Dans le sillage de No5, imaginé par Ernest Beaux, les premières créations olfactives de Chanel dans les années 1920 témoignent d’une vision neuve de la parfumerie. Olivier Polge, parfumeur de la maison depuis 2015, revient sur cette période prolifique et ces fragrances emblématiques qui, un siècle après leur naissance, continuent de briller par leur étonnante modernité. À l’occasion des 140 ans de la naissance de Gabrielle Chanel ce samedi 19 août, nous vous invitons à (re)découvrir cet entretien initialement publié dans Une histoire de parfums de Yohan Cervi.
Pourriez-vous dresser un portrait olfactif des années 1920 ?
Il y a finalement assez peu de parfums créés à cette époque qui nous sont parvenus et sont toujours commercialisés. Il est également difficile de savoir ce qui fonctionnait vraiment dans les années 1920. Néanmoins, on sait que les notes ambrées et animales étaient importantes. En rupture avec cette tendance, ce sont les notes florales qui dominent dans No5. Cette fragrance laissera une empreinte extraordinaire, du fait de sa notoriété et de son influence sur la parfumerie. Elle ouvre rapidement une nouvelle voie et inspire de nombreuses et très belles créations, comme Arpège de Lanvin, Liu de Guerlain et, plus tard, Calandre de Paco Rabanne, Rive gauche d’Yves Saint Laurent ou Estée et White Linen d’Estée Lauder. Sa lignée est foisonnante et prolifique. Quant à sa résonance culturelle, elle apparaîtra surtout à partir des années 1950 aux États-Unis. Je pense que les choses arrivent toujours à point nommé et ne sortent jamais de nulle part. No5, dès ses débuts, rencontre une époque qui est prête à l’accueillir, mais qu’il bouscule aussi, certainement.
Que représentait le parfum pour Gabrielle Chanel et pourquoi a-t-elle choisi de lancer ses propres fragrances ?
Gabrielle Chanel est attirée par le parfum, et elle n’est pas la seule. En revanche, c’est la première couturière à donner son nom à une marque de parfums, à la différence de Paul Poiret et ses Parfums de Rosine. Elle a fait « le parfum Chanel », et, symboliquement, cela dit autre chose : pour elle, la mode et les fragrances s’inscrivent dans un même univers et expriment son style, chacune à leur manière. À travers cette démarche, elle a inventé le parfum de couturier. Pour moi, cela révèle l’essentiel de son rapport à la parfumerie.
Y a-t-il un « style Ernest Beaux » ?
Effectivement, il y a dans ces créations un style qui s’exprime et se ressent. Mais qu’est-ce qui relève de celui d’Ernest Beaux ou de celui de Chanel ? Quand je regarde les formules laissées par le parfumeur, je vois déjà beaucoup de fleurs ainsi que des aldéhydes – je pense à No22, à Cuir de Russie et même à Bois des îles. Avait-il compris que c’était ce qu’aimait Gabrielle Chanel ? Les fameux aldéhydes sont-ils essentiels à No5 ? Sans les aldéhydes, No5 est déjà très beau, et sa forme reconnaissable. C’est un parfum déjà complexe, abouti et abstrait. Mais les aldéhydes lui confèrent un twist et le propulsent. Leur dosage est important et audacieux, notamment au vu de la force et de l’impact qu’ont ces ingrédients dans le rendu final, mais je n’aime pas la notion de surdose, comme on peut le lire parfois : je la trouve inappropriée, car elle signifierait qu’il y a un problème esthétique. Si c’est ce que l’on recherche, c’est toujours le bon dosage, peu importent les proportions. Une eau de Cologne peut contenir 30% de bergamote dans sa formule. Parle-t-on pour autant d’overdose ? Non, car cette proportion a du sens.
Quelles autres notes sont importantes dans la formule ?
Gabrielle Chanel aurait demandé à Ernest Beaux quel était le plus bel ingrédient de la formule. « Le jasmin », aurait-il répondu. « Alors, mettez-en plus », lui aurait-elle rétorqué. Elle voulait une formule que les parfumeurs ne se seraient pas permis de réaliser et n’auraient pu copier. La rose aussi est essentielle, de mai et de Bulgarie, ainsi que l’ylang-ylang. Il y a également du néroli, de l’iris, des notes muguet. C’est un bouquet riche et complexe, très sophistiqué. J’aime l’idée qu’a eue Gabrielle Chanel de souhaiter un parfum artificiel, c’est-à-dire composé, qui ne tente pas de reproduire l’odeur des éléments de la nature. Venant de la mode, elle avait une vision différente du parfum et voulait quelque chose de nouveau, qui ne soit pas orchestré autour d’une matière première. Je trouve que ces éléments apportent un éclairage à l’histoire de No5. Concernant l’accord de fond, les matières les plus importantes sont la vanille et le santal ; également le vétiver, même s’il occupe davantage de place dans l’eau de toilette que dans l’extrait.
No22, du nom de son année de lancement, est l’autre grand floral aldéhydé de la maison. Qu’est-ce qui le différencie de No5 ?
Ils appartiennent à la même famille, mais la composante florale du No22 est différente. Elle repose davantage sur la fleur d’oranger et, dans une moindre mesure, sur la tubéreuse, une fleur relativement inhabituelle chez Chanel. Le complexe aldéhydé est aussi différent, et No22 comporte de l’encens, avec un fond plus ambré. C’est un grand parfum, que j’aime beaucoup.
Cuir de Russie (1927) est quant à lui un parfum hors norme, qui se démarque nettement dans la famille des cuirs, notamment par sa floralité.
Cuir de Russie a en effet un côté floral aldéhydé, et ces éléments, même s’ils sont secondaires, le différencient des autres cuirs de la parfumerie. C’est un cuir Chanel.
Même sa note cuirée est sophistiquée…
Dans la maison, nous aimons les essences qui ne sont pas brutes, mais redistillées ou fractionnées. Nous avons toujours sélectionné nos matières premières sous cet angle, ce qui leur confère une esthétique et un aspect particuliers. C’est le cas du bouleau ou du styrax, par exemple. Cuir de Russie est un parfum complexe dans sa construction, car à ses notes de cuir, de bois et d’ambre s’opposent celles, plus lumineuses et délicates, des fleurs et des aldéhydes.
Que cherchait à évoquer Bois des îles (1928) ?
Il exprime au mieux ce sentiment d’exotisme avec ses accords extraordinaires d’épices, de notes fleuries et de santal. J’ai découvert Égoïste (1990) avant Bois des îles. Ces deux parfums, qui sortent des sentiers battus, ont un lien olfactif entre eux. En revanche, je ne connais aucun prédécesseur à Bois des îles.
Il y a eu d’autres créations Chanel à cette époque, depuis longtemps disparues, comme Ivoire, No9 ou Ambre…
En effet, et il y avait également Une idée de Chanel, un très joli nom. Nous avons la chance de détenir l’ensemble des formules de l’histoire de Chanel, ce qui nous a permis, par exemple, de repeser Ivoire et Une idée de Chanel. Quand on sent ces deux fleuris aldéhydés, on s’aperçoit que No5 et No22 sont plus aboutis et beaucoup plus percutants.
Comment entretient-on cet héritage fabuleux ?
Nous créons et fabriquons nos parfums, nous maîtrisons l’intégralité de la chaîne de production, sans intermédiaire, avec une exigence constante en matière de qualité et d’excellence. La maison a ce souci du détail, de la précision, qu’il s’agisse des grands classiques ou des créations plus contemporaines. L’olfactif passera toujours avant le reste. Nous sommes aujourd’hui beaucoup plus précis concernant les matières premières – leur provenance, leur traçabilité et leur qualité – que dans les années 1920. L’autre élément qui nous caractérise, c’est la transformation des matières premières – je pense notamment à la fraction de patchouli utilisée pour composer Coco Mademoiselle. Enfin, il faut se donner des lignes et les suivre, en capturant quelque chose qui nous semble important de l’esprit de Chanel et le faire perdurer tout en le réinventant. Il faut définir un cadre avec lequel on joue, et c’est ce qui constitue un style.
Cet entretien est initialement paru dans Une histoire de parfums écrit par Yohan Cervi et publié aux éditions Nez.
Critique, conférencier spécialiste de l'histoire de la parfumerie moderne et consultant auprès de marques de luxe, il a cofondé en 2017 le laboratoire de création Maelstrom. Collectionneur de parfums anciens, il est l'expert vintage de la rédaction d'Auparfum. Il a également collaboré aux ouvrages Les Cent Onze Parfums qu'il faut sentir avant de mourir (Nez éditions, 2017), La Fabuleuse Histoire de l'eau de Cologne (dir. Jean-Claude Ellena, Nez éditions, 2019) ou encore Parfums pour homme (Nez éditions, 2020).
Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a les parfums qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Semaine après semaine, ils sont désormais plusieurs à nous avoir conté leur rapport à une création, et l’influence parfois inconsciente de celle-ci sur leur manière de composer.
Aujourd’hui, Mandy Aftel se souvient de Joy de Jean Patou, la fragrance que portait sa mère. Un choc olfactif à l’origine de sa vocation.
Comme pour la plupart des gens – consciemment ou non – mes souvenirs les plus anciens et mes plus grandes émotions sont intimement liés aux odeurs et en sont imprégnés. Ainsi, Joy de Jean Patou m’évoque ma mère venant m’embrasser pour me souhaiter bonne nuit, le samedi soir, avant de sortir avec mon père. Le nuage de sa signature olfactive m’enveloppait, couplé à l’infinie douceur et aux notes animales de son manteau de vison. J’étais également envoûtée par le scintillement des mystérieux flacons minutieusement alignés sur le bord du miroir de sa coiffeuse, avec leurs breloques d’où pendaient des étiquettes manuscrites stylisées et bordées de dorures.
Son parfum – sophistiqué, chic, taillé pour la nuit – me semblait résonner comme le chant d’une sirène. Joy, composé par Henri Alméras en 1929, est un assemblage de pétales enivrantes (jasmin, rose ylang-ylang, tubéreuse) sur un fond chaud et animal. La fragrance entêtante et narcotique de ces fleurs me transportait, en imagination, vers des lieux exotiques. La forte résonance de cette mémoire sensorielle et la prise de conscience du mystérieux pouvoir primitif que l’olfaction peut avoir sur nous sont à l’origine de ma vocation. En cela, les odeurs en général – pas simplement une seule – ont changé ma vie. Superposer des essences – et notamment celles des fleurs, comme le jasmin, avec l’unification très « yin et yang » des notes à la fois fécales et florales – cela a résonné en moi.
Lorsque je crée un parfum, tout découle de la qualité des essences naturelles et de leurs facettes aromatiques. Mon plus grand plaisir est ainsi de sourcer mes matières premières auprès de petits cultivateurs aux quatre coins du monde et de les comparer, en recherchant la meilleure expression possible de la rose ou du jasmin, par exemple. Quand vous composez un floral exclusivement à partir d’une palette naturelle, vous vous confrontez à la complexité intrinsèque de chaque essence. Cette complexité s’amplifie lorsque plusieurs fleurs aux notes entêtantes sont associées. C’est comme tenter d’harnacher ensemble plusieurs purs-sangs fougueux. Mais en ajoutant une note animale comme de l’ambre gris, on parvient à les dompter. Les fleurs dialoguent soudain entre elles avec une grâce qui semble venue d’ailleurs.
Joy, qui représente à merveille cet équilibre majestueux, a influencé deux de mes compositions. Parfum privé s’appuie sur la symphonie de quatre notes fondamentales : une suave absolue de fleur d’oranger et un osmanthus fruité enrobé par des facettes musquées d’ambrette et un ambre gris chatoyant, sans qu’aucune de ces tonalités ne tire la couverture à elle. Il y a aussi Lumière, un floral élégant à la texture transparente et lumineuse, que j’ai créé en utilisant uniquement des essences naturelles et des isolats. C’est ma vision d’un bouquet floral élégant de chèvrefeuille, de boronia, de magnolia et de fleur de tilleul sur un accord de thé vert traversé par l’ambre gris.
Mandy Aftel, le 15 juillet 2023.
Nez a récemment publié la traduction française d’Essences & Alchimie de Mandy Aftel, réalisée par Sarah Bouasse.
Mandy Aftel est parfumeuse, spécialiste des compositions naturelles. En plus de sa marque, Aftelier, elle a fondé un musée à Berkeley, où elle vit, consacré à l’histoire de la parfumerie et de ses matières premières : The Aftel Archive of Curious Scents. Elle est aussi l'autrice de six livres, dont le célèbre Essences & Alchimie, ouvrage de référence de la parfumerie naturelle, récemment traduit en français aux éditions Nez.
Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a les parfums qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Semaine après semaine, ils sont désormais plusieurs à nous avoir conté leur rapport à une création, et l’influence parfois inconsciente de celle-ci sur leur manière de composer.
Aujourd’hui, Pierre Bourdon nous parle de l’Eau d’Hermès, fragrance admirée jouant le rôle de fil conducteur entre plusieurs compositions phares de sa carrière.
À la fin des années soixante, mon père, alors directeur général adjoint des parfums Dior et qui était, de ce fait, en relations professionnelles avec Edmond Roudnitska, apprit de celui-ci qu’il était le créateur de l’Eau d’Hermès. Par curiosité, il fit l’acquisition d’un flacon à la boutique de la rue Saint-Honoré, le seul endroit où il était en vente. Après l’avoir senti, il m’en fit cadeau. Ce fut ainsi que l’Eau d’Hermès devint mon parfum pendant mes années d’études à Sciences Po.
Je devins épris de cette fragrance cuirée, boisée et épicée, une arabesque aux accents de cardamome, de clous de girofle, de cannelle et de cumin. Une fois mon diplôme en poche, je décidai de devenir parfumeur et intégrai l’école de parfumerie de Roure Bertrand Dupont [désormais Givaudan] à Grasse, où je passai cinq ans. Pendant ce long séjour, je montais, deux fois par semaine, à Cabris, chez Edmond Roudnitska qui corrigeait mes exercices de l’école.
Dès que je fus en mesure de faire des imitations des parfums du marché, je m’empressai de copier ma fragrance fétiche, l’Eau d’Hermès, bien évidemment sans l’aide de mon maître, jaloux du secret de ses formules.
Ce n’est cependant que bien plus tard, au début des années 1990, alors que j’étais directeur de la création chez Quest [racheté par Givaudan], que Serge Lutens chargea mon équipe de développer un parfum évoquant l’odeur des menuiseries de la médina de Marrakech. Christopher Sheldrake et Maurice Roucel composèrent un module à base de bois de cèdre de l’Atlas et d’Iso E Super. Les circonstances firent qu’ils ne purent aller plus loin : le projet me fut alors confié. Étant donnée la structure cuirée et boisée de l’Eau d’Hermès, il me parut comme une évidence d’en greffer des éléments sur le travail de mes collègues. Ainsi fut créé Féminité du bois, au sujet duquel j’eus le plaisir de recevoir ces quelques mots de la part de Serge Lutens : « Le plaisir que j’ai eu de notre collaboration me signifie votre incontestable talent. L’interprétation magistrale du cèdre au féminin m’en donne toute la portée. » Il n’aurait cependant jamais vu le jour sans ma rencontre avec l’Eau d’Hermès.
Deux ans plus tard, alors que je quittai Quest pour fonder Fragrance Resources, Maurice Roger, président des parfums Dior, me confia le développement d’une nouvelle création qu’il voulait « douce et caressante » – ces deux adjectifs étant les seuls éléments de son brief. Après bien des rendez-vous avec son équipe marketing et maints rejets de mes soumissions, je crus comprendre, sans que l’on me l’avoua, que je devais orienter mes recherches dans la mouvance de Féminité du bois. Je repris donc mon étude de l’Eau d’Hermès, en fis des emprunts pour habiller un canevas de Trésor de Lancôme mâtiné de Shalimar de Guerlain : cette tentative eut l’heur de plaire à Maurice Roger qui vint passer deux semaines avec moi pour peaufiner le parfum, qu’il baptisa Dolce Vita. Là encore, il n’aurait jamais existé, du moins pas sous ces traits, sans son digne ancêtre.
