Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a les parfums qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Après le récit de Jean-Claude Ellena sur Diorella, nous vous proposons de poursuivre cette série en compagnie de Jean-Michel Duriez, qui retrace sa rencontre avec ce grand classique de Guerlain qu’il découvrait à la fin des années 1980 sous sa forme extrait, aujourd’hui disparue…
J’aimerais vous parler ici d’un puissant souvenir. Celui de la persistance olfactive, voire rétinienne, d’un parfum que je sentais avec une addiction compulsive il y a 35 ans : l’extrait d’Après l’ondée composé par Jacques Guerlain en 1906. Si cette création n’existe plus aujourd’hui qu’en eau de toilette, c’est que l’extrait n’a pas survécu aux évolutions de la réglementation des matières premières. Guerlain a préféré s’en séparer. Cruel mais sage. Dès lors, afin d’écrire sur un parfum disparu, deux solutions se présentent : filer à l’Osmothèque et prier pour qu’il y soit, ou laisser parler sa mémoire, ses souvenirs, ses délires. Je choisis la deuxième option puisqu’on me demande ici de raconter comment cette création a changé ma vie.
Ce parfum est une légende : on racontait que l’extrait était composé d’une grande quantité d’ingrédients en infusion alcoolique, ce qui rendait l’ajout d’alcool inutile pour en faire un parfum. Au lieu de l’appeler « extrait », on aurait donc pu aussi bien le nommer « infusion ». Jacques Guerlain, dit-on, cherchait à capturer l’odeur de la nature après une pluie d’été, ces effluves que presque tous les parfumeurs citent parmi leurs préférés. Je n’avais alors ni chromatographie, ni accès secret chez Guerlain. Je ne pouvais donc qu’imaginer qu’il y avait là une infusion de mousse de chêne bien humide. Mais ce que l’on sentait en premier, c’était bien sûr cet accord irisé puissant, adouci d’une paille anisée et moite. Arrivaient ensuite des fleurs détrempées par la pluie : fleur d’oranger anthranilée[1]En référence à l’anthranilate de méthyle, voir https://www.scentree.co/fr/Anthranilate_de_Méthyle.html, mimosa anisique[2]En référence à l’aldéhyde anisique, voir https://www.scentree.co/fr/Aldéhyde_Anisique.html, jasmin benzylé, violette iononique[3]En référence à l’acétate de benzyle, voir https://www.scentree.co/fr/Acétate_de_Benzyle.html et œillet eugénolé. Et comme en 1906, on s’inspirait souvent de la Fougère royale de Houbigant lancée en 1882, Après l’ondée en reprenait subtilement en fond le salicylate d’amyle[4]Voir https://www.scentree.co/fr/Salicylate_d_Amyle.html, la lavande et une « coumarinade » de fève Tonka. Qu’on me pardonne tous ces néologismes chimiques : le jeune parfumeur que j’étais adorait déjà cette dualité fertile entre le naturel et le synthétique. Et Jacques Guerlain était un virtuose pour l’orchestrer. La vanille, en fond, y était presque anecdotique ; c’est plus tard que naîtront les « super-guerlinades » dont l’Heure bleue, petite sœur « chamallowesque » d’Après l’ondée, puis Shalimar – même si Aimé avait déjà entrouvert le chapitre guerlinade avec Jicky en 1889.
Mais surtout, surtout, je m’étais convaincu qu’il y avait là une baignoire d’infusion de musc Tonkin, qui me faisait vibrer de haut en bas. J’ai écrit que « le parfum est une émotion fluide » et que « nos existences vibrent au fil de ses ondes ».[5] Dans l’ouvrage Au Cœur du goût (coécrit avec Pierre Hermé), publié en 2012 aux éditions Agnès Viénot. Je réalise aujourd’hui que c’est l’extrait d’Après l’ondée qui m’a soufflé ces mots. Tout mon amour, toute ma vie dédiée au parfum ont été nourris des vibrations primitives et animales d’une fantasmatique infusion de musc que j’imaginais provenir de ce flacon. Je ne serais pas étonné qu’il y eût aussi un poil de cumin. Pour ma marque, en 2017, j’en reprendrai d’ailleurs quelques notes dans mon parfum Seine amoureuse, l’accord iris-musc s’animant quand on le fait vibrer avec un peu de cumin. Puis, dans W/ood Musk deux ans plus tard, j’ai poussé encore plus loin cet effet irisé-animal-cumin, ce qui a rendu dingues quelques centaines de clients au Moyen-Orient…
On le sait, un parfum c’est une évaporation de molécules aux poids moléculaires étagés, dont l’évolution est ainsi programmée par un parfumeur. Ce qui me touche dans Après l’ondée, c’est cette apparente légèreté propulsée par des notes chaudes et animales. Le génie, c’est lorsque la narration se calque avec précision sur l’évaporation. Ici, Guerlain raconte l’humidité – les notes de tête florales, légères – qui remonte après la pluie, exhalée par une terre chaude – les notes irisées, épicées et musquées.
Et puis il y a cette image. Quand j’étais ado, je faisais beaucoup de photographie jusqu’à procéder moi-même aux tirages. J’étais donc émotionnellement prêt pour accueillir le monde visuel du parfum. J’étais fou de la jeune Linda Evangelista assise sur le sable des îles pour Fidji, et d’Yves Saint Laurent, posant nu pour YSL pour homme. Je venais à peine de tomber amoureux d’Après l’ondée quand je découvris la publicité qui l’illustrait : une jeune femme traversant un ruisseau sur un petit pont, tenant une ombrelle. Elle est abritée par quelques arbres dans une aura noire et blanche diffuse, délicate. On imagine qu’elle vient de reprendre sa balade après l’ondée. Quand la narration se calque sur l’évaporation… Persistance rétinienne, je n’ai jamais retrouvé cette photo.[6]Il s’agirait d’une publicité dont la photographie d’Edouard Boubat, visible ici, serait inspirée.
Aujourd’hui, rien de tout cela ne serait fait de la même manière, même si au fond, Après l’ondée c’est un peu le mariage de Legolas[7] Prince elfe, personnage principal du Seigneur des anneaux de J. R. R. Tolkien. et de Daenerys Targaryen[8]Princesse, personnage du Trône de fer de George R. R. Martin et de son adaptation en série Game of Thrones dans la forêt de Brocéliande. Je vous le disais, ce parfum est une légende.
Princesse, personnage du Trône de fer de George R. R. Martin et de son adaptation en série Game of Thrones
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Jean-Michel Duriez
Après avoir été parfumeur pour les maisons Jean Patou et Rochas entre 1997 et 2014, Jean-Michel Duriez devient créateur indépendant et crée en 2016 la marque Jean-Michel Duriez Paris, aujourd’hui arrêtée. Il a entre autres signé Enjoy et Sira des Indes de Jean Patou, Eau sensuelle et Eau de Rochas fraîche pour Rochas, Lacoste Live, puis Seine amoureuse, Mon Paris secret ou encore Ombres furtives pour sa propre maison. Il a également collaboré avec la marque Carlotha Ray.
S’ils ne sont pas souvent mis en avant, une poignée de chercheurs travaillent patiemment pour mieux comprendre le fonctionnement de notre odorat, son influence sur notre expérience quotidienne, son lien avec les émotions… À l’occasion de la sortie de Nez #14 – Musique & parfum, nous donnons la parole à Roxane Bartoletti, doctorante en psychologie cognitive et expérimentale à l’université Côte d’Azur (Nice) au laboratoire LAPCOS, qui présente sa thèse en cours sur cette thématique.
En cherchant à adopter une approche multisensorielle dans votre travail, vous vous penchez en particulier sur l’odeur et la musique. Comment ces thématiques sont-elles apparues dans votre parcours en psychologie ?
Avant mes études, j’étais curieuse des perceptions, les miennes comme celles des autres : on est nombreux à se demander, par exemple, si on voit tous le rouge de la même manière, ou à constater que la sensation de chaud est différente selon les individus. J’étais notamment fascinée par le plaisir que l’on peut éprouver à l’écoute d’une chanson et j’ai choisi de travailler sur le frisson musical lors de ma licence en psychologie. En première année de Master, j’ai réalisé un mémoire sous la direction de Xavier Corveleyn à propos de l’influence de la musique active (c’est-à-dire en ne se focalisant pas sur l’écoute passive, mais sur la pratique d’un instrument de type percussion) sur les fonctions exécutives des personnes adultes atteintes d’Alzheimer ou maladies apparentées. J’ai adoré participer à un protocole de recherche, cela m’a orienté à poursuivre dans cette voie. En Master 2, partant de l’expérience de la « rubber hand illusion »,[1]Expérience établie par M. Botvinick et J. Cohen en 1998, où l’on place une main factice devant un participant, qu’il ressent finalement comme la sienne (illusion d’appartenance … Continue reading j’ai voulu comprendre comment nos sens permettent de construire l’impression d’appartenance à notre propre corps. Mais ce n’est que lors de mon Master 2, soit quatre ans après le début de mes études supérieures en psychologie, que j’ai eu le premier cours de ma vie liant olfaction et psychologie, dispensé par Moustafa Bensafi[2]Retrouvez le podcast Smell Talks by Nez de Moustafa Bensafi ici et sur vos plateformes d’écoute habituelles. : preuve que, même dans les études supérieures, on n’en parle pas assez.
Vous travaillez actuellement, dans le cadre de votre doctorat, à comprendre l’influence de la musique et des odeurs sur la cognition humaine. Comment s’est construit votre projet de recherche ?
Lors de mon second Master 2, je me suis intéressée de près au développement psychologique de la personne âgée. Je trouve la question importante, d’une part car la population mondiale est vieillissante, mais aussi d’un point de vue très personnel, afin de s’y préparer. J’avais envie de montrer que, jeune ou âgé, on peut entretenir nos fonctions cognitives par la mise en place de stratégies. Certes, le fonctionnement exécutif est l’une des premières à décliner, avec la vitesse du traitement de l’information, qui prend plus de temps avec l’âge. Mais l’apprentissage et les expériences vécues permettent de modeler des stratégies qui peuvent être très efficientes. Lier odorat et musique dans ma recherche m’est alors apparu comme une évidence, car notre environnement est lui-même, de fait, multisensoriel. J’ai ainsi développé une méthode en psychologie cognitive permettant d’étudier l’influence de celui-ci sur les fonctions exécutives des adultes jeunes et âgés, sous la codirection de Xavier Corveleyn et Dirk Steiner, mais aussi avec l’aide de collaborateurs d’autres disciplines, chimistes et physiciens, comme Martine Adrian-Scotto et Serge Antonczak.
Le fonctionnement de l’ouïe et de l’olfaction est-il similaire ?
Pas d’un point de vue neurologique, car ils ne sont pas de même nature : l’audition est mécanique, dans le sens où ce sont des vibrations mécaniques de fluides (gazeux comme l’air) qui vont activer toute une cascade de mécanismes qui permettront une transduction d’un message mécanique à un message neuronale électrique ; tandis que l’olfaction est un sens chimique : c’est une molécule chimique qui est le messager d’une information, dont suit toute une activité neuronale. Lorsque l’information arrive au cerveau, ce n’est d’abord pas dans les mêmes zones (zones primaires, zones temporales et thalamus pour l’audition ; cortex piriforme et amygdales sous-corticales pour l’olfaction) mais quand elle s’étend dans le cerveau, odeur et musique peuvent stimuler des aires cérébrales communes, comme par exemple le cortex orbito-frontal ou temporal. Au-delà des zones cérébrales activées, ce sont bien évidemment les connexions entre ces zones qui sont importantes et intéressantes. Ce qui est également semblable, c’est que dans les deux cas l’information passe par l’intermédiaire d’un organe récepteur (le nez ou l’oreille) pour remonter jusqu’au cerveau, nous donnant une information sur notre environnement qui nous permet d’adapter notre comportement, consciemment ou non. Mais il y a aussi des différences au niveau de la réception psychologique : par exemple, l’effet du contexte et de la familiarité semblent plus importants pour notre sens olfactif que pour notre sens auditif. Le but de ma recherche est de comprendre comment musiques et odeurs peuvent tous deux influencer les performances cognitives des individus.
Votre projet a pour but d’observer si musiques et odeurs peuvent améliorer les « performances des fonctions exécutives » des individus. Qu’entendez-vous par là ?
Les performances des fonctions exécutives renvoient en partie à ce que l’on appelle communément la concentration : une attention sélective est mobilisée durant une tâche, avec parallèlement un processus d’inhibition des distracteurs. Nous utilisons trois fonctions exécutives au quotidien : l’inhibition de réponse prépondérante, où l’on inhibe un schéma de base ; la flexibilité mentale, grâce à laquelle on peut rapidement s’adapter à un nouveau contexte ; et la mise à jour en mémoire de travail : garder une information en tête et y opérer des transformations..
Quelle est la méthode que vous avez mise en place pour mesurer cela de manière empirique, sans passer par l’imagerie cérébrale ?
J’ai distingué deux groupes, un premier comprenant des personnes âgées de 18 à 35 ans et un second entre 48 et 65 ans. Dans chaque groupe, il y a deux sous-groupes : soit on impose des musiques et des odeurs, soit les individus doivent nous fournir une liste.
Prenons le premier cas : parmi douze musiques et odorants – molécules que je fais sentir – qui sont présentés, les participants doivent noter différents critères : intensité, familiarité, favorabilité sur les performances cognitives… Ils les écrivent, mais je ne prend pas en considération leur préférence. Deux musiques et deux odorants sont déjà pré-choisis : pour cela, je me suis basée sur une étude que j’avais déjà réalisée pour rechercher les plus polarisants. Ainsi, la vanilline et l’éthyl maltol sont par exemple souvent plus appréciés, de même que la musique classique ; le diméthyl sulfide, très soufré, ou le métal et le rap, sont moins aimés en général. Dans le second cas jouant sur la personnalisation, les individus fournissent six chansons qu’ils perçoivent comme meilleures ou pires pour leur concentration, et des odeurs préférées parmi celles qui leur sont présentées. Cette étude sur des environnements soit imposés soit personnalisés me semble essentielle pour remettre en question le discours rabâché selon lequel la musique classique serait meilleure pour la concentration (ce qui est dû à une étude, largement décriée depuis, sur « l’effet Mozart »), la lavande pour se calmer… Car il est difficile d’établir des normes universelles sur des perceptions sensorielles : elles sont liées aux constructions personnelles, à notre enfance, à la société… Pour certains, par exemple, le diméthyl sulfide sent la truffe ; pour d’autres, la lavande est liée à de mauvais souvenirs.
Votre thèse, commencée en 2019, touche bientôt à sa fin. Certains résultats ont-ils déjà émergé de votre recherche ?
Je sors d’une succession de 420 rendez-vous que je dois désormais analyser. Avec le Covid-19, la thèse a pris plus de temps que prévu puisque je ne pouvais pas recevoir les gens en laboratoire pour leur faire sentir des odorants ou leur faire faire des tâches cognitives. J’ai commencé par faire une étude en ligne, avec 441 participants, me montrant que l’écart générationnel lié à la technologie était important : concrètement, les jeunes sont plus flexibles dans leur écoute musicale, tandis que les personnes âgées passent principalement par la radio. Les premiers sont ainsi plus habitués à créer des playlists personnalisées, préfèrent le rap et l’électro, et trouvent la musique de fond favorable pour se concentrer, à l’opposé des seconds. Mais finalement, pour les deux groupes d’âge, le classique et le jazz sont préférés pour se concentrer. On peut noter que les adultes âgés s’adaptent moins, supportent moins la nouveauté vécue comme une instabilité. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est d’observer la différence entre ce que les personnes pensent et ce que l’on peut effectivement observer. Il y a parfois un grand décalage : la musique choisie peut donner le sentiment d’avoir aidé à accomplir une tâche, mais il n’y a pas de résultat objectif dans la performance même. Cependant, on ne peut pas mettre les ressentis de côté. J’ai aussi pu observer que globalement, alors qu’elles pensent souvent ne rien pouvoir reconnaître, la majorité des personnes sont dans la norme au niveau de l’identification des odorants, obtenant une note de 10 sur 12 au moins. Mais les adultes les plus jeunes ainsi que les adultes les plus âgés ont généralement davantage de difficultés.
