiter naturellement des matières jusqu’à présent difficiles à extraire et répondre au besoin impératif de techniques d’extraction plus durables, moins consommatrices d’énergie ou de ressources. « Toutes les avancées de ces dernières années nous amènent à concrétiser un procédé théorique idéal : une méthode d’extraction sans solvant ajouté », se réjouit Xavier Brochet, directeur de l’innovation globale pour les ingrédients naturels chez Firmenich. « Pour cela, nous venons de franchir un cap : de l’échelle du laboratoire, nous passons aux larges volumes de la logique industrielle. » 

Uniquement l’eau des ingrédients

Le procédé consiste à exposer une biomasse fraîche à des fréquences électromagnétiques. Sous l’effet de celles-ci, la vibration des liaisons O-H provoque une friction qui induit une élévation de température. L’eau constitutive se met à chauffer jusqu’à l’éclatement des cellules et entraîne les principes odorants. « Il n’est donc pas nécessaire d’utiliser d’autres solvants que l’eau constitutive de la plante, souligne Sophie Lavoine, directrice de l’innovation et procédés pour les ingrédients naturels chez Firmenich. Cette innovation est l’aboutissement de l’évolution des technologies d’extraction, qui n’ont cessé de s’orienter vers des solvants plus sûrs ou plus verts : l’hexane en remplacement du benzène, puis le CO2 supercritique, et aujourd’hui l’eau des biomasses. »
Les équipes de Firmenich ont effectué un véritable travail d’ingénierie afin de changer d’échelle tout en maîtrisant les coûts : de 100 à 200 kilos au départ, la capacité atteint désormais la tonne. L’astuce consiste à traiter les productions en continu, grâce à un dispositif « ouvert », et non par lots. La biomasse, véhiculée sur un tapis mobile, entre en phase de chauffage dans un tunnel. L’énergie dépensée est optimisée et correspond rigoureusement à la quantité de biomasse déposée, afin d’éviter tout effet de surcuisson et de respecter son profil organoleptique. La collecte du produit obtenu se fait par gravitation dans la partie inférieure de l’équipement.
Trois types de produits, baptisés Firgood, viennent ainsi enrichir la palette des parfumeurs et des aromaticiens de la maison. Tout d’abord, une solution mère, ou hydrolat, contient l’intégralité de la fraction aromatique polaire (composée des molécules les moins lipophiles) du produit en phase hydrosoluble. À partir de cette solution, un second produit est réalisé par des méthodes physiques de concentration à froid des fractions aromatiques. L’eau y est remplacée par un autre solvant, par exemple de l’alcool, pour une utilisation en parfumerie. Enfin, il est également possible d’obtenir une huile essentielle, récupérée par décantation à partir de la solution mère, si celle-ci est assez riche en essence. C’est le cas, entre autres, pour les épices. 

Respect de la planète et naturalité de la note 

Ce type d’extraction présente de nombreux avantages, dont une consommation moindre d’énergie. De plus, le procédé permet une revalorisation des drêches (résidus de l’extraction) bien plus aisée qu’avec les procédés traditionnels : exemptes de tout solvant, celles-ci peuvent être recyclées ou faire l’objet d’autres extractions qui donneront naissance à des extraits au profil complémentaire, telle l’extraction au CO2 supercritique. « En effet, celle-ci se concentre sur les fractions lipophiles et sur les aldéhydes. La vanille SFE [issue d’une extraction au fluide supercritique] sera riche en vanilline, tandis que l’extrait Firgood révélera les acides, les phénols, le gaïacol et ses dérivés », précise Sophie Lavoine. La richesse du spectre d’utilisation justifie le pari de cet investissement majeur : fleurs, fruits, épices, légumes, racines peuvent ainsi être traités, sous forme de matières fraîches ou simplement réhumidifiées. La rapidité du procédé permet d’éviter les effets secondaires indésirables de cuisson, d’oxydation ou de polymérisation, qui peuvent survenir lorsque la matière subit un long choc thermique ou chimique. Les nouveaux extraits seront proposés dans une gamme de prix abordable pour le marché au regard de leurs qualités olfactives et techniques, en parfumerie fine, d’hygiène ou en arômes. Les premiers captifs révélés en 2021 – gingembre, poire et poivron Firgood – seront bientôt complétés par d’autres ingrédients issus de fleurs, fruits, thés ou cafés.[2]Depuis la publication de l’ouvrage dont est issu cet article, une dizaine d’ingrédients Firgood ont été développés, dont un muguet.  « Nous regardons avec humilité le chemin parcouru, enrichi de nombreuses initiatives extérieures qui ont contribué à cette avancée. Grâce à cet équipement polyvalent adaptable à chaque ingrédient, nous pouvons prévoir d’élargir la production d’extraits alternatifs à l’ensemble de notre palette d’ingrédients naturels, conclut Xavier Brochet. Nous sommes également fiers de participer à l’amélioration continue des procédés d’extraction qui jalonnent l’histoire de la parfumerie, ainsi qu’au rayonnement du bassin grassois. »

Cet article est initialement paru dans De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum, publié aux éditions Nez.

Visuel principal : © Agence Odds pour Firmenich

Notes

Notes
1 Firgood est une marque Firmenich.
2 Depuis la publication de l’ouvrage dont est issu cet article, une dizaine d’ingrédients Firgood ont été développés, dont un muguet.

Timothée Chalamet et Luca Guadagnino : échappées sensorielles

Chanel a dévoilé aujourd’hui le nom de la nouvelle égérie pour son parfum Bleu : ce sont ainsi les boucles nonchalantes de Timothée Chalamet qui orneront donc bientôt les abribus et les pages de magazines. Plutôt que de vous raconter que le jeune homme de 27 ans ne semble pas franchement branché parfum (il se souvient bien d’un flacon de N°5 offert à sa soeur à un Noël par sa grand mère, ou d’un vague parfum d’ambiance au cèdre rapporté d’une visite à Grasse et dont il parfumait sa chambre, sans plus…) nous vous proposons plutôt de parler cinéma et de (re)découvrir une partie de l’excellent article d’Amandine d’Azevedo dans lequel elle souligne la fine utilisation de l’odorat dans les films de Luca Guadagnino. Ce dernier, après avoir révélé l’acteur dans Call Me By Your Name en 2017 (on ne déguste plus jamais une pêche de la même façon ensuite), l’a récemment dirigé dans le très carnassier Bones and All, sorti à l’automne dernier, et qui confirme un intérêt très marqué pour les odeurs comme fil rouge de l’intrigue.

Des émois adolescents à la sensualité d’une liaison, la révélation et l’exploration des désirs sont au coeur de plusieurs films de Luca Guadagnino. Sa représentation des corps et des paysages naturels sollicite l’odorat comme les autres sens.

Ses longs métrages ne relèvent pas de l’expérience en odorama ; on n’y cite même souvent aucun parfum en particulier. Pourtant, les films de Luca Guadagnino peuvent être analysés à travers le prisme des odeurs. Le réalisateur y entrelace savamment la puissance évocatrice de l’image cinématographique et le monde des sens. Ses liens avec le milieu de la mode sont connus, mais l’univers du parfum peut sembler plus éloigné de son œuvre. La dimension olfactive est pourtant sensible dans la connexion qu’il établit entre le cinéma et une certaine idée de la sensualité, associée au corps et à la nature – celle de l’Italie.