Je lui rendis un dernier hommage au moment où je pris ma retraite : un ancien client autrichien, qui était devenu un ami cher, insista pour que je crée cinq compositions à mon nom. Pour l’une d’entre elles, Route des épices, c’est à nouveau l’Eau d’Hermès qui me servit de source d’inspiration. Malheureusement, les parfums Pierre Bourdon n’eurent aucun succès – peut-être faute d’investissement de ma part dans leurs ventes.
Voilà comment le parfum de mes années d’étudiant a nourri la partie de mon œuvre de compositeur qui, à défaut d’être commerciale, demeure à coup sûr la plus chère à mon cœur et la seule signée d’un style personnel – quoique inspiré par un autre parfumeur – alors que mes créations les plus vendus se sont révélées hétéroclites.
Diplômé de Sciences Politiques, et grand passionné de littérature, Pierre Bourdon décide de devenir parfumeur suite à sa rencontre avec Edmond Roudnitska, qui lui apprendra les bases du métier. Il poursuit sa formation chez Roure à Grasse, puis chez Takasago et Quest, avant de créer sa propre société en 1993, Fragrance Resources. Il est notamment le créateur, entre autre, de Kouros, Zino Davidoff, Cool Water, Sun, Féminité du Bois, Dolce Vita, Cool Water Woman, Iris Poudré, French Lover.
En 2015, il crée une marque de parfums à laquelle il donne son nom.
Au menu de cette revue de presse, l’odeur du danger, le domaine de Lancôme à Grasse, un chef anti-parfums et un avant-goût des J.O. 2024.
Rien ne prouve que le cachalot de 13 mètres de long qui s’est échoué fin mai sur un rivage de l’île de La Palma, aux Canaries, est mort en odeur de sainteté. La seule certitude, comme le raconte Courrier international, c’est que l’autopsie pratiquée par le vétérinaire Antonio Fernandez, de l’université de Las Palmas (Grande Canarie), a permis d’extraire des entrailles du cétacé un bloc d’ambre gris de 9 kilos. De quoi donner le tournis à plus d’une maison de composition. Cette concrétion intestinale, jadis considérée comme l’or blanc de la parfumerie pour ses puissantes notes animales et marines, est aujourd’hui si rare à trouver qu’on la troque volontiers contre des succédanés de synthèse comme l’Ambrox. La matière première naturelle n’en reste pas moins mythique et son cours atteint toujours des sommets. La preuve : le montant du trésor organique qu’abritait le cachalot s’élèverait à 500 000 euros.
Embruns toujours, mais direction le large, du côté des dents de la mer. Selon une étude rapportée par Géo, une espèce de requin préhistorique à tête large, dont des restes fossilisés datant de 365 millions d’années ont été mis au jour dans le Sahara marocain, pouvait percevoir les odeurs en stéréo. Si le Maghriboselache mohamezanei avait la face plate et large avec des narines à chaque extrémité, un peu comme un requin marteau, c’était davantage pour détecter ses redoutables prédateurs – un peu comme une vision à 180° – que pour se nourrir. Les scientifiques y voient un remarquable signe d’adaptation puisqu’en ces temps reculés, la compétition entre espèces faisait particulièrement rage.
L’odeur du danger, les fourmis la perçoivent à vitesse grand V. Comme le rappelle Le Monde, ces insectes sociaux évoluent en colonies régies par un système de communication complexe. Lorsqu’une source de péril survient, le signal du sauve-qui-peut est transmis à la communauté au moyen de phéromones captées par les bulbes olfactifs situés dans les antennes. Cela, on le savait déjà. Ce que l’université Rockefeller de New York a enfin compris (et rendu public), c’est que ces phéromones d’alerte sollicitent très peu de récepteurs olfactifs, dans une zone de surcroît très réduite. En clair, l’alerte, façon « coupe-file », gagne le cerveau quasi-immédiatement. On comprend mieux pourquoi les fourmis décampent en un clin d’œil quand cela sent le roussi.
Pourra-t-on un jour vivre une expérience de « panique à la fourmilière » grâce aux outils de réalité virtuelle ? En attendant, les sensations sont déjà à portée… de narine, si l’on en croit cet article de Science & vie, grâce à des travaux menés par l’université municipale de Hong Kong. Deux dispositifs sans fil miniaturisés ont été testés, un patch à placer sous le nez embarquant deux odeurs et un masque (avec neuf senteurs). Leurs minuscules réservoirs sont garnis de pastilles de paraffine parfumées révélant leur fragrance lorsqu’elles sont chauffées. Les parfums du romarin, de l’ananas ou encore de la crêpe sucrée ont déjà été recréés. Le potentiel s’annonce immense pour le cinéma, les jeux vidéo ou encore l’éducation.
Dès septembre, une visite bien réelle attend les touristes et les passionnés de parfum à Grasse. Le Domaine de la rose, appartenant à la maison Lancôme (groupe L’Oréal), ouvrira officiellement au grand public et aux étudiants ses quatre hectares de jardins et sa vaste bâtisse, comme l’annonce Marie Claire. La vocation est double : présenter le patrimoine de la marque parisienne et informer sur les pratiques de fabrication vertueuses. Le site accueille la culture biologique de plantes et de fleurs comme la rose centifolia, la tubéreuse, le jasmin, l’iris… Il sera également possible de s’initier sur place aux procédés d’extraction et de distillation ou encore d’assister à des sessions de formation et à différents événements.
Grasse, toujours. Dans Le Figaro, on apprend que son maire Jérôme Viaud vient de créer un club européen des villes de la parfumerie afin de peser dans un nouveau débat sur la réglementation pour l’usage des huiles essentielles dans les produits cosmétiques. Bruxelles envisage en effet de réviser la réglementation en termes de classification, d’étiquetage et de mélanges, avec dans le collimateur les allergènes et les perturbateurs endocriniens que pourraient contenir les essences fabriquées à partir de matières premières cultivées dans l’arrière-pays grassois. Jérôme Viaud souhaite que ces préoccupations n’occultent pas les efforts de la filière autour de la naturalité, de la biodiversité et du savoir-faire.
Shinji Kanesaka n’a pas attendu une séance plénière ou quelque vote à main levée pour prendre la décision d’interdire purement et simplement l’usage du parfum dans son restaurant de sushis. Ce chef japonais doublement étoilé, à la tête d’un établissement de poche (treize couverts) ouvert depuis début juillet à Londres, met en garde son aimable clientèle : « Afin de garantir la meilleure expérience sushi (sic) possible, nous vous demandons d’avoir la gentillesse de ne pas porter de parfum », rapporte The Drinks Business. Quelques pschitts en moins au regard d’une addition moyenne de 420 £, c’est déjà quelques centimes d’épargnés.
La saveur et le goût des aliments dégustés par sa mère, le bébé à naître les perçoit déjà pendant la grossesse, selon une étude reprise par l’émission de France inter In utero, dans l’épisode « Le fœtus est un nez » – après celui sur « Le goût et l’odorat du fœtus » mentionné dans notre dernière revue de presse. La démonstration s’appuie sur les images médicales dévoilant le visage d’un fœtus trois quarts d’heure après l’ingestion de carotte et de chou. Sans réelle surprise, on y décèle un sourire en réaction au premier légume et une sorte de moue pour le deuxième. Mais l’hypothèse du chercheur Benoist Schaal est qu’une exposition répétée pourrait permettre aux nouveau-nés de mieux les accepter.
Devenus adultes, nous apprenons cependant à apprécier moults produits et fumets. Certains se piquent même au jeu de l’expérimentation, comme Akrame Benallal, autre chef étoilé, co-créateur avec le parfumeur Fabrice Pellegrin de la fragrance Adorem, imaginée à quatre mains lors d’un récent 1+1 pour Nez, la revue olfactive. Il s’apprête à relever un nouveau défi : concevoir des plats en collaboration avec des nutritionnistes pour les athlètes du village olympique lors des J.O. de 2024 à Paris. À l’initiative de Sodexo Live, au côté de ses pairs Amandine Chaignot et Alexandre Mazzia, Akrame Benallal a prévu de servir un « müeslinoa », muesli de quinoa croustillant, un plat 100% végétal « gourmand et texturé » préparé à la manière d’un riz pilaf puis gratiné au four. Comme il l’a confié dans l’émission RTL soir, le cuisinier se sent « responsable » des performances des compétiteurs.
Sieste, farniente, parties de pétanque… Sans vouloir aligner les clichés, voici sans doute les principales performances qu’il sera possible d’atteindre en portant des espadrilles cet été. La chaussure en toile à la semelle de corde séduit toujours. On lui reproche parfois sa rusticité, et sa fâcheuse tendance à favoriser les odeurs peu ragoûtantes. Mais 20 Minutes tente de balayer cette idée reçue, en mettant en avant la mise au point par le parfumeur montpelliérain Arthur Dupuy d’un spray accord pamplemousse censé garantir « un à deux mois » de tranquillité olfactive. De quoi tenir jusqu’à la rentrée.
Et c’est ainsi que les mouillettes ne servent pas qu’à déguster les œufs !
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Des pschitts et des claques. Mais pas que. Depuis 2020, l’équipe de La Parfumerie Podcast décerne ses coups de cœur et ses coups de griffe parmi les parfums commercialisés l’année précédente. Le palmarès 2022 a été dévoilé début juillet au cours d’une émission irriguée par l’esprit habituel : passion savante, verbe savoureux et absence totale de filtre.
Derrière le ton détendu de la fine équipe – qui s’est d’ailleurs étoffée depuis les débuts du podcast créé par Le Zen et L’Ancien – l’intransigeance est doublée d’une authentique sensibilité pour la culture olfactive. Au fil des saisons, les invités se sont multipliés pour des échanges qui ne mâchent pas leurs mots, assez éloignés du ton général auquel nous a habitués l’industrie du parfum. Mentionnons ainsi parmi les plus récents Mathilde Laurent, Maïté Turonnet (pour ouvrage Pot-pourri), Isabelle Larignon ou encore Marc-Antoine Corticchiato. L’équipe de Nez n’est pas en reste : Dominique Brunel, Jeanne Doré,Clément Paradis, et Sarah Bouasse ont chacun eu l’occasion de répondre aux questions des truculents organisateurs.
La sélection, touffue, ne compte pas moins de dix catégories (parfois poreuses puisque les lauréats peuvent récolter plusieurs récompenses). Ainsi, L’Eau des immortels de Voyages imaginaires, reconnue comme « pétage de nuque premium » s’impose dans la catégorie « Ravages » pour « son sillage atomique, texturé au max ». La parfumeuse Isabelle Doyen, qui a composé la fragrance au côté de Camille Goutal, est chaleureusement saluée pour cette création « grandiose ».
Côté « Héritage », Shalimar millésime tonka de Guerlain remporte la palme. Selon le Zen, l’Ancien et leurs acolytes, les parfumeurs Delphine Jelk et Thierry Wasser « ont parfaitement mené leur barque » en inscrivant cette déclinaison « dans la continuité d’une longue lignée » en le rendant accessible « à une jeunesse biberonnée aux bullshits ». Dont acte.
On croise également dans ce palmarès un « Savant fou », sous les traits de Giuseppe Imprezzabile de Meo Fusciuni (l’une des seules références étrangères dans ce classement très franco-français), pour Encore du temps, ainsi qu’un « Tireur d’élite » nommé… Dominique Ropion. Le parfumeur IFF, comparé au « boss de fin dans les jeux d’arcade », est honoré pour les trois fragrances historiques – Le Dieu bleu, Artaban et Les Nuits – recomposées pour Astier de Villatte.
Hors-catégories, les trois meilleurs parfums de 2022 sont Vétiver Bourbon de Parfum d’Empire (« Balle de Diamant »), L’Eau des immortels de Voyages imaginaires (« Balle d’Or ») et Milky Dragon par Isabelle Larignon (« Balle d’Argent »).
On vous laisse le plaisir de découvrir par vous-mêmes quels grands parfums rejoignent « Le Cercle des légendes » et quelle fragrance reçoit l’étiquette de « Ball-Crap » – le pire parfum en 2022 (!).
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Depuis 2019, porté par le Fonds Baudelaire, ce concours permet aux étudiants des grandes écoles de mettre leur inventivité au service de la capitale mondiale du parfum, notamment à travers la création d’une fragrance originale. Retour sur le dernier palmarès, annoncé le 17 juillet dernier dans les jardins de la Villa Fragonard.
L’invitation au voyage de Charles Baudelaire a su inspirer les étudiants en lice pour le prix 2023 du Jeune créateur de Grasse. Issus du MIP Master Marketing International de la Parfumerie et de la Cosmétique opéré par l’Essec, la Chaire Essec Beauty, l’Isipca, le CY Cergy, le Grasse Institute of Perfume (GIP), Cinquième Sens ou encore de l’École Supérieure du Parfum (ESP), les participants avaient pour mission de « faire valoir la ville de Grasse et ses savoir-faire en concevant le lancement d’un parfum ». Celui-ci devait impérativement faire écho à un texte, en l’occurrence un extrait tiré du poème LeVoyage[1]Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoiresNous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,Ces bijoux merveilleux, faits d’astres … Continue readingde Charles Baudelaire.
À travers trois catégories (Marketing, Plan de communication et Parfum), chaque étape-clé de la conception de la fragrance a été récompensée par un jury présidé par le parfumeur Fabrice Pellegrin (Firmenich). La remise des prix s’est déroulée dans les jardins de la Villa Fragonard le 17 juillet dernier, en présence du maire de la commune, Jérôme Viaud.
Le brief de départ, proposé par les candidats de la catégorie Marketing, imaginait « un parfum né de la rencontre entre un enchanteur curieux et intrépide et les richesses olfactives offertes par une nature variée ». Dès lors, plusieurs matières premières emblématiques émergeaient de ce voyage autour du globe, parmi lesquels la rose (Moyen-Orient), la tubéreuse (Inde) et le cuir dont l’odeur hante les tanneries de Grasse. De quoi composer un accord pour le parfum nommé Les 100 Ciels par les élèves concourant dans la catégorie Plan de communication, en résonance avec le leitmotiv de la ville de Grasse (« Le goût de l’essentiel »).
Les étudiants de ESSEC Beauty Chair (Thomas Gutton, Lise Chapolon et Gasparine Garrigues) aux côtés de Véronique Drecq, créatrice de la Chair
91 versions de la fragrance ont été soumises au jury par 30 étudiants de l’Isipca, du GIP, de Cinquième Sens et de l’ESP. Parmi les déclinaisons les plus abouties et facettées et après plusieurs essais sur mouillettes et sur peau, le jury a retenu 5 fragrances pour finalement décerner le Prix 2023 à Meng Zhang, étudiante au GIP depuis deux ans et originaire de Chine. Avec sa composition, la lauréate a souhaité « rendre hommage à l’emblématique rose centifolia de Grasse et à sa minéralité pétillante ». Les notes de départ suggérées par celle-ci sont adoucies par « la texture soyeuse, lactée et légèrement verte de la tubéreuse puis réchauffée par la tonalité boisée et fumée d’un cuir patiné par le désert ». Anne-Lise Perrin (Isipca) et Ilona Carrat (ESP) ont reçu, ex-aequo, le deuxième prix du concours.
Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoires Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers ! Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires, Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile ! Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons, Passer sur nos esprits, tendus comme une toile, Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.
Dites, qu’avez-vous vu ?
(Le Voyage (extrait), de Charles Baudelaire
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a ceux qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Semaine après semaine, ils sont désormais plusieurs à nous avoir conté leur rapport à une création, et l’influence parfois inconsciente de celle-ci sur leur manière de composer. Aujourd’hui, Dora Baghriche, créatrice de parfums chez DSM-Firmenich, nous parle d’un iris avec un grand H, celui d’Hermès.