Quels seraient les champs d’application possibles de vos résultats de recherche ?
J’aimerais que l’on puisse penser à des applications en lien avec des pathologies, en modifiant par exemple les espaces comme la maison, le travail, les institutions. Dans l’immédiat, cela semble plus facile dans le cas de l’ouïe que dans celui de l’odorat, les outils de diffusion restant limités. Pourtant, on a tous ce souvenir du loto des odeurs, le seul lié à l’éducation de notre nez : même si on ne conscientise pas toujours la richesse de notre environnement olfactif, elle est à la portée de toutes les personnes ne souffrant pas d’anosmie, il suffit d’y être plus attentif. Je voudrais éviter les applications trop capitalistes, qui ont tendance à vampiriser la recherche. Cela pose un vrai problème, poussant les chercheurs à faire du nombre, à publier, quitte à mettre de côté la qualité.
Expérience établie par M. Botvinick et J. Cohen en 1998, où l’on place une main factice devant un participant, qu’il ressent finalement comme la sienne (illusion d’appartenance corporelle).
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
« Toi qui entres ici, abandonne tout espoir d'entendre la vérité », pourrait-on dire au novice s'intéressant à la parfumerie. Il est vrai que les fables, secrets et mensonges sont légion dans le milieu. Voici donc une petite typologie de ces discours trompeurs, d’une part car il vaut mieux en rire, d’autre part car cette culture du mystère a occasionnellement ses raisons, et qu’il n’est pas vain de les explorer.
Docteur en esthétique et sciences de l'art et enseignant à l’université Sorbonne Nouvelle, il est rédacteur pour Auparfum et Nez et travaille sur les liens qui unissent art et politique.
De la dinde rôtie aux clémentines, en passant par le plateau de fruits de mer et les biscuits à la cannelle, le menu traditionnel de Noël offre un véritable kaléidoscope d’odeurs… Sans oublier le sapin et le feu de cheminée, qui complètent cette atmosphère festive et familière. Pour briller lors des repas de famille, nous vous proposons notre dissection de l’ambiance olfactive de Noël, initialement publiée dans Nez, la revue olfactive #12 – Design et parfum.
Le feu de cheminée
Rien de tel qu’une bonne flambée pour réchauffer les longues soirées d’hiver. Le feu qui crépite dans la cheminée et l’odeur boisée, fumée et réconfortante qu’il répand font partie des incontournables de l’atmosphère du Noël traditionnel. Au coin de l’âtre, on inhale un mélange de guaïacol, aux facettes boisées épicées et vanillées, de syringol, qui évoque le bacon fumé, de méthylguaïacol, aux notes fumées médicinales et cuirées, et d’isoeugénol, qui sent le clou de girofle. Une bûche d’un bois plus vert, choisie pour que le feu se prolonge pendant la nuit, produira une senteur plus humide, aux relents de mousse.
Le plateau de fruits de mer
Faut-il le servir avant ou après le foie gras et le saumon fumé ? Les avis divergent, mais il n’en reste pas moins un grand classique du menu des fêtes de fin d’année. Les huîtres y tiennent la vedette avec leurs notes marines et salines. Ni l’iode ni le sel n’ayant d’odeur, elles résultent d’un mélange de molécules aux facettes soufrées (sulfure de diméthyle, pentanal), vertes (hexanal, octanedione) et aldéhydées (nonanal, decanal, nonadiénal). On peut les agrémenter de citron, aux notes vives et hespéridées de citral, ou, pour les amateurs, d’une sauce vinaigre-échalotes qui exhale quant à elle un fumet aigre dû à l’acide acétique et à des composés soufrés.
Le sapin
Êtes-vous plutôt Nordmann ou épicéa? Chargé de guirlandes, boules et autres décorations, abritant les cadeaux à son pied et embaumant toute la maisonnée de délicieux effluves résineux, c’est lui le roi de la fête! Voir dans les arbres à feuilles persistantes un symbole de vie au cœur de la saison froide n’est pas nouveau: dès l’Antiquité romaine et égyptienne, on décore les habitations de branchages lors du solstice d’hiver. Mais c’est à la Renaissance, dans les pays germaniques, que la présence des premiers sapins décorés pour Noël est attestée. Au fil des siècles, la tradition se répand ensuite dans l’Europe protestante – notamment lorsque le mari de la reine Victoria, Albert, fait dresser un sapin de Noël au château de Windsor en 1841 –, avant de se généraliser un peu partout dans le monde au XXe siècle. Longtemps hégémonique en France, l’épicéa (Picea abies) est sérieusement concurrencé depuis une vingtaine d’années par le sapin de Nordmann (Abies nordmanniana), qui représente désormais trois quarts des ventes. Originaire du Caucase, ce dernier offre l’avantage de conserver ses aiguilles plus longtemps malgré le chauffage… mais il est nettement moins odorant que l’épicéa – lequel doit principalement son parfum suave et résineux à l’acétate de bornyle boisé et camphré, à l’alpha-pinène, qui rappelle la térébenthine, au bêta-pinène frais et boisé, et au camphène, typique des aiguilles de pin. Plus discrète et plus végétale, la senteur du Nordmann s’explique quant à elle par la présence de carène, d’alpha-pinène, de bêta- pinène, de bêta-phellandrène, de limonène et de terpinolène.
Clémentines, mandarines et oranges
Leurs quartiers juteux et vitaminés font figure de rafraîchissement bienvenu à la fin des agapes. Mais c’est avant même la dégustation que les agrumes se font le plus odorants : lorsqu’on les pèle, on rompt en même temps que l’écorce les minuscules poches qui contiennent l’huile essentielle. Ce sont leurs projections qui parfument nos doigts et l’air ambiant de notes zestées, à la fois fraîches et ensoleillées. Riche en limonène et octanal, l’orange est la plus fruitée et sucrée, tandis que la senteur plus verte, plus tonique, plus amère et légèrement aldéhydée de la mandarine, originaire de Chine, est due à la présence additionnelle de gamma-terpinène, d’alpha-pinène, de bêta-pinène et de décanal. Hybride naturel des deux précédentes découvert par le frère Clément au début du XXe siècle, la clémentine a l’avantage de contenir très peu de pépins. Elle présente un profil à la fois fruité et zesté, avec des nuances métalliques qui proviennent du myrcène et du décanal.
La volaille rôtie
Qu’il s’agisse d’une dinde, d’une poularde ou d’un chapon, qu’elle soit fourrée aux marrons ou à la truffe, elle est de rigueur sur la table du réveillon. Durant l’Antiquité, les Romains organisaient déjà lors du solstice d’hiver des repas copieux au menu desquels figurait notamment une oie. La tradition de la volaille de Noël s’est ensuite perpétuée, la dinde apparaissant sur les tables européennes au XVIIe siècle: rapportée d’Amérique par Christophe Colomb, elle est alors un mets de choix. Longuement rôtie au four jusqu’à ce que sa peau devienne dorée et croustillante, elle diffuse dans la cuisine ses effluves grillés, gras, presque caramélisés. Ce bouquet irrésistible est dû à des pyrazines, parmi lesquelles la diméthylpyrazine, aux facettes de viande grillée et de café, la triméthylpyrazine, qui rappelle la noisette et le moisi, la diméthyl-éthylpyrazine, qui sent le pop-corn et le cacao grillé, l’éthylpyridine, aux notes de tabac et de cuir, et la méthylthiazole, aux intonations de légumes verts.
Les épices
Particulièrement appréciées en Alsace et dans les pays du nord de l’Europe, elles se retrouvent dans le pain d’épices servi avec le foie gras, les biscuits, le vin chaud, etc. Leur association avec la période de Noël remonte au Moyen Âge. Dans les monastères du nord de l’Europe, l’Avent était consacré à l’introspection et au jeûne, mais les douceurs aux épices restaient autorisées, ces dernières étant considérées comme purificatrices pour le corps et l’esprit. Star des épices de Noël, la cannelle doit ses notes douces et chaudes à l’aldéhyde cinnamique. Montant, légèrement médicinal et métallique, le clou de girofle est riche en caryophyllène et eugénol. Les mélanges traditionnels comprennent également des épices froides : du gingembre piquant et zesté, en raison de la présence de zingibérène, de camphène, de limonène, d’alpha- et de bêta-pinène; de la muscade boisée et aromatique, qui contient du sabinène, du terpinéol, de la myristicine et de l’alpha-pinène; et de la badiane, à laquelle l’estragol, l’anéthol et le safrole confèrent des facettes anisées.
Merci au parfumeur Serge de Oliveira (Robertet) pour ses descriptions olfactives.
Devenue journaliste après des études d'histoire, elle a exercé sa plume pendant dix ans au Nouvel Observateur, où elle a humé successivement l'ambiance des prétoires puis les fumets des tables parisiennes. Elle rejoint l'équipe d'Auparfum, puis de Nez, en 2018 et écrit depuis pour les différentes publications du collectif, notamment dans la collection « Les Cahiers des naturels », ou encore Parfums pour homme (Nez éditions, 2020).
Parce qu’il est l’un des trois présents rapportés par les Rois mages, l’encens est une note de saison. Mais c’est aussi l’une des grandes tendances actuelles de la parfumerie de niche.
Pour célébrer cette fin d’année, nous vous proposons un tour d’horizon historique, chimique et olfactif, éclairé par les regards d’Olivia Giacobetti et d’Anaïs Biguine.
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
À Oman, le directeur créatif d’Amouage, maison de parfum fondée dans le sultanat en 1983, supervise un vaste projet qui associera une production responsable de la précieuse résine sur fond d’animations touristiques et culturelles.
Amouage a signé en 2022 un partenariat avec le Ministère de l’héritage et du tourisme d’Oman, pour l’exploitation d’un site historique de la culture de l’encens. En quoi consiste cet accord ?
À Oman, quatre sites classés au Patrimoine mondial de l’Unesco constituent ce qu’on appelle The Land of Frankincense, « La Terre de l’Encens » : les ports de Khor Rori et Al-Baleed, le site archéologique de Shisr (également appelé Ubar) et le Wadi Dawkah – un wadi étant de manière générale un canyon creusé par le lit d’une ancienne rivière. Le partenariat conclu porte sur la gestion de ce dernier. D’une vaste superficie (5 km2), il est consacré à la culture du Boswellia sacra, une variété d’arbre à encens. Amouage hérite d’une double mission pour les décennies à venir : y produire cette matière première et développer le tourisme. La création d’une pépinière où pousse actuellement un cheptel de 5 000 à 6 000 arbres nous permettra de densifier la culture. Pour le moment, il n’existe qu’une route, un parking et quelques bâtiments pour apporter de l’ombre aux visiteurs. Le cahier des charges nous impose de protéger le biotope mais aussi l’héritage historique du site.
À quel public vous adressez-vous ?
Le site sera ouvert à tout le monde. Le but n’est pas d’en faire une destination payante. Dans un premier temps, nous nous adresserons aux amoureux du parfum. L’idée c’est qu’ils puissent se dire, « tiens, un jour j’irai là-bas », comme on projette d’aller à Grasse. Dans cette optique de séjour lié au parfum, à Oman il y a déjà la ville de Muscat, où il est possible de visiter la manufacture Amouage. Il y a aussi le Djebel Akhdar, connu sous le nom de Montagnes Vertes, renommé pour sa culture de la rose. Nous avons d’ailleurs prévu d’y effectuer des aménagements pour optimiser encore l’accueil des visiteurs. Nous souhaitons faire du Wadi Dawkah la troisième destination locale autour du parfum. Dans un premier temps, on y viendra pour découvrir le berceau de l’encens, avec la culture des arbres. Puis, dans plusieurs années, le public pourra assister à la récolte de la résine, à son extraction et à son conditionnement, avant l’export vers Muscat et à travers le monde. Le premier public visé sera donc celui des connaisseurs.
Et en dehors des amateurs de parfums ?
Nous n’oublierons pas les visiteurs moins connectés avec cette industrie. Ceux qui recherchent une activité touristique annexe trouveront une approche pédagogique et la vente sur place de produits locaux autour de l’encens – et pas uniquement des produits Amouage, je tiens à le préciser. Enfin, nous ciblerons de manière plus générale les habitants d’Oman et du Moyen-Orient. Ce wadi, proche de l’aéroport de Salalah, est en effet une destination touristique assez prisée en juillet-août, lorsque le climat est plus tempéré. Les visiteurs locaux pourront ainsi redécouvrir cet ingrédient qu’ils utilisent chez eux comme parfum mais aussi dans des rituels quotidiens.
Comment allez-vous animer les lieux ?
Le site est sillonné par un chemin d’une dizaine de kilomètres empruntable par les guides locaux, que nous allons impliquer dans le projet et que nous allons former. Le tracé comptera une dizaine d’arrêts. Je travaille à l’installation d’œuvres d’art autour de la thématique de l’encens. Je discute en ce moment avec des artistes locaux et internationaux. Les lieux, très photogéniques, se prêtent bien à l’organisation de concerts et de spectacles : j’ai même trouvé un espace qui a naturellement la forme d’un arc, comme un amphithéâtre. J’aimerais y associer une dimension olfactive, dans le respect du site.
Comment entendez-vous concilier le tourisme et le développement durable, un thème aujourd’hui incontournable quand on parle de matières premières ?
À nous de trouver le bon équilibre. Il y aura bien cette pépinière à l’entrée du wadi, mais 98% du site restera sauvage. Nous nous questionnons encore, par exemple, sur l’alimentation en eau des arbustes destinés à être replantés. Ne sont-ils pas surprotégés ? Pourraient-ils se réguler seuls ? En ce qui concerne les incisions pratiquées sur l’écorce – le tapping –, comment s’assurer qu’elles sont effectuées sans épuiser les arbres ? Nous sommes en train de définir ces pratiques avec les populations locales, qui ont une bonne connaissance du sujet. Et nous les comparons aux pratiques des autres régions productrices : le Somaliland, le Puntland (région autonome du nord-ouest de la Somalie) ou encore le Yemen. Je pense qu’en développant cet encens haut de gamme, nous allons pouvoir répondre à la demande d’un produit exceptionnel, tout en proposant un prix abordable. Des experts des matières premières et du parfum nous soutiennent. Certains nous ont déjà rendu visite.
Qui, par exemple ?
Les « sourceurs » de matières premières Dominique Roques, Stéphane Piquard et Guillaume Delaunay, ainsi que des experts de chez LMR (filiale d’IFF) et Maison Lautier (récemment relancée par Symrise). Une dizaine de parfumeurs se sont rendus à Oman pour évaluer l’encens à nos côtés, parmi lesquels Alexandra Carlin, Cécile Zarokian, Karine Vinchon-Spehner, Domitille Michalon-Bertier, Bruno Jovanovic, Quentin Bisch, Julien Rasquinet, Alexis Grugeon, Pierre Négrin, Dominique Ropion… Un consensus se dégage. C’est un produit d’exception doté de facettes incroyables. Son taux d’alpha pinènes élevé (entre 55% et 75%) lui donne un aspect particulièrement terpénique mais qui est facilement fractionnable. On a affaire à un produit signé, marquant. C’est presque un parfum en soi. Il sent l’agrume, le pamplemousse, le poivre, avec une fraîcheur minérale persistante et très colorée. Tous les parfumeurs et experts en ingrédients sont bluffés.
C’est une exclusivité destinée à la production d’Amouage, ou bien allez-vous partager ce trésor ?
L’objectif n’est pas de réserver la production du wadi à Amouage : nous voulons exporter cet encens sous le nom d’Encens Oman. Notre plan de développement s’articule sur trois ans. Durant la première année, qui a déjà commencé et qui s’achèvera en octobre 2023, nous effectuons une première récolte expérimentale sur des arbres déjà présents sur ce vaste site, pour caractériser l’encens et son profil olfactif, et essayer de définir s’il existe des qualités différentes. Les deux années suivantes seront consacrées au développement des infrastructures touristiques et à la création de l’usine d’extraction, pour laquelle nous sommes en train de réfléchir aux meilleures solutions.