Jardins sous le soleil où se croisent des personnages venus du monde entier, élégance d’une silhouette, références littéraires, eaux vives et maisons de maître, île volcanique et poésie : Luca Guadagnino fabrique des films traversés par nombre d’arts, de la haute couture à la musique, sans pour autant que la nature cède le pas.

À peu d’années d’intervalle, le cinéaste filme des corps alanguis par la chaleur au bord de l’eau. Dans A Bigger Splash (2015) et Call Me By Your Name (2017), des personnages s’observent et se frôlent autour de la surface bleutée d’une piscine ou d’un lac. L’éveil du désir est une affaire d’extérieur, de corps dévoilés, d’ondulations des flots où se réverbère le soleil, sur fond d’odeur de chlore ou de végétaux lacustres. […]

Pas de mer, mais des cours d’eau et des bassins dans Call Me By Your Name, qui évoque la force du premier amour et de la sensualité entre Elio (Timothée Chalamet), un adolescent de 17 ans, et Oliver (Armie Hammer), un étudiant de doctorat en stage auprès de son père. Ils résident tous, pendant l’été 1983, dans une vaste demeure du XVIIe siècle, en Lombardie. La nature est omniprésente et les longues promenades à vélo des personnages dans la campagne environnante évitent tout effet de huis clos. Le désir d’Elio pour l’odeur d’Oliver est plusieurs fois manifeste, lorsqu’il emprunte sa mousse à raser, plonge la tête dans un short abandonné ou porte sa chemise.

L’attention apportée aux senteurs transparaît également dans le travail minutieux réalisé sur le décor, bien qu’on n’en perçoive pas tous les détails à l’écran. Grâce aux photographies de plateau, on devine ainsi sur la table de toilette des parents d’Elio une bouteille d’Eau sauvage de Dior, juste à côté de la solaire Colonia d’Acqua di Parma, entre une familière boîte bleue de crème Nivea et la fiole, de même teinte, d’une eau de rose Manetti & Roberts. Non loin d’un peigne en écaille, un vaporisateur de Vanderbilt vide côtoie un beau flacon alvéolé qui pourrait contenir une autre cologne. Le raffinement et le classicisme des fragrances choisies répondent au jeu des couleurs, à la composition esthétique, avec l’élégance du coffret marqueté et du miroir en bois sculpté. Ce décor, presque invisible dans le film mais ayant concouru à sa fabrication, contient l’essence de l’atmosphère fictionnelle. […]

Table de toilette dans le film Call Me By Your Name © Giulio Ghirardi
Table de toilette dans le film Call Me By Your Name © Giulio Ghirardi

Dans ces films, les saveurs sont omniprésentes et les séquences de dégustation, toujours liées au désir amoureux : la ricotta encore chaude dans A Bigger Splash annonce l’érotisme qui entoure les pêches dans Call Me By Your Name. Mais c’est surtout par le montage que Luca Guadagnino développe une approche sensorielle du cinéma. […]

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Parfums de libération

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la parfumerie française retrouve petit à petit un élan productif et un souffle créatif. En quelques années naissent plusieurs parfums aujourd’hui mythiques. Pour célébrer ce 8 mai, nous vous offrons le chapitre retraçant les années 1940 dans Une histoire de parfums (1880-2020), un livre deYohan Cervi publié aux éditions Nez.

Le conflit sonne le glas d’un certain âge d’or pour la parfumerie. Si son activité souvent se maintient, elle tourne au ralenti. Les maisons proposent peu de nouveautés et misent davantage sur leurs créations déjà bien implantées sur le marché. Grasse demeure la plaque tournante des matières premières, mais la guerre rend difficile l’approvisionnement depuis l’étranger. Se fournir en verre, en cristal et en cartonnage est également une épreuve. Souvent, les flacons et les écrins sont rationalisés et standardisés. Certains portent même la mention « présentation provisoire ». L’industrie endure péniblement les années de guerre. Les usines Guerlain de Bois-Colombes, dans les Hauts-de-Seine, sont détruites par un bombardement en septembre 1943. Il faudra attendre 1947 pour que la société redémarre pleinement, avec la construction de la nouvelle usine de Courbevoie. On ne connaît qu’une référence Guerlain créée durant l’Occupation : Kriss, lancé en 1942 et renommé Dawamesk en 1945.
L’histoire de Caron est encore plus tragique. La maison est menacée de confiscation par l’administration française, car son fondateur, Ernest Daltroff, qui a fui aux États-Unis en 1939, est juif. Sa partenaire depuis les débuts, Félicie Wanpouille, évite de justesse la fermeture et parvient tant bien que mal à maintenir l’activité. Mais Daltroff meurt en 1941, à l’âge de 72 ans, et laisse la maison orpheline. Pour d’autres, comme Houbigant, les ventes périclitent à partir du début des hostilités et reprendront difficilement au sortir de la guerre. À la Libération, le mouvement des couturiers parfumeurs se généralise et s’impose dans la renaissance de la parfumerie, à travers des fragrances dont certaines sont entrées dans la légende.

Le parfumeur Edmond Roudnitska, auteur de Femme de Rochas. © Michel Roudnitska

Femme, un parfum de transition

À Paris, en novembre 1943, la rencontre entre un couturier, Marcel Rochas, et un jeune parfumeur, Edmond Roudnitska, alors au début de sa carrière chez de Laire, sera à l’origine d’un des plus grands parfums de l’époque moderne, qui continue de faire rêver et d’inspirer les créateurs du XXIe siècle. Marcel Rochas avait fondé, avec succès, sa maison de couture en 1925. L’histoire retiendra de lui le fameux corset et la guêpière, qui avaient séduit une riche clientèle internationale, notamment hollywoodienne : Marlene Dietrich, Mae West, Joan Crawford… Et Rochas avait déjà lancé trois parfums, de manière confidentielle, en 1936 : Audace, Air jeune et Avenue Matignon, présentés uniquement dans sa boutique de couture du 12, avenue Matignon. À présent, malgré la guerre, il souhaite proposer un parfum qui fera date.
Edmond Roudnitska avait travaillé, sous l’Occupation, un accord autour d’une note originale de prune, confite, boisée, aldéhydée et fleurie. C’est cet essai qu’il présente à Marcel Rochas et à son associé, Albert Gosset, et qui est immédiatement adopté par les deux hommes. Du fait des difficultés d’approvisionnement, Femme est d’abord proposé par souscription, en 1944, aux femmes les plus en vue du Tout-Paris. Le premier flacon, une amphore sur piédouche signée Marc Lalique – fils de René –, est présenté dans un coffret habillé d’une dentelle de Chantilly noire. Rochas tire finalement parti de cette distribution très limitée, grâce à un marketing imparable : l’effet de rareté, propice à susciter le désir de possession. Puis il a l’idée – géniale – d’organiser, dans les salons de sa maison de couture, une exposition intitulée « Les parfums à travers la mode. 1765 – 1945 ». C’est l’occasion de présenter Femme au grand public. Le succès est immédiat et imposera Rochas comme une grande maison de parfum. Le premier flacon est remplacé en 1945 par l’amphore que nous connaissons aujourd’hui. La légende raconte que ses formes furent inspirées par les hanches de la plantureuse Mae West, celle que le magnat de la presse William Randolph Hearst qualifiait de « monstre lubrique », à une époque où le fétichisme sexuel et la sensualité des corps hollywoodiens atteignent leur apogée. À l’instar des grands chypres, Femme émerge et se déploie dans la lumière pour s’éteindre dans l’ombre. Dans ce chypre fruité, les notes confites de prune et de pêche s’étirent longuement, contre balancées par la puissance d’un cœur floral classique composé de rose, de jasmin, d’ylang-ylang et de violette, et d’une pincée de cumin et de girofle. Ses notes de mousse de chêne, de bois, d’ambre et de muscs assombrissent le propos et lui confèrent une dimension charnelle accomplie.

