« Brian Eno : en un mot ? Polymorphe », par Maïté Turonnet

Dans son ouvrage paru aux éditions Nez le 15 septembre 2022, la journaliste et autrice Maïté Turonnet livre un hommage aussi érudit qu’intime à un monde qu’elle connaît par cœur : celui des odeurs. À la page 143 de cette anti-encyclopédie olfactive, tour à tour drôle, tendre et sans merci, on croise une star du glam éprise d’effluves. À l’occasion de la fête de la musique, nous vous en offrons la lecture.

Brian Eno, vous voyez ? Roxy Music, Bowie, Talking Heads, U2 ? Tantôt au clavier, tantôt producteur, compositeur, arrangeur, explorateur, l’homme est un artiste de pointure, tout entier versé dans les aventures expérimentales, aussi proche d’Erik Satie que de King Crimson. Chroniqueur de l’hebdo anglais The Observer, vidéaste, créateur d’un jeu façon Yi King (Oblique Strategies) dont chacune des 113 cartes porte une phrase énigmatique mais éventuellement utile à la réflexion : « Arrête-toi un moment », « Rien qu’une partie, pas le tout », « C’est absolument possible (n’est-ce pas ?) », « Diminue, continue », etc. En un mot ? Polymorphe.


Rien d’étonnant, vous devinez, à ce qu’il soit aussi devenu un parfumeur amateur éclairé. Cheminement raconté dans Details (magazine de Condé Nast) en 1992 : « J’ai commencé à m’intéresser à l’odeur en 1965. Aux Beaux-Arts, un copain et moi nous sommes mis à collectionner quantité d’arômes évocateurs. Il y avait du caoutchouc, de la naphtaline, du cuir de Russie, de l’essence, de l’ammoniaque, du bois de genévrier. En 1978, dans un quartier négligé et improbable de Londres, j’ai découvert une vieille pharmacie remplie d’huiles et d’absolues dont les beaux noms, styrax, patchouli, ambre, myrrhe, géraniol, opoponax, héliotrope, et les arômes étranges et familiers m’ont attiré au point que j’en ai acheté plus d’une centaine de fioles. Dans le Chinatown de San Francisco, j’ai trouvé le monde asiatique, cinq épices, jasmin et ginseng. Une femme rencontrée à Ibiza m’a offert un petit flacon contenant une seule goutte d’une substance tout à fait divine appelée nardo (probablement de l’huile de nard extraite d’un arbuste poussant entre 2000 et 2 500 mètres d’altitude sur les flancs de l’Himalaya et utilisée par les riches dames indiennes comme prélude aux ébats amoureux). »


Il commence à mélanger et remarque la façon dont deux odeurs bien connues, précisément combinées, peuvent créer une sensation nouvelle et méconnaissable. Ou comment certaines sont tellement facettées qu’elles forment un parfum en soi : « L’octine carbonate de méthyle évoque l’odeur de la violette et de la moto ; Fahrenheit de Dior en utilise beaucoup. Le beurre d’iris, un dérivé complexe des racines de l’iris, est vaguement floral en petite quantité mais presque obscènement charnu en grande quantité (comme l’odeur sous un sein ou entre les fesses). La civette, provenant de la glande anale du chat civette, est intensément désagréable dès qu’elle est reconnaissable, mais étonnamment sexy à des doses subliminales. » Une découverte en amenant une autre, le cerveau hyperactif de l’ex-glam star la chatouille d’organiser toutes ces émotions en une structure universelle, sur le modèle du spectre des couleurs, dans laquelle elles seraient apparentées par proximité ; une sorte de topologie dépassant la barrière des mots et des comparaisons. « Dire que l’aldéhyde C-14 est comme le latex n’est pas satisfaisant. » Mais par quels chemins relier le santal à la sauge ? Ou le Karanal à la tubéreuse ? Comment classer un produit qui change sans cesse, selon la perception de celui qui sent, selon l’hydrométrie, selon sa provenance, son année de récolte ? « Le nouveau Linné des odeurs n’était pas près de naître, et en tout cas ce ne serait pas moi. » Chassez le naturel par la porte, il revient au galop par la fenêtre : Eno se rapproche de la société Quest et travaille avec Maurice Roucel, auteur chevronné (Musc ravageur pour Frédéric Malle, Iris Silver Mist pour Serge Lutens, 24 Faubourg pour Hermès), sur une fragrance commerciale qui, n’ayant jamais vu le jour, se transforme en un album audio nommé Neroli. Composé de notes répétitives, aussi incertaines que des gouttes d’eau, il devrait se « substituer au temps pour le dématérialiser ». Il y a des réverbérations, de longs silences, des sonorités peu nombreuses mais qui n’en finissent pas ; comme une buée, une vapeur effilochée, à peine une trace… Objet non identifié traduisant l’ombre d’un effluve en un vestige de musicalité, Neroli (1993) a été lancé en tirage limité, accompagné d’un échantillon aujourd’hui over collector. Pour le son, on le trouve sur YouTube.

Visuel principal : Lionel Serre

Jean Jacques : « On connaît tous quelqu’un qui a porté Pour un homme »

Parmi les « parfum de papa » les plus emblématiques trône Pour un homme de Caron, chef-d’œuvre de 1934 qui traverse les âges avec élégance et un succès jamais démenti. À l’occasion de la fête des pères, nous vous offrons un entretien de Jean Jacques à propos de ce classique intemporel, initialement publié dans Une histoire de parfums de Yohan Cervi. Parfumeur de Caron depuis le rachat de l’entreprise par Ariane de Rothschild en 2018, il est responsable des nouvelles créations ainsi que de la préservation des grands classiques de la maison, dont Pour un homme.

Ernest Daltroff a voulu lancer un parfum pour homme, à une époque où ce marché était balbutiant. Pour quelle raison ? 

Il avait cette idée de faire un vrai grand parfum masculin, car il a toujours aimé ouvrir de nouvelles voies et pensait qu’il y avait un marché à prendre. Et il n’en était pas à son coup d’essai, puisqu’il avait fait une première tentative avec Tabac blond en 1919, qui a finalement séduit davantage les femmes. Mais Pour un homme brouille les pistes, car il oppose des notes déjà typiquement masculines à l’époque, en l’occurrence la lavande – présente notamment dans les eaux de Cologne –, à la vanille, perçue comme plus féminine. 

Justement, pouvez-vous décrire la construction de ce parfum? 

Il est bâti sur une dualité assez singulière, un contraste dans lequel s’opposent deux grands blocs. D’abord, la lavande. Au total, il y a dans sa formule sept qualités de lavande, dont des essences et des absolues, qui représentent 60% de la composition. Il a employé en contrepoint une proportion importante d’éthylvanilline, ce qui était alors audacieux pour une fragrance masculine et permettait d’apporter une certaine ténacité. Original et avec un fort parti pris, c’est un parfum qui a eu un grand succès dès son lancement. 

En quoi l’écriture de ce parfum est-elle typique de la patte de Daltroff ? 

Elle illustre plutôt bien sa manière de formuler, notamment à travers l’emploi de l’éthylvanilline, qu’il utilisait beaucoup, de muscs nitrés ou de la base Ambrarome, des ingrédients qu’il aimait. 

Il fait partie de ces rares parfums masculins à s’être inscrits dans un imaginaire collectif, jusqu’à se transmettre de génération en génération. 

C’est exact, on connaît tous quelqu’un qui a porté Pour un homme, un père, un oncle, un ami… Et l’on ne peut plus dissocier la personne de son parfum. C’est l’un des traits des grandes créations, d’avoir une puissance émotionnelle très forte. Il y a peu de fragrances qui ont ce pouvoir d’incarnation, surtout au rayon homme. C’est aussi une fragrance portée par les femmes, une autre caractéristique, je pense, des grands parfums masculins. 

A-t-il dû être retravaillé à cause de contraintes réglementaires ? 

Non, la formule est courte et aucun élément ne pose problème pour l’IFRA, même aujourd’hui. Comme la fragrance est faiblement concentrée (5%, ce qui ne l’empêche pas d’avoir un grand sillage), elle est peu concernée par les régulations, et nous pouvons facilement maintenir l’ensemble des ingrédients. Tant que la lavande n’est pas réglementée, nous n’avons aucune raison de le reformuler. 

En quoi est-il intemporel ? 

Son écriture est simple, épurée, très lisible, car la formule tient en quelques lignes, mais le rendu est complexe, à la fois naturel et sophistiqué. Il s’inscrit en dehors des clichés de la parfumerie masculine des décennies ultérieures et conserve une certaine androgynie, avec, il est vrai, cette identité très naturelle due à la lavande qui reste indémodable. Par ailleurs, il rejoint une quête actuelle de naturalité. Le concentré de parfum – sans compter l’alcool végétal, donc – est à 70% naturel, ce qui est énorme, grâce à la lavande, bien sûr, mais également à d’autres matières comme l’essence de rose. C’est l’un des parfums qui mettent le plus en lumière la beauté et la complexité du naturel. Chaque année, c’est un défi, un challenge pour conserver la même odeur, à cause des variations de qualité de lavande. 

Comment maîtrisez-vous la production de cet ingrédient primordial ? 

Lorsque je suis arrivé chez Caron, j’ai dit à Ariane [de Rothschild, propriétaire des parfums Caron] qu’il nous fallait nos propres champs de lavande, au vu des quantités dont nous avions besoin. Pour l’essence de lavande française, l’une des variétés utilisées dans la formule, LMR nous a mis en relation avec l’un de ses producteurs, Jérôme Boenle, installé près de Sault, dans le Vaucluse, qui gère 280 hectares de lavande et de lavandin. Chaque année, je vais sélectionner une parcelle, avec des fleurs dont l’odeur colle parfaitement à celle qui doit être employée dans Pour un homme. Afin de garantir la stabilité olfactive de la formule, je mêle deux tiers d’essence de lavande récoltée durant l’année en cours à un tiers de l’essence récoltée l’année précédente. 

C’est un classique dont vous prenez soin, qui continue d’être mis en avant, mais vous l’avez également décliné récemment ? 

Afin d’élargir son univers, j’ai composé deux nouvelles déclinaisons: Pour un homme le matin et Pour un homme le soir. L’idée était de s’éloigner de la trame du parfum original. Il est déjà parfait, pourquoi vouloir s’en rapprocher? J’ai donc pris le parti de créer une forme de rupture. La première fragrance est construite autour du lavandin, du gingembre très pur extrait au CO2 et de notes profondes de mousse et de patchouli. La seconde, Pour un homme le soir, enrobe la lavande de notes épicées et ambrées, et surtout d’un extrait de bois de chêne produit par LMR. Pour cette matière nouvelle et novatrice, les sciures résiduelles de la fabrication des tonneaux de l’industrie du cognac sont récupérées afin d’en extraire l’odeur. L’idée est de préserver ce parfum emblématique de notre patrimoine, tout en élargissant son univers. 

Cuir et parfum : peau contre peau

Au cœur de grands classiques de la parfumerie, l’accord cuiré revient aujourd’hui en majesté. Tour d’horizon éclairé par les regards de Christine Nagel, parfumeuse maison chez Hermès, et Céline Perdriel, parfumeuse chez Cosmo International Fragrances.

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Simppar 2023 : naturalité, transparence et certifications

Le Simppar (Salon international des matières premières pour ), organisé par la Société française des parfumeurs, s’est tenu les 31 mai et 1er juin 2023 à l’espace Champerret à Paris. Rencontre incontournable entre parfumeurs, évaluateurs, étudiants et fabricants de matières premières, le salon gagne chaque année plus de visiteurs !

9 heures 55. La foule s’affaire déjà devant l’entrée, nous sommes tous dans les starting-blocks pour démarrer le marathon des odeurs. Et il y aura de quoi faire : 110 exposants de 24 pays vont rencontrer sur deux jours plus de 3346 visiteurs, soit 1000 de plus qu’en 2022 ! Une belle progression qui justifie l’organisation d’une session l’année prochaine à Grasse. « Ce sera difficile de présenter des nouveautés chaque année », entend-on par-ci par-là, mais force est de constater que la profession affectionne particulièrement ce format simple et convivial pour sentir sans chichi. En 2022, la moquette était rose, cette année, elle est verte… Est-ce un signe ? Ah oui, car en 2023 on parle encore plus (si c’est possible) de naturalité, de transparence et de certifications. Mais vite, entrons dans les allées…

Difficile de trouver des nouveautés ? Mais non, il y en a chez Robertet ! L’équipe présente son procédé d’extraction vert sans hexane fraîchement breveté via la collection CleanRscent (prononcer « cleaner scent », avec le R pour Robertet !) : vanille Bourbon, fève tonka torréfiée, cyprès décoloré qui sent bon la résine, le vernis, le fumé, l’arbre coupé avant d’être brûlé. On y découvre la facette amandée de l’extraction CO2 du jasmin sambac réalisée à partir de son infusion et l’absolue cacao mi-Van Houten mi-praline. Mon coup de cœur va à l’ylang blanc, faible en méthyl paracrésol et en estragol, une version très eugénol de la fleur, poudrée comme un lys… Tout cela vous fait saliver ? Le bar à cocktails Robertet est ouvert !