À terme, quel rôle comptez-vous jouer dans le commerce de cet encens ?
L’encens est un ingrédient-clé dans la parfumerie. Il permet beaucoup de créativité sans être trop onéreux : son essence coûte entre 100 et 300 euros du litre. Il n’est donc pas réservé à une élite. Mais l’encens représente l’une des filières les plus obscures et les plus controversées. Les maisons traitent avec des traders, il y a beaucoup d’intermédiaires… Quand on acquiert de l’encens aujourd’hui on est souvent probablement la dixième personne qui touche la résine. C’est aussi lié à son histoire : utilisé comme monnaie d’échange, on paie avec, le produit passe de main en main et la valeur ajoutée se crée souvent au détriment du récoltant. Désormais, les marques communiquent de plus en plus sur les naturels. Elles voudraient être associées à une filière plus transparente. C’est ce que nous pouvons apporter. Nous souhaitons aussi mettre en avant les récoltants. Le wadi, c’est leur outil de travail. Ce sont donc eux qui seront en charge des visites.
Il y a vraiment quelque chose à faire pour aller dans la bonne direction, dans le sens d’un cercle vertueux, en créant de la notoriété autour d’un ingrédient intimement lié à l’histoire de la parfumerie, mais aussi à la mythologie et à la religion.
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Au menu de cette revue de presse, l’évocation olfactive du jardin de Manet, le bouquet surchargé des adeptes du layering et le nez surdoué des héros d’animés japonais.
Malgré l’amertume de la défaite, vous reprendrez bien un peu de ballon rond ? Zinédine Zidane, ambassadeur de la marque Montblanc depuis quelques mois, évoque dans Gala les odeurs de son enfance : les plats de sa mère, l’huile d’olive que son père utilisait pour le masser après le foot, la lavande « dans des champs à perte de vue », sans oublier « l’herbe coupée » et « la rosée » le dimanche matin avant les matchs. Avant d’ajouter, droit au but : « C’est aussi pour tout cela que le parfum Legend [de Montblanc]m’a séduit tout de suite avec ses notes fraîches citronnées et lavande ». Interview promo ou pas, c’est ce qui s’appelle retomber sur ses jambes.
La lavande chère à Zizou colore les champs de Grasse et ses environs, où elle côtoie la capiteuse tubéreuse. Mais pour combien de temps encore ? La production de l’iconique fleur blanche a en effet chuté de 40% en 2022, s’alarme Carole Biancalana, qui cultive ces précieuses variétés pour la maison Dior, dans un long article publié par Bloomberg. On y lit que le réchauffement climatique donne des suées à l’industrie locale et aux maisons de composition, en quête d’alternatives pour parer à la baisse de qualité des matières premières causée par la montée du mercure.
Magistralement figé sur toiles, le jardin de Manet ne connaît pas, lui, les aléas climatiques. À Wall Street (New York), jusqu’à fin février 2023, les allées ombragées de Giverny font l’objet d’une exposition immersive, saluée par les médias locaux comme la chaîne ABC. La visite est ponctuée d’effluves de lavande, de nénuphars et de lilas.
C’est justement des dispositifs olfactifs proposés dans les musées que s’est inspirée la maison de vente aux enchères Sotheby’s pour animer l’une de ses dernières ventes londoniennes, consacrée à des peintures du XVIIe siècle de la collection Grasset. Le site ArtNet explique comment la parfumeuse anglaise Lynn Harris a créé trois bougies, associées à trois tableaux (deux natures mortes et un paysage), pour les narines des enchérisseurs présents sur place et « ceux qui n’ont pas pu acquérir les œuvres ».
Restons dans l’interprétation, cette fois avec une œuvre littéraire majeure, Ulysse de James Joyce. Pour son spectacle Go to Blazes, la performeuse et scent designer Justine Cooper a imaginé les odeurs respirées par Leopold et Molly Bloom, les personnages du quatrième chapitre du célèbre roman irlandais. Pour elle, « Joyce ne souhaite pas qu’on se contente de lire son texte, il veut qu’on l’inhale ». Le quotidien Irish Times énumère quelques-unes des fragrances recrées pour plonger les spectateurs dans la scénographie, parmi lesquelles le fumet d’urine dégagé par les rognons de moutons au petit déjeuner, ou les relents de thé froid et de bouillie au biscuit émanant d’un pub tôt le matin…
Ces odeurs auraient certainement fasciné Jean-Baptiste Grenouille, le héros à l’odorat surdéveloppé de Patrick Süskind. L’auteur du Parfum se fait extrêmement discret depuis la publication de son roman le plus célèbre en 1985. Son jeune confrère François-Henri Désérable a trouvé un prétexte (se faire dédicacer son exemplaire) lui permettant de partir sur ses traces pour le JDD Magazine. Direction l’Aude, où l’auteur allemand réside une partie de l’année. Un jeu de piste s’engage avec les commerçants locaux et même le traducteur de Süskind. De cette savoureuse quête à l’issue étonnante, nous ne vous en dirons pas davantage…
Eux ne se cachent pas, c’est même le contraire. Sur TikTok, les disciples du layering perfume, cette pratique consistant à superposer plusieurs fragrances pour obtenir un sillage personnalisé, font le buzz avec plus de 364 millions de vues autour de recettes de philtres d’amour et autres cocktails gourmands. Pas forcément pour le meilleur, à en croire l’extrait vidéo accompagnant l’article que Madame Figaro consacre à l’exercice. On y découvre l’évocation olfactive d’une piñacolada obtenue d’un spray du Angel Iced Star de Mugler aux accents d’ananas additionné d’un splash de Dolce Garden (Dolce & Gabbana) avec sa note fusante de noix de coco. Selon un employé de la plateforme interrogé par l’hebdomadaire, l’engouement serait dû à « l’authenticité » émanant de ces rituels, pratiqués à l’écart de la « communication traditionnelle ». Narines sensibles, prière de visionner avec modération.
Le rêve de tout influenceur sera-t-il bientôt exaucé ? Le site d’informations technologiques letton Labs of Latvia affirme qu’une caméra capable de capturer des odeurs et de les partager sera commercialisée en 2024. Un prototype de l’appareil serait déjà au point. L’objet s’appuie sur la chromatographie et fonctionne avec des capsules réutilisables. Selon Sandris Murins, à la tête de la start-up en charge du projet, l’outil a été conçu pour capturer « les odeurs de la flore de la jungle amazonienne » comme celles « des restaurants étoilés Michelin ». Sauvegarder un parfum « sera à l’avenir aussi facile que de prendre une photo ou une vidéo », promet l’inventeur, même si l’on peut en douter.
Une autre prouesse scientifique, déjà tangible celle-là, a permis à une patiente prise en charge par des chirurgiens ORL du CHU de Toulouse et de l’Institut Claudius-Regaud de retrouver « l’odeur du café le matin ». Traitée pour un cancer des fosses nasales, elle avait perdu une partie de son nez et de son palais, comme le rappelle Le Monde. Un greffon réalisé à partir d’une modélisation en 3D du nez de la femme a été placé en nourrice sur l’un de ses avant-bras. Après le constat de la pré-vascularisation de l’implant, étape préalable à la reconstruction, la greffe effectuée en septembre 2022 est aujourd’hui considérée comme un succès.
Le CHU de Lille a, lui, dévoilé début décembre un « nez électronique » traqueur de cancers broncho-pulmonaires, annonce La Voix du Nord. Cet appareil développé par un consortium européen de chercheurs n’est pas destiné à être greffé, mais à recevoir l’haleine des patients. Une fois connecté à un téléphone portable relié à une intelligence artificielle, il détecte les composés organiques volatils (COV) libérés par les cellules. Or, lorsqu’un organe devient cancéreux, ces COV mutent, fabriquant une « signature olfactive » décelable. La phase de test en milieu hospitalier toujours en cours pourrait déboucher, dans un futur proche, sur une utilisation dans les cabinets de médecine générale.
Pas sûr que la médecine se penche un jour sur les étonnants pouvoirs des héros d’animés, ces films et séries tirés de mangas. Et pourtant, nombre d’entre eux possèdent un sens olfactif développé, érigé en véritable atout. Le site spécialisé CBR.com recense ainsi dix personnages dotés d’un nez particulièrement sensible, comme Inuyasha, l’héroïne « chien-démon » du dessin animé du même nom, capable d’identifier un ennemi potentiel aux effluves qu’il dégage, ou encore le jeune Gon, de Hunter X Hunter, qui sait reconnaître l’eau de toilette de son père à plusieurs kilomètres à la ronde.
Et c’est ainsi que les mouillettes ne servent pas qu’à déguster les œufs !
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
S’il a certainement existé auparavant, c’est à l’entrée du XXIe siècle que la société IFF officialise le travail collaboratif entre parfumeurs. Depuis, la démarche s’est répandue dans toutes les maisons de composition. Coulisse d’une révolution.
Le voile du secret a toujours drapé l’univers du parfumeur, entretenant le mythe du créateur isolé. Il faut dire que la composition en solo était une réalité au siècle dernier, époque où les relations entre parfumeurs étaient bien différentes. « Lorsque je montrais mes formules à mon mentor Bernard Chant, il me donnait des idées pour avancer, mais ce n’était pas un travail à quatre mains ! » se souvient Carlos Benaïm, maître parfumeur chez IFF. « À l’époque, toutes les formules étaient gardées dans un grand coffre-fort : une chambre remplie de formules sur papier ! » Certes, les collaborations entre créateurs existaient, mais « il y avait toujours un chef parfumeur qui était sur le devant de la scène, et qui jouait le rôle de Prima Donna », poursuit-il. Une personne a pourtant réussi à tout changer : « Nicolas Mirzayantz, [ancien Président international d’IFF Parfums et Arômes] a véritablement cru à un système différent : il régnait une bonne ambiance entre les parfumeurs, Nicolas a su canaliser cette force qui était alors unique dans notre secteur », rappelle Carlos Benaïm. Ils pourront désormais signer les créations à plusieurs. « Je me souviens de la première fois où Sophia Grojsman et moi avons apposé nos deux initiales sur la même formule » poursuit-il. Le début d’une nouvelle ère pour la société IFF, qui a depuis multiplié les succès sous ce modèle : La vie est belle de Lancôme, Invictus et Phantom de Paco Rabanne, Libre d’Yves Saint Laurent, ou plus récemment Luna Rossa Ocean de Prada…
De l’idée originelle à la constitution de l’équipe
La brigade créative ne se forme qu’après la première étape exploratoire qui laisse la possibilité à chaque parfumeur de travailler ses propres pistes : « l’idée initiale naît d’une intuition, d’une pensée, d’une ambition, qui elle, se forge personnellement », confie Jean-Christophe Hérault, parfumeur senior chez IFF. Cette première étape est rapidement mise au défi par le processus de création qui met en compétition les maisons de composition. Les différentes pistes des parfumeurs sont proposées aux marques et éliminées au fur et à mesure que le projet avance, en entonnoir, pour se concentrer sur quelques notes finales. La constitution des équipes se fait naturellement au cours du développement et le parfumeur dont la note est sélectionnée peut alors proposer que d’autres le rejoignent : « Lorsque la demande vient des parfumeurs eux-mêmes, ils gagnent en motivation. Car ce genre de travail demande une équipe solide, où chacun est capable de mettre son ego de côté», confie Carlos Benaïm. Le groupe s’étoffe ainsi en fonction des besoins : le parfumeur a-t-il une question technique sur la diffusion d’une note ? Souhaite-t-il intégrer l’accord spécifique d’un collaborateur ? C’est ainsi que Carlos Benaïm a rejoint l’équipe dédiée à la création de Libre d’Yves Saint Laurent. Anne Flipo souhaitait réaliser une « fougère au féminin ».Son idée : casser les codes de l’accord historique pour le travailler « à la Saint Laurent ». Le couturier avait bien revisité un tailleur d’homme pour les femmes ! « De par mes origines marocaines, je suis très attaché à la fleur d’oranger » rappelle Carlos Benaïm, « j’en avais fait un accord qu’Anne a senti et beaucoup apprécié : c’était une belle façon de féminiser sa fougère ».
L’appel de parfumeurs dépend également du niveau de maturité du projet : l’intégration se fait de façon tactique, en fonction du match qui se joue : « on ne fait pas les mêmes mouvements en début et fin de projet », révèle Juliette Karagueuzoglou, parfumeuse senior chez IFF : « Au début, l’idée est très brute, il faut l’arrondir, réfléchir aux archétypes de formules sur lesquelles elle peut se greffer. Tandis qu’en fin de projet, on se demande comment aborder la phase des tests ». Les qualités créatives et techniques ne sont pas les seuls attraits de la cocréation ; celle-ci revêt également une dimension psychologique : « La composition, c’est à la fois un marathon et des montagnes russes ! » explique la parfumeuse. « En période de crise, on peut avoir besoin d’un collaborateur pour sa connaissance du client, ou tout simplement pour décupler la capacité de travail. Il arrive que le client change de direction, soit soumis au stress de la pression. C’est important d’avoir un deuxième avis pour aider dans les choix, notamment dans les moments difficiles ». Pression adrénaline, collaboration : La parfumeuse retrouve ainsi les sensations qu’elle éprouvait lorsqu’elle pratiquait le volley ball : « Dans une équipe, tout le monde n’est pas bon en tout, chacun doit suivre sa mission. Il m’est assez facile de me mettre en ordre de marche car j’ai l’habitude de suivre la stratégie d’un entraîneur. Il faut valoriser les richesses de chacun : celui qui a une meilleure vision du jeu, celui qui tape fort, celui qui sait placer la balle au bon endroit… »
Embrasser la différence
Composer à quatre mains se révèle une grande source d’apprentissage : « On découvre la vision intime de chacun, des points de vue auxquels on n’avait pas pensé, des associations d’ingrédients, c’est très formateur », apprécie Jean-Christophe Hérault. Ce dernier a ainsi apprécié les références culturelles de Carlos Benaïm dans la cocréation de Spice Bomb Infrared de Viktor & Rolf : « Carlos a beaucoup voyagé : Maroc, France, États-Unis ; il offre ainsi sa grande maîtrise du marché américain. » La collaboration s’avère tout aussi « enrichissante avec des parfumeurs plus expérimentés, qu’avec des plus jeunes ». Certains créateurs n’ont pas la même façon de penser, de classer, d’écrire. « C’est cet effort d’adaptation face à la différence qui nous fait prendre du recul par rapport à la formule ». Pascal Gaurin, VP parfumeur chez IFF New York, apprécie également le côté collaboratif qu’il apparente à ce qui se passe actuellement dans le secteur de la musique : « Cette industrie est inspirante car très collaborative, les chanteurs célèbres n’ont pas peur de coopérer avec d’autres : il arrive à Thom Yorke de Radiohead de travailler avec REM, ou avec les Red Hot Chili Peppers. Faire appel à un autre artiste, c’est apporter une autre manière de faire. Si vous réunissez trois parfumeurs pour composer une tubéreuse, ils vont vous faire trois arrangements différents. En parfumerie, comme en musique, on souhaite avoir les meilleurs créateurs autour de soi ».
Une transmission entre générations
Le mentorat d’un apprenti par un senior est sans doute la première collaboration que les parfumeurs connaissent dans leur carrière. Cette relation donne l’occasion de montrer ses formules, de discuter ses choix esthétiques : « Pierre Bourdon était aussi très rigoureux », se souvient Jean-Christophe Hérault, « après plus de trente lignes dans une formule, il fallait justifier le choix de tel ou tel ingrédient, les classer par temps d’évaporation pour avoir une lecture facile. Au fil des échanges, une connivence très grisante s’est installée, j’étais avide de ses conseils ». Le parfumeur est à son tour aujourd’hui mentor d’une apprentie à qui il propose des exercices « qu’elle ne ferait pas à l’école » : choisir une odeur du quotidien, la décortiquer… Comme celle du basilic : « elle a réussi à le synthétiser avec seulement sept ingrédients! J’apprends aussi beaucoup… » Si le jeune parfumeur fraîchement sorti de l’école peut avoir des idées créatives, il n’a pas toujours le niveau technique pour répondre à une demande. La collaboration entre générations permet de bénéficier de l’expérience de ceux qui, par habitude des clients, ont la capacité de remodeler rapidement une formule. « Puig, L’Oréal, Yves Rocher… Chaque groupe détient sa propre sensibilité ; produire une modification [nouvel essai] pour chacun ne se fait pas de la même façon », explique Juliette Karagueuzoglou. « Cette finesse de la connaissance client prend du temps. C’est aussi ce que j’essaie de transmettre à mes apprentis ».