La dentelle de Chantilly noire de Femme remonte à son lancement sous l’Occupation.
© Rochas


Pourquoi Femme continue-t-il de hanter l’esprit des amoureux et des professionnels de la parfumerie ?[1]Deux témoignages récemment publiés sur Nez font mention de ce parfum fondateur : celui de Camille Goutal et celui de Mathilde Laurent. Sans doute pour son caractère hors norme, ses rondeurs généreuses. Également grâce à son équilibre complexe entre les notes de fruits jaunes, presque gustatifs, les épices, qui évoquent la moiteur de la peau, et son fond, grave et sombre. Il demeure un témoin fascinant de son temps. Femme a été revisité en 1989 par Olivier Cresp, dans une version qui conserve la beauté et l’esprit de la création originelle.

Vent vert, la clé des champs

En 1947 naît un parfum mémorable, à la verdeur devenue légendaire. Pierre Balmain, après avoir œuvré pendant la guerre chez Lucien Lelong, où il fait la connaissance de Christian Dior, ouvre à l’âge de 31 ans sa propre maison de couture, au 44, rue François Ier, dans le 8e arrondissement de Paris, avec l’aide de sa mère et l’appui d’anciennes ouvrières de Balenciaga. Il y propose une mode souple, qui épouse les formes du corps dans des tons sombres, dont le rapide succès participe à la renaissance de la haute couture française. Dès 1946, Pierre Balmain lance sa première fragrance, Élysées 64.83, qui fait référence à l’indicatif téléphonique de la maison Balmain. Si ce premier parfum passe quelque peu inaperçu, le deuxième, lancé en 1947, marquera les esprits.
Vent vert (tout comme Élysées 64.83) est l’œuvre de Germaine Cellier, première femme parfumeuse de l’après-guerre, mais surtout figure atypique. Entrée vers 1930 comme chimiste chez Roure, elle ne tarde pas à s’imposer dans un univers patriarcal peu progressiste. Sa vision très particulière de la parfumerie, entre tradition et avant-garde, est aussi à son image : vive, franche, brute de décoffrage. Germaine Cellier joue des overdoses, compose des formules taillées à la serpe et parvient à faire surgir des splendeurs inédites.
Vent vert est d’une beauté grisante, à mille lieues des parfums parfois chargés de la décennie précédente. Il symbolise une joie et une liberté retrouvées. Sa légèreté, pourtant tenace, exhale une fraîcheur complexe. Cellier a employé l’essence de galbanum, obtenue par distillation d’une plante vivace originaire d’Iran, pour aboutir à un accord vert intense, croquant et vivifiant. Elle la pousse à 8 %, du jamais-vu à l’époque. Le basilic et les agrumes permettent à cette fraîcheur de se déployer ; un accord classique de rose, d’iris, de jasmin et de muguet la tempère. L’ensemble se fond dans la mousse de chêne, le vétiver, le santal et les muscs. Vent vert retranscrit merveilleusement l’image d’une partie de campagne entre prairie, clairière et chemins de terre, bercée sous un ciel clément par une douce brise de printemps. Colette aurait dit de lui : « Il a un caractère vireux de végétal écrasé à la main. De quoi plaire à ces diablesses de femmes d’aujourd’hui. » La sirène aux cheveux verts dessinée au début des années 1950 par René Gruau pour promouvoir le parfum achèvera de porter Vent vert au panthéon des fragrances modernes.

Germaine Cellier, créatrice de Vent vert de Balmain. © Givaudan

L’Air du temps, tendresse et paix

C’est en 1932 que Nina Ricci fonde sa maison de haute couture, avec l’aide de son fils Robert. Ex-publicitaire, homme d’affaires avisé, ce dernier crée en 1941 l’activité parfums, dans laquelle il s’investit avec passion. Car ces produits, s’ils relèvent encore du luxe, demeurent plus accessibles que la haute couture : ils sont une arme de choix pour accroître la renommée et l’étendue de l’entreprise familiale. Les parfums Nina Ricci sont souvent empreints de grâce, de tendresse, de fantaisie et de romantisme. Le premier, Cœur-Joie, créé par Germaine Cellier, est lancé en 1946 ; suivront Fille d’Ève (1952), un chypre fruité animalisé, Capricci (1961) ou encore Farouche (1974).
Mais le plus mémorable est sans conteste le deuxième, L’Air du temps. Robert Ricci en confie la création à Francis Fabron de chez Roure. Le lancement a lieu en 1948. On a souvent dit de L’Air du temps qu’il est le plus beau des œillets. Mais considérer ce parfum comme un soliflore est un brin réducteur. Certes, il reprend le thème de l’œillet, très en vogue dans la première moitié du XXe siècle, généralement traité en soliflore ou mêlé dans des accords ambrés fleuris épicés (Après l’ondée, L’Heure bleue, En avion, Tabu)… Mais Fabron va proposer un regard neuf sur cette petite fleur crémeuse et épicée, recréée à partir de matières naturelles et de synthèse. C’est en réalité un vrai bouquet floral, où l’œillet, doux et légèrement épicé, épouse avec subtilité la rose, le jasmin, la violette, le tout bercé par un fond poudré, musqué et boisé. L’ensemble est d’une rare douceur, d’une tendresse infinie, d’une délicatesse palpable. Robert Ricci semble avoir en effet su capter l’air de son temps, le besoin de joie, d’affection et d’apaisement d’une génération traumatisée par la guerre : son parfum est un message d’amour et de paix lancé au monde. Il voulait également une fragrance intemporelle, indémodable. L’Air du temps sera l’un des parfums les plus vendus jusque dans les années 1990, parvenant notamment à percer au sein des marchés européens et américains. Mais c’est sans nul doute son flacon qui sera gage de son succès. Le premier, qui ne fit pas grand bruit, représentait un soleil, légèrement ovalisé, avec une colombe gravée sur le bouchon. En 1951, Robert Ricci et Marc Lalique le redessinent, avec deux colombes qui s’enlacent au-dessus d’un flacon torsadé de cristal. L’adéquation est parfaite entre un parfum, son univers et son contenant. La légende est née.