C’est par le H d’Hiris que j’ai découvert le H d’Hermès. J’ai moins de vingt ans, je n’aime que les eaux fraîches, les citrons, les nérolis, rien d’autre ; influence de ma grand-mère collectionneuse d’eaux de cologne. Et vient le jour où je tiens pour la première fois ce flacon tout bleu, d’un bleu profond comme ma Méditerranée, bleu comme les faïences de notre maison andalo-mauresque d’Alger que j’ai quittée pour vivre à Paris. Hiris, un iris avec un H, ce H placé bizarrement qui m’a immédiatement ramenée au H silencieux de mon propre nom, ce H qui hache mon nom, qui le rend si difficile à prononcer, BagHriche, un H qui a été successivement ôté puis remis puis ôté puis finalement remis par mes aïeux. Entre Hiris et moi c’est, dès les premières secondes de notre rencontre, une histoire de lettre, une histoire de « l’être ». Et puis je le sens, et nos liens sont définitivement scellés, si je puis dire.
Un parfum frais, presque froid, austère et tendre à la fois, qui me murmure « tiens-toi droite, debout, et continue de rêver ». Je suis une jeune étudiante qui se met un peu trop de pression, des parents brillants, perfectionnistes, amoureux de l’excellence, Hiris est un allié et fait le pont entre la tendresse et la discipline, le lâcher-prise et le combat. Ce n’est vraiment pas un parfum de jeune fille, en tous cas pas celui que mes copines portent, trop raide, pas un brin de sucre, sérieux, hirsute.
Mais pour moi il est simple, parfait, et si puissant dans son message. Écorces, rhizomes, graines, j’y puise une force incroyable et j’ai depuis Hiris cette passion pour ces matières terriennes, protectrices, à très haute énergie, porteuses de vie et de renouveau, les racines et les semences, iris, carotte, angélique, ambrette, comme la conviction que le plus beau est toujours enfoui. C’est de là que viennent mes créations comme You de Glossier et son ambrette en majesté, Iris Meadow d’Aerin, si singulier avec son départ très vert, ou encore Iris Malika de Chopard, chaud, suave, oriental. Hiris est toujours un livre d’inspiration, comme les livres sacrés ou les contes pour enfants : on y revient souvent pour vérifier qu’on en a saisi tous les messages, toutes les émotions. Je l’ai senti de nouveau il y a une semaine : le flacon a perdu son opacité ; le jus est aussi légèrement plus « clair » ; mais c’est ce départ vert froissé qui m’a émue comme au premier jour. Coriandre, galbanum, amertume vibrante et addictive qui caractérise la maison Hermès. Je pense avec grande nostalgie au flacon bleu profond de mon adolescence, mais je sais qu’Hiris va poursuivre son chemin et faire son comeback. Les chefs-d’œuvre ne meurent jamais, comme on dit. Hamen !
Après des études à l'Isipca, Dora Baghriche a été formée chez Firmenich, à Genève puis New-York. Elle est désormais créatrice de parfums senior pour la maison de composition à Paris.
Elle a notamment signé Caligna pour L'Artisan parfumeur, Mon Paris d'Yves Saint Laurent (avec Olivier Cresp et Harry Fremont), You de Glossier, Faux-semblant pour Givenchy, Iris Malika pour Chopard, ou encore Fame de Paco Rabanne.
Elle a également écrit Le Goût des senteurs aux éditions Mercure de France.
Parfumeur de la maison Guerlain depuis 2008, Thierry Wasser est le premier qui n’en porte pas le nom. Avant cela, il a travaillé pour les sociétés Givaudan et Firmenich, à New York et à Paris. On lui doit des succès comme Dior Addict ou Hypnôse de Lancôme et, pour Guerlain, Idylle, L’Homme idéal ou Mon Guerlain, notamment.
Pour fêter l’anniversaire de Thierry Wasser ce mercredi 19 juillet, nous vous proposons de (re)lire l’entretien publié dans Une histoire de parfums, publié aux éditions Nez. Il nous y raconte l’histoire d’Habit rouge, qui a marqué la parfumerie masculine des années 1960 comme sa propre vie.
Comment est né Habit rouge ?
Jean-Paul Guerlain avait deux passions avouables : l’équitation et la parfumerie. Le cheval, c’est très Guerlain : tout le monde dans la famille aime monter, et il y a une petite écurie dans la propriété des Mesnuls, près de Rambouillet. Avec Habit rouge, Jean-Paul a voulu rendre hommage à l’univers de l’équitation – le nom du parfum renvoyant à la veste typique de la chasse à courre, mais surtout à la tenue que l’on revêt lors des concours hippiques. Pour les parfums féminins, il s’inspirait des femmes qu’il voulait séduire. Pour celui-ci, l’histoire est plus personnelle, on se situe moins dans la séduction.
Quelle était la situation de Guerlain dans les années 1960 ?
La maison était dans une dynamique d’expansion, mais elle vivait une époque charnière : avec la mort de Jacques, en 1963, c’est une partie de l’âme de Guerlain qui s’en est allée. Il avait progressivement transmis le flambeau à Jean-Paul, son petit-fils. Ode avait ainsi été conçu à quatre mains en 1955 ; pour Vétiver, en 1959, Jacques était encore dans l’ombre ; puis Chant d’arômes, en 1962, a été le véritable passage de témoin. Quand Jacques l’a senti, il a souri, et Jean-Paul a compris qu’il l’adoubait – ce dernier en parlait avec émotion des années plus tard. C’est l’amour de son grand-père qui l’a construit, aussi bien en tant que parfumeur qu’en tant qu’individu.
Quel était le visage de la parfumerie masculine à l’époque ?
Il n’y avait pas pléthore d’offre : les parfums masculins étaient bien moins nombreux que les féminins. Jean-Paul Guerlain avait tout de même un sacré précédent à son actif avec Vétiver. Quant au reste, Pour un homme de Caron était incontournable, mais la plupart des autres masculins se situaient dans des registres plus frais : Moustache de Rochas, Pour Monsieur de Chanel, Monsieur de Givenchy…
Comment décririez-vous Habit rouge ?
Lorsque l’on regarde sa construction, on pourrait dire que c’est le petit-fils de Shalimar : on retrouve la fraîcheur alliée à un fond ambré. De la même manière que Pour un homme est une vanille/lavande, Habit rouge est une vanille/bergamote. Cette dernière est accompagnée de citron, de limette et de mandarine : la dimension hespéridée est très importante en tête, pour évoquer la vitesse du cheval et la fraîcheur de l’air. On a ensuite un côté aromatique, agreste, avec de l’absinthe rappelant les herbes des prairies qui laissent leur empreinte sur les bottes du cavalier, et un aspect très fleuri avec beaucoup de néroli, de jasmin, de rose. Enfin, il y a cette note cuir qui représente la puissance de l’animal, mais qui est habillée d’une vanilline venant tout droit de Shalimar. Ce parfum est une tuerie !
Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette note cuir ?
C’est une base Firmenich. Jean-Paul avait fait un stage dans la société à Genève au début des années 1960. Il en est revenu transformé : il avait passé beaucoup de temps avec Robert Firmenich, un des dirigeants, amateur d’équitation, et une très grande amitié était née. Il avait senti là-bas une base qu’il a utilisée en quantité importante dans Habit rouge. C’est un cuir très construit, avec une certaine souplesse, soulignée par les méthylionones, mais surtout un côté fumé, pyrogéné.
La formule est-elle complexe ?
Elle est relativement simple, avec une ou deux bases. Puisque seule la famille Guerlain avait accès aux formules et effectuait les pesées, Jean-Paul m’a toujours dit : « Je suis fainéant, donc je préfère les formules qui ne sont pas très longues. » Cette approche concise est typique du style Guerlain.
Habit rouge a-t-il connu le succès dès sa sortie ?
Je ne suis pas certain qu’il ait très bien fonctionné tout de suite. Le parfum a été perçu un peu curieusement, à la manière d’un Janus, à deux visages, avec ce côté fleuri symbole d’élégance et ce cuir évoquant la puissance de l’animal. Cette ambivalence a été considérée comme déroutante. Mais la spécificité de Guerlain, maison familiale spécialisée dans la beauté, consistait à laisser aux produits le temps nécessaire pour s’installer. Habit rouge est peu à peu devenu un best-seller et il continue de l’être aujourd’hui en France.
Comment la formule a-t-elle évolué ?
Elle a très peu bougé. Le plus gros changement, c’est que le musc ambrette, désormais interdit, a dû être remplacé.
Vous avez un lien personnel très particulier avec ce parfum. Que représente-t-il pour vous ?
J’ai choisi Habit rouge à l’âge de 13 ans, pour me déguiser en mec ! À l’époque, ma tête de poupon me valait des attaques continuelles de mes petits camarades. J’ai réagi à travers cette eau de toilette que j’avais découverte grâce à un ami de ma mère, en me disant : « Ça, c’est du mec ! » Et à partir du moment où j’ai porté Habit rouge, je sais que mon attitude a changé. Aujourd’hui, je le porte toujours, même si je ne le sens plus. J’en remets toute la journée: j’en ai une fiole de labo dans la poche, un flacon dans la voiture, un au bureau… Et on me dit souvent: « Qu’est-ce que tu es parfumé ! » C’est un exhausteur d’estime de soi, et tant pis si tout le monde déguste !
Cet entretien est initialement paru dans Une histoire de parfums écrit par Yohan Cervi et publié aux éditions Nez.
Devenue journaliste après des études d'histoire, elle a exercé sa plume pendant dix ans au Nouvel Observateur, où elle a humé successivement l'ambiance des prétoires puis les fumets des tables parisiennes. Elle rejoint l'équipe d'Auparfum, puis de Nez, en 2018 et écrit depuis pour les différentes publications du collectif, notamment dans la collection « Les Cahiers des naturels », ou encore Parfums pour homme (Nez éditions, 2020).
Cette semaine, la chaleur nous l’aura bien rappelé : c’est l’été. L’occasion rêvée pour bouquiner, papillonner entre les textes, entre un mojito et un plongeon (ou entre deux arrêts de métro !). Nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir quelques-uns de nos derniers ouvrages.
Commençons par un festival – c’est la saison – d’odeurs, en nous immergeant dans l’anti-encyclopédie signée Maïté Turonnet. Pionnière du journalisme parfum, l’autrice propose dans Pot-pourri un kaléidoscope érudit mêlant histoire de la création, coulisses de l’industrie, souvenirs personnels et citations littéraires. Ses quelque 271 chapitres brefs et incisifs, qui se picorent allègrement, en font la lecture estivale par excellence. Nous en proposons un avant-goût sur le site avec cette évocation de Brian Eno.
Retrouvailles, nouveaux paysages, nouvelles rencontres… En vacances, quantité de souvenirs sont emmagasinés. Ceux-ci sont étroitement associés à l’odorat, comme l’expliquent Hirac Gurden et Eugénie Briot dans leur échange « L’Odorat au passé et au présent – Quand la madeleine de Proust rencontre les neurosciences » dans Nez#15. Ce dernier numéro consacré aux liens entre les odeurs et le temps vous escorte sur les traces des effluves (presque) disparus de nos ancêtres, s’interroge sur la durée – toujours plus longue – de la tenue des fragrances et se penche sur l’urgence des projets en parfumerie, confrontée au rythme lent de la nature.[1]En passant, nous vous invitons à écouter le podcast Smell talks enregistré à l’occasion de son lancement
L’importance des naturels dans l’histoire de l’industrie, c’est justement le credo de Mandy Aftel. Spécialiste de la question, elle a exposé sa vision d’un art hérité de traditions ancestrales et de l’alchimie médiévale dans un ouvrage de référence paru en anglais en 2001. Déjà traduit dans une dizaine de langues, Essences & Alchimie – Un guide du parfum au naturel est enfin disponible en français aux éditions Nez, grâce au travail de la journaliste Sarah Bouasse. À la fois guide historique et pratique, il dévoile pas à pas les bases de la création et propose même une liste de matériel et de matières premières pour oser se lancer.
Parmi les fleurs à parfum les plus emblématiques, le jasmin et la tubéreuse sont à l’honneur cet été : leur récolte aura lieu en août. Chacune a fait l’objet d’un ouvrage dans la collection « Nez+LMR Cahiers des naturels », qui offre un panorama des matières premières naturelles (histoire, symbolique, botanique, culture, chimie…) et de leur usage en parfumerie. On y retrouve, entre autres, un entretien avec le chef Yves Terrillon, fondateur de La Cuisine des fleurs, qui nous confie sa recette de tagliatelles aux tubéreuses séchées. Et pour se rafraîchir, rien de tel que le Citron, dernier arrivé dans la collection. Cet agrume est l’un des exemples emblématiques de l’upcycling en parfumerie. Son essence acidulée, zestée et juteuse dynamise nos mojitos… et nos colognes. À lire sans modération.
Et vous, quel parfum préférez-vous l’été ? Êtes-vous plutôt tubéreuse diffusive et tenace à la Poison, parfums marins, claque végétale à la Vent Vert de Germaine Cellier, ou Eau de Rochas ? Chacun d’eux a une histoire propre, s’ancre dans une époque, qui se diffuse aussi dans votre sillage. Pour comprendre comment la parfumerie moderne a vu le jour et s’est construite, la lecture d’Une histoire de parfumsest tout indiquée. Yohan Cervi y offre une perspective passionnante en reprenant l’émergence de grandes tendances qui ont façonné notre passé et qui participent à notre actualité olfactive. On y découvre notamment que l’Huile de Chaldée (1927) de Jean Patou, avec son bouquet de fleurs blanches et ses notes ambrées donneront le « la » des fragrances des produits solaires appréciés en Europe jusqu’à nos jours !
Pour compléter en beauté vos lectures estivales, nous aurons le plaisir de vous offrir un exemplaire de Niche by Nez – notre nouvelle revue dédiée à la parfumerie de niche – pour tout achat supérieur à 40€ sur notre site.
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
En plein mois d’août 2021, nous étions contactés par Mandy Aftel, papesse de la parfumerie naturelle. À peine deux ans plus tard, nous publiions Essences & Alchimie, la version française de son best-seller déjà traduit en une douzaine de langues. Retour sur sa genèse.
Il y a presque deux ans, en plein mois d’août 2021, j’ai reçu un mail de Mandy Aftel, papesse de la parfumerie naturelle, qui me demandait si Nez voulait publier son prochain livre. De fil en aiguille, on en est venues à évoquer son best-seller Essence & Alchemy, qui bien que traduit dans plus d’une douzaine de langues depuis vingt ans, ne l’avait jamais été en français. Bien sûr, j’en avais entendu parler, mais je ne l’avais jamais lu. Mandy Aftel est moins connue ici que dans son pays, les États-Unis, où elle est régulièrement qualifiée par la presse comme étant « un des talents les plus prolifiques » (Vogue), l’« ange de l’alchimie » (Vanity Fair) ou encore « la parfumeuse naturelle la plus engagée » (New-York Times). Elle a publié six livres, créé une multitude de parfums pour sa marque Aftelier Perfumes[1]Vous pouvez découvrir le site internet d’Aftelier Perfumes en cliquant ici. et a fondé un merveilleux petit musée à Berkeley, où elle vit : the Aftel Archive of Curious Scents, véritable cabinet de curiosités consacré à l’histoire de la parfumerie et de ses matières premières. Elle a même un prix qui porte son nom au sein des Art & Olfaction Awards, pour récompenser les créations de parfumeurs artisanaux à travers le monde. Bref, Mandy, c’est une institution.
Au bout de quelques semaines, elle a finalement trouvé un éditeur américain pour son nouveau livre et nous nous sommes concentrés sur ce projet de traduction, en compagnie de Sarah Bouasse, journaliste, notamment pour la revue Nez depuis ses débuts, mais aussi pour Elle ou The Good Life. Elle est par ailleurs la co-autrice, avec Mathilde Laurent, du livre Sentir le sens, publié par Nez l’an dernier. On connaissait son penchant depuis un certain temps pour la parfumerie naturelle, les plantes à parfums, la création… Mais aussi un tropisme pour la pédagogie des odeurs, car elle est également membre active de l’association Nez en herbe, qui œuvre pour une culture olfactive auprès des plus jeunes. Elle n’avait encore jamais traduit un livre en entier, mais il faut un début à tout.