Une brigade importante
Sur le devant de la scène : un parfumeur, puis deux, puis trois, parfois quatre, mais dans l’ombre, c’est toute une équipe qui s’attèle pour gagner le projet. Parmi elle, les évaluateurs : « Ce sont des professionnels qui comprennent parfaitement le marché, le client et la concurrence. Ils connaissent les ingrédients mais n’ont pas accès aux formules. Ils nous font ainsi des commentaires généraux avec le même langage que le client », note Carlos Benaïm, « et l’interprétation de ces commentaires doit venir du parfumeur ». Cette équipe intègre également les commerciaux, « tout aussi impliqués dans la création que parfumeurs et évaluateurs », pointe Juliette Karagueuzoglou, « il est facile de se mettre d’accord car c’est un moment d’échange : notre vraie intelligence est de savoir écouter, pour comprendre la problématique du client. On ne fait pas des parfums en notre nom, mais au nom de la marque ». Aussi, travailler en collaboration nécessite bien des qualités, en premier lieu le « respect de l’idée originelle », mentionne Carlos Benaïm : « lorsque je partais en vacances et que je confiais mon travail à Joséphine Catapano, elle me le rendait avec beaucoup de respect, faisant le compte rendu de tout ce qui s’était passé : j’applique moi-même cette philosophie. » Pour Juliette Karagueuzoglou, la disponibilité est décisive car un projet monopolise le temps du parfumeur, et aussi celui de son assistant. « D’ailleurs, lorsqu’on intègre une équipe, la participation aux premiers tours n’est pas toujours très efficace. Il faut être résilient », confie-t-elle humblement. « Parfois, un parfumeur se met en retrait. Comment connaître l’impact d’une mod[1]Modification d’une formule de départ afin de mieux répondre au brief initial. ? On ne peut dire laquelle a le plus contribué à faire avancer le projet ».
De nouveaux outils
Visioconférences entre deux sites, outils informatiques partagés, pesée connectée, le XXIe siècle a définitivement apporté son vent de modernité dans la création, accélérant les possibilités de collaboration. L’avènement de l’intelligence artificielle et l’accès aux données marque une nouvelle étape : « Là encore, la parfumerie a connu la même relation avec la technologie que celle vécue par la musique : auparavant on avait des réserves sur la création assistée par ordinateur, aujourd’hui c’est totalement rentré dans les usages », note Pascal Gaurin. L’accès à l’intelligence artificielle rend le travail collaboratif entre parfumeurs de marchés et de centres différents. Phantom de Paco Rabanne est ainsi un exemple de parfum conçu entre deux continents : “What is the future of Paco Rabanne” était le brief donné aux parfumeurs. Loc Dong, à l’origine du premier accord, est parti de France pour rejoindre New York. Il confie alors à Juliette Karagueuzoglou le soin de pousser l’accord : « Loc souhaitait travailler un ingrédient traditionnel : une lavande crémeuse, qu’il a transpercée d’acétate de styrallyle [note rhubarbe] pour la moderniser. Cet accord était assez OVNI, on a passé ensemble six mois à le travailler pour le rendre acceptable sur certains marchés ». Puis le projet s’est accéléré, passant d’un rendez-vous toutes les deux semaines à deux par semaine. Anne Flipo et Dominique Ropion les ont rejoints pour renforcer l’équipe. L’intégration de l’IA a permis de déterminer l’apport de certaines facettes au consommateur : « Les tests que nous avons réalisés sur les activations neuronales nous ont guidés pour pousser des revendications de bien-être, de confiance en soi, de “sexyness”… » révèle la parfumeuse. Offrant davantage de ressources, de temps et d’idées, le travail en équipe s’est généralisé pour tous les grands lancements, réservant la création en solo pour les déclinaisons et les marques de niche. Et quand bien même la création se ferait seul, ne serait-elle pas pensée « sous l’influence d’autres parfumeurs ? », questionne Jean-Christophe Hérault : « Tout créateur est nourri de son passé, des œuvres qu’il a côtoyées durant sa carrière. Regardez comme les dialogues artistiques entre Picasso et Braque les ont transcendés. » La filiation entre parfums montre que la composition, en solo comme en équipe, est in fine une forme de cocréation.
Modification d’une formule de départ afin de mieux répondre au brief initial.
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Aurélie Dematons
Fondatrice de l'agence Le Musc & la Plume, spécialisée en création de parfums et identités olfactives, elle accompagne les marques du concept au développement. Après avoir débuté chez Coty, puis Cinquième sens, Aurélie explore les territoires d'innovation : diffusion du parfum dans l'air ou création pour d'autres secteurs (hôtellerie, automobile, train). En 2017, elle part faire le tour du monde des plantes à parfums. Elle contribue régulièrement à Nez et à Expression cosmétique.
Depuis quelques semaines, un parfum – souvent qualifié de « mystérieux » dans les articles qui relaient le phénomène avec complaisance – crée le buzz sur les réseaux sociaux et dans la « presse beauté ». Missing Person (personne disparue, ou qui nous manque), de la marque Phlur, aurait un mot-clé atteignant 12 millions de vues sur TikTok, et la liste d’attente pour obtenir un flacon rassemblerait 200 000 personnes impatientes de se le procurer, sachant que la première production se serait volatilisée en quelques heures… La raison de cet engouement ? Des vidéos montrant des influenceuses beauté en larmes, au bord de l’hystérie, déclarant que le parfum leur rappelle instantanément leur mère/mari/ami aimé, disparu, et qui leur manque tellement.
Tel le pouvoir envoûtant des formules de Jean-Baptiste Grenouille dans Le Parfum de Patrick Süskind, on retrouve dans cette communication tous les éléments d’un effet « philtre magique », qui vous ensorcelle sans que vous puissiez vous contrôler. Car tout est fait pour croire au pouvoir surnaturel, paranormal d’une fragrance qui, subitement, enflammerait toute la sphère des réseaux sociaux de la planète.
Ce qui n’est pas toujours précisé dans les articles relatant le phénomène, c’est que l’actuelle propriétaire de Phlur, Chriselle Lim (qui a repris en 2021 la marque, créée à l’origine en 2015), elle-même puissante influenceuse comptant 2,8 millions d’abonnés sur TikTok, a brillamment orchestré ce tsunami de larmes et de pré-commandes. Si magie il y a, c’est bien ici celle du storytelling, que la styliste, blogueuse et femme d’affaires américaine de 37 ans manie avec une virtuosité certaine. « Je pense que [le storytelling] est l’outil le plus puissant que quiconque puisse utiliser pour tenter de vendre un parfum en ligne », expliquait-elle sur le site allure.com.[1]allure.com/story/chriselle-lim-skin-care-makeup-routine-interview
Elle confie dans ses vidéos[2]Voir par exemple : youtube.com/watch?v=qtMfLrswMFo et ses interviews qu’elle a conçu ce produit au moment difficile de son divorce : « je voulais mettre en bouteille quelque chose qui aurait une odeur familière, me ramenant à une époque où je me sentais en sécurité », dit-elle par exemple sur Refinery29[3]refinery29.com/en-us/phlur-missing-person-perfume-review. Elle insiste sur la dimension thérapeutique universelle que détiendrait ce parfum, incitant chaque personne qui le porte à ressentir et exprimer les émotions qu’elle aurait éprouvées pour ceux qui lui manquent… La mise en scène de sa vie privée renforçant le sentiment d’identification, la jeune femme joue sans doute sur l’effet miroir ; mais elle peut aussi et surtout compter sur son audience XXL et son réseau docile pour relayer l’info avec fracas. L’apparente « magie » inespérée de ce succès est ainsi en réalité uniquement liée au pouvoir que représente aujourd’hui les influenceurs sur des réseaux comme TikTok, dont les algorithmes peuvent amplifier de manière exponentielle la visibilité d’un produit ou d’un contenu comme nul autre. Missing Person n’est pas devenu viral par miracle, parce qu’il sent bon ou contiendrait des phéromones ou quelque autre substance mystérieuse… Tout a été élaboré pour qu’il devienne viral, et tout ce qui a suivi n’était que le fruit d’une construction. Ce n’est aujourd’hui plus l’influenceur qui fait vendre un produit, c’est lui-même qui le conçoit pour pouvoir le vendre : « Il est de plus en plus courant pour les influenceurs, en particulier ceux qui font des affaires depuis longtemps, de créer des marques », observe le site glossy.com.[4]glossy.co/beauty/exclusive-chriselle-lim-reinvents-clean-fragrance-brand-phlur/
Alors, et ce parfum, me direz-vous ? Après ce préambule, son odeur pourrait sembler bien anecdotique au regard du contexte, mais reconnaissons une certaine cohérence entre le discours et l’olfactif. Composé par Constance Georges-Picot, parfumeuse à Miami pour la maison de création Cosmo International Fragrances (qui nous a par ailleurs très aimablement procuré un échantillon), Missing Person est ce qu’on pourrait qualifier de « parfum de peau ». Très peu de notes de tête (bergamote et néroli légers), puis directement un accord musqué, poudré, crémeux, santal, propre, douillet et très rémanent, mêlant différentes matières que l’on retrouve habituellement dans la plupart des fonds des parfums modernes, mais aussi des lessives, des gels douches, des shampooings, etc. Une odeur très familière, réconfortante et facile à comprendre, donc – tout le monde aime le musc –, mais dont la formule semble presque incomplète, très concentrée sur ses notes de fond. On comprend ainsi qu’il puisse avoir un effet « universel » et immédiat sur les TikTokers du monde entier, tant son profil est consensuel, mais de là à déclarer qu’il aurait le pouvoir de remémorer avec précision tous les êtres chers disparus de tous ceux qui l’ont senti, il y a tout de même un (grand) pas. Car, comme le rappelle avec justesse le directeur de recherches en neurosciences au CNRS Hirac Gurden, membre du collectif Nez, interviewé à ce sujet par Libération[5]liberation.fr/lifestyle/beaute/le-parfum-missing-person-bluff-sentimental-20221130_JKGQ3QA66RDUZNGFYEDV2722EQ/ : «Un parfum unique ne peut absolument pas marcher pour induire la présence de l’absent-défunt pour un maximum de personnes. Chaque être humain possède une signature olfactive unique, issue d’un mélange de ses odeurs corporelles très liées au métabolisme et au sexe de la personne, mélangées à toutes les odeurs artificielles (parfum, lessive, alimentation…). »
Par ailleurs, Delphine de Swardt, également membre du collectif Nez et interrogée par BFMTV pour l’émission Le Choix d’Angèle[6]bfmtv.com/replay-emissions/le-choix-d-angele/le-choix-d-angele-200-000-personnes-sur-liste-d-attente-pour-se-procurer-le-parfum-missing-person-de-la-marque-phlur_VN-202212080128.html, évoque une autre dimension à prendre en compte : « Qu’un parfum déclenche une émotion, ça, c’est évident, car les deux circuits sont mêlés. Maintenant, à ce point d’hystérie, je pense qu’il y a aussi une dimension de mise en scène. On touche ici à la limite des réseaux aujourd’hui : comme on ne peut pas faire sentir une odeur, il faut pour compenser hypertrophier l’émotion parce que ça va faire plus de vues et plus de clics. » Le parfum étant en général un bon miroir narratif, une occasion de parler de soi, et a fortiori avec cette odeur manquante – « missing smell » pourrait-on même dire – les influenceurs et influenceuses ont un boulevard pour en faire des tonnes et attirer l’attention.
On est donc ici, olfactivement parlant, face à un plus petit dénominateur commun qui, pour des personnes n’ayant pas une culture olfactive développée, peut en effet avoir un certain impact, mais qui est essentiellement lié au storytelling très finement pensé vous dictant d’avance ce que vous allez ressentir, et à un phénomène de mise en scène très travaillée, plus qu’à la composition elle-même.
Pour un passionné de parfums avec une bonne connaissance du marché et toujours en quête de vraie émotion olfactive, sentir Missing Person risque d’être un peu décevant, esthétiquement parlant : un joli accord musqué boisé qui peut certes plaire, mais qui, à mon avis, suscitera « in real life » des perfumistas beaucoup moins d’effusions lacrymales que sur les écrans de nos smartphones.
La cofondatrice du magazine en ligne Auparfum et de Nez a deux passions : sentir et écrire.
The cofounder of online magazine Auparfum and Nez is passionate about
two things: smelling and writing.
Vous l’avez peut-être découverte parmi les icônes du treizième numéro de Nez : l’artiste Gayil Nalls est la fondatrice du World Sensorium Conservancy (WSC), un organisme qui se consacre à la préservation des plantes odorantes et médicinales face au réchauffement climatique. Répertoire des espèces aromatiques signifiantes pour chaque pays du monde, informations scientifiques sur les dangers encourus par celles-ci, solutions pour minimiser notre impact sur la biosphère et favoriser la conservation de ces espèces, dons de plants d’arbres endémiques ou encore collaborations avec des organisations et chercheurs internationaux sont au cœur de cette entreprise multi-facettée qui trouve son origine dans un projet artistique au long cours. Rencontre.
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux odeurs et aux plantes odorantes ?
Du plus loin que je me souvienne, mon odorat a toujours été important pour moi. Quand j’étais jeune, le porche arrière de la maison était mon voilier et j’imaginais que je naviguais autour du monde. À chaque escale je collectais les fleurs et plantes locales que je rapportais sur mon bateau. Je les inspectais, les dessinais, les broyais et les humais longuement, puis je les stockais dans de vieux pots que m’avait donnés ma grand-mère. Mon odorat m’a permis de trouver du sens au monde. Dès mon plus jeune âge, j’ai senti que je comprenais l’esthétique des senteurs et des paysages olfactifs créés par les plantes. Ces sensations éphémères étaient pour moi le meilleur, le plus vrai de la vie.
World Sensorium était à l’origine une « sculpture sociale olfactive » fondée sur un travail de recherche ethnobotanique. Pouvez-vous nous expliquer la méthodologie qui sous-tendait ce projet artistique ?
World Sensorium est né d’une entreprise de recherche interdisciplinaire. Il s’agissait de créer et de partager une expérience sensorielle incarnée du monde à travers un parfumcomposé de matières aromatiques emblématiques de chaque pays. Lors de la formulation, les ingrédients, choisis par chaque pays selon les valeurs qu’ils leurs attachent, furent dosés en fonction de la population de sa nation d’origine, afin que tout le monde soit représenté. Ce projet, né dans les années 1980, a nécessité deux années avant le lancement d’une étude ethnobotanique mondiale menée pendant plus de cinq ans, pays par pays. Les données issues de celle-ci ont permis de déterminer les composants botaniques de la formule de World Sensorium. Toutes ces plantes sont essentielles aux valeurs traditionnelles et religieuses de chaque pays, à leurs modes de vie, leur alimentation, leurs croyances, leurs visions du monde, à leur sécurité financière voire même à leur survie. 95 % d’entre elles ont des propriétés médicinales connues de longue date par les populations autochtones.