Publicité pour L’Air du Temps, Dimitri Bouchène, années 1950 © Patrimoine Nina Ricci Parfums

Miss Dior, la quintessence de l’esprit couture

Le 12 février 1947, dans un froid glacial, Christian Dior, 42 ans, fait défiler sa première collection de haute couture dans les salons du 30, avenue Montaigne. Le couturier présente ses lignes « Corolle » et « En huit », dans un style qui se construit en opposition à la mode austère des années 1940. Taille très fine, hanches amples, poitrine marquée, robes et jupes évasées : ce sont de véritables « femmes fleurs » qui défilent devant une assistance éblouie. L’événement est triomphal, et le couturier fait son entrée dans la cour des grands. Carmel Snow, rédactrice en chef du Harper’s Bazaar, s’exclame : « It’s quite a revolution, dear Christian ! Your dresses have such a new look ! » (« C’est une vraie révolution, cher Christian ! Vos robes ont un look tellement nouveau ! »). L’expression est restée. Le New Look renoue avec des fastes que la mode n’avait pas connus depuis le Second Empire. Jusqu’alors, il suffisait de trois mètres de tissu pour confectionner une robe. Avec Christian Dior, il en faudra souvent une vingtaine.
À sa mode, Dior, qui se voit autant couturier que parfumeur, souhaite très rapidement associer une fragrance. Dès 1947, il fonde les Parfums Christian Dior, avec l’aide de Serge Heftler-Louiche. C’est ce dernier qui demandera à l’un de ses amis, Paul Vacher (parfums Le Galion, Arpège de Lanvin) de créer la première fragrance du couturier. Serge Heftler-Louiche veut un chypre, lui qui porte celui de Coty et admire Vent vert, sorti quelques mois plus tôt. Ce sera donc un chypre vert, nommé Miss Dior. Paul Vacher s’associe à Jean Carles pour aboutir à la création finale. Celle-ci reprend la structure verte et chyprée de Vol de nuit de Guerlain (1933), tout en coupant l’essentiel des notes ambrées. Le départ, vert et vif, fait la part belle aux aldéhydes, au galbanum et aux touches aromatiques, pour laisser place à un cœur floral de rose, de jasmin, de gardénia, d’iris et de narcisse. Son fond mêle admirablement les notes chyprées et poudrées à des accords ambrés et cuirés. L’ensemble, relativement androgyne, est d’une élégance absolue, et le gris perle semble être sa couleur naturelle.
Miss Dior est initialement présenté dans un flacon amphore à anneaux en verre clair, à tirage très limité. Face à la demande croissante, le flacon est modifié au début des années 1950, et sa production, standardisée et industrialisée. Il évoluera avec le temps et selon les déclinaisons en eau de toilette, eau de Cologne, puis esprit de parfum. Miss Dior (aujourd’hui vendu sous le nom Miss Dior original) est la quintessence du style du plus grand couturier de l’après-guerre.
De manière plus confidentielle, 1949 marque la naissance de la première fragrance d’Edmond Roudnitska pour Christian Dior : Diorama, un chypre fruité s’articulant autour d’un très beau jasmin, d’une prune charnue et d’une pincée de cumin. Un parfum relancé en 2010, conservant l’esprit et les nuances de l’original. En tout point superbe.

Ces parfums constituent quelques exemples de ce que la parfumerie moderne nous a offert de meilleur. Véritables best-sellers dès leur sortie et pendant des décennies, ils sont devenus ce que l’on appelle désormais de « grands classiques ». Malgré les régulières reformulations – notamment imposées par diverses recommandations et réglementations –, ils continuent néanmoins d’inspirer nombre de créations contemporaines : quand on respire Féminité du bois de Serge Lutens, La Panthère de Cartier, Kenzo Jungle ou Jubilation 25 d’Amouage, on retrouve l’esprit de Femme. Et sur Fidji de Guy Laroche ou Œillet sauvage de L’Artisan parfumeur plane encore l’ombre de L’Air du temps

Visuel principal : Libération de Paris, 29 août 1944, © DR. Source : Internet Archive Book Images/flickr.com

Notes

Notes
1 Deux témoignages récemment publiés sur Nez font mention de ce parfum fondateur : celui de Camille Goutal et celui de Mathilde Laurent.

Stellogénèse : rencontre inspirée entre un souffleur de verre et un parfumeur

La complicité entre le parfumeur Nicolas Bonneville et l’artiste Jeremy Maxwell Wintrebert s’est construite au fil de leurs collaborations sur le big bang et la naissance de la lumière… Le duo poursuit son exploration cosmique avec une installation intitulée Stellogénèse, ode à la naissance d’une étoile.

L’odeur vous saisit dès les premiers pas dans la galerie.  Elle contraste d’ailleurs avec la clarté du lieu. Fidèle à son objectif, l’accord semble provenir directement des œuvres et se diffuse par vagues de plus en plus présentes. L’Espace Commines, situé dans le quartier du Marais à Paris, accueille durant trois jours une véritable expérience immersive où se côtoient odeurs, son, œuvres monumentales et minimalistes… Tout est pensé pour plonger le public dans le cosmos.

Au centre de l’espace, deux œuvres se font face. D’une part Matter Sunrise Terminal G12, sculpture réfléchissante de Jeremy Maxwell Wintrebert, formée d’un ensemble de cinquante cives miroitées – disques de verre soufflé – qui incarne l’intensité de l’énergie solaire. Véritable hommage à la lumière, cette constellation ardente de près de sept mètres sur quatre symbolise le magma primaire des origines de la création. D’autre part Soleil, un cube en acier brossé de dix centimètres de côté, créé par l’artiste plasticienne Félicie d’Estienne d’Orves. Au centre de ce cube, un orifice émet un flash lumineux toutes les huit minutes, temps nécessaire à un photon de lumière pour atteindre la Terre après avoir quitté le Soleil. La relation entre ces deux œuvres est soulignée par une atmosphère musicale et olfactive, orchestrée par la musicienne Owlle et le parfumeur de la société Firmenich Nicolas Bonneville.

Soleil, cube en acier brossé de 10 cm de côté, créé par l’artiste Félicie d’Estienne d’Orves

« Une odeur de brûlé, de goudron, de pétrole, je veux la note la plus carbonisée possible », avait affirmé Jeremy Maxwell Wintrebert à Nicolas Bonneville. Seule piste susceptible d’exprimer le concept de son œuvre : la genèse d’une étoile. Celle-ci commence avec l’attraction de molécules gazeuses vers un centre de gravité. « L’accumulation de ces molécules crée entre elles une friction, laquelle génère une fusion. Cette dernière produit une énergie lumineuse très puissante qui, à son tour, sculpte les différents éléments autour de cet événement en émettant une radiation intense », poursuit l’artiste. Pour illustrer cette idée d’énergie et de fusion, Jeremy Maxwell Wintrebert laisse totalement carte blanche au parfumeur. Carte blanche pour une note noire : « Comme une peinture de Pierre Soulages, j’ai exploré les notes les plus sombres, les plus profondes, un exercice que l’on peut rarement faire au cours d’un brief pour un parfum de peau », précise le parfumeur.

Comment traduire l’idée du pétrole ? Nicolas Bonneville a dû oublier ses réflexes de parfumerie fine. « J’avais pensé intégrer de la rose oxyde car je trouve que cela sent la pompe à essence, mais lorsque je lui ai fait sentir, ce n’était pas du tout son idée du noir ! » C’est finalement une qualité de styrax fumé qui retient l’attention du sculpteur de verre. Quelques touches de muscs et d’Ambrox adoucissent le nuage par leur « minéralité soyeuse ».