Stand Robertet

Tout vert aussi, le stand Synthite (jusqu’aux visiteurs !). Je poursuis mon chemin en compagnie de Pamela Roberts[1]Pamela Roberts est consultante fragrance design et ancienne directrice de la création chez l’Artisan parfumeur., avec qui j’adore sentir car on a exactement les mêmes évocations olfactives. Nous voilà attirées comme des abeilles par les fleurs indiennes : tubéreuse, champaca ; le davana est extra, à la fois juteux, liquoreux ; et le vétiver, très arachide, est la matière que la société a choisi de mettre en avant cette année.

Stand Synthite

Un petit passage chez Hashem Brothers pour me remémorer les absolues d’artichaut, d’épinard, et découvrir leur nouvel acétate de linalyle provenant du petitgrain, une matière qu’ils semblent particulièrement travailler : je me souviens d’autres produits autour de celle-ci présentés l’an passé.

La déontologie m’empêche de dire que l’on trouve sur le stand de Nez le très bon livre De la plante à l’essence et que presque tous les exemplaires de la collection « Nez +LMR  cahiers des naturels » ont été écoulés ! Je vais donc parler du jeu Master Parfum dont Anne-Laure Hennequin prépare les futures déclinaisons : un tour du monde des parfums pour Noël et une nouvelle collection de matières premières en 2024.


Mais qui est donc Nat’Green ? Une société consacrée au sourcing durable qui possède des filières à Madagascar, en Indonésie et aux Comores. Ils proposent un catalogue de tous les produits emblématiques de la parfumerie, avec des certifications Ecocert et Fair for life… Tout cela en cinq ans d’existence ? demandai-je avant de voir arriver Bernard Pathé et de comprendre qu’ils font partie du groupe Cadima Pathé, figure du négoce d’ingrédients. Tout s’explique !

Stand Nat’Green


Chez PCW, plaisir de voir que Patrice Blaizot est toujours là, malgré l’annonce de sa « semi-retraite » (une idée pour la France, hein ?) et une passation en douceur à son fils, Xavier. Après l’encens de l’an passé (ça sonne bien, ça), place au curcuma qui décline ses facettes boisées-céréales dans l’extraction de ses racines, et épicées-coriandre-baies roses dans l’extrait de feuilles.

Mélanie Leroux, Marie Duchene et Patrice Blaizot, sur le stand PCW

Je fais un bout de chemin avec mon confrère Ermano Picco. Chez Mane, les parfumeurs Véronique Nyberg et Cyrill  Rolland nous font découvrir le thé noir du Sri Lanka, avec son ouverture qui part dans plein de directions (artichaut, fermenté, épinard, vert) puis se recentre sur la note plus classique du breuvage. Puis le patchoulyl acétate, avec son effet salé ambré comme un Cashmeran, intéressant pour ouvrir de nouvelles possibilités dans la famille chyprée. Un petit régal ? Le benjoin Jungle Essence, vanillé, évoquant le sucre roux, qui ne manque pas de tête. Et Floralpeel, une base hespéridée autour du captif Bigarane ; ou encore l’absolue de rose Lani, nouvelle variété moldave « entre la damascena et la centifolia » et qui contient naturellement peu de méthyl eugénol, la nature est bien faite ! Mais aussi la Melbatone, une pêche obtenue par biotechnologie, plus juteuse que la décalactone classique. Et enfin le jasmin sambac E pure, qui troque sa note indolée pour un effet super fruité-bubble gum.

Stand Mane

Parlons molécules chez Takasago, via le concept « less is more » qui pousse à nous interroger sur trois points, me rapporte Sébastien Henriot : quelle est la source ? Que devient la molécule dans l’environnement ? et quel est l’usage ? C’est pour illustrer les molécules à fort impact olfactif que Takasago met en avant le Hindinol (un santal musqué, ambré et crémeux), le Destramber, le Polyambrol à l’odeur terreuse de l’Ambrinol, et le Laevo citronnelyl acétate.

Stand Takasago

Très belle découverte de la société iranienne Galbanum Oil et de son exceptionnel galbanum de haute altitude, plus profond, riche, aux tonalités presque ambrette. Une note très différente de son galbanum classique plus vert et râpeux. J’en profite pour sentir aussi l’asafoetida (qui porte bien son nom) aux notes d’ail et d’oignon : ça sent la galette craquante servie en apéro dans les restos indiens. C’est l’occasion d’entendre la douceur chantante du persan et de prendre des nouvelles du pays, malheureusement pas très positives…

Stand Galbanum Oil

De beaux effluves qui sentent bon la nature s’échappent de chez Bontoux… Une essence de graine de carotte très irisée et un cyprès de Provence. Saviez-vous que ces arbres ont été plantés dans la vallée du Rhône pour casser le vent ? Élagués et recyclés par la parfumerie, ils se retrouvent dans le vent… de l’upcycling. La nouveauté : le yuzu et sa pétillante note qui fait très mandarine verte, bigarade, comme un soleil. Pour finir, une tagète qui ne sent pas le vomi : Emilie Zaninetta m’apprend que l’ingrédient prend cette note lorsqu’elle est n’est pas conservée au frais ; très fragile, elle s’oxyde vite. Ici, elle développe de superbes notes de thé vert, d’ananas bien mûr et de pomme verte.

Stand Bontoux

On vient se réchauffer (et rigoler aussi) chez Payan Bertrand, ambiance chalet pour cette édition 2023. Je sens, en compagnie du nez exigeant de la parfumeuse Céline Perdriel, leur nouveauté : l’ambrettone, un extrait CO2 de copeaux de chêne qui flaire bon le rhum, la vanille, et la barrique, une vraie matière de pirate – obtenue par fraction de l’ambrette extraite au CO2. La fleur de sureau met en appétit avec ses effets cacao, figue confite, tabac. Justement, il y a aussi un cacao cœur brut, très noir, qui me régale ; et la flouve ? on en parle de la flouve ? En voilà une qui mériterait de changer de nom pour séduire un peu plus les gens du marketing ; la leur sent vraiment bon la galipette dans les foins – vite, un antihistaminique !

Stand Payan Bertrand

On ouvre des captifs chez IFF ! L’Opéranide, une molécule synthétisée en travaillant sur la structure du Cashmeran, s’inscrit dans la famille des bois ambrés aux côtés du Trisamber ou encore de l’Amber Xtreme. Mettez-la à faible dose, et elle poussera les notes lavandées, citrus, les baies roses, les aromatiques, bref… ça pousse tout ! Retour à la nature avec leur filiale LMR Naturals, où l’on poursuit la promenade autour des citrus initiés l’an passé, avec les pressions à froid de citron[2]Découvrez tout ce qu’il y a à savoir sur cet agrume avec le livre Le Citron en parfumerie, dans la collection « Nez+LMR  Cahiers des naturels », disponible sur le shop by Nez. et d’orange d’Espagne ; ou du Lentisque du Maroc, Néroli d’Egypte, et curcuma feuille d’Inde…

Stand LMR Naturals by IFF

Bienvenue chez la société Aromaticas del Zalabi qui participe à son premier Simppar. La société productrice de matières espagnoles locales (lavande, thym rouge, hysope) possède des plantations dans la Sierra Nevada, région tellement ensoleillée qu’e la société’elle a équipé son installation de panneaux solaires. De quoi produire l’électricité qui compacte la biomasse après distillation, laquelle brûle dans la chaudière qui alimente la distillerie, et dont les cendres sont reversées dans les champs comme fertilisants. La boucle est bouclée.

Stand Aromaticas del Zalabi

Au hasard d’un stand, je discute avec le commercial de la société Contexa qui me montre les nouvelles générations de robots de pesée. Le bécher passe sous une sorte de pis de vache qui permet la pesée de 200 matières en même temps ; « une douche d’ingrédients » me corrige le commercial. Oui, c’est plus élégant.

Robot Contexa

La société Synarome met en avant la collection Metamorphosis, des produits transformés à partir de biomasse naturelle : orange amère rectifiée, Scentolide à 99% (encore plus pure que la précédente à 94%), l’iconique base Ambrarome, l’éthyl linolénate produit à base de l’huile de lin, une étonnante odeur qui nous renvoie à l’atelier de peintre, que je verrai bien dans une reproduction de narcisse. Et le meilleur pour la fin : le benjoin vieilli, récolté avec amour par Agroforex et transformé par Synarome. C’est l’occasion de rencontrer enfin Adriano Chagnaud, qui justement reprend le digne flambeau de son père Francis, fondateur d’Agroforex au Laos.

Stand Synarome

« Mais pourquoi vous vous appelez Jasmine Concrete ? »,  demande un visiteur turc à Raja, perplexe devant ses gros plans de roses et ses lampes aussi pétalées qu’une centifolia ! C’est vrai que cela provoque une petite dissonance cognitive. Mais elle sera vite réparée si vous sentez sa fabuleuse rose centifolia indienne. Raja en est tellement fier qu’on peut aussi la déguster en boisson pétillante. Bien sûr, on y trouve aussi de très beaux jasmins, vétiver, tubéreuses, mais cette année, on parle de rose ! Elle est faible en méthyl eugénol, qui plus est !

Raja, sur le stand Jasmine Concrete

Murmures dans les couloirs… Roses ? qui parle de roses ? « Dans le sud, la rose sent moins que d’habitude » « En Bulgarie, ils sont inquiets, il a fait sec. » Magali Quenet échange avec Dominique Roques qui cache discrètement un petit trésor dans son sac : son deuxième ouvrage Le parfum des forêts vient de paraître ! Dominique ne dira rien, mais il passera le lendemain sur France inter pour en parler…[3]Vous pouvez retrouver l’émission sur le site de France inter

Transition assurée car sur France inter, au milieu des forêts, on cause gaïac ! Et quel gaïac ? Celui de Nelixia ! Cette année, on s’émerveillera aussi de leurs produits du Paraguay : le petitgrain et le cabreuva, aussi soyeux que des cheveux de Barbie. Ils présentent également une cardamome upcycled  obtenue par passage des drèches à l’hexane, résultat bluffant ! Ce procédé apporte parfois une note différente, mais ici on reconnaît bien la cardamome. Et bien sûr, toutes ces petites pépites sont produites avec l’exigence de la méthode Nelixia qui intègre la certification par un tiers : tout leur catalogue est audité. Confiance totale.

Stand Nelixia

Place à Madagascar avec Barosyl. Si vous avez toujours rêvé de comprendre la différence entre les différentes qualités de l’ylang-ylang (Extra, I, II, III et complète), c’est ici. L’entreprise familiale (quatrième génération) se fait un plaisir de faire découvrir l’ylang ylang en vous berçant de noms exotiques : Nosy Be, Mohéli, Mayotte… Voyage assuré.

Stand Barosyl

J’avais déjà senti la collection des Natpro de Capua l’an passé. La technologie permet de capter les molécules contenues dans les jus d’extraction ; celles-ci, récupérées des colonnes, sont lavées à l’alcool pour apporter la fraîcheur du fruit (et sa volatilité) : on y trouve ainsi une cerise griotte très puissante ; une remarquable banane, très gourmande, granuleuse, comme une petite plantain ; une mangue assez verte ; et la fraise qui révèle des notes lactées rigolotes. Je repars sans me rendre compte que je n’ai même pas senti de bergamote !

Stand Capua

18 heures et les premiers « Pop » se font entendre. Quel monde soudain ! Embouteillage devant le stand Firmenich, pardon : DSM – Firmenich. C’est la première fois que la société apparaît sous la nouvelle entité! Ici aussi on libère certains captifs comme l’ambrette Firabs aux tonalités de poire et d’iris. On savoure la cardamome Green pod SFE du Guatemala, le Lilyflore, le Mimosal (mimosa très ozonique-cyclamen), le Doremox (substitut de rose oxyde et de diphényl oxyde), et le Cyclopidene (substitut de méthylparacrésol et de benzoate de méthyle), un ylang-ylang animal et fruité… 

19 heures : la foule se déplace vers le fond de la salle où se tient la remise du Prix international du concours du jeune parfumeur organisé par la SFP. Vite je m’approche ! Félicitations à Christy Belson, stagiaire chez Givaudan, qui a interprété « le vert en parfumerie » avec puissance et une originalité teintée d’orient. 