Aujourd’hui nous sommes fiers de présenter Essences & Alchimie, un guide du parfum au naturel, paru le 22 juin, et disponible dans toutes les bonnes librairies, parfumeries et autres lieux qui voudront bien l’accueillir !
Ce livre a non seulement été une véritable bible pour de nombreux parfumeurs dans le monde entier, qu’ils se soient formés seuls ou dans des écoles spécialisées, mais c’est surtout une déclaration d’amour aux essences naturelles, qui s’adresse à tous les passionnés d’odeurs, quels qu’ils soient. Elle-même autodidacte, Mandy Aftel donne comme personne l’envie de sentir et de créer, invitant à découvrir et jouer avec les essences comme on jouerait avec des tubes de peinture, en amateur éclairé ou en simple curieux. Entre alchimie et parfumerie, histoire et aromachologie, théorie et pratique, loin de tout dogmatisme, de toute considération commerciale ou marketing, elle aborde la parfumerie dans ce qu’elle a de plus riche et de plus simple, mais surtout comme un plaisir pur, en nous transmettant sa passion de manière virale.
Pour ceux qui n’y verraient de prime abord qu’un livre qui prônerait les naturels au détriment des synthétiques, il n’en est rien. Loin d’un quelconque discours opportuniste qui clamerait haut et fort une supériorité ou un bilan plus « clean » des essences sur les molécules de synthèse, il s’agit avant tout de proposer une approche très sensorielle, mais surtout artisanale, libre et décomplexée de la création. En effet, pour un amateur, il est beaucoup plus facile de se tourner vers les matières naturelles, largement plus accessibles aux particuliers que les molécules de synthèse. De plus, l’essor récent de l’aromathérapie a favorisé la disponibilité d’essences de qualité, issues de petits producteurs exigeants qui offrent aujourd’hui une large palette pour tous ceux et celles qui souhaitent se lancer dans l’expérience. N’oublions pas que, pendant des millénaires, la parfumerie a existé sans la synthèse, apparue au XIXe siècle ; on peut donc voir dans cette pratique entièrement naturelle un retour à une approche traditionnelle, renouant avec les fonctions thérapeutiques et sacrées de la création olfactive. Attention, tout cela devient vite addictif… Comme l’a écrit Sarah Bouasse : « Je décline toute responsabilité s’il vous donne envie d’acheter un bécher et de vous y mettre vous aussi. »
Maintenant que vous savez tout ça, à vous de lire… et surtout, de sentir !
Si vous voulez entendre et voir Mandy Aftel évoquer la genèse de son livre, vous pouvez cliquer ici pour accéder à une interview en ligne menée par Sarah Bouasse à l’occasion du lancement.
Vous pouvez découvrir le site internet d’Aftelier Perfumes en cliquant ici.
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Jeanne Doré
La cofondatrice du magazine en ligne Auparfum et de Nez a deux passions : sentir et écrire.
The cofounder of online magazine Auparfum and Nez is passionate about
two things: smelling and writing.
Producteur d’expériences, de festivals et de concerts, Cercle met en valeur les patrimoines culturels et naturels en liant musique, esthétique et découverte. Début 2022, l’organisation est contactée par Ugo Charron, parfumeur chez Mane et lui-même membre du groupe d’indietronic Cosmic Gardens. De leurs échanges est née une signature olfactive pour Cercle et ses événements musicaux. Testé pour la première fois à Séville sur la Plaza de España en avril, le parfum Golden Hour sera diffusé le 10 juillet prochain à Genève, pour un concert devant la Cathédrale Saint-Pierre.
Nés dans l’appartement de son fondateur Derek Barbolla à Paris en 2016, les lundis de Cercle avaient lieu initialement toutes les semaines. Quelques millions d’abonnés plus tard, répartis entre Youtube, Instagram et Facebook, les rendez-vous se sont espacés alors que la préparation, la production et la communication se sont enrichies. Devenus experts dans la mise en images et la diffusion d’événements musicaux à travers le monde, les membres de Cercle visent aujourd’hui à valoriser le patrimoine culturel et naturel à travers des expériences uniques et mémorables : les shows ont régulièrement lieu sur des sites répertoriés par l’Unesco. « Il y a 4 ans environ, nous avons amorcé une grande réflexion sur l’expérience vécue par les personnes qui se rendent à nos événements. Nous souhaitons que la participation à un Cercle Show devienne un souvenir marquant dans la vie de l’individu : pour cela, nous avons repensé la scénographie, et c’est de cette réflexion qu’est venue à Derek l’idée d’une signature olfactive », explique l’équipe de Cercle.
Parfumeur chez Mane à New York depuis 2020, Ugo Charron est aussi musicien. Amateur de musique électronique depuis l’adolescence après une formation initiale au piano, il fait partie du duo Cosmic Gardens créé avec Clément Mercet en 2019. Ensemble, ils expérimentent régulièrement l’odorisation de leurs concerts, comme en juin 2022 au Lincoln Center et plus récemment au National Sawdust à Brooklyn. Pour lui, « la parfumerie et la musique sont deux univers invisibles qu’il faut matérialiser par un langage commun pour le rendre compréhensible. Je pense que l’on peut parler de langage synesthésique. »
Rapprocher les domaines olfactif et musical pour créer des événements immersifs et mémorables s’appuie sur le fait que les expériences dont on se souvient le mieux sollicitent tous nos canaux de perception. D’ailleurs, comme le rappelle l’équipe de Cercle : « On dit souvent que les souvenirs ont une odeur. La mémoire olfactive a un formidable pouvoir émotionnel qui nous a donné envie de développer une scénographie intégrant cette dimension propice à la création de souvenirs, capable de laisser une empreinte durable dans l’esprit de notre communauté. Notre première signature, Golden Hour, est aussi un moyen pour nous de continuer à approfondir cette recherche de sensorialité et d’expérientiel. »
C’est finalement la rencontre provoquée inopinément par Ugo Charron au détour d’un message sur Instagram à Philippe Tuchmann, directeur artistique de Cercle, qui a permis à l’entreprise de développer ce projet et de dépasser les contraintes techniques inhérentes à ce type d’événements. En effet, odoriser un espace de plusieurs milliers de mètres carrés, exposé au vent, au soleil, et parfois même à l’eau ne s’improvise pas. Tous ces facteurs complexifient la mise en place d’une diffusion homogène du parfum, ce qui est néanmoins essentiel pour assurer une expérience équivalente aux participants à chaque session. Soutenu techniquement par Mane et ScentAir, partenaire pour l’odorisation des lieux, le jeune parfumeur s’est emparé avec détermination et enthousiasme de ce projet. Et pour ce développement, les ponts naturels entre la musique et le parfum ont permis aux deux parties d’initier des échanges enrichissants qui se sont transformés depuis en une relation d’amitié. « J’avais quelques intuitions avant que l’on se rencontre. Nous avons organisé une séance olfactive avec Derek, Anaïs, Lola et Marcelo. L’équipe Cercle a vraiment souhaité prendre le temps de sentir les matières premières de Mane, ce qui a fait une vraie différence pour moi. Cela m’a permis de capter leurs ressentis authentiques. Même si le parfum était un univers totalement nouveau pour eux, notre sensibilité commune pour la musique nous a permis de nous comprendre facilement. Les mots choisis pour décrire leurs émotions en sentant étaient très pertinents », raconte Ugo Charron.
En amont de la rencontre avec le parfumeur, l’équipe de Cercle avait organisé un atelier créatif pour définir ce que la signature olfactive devait communiquer : « Parmi les mots cités, nous avions par exemple “envoûtant, liberté, légèreté, aérien, fête, voyage, coucher de soleil”… » Pour la traduction en odeurs, Ugo Charron explique être parti du brief initial mais aussi des réactions et des goûts de l’équipe lors de la séance d’olfaction : « La bergamote durable d’Italie a fait l’unanimité. Derek adore le café, il m’a demandé si c’était possible d’en intégrer. » Un détail qui, au-delà d’être amusant, a permis d’apporter de la nervosité et du mordant à la note à travers l’utilisation d’un captif de la palette Mane, le Coffeewood. En contrepoint, et pour permettre au plus grand nombre de s’approprier le parfum puisque les concerts ont lieu partout dans le monde, la fleur d’oranger a été choisie : cette dernière est en effet un référentiel rassurant et relativement universel. La fève tonka, l’iris et l’Orcanox upcycled (un captif à l’effet boisé ambré doux) reflètent la chaleur visuelle des shows de l’organisation. En effet, ceux-ci ont toujours lieu au moment du coucher du soleil, où l’espace et les personnes baignent dans la lumière enveloppante de la « golden hour »qui donnera son nom au parfum. « Un des noms de soumissions était d’ailleurs « Sunset BPM [Battement Par Minute] », note le parfumeur.
Golden Hour a été diffusé pour la première fois en avril lors du concert de l’artiste Mochakk sur la Plaza de España à Séville, dont les rues, à cette époque de l’année, étaient baignées par l’odeur de la fleur d’oranger. Coïncidence amusante puisque Ugo n’avait pas connaissance du lieu de présentation de Golden Hour au moment de sa fabrication ! À la suite de cette première diffusion qui aura été un vrai challenge technique (5000 personnes, 31000 m2 à odoriser en tenant compte du vent), les retours positifs des festivaliers sont venus encourager l’entreprise à poursuivre le dispositif : « De nombreuses personnes ont jugé le parfum comme parfaitement en accord avec l’image de Cercle, une senteur solaire aux arômes de vacances, de bien-être et de liberté ! Golden Hour est désormais pour nous l’identité olfactive de nos Cercle Shows. Toute l’histoire fait sens. Pourquoi pas, dans le futur, imaginer des créations olfactives dédiées à chacune de nos activités ? Mais nous souhaitons prendre les choses une par une, sans nous précipiter, pour donner à Golden Hour la visibilité qu’il mérite. »
Vous pouvez retrouver la vidéo du concert de l’artiste Mochakk sur la Plaza de España à Séville, où a été diffusé Golden Hour pour la première fois, sur le compte Youtube de Cercle.
Il existe autant de façons de composer un parfum qu’il existe de créateurs. Nez vous invite à découvrir leur parcours, leur pratique et leur vision.
Pierre Gueros, parfumeur senior chez Symrise à Paris, cultive un secret. Au sud de Carpentras, dans le Vaucluse, il veille sur un îlot de nature préservé de deux hectares. Dans ce jardin extraordinaire, qu’il rejoint dès que son emploi du temps le lui permet, s’épanouissent des dizaines de variétés de plantes et d’essences méditerranéennes. Quand il ne compose pas des parfums pour Avon, Carolina Herrera, Natura ou encore L’Orchestre parfum, c’est là qu’il vient se ressourcer loin de la capitale… Un lieu idéal pour en savoir plus sur son parcours, ses inspirations et sa sensibilité de créateur.
Ce podcast vous est raconté par Guillaume Tesson.
Crédit photo : @sud.drone
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Le 27 juin 1880 naissait Helen Keller (1880-1968), autrice et militante américaine qui a perdu la vue et l’ouïe à l’âge de deux ans. Le développement de son odorat, mais également de sa perception du monde en général sont ici analysés par l’historienne des odeurs Caro Verbeek. L’occasion aussi d’évoquer la figure moins connue de Julia Brace (1807-1884), également sourde et aveugle, élève puis employée de l’American School for the Deaf à Hartford.
Lorsque l’on songe à des personnalités historiques privées à la fois de la vue et de l’ouïe, le nom d’Helen Keller vient rapidement à l’esprit. L’autrice s’est en effet non seulement distinguée parmi ses pairs, mais de manière plus générale, par son éloquence et son intelligence. On la connaît aujourd’hui encore pour son autobiographie plusieurs fois rééditée, intitulée Sourde, muette, aveugle : histoire de ma vie (en anglais : The Life of Helen Keller). Aînée d’une fratrie de deux enfants, Helen Keller est née à Tuscumbia, en Alabama, où elle a grandi. C’est après avoir perdu la vue et l’ouïe à l’âge de deux ans qu’elle apprend à communiquer par le toucher grâce à sa tutrice, Anne Sullivan. Helen venait donc à peine de découvrir l’existence des mots lorsque celle-ci dessina, dans la paume de la petite fille, un signe pour représenter l’eau, tout en faisant couler un filet d’eau sur sa main. Le toucher et l’odorat devinrent alors pour elle des outils nécessaires pour acquérir des connaissances, se déplacer, communiquer, apprécier l’art et, comme elle le disait elle-même, pour ressentir de la joie. Ces sens, intimes par essence dans la mesure où ils requièrent une proximité physique, étaient devenus chez elle si aiguisés qu’ils lui permettaient de découvrir l’univers au-delà de la simple portée de son bras, mais aussi de conceptualiser des notions philosophiques comme l’amour ou la beauté – et ce, bien que ceux-ci ne puissent être touchés ni sentis, ou du moins pas directement. Ses descriptions et réflexions sur notre monde commun, ainsi que sur les œuvres d’art qui l’habitent, se distinguent par leur profondeur et leur exhaustivité, tout en étant également pertinentes pour ceux qui voient et entendent. Je dirais même que ceux qui ont la capacité de voir et d’entendre pourraient percevoir plus de choses s’ils utilisaient pleinement tous leurs sens.
Helen Keller est particulièrement populaire au sein des spécialistes de l’olfaction, et notamment citée pour sa description de ce sens comme « un magicien puissant qui serait capable de parcourir des centaines de kilomètres et toutes les années que l’on a vécues. L’odeur des fruits me téléporte dans ma maison du sud, au beau milieu de mes jeux d’enfance dans le verger de pêchers. […] Même lorsque je ne fais que penser aux odeurs, mon nez est plein de celles qui réveillent les doux souvenirs d’étés passés et de champs mûrissants au loin »[1]Helen Keller, The World I Live in, 2013, première impression 1908. Cette citation a été publiée vingt ans avant le célèbre roman de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, dans lequel il décrit ce qui est désormais appelé « la mémoire proustienne » – une mémoire non-intentionnelle, pouvant facilement être réveillée notamment par l’odorat qui avait une place centrale dans l’œuvre de l’auteur. Nous reviendrons à l’extraordinaire sens de l’olfaction d’Helen Keller, mais c’est d’abord son interaction avec le monde – même avec la musique –, par l’intermédiaire d’autres sens, que nous commencerons à aborder.
Une « réorganisation » de la perception
Certes, les personnes sourdes et aveugles doivent recourir aux « autres » sens, mais pas seulement pour compenser l’absence de ceux qu’ils n’ont pas : si l’on entend souvent dire que les sens fonctionnels deviennent plus aiguisés, il faudrait plutôt parler d’une « réorganisation de la perception ». Comme l’explique Piet Devos, spécialiste de la sensorialité et du handicap, les informations provenant des différents sens sont en effet combinées d’une tout autre manière, car les catégories perceptuelles des personnes sourdes et/ou aveugles ne sont pas les mêmes que celles des personnes voyantes et entendantes. La « réalité » visuelle est considérablement distincte de la réalité haptique.[2]Le qualificatif d’haptique renvoie au toucher au sens large : pas seulement au contact physique cutané, mais aussi aux sensations de douleur, chaleur, forme, vibration…Une personne voyante perçoit par exemple son propre corps comme étant le centre de son environnement, tandis que pour les personnes malvoyantes, ce centre change sans cesse, se définissant aussi par ce qui est touché. Bien entendu, le toucher, l’odorat et – comme je le montrerai brièvement – la vibration ont été essentiels pour Helen Keller ; mais c’est aussi leur interaction qui a été recalibrée.