Le parfum qui constitue l’œuvre a été présenté de diverses manières depuis une vingtaine d’années…
Oui, World Sensorium a fait ses débuts le soir du passage à l’an 2000, à la fois à Times Square à New York, au gala Millennium Around the World à Washington, au Jubilé du millénaire du Vatican à Rome et lors d’autres événements, grâce à des cartes micro-encapsulées. Pour Times Square, elles ont été larguées à minuit sur une mer de 2 millions de personnes : dix grammes de World Sensorium furent libérés lorsque les opercules ont été ouverts ! La première exposition a eu lieu à la galerie Steffany Martz à New York la même année. Le parfum était présenté dans un flacon sur un piédestal et diffusé dans l’espace grâce à un appareil conçu spécialement pour l’occasion. Les gens entraient, s’asseyaient et respiraient. J’avais également enregistré le son de ma respiration que je diffusais à très faible volume dans l’espace afin que les visiteurs imitent mon schéma respiratoire, pour approfondir leur expérience de l’œuvre. Il me semblait cependant que celle-ci n’était pas complète, alors au Cill Rialaig Arts Centre en Irlande j’ai opté pour une application plus ritualisée. Puis à la Villa Rot de Ulm et à l’Université de Zagreb en Croatie, j’ai préféré une approche d’auto-application accompagnée d’instructions.
La plante la plus citée dans World Sensorium est le jasmin (11 pays) qui représente 24% de la formule. On peut donc considérer que son odeur fait partie des plus importantes pour l’humanité, puisque des millions de personnes partagent un attachement émotionnel et/ou culturel à celle-ci partout dans le monde.
En effet. Le parfum de cette fleur est d’ailleurs utilisé depuis des siècles pour aider à surmonter les moments de chagrin et de souffrance. Nicholas Culpeper, botaniste et médecin anglais, écrivait dans son livre de 1653, The Complete Herbal, que les personnes endeuillées devaient s’immerger dans un bain de fleurs de jasmin bouillies dans de l’huile. Les gens tendent à former des liens à travers les émotions communes suscitées par certains parfums qui, ainsi, participent à une forme de cohésion culturelle. Le jasmin, l’une des efflorescences les plus parfumées de la planète, possède par ailleurs un grand pouvoir symbolique – notamment politique. La révolution tunisienne de 2011, aussi parfois appelée « Révolution du jasmin » (cette fleur étant le symbole du pays) avait permis de renverser les dirigeants. Le mouvement d’émancipation démocratique s’est mis à se répandre dans d’autres pays : se sentant menacé, le gouvernement communiste chinois a alors symboliquement banni la fleur, interdit la consommation de thé au jasmin, annulé le Festival culturel international qui lui est dédié et purgé Internet de toutes ses références, qu’elles soient historiques ou contemporaines. Quiconque était surpris en train de porter cette fleur, ou s’en étant parfumé, était immédiatement considéré comme un subversif et arrêté ! Certains Chinois se sont alors mis, par défi, à chanter des chansons traditionnelles qui en font mention.[1]Andrew Jacobs, « Catching Scent of Revolution, China Moves to Snip Jasmine », The New York Times, 10 mai 2011.
Pour créer World Sensorium, vous avez obtenu le parrainage de l’UNESCO. Selon vous, qu’est-ce qui a séduit une telle organisation dans votre projet ?
Je travaillais sur World Sensorium depuis des années lorsque j’ai commencé, en 1997, à collaborer avec l’UNESCO sur le projet et la nécessité de reconnaître les plantes aromatiques emblématiques comme faisant partie du patrimoine culturel de l’humanité. En 1998, le The President’s Committee on the Arts and the Humanities[2]Le PCAH était un comité gouvernemental américain dédié à la culture, créé en 1982 et actif jusqu’en 2017 avant que Donald Trump décide de ne pas le reconduire.et l’UNESCO ont approuvé le projet. Federico Mayor Zaragoza, le directeur général de celle-ci de 1987 à 1999, était un neurochimiste, titulaire d’un doctorat en recherche pharmaceutique : il avait bien compris l’importance des composés bioactifs des plantes au cœur de World Sensorium et lui avait accordé letitre de « Projet de paix et de bonne volonté ». Cela coïncidait avec le lancement du projet à Times Square au moment de l’an 2000, qui avait été désigné « Année internationale pour la culture de la paix » par les Nations Unies.
Comment ce projet artistique a-t-il évolué pour devenir le World Sensorium Conservancy (WSC) ?
World Sensorium a toujours été un projet environnementaliste, avec l’envie de créer d’une conscience unificatrice. En 2016, j’ai commencé à compiler un ensemble de données catégorisant les plantes du World Sensorium en fonction de leur statut de vulnérabilité. Grâce à la Liste rouge de l’UICN[3]La Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature, commencée en 1964, est l’inventaire mondial de l’état de conservation global des espèces végétales … Continue reading, qui est censée être la plus complète, j’ai appris qu’une espèce de pin des États-Unis et que le cèdre du Mulanje, endémique du Malawi, étaient en « danger critique d’extinction ». Les espèces botaniques emblématiques de onze pays étaient classées comme « menacées » et celles de douze autres étaient répertoriées comme « vulnérables ». En revanche, 128 plantes du projet World Sensorium n’étaient pas répertoriées dans la base de données de l’UICN, car les conséquences du changement climatique augmentent plus rapidement que ce que peut refléter leur base de données. Or je savais qu’il existait des problèmes de conservation pour beaucoup d’entre elles. C’est pourquoi les pages pays sur le site du WSC[4]Voir en ligne sur le site https://worldsensorium.com/#countries expliquent non seulement leur valeur culturelle mais examinent également la manière dont le changement climatique les affecte, ainsi que les personnes qui en dépendent.
Quelles sont désormais les missions du WSC ?
Nous ne souhaitons pas seulement éduquer et informer les gens sur la situation des plantes du patrimoine culturel face à l’effondrement de la biodiversité et au changement climatique, mais aussi les inspirer et les pousser à agir à travers un projet à la fois artistique et scientifique. Afin d’œuvrer pour leur conservation, il est impératif que les hommes appréhendent pleinement la fonction vitale de celles-ci pour leurs écosystèmes, pour les autres animaux et l’humanité en général. Je demande parfois aux personnes ayant fait l’expérience de World Sensorium : « Peut-on imaginer un avenir sans ces plantes aromatiques ? » Ce ne serait pas seulement une perte de qualité de vie, ce serait une véritable crise du sensible et de la mémoire. Sans oublier que, faisant partie du règne végétal, elles nourrissent tout ce qui vit et produisent de l’oxygène à partir du dioxyde de carbone. Les végétaux nous ont tout donné. Sans eux, nous n’existons pas. Nous avons donc besoin que chacun s’implique dans leur préservation. C’est pourquoi le WSC construit une communauté active pour initier le changement et faire face à la crise.
Pourquoi, selon vous, l’approche olfactive s’avère-t-elle particulièrement efficace pour impliquer les gens dans la préservation des plantes ? Serait-ce, comme le dit Andreas Keller[5]Andreas Keller, « How We Perceive Nature Through Our Sense of Smell », Plantings, n° 14, août 2022., parce les odeurs émanent surtout des êtres vivants et sont donc liées à chaque forme de vie ainsi qu’à l’acte même qui nous maintient en vie?
On me dit souvent : « C’est original d’allier conservation écologique et olfaction ! » Or pendant des millions d’années, jusqu’à il y a moins de deux cents ans, les odeurs provenaient principalement des plantes et des bactéries. D’ailleurs, parce que nous avons co-évolué avec une flore spécifique, différents groupes de population possèdent des séquences de gènes différentes affectant leur capacité à sentir différents composés. Certaines plantes choisies par des pays pour World Sensorium n’ont que peu ou pas d’odeur pour des personnes originaires d’autres contrées !
Comment surveillez-vous à présent le statut des plantes répertoriées dans le WSC ?
Il existe un certain nombre d’organisations que nous surveillons, dont l’UICN. Mais, en raison des longues périodes entre les réévaluations des espèces menées par l’UICN, ses commissions de soutien et ses collaborateurs externes, l’état enregistré des espèces figurant sur la liste ne reflète souvent pas l’état de conservation actuel de nombreuses plantes. Le WSC documente donc divers niveaux de menace d’espèces qui ne figurent toujours pas dans la base de données de l’UICN. Par exemple, en 2018, les États-Unis comptaient vingt-sept espèces différentes de pins dont le statut était considéré comme « peu préoccupant », trois espèces étaient classées comme « quasi menacées », une était classée comme « vulnérable », trois étaient classées « en voie de disparition » et trois « en danger critique d’extinction ». Mais cette évaluation ne reflétait pas certains risques actuels notamment dus aux scolytes et au risque d’incendies qu’ils provoquent : en effet, lorsque ces coléoptères attaquent les pins, ces derniers produisent plus de terpènes pour se défendre, mais cela les rend plus inflammables. En surveillant les composés organiques volatiles émis par les arbres, on peut évaluer le risque d’incendie et cette nouvelle vulnérabilité pourrait être prise en compte. Nous surveillons donc également les revues scientifiques, les rapports sur le climat, les rapports de conférence, les articles de presse, etc : la prise en compte des dernières recherches scientifiques est extrêmement importante pour nous. J’ai d’ailleurs récemment assisté à la première Conférence internationale sur la santé des végétaux, qui s’est tenue à Londres en septembre.[6] La première conférence internationale sur la santé des végétaux, qui devait se tenir à Helsinki du 28 juin au 1er juillet 2021, a été annulée en raison de l’épidémie de … Continue reading Des chercheurs du monde entier y ont présenté des solutions pour préserver la biodiversité et faire face aux défis actuels du monde végétal. Le plus important à retenir est que la santé des plantes est un facteur clé de toute stratégie visant à protéger l’environnement et la biodiversité, et à assurer la sécurité alimentaire.
Avec qui collaborez-vous pour accomplir l’ensemble de ces tâches ?
Ce travail est un effort collectif. J’ai eu de nombreux étudiants stagiaires ou assistants à temps partiel au fil des ans, attirés vers le projet du WSC par leur propre intérêt pour les plantes, les huiles essentielles ou l’olfaction. Ce sont tous des penseurs et créateurs pluridisciplinaires, et nombre d’entre eux sont aujourd’hui des artistes olfactifs émergents. Je suis d’ailleurs commissaire d’une exposition de leurs œuvres qui aura lieu chez Olfactory Art Keller à New York du 23 mars au 29 avril 2023. D’anciens assistants sont encore impliqués dans le WSC d’une autre manière : beaucoup sont notamment des contributeurs pour Plantings, notre journal en ligne,[7]Voir https://worldsensorium.com/plantings/ et notre site Web. Nous avons également d’excellents conseillers scientifiques, dont Lewis Ziska, physiologiste des plantes et professeur à l’université de Columbia, qui fait autorité sur les végétaux et le changement climatique, et Stuart Firestein, ancien président du département des sciences biologiques de l’université de Columbia.
Organisez-vous également des actions concrètes, au-delà de votre travail de recherche, d’éducation et de sensibilisation à la conservation des plantes aromatiques et médicinales ?
Pour l’instant nous nous sommes principalement concentrés sur la construction et l’éducation de notre communauté. Allyson Levy et Scott Serrano, qui comptent parmi les premières personnes à qui j’ai parlé, en 2017, de la culture d’espèces culturellement emblématiques en voie de disparition. Ils ont fondé il y a quelques décennies l’Hortus Arboretum à Stone Ridge dans l’État de New York, et possèdent désormais l’une des plus grandes collections de plantes rares et menacées de la vallée de l’Hudson, dont notamment de nombreuses présentes dans World Sensorium. Mais pour éviter davantage de perte de biodiversité, nous avons besoin d’un filet de sécurité mondial au-delà du réseau des jardins botaniques : il faut encore répéter la culture de ces végétaux en voie de disparition, multiplier et préserver leurs graines. C’est pourquoi nous travaillons maintenant au lancement du World Sensorium Seedbank (WSS), la banque de graines du WSC, pour laquelle nous cherchons à nous associer à des banques de semences, des individus, des groupes, des institutions et des pays, dans le cadre d’un effort de coopération mondial. L’avantage des banques de semences est qu’elles sont relativement peu coûteuses et permettent une gestion durable. À l’heure actuelle, il existe environ un millier d’importantes réserves de semences dans le monde, cependant la grande majorité ne conservent que des cultures vivrières. Sur 242 pays et presque autant de végétaux emblématiques du patrimoine mondial présents dans la base de données du WSC, seuls 11% étaient conservés dans la banque de Kew Gardens en 2018.[8]La Millennium Seed Bank de Kew Gardens est la banque de semence souterraine la plus vaste au monde. Y sont conservées plus de 2,4 milliards de graines, représentant 39 000 espèces végétales … Continue reading Nous avons besoin d’y inclure des espèces indigènes emblématiques, si importantes à la fois pour leurs écosystèmes et pour les cultures de l’humanité.
Pouvez-vous nous parler de l’initiative Trees for the Future [Des arbres pour l’avenir] ?
Cette campagne, lancée le Jour de la Terre 2022, offrait l’opportunité d’adopter un arbre indigène et de le récupérer lors de notre événement à la galerie Olfactory Art Keller, à New York. Les très parfumés pin blanc indigènes – Pinus strobus – qui ont été donnés en adoption, venaient du terrain des artistes Daria Dorosh et John Tomlinson, dans le comté de Sullivan. D’autres jeunes arbres provenaient de ma propriété du nord de l’État de New York. De nombreuses ressources concernant la plantation et l’entretien des arbres ont été offertes lors de l’événement. Nous avions également organisé des interventions sur la façon dont nous percevons la nature à travers notre odorat, sur le changement climatique et la biologie végétale. Aujourd’hui, 80 nouveaux arbres ont pris racine dans toute la région de New York ! Ils constitueront une ressource supplémentaire pour séquestrer le carbone, créer de l’oxygène, améliorer la qualité de l’eau et fournir de l’ombre et des arômes pendant de nombreuses années.
Quelle est la chose la plus importante que nous puissions faire en tant qu’individus pour préserver la flore odorante ?
Les végétaux odorants sont pour la plupart des plantes à graines, alors semez-les, en particulier celles qui sont menacées, conservez leurs graines, et distribuez-les ! Renseignez-vous sur les besoins de conservation des plantes de votre région et soutenez les organisations qui œuvrent en ce sens par le biais de bénévolat ou de dons. Aidez à protéger l’environnement en contrôlant la prolifération des espèces envahissantes. Faites votre part pour réduire les émissions de carbone. Adoptez une alimentation plus végétale et moins carnée. Plus important encore, chacun de nous doit se sentir responsable, vivre de manière la plus responsable, être un modèle pour les autres et promettre aux plus jeunes que nous ferons partie de la solution.
Vous avez également fondé la revue en ligne Plantings. Quel est le rôle de cette plateforme ?
Quel sens donner à la conservation botanique à l’ère de l’Anthropocène[9]Néologisme forgé dans les années 1980 pour désigner l’époque de l’histoire de la Terre débutant avec la révolution industrielle au XVIIIe siècle, au cours de laquelle l’espèce … Continue reading ? WSC pose souvent cette question. Nous sommes à un moment de bascule car la perte de biodiversité perturbe le fonctionnement de notre planète. Dans Plantings, journal en ligne dont nous proposons annuellement une publication imprimée, nous produisons chaque mois six articles sur la conservation, la botanique, la nature ou des essais photographiques qui examinent nos préoccupations environnementales, offrent des réponses, motivent l’action et montrent la voie vers un avenir plus durable. Nos contributeurs viennent d’horizons et de disciplines variés, mais tous sont passionnés par les plantes, engagés dans la conservation, ont des idées importantes et veulent être des instigateurs du changement. Nous développons un réseau partageant des objectifs communs et sommes ouverts aux propositions et soumissions d’articles.
Lors du Jour de la Terre 2021, vous avez lancé l’initiative #myplantscentmemory qui proposait aux gens de réaliser et de partager des vidéos reflétant leur relation personnelle avec une plante aromatique dont le parfum serait associé à un souvenir intime. Quel serait le vôtre ?
Celui d’une belle fleur sauvage du genre Lonicera, le chèvrefeuille. Humer l’arôme de celui-ci et goûter son nectar était l’un de mes passe-temps estivaux en grandissant. Retirer l’étamine de la fleur en trompette et profiter de son goût sucré de miel sur ma langue était une joie simple et merveilleuse. J’avais aussi l’habitude de manger des fruits et de la glace à la vanille agrémentés de nectar de chèvrefeuille. J’adorais la façon dont ce parfum restait suspendu dans l’air humide certains jours, imposant une atmosphère bien particulière.