Christy Belson

JOUR 2

Nous partons au Québec sentir les nouveautés de Biolandes suite au rachat de la société Labrador Production : l’original thé du Labrador (ou Ledon du Groenland), bien connu en aromathérapie, un peu moins en parfumerie. On peut le trouver résineux, terpénique, mais aussi épicé carvi-cumin. C’est le premier arbre qui repousse après un incendie, me confie l’équipe ;  une lueur d’espoir quand on voit les feux actuels au Canada. Je découvre aussi le fir balsam écorce qui est moins confituré et plus « vernis à bois » que le classique, réalisé à partir d’aiguilles. On sent enfin une carotte délicieusement fruitée, savoureuse comme un abricot cuit.

Stand Biolandes

Je reconnais ce chapeau… Olivier R.P. David se régale avec ses amis des matières de Floral Concept. D’une patience infinie, Julien, le fils de Frédérique Rémy, déroule encens, rose, vétiver, bois de rose, benjoin… Tout est beau, d’autant plus que les notes sont disséquées par Olivier, le seul chimiste capable de mimer avec brio la molécule de menthol.

Stand Floral Concept

Hussein Fakhry est parti déjeuner, mais cela me permet de rencontrer sa charmante fille qui me raconte comment le succès du jasmin distillé a pu sauver l’usine et les fermiers après les difficultés des années Covid. Aller voir les plantations qui sont accessibles du Caire, voilà un beau voyage à combiner avec la visite du nouveau musée de la capitale !

Orgue de parfumeurs reconstitué dans une ambiance haussmannienne. So chic ! Il faut dire que Givaudan avait quelques années à rattraper. Welcome back ! Le stand mutualise les molécules du groupe ainsi que les matières naturelles d’Albert Vieille, et on se concentrera sur celles-ci : parmi les nouveautés, l’absolue d’ambrette du Pérou-Équateur aux accents iris-carotte. L’absolue de vanille de Madagascar, aussi animale que la gousse, une jolie cardamome CO2 indienne, une délicate absolue de fleur d’oranger d’Espagne, mi-néroli mi-narcisse, et pour finir, une absolue d’osmanthus gold très chouette, car peu animale. 

Stand Givaudan – Albert Vieille

La société Astier Demarest met l’accent sur ses certifications Fair for Life, ses filiales du vétiver Haïti et le patchouli du Burundi. Nouveautés 2023 : le néroli et le petitgrain bigaradier de Tunisie, réalisés avec leur partenaire Shedan. Je ressens avec Antoine Destoumieux leur pétillant yuzu d’Espagne ; l’immortelle de Provence, bien plus iris et foin que celle de Corse, et juste par curiosité, la cardamome de Colombie, tout en écoutant ses bons plans voyage en Colombie.

Stand Astier Demarest

Chez Santanol, on parle aussi certification, puisqu’ils travaillent actuellement celle de l’Union for Ethical Biotrade (UEBT). Dominique Sergi, Senior Sales Manager, montre le santal sous toutes ses formes : copeaux, drèches, poudre et en compo ![4]Nez a récemment publié un podcast sur le santal, à écouter sur toutes les plateformes habituelles.

Quel plaisir de retrouver l’équipe de Fairoils et la douceur de Julie qui me fait découvrir le petit grain du Kenya, encore en test. Il paraît que la culture de l’arbre s’étend petit à petit car les singes en répandent les semences ; si ce n’est pas une belle histoire à raconter, ça ? Je reste au Kenya avec leur encens, la camomille bleue et la tagète qui m’évoque une banane verte mentholée.

Stand Fairoils


Des choses intéressantes senties depuis ce matin ? « Il y a un hydroxycitronellal naturel intéressant chez Advanced Biotech », me répond le parfumeur d’IFF Jean-Christophe Hérault. Et comme je n’y aurais pas pensé toute seule, c’est un bon conseil. Je me dirige donc vers le nouvel espace (tout au fond) et demande que l’on me présente la société, étant donné que c’est leur premier Simppar. Ah ah, ils n’ont pas l’habitude d’être inconnu : ils sont très présents aux Etats-Unis, cela fait rire le commercial. Promis, j’irai voir le site internet !

Stand Advanced Biotech

La chemise donne le ton, nous nous trouvons en Asie du sud-est avec Tropical Extract ! C’est la première fois également pour Jean-Yves le Dantec, venu de Malaisie pour présenter ses produits, qu’il achète et revend. Des Philippines, on sentira de l’élémi bio certifiée, du pili entre baie rose et poivre blanc, de l’almaciaga, à la fois résineuse et épicée, et dont on extrait les larmes comme de l’encens, le calamansi, zesté et épicé. Et de Malaisie :  kaffir lime, cajeput, patchouli, et oud… Très content du salon, Jean-Yves reviendra sûrement l’an prochain !

Stand Tropical Extracts

Comme chaque année, la moquette se dégrafe pendant que je sens encore les dernières matières… Il faut partir, retourner au bureau imaginer les futurs parfums sur la base de que que l’on aura beaucoup senti : yuzu, gingembre, cardamome, curcuma, petitgrain, ambrette, carotte, benjoin. Cela ferait un bel accord, n’est-ce pas ?

Heureusement, tout recommence l’an prochain ! Rendez-vous les 28 et 29 mai 2024, à Grasse cette fois ! Réservez donc votre agenda (et surtout votre logement !)



Notes

Notes
1 Pamela Roberts est consultante fragrance design et ancienne directrice de la création chez l’Artisan parfumeur.
2 Découvrez tout ce qu’il y a à savoir sur cet agrume avec le livre Le Citron en parfumerie, dans la collection « Nez+LMR  Cahiers des naturels », disponible sur le shop by Nez.
3 Vous pouvez retrouver l’émission sur le site de France inter
4 Nez a récemment publié un podcast sur le santal, à écouter sur toutes les plateformes habituelles.

Nez, la revue… de presse – #25 – Où l’on apprend que le nez peut être xénophobe, que les abeilles pistent la vanilline et que les Romains utilisaient du patchouli

Au menu de cette revue de presse, des urnes funéraires, du camouflage olfactif et des retrouvailles d’éléphants.

Nous le rappelions à l’occasion de notre article sur la fête des mères : l’odorat est le sens le plus lié à notre mémoire, et les souvenirs olfactifs peuvent provoquer des émotions fortes même des années plus tard. Mais l’homme n’est pas la seule espèce animale à en faire l’expérience. La réaction d’éléphants africains en captivité face aux fèces de certains membres de leur famille (notamment entre mères et filles) qu’ils n’avaient pas vus depuis longtemps suggère une reconnaissance à long terme – environ douze ans – de leur odeur, relaie Courrier international. Si les résultats de cette étude menée par l’équipe de Franziska Hoerner de l’Université de Wuppertal en Allemagne restent à confirmer par d’autres expériences, ils pourraient néanmoins permettre d’imaginer une familiarisation des animaux en captivité lors de transferts et rassemblements.

Quant au sens olfactif chez l’humain, on admet désormais plus facilement qu’il se forme dès l’état fœtal, même si cela a longtemps été remis en question. Dans un épisode d’In Utero, France culture invite Benoist Schaal, directeur de recherches au Centre National de la Recherche Scientifique et affilié au Centre des Sciences du Goût de Dijon, à expliquer son mécanisme. Il rappelle que la mère transmet une multitude d’odeurs par le liquide amniotique – et oriente ainsi le développement neuronal du fœtus, source de préférences à venir. Plus encore, parce que son nez en développement ne contient pas encore le mucus, qui constitue une barrière pour les molécules odorantes, on peut penser qu’il sent plus intensément que l’adulte qu’il deviendra.

Peut-être est-ce là que se jouent nos préjugés raciaux. C’est une hypothèse que l’on pourrait avancer en lisant l’article de Slate, qui reprend une étude de l’Institut Karolinska de Stockholm menée sur 7000 individus. Ceux-ci ont été soumis à un double questionnaire : le premier les interroge sur leur rapport à l’immigration, le second sur leur ressenti face à certaines odeurs corporelles (sueur, pieds, urine, haleine…). Il est apparu que les plus sensibles à ces dernières étaient aussi les plus xénophobes – qui sont notamment les plus âgés et les « moins éduqués ». Ces résultats s’expliqueraient par un mécanisme évolutif de protection contre les agents pathogènes, dans la mesure où les étrangers auraient des habitudes hygiéniques différentes. Étonnant, d’autant plus lorsque l’on sait que la sensibilité olfactive baisse avec l’âge…

Un peu d’aromathérapie pourrait-il rééquilibrer les choses ? Si aucune composition ne promet à ce jour de soigner le racisme, certaines promettent néanmoins « guérir le corps et l’esprit », note Sarah Bouasse, également rédactrice pour Nez, dans un article de The Good Life. Cet atout marketing a été étudié par les maisons de composition dès les années 1980, mais connaît actuellement un véritable boom. Rappelant l’origine ancienne du soin par les plantes, la journaliste remarque que celui-ci est désormais justifié par plusieurs études. Et va de pair avec un retour au sacré, symbolisé par les odeurs d’encens qui reviennent en force.

Les senteurs du passé, dont nous avons parlé dans le dernier numéro de Nez consacré au temps, font d’ailleurs l’objet d’une attention accrue par les chercheurs riches de nouveaux outils pour les comprendre. Si le projet Odeuropa, auquel Le Point a consacré un récent papier, se concentre sur les données des trois derniers siècles, c’est une fiole en quartz âgée de 2000 ans qui a été ouverte et analysée par les scientifiques, rapporte Metro UK. Découverte en 2019 dans une urne funéraire lors de fouilles à Carmona en Espagne, elle contenait, fait rare, des résidus solides, qu’ont pu analyser José Rafael Ruiz Arrebola et son équipe spécialisée en chimie organique de l’université de Cordoue. À l’étonnement général, outre la base huileuse végétale, c’est du patchouli – dont l’usage dans la Rome antique était inconnu – qui aurait été utilisé. L’emploi de bitume comme scellant est également une découverte novatrice.

Découverte d’un temps plus reculé encore, celle de l’University College London, relayée par Discover Magazine, porte sur l’évolution de la taille du nez. Parmi les trente-trois régions du génome qui participent à la physionomie faciale, l’une d’elle, nommée ATF3, serait responsable de la longueur de notre appendice nasal. Elle aurait été héritée des Néandertaliens, par une sélection face au climat plus froid et sec de la période glaciaire, pour lequel un nez plus court aurait été plus adapté car il permettrait de mieux réguler l’air. 

Si ce changement physique n’était pas issu d’une tactique volontaire, celui du « camouflage olfactif » l’est définitivement. La technique, utilisée par certains animaux – pensons aux chiens qui se roulent dans les charognes – est aussi employée par l’homme pour attirer ou repousser ceux qui y sont sensibles. Des chercheurs australiens ont publié une étude dans la revue Nature pour faire part des résultats obtenus avec de l’huile de germe de blé répandue avant les semis de cette même plante. Les souris (Mus musculus), attirées par l’odeur, peuvent difficilement détecter les graines réellement présentes dans le sol et échouent ainsi à trouver leur nourriture. Une alternative aux produits chimiques nocifs pour l’environnement qui permettrait de « réduire la perte de semences de plus de 63% », rapporte l’article.

Autre idée de camouflage olfactif, qui permettra peut-être de se protéger contre les moustiques : utiliser un savon parfumé. Selon Futura science, l’odeur du gel douche que l’on utilise va, en se mêlant à celle de notre peau, créer un parfum particulièrement attractif ou au contraire légèrement répulsif au nez de ce fléau de nos soirées estivales. Mais ne croyez pas au miracle : si c’est le parfum de la noix de coco qui semble être l’un des plus repoussants, l’étude révèle surtout l’importance de la  variabilité interindividuelle. Une peau peut devenir attirante, neutre ou repoussante pour l’insecte selon qu’elle est lavée ou non avec certains savons, mais ce sera différent pour une autre personne.

Certains, à l’instar des publicités pour les déodorants bien connus, utilisent au contraire l’odeur comme un aimant à séduction – et c’est aussi le cas de la vanille. Une étude menée par Adam Karremans et ses collègues de l’université du Costa Rica a montré que la senteur de l’espèce Vanilla planifolia, pollinisée par l’abeille sauvage en Amérique latine – ailleurs, le procédé est effectué manuellement – participe activement à son attractivité. Les butineuses, attirées par la vanilline, en répandent ensuite les graines – trop lourdes et grasses pour se répandre d’elles-mêmes dans le vent. Certains animaux consommeraient pour la même raison les fruits sur lesquels elles seraient tombées, contribuant à leur dispersion, apprend-on en lisant un papier de Pour la science. Autre donnée établie par l’étude : ce n’est pas la digestion des grains qui permet leur scarification nécessaire à la germination, mais plus probablement des champignons présents dans le sol.