La beauté haptique et les vibrations de Beethoven
Helen Keller est partie à la découverte des sites culturels, technologiques et naturels des États-Unis. La violence et la grandeur des chutes du Niagara l’ont submergée, émerveillée : elle les ressentait dans son corps tout entier. Mais les éléments les plus petits pouvaient eux aussi l’émouvoir : elle était ainsi fascinée par les vibrations délicates des ailes des insectes fragiles qu’elle dégageait doucement des fleurs dans lesquelles ils s’étaient parfois laissés piéger, en prenant soin de ne pas les blesser. C’est aussi grâce à la vibration qu’elle a pu apprécier la célèbre Neuvième Symphonie de Beethoven (qu’il composa alors qu’il était lui-même devenu sourd), dont elle fit l’expérience par l’intermédiaire d’une radio. Elle avait placé ses mains sur celle-ci, après que quelqu’un en avait retiré l’étui : « Quelle ne fut pas ma stupéfaction de découvrir que je pouvais ressentir non seulement la vibration, mais aussi le rythme passionné, la pulsation et l’élan de la musique ! Les vibrations entrelacées et entremêlées des différents instruments m’enchantaient. Je pouvais distinguer les trompettes, le grondement des tambours, les altos et les violons aux sonorités profondes chantant à l’unisson de manière exquise. La si jolie mélodie des violons s’écoulait et se répandait sur les sons plus profonds des autres instruments ! »[3]Helen Keller, The Auricle, Vol. II, No. 6, Mars 1924. American Foundation for the Blind, Helen Keller Archives. Elle percevait la dimension esthétique des sculptures qu’on l’avait autorisée à toucher au musée des Beaux-Arts de Boston, ce qui l’amenait à réfléchir à la véritable nature de l’art visuel : « Je me demande parfois si la main n’est pas plus sensible à la beauté de la sculpture que ne l’est l’œil. J’ai l’impression que le merveilleux flux rythmique des lignes et des courbes peut être ressenti de manière plus subtile qu’il ne peut être vu ».[4]Helen Keller, The Story of my Life, Bantam Books, 1988, première impression 1903. Le rythme n’est évidemment pas propre à un seul sens : il peut être vu, entendu, ressenti, tant par l’intermédiaire de la peau que par ce sens intérieur que l’on appelle la kinesthésie, qui nous permet d’avoir conscience du mouvement, du poids et de la position de nos membres et de notre corps dans l’espace. Helen Keller pouvait non seulement percevoir le rythme, mais aussi l’intention artistique et les émotions : « Les musées et les boutiques d’art font partie de mes grandes sources de plaisir et d’inspiration. […] Je prends un réel plaisir à toucher de grandes œuvres d’art. Lorsque mes doigts suivent les lignes et les courbes, ils devinent la pensée et l’émotion que l’artiste a représentées. […] Mon âme se délecte du repos et des courbes gracieuses de Vénus ; et dans les bronzes de Barré, les secrets de la jungle se révèlent en moi. »[5]Helen Keller, The Story of my Life
Aphrodite grecque ou romaine, datant du Ies av J.C – 2es ap. JM. Helen Keller l’a peut-être touchée : elle faisait partie des collections du Museum of Fine Arts de Boston en 1900.
Si les sensations haptiques peuvent procurer un plaisir esthétique et une forme de connaissance pour les individus dotés de la vue, Helen Keller était souvent surprise – et à bon droit – de constater que ceux-ci ne réalisaient pas que l’oeil et l’oreille n’étaient pas les seuls vecteurs de sensations : « Ils oublient que tout notre corps reste à l’écoute de tout ce qui se passe autour de lui. Les grondements et rugissements de la ville frappent les nerfs de mon visage, et je ressens le piétinement incessant d’une multitude invisible, et le tumulte dissonant agite mon esprit. »[6]Helen Keller, The Story of my Life L’idée selon laquelle la beauté dépasse la seule apparence visuelle n’était pas acceptée par tout le monde alors (et cela n’a pas beaucoup changé, comme on peut l’imaginer notamment avec l’apparition de réseaux sociaux comme Instagram). Helen Keller rappelle dans son autobiographie l’exemple d’une femme qui s’interrogeait sur son amour des fleurs, dans la mesure où elle ne pouvait pas en voir les belles couleurs. Helen Keller lui répondit que les fleurs avaient bien d’autres qualités : leur pétale délicat au toucher et leur parfum, qui n’était pas seulement source de plaisir, mais servait aussi de porte d’entrée à des souvenirs précieux, comme celui de temps passé avec ses proches. Son interlocutrice, qui n’était pas décidée à accepter cette explication, conclut sans sourciller qu’elle pouvait sans doute discerner les teintes avec ses mains. Cette anecdote illustre de manière frappante la vision oculocentrique de la réalité, et de l’ignorance totale de la fonction tout aussi importante – voire plus – du toucher et de l’odorat en tant que vecteurs d’expériences esthétiques et contemplatives.
Un odorat extraordinaire
Helen Keller se demandait s’il existait une sensation visuelle qui puisse dépasser celle « des odeurs qui filtrent à travers les branches réchauffées par le soleil et balancées par le vent ».[7]Helen Keller, The World I Live in Un jour, elle était justement en train de profiter de la caresse du soleil sur son visage, de la douce brise sur ses joues, mais aussi de la sensation du feuillage délicat de l’arbre sur lequel elle était assise, de son écorce rugueuse – comme dans une opposition poétique – et sa douce senteur verte (elle pouvait distinguer de nombreux arbres par leur odeur). Sa tutrice Anne Sullivan – qui l’accompagnait presque toujours – s’était absentée un instant pour aller chercher des affaires dans la maison voisine, et lui avait demandé de rester immobile. Mais la jeune fille sentit soudain que quelque chose n’allait pas, comme l’annonce d’une catastrophe à venir. L’odeur ambiante avait radicalement changé ; elle savait qu’un orage approchait, et qu’il lui fallait impérativement s’accrocher au tronc pour survivre. Quelques secondes plus tard, un vent puissant s’est mis à fouetter l’arbre et à la secouer violemment. Helen Keller était incapable d’en descendre, et est restée totalement désorientée et absolument motifiée jusqu’à ce qu’Anne Sullivan ne vienne la sauver. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres du rôle essentiel qu’avait l’odorat dans sa vie.
Au-delà d’utiliser son nez pour repérer les dangers potentiels (ce que nous faisons tous, même si c’est de manière inconsciente la plupart du temps), Helen Keller avait également la capacité de reconnaître les professions à l’odeur, comme les tailleurs ou les comptables, ou encore la proximité de certaines personnes et de certains objets. Il n’est ainsi certainement pas surprenant qu’Helen Keller ait considéré l’odorat comme le plus important de tous les sens, même pour les personnes voyantes, bien que celles-ci n’en soient probablement pas conscientes, concluait-elle. Pourquoi donc brûlerait-on de l’encens pour rendre hommage aux dieux, argumentait-elle. Et pourquoi l’odorat influencerait-il notre comportement à ce point ? Les miasmes ont le pouvoir de faire fuir les individus, tandis que les parfums contribuent grandement à notre bien-être, et invitent le cœur à « se dilater avec joie, ou à se contracter au souvenir d’un malheur », comme elle l’écrit dans The World I Live in.
L’exemple oublié de Julia Brace (1807-1884)
Helen Keller avait des contacts et connaissait d’autres personnes sourdes et aveugles parmi ses contemporains. Dans son autobiographie, elle mentionne par exemple une jeune fille nommée Ruby Rice, dont le sens de l’odorat semble être extrêmement bien développé, car « lorsqu’elle entre dans un magasin, elle se dirige directement vers les présentoirs, et est capable de distinguer ses propres affaires. » [8] Helen Keller, The Story of my Life, Letter to William Wade, December 9, 1900.Mais, de la même manière que les personnes dotées de la vue et de l’ouïe, celles qui en sont privées n’ont pas toujours un odorat aussi développé (et celles qui ont cette chance ne peuvent pas pour autant l’utiliser pour s’orienter et se mouvoir : une recalibration des sens est pour cela nécessaire, encore une fois). On peut supposer qu’une telle disposition est innée, et s’est développée en raison de circonstances particulières.
Quoiqu’on l’ait aujourd’hui oubliée, Julia Brace était elle aussi encensée par les journaux et les poètes contemporains, qui notaient qu’elle était « remarquable, même au sein des personnes sourdes et aveugles, pour l’extrême délicatesse de son sens de l’odorat ». [9]William Wade, “A List of Deaf-Blind Persons in the United States and Canada”, American Annals of the Deaf, 1900 On peut aussi lire dans un article du Connecticut Herald datant de 1917 : « Son odorat est particulièrement fin et, tout comme ses doigts et ses lèvres, l’aide à s’orienter. » La lecture de ces passages a éveillé ma curiosité d’historienne des odeurs : j’ai cherché – et finalement trouvé ! – des exemples plus concrets de ses facultés exceptionnelles afin de pouvoir en rendre compte à un public plus large. Mais voici d’abord une brève esquisse de sa vie.
Née en 1807, Julia Brace est l’une des premières personnes sourde et aveugle connue et qui a eu accès à une éducation. C’est à la suite d’une grave infection de typhus qu’elle perdit la vue et l’ouïe à cinq ans, . Mais, et l’on peut aisément le comprendre, elle n’a pas immédiatement saisi ce qui lui arrivait. Elle a d’abord demandé à sa mère pourquoi elle n’allumait plus la lumière, imaginant que le monde visible lui était caché par la pénombre. Après avoir répété sa question qui restait toujours sans réponse, elle pensa que sa mère – qui lui tenait la main – refusait tout simplement de lui parler. « Pourquoi ne me réponds-tu pas ? », se serait-elle écriée.[10]Gary E Wait, Julia Brace, Dartmouth College Library Bulletin Comprendre que cette obscurité serait infinie et que ce silence serait éternel a dû être extrêmement difficile pour la jeune fille. Mais ce silence et cette obscurité ne seraient que relatifs : ils allaient être atténués grâce à son éducation spéciale et, bien sûr, partiellement compensés par ses autres sens.
Portrait de Julia Brace. Photographe et origine inconnus.
Un toucher communicatif
Lorsque Julia Brace perdit deux de ses sens, elle avait déjà acquis le concept des mots et du langage (à la différence d’Helen Keller). Puisqu’elle était désormais privée du moyen d’expression habituel des enfants, il lui en fallait trouver un autre : ce sera le toucher. Ce sens lui a également permis de devenir une excellente artisane lorsqu’elle s’est consacrée à la couture : elle a d’ailleurs créé de magnifiques chaussures qui ont été exposées en 1824 et plébiscitées dans un journal local de Boston. Plusieurs témoignages s’accordent à dire qu’elle utilisait à la fois ses mains et sa langue pour manipuler l’aiguille. Elle se servait également de ses mains pour décoder les expressions faciales, les plaçant sur la bouche et les yeux de sa petite sœur pour savoir si elle était heureuse ou triste, si elle riait ou si elle pleurait. Quand ses parents démunis ne purent plus s’occuper d’elle, des fonds furent collectés pour les aider et Julia Brace commença à étudier à L’École américaine pour les sourds (American School for the Deaf). Une fois son diplôme en poche, elle y fut embauchée. Son usage (assez simple) de la langue des signes tactile, ou « alphabet manuel » – qui consiste à dessiner des signes dans la paume de la main – a été reprise par le professeur invité Samuel Howe de l’école pour aveugles Perkins (Perkins School for the Blind) de Boston. Il l’a d’abord employé pour ses propres élèves, et c’est cet enseignement qu’a reçu Helen Keller des années plus tard. Julia Brace n’est entrée à son tour dans cette école qu’en 1842 : c’est ce qui lui permit d’apprendre à lire et à écrire, même si sa fréquentation de l’institution a été de courte durée. Julia Brace meurt à l’âge de 77 ans.
Par le bout du nez : les seuils olfactifs
Comme de nombreux enfants nés sourds et aveugles, Julia Brace apprit à identifier – et à apprécier – les objets, les personnes et les situations par leur odeur. Pour explorer les fleurs et les plantes, elle les touchait et les reniflait, comme on peut le lire dans un poème de J.C. Bridgewater datant de 1844 et dédié à Julia Brace :
L’influence aimable du printemps éveillé la joie en son cœur solitaire ;
Et elle recueille les premières fleurs et même les jeunes brins d’herbe
Et respire leur fraîcheur avec un plaisir qui confine au transport.[11]J.C. Bridgewater, Songs in the Shade – on the Account of an American Girl, Born Deaf, Dumb and Blind, 1844.
Un autre témoignage confirme l’importance des fleurs pour son bien-être :
« Elle se promène souvent dans les champs, et cueille des fleurs, vers lesquelles leur odeur plaisante la guide. »[12] Anonymous, Deaf, Dumb and Blind Girl, The Recorder, The Connecticut Herald, dec. 16, 1817
Plus remarquable encore, Julia Brace utilisait, avec beaucoup de succès, son nez pour s’orienter et se déplacer. Lorsqu’elle entrait dans une nouvelle école, selon certains de ses camarades, elle se penchait pour renifler les seuils, les transformant en des repères odorants. Car les seuils ne délimitent pas seulement les espaces de manière kinesthésique et visuelle : ils le font aussi de manière olfactive, l’usage et les activités que l’on accomplit dans certains espaces les emplissant d’odeurs particulières. Pour Kate McLean, célèbre cartographe des odeurs avec qui j’ai immédiatement partagé ce fait étonnant, c’est une évidence : les seuils constituent en effet des espaces dynamiques intermédiaires, à la fois connecteurs et séparateurs transitoires, qui orientent le déplacement. À ces endroits, les odeurs des pièces situées de part et d’autre se mélangent et s’entremêlent. Ainsi, au sein de la Perkins School, une porte étroite constituait le seuil de la bibliothèque et de la tour où dominaient d’un côté des senteurs distinctes, statiques et permanentes de papier, de carton, de cuir, de colle et de bois, et, de l’autre, la chaleur dynamique et transitoire des corps qui passent, pleine d’odeurs d’individus et de groupes de personnes qui se mélangent. Comment passer outre une telle différence de température olfactive et de composants odorants combinés ? Après une visite à la Perkins School, Kate McLean a réalisé une étude, une carte et un article sur les « odeurs de seuil » de Greenwich Village à New York. « Les seuils explorent les portes d’entrée, les portails et les différents espaces entre la rue et l’intérieur des bâtiments. Il y a des « odeurs de rue » distinctes, des « odeurs de magasin » spécifiques et toute une série d’”odeurs partagées » qui n’appartiennent ni à l’intérieur ni à l’extérieur. », note-t-elle dans son article.[13]Kate McLean, “Thresholds of Smell – Greenwich Village”, online on https://sensorymaps.com/?projects=nyc-thresholds-of-smell-greenwich-village Elle a mené l’enquête afin de déterminer quelles senteurs étaient prisonnières d’un espace et quelles étaient celles qui s’échappaient des bâtiments pour se répandre dans la rue, ou encore celles qui s’échangent entre différents espaces d’un même bâtiment. « La plus riche combinaison d’odeurs a été identifiée au coin des rues, à l’intersection des humains, des activités et des vents », écrit-elle encore. Julia Brace aurait peut-être acquiescé ; compte tenu de sa façon de se mouvoir dans l’espace, c’est même fort probable. Quoi qu’il en soit, c’est certainement grâce à sa sagacité olfactive qu’elle a rapidement trouvé son chemin et s’est déplacée sur le campus de manière autonome. Sans que cela ne perturbe les personnes voyantes, quelque chose de fondamental au sujet de ces seuils a changé depuis la crise de l’énergie, qui affecte particulièrement les personnes aveugles et malvoyantes. C’est le cas de Mirjam Boers, une assistante sociale néerlandaise, qui explique ainsi : « Depuis cette crise, les magasins ont fermé leurs portes en hiver pour économiser l’énergie : trouver les entrées m’est devenu plus compliqué. Les odeurs sont des indices utiles pour localiser les portes.» Lorsque je lui ai parlé de l’expérience de Julia Brace, elle a ajouté : « Je me souviens très bien que chaque salle de classe ou autre espace de l’école avait sa propre odeur, tout comme l’enseignant, qui avait également une influence sur le parfum ambiant des différents espaces. Avant même d’entendre une voix, je pouvais savoir qui donnait cours.» Au regard des observations de Julia Brace, de Mirjam Boers et de Kate McLean, nous devrions tous apprendre à « nous arrêter et sentir les seuils », au moins une fois de temps en temps.
