Bras de fer olfactif : Le Nez insurgé muscle la culture du parfum

Hier soir à Bordeaux se tenait un tournoi d’un genre très particulier, auquel j’ai eu le plaisir d’être invitée. Un moment de pure culture olfactive, populaire et fédérateur, organisé par l’équipe de la parfumerie Le Nez insurgé.

Le premier (à ma connaissance) « bras de fer olfactif » avait lieu hier chez Blonde Venus, une sorte de cabaret atypique et fort sympathique situé dans le quartier des Bassins à Bordeaux. Il était organisé par l’équipe de la parfumerie indépendante Le Nez insurgé, qui célébrait par cet événement ses huit ans d’existence. Dorothée Duret, sa fondatrice, m’a expliqué que l’idée lui est venue à la suite de la rencontre avec un client qui, très indécis, avait senti beaucoup de parfums. Ne sachant plus lequel était sur quelle mouillette, il interrogeait son hôte, qui répondait du tac-au-tac, suscitant la surprise du visiteur :  « mais vous les reconnaissez donc tous ?? » Ce petit jeu involontaire a ainsi fait germer l’idée de cette rencontre ludique et festive, rassemblant clients du Nez insurgé, amis venant encourager les participants et professionnels de la parfumerie dont les créations sont vendues dans la boutique (dont Nez !)

Mémoriser et identifier

Mais alors, en quoi consiste un bras de fer olfactif ? C’est très simple, au lieu de mesurer la puissance musculaire de votre biceps avec celle de votre adversaire, vous comparez votre capacité à mémoriser une fragrance et à pouvoir en donner le nom le plus rapidement possible en la sentant.
Les participants, pour la plupart des habitués de la boutique, ont reçu il y a un mois un kit de 24 échantillons soigneusement sélectionnés par la boutique pour s’entraîner, notamment lors d’ateliers organisés au Nez insurgé. Car apprendre à mémoriser des odeurs n’est pas si évident que ça en a l’air. On connaît bien sûr par cœur les parfums que l’on porte, que l’on aime, qui sont marquants olfactivement. Mais comment s’y prend-on pour en retenir 24 en un mois ? Sentir en groupe, en se donnant des « portes d’entrées » peut parfois aider à retenir ce qui constitue la signature reconnaissable d’une composition. Pas forcément en entrant par l’identification d’une matière, mais en écoutant aussi, et surtout, son ressenti, ce qu’il évoque en nous de manière unique et personnelle : ce parfum me rappelle immédiatement ma grand-mère ? Celui-ci sent la pomme de terre ? Bingo !

Affrontements olfactifs

Le jour J, les 32 participants bien entraînés sont enfin prêts à s’affronter, deux par deux, au cours de cinq manches qui aboutiront à une finale désignant un grand vainqueur.
Dorothée explique les règles : une fois tout le monde bien installé à sa table, face à face, avec en guise de mémo sous les yeux un visuel représentant les 24 parfums dessinés (mais sans les noms), les mains bien posées à plat sur la table, elle choisit en cachette une référence qu’elle vaporise sur deux mouillettes, pose celles-ci devant les combattants, et au son de la cloche, ils peuvent enfin mettre la mouillette sous leur nez : le premier qui trouve le nom du parfum remporte la manche !

On a le droit de se tromper bien sûr : dans ce cas, l’adversaire a cinq secondes pour donner une autre réponse et ainsi de suite jusqu’à la victoire. Parfois, c’est fulgurant (on imagine qu’ils l’ont même sans doute reconnu avant de saisir la mouillette !), d’autres fois, c’est moins évident… Et, sachant qu’un parfum peut être représenté plusieurs fois au cours des combats, on ne peut pas fonctionner par élimination !

Au fur et à mesure, les noms des vainqueurs sont inscrits sur un tableau posé sur la scène, et, afin de rendre l’audience elle aussi active, celle-ci est invitée à parier sur les meilleurs participants, à partir des quarts de finale. Les cinq meilleurs parieurs étant récompensés par des bons d’achat de la boutique.

Finale féminine

Une fois toute la série de rencontres terminée, ce sont deux jeunes femmes qui se sont affrontées en finale : Maëlle – particulièrement rapide dans toutes ses épreuves – et Camille – chirurgienne de profession – qui a remporté le tournoi en identifiant en moins d’une seconde le parfum Feu Zinzolin, de la collection Couleurs par Le Nez insurgé, subtilement choisi par Dorothée pour clore les matchs. Fière et galvanisée par la victoire, la gagnante a déclaré s’être intéressée à la parfumerie de niche en entrant un jour dans la boutique, et que cet intérêt n’était pas, contrairement à ce que l’on croit trop souvent, réservé à une élite de connaisseurs, mais pouvait au contraire être  « pratiquée » et appréciée par tout le monde.

Tout au long de la soirée, les professionnels invités – Véronique Le Bihan d’Atelier Materi, Philippe di Meo de Liquides imaginaires, l’agent Jérôme Hergott, Étienne de Swardt d’État libre d’Orange, Philippe Solas d’Une Nuit nomade, Manon de la chaîne Youtube Ma note de coeur, Cindy de la parfumerie Cdesbrosses Institut, Marie de Parfumerie Basic ou encore les parfumeuses Amélie Bourgeois de Flair et Clémentine Humeau des Olfactines, et bien d’autres – ont pu intervenir pour parler de leurs créations, notamment lorsque les parfums sentis étaient les leurs. On notera par exemple un attrait particulier chez les clients fidèles du Nez insurgé pour Beauté du diable de Liquides imaginaires, qui est d’ailleurs celui qui a été choisi par la gagnante Camille comme trophée de sa victoire !

Les participants sont tous repartis avec divers cadeaux, dont des livres publiés par Nez, et bien sûr un exemplaire de la nouvelle publication gratuite Niche by Nez pour tout le monde !

Culture olfactive pour tous

Cet évènement m’a semblé être une des meilleures preuves qu’avec un peu d’imagination, de l’enthousiasme, une envie de s’amuser et de fédérer, la culture olfactive pouvait être accessible au plus grand nombre, et cela sans se prendre trop au sérieux, avec au contraire beaucoup de légèreté, de rire et de partage. Il rappelle également que les points de vente de la parfumerie indépendante sont des lieux essentiels au rayonnement de cette culture, et doivent permettre, comme le font si bien Dorothée et son équipe, de rassembler, éduquer, fidéliser dans un esprit bienveillant, inclusif et vertueux, et tout cela bien sûr en chair et en os, bien loin de l’agitation souvent stérile et inconsistante des réseaux sociaux et de l’ambiance guindée et snob de beaucoup d’évènements professionnels. J’avais l’impression d’assister à un vrai jeu populaire, à la fois bien organisé et maîtrisé, mais très détendu et fluide dans son déroulement, et dans lequel la mémoire olfactive et l’intérêt pour la parfumerie étaient enfin au centre de tout. Autant vous dire que ça m’a rendue optimiste. Vivement le prochain !

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