La vanille connaît cependant une crise à Madagascar, où « des centaines de tonnes de gousses invendues s’accumulent », titre Le Monde. Le chef de l’Etat, Andry Rajoelina, avait fixé depuis trois ans un prix minimum de 228 euros par kilo dans le but d’assurer un revenu décent aux producteurs. Il a récemment admis l’échec de cette mesure et cherche actuellement une solution pour éviter que les productions ne soient bradées, car l’épice constitue un apport financier essentiel pour le pays. Une situation critique pour laquelle le président appelle à un réveil des acheteurs, à l’heure où les maisons de composition sont accusées d’entente sur les prix et où un article de Médiapart dénonce l’exploitation des cueilleuses d’ylang ylang aux Comores.

Et c’est ainsi que les mouillettes ne servent pas qu’à déguster les œufs !

Visuel principal : © Morgane Fadanelli

Smell Talks : Le santal sous toutes ses facettes

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En septembre 2022, à Paris, la douzième édition des Rives de la beauté a réuni les acteurs de la filière cosmétique et parfum autour d’expositions, d’installations, de conférences et d’un concept store éphémère permettant de découvrir des marques de parfumerie rare.

Pour ce nouvel épisode, depuis L’Atelier des Rives installé au cœur de la Galerie Joseph, dans le quartier du Marais, nous écoutons une conférence consacrée au santal sous toutes ses facettes.

Pour évoquer cette matière première et ses usages en parfumerie, Virginie Gervason, fondatrice de Resperfuma, a réuni trois experts : Dominique Sergi, de Santanol, Isabelle Ferrand, de Cinquième Sens et Maxime Baud, de ScenTree.

Fifi Awards – Prix de la Fragrance Foundation France 2023 : les lauréats

Ce soir avait lieu la cérémonie de remise des prix des Fragrance Foundation France Awards 2023 (que l’on nomme aussi les « Fifis »). Cette édition se caractérisait par une simplification du nombre des catégories, réduit à six pour le prix des professionnels et du public, et toujours à trois pour la parfumerie de niche.

Cette année, j’étais pour la première fois invitée à participer au jury qui décerne les prix des parfums de niche, répartis en trois catégories : marque affiliée (c’est-à-dire liée à un groupe), collection de grandes marques (incluant les collections privées des marques mainstream, mais aussi certaines marques comme Vuitton, Celine ou Dries Van Noten, à la fois mode et uniquement vendues en exclusif…) et enfin marque indépendante. Ce jury est composé de journalistes parfum et d’évaluateurs et évaluatrices travaillant en maisons de composition membres de la Fragrance Foundation.

Le protocole était également nouveau puisque pour la première fois, les membres de ce jury ont pu recevoir, lors de la première étape de sélection, les échantillons de tous les candidats (constitués après appel à contribution auprès des marques, à raison d’une référence par marque). Auparavant, ils ne recevaient qu’une liste et devaient donc voter d’après ce qu’ils avaient pu sentir, ce qui limitait tout de même leur choix – ainsi que la chance pour des petites marques peu connues d’émerger.

Fin mars, les jurés devaient envoyer le classement de leurs dix (ou huit, selon le cas) favoris pour chaque catégorie, en leur attribuant une note. La catégorie des marques indépendantes comportant une cinquantaine de candidats, contre huit pour les marques affiliées et une quinzaine pour les collections de grands groupes, un parfum d’une de ces deux dernières catégories avait donc plus de chances de gagner que s’il provenait d’une marque indépendante !

Une fois chaque catégorie réduite à huit ou dix candidats, donc, une deuxième étape de sélection consistait en un blind-test organisé chez Cinquième sens en avril. Là, nous avons pu sentir individuellement les parfums en aveugle, sur mouillettes, afin d’établir à nouveau un classement des cinq préférés. C’était un peu le moment de vérité face au parfum seul !

Enfin, une fois reçu, pour chaque catégorie, les noms des trois finalistes issus de ce blind-test (ou quatre pour les grandes marques, difficiles à départager), une dernière étape consistait à échanger de vive voix lors d’une réunion sur Zoom. Chacun pouvait ainsi rendre compte des raisons de ses choix et défendre ses préférés, avant de voter en ligne, de manière confidentielle.

Les vainqueurs n’ont été révélés que lors de la soirée, les voici : 

Catégorie marque affiliée : 

33 Abyssae de L’Artisan parfumeur, par Daphné Bugey

Les finalistes : 

724 de Maison Francis Kurkdjian, par Francis Kurkdjian

Uncut Gem des Éditions de parfums Frédéric Malle, par Maurice Roucel

Catégorie collection de grandes marques : 

Bois dormant de Celine

Les finalistes : 

Soie Malaquais de Dries Van Noten, par Marie Salamagne

Tabac blond de Caron, par Jean Jacques

Violette Volynka d’Hermès, par Christine Nagel

Catégorie marque indépendante : 

Malamata de Roos & Roos, par Dominique Ropion[1]Ce parfum fait partie de la sélection de la Box Auparfum #32, de mars/avril 2022.

Les finalistes : 

Encelade de Marc Antoine barrois, par Quentin Bisch[2]Ce parfum fait partie de la sélection de la Box Auparfum #33, de mai/juin 2022.

Tubéreuse de Headspace, par Nicolas Beaulieu 

Mais d’autres prix ont également été décernés ce soir : 

Le prix de l’innovation responsable pour un parfum, qui récompense la capacité qu’a l’ensemble de la filière à s’accorder pour imaginer un produit plus responsable, a été attribué à Grande-Île[3]Ce parfum fait partie de la sélection la Box Auparfum #37, de janvier/février 2023. de Nissaba pour la catégorie espoir de la parfumerie et à Aqua Allegoria Nerolia Vetiver de Guerlain pour la marque confirmée.

Le prix des professionnels pour la parfumerie sélective est décerné par les sociétés adhérentes de la Fragrance Foundation France (comptant 445 personnes, et 10 personnes maximum par société) parmi le top 50 des ventes. Ont été récompensés : 

  • Paradoxe de Prada dans la catégorie « Meilleur lancement féminin » (qui prend en compte les parfums ayant un nouveau nom, un nouveau flacon et un nouveau jus)
  • Fame de Paco Rabanne dans la catégorie « Meilleur flacon féminin parmi les lancements féminins »
  • J’Adore Parfum d’eau de Dior dans la catégorie « Meilleure déclinaison féminine d’un parfum existant »
  • Terre d’Hermès Eau givrée dans la catégorie « Meilleure déclinaison masculine d’un parfum existant »
  • Eau de basilic pourpre d’Hermès dans la catégorie « Meilleur lancement parmi les parfums mixtes »
  • Aqua Allegoria Forte Mandarine Basilic de Guerlain dans la catégorie « Meilleure déclinaison parmi les parfums mixtes »

Enfin, le prix du public, qui pouvait voter en ligne, a récompensé : 

  • Fame de Paco Rabanne pour le Prix du meilleur lancement féminin
  • La Petite Robe noire Rose rose rose de Guerlain pour le Prix de la meilleure déclinaison féminine d’un parfum existant
  • 1 Million Elixir de Paco Rabanne pour le Prix de la meilleure déclinaison masculine d’un parfum existant
  • Aqua Allegoria Nerolia Vetiver de Guerlain pour le Prix du meilleur lancement parmi les parfums mixtes
  • Aqua Allegoria Forte Rosa Rossa de Guerlain pour le Prix de la meilleure déclinaison parmi les parfums mixtes
  • Sublissime d’Adopt parfums pour le Prix du meilleur parfum « Autres Circuits »

Notes

Notes
1 Ce parfum fait partie de la sélection de la Box Auparfum #32, de mars/avril 2022.
2 Ce parfum fait partie de la sélection de la Box Auparfum #33, de mai/juin 2022.
3 Ce parfum fait partie de la sélection la Box Auparfum #37, de janvier/février 2023.

Olivier Cresp : « Ces notes fraîches, propres, transparentes, apparaissent comme des moyens de protection » 

Maître parfumeur chez DSM-Firmenich (anc. Firmenich), société de composition dans laquelle il est entré en 1992, Olivier Cresp est l’auteur de quelques-unes des créations les plus emblématiques des années 1990 (Angel de Thierry Mugler, Noa de Cacharel, L’Eau par Kenzo pour femme et pour homme…) et des suivantes (Light Blue de Dolce & Gabbana, Nina de Nina Ricci, Black Opium d’Yves Saint Laurent…), mais aussi le cofondateur de sa propre marque de parfums, Akro. Il nous partage ses impressions sur la parfumerie de cette décennie, et en particulier sur la tendance marine, véritable marqueur olfactif de l’époque. À l’occasion de la Journée mondiale de l’océan ce jeudi 8 juin, nous vous offrons cet entretien initialement paru dans Une histoire de parfums de Yohan Cervi.

Comment se passait le développement d’un parfum dans les années 1990 ? 

Il y avait beaucoup moins de lancements. Quand on avait 350 nouvelles références par an, c’était le bout du monde. Aujourd’hui, nous sommes à plus de 2 500 lancements mondiaux, notamment du fait des flankers et de la profusion de marques de niche. Il est très difficile de faire un grand succès. À l’époque, la logique était différente. On signait un parfum féminin pour une marque, puis, éventuellement, un ou deux ans plus tard, sa version masculine. Le turn-over était moins important, et les parfums restaient généralement plus longtemps sur le marché. 

Quelles sont pour vous les créations emblématiques de la sous-famille olfactive des aquatiques ? 

On peut trouver les origines de ce courant en 1989, dans Parfum d’elle de Montana, le premier aquatique transparent. Mais la tendance va véritablement exploser l’année suivante, aux États-Unis, avec New West d’Aramis. Parmi les parfums emblématiques, il y a Escape de Calvin Klein, L’Eau d’Issey d’Issey Miyake et bien sûr Acqua di Giò de Giorgio Armani, tous de très grands succès. On peut également citer L’Eau par Kenzo, un aquatique assez atypique sur lequel j’ai travaillé.

Des créations originales et novatrices, très marquées par la Calone…

Oui, c’est une molécule artificielle de DSM-Firmenich, brevetée par Pfizer dans les années 1960. Lorsque j’ai commencé ma carrière, on l’employait en très petite quantité, presque à l’état de traces. À partir des années 1990, on a osé multiplier les proportions par cent dans les formules… La Calone a été une vraie révolution. J’ai même tenté de l’introduire dans un des essais d’Angel. Comme le parfum était bleu, une couleur froide, Vera Strubi (alors présidente des Parfums Mugler) se demandait si l’on ne devait pas en ajouter, pour créer une fraîcheur aquatique. J’ai donc essayé une variante avec la fameuse molécule, mais le résultat était assez désagréable et créait une dissonance avec les notes gourmandes et le patchouli. Le parfum devenait également trop puissant et intense. 

C’est par ailleurs la décennie d’un autre grand succès de DSM-Firmenich, CK One, qui incarne aussi à sa manière une nouvelle fraîcheur. 

Oui, car on ne peut pas parler de cette vague de fraîcheur sans parler de CK One, créé par Alberto Morillas et Harry Frémont. C’est un accord thé très frais et propre, une cologne moderne. Nous nous sommes tous beaucoup interrogés à l’époque sur la capacité de ce genre de notes à fonctionner sur le marché américain. C’était une vraie prise de risque, car il n’existait pas de fragrances de ce type aux États-Unis, et CK One constitue le premier parfum frais contemporain sur ce marché. Le brief était simple, il s’agissait de composer une cologne fraîche autour d’une note de thé. Un parfum frais et moderne pour une nouvelle génération d’adolescents. Il avait une ambition américaine, mais a connu un immense succès mondial. Il a ouvert la voie à une nouvelle forme de fraîcheur et une nouvelle génération de colognes. 

En quoi la tendance marine, avec cette quête de l’odeur de l’eau de mer, rencontrait-elle son époque ? 

Les grandes ruptures en parfumerie sont marquées par les crises. Dans les années 1990, il y a peut-être la pandémie du sida, les prises de conscience écologiques. Ces notes fraîches, propres, transparentes, apparaissent comme des moyens de protection. C’est également une parfumerie plus jeune, qui s’éloigne de la tendance des parfums à base de tubéreuse et au profil olfactif chargé des années 1980. Et la contribution de DSM-Firmenich à ce courant est considérable, de nombreuses fragrances emblématiques ayant été créées par des parfumeurs de la maison, comme Acqua di Giò d’Armani. 

Vous avez d’ailleurs vous-même signé L’Eau par Kenzo pour femme en 1996, pouvez-vous nous en parler ? 