Ni silencieux, ni obscur ; mais lumineux, embaumé et beau
Nous avons rapidement tendance à penser que la surdité et la cécité placent les personnes qui en sont atteintes dans le silence et l’obscurité, et que celles-ci ne peuvent pas ressentir la beauté, ni apprendre à connaître le monde au-delà de la portée de leurs bras. Mais la manière dont Helen Keller et Julia Brace ont expérimenté le réel prouve que c’est non seulement une erreur, mais aussi une occasion manquée pour nous tous. Les concepts, le langage et même l’art dit « visuel » peuvent être perçus de manières différentes, voire plus enrichissantes, conduisant à une compréhension plus profonde et plus complète de l’essence des choses. Finalement, tous les sens, et plus encore lorsqu’on les combine entre eux, peuvent nous donner accès à un univers qui va bien au-delà de ce qui est directement perceptible.
Kate McLean, titulaire d’un doctorat du Royal College of Art de Londres, spécialiste de cartographie olfactive et maîtresse de conférences du programme Graphic Design de l’université de Kent, a rédigé les paragraphes de cet article qui portent sur l’orientation olfactive.
L’autrice remercie particulièrement Piet Devos, chercheur en littérature et spécialiste des questions de handicap.
Visuel principal : Helen Keller, Century Magazine, January 1905. Source : Wikimedia Commons
Le qualificatif d’haptique renvoie au toucher au sens large : pas seulement au contact physique cutané, mais aussi aux sensations de douleur, chaleur, forme, vibration…
Kate McLean, “Thresholds of Smell – Greenwich Village”, online on https://sensorymaps.com/?projects=nyc-thresholds-of-smell-greenwich-village
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Caro Verbeek
Caro Verbeek est spécialiste de l’histoire culturelle des sens, maîtresse de conférences à l’université Vrije d’Amsterdam et conservatrice, responsable de Mondrian et du mouvement De Stijl au Kunstmuseum de La Haye (Pays-Bas). Sa thèse de doctorat sur la dimension olfactive du futurisme a donné lieu au projet de muséologie olfactive « In Search of Lost Scents » à l’université Vrije en 2020. Elle est également membre du projet Odeuropa.
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Dr. Caro Verbeek is specialized in the cultural history of the senses and is an assistant professor of sensory history at Vrije Universiteit Amsterdam and the curator of “Mondrian & De Stijl” at Kunstmuseum Den Haag, as well as a mother. She completed her doctoral thesis “Smelling Time – The Olfactory Dimension of Futurism” and the related olfactory museology project “In Search of Lost Scents” in 2020 at Vrije Universiteit Amsterdam. Last but not least, she is one of the engineers of the Odeuropa project.
Dans son ouvrage paru aux éditions Nez le 15 septembre 2022, la journaliste et autrice Maïté Turonnet livre un hommage aussi érudit qu’intime à un monde qu’elle connaît par cœur : celui des odeurs. À la page 143 de cette anti-encyclopédie olfactive, tour à tour drôle, tendre et sans merci, on croise une star du glam éprise d’effluves. À l’occasion de la fête de la musique, nous vous en offrons la lecture.
Brian Eno, vous voyez ? Roxy Music, Bowie, Talking Heads, U2 ? Tantôt au clavier, tantôt producteur, compositeur, arrangeur, explorateur, l’homme est un artiste de pointure, tout entier versé dans les aventures expérimentales, aussi proche d’Erik Satie que de King Crimson. Chroniqueur de l’hebdo anglais The Observer, vidéaste, créateur d’un jeu façon Yi King (Oblique Strategies) dont chacune des 113 cartes porte une phrase énigmatique mais éventuellement utile à la réflexion : « Arrête-toi un moment », « Rien qu’une partie, pas le tout », « C’est absolument possible (n’est-ce pas ?) », « Diminue, continue », etc. En un mot ? Polymorphe.
Rien d’étonnant, vous devinez, à ce qu’il soit aussi devenu un parfumeur amateur éclairé. Cheminement raconté dans Details (magazine de Condé Nast) en 1992 : « J’ai commencé à m’intéresser à l’odeur en 1965. Aux Beaux-Arts, un copain et moi nous sommes mis à collectionner quantité d’arômes évocateurs. Il y avait du caoutchouc, de la naphtaline, du cuir de Russie, de l’essence, de l’ammoniaque, du bois de genévrier. En 1978, dans un quartier négligé et improbable de Londres, j’ai découvert une vieille pharmacie remplie d’huiles et d’absolues dont les beaux noms, styrax, patchouli, ambre, myrrhe, géraniol, opoponax, héliotrope, et les arômes étranges et familiers m’ont attiré au point que j’en ai acheté plus d’une centaine de fioles. Dans le Chinatown de San Francisco, j’ai trouvé le monde asiatique, cinq épices, jasmin et ginseng. Une femme rencontrée à Ibiza m’a offert un petit flacon contenant une seule goutte d’une substance tout à fait divine appelée nardo (probablement de l’huile de nard extraite d’un arbuste poussant entre 2000 et 2 500 mètres d’altitude sur les flancs de l’Himalaya et utilisée par les riches dames indiennes comme prélude aux ébats amoureux). »
Il commence à mélanger et remarque la façon dont deux odeurs bien connues, précisément combinées, peuvent créer une sensation nouvelle et méconnaissable. Ou comment certaines sont tellement facettées qu’elles forment un parfum en soi : « L’octine carbonate de méthyle évoque l’odeur de la violette et de la moto ; Fahrenheit de Dior en utilise beaucoup. Le beurre d’iris, un dérivé complexe des racines de l’iris, est vaguement floral en petite quantité mais presque obscènement charnu en grande quantité (comme l’odeur sous un sein ou entre les fesses). La civette, provenant de la glande anale du chat civette, est intensément désagréable dès qu’elle est reconnaissable, mais étonnamment sexy à des doses subliminales. » Une découverte en amenant une autre, le cerveau hyperactif de l’ex-glam star la chatouille d’organiser toutes ces émotions en une structure universelle, sur le modèle du spectre des couleurs, dans laquelle elles seraient apparentées par proximité ; une sorte de topologie dépassant la barrière des mots et des comparaisons. « Dire que l’aldéhyde C-14 est comme le latex n’est pas satisfaisant. » Mais par quels chemins relier le santal à la sauge ? Ou le Karanal à la tubéreuse ? Comment classer un produit qui change sans cesse, selon la perception de celui qui sent, selon l’hydrométrie, selon sa provenance, son année de récolte ? « Le nouveau Linné des odeurs n’était pas près de naître, et en tout cas ce ne serait pas moi. » Chassez le naturel par la porte, il revient au galop par la fenêtre : Eno se rapproche de la société Quest et travaille avec Maurice Roucel, auteur chevronné (Musc ravageur pour Frédéric Malle, Iris Silver Mist pour Serge Lutens, 24 Faubourg pour Hermès), sur une fragrance commerciale qui, n’ayant jamais vu le jour, se transforme en un album audio nommé Neroli. Composé de notes répétitives, aussi incertaines que des gouttes d’eau, il devrait se « substituer au temps pour le dématérialiser ». Il y a des réverbérations, de longs silences, des sonorités peu nombreuses mais qui n’en finissent pas ; comme une buée, une vapeur effilochée, à peine une trace… Objet non identifié traduisant l’ombre d’un effluve en un vestige de musicalité, Neroli (1993) a été lancé en tirage limité, accompagné d’un échantillon aujourd’hui over collector. Pour le son, on le trouve sur YouTube.
Maïté Turonnet est l’autrice de Parlons parfums en 1990 aux
Éditions Mondo et de L’Abécédaire du parfum chez Flammarion
en 1999. Elle est aussi, surtout, journaliste et a collaboré à de
multiples publications, dont Elle, Libération, L’Express. Elle
occupe actuellement le poste de rédactrice en chef à CitizenK
International.
Parmi les « parfum de papa » les plus emblématiques trône Pour un homme de Caron, chef-d’œuvre de 1934 qui traverse les âges avec élégance et un succès jamais démenti. À l’occasion de la fête des pères, nous vous offrons un entretien de Jean Jacques à propos de ce classique intemporel, initialement publié dans Une histoire de parfums de Yohan Cervi. Parfumeur de Caron depuis le rachat de l’entreprise par Ariane de Rothschild en 2018, il est responsable des nouvelles créations ainsi que de la préservation des grands classiques de la maison, dont Pour un homme.
Ernest Daltroff a voulu lancer un parfum pour homme, à une époque où ce marché était balbutiant. Pour quelle raison ?
Il avait cette idée de faire un vrai grand parfum masculin, car il a toujours aimé ouvrir de nouvelles voies et pensait qu’il y avait un marché à prendre. Et il n’en était pas à son coup d’essai, puisqu’il avait fait une première tentative avec Tabac blond en 1919, qui a finalement séduit davantage les femmes. Mais Pour un homme brouille les pistes, car il oppose des notes déjà typiquement masculines à l’époque, en l’occurrence la lavande – présente notamment dans les eaux de Cologne –, à la vanille, perçue comme plus féminine.
Justement, pouvez-vous décrire la construction de ce parfum?
Il est bâti sur une dualité assez singulière, un contraste dans lequel s’opposent deux grands blocs. D’abord, la lavande. Au total, il y a dans sa formule sept qualités de lavande, dont des essences et des absolues, qui représentent 60% de la composition. Il a employé en contrepoint une proportion importante d’éthylvanilline, ce qui était alors audacieux pour une fragrance masculine et permettait d’apporter une certaine ténacité. Original et avec un fort parti pris, c’est un parfum qui a eu un grand succès dès son lancement.
En quoi l’écriture de ce parfum est-elle typique de la patte de Daltroff ?
Elle illustre plutôt bien sa manière de formuler, notamment à travers l’emploi de l’éthylvanilline, qu’il utilisait beaucoup, de muscs nitrés ou de la base Ambrarome, des ingrédients qu’il aimait.
Il fait partie de ces rares parfums masculins à s’être inscrits dans un imaginaire collectif, jusqu’à se transmettre de génération en génération.
C’est exact, on connaît tous quelqu’un qui a porté Pour un homme, un père, un oncle, un ami… Et l’on ne peut plus dissocier la personne de son parfum. C’est l’un des traits des grandes créations, d’avoir une puissance émotionnelle très forte. Il y a peu de fragrances qui ont ce pouvoir d’incarnation, surtout au rayon homme. C’est aussi une fragrance portée par les femmes, une autre caractéristique, je pense, des grands parfums masculins.
A-t-il dû être retravaillé à cause de contraintes réglementaires ?
Non, la formule est courte et aucun élément ne pose problème pour l’IFRA, même aujourd’hui. Comme la fragrance est faiblement concentrée (5%, ce qui ne l’empêche pas d’avoir un grand sillage), elle est peu concernée par les régulations, et nous pouvons facilement maintenir l’ensemble des ingrédients. Tant que la lavande n’est pas réglementée, nous n’avons aucune raison de le reformuler.
En quoi est-il intemporel ?
Son écriture est simple, épurée, très lisible, car la formule tient en quelques lignes, mais le rendu est complexe, à la fois naturel et sophistiqué. Il s’inscrit en dehors des clichés de la parfumerie masculine des décennies ultérieures et conserve une certaine androgynie, avec, il est vrai, cette identité très naturelle due à la lavande qui reste indémodable. Par ailleurs, il rejoint une quête actuelle de naturalité. Le concentré de parfum – sans compter l’alcool végétal, donc – est à 70% naturel, ce qui est énorme, grâce à la lavande, bien sûr, mais également à d’autres matières comme l’essence de rose. C’est l’un des parfums qui mettent le plus en lumière la beauté et la complexité du naturel. Chaque année, c’est un défi, un challenge pour conserver la même odeur, à cause des variations de qualité de lavande.
Comment maîtrisez-vous la production de cet ingrédient primordial ?
Lorsque je suis arrivé chez Caron, j’ai dit à Ariane [de Rothschild, propriétaire des parfums Caron] qu’il nous fallait nos propres champs de lavande, au vu des quantités dont nous avions besoin. Pour l’essence de lavande française, l’une des variétés utilisées dans la formule, LMR nous a mis en relation avec l’un de ses producteurs, Jérôme Boenle, installé près de Sault, dans le Vaucluse, qui gère 280 hectares de lavande et de lavandin. Chaque année, je vais sélectionner une parcelle, avec des fleurs dont l’odeur colle parfaitement à celle qui doit être employée dans Pour un homme. Afin de garantir la stabilité olfactive de la formule, je mêle deux tiers d’essence de lavande récoltée durant l’année en cours à un tiers de l’essence récoltée l’année précédente.
C’est un classique dont vous prenez soin, qui continue d’être mis en avant, mais vous l’avez également décliné récemment ?
Afin d’élargir son univers, j’ai composé deux nouvelles déclinaisons: Pour un homme le matin et Pour un homme le soir. L’idée était de s’éloigner de la trame du parfum original. Il est déjà parfait, pourquoi vouloir s’en rapprocher? J’ai donc pris le parti de créer une forme de rupture. La première fragrance est construite autour du lavandin, du gingembre très pur extrait au CO2 et de notes profondes de mousse et de patchouli. La seconde, Pour un homme le soir, enrobe la lavande de notes épicées et ambrées, et surtout d’un extrait de bois de chêne produit par LMR. Pour cette matière nouvelle et novatrice, les sciures résiduelles de la fabrication des tonneaux de l’industrie du cognac sont récupérées afin d’en extraire l’odeur. L’idée est de préserver ce parfum emblématique de notre patrimoine, tout en élargissant son univers.
Cet article est initialement paru dans Une histoire de parfumsde Yohan Cervi aux éditions Nez.
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Yohan Cervi
Critique, conférencier spécialiste de l'histoire de la parfumerie moderne et consultant auprès de marques de luxe, il a cofondé en 2017 le laboratoire de création Maelstrom. Collectionneur de parfums anciens, il est l'expert vintage de la rédaction d'Auparfum. Il a également collaboré aux ouvrages Les Cent Onze Parfums qu'il faut sentir avant de mourir (Nez éditions, 2017), La Fabuleuse Histoire de l'eau de Cologne (dir. Jean-Claude Ellena, Nez éditions, 2019) ou encore Parfums pour homme (Nez éditions, 2020).
Au cœur de grands classiques de la parfumerie, l’accord cuiré revient aujourd’hui en majesté. Tour d’horizon éclairé par les regards de Christine Nagel, parfumeuse maison chez Hermès, et Céline Perdriel, parfumeuse chez Cosmo International Fragrances.
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
Le Simppar (Salon international des matières premières pour ), organisé par la Société française des parfumeurs, s’est tenu les 31 mai et 1er juin 2023 à l’espace Champerret à Paris. Rencontre incontournable entre parfumeurs, évaluateurs, étudiants et fabricants de matières premières, le salon gagne chaque année plus de visiteurs !
9 heures 55. La foule s’affaire déjà devant l’entrée, nous sommes tous dans les starting-blocks pour démarrer le marathon des odeurs. Et il y aura de quoi faire : 110 exposants de 24 pays vont rencontrer sur deux jours plus de 3346 visiteurs, soit 1000 de plus qu’en 2022 ! Une belle progression qui justifie l’organisation d’une session l’année prochaine à Grasse. « Ce sera difficile de présenter des nouveautés chaque année », entend-on par-ci par-là, mais force est de constater que la profession affectionne particulièrement ce format simple et convivial pour sentir sans chichi. En 2022, la moquette était rose, cette année, elle est verte… Est-ce un signe ? Ah oui, car en 2023 on parle encore plus (si c’est possible) de naturalité, de transparence et de certifications. Mais vite, entrons dans les allées…
Difficile de trouver des nouveautés ? Mais non, il y en a chez Robertet ! L’équipe présente son procédé d’extraction vert sans hexane fraîchement breveté via la collection CleanRscent (prononcer « cleaner scent », avec le R pour Robertet !) : vanille Bourbon, fève tonka torréfiée, cyprès décoloré qui sent bon la résine, le vernis, le fumé, l’arbre coupé avant d’être brûlé. On y découvre la facette amandée de l’extraction CO2 du jasmin sambac réalisée à partir de son infusion et l’absolue cacao mi-Van Houten mi-praline. Mon coup de cœur va à l’ylang blanc, faible en méthyl paracrésol et en estragol, une version très eugénol de la fleur, poudrée comme un lys… Tout cela vous fait saliver ? Le bar à cocktails Robertet est ouvert !