Poussière d’étoile

Jeu d’intensité et d’évaporation. En fonction de l’endroit où l’on se trouve dans l’espace, le parfum évolue et se distord. À l’entrée, le visiteur captera l’effet ambré et boisé ; s’il se place au centre de l’espace, il « entrera » dans l’effet cannelle du styrax ; enfin, plus il se rapproche de l’œuvre, plus il s’exposera aux effluves brûlés de l’étoile.  Cette différence de perception, comme autant de rayons partant d’un point d’émission, était précisément l’effet souhaité par l’artiste. Par ses déambulations, le public participe également à l’expérience, bousculant les molécules olfactives sur son passage. « Lorsque les gens se déplacent, l’évaporation classique du parfum est bouleversée. On capte certaines notes ici, d’autres choses ailleurs, comme des reflets, des ondulations. Cela confère à l’exposition une dimension vivante, physique, qui fait du bien après la période de Covid-19, concède Nicolas Bonneville ; et cela fait parler du parfum autrement… » Ces variations olfactives font écho aux mouvements sur l’œuvre de Jeremy Maxwell Wintrebert : « lorsque le visiteur passe devant l’œuvre, il fait varier les reflets des cives, la sculpture devient comme un paysage qui change constamment, elle n’est jamais la même », s’émerveille le parfumeur.

Installation Stellogénèse à l’Espace Commines à Paris, en avril 2023

Cette odeur fumée tient également un autre rôle : « elle éveille l’attention, nous met en alerte : quelque chose brûle ? Puis l’œuvre se dévoile et les deux sens sont associés : cette odeur est celle de l’étoile en fusion », s’amuse Nicolas Bonneville qui se voit en illustrateur de l’œuvre : « Le parfum n’est pas là pour se superposer, mais pour souligner l’intention de Jeremy. » Que pense l’intéressé de cette synesthésie ? « L’odeur est définitivement associée à l’œuvre, je n’arriverai plus à la regarder sans sentir la note de pétrole dans ma tête », assure le souffleur de verre, pour qui le parfum « liquéfie l’œuvre, la rend plus fluide. »

Ces variations se retrouvent également dans l’ambiance sonore imaginée par l’artiste Owlle. Pour plonger le spectateur dans l’espace, la musicienne a travaillé une boucle de sons elliptiques, ponctués d’ondulations analogiques. Ambiance Interstellar, faite de vibrations, de pulsations qui conditionnent le public : « le son coupe des bruits urbains et des klaxons », apprécie Nicolas Bonneville. De cette expérience multisensorielle naît un sentiment de plénitude propice à la méditation. L’œuvre interroge le spectateur sur la notion de temps, d’espace et de lumière, thématiques métaphysiques récurrentes dans le travail de Jeremy Maxwell Wintrebert.

Des éléments bruts surgit le verre

Artiste franco-américain et autodidacte, Jeremy Maxwell Wintrebert a développé sa pratique du verre aux États-Unis et en Europe. Installé à Paris depuis plus de vingt ans, il possède un atelier sous le viaduc des arts dans le XIIe arrondissement, où il imagine et crée des objets de verre et de laiton. Ses luminaires d’exceptions et ses objets poétiques mettent en valeur sa passion pour les matières. L’eau, le feu, l’air et le sable. Avec ces simples éléments, Jeremy souffle, façonne le verre en fusion et fait naître la beauté. La façon dont le verre s’étire, gonflé d’air, nécessite une maîtrise parfaite de la matière ; comme le parfumeur connaît ses ingrédients et projette mentalement l’évolution de sa formule dans le temps. Lorsque le verre sort de l’antre du four, c’est une boule rougeoyante, que l’on aurait presque envie de toucher, aussi attractive qu’un sucre d’orge. Moment d’observation : le verre est soumis à deux forces qu’il faut dompter pour sculpter la matière : la gravité et le temps. « Il y a quelque chose de presque cosmique dans ce métier, qui nous renvoie à l’origine du monde, au Big Bang », résume Jeremy. Si l’une de ces forces fait défaut, le verre montrera sa fragilité et se brisera d’un coup sec : « Bang ». L’opération requiert une concentration extrême, Jeremy se met dans une bulle : « Le moment où je travaille le verre est celui où je me sens le mieux », confie-t-il. Souvent rapide, parfois même dans l’urgence, il multiplie les changements de rythme pour modeler la matière. Quelques heures pour une pièce unique. À l’opposé du parfumeur qui travaille dans un temps long : un an, voire deux, avant d’achever sa création.

Une relation fusionnelle

La rencontre entre le parfumeur et le souffleur de verre a eu lieu suite à la participation de Nicolas Bonneville à l’exposition du Design Museum à Londres intitulée « Moving to Mars », en 2019. Nicolas y avait travaillé une « odeur de Mars » qui illustrait de monumentales photos et impressions 3D du sol martien. Pour cela, il avait imaginé une formule inspirée d’éléments « dont aurait besoin un humain pour vivre sur Mars » : des nutriments (odeurs de roche, de minéraux), des végétaux (notes aromatiques). L’idée d’apporter une dimension supplémentaire à une installation avait plu à Jeremy Maxwell Wintrebert qui s’apprêtait alors à exposer ses œuvres sur la naissance de la matière. L’artiste ne souhaitait pas de note qui fasse « ajoutée » à ses installations. Lorsqu’ils ont commencé leurs sessions olfactives chez Firmenich, il écartait systématiquement les ingrédients naturels, trop complexes et pas assez abstraits. « J’aime la matière la plus brute, la plus primitive possible », confie-t-il.

Devant la sculpture Matter Sunrise Terminal G12 de Jeremy Maxwell Wintrebert, l’artiste, à gauche, et le parfumeur Nicolas Bonneville à droite.

La construction d’un langage commun

Lors de sa première collaboration avec Nicolas Bonneville, l’artiste avait souhaité retranscrire l’odeur de la lumière. Un exercice passionnant pour le parfumeur qui n’a jamais autant travaillé sur la perception de la matière. Lorsque deux univers ont une technicité propre et un vocabulaire abstrait, un certain temps est nécessaire à l’élaboration d’un vocabulaire commun : « Nous sommes comme deux personnes qui maîtrisent chacun leurs sujets, mais qui ne se comprennent pas, ou plutôt qui apprennent à se comprendre », complète Jeremy Maxwell Wintrebert.