Pour en savoir plus sur le World Sensorium Conservancy : worldsensorium.com
Pour en savoir plus sur la pratique artistique de Gayil Nalls : gayilnalls.net
Le PCAH était un comité gouvernemental américain dédié à la culture, créé en 1982 et actif jusqu’en 2017 avant que Donald Trump décide de ne pas le reconduire.
La Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature, commencée en 1964, est l’inventaire mondial de l’état de conservation global des espèces végétales et animales. Elle se présente sous la forme d’une base de données en ligne.
La première conférence internationale sur la santé des végétaux, qui devait se tenir à Helsinki du 28 juin au 1er juillet 2021, a été annulée en raison de l’épidémie de Covid-19, et reportée au 21-23 septembre 2022.
La Millennium Seed Bank de Kew Gardens est la banque de semence souterraine la plus vaste au monde. Y sont conservées plus de 2,4 milliards de graines, représentant 39 000 espèces végétales différentes.
Néologisme forgé dans les années 1980 pour désigner l’époque de l’histoire de la Terre débutant avec la révolution industrielle au XVIIIe siècle, au cours de laquelle l’espèce humaine est devenue une force géologique majeure gouvernant l’état, le fonctionnement et l’évolution de la planète, aussi bien au niveau lithosphérique qu’atmosphérique.
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Clara Muller
Historienne de l’art, critique d'art et commissaire d’exposition indépendante , Clara Muller mène des recherches sur les enjeux de la respiration comme modalité de perception dans l'art contemporain ainsi que sur les diverses pratiques artistiques employant les odeurs comme médium ou sujet. Outre un certain nombre de publications des éditions Nez, elle contribue à des catalogues d’exposition, monographies d’artistes et ouvrages universitaires sur le sujet de l’art olfactif, tels que Les Dispositifs olfactifs au musée (Nez éditions, 2018) ou Olfactory Art and the Political in an Age of Resistance (Routledge, 2021). www.claramuller.fr
Le jeudi 17 novembre 2022, la Galerie Joseph, dans le quartier du Marais à Paris, accueillait le lancement du quatorzième numéro de Nez, la revue olfactive. En écho à la thématique de son grand dossier portant sur les liens entre musique et parfum, une table ronde rassemblait ce soir-là quatre expertes à la croisée des mondes sonores et olfactifs : Karine Dubreuil-Sereni (parfumeur pour Vox Profumi et Takasago), Claire Martin (neurobiologiste au CNRS et au laboratoire Biologie fonctionnelle et adaptative de l’Université Paris-Cité), Alexandra Roos (chanteuse, compositrice et co-fondatrice de la maison de parfums Roos & Roos) et Céline Manetta (docteur en psychologie, responsable consumer science chez IFF).
Une table ronde modérée par Clément Paradis, docteur en esthétique et membre du collectif Nez.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
La quinzième édition du prix François Coty s’est déroulée à l’hôtel Lutetia, dans le sixième arrondissement parisien, lundi 28 novembre 2022. Relancé en 2018 par Véronique Coty, l’événement rassemble les acteurs de la profession pour récompenser la créativité des parfumeurs, mettant en avant sa dimension artistique.
Afin de décerner ce prix d’excellence, ce sont les fragrances lancées en 2020 qui ont été au centre de l’attention et passées au crible d’un jury de professionnels. Une commission technique composée de membres experts neutres, avec l’aide de spécialistes de la Société française des Parfumeurs et de l’Osmothèque, sélectionne une dizaine de parfums sur la période. Les nominés, une fois contactés, doivent ensuite soumettre trois de leurs créations à l’évaluation du jury, qui procède à une appréciation à l’aveugle et anonyme afin de sélectionner trois parfumeurs répondant à une grille de critères. Cette année, il fallait compter sur les nez experts de Fabrice Pellegrin (Firmenich), Alberto Morillas (Firmenich), Emilie Coppermann (Symrise), Sophie Labbé (Firmenich), Dominique Ropion (IFF), Pierre Dinand (designer) et Véronique Coty. Lors de cette soirée qui leur a été consacrée, les parfumeurs recevaient pour trophée le vase emblématique des Bacchantes, dessiné en 1927 par René Lalique.
Jury du Prix François Coty 2022, Hôtel Lutetia Paris, le 8 Novembre 2022. Photo Laurent Zabulon
C’est Delphine Jelk, parfumeuse maison chez Guerlain depuis 2014, qui a reçu le prix 2022. Elle succède à Fabrice Pellegrin en 2021 et à Shyamala Maisondieu en 2019. Après des débuts dans l’univers de la mode, Delphine Jelk a fait ses premiers pas en marketing et évaluation chez Firmenich, avant de se former au GIP à Grasse. Elle rejoint ensuite la société de composition Drom, avant de rencontrer Sylvaine Delacourte, alors directrice de la création parfum chez Guerlain, qui lui offre de créer un parfum. La Petite Robe noire sort en 2009. On lui doit également Mon Guerlain et plusieurs flankers des classiques de la maison, de nombreuses sorties dans la collection des Exclusifs de la marque (Néroli outrenoir, Iris Torréfié, Santal Pao Rosa, Rose chérie, Musc outreblanc, Oud Nude et Cherry Oud), et dans celle des Aqua Allegoria (Bergamote Calabria, Coconut Fizz, Ginger Piccante, Flora Salvaggia, Nettare di Sole, Forte Mandarine Basilic et Forte Rosa Rossa). Les consécrations s’enchaînent ainsi pour la parfumeuse, qui avait reçu en décembre 2021 l’insigne de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.
Quant au Prix d’honneur, qui met en avant un parfumeur dont la carrière « a largement contribué à l’enrichissement de la création olfactive » etattribué l’an dernier à Christopher Sheldrake, il a été remis à Anne Flipo. Chez IFF depuis 2004 après un passage chez Créations aromatiques (aujourd’hui Symrise) et Charabot, elle a signé en outre La Chasse aux papillons chez L’Artisan parfumeur, L’Interdit de Givenchy, Girl de Rochas ou encore Synthetic Jungle aux Éditions de parfums Frédéric Malle.
Anne Flipo accompagnée de l’équipe d’IFF. Photo Frédéric Froger
Cette année a aussi vu naître une nouvelle catégorie de récompense, celle du Prix international, décerné à Philippe Paparella « pour l’ensemble de sa création exprimée à l’international ». Parfumeur chez Symrise depuis 2008 après avoir travaillé pour Mane, on lui doit notamment Sintra de Memo et des compositions pour les marques Hermetica, Re Classified, Molton Brown ou encore Spiritum.
Philippe Paparella. Photo Frédéric Froger
L’occasion également pour Jérôme Viaud, maire de la ville de Grasse, d’annoncer que la prochaine édition de l’événement, sera organisée dans la capitale mondiale du parfum, dont les savoir-faire ont été inscrits au patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2018 et où s’est formé François Coty, dans les établissements Chiris. Rendez-vous le 16 octobre 2023 pour découvrir les prochains lauréats !
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
Vendredi soir avait lieu à la Philharmonie de Paris un concert d’un genre un peu spécial. Sur la scène du Studio : à droite, un violoncelliste et son instrument, à gauche, un parfumeur avec des petits flacons près de lui, et sur les genoux des spectateurs, des livrets contenant des touches odorantes. Et si la musique constituait une opportunité pour la culture olfactive ?
Tout a commencé il y a un peu plus d’un an, au moment même où Francis Kurkdjian prenait la place de François Demachy à la direction de la création chez Dior. Le parfumeur est alors contacté par ses amies pianistes Katia et Marielle Labèque, qui l’informent que la Philharmonie de Paris cherche quelqu’un pour collaborer à un programme qui mêlerait musique et parfum. Selon les musiciennes, cela ne pouvait être que lui. Il rencontre alors le directeur musical de l’Orchestre de Paris et chef principal du Philharmonique d’Oslo, Klaus Mäkelä. Le jeune chef finlandais de 26 ans, passionné de parfums, lui propose une « conversation musicale et artistique » autour de la Suite n°2 pour violoncelle seul en ré mineur de Johann Sebastian Bach, dans laquelle les évocations et les émotions résonnent, se partagent et s’expriment à travers une interprétation réciproque.
Pour chacun des six mouvements de la Suite, Francis Kurkdjian compose une formule à partir de quelques ingrédients, inspirés de son écoute mais surtout des mots du musicien : mélancolie, obscurité, espoir, énergie… « Je me suis laissé guider par les mots et l’archet de Klaus interprétant cette suite de Bach pour en transposer les émotions » explique le parfumeur, qui une fois sur scène, commence par tremper deux mouillettes dans un flacon, et en tend une à son partenaire en prononçant les mots de ce dernier.
Chaque parfum est ainsi senti simultanément par les deux artistes et par le public qui retire chaque touche de sa pochette cristal dans le livret prévu à cet effet. Klaus Mäkelä interprète alors le mouvement, lui-même imprégné des sentiments que lui procure l’odeur, celle-ci colorant à son tour son jeu. « Tous ces accords sentent le ré mineur, la tonalité de cette Suite, dont le son est très particulier », explique-t-il.
Mais cet aller-retour musique-parfum-musique ne s’arrête pas là, puisqu’à la fin du livret figure la fiche de formulation des six compositions, comportant le nom des matières utilisées et les pourcentages pour chaque mouvement. On en retrouve certaines en commun, tandis que d’autres apparaissent dans une seule colonne. Comme le fait remarquer le parfumeur, ce document apparaîtra comme du chinois pour un grand nombre des spectateurs, de la même manière qu’une partition de musique est indéchiffrable pour beaucoup – même s’il est de nos jours plus simple et courant de fréquenter un conservatoire que de recevoir une formation à la parfumerie… L’accès à cette fiche, pour ceux qui savent, ou feront l’effort de la lire, revêt alors une inestimable valeur : à l’heure où beaucoup parlent de l’importance de l’éducation olfactive du public, et de transparence de l’industrie, pouvoir découvrir ces informations, assis dans une salle de concert avec une mouillette sous le nez et du Bach dans les oreilles, n’est pas juste anecdotique. C’est rare et précieux.
Au-delà de l’expérience multisensorielle – voire pour certains, synesthésique – j’y vois une manière intelligente et audacieuse de permettre un accès à la culture olfactive, par le biais d’une rencontre artistique entre deux univers qui se répondent. Sentir l’accord, savoir de quoi il est composé, comparer les formules et les interprétations, observer à quel point une matière peut se comporter différemment suivant son dosage et celles qui l’accompagnent, tout en écoutant le jeu du violoncelle, et s’amuser à saisir comment s’est construite cette traduction entre les deux langages est un réel plaisir. À quoi la note animale de l’Ambrinol fait-elle écho dans le Prélude ? L’iris sourd et poudré traduit-il la tristesse de la Sarabande ? Le trans-2 dodécenal aux facettes métalliques et juteuses évoque-t-il la vivacité de la Courante ? Quels sont les points communs olfactifs et harmoniques entre le Prélude et l’Allemande ? Et pour ceux qui ne savent pas déchiffrer ce jargon compliqué, le simple fait d’écouter son ressenti en humant chaque mouillette et en tenant entre ses mains un tel document constitue une ouverture vers un autre monde, auquel nous invite Francis Kurkdjian avec générosité, humilité et transparence.
Cette expérience permet par ailleurs, contrairement à ce que la conception du parfum comme produit de consommation nous a habitués, d’appréhender celui-ci autrement qu’à travers le biais du « j’aime/j’aime pas », puisque nous sommes conviés à considérer la dimension émotionnelle en lien avec la musique dans son ensemble, plutôt que tel ou tel type de note que l’on porterait. Dirait-on de la Sarabande : « Je n’aime pas trop le sol et le fa dans ce passage » ?
Cette représentation – dont la totalité des places étaient vendues le premier jour – sera je l’espère la première d’une longue série qui permettra de faire davantage entrer la culture olfactive dans les salles de concert, les musées, les expositions… Elle démontre que le public peut avoir accès au parfum ailleurs que chez Sephora et autrement qu’à travers un flacon, et que celui-ci peut, et même devrait, être aussi découvert et apprécié collectivement, permettant de partager l’émotion qu’il suscite. Et cela parfois grâce à des moyens simples, sans nul besoin de technologie onéreuse et complexe. Une idée, une rencontre, des échanges, des mouillettes, pas besoin de beaucoup plus.
Cet événement résonne d’ailleurs avec celui proposé en ce moment par Cartier, l’OSNI 2 présent jusqu’au 11 décembre sur l’Esplanade des Invalides : une expérience visuelle, auditive, olfactive et tactile autour du parfum La Panthère de Mathilde Laurent, qui permet de s’évader avec délice et poésie dans un monde multi-sensoriel parallèle, le temps de quelques minutes.
Encourageons toutes les initiatives qui permettent de sortir le parfum de son carcan commercial et individualiste, et le remettent à sa place d’œuvre culturelle et de pourvoyeur d’émotions collectives.
La cofondatrice du magazine en ligne Auparfum et de Nez a deux passions : sentir et écrire.
The cofounder of online magazine Auparfum and Nez is passionate about
two things: smelling and writing.
Ce samedi 3 décembre est la journée internationale des personnes handicapées : l’occasion de rappeler que les anosmiques ne sont toujours pas reconnus comme tels, malgré le travail d’Anosmie.org, fondée par Jean-Michel Maillard en 2017 et qui constitue à ce jour la seule association en France. Conçue à la fois comme une cellule de soutien, d’information et de sensibilisation, elle propose également un protocole gratuit de rééducation olfactive réalisé en 2019 avec le CNRS (traduit en anglais, espagnol et allemand) ainsi qu’une web-application (www.covidanosmie.fr, recommandée par le Ministère des Solidarités et de la Santé).
Emmanuelle Dancourt, journaliste TV et ambassadrice d’Anosmie.org, a fondé pour l’association le podcast Nez en moins, afin de créer des ponts entre le monde de l’anosmie et celui de l’olfaction. Elle prend désormais la plume dans une chronique de Nez, la revue olfactive au sein de laquelle elle dévoile son vécu en tant que « zéro parfait » : nous vous proposons aujourd’hui d’en découvrir le premier texte, publié dans Nez #14, comme une immersion dans une autre expérience du monde.
L’apesanteur fait perdre aux astronautes une large partie de leur odorat, et donc de leur goût. Dans l’espace, ils deviennent anosmiques, un mot aussi barbare qu’inconnu du grand public. Je suis moi-même née astronaute. Dépourvue de sens olfactif. Je n’ai jamais senti une odeur de ma vie. L’herbe coupée, le beurre fondu, le feu de cheminée, la terre mouillée, les fleurs, le poulet rôti, la colle Cléopâtre, Chanel No5 sont pour moi visions, sensations corporelles, fantasmes, mais en aucun cas effluves. Eussé-je perdu l’odorat, je saurais. Sentir ? Juste un concept. Moi : À quoi sert une odeur ? Oui, je cuisine au gaz, pourquoi ? Thé vert ou thé noir, quelle importance ? Quel parfum de lilas ? Bien sûr que je peux changer les couches du bébé ! Ah bon, chaque personne a sa propre odeur ? Et moi, je sens bon ? Quoi, mon haleine ? Je confirme, l’argent n’a pas d’odeur ! Vous : Quelle chance ! Tu ne sens pas ce qui pue, alors ! Tu as du goût ? Tu cuisines ? Tu as surdéveloppé un autre sens ? Pourquoi portes-tu du parfum ? Comment fais-tu pour les souvenirs ? Et pour le sexe ? La vérité ? Vous êtes aussi anosmiques que moi dès que vous avez le nez bouché ! Pas d’olfaction, pas non plus de rétro-olfaction, donc plus de goût, qui relève principalement de l’odorat – jusqu’à 90 %, selon ce que vous ingérez. En cas de rhume, votre libido aussi dégringole, l’aviez-vous remarqué ? D’autres problèmes surgissent sur la planète Anosmia. Sans odorat, je suis privée de certains messages du lieu où je me trouve (odeur de brûlé ? de cannabis ?), de certaines alertes sur la personne en face de moi (empeste-t-elle l’alcool ? la cigarette ? le parfum d’une autre ?). L’anosmie fait de moi un être sans filtre et sans méfiance, condamné à la candeur. Je suis impénétrable, prisonnière de cette combinaison d’astronaute qui m’isole de la subtilité du monde. Le nez humain pourrait distinguer mille milliards d’odeurs différentes. Moi ? Rien. Le vide intersidéral. À 19 ans, j’apprends que j’ai développé le syndrome de Kallmann-de Morsier, qui peut entraîner une stérilité. Mon anosmie n’est que la conséquence d’un désordre hormonal sévère. Le verdict est d’une dureté inouïe. À 23 ans, je deviens journaliste… Pour pallier intellectuellement mon anosmie en approchant la vérité du monde avec mes questions ? À 28 ans, je donne naissance à une petite fille. La PMA m’a sauvée. Trois garçons suivront. À 35 ans, je suis identifiée par un laboratoire de l’université Lyon 1 comme un zéro parfait. Une nullité absolue en olfaction. Un des rares cas repérés dans le monde. Même une huître a plus d’odorat que moi ! À 46 ans, j’adhère à l’association Anosmie.org. Nous lançons le podcast Nez en moins pour expliquer aux normosmiques ce qu’est un monde sans odeurs. À 48 ans, je crée un parfum avec Ugo Charron, parfumeur pour Mane à New York. Pour contourner mon handicap, nous utilisons le langage synesthésique, innovation que nous présentons au Congrès mondial de la parfumerie, à Miami, en juin 2022. Umema sera bientôt commercialisé. Je suis anosmique. Je ne peux pas me sentir, je ne peux pas vous sentir non plus. Je suis une astronaute en apesanteur dans un univers d’odeurs imperceptibles.