Stand Robertet
Tout vert aussi, le stand Synthite (jusqu’aux visiteurs !). Je poursuis mon chemin en compagnie de Pamela Roberts[1]Pamela Roberts est consultante fragrance design et ancienne directrice de la création chez l’Artisan parfumeur., avec qui j’adore sentir car on a exactement les mêmes évocations olfactives. Nous voilà attirées comme des abeilles par les fleurs indiennes : tubéreuse, champaca ; le davana est extra, à la fois juteux, liquoreux ; et le vétiver, très arachide, est la matière que la société a choisi de mettre en avant cette année.
Stand Synthite
Un petit passage chez Hashem Brothers pour me remémorer les absolues d’artichaut, d’épinard, et découvrir leur nouvel acétate de linalyle provenant du petitgrain, une matière qu’ils semblent particulièrement travailler : je me souviens d’autres produits autour de celle-ci présentés l’an passé.
La déontologie m’empêche de dire que l’on trouve sur le stand de Nez le très bon livre De la plante à l’essence et que presque tous les exemplaires de la collection « Nez +LMR cahiers des naturels » ont été écoulés ! Je vais donc parler du jeu Master Parfum dont Anne-Laure Hennequin prépare les futures déclinaisons : un tour du monde des parfums pour Noël et une nouvelle collection de matières premières en 2024.
Mais qui est donc Nat’Green ? Une société consacrée au sourcing durable qui possède des filières à Madagascar, en Indonésie et aux Comores. Ils proposent un catalogue de tous les produits emblématiques de la parfumerie, avec des certifications Ecocert et Fair for life… Tout cela en cinq ans d’existence ? demandai-je avant de voir arriver Bernard Pathé et de comprendre qu’ils font partie du groupe Cadima Pathé, figure du négoce d’ingrédients. Tout s’explique !
Stand Nat’Green
Chez PCW, plaisir de voir que Patrice Blaizot est toujours là, malgré l’annonce de sa « semi-retraite » (une idée pour la France, hein ?) et une passation en douceur à son fils, Xavier. Après l’encens de l’an passé (ça sonne bien, ça), place au curcuma qui décline ses facettes boisées-céréales dans l’extraction de ses racines, et épicées-coriandre-baies roses dans l’extrait de feuilles.
Mélanie Leroux, Marie Duchene et Patrice Blaizot, sur le stand PCW
Je fais un bout de chemin avec mon confrère Ermano Picco. Chez Mane, les parfumeurs Véronique Nyberg et Cyrill Rolland nous font découvrir le thé noir du Sri Lanka, avec son ouverture qui part dans plein de directions (artichaut, fermenté, épinard, vert) puis se recentre sur la note plus classique du breuvage. Puis le patchoulyl acétate, avec son effet salé ambré comme un Cashmeran, intéressant pour ouvrir de nouvelles possibilités dans la famille chyprée. Un petit régal ? Le benjoin Jungle Essence, vanillé, évoquant le sucre roux, qui ne manque pas de tête. Et Floralpeel, une base hespéridée autour du captif Bigarane ; ou encore l’absolue de rose Lani, nouvelle variété moldave « entre la damascena et la centifolia » et qui contient naturellement peu de méthyl eugénol, la nature est bien faite ! Mais aussi la Melbatone, une pêche obtenue par biotechnologie, plus juteuse que la décalactone classique. Et enfin le jasmin sambac E pure, qui troque sa note indolée pour un effet super fruité-bubble gum.
Stand Mane
Parlons molécules chez Takasago, via le concept « less is more » qui pousse à nous interroger sur trois points, me rapporte Sébastien Henriot : quelle est la source ? Que devient la molécule dans l’environnement ? et quel est l’usage ? C’est pour illustrer les molécules à fort impact olfactif que Takasago met en avant le Hindinol (un santal musqué, ambré et crémeux), le Destramber, le Polyambrol à l’odeur terreuse de l’Ambrinol, et le Laevo citronnelyl acétate.
Stand Takasago
Très belle découverte de la société iranienne Galbanum Oil et de son exceptionnel galbanum de haute altitude, plus profond, riche, aux tonalités presque ambrette. Une note très différente de son galbanum classique plus vert et râpeux. J’en profite pour sentir aussi l’asafoetida (qui porte bien son nom) aux notes d’ail et d’oignon : ça sent la galette craquante servie en apéro dans les restos indiens. C’est l’occasion d’entendre la douceur chantante du persan et de prendre des nouvelles du pays, malheureusement pas très positives…
Stand Galbanum Oil
De beaux effluves qui sentent bon la nature s’échappent de chez Bontoux… Une essence de graine de carotte très irisée et un cyprès de Provence. Saviez-vous que ces arbres ont été plantés dans la vallée du Rhône pour casser le vent ? Élagués et recyclés par la parfumerie, ils se retrouvent dans le vent… de l’upcycling. La nouveauté : le yuzu et sa pétillante note qui fait très mandarine verte, bigarade, comme un soleil. Pour finir, une tagète qui ne sent pas le vomi : Emilie Zaninetta m’apprend que l’ingrédient prend cette note lorsqu’elle est n’est pas conservée au frais ; très fragile, elle s’oxyde vite. Ici, elle développe de superbes notes de thé vert, d’ananas bien mûr et de pomme verte.
Stand Bontoux
On vient se réchauffer (et rigoler aussi) chez Payan Bertrand, ambiance chalet pour cette édition 2023. Je sens, en compagnie du nez exigeant de la parfumeuse Céline Perdriel, leur nouveauté : l’ambrettone, un extrait CO2 de copeaux de chêne qui flaire bon le rhum, la vanille, et la barrique, une vraie matière de pirate – obtenue par fraction de l’ambrette extraite au CO2. La fleur de sureau met en appétit avec ses effets cacao, figue confite, tabac. Justement, il y a aussi un cacao cœur brut, très noir, qui me régale ; et la flouve ? on en parle de la flouve ? En voilà une qui mériterait de changer de nom pour séduire un peu plus les gens du marketing ; la leur sent vraiment bon la galipette dans les foins – vite, un antihistaminique !
Stand Payan Bertrand
On ouvre des captifs chez IFF ! L’Opéranide, une molécule synthétisée en travaillant sur la structure du Cashmeran, s’inscrit dans la famille des bois ambrés aux côtés du Trisamber ou encore de l’Amber Xtreme. Mettez-la à faible dose, et elle poussera les notes lavandées, citrus, les baies roses, les aromatiques, bref… ça pousse tout ! Retour à la nature avec leur filiale LMR Naturals, où l’on poursuit la promenade autour des citrus initiés l’an passé, avec les pressions à froid de citron[2]Découvrez tout ce qu’il y a à savoir sur cet agrume avec le livre Le Citron en parfumerie, dans la collection « Nez+LMR Cahiers des naturels », disponible sur le shop by Nez. et d’orange d’Espagne ; ou du Lentisque du Maroc, Néroli d’Egypte, et curcuma feuille d’Inde…
Stand LMR Naturals by IFF
Bienvenue chez la société Aromaticas del Zalabi qui participe à son premier Simppar. La société productrice de matières espagnoles locales (lavande, thym rouge, hysope) possède des plantations dans la Sierra Nevada, région tellement ensoleillée qu’e la société’elle a équipé son installation de panneaux solaires. De quoi produire l’électricité qui compacte la biomasse après distillation, laquelle brûle dans la chaudière qui alimente la distillerie, et dont les cendres sont reversées dans les champs comme fertilisants. La boucle est bouclée.
Stand Aromaticas del Zalabi
Au hasard d’un stand, je discute avec le commercial de la société Contexa qui me montre les nouvelles générations de robots de pesée. Le bécher passe sous une sorte de pis de vache qui permet la pesée de 200 matières en même temps ; « une douche d’ingrédients » me corrige le commercial. Oui, c’est plus élégant.
Robot Contexa
La société Synarome met en avant la collection Metamorphosis, des produits transformés à partir de biomasse naturelle : orange amère rectifiée, Scentolide à 99% (encore plus pure que la précédente à 94%), l’iconique base Ambrarome, l’éthyl linolénate produit à base de l’huile de lin, une étonnante odeur qui nous renvoie à l’atelier de peintre, que je verrai bien dans une reproduction de narcisse. Et le meilleur pour la fin : le benjoin vieilli, récolté avec amour par Agroforex et transformé par Synarome. C’est l’occasion de rencontrer enfin Adriano Chagnaud, qui justement reprend le digne flambeau de son père Francis, fondateur d’Agroforex au Laos.
Stand Synarome
« Mais pourquoi vous vous appelez Jasmine Concrete ? », demande un visiteur turc à Raja, perplexe devant ses gros plans de roses et ses lampes aussi pétalées qu’une centifolia ! C’est vrai que cela provoque une petite dissonance cognitive. Mais elle sera vite réparée si vous sentez sa fabuleuse rose centifolia indienne. Raja en est tellement fier qu’on peut aussi la déguster en boisson pétillante. Bien sûr, on y trouve aussi de très beaux jasmins, vétiver, tubéreuses, mais cette année, on parle de rose ! Elle est faible en méthyl eugénol, qui plus est !
Raja, sur le stand Jasmine Concrete
Murmures dans les couloirs… Roses ? qui parle de roses ? « Dans le sud, la rose sent moins que d’habitude » – « En Bulgarie, ils sont inquiets, il a fait sec. » Magali Quenet échange avec Dominique Roques qui cache discrètement un petit trésor dans son sac : son deuxième ouvrageLe parfum des forêts vient de paraître ! Dominique ne dira rien, mais il passera le lendemain sur France inter pour en parler…[3]Vous pouvez retrouver l’émission sur le site de France inter
Transition assurée car sur France inter, au milieu des forêts, on cause gaïac ! Et quel gaïac ? Celui de Nelixia ! Cette année, on s’émerveillera aussi de leurs produits du Paraguay : le petitgrain et le cabreuva, aussi soyeux que des cheveux de Barbie. Ils présentent également une cardamome upcycled obtenue par passage des drèches à l’hexane, résultat bluffant ! Ce procédé apporte parfois une note différente, mais ici on reconnaît bien la cardamome. Et bien sûr, toutes ces petites pépites sont produites avec l’exigence de la méthode Nelixia qui intègre la certification par un tiers : tout leur catalogue est audité. Confiance totale.
Stand Nelixia
Place à Madagascar avec Barosyl. Si vous avez toujours rêvé de comprendre la différence entre les différentes qualités de l’ylang-ylang (Extra, I, II, III et complète), c’est ici. L’entreprise familiale (quatrième génération) se fait un plaisir de faire découvrir l’ylang ylang en vous berçant de noms exotiques : Nosy Be, Mohéli, Mayotte… Voyage assuré.
Stand Barosyl
J’avais déjà senti la collection des Natpro de Capua l’an passé. La technologie permet de capter les molécules contenues dans les jus d’extraction ; celles-ci, récupérées des colonnes, sont lavées à l’alcool pour apporter la fraîcheur du fruit (et sa volatilité) : on y trouve ainsi une cerise griotte très puissante ; une remarquable banane, très gourmande, granuleuse, comme une petite plantain ; une mangue assez verte ; et la fraise qui révèle des notes lactées rigolotes. Je repars sans me rendre compte que je n’ai même pas senti de bergamote !
Stand Capua
18 heures et les premiers « Pop » se font entendre. Quel monde soudain ! Embouteillage devant le stand Firmenich, pardon : DSM – Firmenich. C’est la première fois que la société apparaît sous la nouvelle entité! Ici aussi on libère certains captifs comme l’ambrette Firabs aux tonalités de poire et d’iris. On savoure la cardamome Green pod SFE du Guatemala, le Lilyflore, le Mimosal (mimosa très ozonique-cyclamen), le Doremox (substitut de rose oxyde et de diphényl oxyde), et le Cyclopidene (substitut de méthylparacrésol et de benzoate de méthyle), un ylang-ylang animal et fruité…
19 heures : la foule se déplace vers le fond de la salle où se tient la remise du Prix international du concours du jeune parfumeur organisé par la SFP. Vite je m’approche ! Félicitations à Christy Belson, stagiaire chez Givaudan, qui a interprété « le vert en parfumerie » avec puissance et une originalité teintée d’orient.
Christy Belson
JOUR 2
Nous partons au Québec sentir les nouveautés de Biolandes suite au rachat de la société Labrador Production : l’original thé du Labrador (ou Ledon du Groenland), bien connu en aromathérapie, un peu moins en parfumerie. On peut le trouver résineux, terpénique, mais aussi épicé carvi-cumin. C’est le premier arbre qui repousse après un incendie, me confie l’équipe ; une lueur d’espoir quand on voit les feux actuels au Canada. Je découvre aussi le fir balsam écorce qui est moins confituré et plus « vernis à bois » que le classique, réalisé à partir d’aiguilles. On sent enfin une carotte délicieusement fruitée, savoureuse comme un abricot cuit.
Stand Biolandes
Je reconnais ce chapeau… Olivier R.P. David se régale avec ses amis des matières de Floral Concept. D’une patience infinie, Julien, le fils de Frédérique Rémy, déroule encens, rose, vétiver, bois de rose, benjoin… Tout est beau, d’autant plus que les notes sont disséquées par Olivier, le seul chimiste capable de mimer avec brio la molécule de menthol.
Stand Floral Concept
Hussein Fakhry est parti déjeuner, mais cela me permet de rencontrer sa charmante fille qui me raconte comment le succès du jasmin distillé a pu sauver l’usine et les fermiers après les difficultés des années Covid. Aller voir les plantations qui sont accessibles du Caire, voilà un beau voyage à combiner avec la visite du nouveau musée de la capitale !
Orgue de parfumeurs reconstitué dans une ambiance haussmannienne. So chic ! Il faut dire que Givaudan avait quelques années à rattraper. Welcome back ! Le stand mutualise les molécules du groupe ainsi que les matières naturelles d’Albert Vieille, et on se concentrera sur celles-ci : parmi les nouveautés, l’absolue d’ambrette du Pérou-Équateur aux accents iris-carotte. L’absolue de vanille de Madagascar, aussi animale que la gousse, une jolie cardamome CO2 indienne, une délicate absolue de fleur d’oranger d’Espagne, mi-néroli mi-narcisse, et pour finir, une absolue d’osmanthus gold très chouette, car peu animale.
Stand Givaudan – Albert Vieille
La société Astier Demarest met l’accent sur ses certifications Fair for Life, ses filiales du vétiver Haïti et le patchouli du Burundi. Nouveautés 2023 : le néroli et le petitgrain bigaradier de Tunisie, réalisés avec leur partenaire Shedan. Je ressens avec Antoine Destoumieux leur pétillant yuzu d’Espagne ; l’immortelle de Provence, bien plus iris et foin que celle de Corse, et juste par curiosité, la cardamome de Colombie, tout en écoutant ses bons plans voyage en Colombie.
Stand Astier Demarest
Chez Santanol, on parle aussi certification, puisqu’ils travaillent actuellement celle de l’Union for Ethical Biotrade (UEBT). Dominique Sergi, Senior Sales Manager, montre le santal sous toutes ses formes : copeaux, drèches, poudre et en compo ![4]Nez a récemment publié un podcast sur le santal, à écouter sur toutes les plateformes habituelles.
Quel plaisir de retrouver l’équipe de Fairoils et la douceur de Julie qui me fait découvrir le petit grain du Kenya, encore en test. Il paraît que la culture de l’arbre s’étend petit à petit car les singes en répandent les semences ; si ce n’est pas une belle histoire à raconter, ça ? Je reste au Kenya avec leur encens, la camomille bleue et la tagète qui m’évoque une banane verte mentholée.