J’ai travaillé sur ce parfum avec Pierre Broc, qui était à ce moment-là président des Parfums Kenzo. Il était pour moi comme un deuxième père. Avec Kenzo Takada, ils marchaient à l’intuition. Le brief, c’était « H2O ». « Mais attention, me disait-il, de l’eau de source, pas de l’eau de mer. » L’idée était de faire surgir un paysage de campagne au printemps : une prairie, le ciel bleu, une rivière, les coquelicots et la rosée du matin. J’ai écrit tous ces mots, que j’ai traduits en matières premières pour créer un parfum figuratif. Le rendu est aérien, vif, cristallin, avec cette fraîcheur humide qui perdure. 

Et la version masculine ? 

Pour le masculin, j’ai eu envie de travailler autour du yuzu (un agrume japonais), une note peu connue à l’époque. Ce fut une intuition. Il y a également dans ce parfum de la Calone, de la bergamote, de l’orange, de la limette, des aldéhydes et beaucoup de muscs. Il a un beau sillage, mais conserve cette fraîcheur propre et transparente. L’idée initiale était de le lancer uniquement au Japon, mais, devant son succès, sa distribution a finalement été déployée à l’international. 

Vous êtes aussi l’auteur de Dune pour homme de Dior, qui n’est pas vraiment océanique olfactivement parlant, mais qui s’inspire d’un environnement de bord de mer. 

Dior voulait faire un Dune au masculin, qui crée une passerelle avec le féminin signé Jean-Louis Sieuzac et Dominique Ropion. Je l’ai senti de nouveau et j’y ai décelé une note de figue. Je suis ainsi parti sur une feuille de figuier plutôt que sur le fruit, avec beaucoup de mandarine, qui confère à l’ensemble une fraîcheur intense. À travers ce parfum, l’idée était également d’imaginer une nouvelle Eau sauvage, celle d’une nouvelle ère, en quelque sorte. Il a été très bien accueilli par le public à son lancement. 

Même si le marketing était déjà très important, on a le sentiment que certains grands lancements étaient plus intuitifs… 

Oui, il y avait beaucoup moins de tests consommateurs, et une certaine forme d’audace. Je ne dis pas que c’était mieux qu’aujourd’hui – chaque période apporte son lot de merveilles, de progrès et d’innovations –, mais il s’agit d’une époque qui mérite d’être célébrée. 

Qu’est-ce qui a changé, depuis, dans votre manière de travailler ? 

À l’époque, on travaillait davantage en solitaire. Aujourd’hui, il y a bien évidemment une compétition avec les autres sociétés de composition, mais en interne, chez DSM-Firmenich, la concurrence n’existe plus. On travaille ensemble dès le départ, cela fait partie de notre culture. Les étudiants en parfumerie, à l’Isipca ou à l’École supérieure du parfum, ont également l’habitude du travail collectif. Nos clients apprécient cette démarche collaborative pour le développement d’un parfum. Nous signons désormais souvent une fragrance à deux, à trois. Je trouve cela agréable et reposant. Il y a une véritable entraide, qui constitue selon moi une forme de progrès. 

Visuel principal : © Franck Juery

Smell Talks : Table ronde « Au fil du temps »

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Le jeudi 11 mai 2023, la librairie Ici, à Paris, accueillait le lancement du quinzième numéro de Nez, la revue olfactive. En écho à la thématique du dossier, Au fil du temps, une table ronde rassemblait ce soir-là trois expertes : Céline Perdriel, parfumeuse senior chez Cosmo International Fragrance, Véronique Nyberg, parfumeuse et vice-présidente de la création fine fragrance chez Mane et Isabelle Chazot, membre du conseil d’administration et présidente du comité scientifique de l’Osmothèque. 

Une table ronde modérée par Sarah Bouasse, du collectif Nez.

Avec La Fabrica, IFF explore de nouvelles voies pour l’olfaction

Partenariat éditorial 

Depuis 2002, IFF multiplie les synergies entre ses parfumeurs, des artistes de tous bords et les élèves de différentes écoles. L’objectif est double : encourager les créateurs de demain à s’emparer de l’olfaction et nourrir la créativité des compositeurs de la maison.

« La Fabrica ? Ce n’est ni un lieu, encore moins un concept hermétique. C’est un espace de réflexion à part entière permettant de découvrir de nouveaux créateurs et de les mettre en résonance avec nos parfumeurs », résume Judith Gross, vice-présidente communication de la division parfums chez IFF et co-curatrice de La Fabrica au côté de Bernardo Fleming, directeur prospective et tendances chez IFF et partenaire du projet Odeuropa – qui œuvre à la reconstitution du patrimoine olfactif européen à partir d’analyses de textes et d’images numérisées.

Depuis 2002, La Fabrica s’inspire de La Factory, fondée à l’initiative d’Andy Warhol à New York, ville où se situe le siège d’IFF, qui favorisa dans les années 1960 les interactions entre artistes, quel que soit leur moyen d’expression (peinture, musique, théâtre…). Dans ce même esprit, IFF a initié des liens entre ses équipes créatives (parfumeurs et équipes de développement) et des artistes, penseurs, et des élèves d’écoles d’art, de mode et de design, parmi lesquelles le Royal College of Art de Londres, l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, la Rhode Island School of Design (Providence, USA) ou encore l’École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD) – plus communément appelée « les Arts Déco » – et l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art (ENSAAMA) à Paris. 

L’enjeu, pour les jeunes créateurs, est de se confronter à la conceptualisation des odeurs, par essence invisibles. Cela peut prendre la forme d’un parfum présenté lors du défilé de fin d’année aux Arts décoratifs, ou par l’intermédiaire de travaux liant étroitement mentors et disciples. Chacun se nourrit de la discipline de l’autre et les connexions entre pays sont encouragées. Depuis quelques années, chaque étudiant du Royal College of Art, dont IFF est le plus ancien partenaire (30 ans en 2024), est invité à réfléchir au futur du parfum : nouvelles utilisations, nouvelles vocations, nouveaux supports. Les initiatives les plus créatives et pertinentes se concrétisent par une collaboration avec les élèves du Master IFF Scent Design & Creation de l’Isipca, à Versailles. On peut découvrir sur Youtube une présentation des projets réalisés par les élèves en 2022, sous forme de courts reportages.

Au-delà d’une simple sensibilisation des penseurs de la mode de demain à la dimension olfactive, l’objectif, pour la maison de composition, est de nourrir l’inspiration des équipes d’IFF et d’immerger ces futurs créateurs de mode dans l’univers du parfum.

 « La Fabrica inscrit ses partenariats dans la durée. Sa temporalité exclut le court terme, de même que ses réalisations écartent l’anecdotique. C’est le contraire d’une démarche opportuniste », complète Judith Gross. Pour preuve, la complicité esthétique qui se poursuit entre le parfumeur Nicolas Beaulieu et Jeanne Vicerial, douze ans après que la plasticienne a obtenu son diplôme à l’ENSAD. Armoressence est ainsi une fragrance composée à quatre mains dans le cadre du projet 1+1 de Nez. De son côté, après une première collaboration fructueuse autour de l’odeur d’étreintes sexuelles en forêt, Joël Harder, artiste franco-suisse diplômé de l’ENSAD, continue de solliciter Anne Flipo. Tout comme les deux performeuses du duo Young Girl Reading Group, anciennes élèves du Royal College of Art, qui font appel à IFF à chaque nouvelle performance artistique. 

L’histoire entre Dominique Ropion et la styliste Yiqing Yin illustre elle aussi à quel point l’inspiration peut être mutuelle. Leur collaboration débute en 2008. À l’époque, le parfumeur conçoit une fragrance pour une collection de vêtements dessinés par l’étudiante. En 2020, pour le pavillon français de l’Exposition universelle à Dubaï, il compose un parfum… que Yiqing Yin « traduit » visuellement sous la forme d’une robe-fleur en cristal.

Les tandems se forment à l’initiative des parfumeurs. Ce sont eux qui choisissent la personne avec qui ils ont envie de cheminer artistiquement. De ces rencontres, les créateurs de la maison IFF sortent stimulés, voire déstabilisés par l’ampleur des défis à relever. « Chaque année, à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, un parfumeur IFF assiste au jury de présentation des projets des élèves. Il se retrouve propulsé dans une bulle, bombardé d’idées… C’est un véritable cadeau ! », souligne Judith Gross. Lorsque le designer Alexis Foiny (ENSAD) demande à Domitille Michalon d’imaginer le parfum d’une fleur préhistorique, par définition disparue, celle-ci en vient à interroger sa propre conception de la réalité.

Amenés à être « challengés » et à sortir de l’atmosphère feutrée de leurs bureaux, les parfumeurs IFF gagneraient-ils en audace ? 

Une rencontre entre le parfumeur Julien Rasquinet et le curateur de l’exposition L’Argent dans l’art à la Monnaie de Paris [1]Jusqu’au 23 septembre 2023.lui a permis de réaliser un rêve jamais assouvi : imaginer une fragrance illustrant les aspects olfactifs de l’argent, réels et imaginaires. Son parfum d’ambiance, L’Argent dans l’air, en vente à la boutique du musée, retranscrit « toutes les facettes du billet de banque, de l’odeur du papier aux empreintes, en passant par l’odeur de l’encre et du vernis »

Au printemps 2021, les parfumeurs IFF avaient déjà été sollicités pour composer les fragrances suggérées par huit tableaux du XVIIe siècle présentés lors de l’exposition Smell the art : Fleeting – Scents in Color au musée Mauritshuis de La Haye (Pays-Bas), parmi lesquelles les effluves des canaux pollués, un bouquet de fleurs ou une armoire garnie de linge propre. Sur place, un appareil placé devant l’œuvre et actionné par une pédale permettait de diffuser le parfum. Il était même possible de commander un coffret contenant quatre des huit odeurs afin de profiter d’une visite virtuelle depuis son canapé.

Enfin, à l’initiative de l’entrepreneuse Diane Thalheimer-Krief, à la fois éprise d’olfaction et d’art contemporain, plusieurs noms de la maison de composition ont été sollicités pour imaginer des formules pour des sculptures destinées à accueillir des parfums et réalisées en édition limitée, voire en exemplaires uniques, dans le cadre du projet Profile by. Pour l’occasion, Paul Guerlain a formé un duo avec Adel Abdessemed, Domitille Michalon avec Pablo Reinoso, Anne Flipo avec Joana Vasconcelos, Nicolas Beaulieu avec Daniel Firman, Juliette Karagueuzoglou avec Ori Gersht, Jean-Christophe Hérault avec Hubert Le Gall et Nelly Hachem-Ruiz avec Valérie Jolly. Présentées en juin 2021 à Paris, les sculptures et leurs jus sont aujourd’hui disponibles à la vente sur Internet. Telle cette amphore fissurée en bronze, hommage à Dionysos, qui exhale le fumet des bains grecs (myrte et laurier) et la sensualité charnelle des bacchanales (muscs).

À l’heure où la dimension olfactive de notre environnement quotidien est défendue comme faisant partie intégrante de notre patrimoine culturel, on peut imaginer que de telles initiatives vont peu à peu se multiplier. Et rêver aux prochaines collaborations artistiques qui prendront source chez IFF, que l’on pourra sentir et ressentir lors de concerts, défilés, expositions… Mais aussi évidemment dans nos flacons ! 

Visuel principal : Paul Guerlain et Adel Abdessemed pour « Noli me tangere » pour le projet Profile By (©Charly Hel)

Notes

Notes
1 Jusqu’au 23 septembre 2023.

Allô maman dodo : une chronique olfactive de Céline Ellena 

Le lien qui unit la mère et son nouveau-né passe essentiellement par l’odorat, comme le rappellait Eléonore de Bonneval dans un précédent article. Mais il n’a pourtant parfois rien d’une évidence : si l’odeur du bébé attendrit et fascine, elle peut aussi mettre un certain temps à prendre sa place. À l’occasion de la fête des mères, la compositrice de parfums Céline Ellena partage dans un texte émouvant son expérience olfactive de la maternité, entre odeur primaire et nuits apaisées.

Des mois d’attente. Des heures de travail. 

Jambes en l’air et mollets entravés hors des étriers par des sangles de fortunes, car je suis bien trop grande pour cette table, j’attends sa venue. 