Cette journaliste, autrice et podcasteuse (Nez en moins) née sans odorat se passionne pour le monde des senteurs et a créé une fragrance avec le parfumeur Ugo Charron.
Derrière leur apparente familiarité, les notes alimentaires constituent un défi créatif pour les parfumeurs : la société Mane met à leur disposition des matières innovantes afin de dépasser l’écriture littérale et d’imaginer des fragrances signées et inventives. La biotechnologie, à laquelle la maison de composition française a offert son propre laboratoire de recherche dès 1987, en constitue l’un des piliers.
Le sucre est addictif : voilà un fait bien connu de l’industrie alimentaire mais aussi de celle du parfum, qui joue depuis de nombreuses années désormais la carte du glucose, appât facile des consommateurs. Certains, cependant, dépassent cette vision simpliste pour proposer une approche plus créative des notes alimentaires, imaginant les tendances de la parfumerie de demain. C’est le cas de Mane, qui en plus d’être la première société de composition française, a aussi été précurseur dans le travail des notes salées. On lui doit notamment deux féminins aux intonations d’eau de mer, New West for Her pour Aramis en 1990, de Yves Tanguy, et Escape pour femme chez Calvin Klein l’année suivante. Ils demeurent les chefs de file d’une nouvelle tendance qui se développera les années suivantes, et constituent en ce sens une prise de risque audacieuse – et réussie – pour l’époque. Car si leur portée mnésique est intéressante à exploiter, les notes gustatives peuvent aussi rapidement convoquer des associations qui siéent peu au domaine de la parfumerie :
« L’un des défis est de trouver le juste équilibre entre l’aspect littéral de l’alimentaire, l’idée novatrice et la portabilité du parfum. Il faut beaucoup de précision, car les nuances sont vites perceptibles : c’est un travail de dentelière, ce qui explique la longueur de certains développements comme celui de Womanity », explique Mathilde Bijaoui, qui a participé à la composition du parfum Mugler lancé en 2010. Deux ans ont en effet été nécessaires pour que le projet se concrétise : « Parfois, ce sont certaines matières novatrices qui nous aident à avancer dans la composition : dans ce cas, notre technologie Jungle Essence a été essentielle : c’est à partir d’un extrait Jungle Essence de caviar que nous avons pu imaginer un accord caviar qui se marie à la figue et signe le parfum avec audace », poursuit-elle.
Au-delà de la littéralité
La même année, elle compose Like This, issu d’une rencontre avec Tilda Swinton pour la maison de niche État libre d’Orange. Lors de leur premier échange, l’actrice évoque l’odeur présente dans sa maison, et notamment celle d’un crumble de potiron qu’elle cuisine pour ses enfants : « À partir de cette idée, mon fil conducteur a été la couleur orange, en référence à la carnation de Tilda, au nom de la marque et bien sûr à la citrouille. J’ai voulu recréer sa texture crémeuse, veloutée, plutôt que son odeur, que j’ai habillée de lactones, de mandarine, de fleur d’oranger, d’immortelle… C’est l’imaginaire qui m’a portée, et non la retranscription à l’identique du légume ! »
Mathilde Bijaoui a également signé la collection « English Fields » chez Jo Malone en 2018. Novatrice, celle-ci fait la part belle aux céréales, alors encore très discrètes dans les parfums. Pour en saisir toutes les nuances, une séance d’olfaction chez un boulanger est organisée, à la découverte des différentes farines, entre seigle légèrement fumé et châtaigne plus sucrée. D’un Primrose & Rye inspiré là encore par la couleur qui tisse le lien entre l’orge, le maïs et le mimosa ; en passant par un Honey & Crocus où le miel prend des intonations presque foin, entre graine et fleur sauvage, adouci delait d’amande ; jusqu’à Oat & Cornflower où la parfumeuse a imaginé olfactivement la texture d’un muesli aux fruits secs sans partir vers le sucré, les interprétations comme les inspirations sont diverses. Si les noms des cinq compositions au total peuvent ainsi évoquer une écriture littérale, il ne faut pas oublier que les parfumeurs abordent chaque exercice avec leur propre sensibilité, et même leur histoire : « Si je composais à nouveau l’un de ces parfums aujourd’hui, je sais que je n’aurais pas la même approche », souligne-t-elle. De même que le peintre ne reproduit pas un paysage sur une toile, mais offre toujours une interprétation particulière de celui-ci, le parfumeur livre « l’atmosphère des choses », pour reprendre les mots du philosophe Ernst Cassirer dans son Essai sur l’homme : « En disant de deux artistes qu’ils peignent « le même » paysage, on décrirait fort mal notre expérience esthétique. Du point de vue de l’art, cette prétendue similitude est pure illusion. On ne peut dire de l’objet de deux peintres qu’il est le même. L’artiste, en effet, ne peint ni ne copie un objet empirique donné – un paysage avec ses collines et ses montagnes, ses ruisseaux et ses rivières. Ce qu’il nous livre, c’est la physionomie particulière et momentanée du paysage. Son désir est d’exprimer l’atmosphère des choses, le jeu de lumière et d’ombre. Un paysage n’est pas “le même” à l’heure naissante du crépuscule, sous la chaleur de midi, un jour de pluie ou de soleil. Notre perception esthétique manifeste une diversité beaucoup plus grande, et appartient à un ordre beaucoup plus complexe que la perception commune des sens ». L’approche du créateur de parfums n’est ainsi pas réductible à une perception sensible commune : elle dépasse l’approche immédiate pour offrir une construction nouvelle du réel. Ainsi les notes alimentaires ne sont-elles pas à saisir au sens littéral : elles évoquent, font référence, subliment et n’en restent pas à la retranscription pure, même si leur matériau de base est lui-même parfois issu de la recherche en aromatique alimentaire.
Nourrir la palette
En effet, les maisons de compositions travaillant à la fois sur la parfumerie et les arômes, les échanges entre ces deux pôles sont constants, et nourrissent la palette de création autant que l’inspiration. Cependant, de nombreuses matières utilisées pour les aliments ne sont pas disponibles pour la parfumerie, que ce soit pour des questions de législation ou de solubilité dans l’alcool. Depuis 2020, les extraits Jungle Essence, pensés comme des matières-joyaux précieuses, enrichissent le vocabulaire olfactif des créateurs de la maison de composition. Parmi eux, on compte notamment la noisette crémeuse et addictive, ou encore l’algue rouge aux intonations de feuille nori, qu’Ugo Charron a d’ailleurs employée pour construire l’effet « umami » de Umema, créé aux côtés de Emmanuelle Dancourt, journaliste anosmique de naissance. Mais la technologie inédite permet aussi d’extraire des ingrédients qui résistaient jusqu’alors à l’extraction, comme certains fruits : « Julie Massé a utilisé un extrait de cassis Jungle Essence dans Sì de Giorgio Armani, bien plus fruité et plus juteux que l’absolue de bourgeons de cassis, sans être sucré : très naturaliste », souligne Mathilde Bijaoui.
Pour compléter la palette, les molécules issues de biotechnologies sont également une ressource de choix : « Pour les obtenir, on reproduit grâce à des micro-organismes ce qui se passe dans la nature mais dans des conditions contrôlées, où les paramètres (humidité, température…) sont optimaux. Si leur prix reste élevé, à l’heure où croît de la part des consommateurs – et donc des marques – la demande de naturalité, mais aussi de développement durable (moins de déchets,…), nous misons beaucoup dessus. Sans compter que 95% peuvent trouver une application à la fois en aromatique et en alimentaire », explique Fanny Lambert, responsable du département de biotechnologie de Mane.
Il n’est pas vraiment question, dans le domaine, de remplacer des molécules disparues de la palette, mais véritablement d’en apporter de nouvelles. Pourtant, toutes doivent exister dans la nature : il ne s’agit pas d’inventer ex nihilo, en ajoutant des éléments chimiques à des molécules existantes pour en créer d’autres, comme cela peut être fait dans la synthèse classique. Comment avance dès lors la recherche ? « Si on me demande une molécule en particulier, il faut que je sache exactement ce que je cherche, pour pouvoir la retrouver dans la nature et comprendre comment elle est née : ce n’est qu’à ces conditions que je peux la reproduire à partir de micro-organismes utilisés comme catalyseurs. Mais la nouveauté provient le plus souvent des fruits de recherches académiques qui identifient de nouvelles molécules et les voies métaboliques utilisées par les plantes pour les produire » poursuit-elle.Plus rarement, les molécules sont issues de coups de chance scientifiques. C’est ainsi le cas pour la Tropicalone, synthétisée en travaillant sur un autre projet : «L’histoire est fascinante, car c’est en cherchant à produire une molécule que nous avons obtenu une autre, que nous n’attendions pas. Olfactivement, c’est une note magnifique de fruit tropical, puissante et complexe. »
De l’idée à la réalité
Ce n’est alors qu’un premier pas vers la production de molécule, une fois identifiée : « plusieurs étapes sont encore nécessaires, et il faut attendre neuf à douze mois pour qu’elle soit produite à grande échelle : validation des étapes de production qui permettent la répétabilité, établissement du coût, validation qualitative de lots produits, aval réglementaire pour la toxicité… Tout est mis à plat jusqu’à la réunion finale du comité scientifique de Mane », énumère Fanny Lambert. Patronnée par Jean Mane en personne, la réunion réunit parfumeurs et aromaticiens, chercheurs, services qualité et toxicologie qui discutent pour savoir si la nouveauté est intéressante de manière globale.
Une fois disponible dans la palette, il restera aux parfumeurs de s’accorder le temps de l’apprivoiser… Mais souvent avec grand bonheur : « Il y a vraiment de très belles molécules. J’ai un coup de cœur pour la Cocotone, qui donne un effet eau de coco, avec beaucoup de naturalité, et peut aussi apporter un effet texture crémeux : à la fois très addictive sans être sucrée ! », se réjouit Mathilde Bijaoui. Parmi ses préférences, on compte aussi le Vayanol, « très complexe, qui peut révéler des facettes très différentes selon les compositions : à la fois liquoreuses de vanille boisée, cuirée, fumée, mais aussi épicées, qui peut venir créer un effet œillet dans un bouquet ». Ces deux nouveautés, présentées lors du World Perfumery Congress de Miami cette année, célèbrent du même coup 35 ans d’expertise de Mane en la matière. Parmi les autres chouchous des créateurs, la Melbatone apportera quant à elle un effet peau de pêche, tandis que l’Orcanox, un ambré boisé très puissant et rémanent, confère un côté salé qui rappelle l’ambre gris, cet « or blanc » de la parfumerie.
Il ne reste plus qu’à attendre le bon brief pour pouvoir mettre à l’œuvre ces merveilles de naturalité. Mais le pari est fait : les intuitions créatives de la société familiale du Bar-sur-Loup s’étant à maintes reprises révélées juste, gageons que les marques iront bientôt piocher dans ces notes alimentaires non sucrées la concrétisation de l’appel à une naturalité addictive attendue de la part des consommateurs !
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
Il existe autant de façons de composer un parfum qu’il existe de créateurs. Nez vous invite à découvrir leur parcours, leur pratique et leur vision.
Depuis 1978, Alain Alchenberger, parfumeur chimiste de formation, est passé par les plus grandes maisons de composition : Givaudan, Créations Aromatiques ou encore Mane. Son parcours atypique l’a conduit à créer d’abord des fragrances pour des produits d’entretien, puis des parfums pour Ralph Lauren, Versace, Jil Sander ou encore Michael Kors.
Aujourd’hui Senior Creative Perfumer chez Luzi, il nous a reçu à Zurich, dans les locaux flambants neufs de la maison de composition. Il évoque pour nous certains de ses thèmes de prédilection, comme sa manière de composer s’inspirant des philosophies orientales et sa passion de transmettre aux jeunes générations.
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
En 2019, l’entrepreneur Max Forti lançait à New York ScentXplore, mettant en contact professionnels du parfum et passionnés. Après deux sessions virtuelles dues à l’épidémie de Covid-19, l’événement revient les 2 et 3 décembre 2022 sous un format hybride, à la fois sur place et en ligne, avec Nez pour nouveau partenaire. Entretien.
À quand remonte votre passion pour l’univers du parfum ?
D’aussi loin que je me souvienne, les odeurs m’ont toujours intrigué. Enfant, j’étais fasciné par le parfum de ma mère, Poison de Christian Dior. Jeune adulte, je suis tombé amoureux de Dolce & Gabbana pour homme. Flacon après flacon, au fil des trente dernières années, j’ai rassemblé une vaste collection personnelle. Il y a tout juste dix ans, j’ai commencé à poster des vidéos sur YouTube pour partager mes connaissances et ma passion avec d’autres amateurs de parfums. Aujourd’hui, je développe des projets avec de nombreuses marques dans le monde entier, en parallèle de mes fonctions d’organisateur de ScentXplore.
Qu’est-ce qui vous a décidé à mettre sur pied ScentXplore ?
Avec le temps, je me suis de plus en plus intéressé à la parfumerie de niche. J’y ai trouvé de nouveaux concepts, de la diversité et une vraie démarche artistique. J’y ai consacré beaucoup de temps, notamment en participant à des événements dédiés à ce secteur en Europe. Il n’y avait rien de tel sur le continent américain, et je me suis dit qu’en important ce type de concept, je pouvais apporter quelque chose à la communauté locale des amateurs de parfum. Mon principal objectif a toujours été de favoriser les rencontres, en l’occurrence celle des marques et des passionnés. La première édition de ScentXplore a eu lieu en 2019, au Fashion District de New York.
En quoi cet événement comble-t-il un manque sur le marché américain ?
Historiquement, l’industrie du parfum s’est concentrée en Europe, en particulier en France, en Italie et au Royaume-Uni. En toute logique, c’est là que les grands salons et les événements majeurs autour de la niche se sont développés. Mais depuis quelques années, grâce aux réseaux sociaux, les consommateurs américains se sont de plus en plus éduqués à cette branche de la parfumerie. Désormais, grâce à ScentXplore, ils peuvent rencontrer et échanger avec les acteurs du secteur, des dizaines de marques, des spécialistes de l’industrie, des parfumeurs et des créateurs de contenus du monde entier, virtuellement s’ils participent à distance, ou de visu s’ils se rendent sur place à New York. C’est en tissant des liens que visiteurs et exposants comblent les manques.
À quel public s’adresse ScentXplore ?