Dans le bureau du parfumeur, comme première étape à la transcription olfactive de la lumière, le souffleur demande à son hôte quelle est, selon lui, la matière la plus verticale, « une arête vive, comme si on donnait un coup de cutter. » Nicolas Bonneville extrait de son laboratoire des ingrédients épicés : « c’est trop complexe, trop fini ! », répond son interlocuteur à qui les notes évoquent la cuisine. Des bois ambrés ?  Le parfumeur propose le Limbanol, un captif boisé de Firmenich assez rugueux et vibrant, presque taillé comme un laser. L’artiste adhère : « Bien, nous avons l’arête sur laquelle accrocher la lumière, maintenant qu’est-ce qui peut éclairer ? » – « Le citron ? »  trop figuratif. – « La Paradisone [autre captif floral de Firmenich proche de l’Hedione] ? » « Mais cela ne sent rien ! », s’étonne l’artiste. « Cette molécule est comme la lumière, elle est subtile toute seule, mais intégrée dans une formule, elle va t’envelopper comme un halo » explique le parfumeur. Pour compléter la création, Jeremy souhaite intégrer l’effet minéral avec « une note mate de sable ». Habitué à l’évocation de la plage, le parfumeur propose des notes salicylates, aux effets solaires. Manqué ! « Tu vas revenir à l’atelier sentir mes palettes de sable ! », menace le souffleur de verre. Le compromis fut trouvé sur un mélange d’Ambrox et de Cascalone relevé par une trace de menthol pour un effet « haute montagne ». Depuis cette première expérience, les deux rêveurs ne cessent de compléter ce langage commun et de comparer leurs deux métiers : « Nous avons tous les deux une grande passion pour nos matières, mais nous avons également la même frustration », avoue Nicolas Bonneville ; « lui ne peut toucher la lumière, et de mon côté, le parfum est impalpable ». Autre point qui les unit : la fascination pour l’infiniment grand et l’infiniment petit que Nicolas perçoit jusque dans son travail : « Toute la journée, je joue avec des ingrédients que je dilue à un pour cent, un pour mille, tandis que d’autres sont utilisés en overdose. C’est la façon dont on assemble la matière qui crée un tout. Cela m’oblige à prendre du recul pour voir l’impact des matériaux en grande et petite proportions », explique le parfumeur. « Le cosmos est assez similaire à ce tout, à une autre échelle bien sûr. » Après le Big Bang et la genèse d’une étoile, qui sait où les astres mèneront les deux complices ? Peut-être testeront-ils le processus inverse, c’est-à-dire la création d’une sculpture inspirée d’une intention olfactive ? « Nous avons deux-trois idées », sourit le parfumeur. L’univers est infini, leurs inspirations aussi…

Visuel principal : Le parfumeur Nicolas Bonneville, à gauche, et l’artiste Jeremy Maxwell Wintrebert, à droite
Photos © Aurélie Dematons

Smell Talks : Olivier R.P. David et Julie C. Fortier – Le souffle et la lumière

Également disponible sur : SpotifyDeezerApple PodcastsAmazon MusicYoutube

En octobre dernier, l’Université Jean-Jaurès de Toulouse a accueilli l’acte 1 du colloque « Création-recherche en olfaction », organisé par les chercheuses Émilie Bonnard et Anne-Charlotte Baudequin. Durant trois jours, universitaires, professionnels et créateurs se sont penchés sur l’olfaction dans le territoire et dans le paysage de l’art et du design, sur le pouvoir des senteurs et les manipulations olfactives et sur les transformations des métiers de l’olfactif.

Olivier R.P. David est enseignant-chercheur en chimie organique à l’Université de Versailles – Paris-Saclay. Il forme les apprentis parfumeurs, cosméticiens et aromaticiens du Master FESAPCA à l’École supérieure du parfum. Il est également membre du collectif Nez, coauteur entre autres du Grand Livre du parfum.

Julie C. Fortier, artiste plasticienne et parfumeuse indépendante, enseigne les arts plastiques à l’École européenne supérieure d’art de Bretagne, à Rennes. Elle est aussi titulaire d’une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal. Son travail est régulièrement exposé dans des musées et centres d’art en France et à l’étranger.

À travers leur projet collaboratif Per fumare, ils se sont intéressés au rayonnement solaire et à ses effets sur les matières premières, naturelles et synthétiques. Ils nous proposent une conférence ayant pour thème « Le souffle et la lumière ».

Crédits photos : Sarah Bouasse et Elsa Briand.

Michel Roudnitska : « Diorissimo demeure une création révolutionnaire »

Le parfumeur Michel Roudnitska, fils de Thérèse et d’Edmond Roudnitska, était enfant lors de la sortie de Diorissimo, en 1956. À travers ses souvenirs, il livre un témoignage précieux sur un parfum majeur dans l’œuvre de son père, une fragrance dont l’écriture novatrice aura marqué un tournant dans l’histoire de la parfumerie moderne et qui demeure, soixante-cinq ans après, une référence absolue et sans doute le plus beau des muguets. Pour fêter ce 1er mai, à défaut du traditionnel brin de muguet, nous vous offrons cet entretien, initialement paru dans Une histoire de parfums de Yohan Cervi.

Quelle est la genèse de Diorissimo ?

J’avais huit ans quand Diorissimo est sorti, mais je m’en souviens parfaitement. J’ai été marqué par la manière dont mon père en parlait. Il aimait raconter l’histoire de la cueillette du muguet le dimanche dans les bois de Chaville avec ma mère, Thérèse, avant qu’elle ne devienne sa femme, quand elle était, à la fin des années 1940, préparatrice chimiste chez de Laire, dans un bureau en face du sien. Il y a donc un lien affectif et émotionnel très fort avec cette fleur. Le muguet est une note particulière en parfumerie, car il n’existe pas d’absolue ou d’huile essentielle, et la maîtrise de son odeur constituait pour mon père un véritable défi. Lorsqu’il a déménagé à Cabris, dans les Alpes-Maritimes, en 1948, il en a très vite planté un parterre dans le jardin de sa propriété, pour en faire un terrain d’expérimentation. Il comparait ses essais à l’odeur de la fleur sur pied et ne pouvait donc travailler sur cette formule que durant des périodes extrêmement courtes, en suivant la floraison annuelle du muguet.

L’expérience de votre père chez de Laire, dans les années 1930 et 1940, a dû l’aider pour composer ce parfum.

Oui, je pense que son travail sur les bases de Laire a largement nourri ses connaissances des matières premières de synthèse. Il devait notamment rendre acceptables et commerciaux ces produits souvent perçus comme brutaux. Diorissimo est une alliance de matières premières naturelles, comme la rose et le jasmin, et de composés issus de la synthèse, employés avec une maîtrise parfaite.

Diorissimo semble constituer une création chère au cœur de votre père ?

Son parfum préféré, celui dont il était le plus fier, était Diorella, car il correspondait, selon lui, à l’archétype du parfum idéal. Mais il considérait Diorissimo comme une révolution, dans sa simplicité et sa transparence. D’ailleurs, pour mon père, l’écriture d’Eau sauvage découlait de celle de Diorissimo.

En quoi s’inscrit-il en rupture avec la parfumerie de son temps ?

Les parfums de l’après-guerre avaient des notes de fond très musquées, ambrées, poudrées, voire sucrées. Une parfumerie que mon père qualifiait de « gastronomique ». Il a, par exemple, très peu utilisé la vanille à partir de Diorissimo. Il en était écœuré et souhaitait se tourner vers une nouvelle forme de légèreté.

Pouvez-vous le décrire olfactivement et techniquement ?

C’est un parfum qui a du volume et qui est tenace, avec très peu de notes de fond. Pour mon père, c’était bien plus qu’un soliflore. Le muguet est très présent, bien sûr, et intervient au premier plan. En notes secondaires, on perçoit des accords d’humus, des odeurs végétales, une fraîcheur verte. C’est l’ambiance de la forêt domaniale de Meudon à Chaville faite parfum, un chef-d’œuvre de délicatesse, simple en apparence mais au rendu olfactif riche et complexe, qui n’emploie pas les notes de fond typiques comme les muscs, la vanille ou les bois. Sa formule est courte, surtout comparée aux parfums de son époque.

