Le prix des parfums : que cache-t-on vraiment ? LCI vous répond… à sa façon…

Les journalistes aiment les marronniers. Tous les ans, à la même époque, les mêmes sujets. Cette semaine, la Saint-Valentin était bien sûr à l’honneur, et à l’occasion de cette célébration des amoureux, le parfum ne manque pas de faire un sujet idéal pour les rédactions. Parfois, comme Jade Partouche (LCI) ces mêmes journalistes montent au créneau de la défense des consommateurs pour mettre à mal une industrie mensongère et duplice. Malheureusement, l’« intrépidité » n’est pas gage de qualité et la malhonnêteté – même si elle n’est qu’intellectuelle – se cache parfois chez ceux qui prétendent la dénoncer. Décryptage d’un reportage mal fagoté.

Le parfum n’étant généralement perçu comme rien d’autre qu’un produit de séduction, un cadeau qui ne sert qu’à prouver son amour éternel, il faut bien se l’avouer, le reste de l’année, on s’en fiche un peu… Mais c’est quand on doit passer à la caisse qu’on réalise soudain que déclarer sa flamme, ça représente un certain coût.
Voici donc le sujet traité mardi 14 février matin, sur la chaîne LCI, par la journaliste Jade Partouche dans sa chronique « LCI vous répond ». Le court reportage propose d’expliquer en 3 minutes top chrono que vraiment, le prix du parfum, c’est abusé ! Vite, une « enquête » pour démontrer au peuple privé de pouvoir d’achat qu’il se fait grave arnaquer en tombant dans le piège de viles parfumeurs qui ne veulent révéler leurs secrets à personne…

Alors pour préparer sa chronique et dégoter des infos, la chaîne a passé un coup de fil à la rédaction de Nez, la veille à 14h. Notre interlocutrice a lu avec intérêt, nous dit-on, l’article d’Anne-Sophie Hojlo publié sur notre site et intitulé Dans les coulisses de la création : à quand un générique du parfum ? Pour rappel, elle y traite de la visibilité des différentes personnes qui travaillent dans l’ombre du développement d’une fragrance. Son interlocutrice la questionne par téléphone au sujet du prix du parfum, et lui demande si elle ne connaît pas un créateur qui pourrait lui en dire plus.
Toujours prêts à propager la bonne parole de la culture olfactive, nous lui recommandons de s’adresser à Marc-Antoine Corticchiato, fondateur et parfumeur de la maison indépendante Parfum d’empire, dans l’idée qu’il puisse exposer un peu les rouages de la création d’un parfum. 

Dire que l’on a été sidérés en visionnant la vidéo le lendemain matin serait un euphémisme. Trois minutes stupéfiantes pour tenter d’expliquer « ce qu’on paye vraiment quand on achète un parfum ». (Attention, si vous cliquez sur le lien, attendez-vous à voir plusieurs spots de pub avant que le reportage ne débute.. peut-être même des pubs pour des parfums !…)

Tout y est, ou presque – il manquerait juste de l’info utile, peut-être ? Désinformation, déformations, raccourcis trompeurs, erreurs, manipulation… On frôle la théorie du complot, projetant un monde où les parfumeurs vendraient leurs créations à prix indécent, et résumée sous forme d’accroche racoleuse : « 1000 euros le litre, que cache le prix des parfums ? »

On commence par un constat, partagé par une grande partie d’entre nous[1]Nous ne sommes pas les derniers à souligner certains tarifs qui nous semblent excessifs. Un dossier est donc prévu bientôt sur le sujet – stay tuned ! – même s’il prendra certainement … Continue reading : le parfum, ça coûte cher – ce que semble découvrir la journaliste, qui n’avait apparemment pas mis les pieds depuis longtemps dans un Sephora : « c’est pas low-cost, hein, je peux vous assurer que quand j’ai été hier en magasin, j’ai été assez surprise du prix. »
Ayant eu du mal à trouver des parfums à moins de 100 ou 120 euros, elle s’étonne que, « malgré le prix exorbitant », cela reste pourtant le deuxième cadeau le plus offert pour la Saint-Valentin, micro-trottoir à l’appui. Les témoins l’attestent : c’est cher, et on ne comprend pas pourquoi, et la journaliste de confirmer : « à 1000 euros le litre, y’a quand même de quoi se poser des questions ». Certes, mais où trouver les réponses ?

Chez Marc-Antoine Corticchiato, donc, qui lui a ouvert la veille les portes de son laboratoire. Allons-nous enfin avoir une explication claire et rationnelle de ces tarifs exorbitants ? Que nenni, le créateur et son assistant – qui n’ont pas l’honneur d’être présentés – lui ont expliqué les différents composants d’un parfum : alcool, concentré, eau. Et combien ça coûte au juste ? Là, comme elle le raconte (mais sans nous le montrer), « ça botte en touche ». Apparemment, il serait impossible d’obtenir une réponse : un secret aussi bien gardé ne prouve-t-il pas que l’on nous ment ?
Mais attention, la journaliste pugnace, qui semble avoir bien creusé le sujet, a visiblement compris les sources du secret, schéma à l’appui, histoire de faire plus pro : « le jus ne représente que 10% du prix, donc si vous achetez un parfum à 100 euros, ce jus vous coûterait environ 8 euros ». Le reste serait réparti entre le distributeur (50%) et la publicité (40%). Exit donc au passage la création, le packaging, la fabrication, la logistique, le stockage etc. Mais soit, simplifions pour une plus grande clarté.