Nous ciblons les amateurs de parfums passionnés par la niche. Un public pointu et soudé, qui recherche un contact privilégié avec les marques d’exception, pour découvrir leurs fragrances phares et leurs nouveautés, échanger avec des experts du secteur et des parfumeurs, tout en rencontrant d’autres amateurs venus du monde entier. Pour cela, nous proposons un accès de choix aux dernières informations et tendances du marché, à travers des conférences, des ateliers et des masterclasses. Cette année, nous attendons plus de 2 000 visiteurs. Pour vous donner une idée, la dernière édition a réuni 77 pays !
Quels seront les points forts du cru 2022 ?
Les deux derniers événements se sont déroulés à distance en raison de la pandémie. Cette année, notre quatrième édition se tiendra sous une forme hybride. Nous l’avons pensée de manière à ce que chaque participant puisse, sur place ou virtuellement, profiter pleinement du programme. Ce qui fait de ScentXplore le premier et l’unique événement international hybride dédié à la niche. Le nombre de marques ayant répondu présent passe de 28 à 53. En plus de la masterclass très attendue de l’auteur Michael Edwards, nous proposerons, entre autres, celles de marques comme Amouage et Parfums de Marly.
Pendant la crise du Covid-19, ScentXplore a proposé un format 100% digital. Avec le recul, cette option a-t-elle constitué un atout pour l’organisateur que vous êtes ?
L’industrie du parfum a beaucoup souffert de cette pandémie. De nombreux événements et salons ont été annulés ou reportés. Nous avons pris le risque de maintenir les éditions 2020 et 2021 à travers un accès en ligne. L’avantage, c’est que des centaines de « visiteurs » hors des États-Unis ont pu assister à l’événement en restant confortablement chez eux. Résultat, notre public s’est élargi au monde entier. Aujourd’hui, avec ce dispositif mixte, nous comptons fédérer un public encore nombreux pour renforcer notre objectif de mettre en relation marques, consommateurs, parfumeurs, experts et créateurs de contenus, et ce en diffusant des savoirs de qualité d’une manière divertissante et stimulante.
Cette année, Nez est partenaire de ScentXplore. Que vous inspire le développement de la culture olfactive et où se situent les États-Unis sur ce point ?
Ce partenariat constitue un bénéfice mutuel. Le rôle joué par Nez dans le paysage de la parfumerie de niche et dans le parfum en général permet concrètement au public de comprendre et d’appréhender toutes les facettes et les nuances de cette industrie – et au-delà, de l’importance du sens olfactif dans nos vies. La culture olfactive prend de l’importance aux États-Unis, en particulier à travers la niche. Je suis persuadé que Nez va y contribuer grandement en accompagnant la diffusion des connaissances et en les propageant davantage sur le marché américain. ScentXplore est fier de pouvoir compter sur un partenaire comme Nez pour que cette diffusion des savoirs se déroule de manière inclusive, chaleureuse et bien organisée. Nous nous réjouissons d’unir nos efforts pour cet événement, en espérant retravailler ensemble à l’avenir.
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Le parfumeur Fabrice Pellegrin est responsable de l’innovation et du développement des matières premières chez Firmenich. Akrame Benallal, chef cuisinier étoilé, propose des accords gustatifs audacieux mis en scène avec virtuosité dans une veine esthétique contemporaine. Au fil des rencontres, les deux créateurs puisent dans leurs racines méditerranéennes et leurs affinités pour l’encens et les notes sombres afin de concevoir à quatre mains une fragrance baptisée Adorem. Plongez dans les coulisses de cette création.
Nez propose une série de rencontres entre des parfumeurs et des personnalités d’autres univers. Chacune donne naissance à une création olfactive disponible en édition limitée avec chaque nouveau numéro de la revue.
Ces créations sont disponibles sur le Shop by Nez.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Dans son roman fleuve, l’écrivain asthmatique met en scène un narrateur hypersensible dont les narines ne sont pas moins fines que le palais. À l’occasion du centième anniversaire de sa mort ce 18 novembre 2022, nous vous proposons un article de Clément Paradis initialement paru dans Nez, la revue olfactive #13 – De près ou de loin.
Ah, « le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul » ! Quel succès ! On y fait même allusion pour parler de l’effet qu’une fragrance pourrait avoir sur nous dans le temps. C’est vrai qu’il y a quelque chose de vertigineux à avoir ainsi condensé, comme Marcel Proust dans le début de son roman À la recherche du temps perdu, publié en sept tomes de 1913 à 1927, « tout Combray » dans une tasse de thé, tout un village d’enfance dans une réminiscence fugace et bouleversante. Si Proust était assurément un homme « de goût », son approche de la sphère olfactive, peu connue, n’en est pas moins délicate et porteuse de réflexions sur l’art et la vie. Né en 1871, Marcel Proust est diagnostiqué asthmatique dès l’âge de 9 ans : en rentrant d’une promenade au bois de Boulogne, l’enfant est pris d’une effroyable crise de suffocation qui manque de l’emporter. Son univers sensible se déploie dès lors comme un labyrinthe complexe. Il se tient éloigné des parfums capiteux de son temps, qu’il ne tolère pas, tandis qu’il se plonge avec délice dans la littérature du XIXe siècle qui fait l’éloge des senteurs les plus enivrantes. Son roman garde la trace de ces émerveillements ; il y cite l’évocation d’une « odeur fine et suave d’héliotrope [qui] s’exhalait d’un petit carré de fèves en fleurs » comme « une des deux ou trois plus belles phrases » des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand. Il y rappelle aussi la verve baudelairienne et la recherche par le poète, « dans l’odeur d’une femme par exemple, de sa chevelure et de son sein, [des] analogies inspiratrices qui lui évoqueront “l’azur du ciel immense et rond” et “un port rempli de flammes et de mâts” ». Les effluves donnent à lire l’espace et ouvrent pour le lecteur les horizons de nouvelles correspondances.
Des arômes redoutés, différents Le héros d’À la recherche du temps perdu, créature sans nom mais perpétuellement traversée par le monde et ses mots, réévalue sans cesse sa position face à la dimension olfactive du monde. Dans sa maison d’enfance, chez ses grandsparents, c’est d’abord l’escalier le séparant de sa mère qui se pose en adversaire, avec son « odeur de vernis qui avait en quelque sorte absorbé, fixé, cette sorte particulière de chagrin ». Mais les jeunes années apportent aussi leur lot de senteurs amies, et peut-être le premier « parfum » marquant de la Recherche : celui du pot de chambre après la dégustation d’un plat d’asperges. L’esprit de l’enfant prête en effet vie à ces dernières et les imagine jouer, « dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer [son] pot de chambre en un vase de parfum ». La chambre devient un lieu matriciel : au fil du roman, le héros en visitera de nombreuses, dans des demeures familiales ou des hôtels ; elles se rappelleront à son souvenir par leurs exhalaisons. Chez Proust, le parfum n’est pas toujours où l’on croit, et la méfiance de l’asthmatique a peut-être conduit l’écrivain à prêter prudemment attention à tous les changements d’air. Construisant sa culture olfactive, le héros nous fait comprendre que les arômes redoutés, différents, sont aussi ceux qui nous édifient. L’un d’entre eux traverse le roman : le vétiver. Découvrant la chambre qui lui est allouée au Grand Hôtel de Balbec, une station balnéaire imaginaire où se transportent en saison les mondanités parisiennes, le protagoniste se retrouve « dès la première seconde […] intoxiqué moralement par l’odeur inconnue du vétiver ». Émanerait-elle des « savons trop parfumés » de l’établissement ? En tout cas, les effluves de la Recherche révèlent pleinement leur pouvoir dans ce passage du deuxième tome, À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Provoquant plus qu’une gêne fugace, ils sont capables d’offensives qui laissent le narrateur dépossédé de son monde : « N’ayant plus d’univers, plus de chambre, plus de corps que menacé par les ennemis qui m’entouraient, qu’envahi jusque dans les os par la fièvre, j’étais seul, j’avais envie de mourir. » Ce qui devait être un séjour de repos se transforme en cauchemar. Quelques centaines de pages plus tard, alors que la saison touche à sa fin, le personnage, bon client, se voit proposer de meilleures chambres pour ses prochains séjours. La direction essuie alors un surprenant refus. « J’étais attaché maintenant à la mienne où j’entrais sans plus jamais sentir l’odeur du vétiver. » La chambre est adoptée, les séjours se répètent. L’indifférence finit même par faire place à des sentiments plus intenses et des associations plus incongrues : à la fin du roman, le héros se découvre « exalté » par les arômes pourtant déplaisants de la naphtaline et du vétiver qui lui rendent « la pureté bleue de la mer le jour de [son] arrivée à Balbec ». La racine d’Haïti se confond avec les paysages de la côte normande, nous rappelant que c’est d’abord l’arbitraire qui tisse notre relation olfactive au monde. Dans le roman proustien, les odeurs conditionnent donc un rapport à l’espace et à son souvenir, et régulent parfois astucieusement la chorégraphie mondaine. Pourtant, rares sont les personnages qui se parfument : la grande comédienne du roman, la Berma, inspirée de Réjane et Sarah Bernhardt, en fait partie ; ou plutôt, on apprend au détour d’une anecdote qu’elle utilise « des océans de parfums pour laver ses chiennes ». La principale figure mondaine dont on peut suivre le sillage est – sans surprise – Odette, la « cocotte » qui deviendra madame Swann. Sa fragrance de prédilection se perçoit « jusque dans l’escalier » et contribue à faire de sa demeure une « chapelle mystérieuse » au cœur de laquelle on trouve certains plaisirs, mais aussi « tant de chaleur, de parfums et de fleurs ». Ces plaisirs suspects n’enthousiasmant guère Françoise, l’employée de maison du héros, elle s’affairera à discréditer Albertine, la femme qui partage sa vie pendant un moment, elle aussi amatrice d’agréments olfactifs : « ça va être une vraie parfumerie ici » !
Catleyas et seringas Mais ce qui rebute les uns attire les autres : Swann, le mondain charmeur et cultivé, se laisse parfois guider par son odorat dans le faste des réceptions parisiennes. On le croise ainsi serrant la main d’une marquise et plongeant « un regard attentif, […] absorbé, presque soucieux dans les profondeurs du corsage » de la dame : il est grisé par son parfum, si bien que ses narines palpitent « comme un papillon prêt à aller se poser sur la fleur entrevue ». Le savoir-vivre de Swann étant impeccable, la rencontre n’ira pas plus loin. Mais avec Odette, lorsqu’il se rend compte que l’attirance qu’il a pour elle est réciproque, un autre ballet prend forme dans l’intimité d’une voiture. Portant à la main un bouquet de catleyas, la cocotte arbore des fleurs de cette même orchidée dans ses cheveux ainsi qu’à l’ouverture de son corsage décolleté. La voiture cahote, les catleyas chancellent, Swann entreprend de sauver ceux qui ornent la gorge d’Odette. « Il était vraiment nécessaire de les fixer, ils seraient tombés », explique-t-il timidement à la jeune femme qui n’offre aucune résistance. L’effluve des fleurs, ou plutôt son absence éventuelle, est alors le prétexte choisi par Swann pour se rapprocher encore davantage d’elle : « Sérieusement, je ne suis pas désagréable ? Et en les respirant pour voir s’ils n’ont vraiment pas d’odeur, non plus ? Je n’en ai jamais senti, je peux ? dites la vérité. » Dans le trouble des exhalaisons florales, leurs parcours s’unissent quand d’autres se séparent. Si Swann « fait catleya » avec bonheur, le héros du roman souffre plus tard, victime d’une mise en scène retorse lors du « soir de la branche de seringa ». Il rentre pourtant chez lui heureux : madame de Guermantes lui a offert, parce qu’elle savait qu’il les aimait, des seringas du Midi. Seulement, en montant l’escalier il croise Andrée, une amie d’Albertine, que la senteur « si violente » des fleurs semble incommoder. Elle lui confie d’ailleurs qu’Albertine ne devrait guère plus apprécier l’entêtant bouquet. Passant la porte de l’appartement, il ne s’émeut donc pas de voir cette dernière le fuir et se réfugier dans sa chambre. Il n’apprendra qu’après la mort de sa compagne ce qui s’est joué ce soir-là : la répulsion des deux jeunes femmes était feinte, probablement destinée à lui dissimuler draps défaits et autres vestiges de jeux charnels qu’elles venaient peut-être de partager dans son appartement. Les odeurs tissent ainsi des jeux sociaux complexes, des scènes marquantes pour le narrateur, tant et si bien qu’il finit par élaborer une curieuse théorie : notre esprit fonctionnerait comme travaille un parfumeur.
Héros synesthète Le protagoniste est un être de désir, et son expérience du monde convertit ses déceptions en savoir, remplace les fantasmes par des connaissances réelles. Mais comment rendre sensible au mieux cette réalité ? Son admiration pour une sommité de la vie aristocratique, la princesse de Parme, est l’occasion d’un exposé théorique précis. Il avait en effet « fait absorber à ce nom de princesse de Parme le parfum de milliers de violettes » au fil des années, « comme un parfumeur à un bloc uni de matière grasse ». C’est bien la technique de l’enfleurage qui est décrite ici, c’est-à-dire l’utilisation de la capacité des corps gras à absorber naturellement l’odeur des plantes. Mais les fleurs sont remplacées par nos fantasmes, et leurs supports sont les personnes qui nous entourent. Le rêve est cependant toujours bref et source de désillusion : en fréquentant la princesse de Parme, le héros s’aperçoit qu’elle n’est qu’une femme comme il en a tant connu, humaine, humble. Son esprit doit alors s’atteler à une seconde opération : celle-ci consiste, « à l’aide de nouvelles malaxations chimiques, à expulser toute huile essentielle de violettes et tout parfum stendhalien du nom de la princesse et à y incorporer à la place l’image d’une petite femme noire, occupée d’œuvres ». Senteurs et images se mêlent ainsi pour le héros synesthète affairé à recomposer en permanence l’effluve qu’il associe en lui-même à chaque être. Proust n’est donc pas seulement attentif aux sensations olfactives : tout le procédé de fabrication des fragrances a été un centre d’intérêt pour lui, nourri par la lecture de Pays des aromates de Robert de Montesquiou (qu’il considérait comme un abrégé de l’histoire de la parfumerie) et de celle des Hymnes orphiques, ces prières aux divinités de la Grèce antique, précédées de la mention de substances odorantes à consumer pour accompagner leur récitation. L’auteur nous apprend ainsi que l’encens était le parfum de la mer, mais aussi celui des déesses Dikè, Thémis, Mnémosyne, des neuf Muses et de Circé. Ce partage d’une même essence par diverses divinités le trouble, mais il en tire une nouvelle leçon : les senteurs intérieures et les désirs que nous projetons sur les êtres qui nous inspirent sont moins personnalisés qu’on ne le croit. Ainsi peut-on expliquer pourquoi les déceptions et les tristesses qui les suivent sont également, dans le cours de nos vies, si semblables les unes aux autres. Les élans de pessimisme restent cependant passagers dans la Recherche : la vie parvient toujours à tirer le narrateur de ses idées noires en l’entourant de sensations à interpréter, émanant des espaces les plus divers, comme la madeleine parisienne ou les aubépines de Combray, avec lesquelles le héros dialogue dans son enfance. Malicieusement, Proust choisit pourtant une référence plus modeste pour parachever son raisonnement : le petit vase de parfum, espace de synthèse de ce qu’il y a de plus trivial et de plus crucial, d’infiniment petit et d’infiniment grand – car « une heure n’est pas qu’une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats ».
Docteur en esthétique et sciences de l'art et enseignant à l’université Sorbonne Nouvelle, il est rédacteur pour Auparfum et Nez et travaille sur les liens qui unissent art et politique.
Vous les sentez partout sans le savoir : de quoi s’agit-il ? Quand, comment et pourquoi les bois ambrés ont-ils envahi la parfumerie ? Nous vous proposons une tentative de réponse, qui assume sa part de subjectivité !
La cofondatrice du magazine en ligne Auparfum et de Nez a deux passions : sentir et écrire.
The cofounder of online magazine Auparfum and Nez is passionate about
two things: smelling and writing.
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
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