A-t-il été un succès à son lancement ?

Oui, et le prestige de ce grand couturier au sommet de sa gloire ainsi que le nom du parfum, qui exprime le superlatif de Dior, ont sans nul doute participé à son succès. Je pense d’ailleurs que c’est le plus beau nom de parfum chez Dior. À une époque, on sentait Diorissimo partout ! Mon père aimait raconter une anecdote à ce sujet. Il adorait la Polynésie française – et il m’a transmis cette passion qui m’a poussé à y vivre une dizaine d’années entre 1980 et 1990 avant de m’y installer définitivement depuis un an et demi. Il fut l’un des rares touristes à visiter l’archipel à la fin des années 1950 avec les premiers vols qui atterrissaient alors à Bora-Bora. Tandis qu’il profitait de la beauté du lagon, quelle ne fut pas sa surprise de sentir un effluve de Diorissimo dans cet endroit désert du bout du monde ! Une belle touriste américaine venait de traverser cette plage paradisiaque de la pointe Matira… Cette rencontre l’avait rempli de joie et de fierté.

Publicité pour Diorissimo de Christian Dior, 1956.
© Collection Christian Dior Parfums, Paris

Christian Dior a-t-il fait retravailler le parfum à votre père ?

D’après mes souvenirs, il y a eu peu d’allers-retours, Diorissimo a été accepté assez rapidement. Pas aussi vite que Femme de Rochas, cependant, qui avait été validé immédiatement, sans retouche.

Quelles étaient les relations entre votre père et Christian Dior ?

Il existait un profond respect mutuel entre ces deux hommes, ces deux grands créateurs passionnés, une relation d’égal à égal. Ils parlaient le même langage et se comprenaient au point de pouvoir parfois se passer de mots. Christian Dior, en tant que couturier, savait parfaitement ce qu’impliquait la création d’une œuvre, il comprenait donc le travail du parfumeur. Mon père était très nostalgique de cette relation privilégiée et précieuse, qu’il n’a plus jamais connue par la suite avec ses autres clients.

Ce parfum est donc riche de symboles…

Oui, Diorissimo est à la fois le fruit de la recherche de mon père sur cette note olfactive de muguet et la quintessence de la fleur fétiche de Christian Dior. Ce parfum symbolise la rencontre de deux artistes qui ont eu ce point de convergence autour d’une même fleur. Christian Dior est venu à plusieurs reprises à Cabris retrouver mon père quand il descendait dans le Sud, dans sa propriété de La Colle noire. Je n’en ai pas de souvenirs, mais j’ai toujours avec moi une photo sur laquelle on voit mon père et le couturier, qui me permet d’imaginer ce que cette période et cette relation ont pu être. J’ai eu l’occasion de me rendre à La Colle noire, où il existe des références au muguet dans plusieurs endroits de la propriété. Pour les funérailles de M. Dior, en 1957, toute l’église sentait le muguet. Le catafalque était couvert de fleurs, et le parfum avait été vaporisé dans l’église.

Quel rapport entretenez-vous avec ce parfum ?

Un sentiment d’affection, car c’est celui que portait ma mère lorsque j’étais enfant. Je l’ai découvert sur elle avant de le sentir sur touche. Cependant, j’ai une préférence tout à fait personnelle pour Le Parfum de Thérèse, aux Éditions de parfum Frédéric Malle. Mais Diorissimo demeure une création révolutionnaire: il y a un avant et un après, à la fois dans l’œuvre de mon père et pour la parfumerie. 

IFF et L’Âme du bois célèbrent la beauté des arbres

Lorsqu’un amoureux de la nature s’associe aux parfumeurs qui savent la magnifier, de créatives idées bourgeonnent pour honorer les bois. Fabrice Croisé fait ainsi pousser chez IFF une étrange forêt de parfums.

En ce début de printemps, la neige saupoudre encore la forêt de sapins de son manteau de givre. Bientôt, une richesse infinie se révélera avec la fonte de la glace : les arbres retrouveront leur parure émeraude et surtout, leurs effluves pourront à nouveau se répandre. Fabrice Croisé, le créateur de la marque L’Âme du bois, en sait quelque chose : il s’est installé à Park City depuis plusieurs années, au beau milieu de la nature pour savourer les paysages encaissés de l’Utah, au centre ouest des États-Unis. Après avoir commencé sa carrière au développement des parfums Lancôme chez L’Oréal, le fondateur a longtemps travaillé dans une agence de publicité spécialisée dans le luxe. Puis la création l’a rattrapé : en 2014, il explore le territoire olfactif des fleurs : en collaboration avec le célèbre fleuriste américain Éric Buterbaugh, il fonde la société EB Florals, vendue depuis à Puig. Fort de ce succès, l’entrepreneur se lance dans un nouveau projet et décide de poursuivre la découverte du végétal en s’intéressant, cette fois, à la famille des bois.

Français, américain et japonais… La maison se décline en trois langues distillant trois identités ! Voici une originalité dont le fondateur s’amuse encore : « Avoir trois noms, c’est effectivement à l’encontre des principes du marketing ! » L’intitulé change ainsi selon le pays où les produits sont distribués, et détaille, comme une histoire qui se raconte, le parcours des effluves sylvestres, de l’arbre sur pied jusqu’au flacon. ShinrinYoku en japonais signifie « bain de forêt » et évoque un moment de promenade méditative, imprégné de l’énergie des arbres. L’Âme du bois rappelle l’étape de vieillissement en barrique, lorsque l’alcool macéré dans un fût de spiritueux se charge de la patine du temps. Enfin Scents of wood exprime l’étape ultime, c’est-à-dire le résultat du travail de parfumeur. 

IFF, un partenaire à la source

En 2020, alors que l’industrie du parfum se fige soudainement, devenant alors aussi immobile qu’un arbre, Fabrice Croisé commence à écrire son histoire. La marque se présente comme « une lettre d’amour à la forêt, un hommage rendu à la beauté des bois ». Elle ne parle ni de lieu, ni de personnalité, mais s’ancre directement dans l’olfaction : « les bois parlent à tous, leurs noms évoquent une histoire directement lisible pour le consommateur » explique le créateur. Et pour aller plus loin dans le concept, pourquoi ne pas faire vieillir un alcool bio dans des barriques en bois ? Une idée un peu folle qui séduit immédiatement Nicolas Mirzayantz, à l’époque président international de la division Parfums et Arômes chez IFF. Le défi technique mérite d’être relevé, la maison de création américaine s’investit alors totalement dans le projet et conclut un partenariat exclusif avec la marque. Entre Paris et New York, huit parfumeurs signeront ainsi les parfums de la gamme.

Une forêt intime

Le fondateur a d’ailleurs développé une façon très originale d’inspirer ses parfumeurs. « Je leur propose de fermer les yeux et de me parler de leur forêt personnelle. Quels sont les bois qui ont joué un rôle dans la construction de leur personne actuelle ? », questionne Fabrice Croisé. Dès lors, tout souvenir sert de support pour raconter une histoire : la forêt où on se promenait avec son grand-père, l’arbre dans lequel on a bâti sa première cabane en compagnie de son frère, où encore un effluve boisé senti dix ans plus tôt et que l’on n’aurait jamais oublié. « Lorsque le parfumeur recherche dans sa mémoire et identifie un bois de son enfance, je l’arrête : “ Partons de là ! ” et la création commence… » explique-t-il.