Lors des moments de répit, ma tête, en équilibre sur le bord du matelas, bascule un peu en arrière et, le regard vide, le souffle court, je contemple le plafond fané, jaune pipi délavé. Je deviens oreilles : babil du personnel médical qui veille et vaque à son affaire, sorte de mélopée lounge sécurisante. Et narines : remugle confus des corps, des fluides et des antiseptiques, sorte de court-bouillon rassurant. Une émanation moite, douce-amère comme la fleur des troènes au printemps. Un peu cra-cra, comme un immense doudou usé jusqu’au kapok. Sang. Sueur. Salive. Les trois senteurs de l’animal. Comme moi, à cet instant de l’ultime poussée. Respiration bloquée, cabrée dents serrées, j’éprouve purement l’effort de mes veines tendues à claquer. Geste récompense, le nouveau-né est déposé délicatement sur mon ventre mou, son minuscule visage contre ma poitrine. Mon nez affleure le sommet de son crâne humide. On se renifle. Il me reconnaît. Moi, pas. Je suis vidée, et son odeur me dérange. Pourtant, je suis heureuse qu’il soit enfin sur ma peau. Auparavant, il a barboté au sein de mon odeur cachée : un bouquet visqueux, ancien et sucré, composé de fibres et sédiments, de globules et molécules, qu’il connaît comme sa poche. Son odeur, vierge et salée qui prend vie sous mon blair, est une étrangère. Je suis indisposée par cet arôme chaud qui soudain m’envahit et m’étourdit de fatigue. Je souhaite disparaître sous ma propre chair. Aucune personne présente dans cette pièce ne peut imaginer que machinalement, j’analyse le relent familier et réconfortant des fluides qui accompagne la naissance, et le sépare de celui, neuf et déroutant, de mon enfant. Lorsque je détourne la tête, la sage-femme se méprend sur mon geste et emporte le tout petit avec des mots rassurants, tout en m’expliquant qu’il va sentir bien « meilleur » après son premier bain, lorsqu’on lui aura retiré tous ces fichus résidus issus de ma matrice. 

Une heure plus tard, le bébé nu a disparu. Bonnet et body lessivés aux muscs macro, peau savonnée au petit grain et antiseptique à la sauge ont définitivement ordonné mon enfant dans la case petit humain en bonne santé. Mon rejeton sent le propre et tout le monde est content. Sauf moi. Car sous le vernis, je sens son odeur primaire. Celle du liquide amniotique et la sienne en devenir. La trace invisible surligne de manière tangible ma responsabilité. Je ne suis plus seule. Je deviens son odeur…

La peau de mes amants n’a jamais été un problème. Nos effluves, étroitement enlacées, frottées et chauffées jusqu’à créer un nouveau composant, m’étourdissaient, m’imprégnaient et pénétraient mes narines jusqu’au fin fond de mon cortex. Cependant, la vague refluait toujours et, repue, je redevenais moi-même… plus quelques souvenirs. 

De retour à la maison, rien n’y fait. Même lorsque le bébé est loin de moi, dans la pièce d’à côté ou dans les bras de la famille, quand je cuisine ou me douche vigoureusement, le tatouage odorant ne me quitte plus. Inscrit sur mon corps et dans mon cerveau, l’effluve du nourrisson me dévore et je recule, déstabilisée. Cordon ombilical invisible et exigeant, je m’agace de ce remugle accaparant. Les premiers jours après la naissance, je me sens coupable de ne pas accepter l’odeur. Déni d’amour et d’attachement ? Alors, plutôt que d’escamoter ta signature olfactive sous une cloche forgée des diverses lotions et lessives parfumées, j’ai mis à nue nos peaux et accueilli ta senteur nuit après nuit, lorsque, comme seuls au monde, je t’allaitais dans un demi-sommeil sillonné de brume. Je me laissais balloter par mes émotions en vrac et, le nez abandonné sur ton minuscule crâne chauve, je tentais de conserver le cap, ancrée sur cette nouvelle senteur que je tenais au cœur de mes bras. Paumée, perdue dans mon rôle d’apprentie maman le jour, je trouvais enfin la paix et la sécurité au creux de la nuit, ton odeur crochetée à mes pensées vagabondes. En cherchant bien dans ma mémoire, j’ai encore, dissimulé dans un tiroir, sous la pile d’odeurs utiles à mon métier, un reliquat de ta sueur exsudée pendant l’effort de l’allaitement. Un accord qu’aucune formule ne peut illustrer.

Céline Ellena, Spéracèdes, le 30 mai 2023

Visuel principal : Elizabeth Nourse, La Mère, 1888. Source : Wikimédia commons

Patrice Revillard : « J’ai réalisé bien plus tard que mon coup de foudre pour Body Kouros n’était pas si anodin »

Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a ceux qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Semaine après semaine, ils sont désormais plusieurs à nous avoir conté leur rapport à une création, et l’influence parfois inconsciente de celle-ci sur leur manière de composer. Aujourd’hui, Patrice Revillard [1]Patrice Revillard est rédacteur pour Nez nous parle de l’importance de la création d’Annick Menardo dans son travail.

Quand on m’a demandé de citer un parfum m’ayant marqué et qui influence mon travail, j’ai d’abord écrit un long paragraphe sur Miss Dior. « L’Original », évidemment, celui de 1947. J’y abordais le fait que ma mère l’a porté, détail attendu, avant de me souvenir que c’était par ma faute, l’ayant quelque peu orientée dans ses choix. Détail un peu plus intéressant ! Je parlais aussi, au-delà de la figure maternelle consciente ou inconsciente qu’il incarne en partie pour moi, de tout ce qui me fascine dans son odeur, dans sa construction technique et dans sa place dans l’histoire de la parfumerie. Mais quand on m’a demandé de préciser quelle incidence il a, ou a eu, sur ma façon de composer, je me suis finalement rendu compte qu’il m’accompagnait peu au quotidien. Je devais me rendre à l’évidence : même si j’ai passé du temps à tenter de le reformuler au nez pendant mes années d’étude, avant de pouvoir un jour poser mes yeux sur la formule d’origine pour comprendre les rouages de sa construction dans le moindres détails, Miss Dior n’a pas de réel impact sur ma façon de créer. Il me fascine toujours, et je l’ai beaucoup eu en tête lorsque je me suis attelé à la recomposition de l’Iris gris de Jacques Fath en 2017, mais c’est tout.

Je devais donc répondre à cette question par un autre parfum !

Au lieu de trouver celui qui m’a marqué et de vérifier s’il a influencé mes créations, il fallait finalement opter pour le cheminement inverse : que je prenne du recul sur mon travail et ma façon de composer pour trouver le parfum qui s’y rattache, qui m’inspire au quotidien ou me sert de repère, de phare, de modèle.

Contre toute attente, cette introspection créative m’a amené à une autre fragrance que j’adore et que j’ai portée : Body Kouros d’Yves Saint Laurent.

À l’origine, il y a un coup de foudre olfactif immédiat au hasard d’une balade en parfumerie, alors que mon intérêt pour le parfum n’en était qu’à ses débuts. Le sillage troublant et magnétique d’un boisé chaud et ambré, épicé, à l’odeur affolante, grisante, presque palpable et érotique, avec un je-ne-sais-quoi de familier créant une addiction quasi immédiate. C’est très subjectif me direz-vous, puisqu’il n’a pas eu le succès que mon avis personnel laissait présager.

Il est des parfums dont le potentiel commercial est immense, mais qui sont lancés au mauvais endroit, au mauvais moment, ou au sein de la mauvaise marque, sous le mauvais nom, dans la mauvaise franchise ou que sais-je encore. C’est le jeu, c’est bien dommage, et c’est, je crois, le cas de Body Kouros. Comme en témoignent les avis des personnes à qui je le fais sentir et qui avouent aujourd’hui être passées à côté, à tort.

J’ai réalisé bien plus tard après l’avoir acheté et porté, que ce coup de foudre n’était peut-être pas si anodin. Le premier parfum que j’ai porté et que l’on m’a offert – je rentrais au collège je crois – était Boss Bottled, créé comme Body Kouros par Annick Menardo.

Avec le temps et mon intérêt grandissant pour la parfumerie, je l’ai analysé de façon plus technique. Body Kouros est construit sur une note généreuse, mais tenue et maîtrisée, simple et efficace, grâce à une formule qui ne se perd ni dans des fariboles, ni dans la facilité. Sa construction est typique du style d’Annick Menardo, que je résume comme une injection des notes puissantes, chaudes et diffusives dans une boule musquée, boisée ou florale faisant office de caisse de résonance. Le tout fusionnant parfaitement en un accord signé, nouveau et à chaque fois incontestablement moderne car innovant. Techniquement parlant, ce sont ici des notes florales et musquées qui sont utilisées pour créer un corps tactile, le volume apparent du parfum, dans lequel la coumarine, les bois et les épices apportent leur signature odorante, leur force et leur vibration. Lolita Lempicka et Bulgari Black, qu’elle a signés également, reprennent cette structure coumarinée plus ou moins gommeuse. Hypnotic Poison de Dior explore le côté amandé. Boss Bottled pour Hugo Boss, Bois d’argent chez Dior et Bois d’Arménie chez Guerlain misent quant à eux sur la vanille et l’Ambroxan. Tous sont d’autant plus géniaux que leur accord central réside souvent sur des matières communes.

Finalement, plus que Body Kouros, c’est toute la lecture que je fais des œuvres d’Annick Menardo qui m’a marqué et qui m’influence ; sa facilité apparente à jouer avec des matières simples pour les mettre en résonance et créer des accords forts et marquants. C’est la parfumerie que j’aime sentir et que j’aime travailler ! 

Patrice Revillard, le 27 avril 2023

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DOSSIER « CONFIDENCES PARFUMEES »

Visuel principal : © Alaric Bey

Notes

Notes
1 Patrice Revillard est rédacteur pour Nez

Thierry Duclos : « L’organisation du Simppar à Grasse était une évidence » 

Le maire de Grasse, Jérôme Viaud, a annoncé lors du traditionnel cocktail du Simppar – Salon international des matières premières pour la parfumerie – ce 31 mai que le salon aura lieu l’an prochain dans la capitale du parfum, après seize éditions parisiennes. Thierry Duclos, qui gère l’événement depuis plus de vingt ans, revient sur son évolution, et sur cette organisation grassoise.

Avant de piloter l’organisation du Simppar, vous aviez déjà une belle carrière dans les matières premières. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

J’ai consacré cinquante ans de ma vie aux huiles essentielles. J’ai directement intégré l’entreprise fondée par mon arrière-grand-père en 1874. Il s’agissait alors de faire du courtage de matières premières, à une époque où la communication était radicalement limitée par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui. Lorsque j’ai commencé à travailler, dans les années 1970, c’était évidemment différent – mais encore très loin de la réalité actuelle. C’est un métier où l’on voyage beaucoup, dans des pays où la situation géopolitique est parfois très compliquée, mais où l’on rencontre des personnes extraordinaires, passionnées par leurs beaux produits.
La société Duclos Trading, créée en 1986 pour passer au négoce, a été vendue en 2009 à Quimdis, qui a été racheté par le groupe Azelis en 2021.
J’ai aussi cocréé la Fédération européenne des huiles essentielles – l’EFEO – en 2002, pour répondre à la menace des réglementations qui pèsent sur nos matières.
Et c’est lorsque j’ai été membre du comité directeur de la Société française des parfumeurs-créateurs (SFP) que j’ai repris les rênes de l’organisation du Simppar, qui avec sa croissance devient un travail à plein temps.

Quelles ont été les principales évolutions du Simppar au cours de ces années ?

Au départ, le salon était organisé par la SFP pour présenter à ses membres – parfumeurs, évaluateurs, analystes… – des  producteurs et leurs matières premières. Le premier a eu lieu en 1991, avec une poignée d’exposants, mais ce n’était alors pas régulier.
Très vite, il a été décidé de l’organiser tous les deux ans, en alternance avec le World Perfumery Congress (WPC) pour alterner nos dates, et avons ainsi pu organiser un salon tous les deux ans. D’une dizaine de stands, nous sommes passés à une vingtaine, à l’hôtel Evergreen de Levallois.
Puis en 2011, afin de disposer d’un espace plus grand pour pouvoir accueillir une cinquantaine d’exposants, nous avons loué l’Espace Champerret, toujours à Levallois ; c’était déjà une tout autre histoire, car nous avions désormais un lieu nu, demandant une organisation plus importante.
Cette année, nous accueillons 110 stands. Il y a aussi plusieurs associations qui peuvent parler de leur travail de défense des huiles essentielles à Bruxelles, mais aussi des sociétés qui présentent des nouveautés technologiques, comme celles autour de l’intelligence artificielle, un autre enjeu contemporain.
Mais l’idée du salon reste la même qu’à ses débuts : nous souhaitons qu’il demeure un lieu de rencontres convivial, qui évite le « speed dating », afin de permettre aux intéressés de faire des découvertes, de voir ce qu’ils ont envie de voir, sentir ce qu’ils ont envie de sentir, sur deux jours. Et nous continuons de mettre chaque exposant sur un pied d’égalité : multinationales et petits producteurs ont le même stand de 12 m2, nous leur fournissons le matériel, ils n’ont plus qu’à s’installer – ce qui n’empêche pas certains d’être très ingénieux au niveau des décors.

