Des effluves et une œuvre : Rédemption, de Julius Stewart

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À l’occasion de la Nuit européenne des musées ce samedi 18 mai, et pour vous inviter à respirer les œuvres, nous vous proposons de plonger le nez dans Rédemption, analysée par Carole Couturier & Constance Deroubaix dans Nez#14 – Musique & parfum. Cette toile de Julius Stewart, Américain installé à Paris et ancien élève du peintre pompier Jean-Léon Gérôme, est l’une des perles de La Piscine de Roubaix.

En 1905, dans la Ville lumière, règne l’insouciance de la Belle Époque. Dans les cabarets ou les soirées interlopes, la fête, que l’auteur condense ici dans la partie droite du tableau, se poursuit jusqu’au bout de la nuit. Dans une euphorie alcoolisée, les consciences, en s’effritant, s’affranchissent des conventions. Les corps alanguis lâchent prise. La proximité de jeunes femmes dont la peau moite exsude l’essence la plus intime galvanise les hommes d’âge mûr. Leur libido s’emballe, provoquant sous les vestons un surcroît de température et de sudation. Ces effluves virils en surchauffe s’unissent au parfum entêtant des lys qui ornent la table…

Certaines convives tentent de résister à la convoitise masculine. La brune de dos au premier plan repousse l’homme au monocle, un vieux beau au teint rougeoyant et à l’haleine chargée d’alcool dont la main se glisse sous le voile de sa robe. Le geste, déjà, est celui du propriétaire… D’autres couples, aussi improbables qu’éphémères, se forment. Une jeune femme, à droite, enlace par l’épaule un homme au crâne chauve. Une autre, au fond, tend joyeusement les bras au fumeur de cigare ; l’âcre nuage de foin coupé mêlé d’ammoniac lui va droit dans le nez…
L’assemblée semble trop absorbée pour remarquer la grande blonde au regard halluciné, dressée devant sa chaise. Le petit jour blafard, qui point à gauche entre les lourds rideaux de velours, éclaire sa toilette immaculée. Une robe somptueuse ornée de perles et piquée à l’endroit du cœur d’une rose opulente aux couleurs tendres. Deux autres sont plantées de part et d’autre du chignon. Les pétales embaument de leur parfum délicat le visage pétrifié.

La main droite tient l’iris. Cette fleur était, pour les anciens, la messagère des dieux ; aussi sa présence dans ce tableau à l’aura mystique n’a t-elle rien d’anodin. Par ailleurs, dès les années 1900, elle était prisée de la parfumerie de luxe, pour sa senteur poudrée. Deux autres iris se fanent à terre. Ils évoquent Fleur qui meurt, créé en 1901 par Jacques Guerlain et dont la chaude odeur d’iris et de violette illustrait cet ultime instant où la fleur rend l’âme en libérant son parfum.
Beaucoup plus inquiétante est l’autre main, dont les quatre doigts griffus se déploient sur la table.
À partir de ce détail aux relents de soufre, le sens du tableau se dévoile. En proie au démon, la jeune femme est foudroyée par une apparition. Son regard bleu fasciné fixe le christ en croix dont l’image se révèle à nous, spectateurs, dans le miroir situé derrière elle. Va-t-elle réussir à s’arracher à ce monde de débauche et de vacuité qu’incarne, à droite, la fumeuse solitaire ? Tout porte à le croire : la robe virginale, la lumière du jour qui éclot et jusqu’au titre de l’œuvre. Rédemption fait de son héroïne une moderne Marie-Madeleine. 

Visuel principal : Julius Stewart, Rédemption, Huile sur toile (détail), 1905. La Piscine, musée d’art et d’industrie, Roubaix. Source : Wikimedia Commons

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