Plum in Cognac, bestseller de la collection, créé par le parfumeur Pascal Gaurin (IFF)

Prunier en cognac (Plum in Cognac), le best-seller de la collection, est né de ce type d’échange avec Pascal Gaurin. Le parfumeur, qui vit à New York, a immédiatement pensé au prunier de la maison de son enfance dans lequel il grimpait petit, et à ses prunes violettes, « succulentes et juteuses ». Confit de notes de caramel, de vanille et de cannelle, le fruit se fond dans un accord gourmand et épicé, délicieusement décadent. « Il s’agit d’une composition assez sombre qui parle également du rapport que l’on pourrait avoir avec l’addiction », précise le parfumeur, dont la création rappelle aussi les effluves de tabac et de rhum. Enfin, en petites touches subtiles, les volutes fumées de vétiver et de ciste ponctuent l’histoire, en mémoire des branches et herbes sèches que Pascal Gaurin, encore petit, faisait brûler dans son jardin le dimanche, et dont la fumée imprégnait ses vêtements. « C’est une composition qui est directement ancrée dans un souvenir personnel » apprécie Fabrice Croisé, « et je suis persuadé que cela se ressent, que cela touche le consommateur de façon sincère ».

Vieilli en fût de bois

Comme une extension de la palette du parfumeur, l’alcool bio utilisé est vieilli en barrique de spiritueux, en l’occurrence le cognac pour cette dernière création. Le bois imprègne ainsi la composition et lui apporte sa patine incomparable. « Il s’agit d’un fût d’eau de vie que j’avais acheté à Cognac et dans lequel vieillissait le spiritueux depuis une dizaine d’années. Les notes de cognac résonnaient de façon divine avec l’accord rhum et prune de Pascal », explique Fabrice Croisé. Tous les produits de la gamme suivent d’ailleurs cette même démarche, selon un procédé tenu secret que la société IFF a mis au point dans ses usines. Clin d’œil aux méthodes ancestrales – infusion de vanille ou encore de musc dans l’alcool – que les parfumeurs utilisaient avant l’avènement de l’industrialisation  ? Peut-être, mais avec une différence majeure : ici, c’est l’alcool lui-même qui vieillit dans une pièce de bois, captant ainsi toute la substance olfactive de celle-ci. Il est vrai que l’élément principal d’un parfum, sa part alcoolique, est bien souvent considéré comme un solvant, une composante peu noble du produit. « Plus l’alcool qui compose le parfum est pur, moins il interfère avec le concentré. Je me suis demandé ce qui se passerait s’il n’était plus un élément invisible de la composition, mais un ingrédient de plus dans la palette du parfumeur », explique le fondateur. Un alcool enrichi, en quelque sorte. C’est ainsi que Fabrice Croisé a commencé à collectionner les tonneaux de bois, chaque fois qu’il en trouvait au fil de ses voyages, de Cognac au Kentucky, en passant par l’Écosse. Parfois il s’agissait de fûts anciens qui avaient prêté leur âme à de nombreux spiritueux, parfois ces fûts étaient neufs, imprégnant les créations de leur essence terreuse et puissante, réminiscence d’une précédente vie d’arbre. Chaque fût distille ainsi ses nuances variées, tantôt ambrées, tantôt boisées, toujours riches et profondes. Le choix de l’essence se fait de façon très expérimentale : « nous sentons différents essais et choisissons avec Fabrice le meilleur couple création/barrique », détaille Pascal Gaurin. Le temps de vieillissement de l’alcool diffère alors selon les bois : l’acacia qui est en général utilisé pour les vins blancs est plus subtil, sa macération prendra environ huit semaines ; tandis que le cognac, plus puissant, est aussi plus rapide : deux semaines suffiront pour teinter l’alcool de ses nuances liquoreuses. À ce jour, la marque a expérimenté cinq types de fûts neufs : chêne américain, chêne français, châtaignier, acacia, bois d’hinoki ; et quatre fûts millésimés jadis dédiés au cognac, calvados, whisky au seigle, bourbon puis sirop d’érable.           

Les fûts, choisis avec soin pour y faire vieillir l’alcool, selon un procédé exclusif IFF

Une source d’inspiration inépuisable

La collection complète compte aujourd’hui trente-trois parfums, de quoi parcourir toutes les facettes qui s’accordent aux essences de bois : ambré, gourmand, frais, fleuri, vert, cuiré…. Pascal Gaurin, qui a en signé neuf, se souvient qu’il s’était attaché à explorer des thèmes inédits pour la deuxième année de création, recherchant davantage la fraîcheur des notes boisées. Cèdre en Acacia (Cedar in Acacia), qui évoque la chaleur du soleil sur la peau à l’aube, est rafraîchi par une envolée de gingembre. Pin en Acacia (Pine in Acacia) éveille le souvenir des forêts landaises : « son nom de code était d’ailleurs Lacanau, lieu de villégiature où mon parrain avait une maison », avoue le parfumeur. « La côte Atlantique était également une forte source d’inspiration », un lieu bien connu de Pascal Gaurin qui possède également de la famille sur l’île d’Oléron. Sa création est ainsi le fruit du contraste entre la fraîcheur lumineuse de l’océan et la vibration résineuse des pins et du cyprès. Le fondateur ne compte pas s’arrêter là et imagine déjà les suivants : « plus on étudie la nature, plus apprécie sa richesse infinie ; le nombre d’histoires à raconter ne manque pas. »

Les NFT, un nouvel outil pour la distribution

Amoureux de la nature, Fabrice Croisé n’en est pas moins féru de nouvelles technologies. Pour animer sa marque, il a imaginé un système d’abonnement original où les NFT – de l’anglais non fongible token, ou « jeton non fongible » – peuvent s’utiliser comme un crédit. Ces jetons cryptés permettent d’identifier de façon unique un titre de propriété, lui conférant ainsi toute sa rareté. Les NFT proposés par L’Âme du bois donnent à leur propriétaire accès à quatre parfums durant deux années. « Les NFT apportent un véritable intérêt à la plateforme d’abonnement », explique Fabrice Croisé : « ils permettent aux adhérents d’utiliser leur crédit au rythme où ils le souhaitent, de pouvoir revendre si besoin leur abonnement, ou tout simplement d’interagir avec une communauté. Les propriétaires de NFT sont en effet très fiers de les posséder et aussi de les montrer aux autres. » En avril 2023, la marque a participé au salon NFT NYC qui rassemble à New York les propriétaires de NFT du monde entier : « J’aime l’idée d’éduquer les amoureux du parfum à la technologie et les gens de la tech au parfum », s’amuse le créateur. Traditionnel dans le savoir-faire et la qualité des parfums, Fabrice Croisé sait aussi se montrer avant-gardiste dans sa distribution.

La marque est vendue sur leur site internet ainsi que chez Jovoy à Paris et au Paravent à Lyon.

Visuel principal : © Fabrice Croisé

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