Stand Fairoils
Des choses intéressantes senties depuis ce matin ? « Il y a un hydroxycitronellal naturel intéressant chez Advanced Biotech », me répond le parfumeur d’IFF Jean-Christophe Hérault. Et comme je n’y aurais pas pensé toute seule, c’est un bon conseil. Je me dirige donc vers le nouvel espace (tout au fond) et demande que l’on me présente la société, étant donné que c’est leur premier Simppar. Ah ah, ils n’ont pas l’habitude d’être inconnu : ils sont très présents aux Etats-Unis, cela fait rire le commercial. Promis, j’irai voir le site internet !
Stand Advanced Biotech
La chemise donne le ton, nous nous trouvons en Asie du sud-est avec Tropical Extract ! C’est la première fois également pour Jean-Yves le Dantec, venu de Malaisie pour présenter ses produits, qu’il achète et revend. Des Philippines, on sentira de l’élémi bio certifiée, du pili entre baie rose et poivre blanc, de l’almaciaga, à la fois résineuse et épicée, et dont on extrait les larmes comme de l’encens, le calamansi, zesté et épicé. Et de Malaisie : kaffir lime, cajeput, patchouli, et oud… Très content du salon, Jean-Yves reviendra sûrement l’an prochain !
Stand Tropical Extracts
Comme chaque année, la moquette se dégrafe pendant que je sens encore les dernières matières… Il faut partir, retourner au bureau imaginer les futurs parfums sur la base de que que l’on aura beaucoup senti : yuzu, gingembre, cardamome, curcuma, petitgrain, ambrette, carotte, benjoin. Cela ferait un bel accord, n’est-ce pas ?
Heureusement, tout recommence l’an prochain ! Rendez-vous les 28 et 29 mai 2024, à Grasse cette fois ! Réservez donc votre agenda (et surtout votre logement !)
Découvrez tout ce qu’il y a à savoir sur cet agrume avec le livre Le Citron en parfumerie, dans la collection « Nez+LMR Cahiers des naturels », disponible sur le shop by Nez.
Nez a récemment publié un podcast sur le santal, à écouter sur toutes les plateformes habituelles.
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Aurélie Dematons
Fondatrice de l'agence Le Musc & la Plume, spécialisée en création de parfums et identités olfactives, elle accompagne les marques du concept au développement. Après avoir débuté chez Coty, puis Cinquième sens, Aurélie explore les territoires d'innovation : diffusion du parfum dans l'air ou création pour d'autres secteurs (hôtellerie, automobile, train). En 2017, elle part faire le tour du monde des plantes à parfums. Elle contribue régulièrement à Nez et à Expression cosmétique.
Au menu de cette revue de presse, des urnes funéraires, du camouflage olfactif et des retrouvailles d’éléphants.
Nous le rappelions à l’occasion de notre article sur la fête des mères : l’odorat est le sens le plus lié à notre mémoire, et les souvenirs olfactifs peuvent provoquer des émotions fortes même des années plus tard. Mais l’homme n’est pas la seule espèce animale à en faire l’expérience. La réaction d’éléphants africains en captivité face aux fèces de certains membres de leur famille (notamment entre mères et filles) qu’ils n’avaient pas vus depuis longtemps suggère une reconnaissance à long terme – environ douze ans – de leur odeur, relaie Courrier international. Si les résultats de cette étude menée par l’équipe de Franziska Hoerner de l’Université de Wuppertal en Allemagne restent à confirmer par d’autres expériences, ils pourraient néanmoins permettre d’imaginer une familiarisation des animaux en captivité lors de transferts et rassemblements.
Quant au sens olfactif chez l’humain, on admet désormais plus facilement qu’il se forme dès l’état fœtal, même si cela a longtemps été remis en question. Dans un épisode d’In Utero, France culture invite Benoist Schaal, directeur de recherches au Centre National de la Recherche Scientifique et affilié au Centre des Sciences du Goût de Dijon, à expliquer son mécanisme. Il rappelle que la mère transmet une multitude d’odeurs par le liquide amniotique – et oriente ainsi le développement neuronal du fœtus, source de préférences à venir. Plus encore, parce que son nez en développement ne contient pas encore le mucus, qui constitue une barrière pour les molécules odorantes, on peut penser qu’il sent plus intensément que l’adulte qu’il deviendra.
Peut-être est-ce là que se jouent nos préjugés raciaux. C’est une hypothèse que l’on pourrait avancer en lisant l’article de Slate, qui reprend une étude de l’Institut Karolinska de Stockholm menée sur 7000 individus. Ceux-ci ont été soumis à un double questionnaire : le premier les interroge sur leur rapport à l’immigration, le second sur leur ressenti face à certaines odeurs corporelles (sueur, pieds, urine, haleine…). Il est apparu que les plus sensibles à ces dernières étaient aussi les plus xénophobes – qui sont notamment les plus âgés et les « moins éduqués ». Ces résultats s’expliqueraient par un mécanisme évolutif de protection contre les agents pathogènes, dans la mesure où les étrangers auraient des habitudes hygiéniques différentes. Étonnant, d’autant plus lorsque l’on sait que la sensibilité olfactive baisse avec l’âge…
Un peu d’aromathérapie pourrait-il rééquilibrer les choses ? Si aucune composition ne promet à ce jour de soigner le racisme, certaines promettent néanmoins « guérir le corps et l’esprit », note Sarah Bouasse, également rédactrice pour Nez, dans un article de The Good Life. Cet atout marketing a été étudié par les maisons de composition dès les années 1980, mais connaît actuellement un véritable boom. Rappelant l’origine ancienne du soin par les plantes, la journaliste remarque que celui-ci est désormais justifié par plusieurs études. Et va de pair avec un retour au sacré, symbolisé par les odeurs d’encens qui reviennent en force.
Les senteurs du passé, dont nous avons parlé dans le dernier numéro de Nez consacré au temps, font d’ailleurs l’objet d’une attention accrue par les chercheurs riches de nouveaux outils pour les comprendre. Si le projet Odeuropa, auquel Le Point a consacré un récent papier, se concentre sur les données des trois derniers siècles, c’est une fiole en quartz âgée de 2000 ans qui a été ouverte et analysée par les scientifiques, rapporte Metro UK. Découverte en 2019 dans une urne funéraire lors de fouilles à Carmona en Espagne, elle contenait, fait rare, des résidus solides, qu’ont pu analyser José Rafael Ruiz Arrebola et son équipe spécialisée en chimie organique de l’université de Cordoue. À l’étonnement général, outre la base huileuse végétale, c’est du patchouli – dont l’usage dans la Rome antique était inconnu – qui aurait été utilisé. L’emploi de bitume comme scellant est également une découverte novatrice.
Découverte d’un temps plus reculé encore, celle de l’University College London, relayée par Discover Magazine, porte sur l’évolution de la taille du nez. Parmi les trente-trois régions du génome qui participent à la physionomie faciale, l’une d’elle, nommée ATF3, serait responsable de la longueur de notre appendice nasal. Elle aurait été héritée des Néandertaliens, par une sélection face au climat plus froid et sec de la période glaciaire, pour lequel un nez plus court aurait été plus adapté car il permettrait de mieux réguler l’air.
Si ce changement physique n’était pas issu d’une tactique volontaire, celui du « camouflage olfactif » l’est définitivement. La technique, utilisée par certains animaux – pensons aux chiens qui se roulent dans les charognes – est aussi employée par l’homme pour attirer ou repousser ceux qui y sont sensibles. Des chercheurs australiens ont publié une étude dans la revue Nature pour faire part des résultats obtenus avec de l’huile de germe de blé répandue avant les semis de cette même plante. Les souris (Mus musculus), attirées par l’odeur, peuvent difficilement détecter les graines réellement présentes dans le sol et échouent ainsi à trouver leur nourriture. Une alternative aux produits chimiques nocifs pour l’environnement qui permettrait de « réduire la perte de semences de plus de 63% », rapporte l’article.
Autre idée de camouflage olfactif, qui permettra peut-être de se protéger contre les moustiques : utiliser un savon parfumé. Selon Futura science, l’odeur du gel douche que l’on utilise va, en se mêlant à celle de notre peau, créer un parfum particulièrement attractif ou au contraire légèrement répulsif au nez de ce fléau de nos soirées estivales. Mais ne croyez pas au miracle : si c’est le parfum de la noix de coco qui semble être l’un des plus repoussants, l’étude révèle surtout l’importance de la variabilité interindividuelle. Une peau peut devenir attirante, neutre ou repoussante pour l’insecte selon qu’elle est lavée ou non avec certains savons, mais ce sera différent pour une autre personne.
Certains, à l’instar des publicités pour les déodorants bien connus, utilisent au contraire l’odeur comme un aimant à séduction – et c’est aussi le cas de la vanille. Une étude menée par Adam Karremans et ses collègues de l’université du Costa Rica a montré que la senteur de l’espèce Vanilla planifolia, polliniséepar l’abeille sauvage en Amérique latine – ailleurs, le procédé est effectué manuellement – participe activement à son attractivité. Les butineuses, attirées par la vanilline, en répandent ensuite les graines – trop lourdes et grasses pour se répandre d’elles-mêmes dans le vent. Certains animaux consommeraient pour la même raison les fruits sur lesquels elles seraient tombées, contribuant à leur dispersion, apprend-on en lisant un papier de Pour la science. Autre donnée établie par l’étude : ce n’est pas la digestion des grains qui permet leur scarification nécessaire à la germination, mais plus probablement des champignons présents dans le sol.
La vanille connaît cependant une crise à Madagascar, où « des centaines de tonnes de gousses invendues s’accumulent », titre Le Monde. Le chef de l’Etat, Andry Rajoelina, avait fixé depuis trois ans un prix minimum de 228 euros par kilo dans le but d’assurer un revenu décent aux producteurs. Il a récemment admis l’échec de cette mesure et cherche actuellement une solution pour éviter que les productions ne soient bradées, car l’épice constitue un apport financier essentiel pour le pays. Une situation critique pour laquelle le président appelle à un réveil des acheteurs, à l’heure où les maisons de composition sont accusées d’entente sur les prix et où un article de Médiapart dénonce l’exploitation des cueilleuses d’ylang ylang aux Comores.
Et c’est ainsi que les mouillettes ne servent pas qu’à déguster les œufs !
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
En septembre 2022, à Paris, la douzième édition des Rives de la beauté a réuni les acteurs de la filière cosmétique et parfum autour d’expositions, d’installations, de conférences et d’un concept store éphémère permettant de découvrir des marques de parfumerie rare.
Pour ce nouvel épisode, depuis L’Atelier des Rives installé au cœur de la Galerie Joseph, dans le quartier du Marais, nous écoutons une conférence consacrée au santal sous toutes ses facettes.
Pour évoquer cette matière première et ses usages en parfumerie, Virginie Gervason, fondatrice de Resperfuma, a réuni trois experts : Dominique Sergi, de Santanol, Isabelle Ferrand, de Cinquième Sens et Maxime Baud, de ScenTree.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Ce soir avait lieu la cérémonie de remise des prix des Fragrance Foundation France Awards 2023 (que l’on nomme aussi les « Fifis »). Cette édition se caractérisait par une simplification du nombre des catégories, réduit à six pour le prix des professionnels et du public, et toujours à trois pour la parfumerie de niche.
Cette année, j’étais pour la première fois invitée à participer au jury qui décerne les prix des parfums de niche, répartis en trois catégories : marque affiliée (c’est-à-dire liée à un groupe), collection de grandes marques (incluant les collections privées des marques mainstream, mais aussi certaines marques comme Vuitton, Celine ou Dries Van Noten, à la fois mode et uniquement vendues en exclusif…) et enfin marque indépendante. Ce jury est composé de journalistes parfum et d’évaluateurs et évaluatrices travaillant en maisons de composition membres de la Fragrance Foundation.
Le protocole était également nouveau puisque pour la première fois, les membres de ce jury ont pu recevoir, lors de la première étape de sélection, les échantillons de tous les candidats (constitués après appel à contribution auprès des marques, à raison d’une référence par marque). Auparavant, ils ne recevaient qu’une liste et devaient donc voter d’après ce qu’ils avaient pu sentir, ce qui limitait tout de même leur choix – ainsi que la chance pour des petites marques peu connues d’émerger.
Fin mars, les jurés devaient envoyer le classement de leurs dix (ou huit, selon le cas) favoris pour chaque catégorie, en leur attribuant une note. La catégorie des marques indépendantes comportant une cinquantaine de candidats, contre huit pour les marques affiliées et une quinzaine pour les collections de grands groupes, un parfum d’une de ces deux dernières catégories avait donc plus de chances de gagner que s’il provenait d’une marque indépendante !
Une fois chaque catégorie réduite à huit ou dix candidats, donc, une deuxième étape de sélection consistait en un blind-test organisé chez Cinquième sens en avril. Là, nous avons pu sentir individuellement les parfums en aveugle, sur mouillettes, afin d’établir à nouveau un classement des cinq préférés. C’était un peu le moment de vérité face au parfum seul !
Enfin, une fois reçu, pour chaque catégorie, les noms des trois finalistes issus de ce blind-test (ou quatre pour les grandes marques, difficiles à départager), une dernière étape consistait à échanger de vive voix lors d’une réunion sur Zoom. Chacun pouvait ainsi rendre compte des raisons de ses choix et défendre ses préférés, avant de voter en ligne, de manière confidentielle.
Les vainqueurs n’ont été révélés que lors de la soirée, les voici :
Catégorie marque affiliée :
33 Abyssaede L’Artisan parfumeur, par Daphné Bugey
Les finalistes :
724 de Maison Francis Kurkdjian, par Francis Kurkdjian
Uncut Gem des Éditions de parfums Frédéric Malle, par Maurice Roucel
Mais d’autres prix ont également été décernés ce soir :
Le prix de l’innovation responsable pour un parfum, qui récompense la capacité qu’a l’ensemble de la filière à s’accorder pour imaginer un produit plus responsable, a été attribué à Grande-Île[3]Ce parfum fait partie de la sélection la Box Auparfum #37, de janvier/février 2023. de Nissaba pour la catégorie espoir de la parfumerie et à Aqua Allegoria Nerolia Vetiver de Guerlain pour la marque confirmée.
Le prix des professionnels pour la parfumerie sélective est décerné par les sociétés adhérentes de la Fragrance Foundation France (comptant 445 personnes, et 10 personnes maximum par société) parmi le top 50 des ventes. Ont été récompensés :
Paradoxe de Prada dans la catégorie « Meilleur lancement féminin » (qui prend en compte les parfums ayant un nouveau nom, un nouveau flacon et un nouveau jus)
Fame de Paco Rabanne dans la catégorie « Meilleur flacon féminin parmi les lancements féminins »
J’Adore Parfum d’eau de Dior dans la catégorie « Meilleure déclinaison féminine d’un parfum existant »
Terre d’Hermès Eau givrée dans la catégorie « Meilleure déclinaison masculine d’un parfum existant »
Eau de basilic pourpre d’Hermès dans la catégorie « Meilleur lancement parmi les parfums mixtes »
Aqua Allegoria Forte Mandarine Basilic de Guerlain dans la catégorie « Meilleure déclinaison parmi les parfums mixtes »
Enfin, le prix du public, qui pouvait voter en ligne, a récompensé :
Fame de Paco Rabanne pour le Prix du meilleur lancement féminin
La Petite Robe noire Rose rose rose de Guerlain pour le Prix de la meilleure déclinaison féminine d’un parfum existant
1 Million Elixir de Paco Rabanne pour le Prix de la meilleure déclinaison masculine d’un parfum existant
Aqua Allegoria Nerolia Vetiver de Guerlain pour le Prix du meilleur lancement parmi les parfums mixtes
Aqua Allegoria Forte Rosa Rossa de Guerlain pour le Prix de la meilleure déclinaison parmi les parfums mixtes
Sublissime d’Adopt parfums pour le Prix du meilleur parfum « Autres Circuits »
La cofondatrice du magazine en ligne Auparfum et de Nez a deux passions : sentir et écrire.
The cofounder of online magazine Auparfum and Nez is passionate about
two things: smelling and writing.
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