Le maire de Grasse, Jérôme Viaud, a officiellement annoncé hier soir que la prochaine édition aurait lieu à Grasse : quelles sont les raisons de ce choix ?

Nous avons toujours organisé le Simppar à Levallois, à proximité du lieu de travail des parfumeurs. Mais c’est aussi le cas de Grasse, berceau français de la parfumerie et de ses ingrédients. Cela fait plusieurs années que la ville souhaitait organiser des événements internationaux liés à ses matières premières, et elle nous a déroulé son tapis rouge pour accueillir l’événement : c’est une chance, car l’organisation d’un salon d’une telle ampleur n’était pas chose aisée dans cette ville.

Comment s’est déroulée la mise en place ?

L’organisation du Simppar à Grasse est une évidence, mais la mise en place était complexe. Cela fait deux ans que nous travaillons, avec le maire, pour rendre cet événement possible.
Il y avait déjà la question de l’emplacement : il n’y a pas d’espace couvert assez spacieux sur place. Le seul endroit possible était la grande esplanade en face du Palais des congrès, avec sa vue magnifique ; mais elle est ouverte. Il nous a donc fallu trouver des solutions pour que les exposants soient abrités, en conservant la même qualité qu’à Paris : cela nécessite des structures lourdes, avec une tente d’environ 1300 m2. Le Palais des congrès servira de lieu de convivialité, avec des buvettes et des espaces de restauration.

L’autre problématique était celle de la capacité hôtelière de la ville de Grasse : à Paris, sur les 2300 entrées cette année, 1000 personnes environ viennent de l’extérieur. Il y aura certes des gens sur place, puisqu’il y a de nombreux parfumeurs et maisons de compositions à Grasse et ses alentours. Mais même si le salon à Grasse est envisagé à plus petite échelle, il a fallu penser à des solutions hôtelières.
Enfin, il fallait trouver une date qui évite le chevauchement avec le festival de Cannes, tout en permettant de participer à d’autres activités qui seront organisées autour du Simppar : c’est en tenant compte de ces impératifs que les dates du 28 et 29 mai 2024 ont été choisies.

Quels sont les autres événements auxquels les visiteurs pourront participer à Grasse ?

Nous voulions lier le salon à la fête de la rose, qui a lieu tous les ans à Grasse. Des circuits seront proposés afin d’aller visiter les champs de roses, les distilleries, les usines locales. L’idée est de penser une semaine complète autour des huiles essentielles. Un peu comme les « field trips » proposés lors de certains congrès comme l’IFEAT[1] La prochaine édition de l’IFEAT (International Federation of Essential Oils and Aroma Trades) aura lieu à Berlin, du 8 au 12 octobre 2023.. Cela permet aux personnes de pouvoir sentir les matières premières produites sur place, de mieux s’ancrer dans leur culture et dans leur transformation.

L’événement est-il voué à se pérenniser ?

Nous allons d’abord voir comment se passe cette première édition, mais nous serions ravis d’alterner régulièrement avec Paris.

Visuel principal : Jérôme Viaud, Philippe Massé et Thierry Duclos. Crédit photo : Vincent Krieger

Notes

Notes
1  La prochaine édition de l’IFEAT (International Federation of Essential Oils and Aroma Trades) aura lieu à Berlin, du 8 au 12 octobre 2023.

La tubéreuse, par LMR Naturals

À l’occasion du Salon international des matières premières pour la parfumerie (SIMPPAR) qui aura lieu les 31 mai et 1er juin prochains à Paris, nous vous proposons de découvrir une série d’articles initialement publiés en 2021 dans l’ouvrage De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum. Pour la dernière étape de notre périple, embarquons pour l’Inde, où LMR Naturals, la filiale d’IFF pour les ingrédients naturels, a noué un partenariat avec Nesso, société productrice de tubéreuse.

Cultivée dans le sud de l’Inde essentiellement pour l’ornementation, la tubéreuse fait désormais l’objet d’une filière spécifique à la parfumerie, à l’initiative de LMR Naturals, la filiale d’IFF pour les ingrédients naturels. Ornant la chevelure des femmes ou décorant les temples lors des cérémonies et des mariages, tressée en collier ou en guirlande, la tubéreuse est omniprésente en Inde, où elle est cultivée dans le Tamil Nadu et le Karnataka. Seules 10% environ des fleurs sont destinées à l’industrie du parfum, qui raffole des effluves voluptueux de celle que l’on nomme rajni gandha en hindi.

C’est avec Nesso, principal producteur de la fleur dans le pays, que LMR a noué un partenariat pour se fournir en tubéreuse. Ce spécialiste de l’extraction de matières premières exploite trois usines situées à proximité des zones de culture, près des villes de Madurai, Sathyamangalam et surtout Mysore. On y plante les bulbes, ou « griffes », en février-mars. Pour fleurir en juillet (et dès mars, lors de la deuxième et la troisième année), la tubéreuse réclame un apport en eau et en fertilisants, mais surtout un désherbage manuel soigneux des parcelles. Réalisée de mars à décembre, la récolte se déroule traditionnellement tôt le matin : les boutons encore fermés, parfois teintés de rose, sont délicatement détachés de la hampe florale. Ils sont ensuite acheminés à un point de collecte au village le plus proche, puis à plusieurs marchés aux fleurs tout au long de la journée. La tubéreuse y est vendue comme fleur d’ornement, dont le cours varie en fonction de l’offre et de la demande, jusqu’à 10 euros le kilo en pleine saison des mariages. « Un tarif inabordable pour l’industrie du parfum quand on sait que sept tonnes de fleurs sont nécessaires pour obtenir un kilo d’absolue », souligne Sophie Palatan, responsable des filières en recherche et développement chez LMR. Les tubéreuses destinées à être extraites sont donc achetées en fin de journée, au moment où leur prix est au plus bas, et uniquement lors des pics de production, d’avril à juin et de septembre à décembre. Depuis 2020, LMR et son partenaire local ont cependant mis en place une filière entièrement consacrée à la parfumerie, qui leur permet de se détacher de ce circuit classique : l’année dernière, Nesso a acheté plus de la moitié de ses tubéreuses directement auprès d’un réseau de producteurs. Ce fonctionnement favorise la maîtrise de la qualité et de la traçabilité de la production, ainsi que la définition de bonnes pratiques agricoles : réduction de l’usage des pesticides, amélioration des techniques d’irrigation et de fertilisation, recherches portant sur la mécanisation du désherbage…

Acheter aux fermiers sans intermédiaire présente aussi l’avantage de raccourcir le délai entre la cueillette et le traitement, donc de mieux préserver la fraîcheur des fleurs. « En s’engageant à l’avance sur une quantité et un prix donnés, la société garantit également aux paysans une visibilité sur leur avenir et un revenu équitable », affirme Sophie Palatan. Ces efforts pour une culture raisonnée et responsable ont été validés par une certification For Life, une première pour la tubéreuse. Enfin, la création de champs spécifiques à la parfumerie a permis d’ajouter à la palette des parfumeurs IFF une qualité exclusive d’absolue, plus proche de la fleur fraîche : la Tubéreuse Blooming.

Visuel principal : © Grégoire Mähler

Cet article est initialement paru dans l’ouvrage De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum, publié aux éditions Nez.

Découvrez tout ce qu’il y a à savoir sur cette fleur avec le livre La Tubéreuse en parfumerie, dans la collection « Nez+LMR  Cahiers des naturels », disponible sur le shop by Nez.

La vanille, par Mane

À l’occasion du Salon international des matières premières pour la parfumerie (SIMPPAR) qui aura lieu les 31 mai et 1er juin prochains à Paris, nous vous proposons de découvrir une série d’articles initialement publiés en 2021 dans l’ouvrage De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum. Aujourd’hui, partons à la découverte de la gousse de vanille malgache cultivée par Floribis, avec qui Mane a noué un partenariat depuis 2000, et dont Julie Massé avait parlé dans une interview.

C’est dans la région de la Sava, à Madagascar, capitale mondiale de la gousse, que Mane s’est implantée il y a quarante ans. La maison de composition française y bénéficie de l’expertise de son partenaire local pour produire une absolue, mais aussi un Jungle Essence, ainsi qu’une huile de vanille et une infusion qui nourriront la palette des parfumeurs et des aromaticiens. On les appelle les marieuses : au petit matin, d’octobre à décembre, elles repèrent les fleurs de vanille prêtes à être fécondées et mettent délicatement en contact le pistil et l’étamine à l’aide d’une aiguille ou d’une épine de citronnier. Ce geste précis témoigne du caractère indispensable de la main-d’œuvre et de son savoir-faire pour la culture de la gousse. Au nord-est de Madagascar, la région de la Sava en a fait sa spécialité. Cette zone côtière au climat chaud et humide abrite la vanille dans des plantations semi-ombragées où les arbres, souvent des gliricidias ou autres espèces endémiques, servent à la fois de parasol et de tuteur naturel à la liane qui donne les précieuses gousses. Source de revenus pour une grande partie du pays, la vanille a connu de très fortes variations de prix ces vingt dernières années. « Son cours peut fluctuer de 100 à 600 dollars le kilo, en fonction du volume de production, du taux de vanilline, mais surtout de la spéculation. D’où l’importance d’avoir une implantation solide et des partenaires stables dans le pays », souligne Clément Toussaint, chargé du sourcing des matières premières naturelles stratégiques chez Mane.

Pionnière, la maison de composition française est présente sur l’île depuis quarante ans et a noué en 2000 un partenariat avec Floribis, un des leaders du secteur, portée par la volonté de soutenir une filière durable, traçable et responsable. « La vanille est l’une des matières premières naturelles les plus importantes chez Mane, et il est essentiel pour nous de préserver le savoir-faire unique qui nous l’offre. » Méthode traditionnelle en trois étapes Ce fameux savoir-faire, le minutieux processus de préparation de la vanille en témoigne. Neuf mois après la pollinisation, entre juillet et septembre, il est temps de cueillir la gousse, même si celle-ci reste faiblement odorante à ce stade. Pour être récoltée à maturité, elle doit revêtir une couleur vert clair tirant sur le jaune : c’est ce qui garantira ensuite la qualité de la vanille « préparée ».

Le processus pour obtenir cette dernière débute dans les deux à trois jours après la cueillette afin que les molécules odorantes ne se détériorent pas. La méthode de préparation traditionnelle comprend trois étapes. D’abord l’échaudage : la vanille est immergée dans une eau à 65 °C pendant trois minutes, ce qui a pour effet de libérer la vanilline, molécule responsable de son odeur. Puis vient l’étuvage : pendant douze heures, les gousses reposent dans des caisses en bois capitonnées de couvertures de laine afin de conserver la chaleur. Elles commencent alors à noircir. C’est enfin le séchage : la vanille séjourne au soleil sur des claies, une à deux semaines selon le climat, puis à l’ombre pendant un mois. La gousse se fripe, sa couleur noire s’intensifie ; elle est dès lors triée au toucher et à l’odeur pour vérifier qu’elle est prête à être exploitée. C’est près de Grasse, dans les ateliers de Mane, qu’elle sera transformée et extraite.   

Visuel principal : © Mane

Cet article est initialement paru dans l’ouvrage De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum, publié aux éditions Nez.

Karine Chevallier : « Ma rencontre avec le Vétiver de Carven participe aux fondements de ma manière de composer »

Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a les parfums qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Semaine après semaine, ils sont désormais plusieurs à nous avoir conté leur rapport à une création, et l’influence parfois inconsciente de celle-ci sur leur manière de composer. Dans ce nouveau témoignage, la parfumeuse indépendante Karine Chevallier se souvient de l’histoire qui la lie au Vétiver de Carven, comme une leçon de parfumerie.

Il a toujours été là. Ce vétiver que pourtant, au début, je ne savais pas nommer. 
Quand j’étais enfant, mon père portait le Vétiver de Carven. Ce magnifique opus sur la matière a été créé en 1957 par Édouard Hache, à la demande de Madame Carven qui voulait l’offrir à son mari, même si d’aucuns disent qu’elle avait en réalité voulu ce parfum pour elle-même. Ce Vétiver était donc là, bien présent, surtout les soirs où mes parents sortaient. J’étais à la fois subjuguée par cette présence si « chic » , réconfortante : « mon père ce héros », et la crainte de la séparation à venir : « on sort ce soir ». L’harmonie. Le choc.

À 18 ans, j’ai eu la chance de faire un premier stage, l’été, chez Robertet à Grasse. Sous la houlette du parfumeur Daniel Molière, je faisais mes premiers pas sur la longue route de l’apprentissage des matières premières. Méthode Jean Carles en mains, je dévalais les colonnes et les lignes des ingrédients, par famille, puis par opposition. Et soudain, il était là : essence de vétiver. Le choc, à nouveau.
En cet instant, c’est comme si ma mémoire olfactive, par soustraction du souvenir du Vétiver de Carven, me faisait appréhender l’art de la composition. L’art d’étirer les différentes facettes d’une matière première pour la transcender et en faire un parfum : l’essence a une facette zestée pamplemousse ? Qu’à cela ne tienne, nous lui ajouterons des agrumes ; elle est moelleuse ? Ajoutons une facette santal et un peu de myrrhe ; elle est terreuse ? La mousse de chêne fera l’affaire. Le choc. L’harmonie, toujours.

Plus tard sur les bancs de l’Isipca, nous avions ce cours que nous attendions tous, donné par Jean-François Blayn, disciple d’Edmond Roudnitska. Il avait intitulé une de ses leçons « la forme dans la forme ». C’était notre premier contact avec la formulation docte. Il s’agissait de travailler autour de la mousse de chêne, d’en décrire les facettes puis de définir, selon notre approche personnelle, celle qui nous marquait le plus. En somme, nommer quelle forme chacun attribuait à la mousse de chêne, puis lui donner une nouvelle dimension en ne s’aidant que de trois autres matières premières. Je me suis évidemment braquée sur la facette boisée de la mousse, à laquelle je n’avais pas eu le droit d’ajouter l’essence de vétiver : « trop caractériel ! », s’était exclamé le parfumeur. Mais cette simple leçon sur la construction d’un accord, en écho à ma rencontre avec le Vétiver de Carven puis l’essence de vétiver seule, sont les fondements de ma manière de composer : chercher l’accord, trouver l’harmonie.

Ce n’est que bien des années plus tard, à l’occasion d’une conférence donnée par Fabrice Pellegrin, que j’ai compris qu’un beau parfum n’était pas qu’harmonie, mais que la provocation de l’accident, l’opposition, la matière première à laquelle on ne s’attend pas, vient sceller la perfection d’une composition réussie. L’accident, c’est la menthe froissée dans la magnifique Eau d’orange verte créée par Françoise Caron pour Hermès ; c’est la note cassis dans Ombre dans l’eau de Diptyque c’est le styrax dans l’incroyable tubéreuse Nuit de bakélite par Isabelle Doyen pour Naomi Goodsir… 

Y avait-il un accident dans le Vétiver de Carven ? Mon souvenir de l’original est trop lointain pour m’en rappeler. En revanche, lorsque j’ai créé Lime Absolue pour le Cercle des parfumeurs créateurs, qui est une sorte de cologne vétiver, j’ai étiré sa facette moelleuse en opposant la racine à la sève juteuse, presque coco de la figue : mon accident, mon choc, mon harmonie. Enfin l’accident c’est aussi, dans Emotional Drop, « le » vétiver de Mark Buxton, l’occurrence en fond d’une facette sucrée de maltol, provenant certainement d’une grande quantité d’absolue de fir balsam, qui vient contrebalancer la facette terreuse de la racine tout en se noyant dans les muscs. Le choc, l’harmonie, la perfection du vétiver.

Karine Chevallier, le 9 mai 2023.

Visuel principal : © Serge Nicolas

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DOSSIER « CONFIDENCES PARFUMEES »

Smell Talks : Clara Muller – Exposer le design olfactif et ses enjeux contemporains

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En octobre 2022, au lycée hôtelier Guillaume Tirel à Paris, s’est déroulée la rencontre annuelle du groupement de recherche GDR O3 (Odorant-Odeur-Olfaction). Ce collectif développe des recherches multi et transdisciplinaires autour des domaines de la perception des odeurs, des composés odorants ou des arômes et parfums.

Clara Muller est historienne de l’art, critique, commissaire d’exposition et membre du collectif Nez. Elle mène des recherches sur la respiration dans l’art contemporain ainsi que sur les pratiques artistiques employant les odeurs comme médium. Dans cet épisode, elle propose une conférence intitulée « Exposer le design olfactif et ses enjeux contemporains ».

Crédit photo : Manon Raczynski

Le gingembre, par Symrise

À l’occasion du Salon international des matières premières pour la parfumerie (SIMPPAR) qui aura lieu les 31 mai et 1er juin prochains à Paris, nous vous proposons de découvrir une série d’articles initialement publiés en 2021 dans l’ouvrage De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum. Aujourd’hui, place au gingembre cultivé et distillé à Madagascar par Symrise, un ingrédient qu’Alexandra Carlin avait déjà évoqué dans une interview.

À Madagascar, le gingembre est le petit prince des épices. Intimement liée à celle de la vanille, la reine mère, sa culture sur l’île a été mise en place par Symrise afin de diversifier les sources de revenus des producteurs locaux en dehors de la saison de la gousse. On le dit aphrodisiaque. En brunoise ou en julienne, le gingembre aromatise la cuisine asiatique. En médecine chinoise, il est réputé détoxifier et revigorer l’organisme. Et en parfumerie, son huile essentielle apporte des notes piquantes et citronnées aux eaux fraîches et aux colognes.

Le gingembre cultivé à Madagascar est parfois surnommé « gingembre bleu », une appellation poétique – ou marketing – qui trouve sa source dans une simple réaction chimique : en s’oxydant au contact de l’air, une fois coupé, le rhizome de gingembre prend une teinte bleutée. Plus épicé, plus piquant, son cousin venu de Chine, le gingembre rose (70 % du gingembre mondial), possède une odeur plus savonneuse. La faute à ses racines, plus grosses, plus fibreuses, davantage chargées en eau. Mais aussi aux engrais, absents sur l’île. Frais au nez, il est pourtant brûlant sur la langue. Les Chinois classent d’ailleurs le gingembre parmi les épices chaudes, alors que, pour les parfumeurs occidentaux, il est perçu comme frais, surtout dans sa qualité malgache. Cela tient également au savoir-faire de Symrise à Madagascar : ici, le gingembre est distillé le plus tôt possible, à peine deux jours après la récolte. Sur la terre rouge de la Sava, dans le nord-est de l’île, où se cultive l’essentiel de la vanille mondiale, le rendement du gingembre est bien meilleur qu’à Antananarivo, dans la région centrale des Hautes Terres, où les pluies sont plus rares. Pour s’épanouir, le gingembre a besoin de chaleur, de soleil et d’humidité sur un sol léger et bien drainé. Il est planté en janvier-février, au cœur de l’été malgache, et sa récolte a lieu six mois plus tard, en juin. « Quand les feuilles commencent à sécher, cela signifie que toute l’essence de la plante est descendue dans ses racines et qu’il est temps de récolter », raconte Mihen, l’un des producteurs malgaches installés dans la Sava. Chaque année, Symrise lui achète sa production, qui rejoint ensuite l’usine de Benavony où elle sera transformée.

À Madagascar, les racines de gingembre sont distillées juste après leur récolte. Une vraie nouveauté, qui permet d’obtenir une huile essentielle de qualité exceptionnelle à partir du rhizome frais : historiquement, ce dernier était d’abord mis à sécher avant d’être traité pour la parfumerie ou l’aromathérapie. Mais aujourd’hui, aussitôt la plante récoltée, son rhizome est nettoyé dans une machine à laver utilisée spécialement pour toutes les racines de plantes (vétiver, curcuma). Le gingembre est ensuite pelé, broyé, puis mélangé à de l’eau et mis à chauffer dans une marmite, de façon à constituer une sorte de soupe fine de gingembre. La mixture est alors versée dans la cuve d’un alambic à pression atmosphérique. Le processus de distillation dure cinq heures environ. 250 kilos de rhizome frais sont nécessaires pour obtenir 1 kilo d’huile essentielle, avec trois distillations quotidiennes possibles selon les récoltes. Et pas seulement dans l’usine de Benavony : Symrise aide aussi les paysans à installer leurs propres alambics de brousse partout dans la Sava, au plus près de la richesse olfactive de la plante. 

Cet article est initialement paru dans De la plante à l’essence. Un tour du monde des matières à parfum, publié aux éditions Nez.

Visuel principal : © Symrise

1+1 : Armoressence – Jeanne Vicerial & Nicolas Beaulieu

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Jeanne Vicerial, plasticienne, a d’abord imaginé de nouvelles manières de créer des vêtements, avant d’interroger la féminité et ses représentations à travers des sculptures monumentales tissées de fils. L’artiste connaît bien Nicolas Beaulieu, parfumeur chez IFF, qui a déjà composé pour elle les fragrances de deux expositions. Entre fin 2022 et début 2023, ils ont esquissé ensemble un nouveau projet olfactif, Armoressence, inspiré par le travail de Jeanne. Plongez dans les coulisses de cette création.

Ce podcast a été réalisé par Guillaume Tesson.

1+1 : une expérience de création

Nez propose une série de rencontres entre des parfumeurs et des personnalités d’autres univers. Chacune donne naissance à une création olfactive disponible en édition limitée avec chaque nouveau numéro de la revue.

Ces créations sont disponibles sur le Shop by Nez.

Photos : Ava du Parc / Atelier Marge Design

Des effluves et une œuvre : Chop Suey, d’Edward Hopper

Peintre d’une Amérique sans éclat, celle de la middle-class urbaine, Edward Hopper savait faire surgir le mystère au cœur de la réalité la plus banale. Né en 1882, il a vécu près de soixante ans à New York, où il est mort dans son atelier de Greenwich Village, à 84 ans. À l’occasion de la Journée internationale des musées ce jeudi 18 mai, nous vous proposons la lecture d’un texte consacré à ce tableau de 1929, initialement publié dans Nez, la revue olfactive #15 – Au fil du temps.

« New York, son odeur d’essence et d’asphalte, de menthe verte, de poudre de talc et de parfum »[1]Extrait de Manhattan Transfer (1925), de John Dos Passos est son terrain de chasse favori. À l’affût, Hopper en saisit les habitants dans des compositions simplifiées pour condenser l’essentiel : leur solitude abyssale. Éclairées à la manière des films noirs, ses scènes invitent à s’immiscer dans la pensée souvent mélancolique des personnages. Comme celle de ces clients attablés dans un chop suey. Si ce terme dérivé du cantonais désigne à l’origine un plat, on nommait alors ainsi les restaurants populaires chinois, en général situés au-dessus de magasins. En témoigne le fragment de l’enseigne lumineuse où l’on devine, à la verticale, le mot « suey ». On y croisait le tout-venant new-yorkais dans une ambiance bruyante, enfumée et saturée d’odeurs de chou, de crevettes et de gingembre grésillants. À l’inverse, Hopper nous plonge dans une salle étrangement calme, baignée de clarté naturelle. Seule la théière rouge, avec ses effluves de thé fumé, rappelle ici la Chine. Peu amateur des joies sensuelles de la cuisine, l’artiste n’a jamais représenté le moindre aliment dans ses toiles.

Au fond de la salle, un couple. Au centre, un éclat de lumière éclaire le visage fardé d’une jeune femme moulée dans un pull vert. C’est Josephine Verstille Nivison, la femme du peintre et le modèle féminin de ses tableaux. C’est probablement elle encore que l’on voit de dos, toujours coiffée d’un chapeau cloche. « Jo » incarne la femme des années folles. Cette décennie 1920 a vu naître l’Art déco et le jazz, la publicité et la libération des femmes. Les flappers, les « garçonnes » américaines, sont actives et autonomes. Elles font du sport, fument et boivent en défiant la prohibition, mènent leur sexualité comme elles l’entendent, et se ruent sur la mode et les parfums made in France. Gabrielle Chanel, Jean Patou, Jacques Guerlain et autres acteurs du luxe français ont les yeux rivés vers cet eldorado. D’autres inventeurs d’une parfumerie moderne où se côtoient les matières premières naturelles et les molécules de synthèse ont déjà pignon sur rue à New York. Paris, lancé en 1923 par François Coty, puis Evening in Paris, signé par Ernest Beaux pour Bourjois en 1928, font un carton outre-Atlantique. Jusqu’à ce que survienne l’impensable… Le 24 octobre 1929 – l’année où Hopper a peint ce tableau –, c’est le krach. La grande dépression qui s’ensuit jettera dans la misère des millions d’Américains et gagnera l’Europe. En 1930, Jean Patou offre à ses clientes américaines qui n’ont plus les moyens de venir à Paris une luxueuse création, Joy. Symbole d’espoir et d’allégresse, « le parfum le plus cher du monde » connaîtra un succès planétaire, à l’instar des toiles d’Edward Hopper.

Visuel : Edward Hopper, Chop Suey, 1929. Huile sur toile 81,3 × 96,5 cm, collection privée. © Domaine public / An American Place : The Barney A. Ebsworth Collection

Notes

Notes
1 Extrait de Manhattan Transfer (1925), de John Dos Passos

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