Pour enfoncer un peu plus le clou : sur les 10 % de ce fameux jus, la part de concentré (c’est-à-dire les matières premières, sans l’alcool) serait à peine de 6 % à 10 %, suivant qu’on considère une eau de toilette ou une eau de parfum (pourcentages qui, soit dit en passant, sont totalement arbitraires et ne correspondent à aucune règle officielle). « Ce qui coûte le plus cher, c’est le concentré et vous voyez qu’il y en a extrêmement peu, donc même avant la sortie d’usine, j’ai l’impression qu’on peut encore un petit peu rogner sur le prix », conclut la journaliste d’un air entendu. 

Mais alors, par quelle logique insondable le mystérieux créateur pourrait-il être à l’origine de la gigantesque arnaque dont vous faites l’objet, s’il produit uniquement ce concentré qui ne constitue que 0,6 à 1 % du prix ? À cela, elle ne répond pas, mais confirme cependant que le parfum continue de bien se porter, de 45 euros le prix moyen du flacon en 2006, on est passé à 68 euros (d’ailleurs assez loin des 100-120 euros annoncés en début de chronique, mais passons).
Heureusement, devant autant d’abus éhontés, une idée de génie lui traverse l’esprit (idée qui lui aurait été d’ailleurs soumise la veille au téléphone, par nous, donc. Thank God, nous n’avons pas été cités) : « pourquoi ne pas créer le parfum générique, c’est-à-dire, comme le médicament générique, un parfum moins cher, vue la marge que je viens de vous présenter, il y a peut-être un petit effort à faire, non ?” » (Aïe, nous on parlait de tout autre chose, mais encore aurait-il fallu lire l’article, puisqu’il n’est pas question de parfums génériques mais d’un générique du parfum qui permettrait de connaître tous les protagonistes impliqués dans sa création, comme au cinéma par exemple…)

À l’objection d’un collègue sur le plateau qui rétorque que porter un parfum, c’est quand même une manière de se différencier, elle répond, imperturbable, qu’il y a « certaines marques qui surfent sur le “soit-disant” luxe mais au final, vous n’achetez que de l’alcool et de l’eau, donc… »
En guise de conclusion, et à la hauteur de tout le reste, quoiqu’un peu sorti de nulle part, le présentateur nous met en garde contre les « parfums très puissants qui ne laissent pas un gros sillage, ça évidemment c’est le parfum un peu low cost ». Une piste pour un futur reportage, peut-être ?…

Par où commencer ? Passons sur le procédé manipulatoire consistant à présenter le prix au litre, pour gonfler l’ordre de grandeur et exagérer le propos. Passons évidemment sur le fait qu’un parfum puisse constituer autre chose qu’un simple produit de consommation et de séduction.
Le parfum, c’est cher, certes, mais par rapport à quoi d’ailleurs ? À tous ces vêtements fabriqués en Chine vendus le double d’un flacon ? À un iPhone ? À un dîner dans un restaurant parisien ? À une bouteille de champagne ?

Après avoir expliqué que le plus gros de ce que vous déboursez va à l’enseigne (Sephora ou Nocibé, donc), à l’égérie et au marketing (Julia Roberts, payée par L’Oréal, par exemple), il est presque comique – si ce n’était pas si indécent – de faire passer de manière subliminale ce parfumeur mystérieux (responsable d’un très petit pourcentage du prix total, donc) pour un arnaqueur qui s’enrichirait sur le dos des consommateurs, tout en filmant Marc-Antoine Corticchiato… dont les parfums ne sont bien sûr pas distribués dans les enseignes citées par la journaliste. Mais peut-être ne sait-elle pas ce qu’est la parfumerie de niche.

Contrairement à La vie est belle de Lancôme (dans le giron du groupe L’Oréal qui annonçait un bénéfice net de 5,7 milliards d’euros en 2022), dont un flacon serait vendu toutes les dix secondes, le parfumeur indépendant, lui, ne fait appel à aucune égérie, ne bénéficie pas de la distribution ni de la visibilité que peuvent s’offrir les grandes marques, et doit évidemment prendre en compte dans ses marges le nombre de flacons qu’il vend… Mais il est sans doute plus simple d’insinuer que ce parfumeur, ici malicieusement seul à être mis en lumière, porterait la responsabilité de cette dérive, et serait ainsi tenu de réduire encore le prix de sa formule (si honteusement tenu secret) pour pouvoir jouer sur le prix final, alors que le concentré ne constitue justement que 6 à 10 % des 10 % de celui-ci ? Compte tenu de la valeur ajoutée de son travail dans ce qui constitue la qualité d’un parfum, ce pourcentage semble d’ailleurs bien ridicule. 

Car s’il y a bien un paramètre qui fait toujours défaut dans les démonstrations visant à prouver que le parfum est trop cher, c’est de rappeler que sa conception ne s’improvise pas comme on fabriquerait soi-même son nettoyant anti-calcaire pour salle de bain ou des cupcakes. Il ne s’agit pas de mélanger dans un flacon la rose et le jasmin cités dans la pyramide olfactive. C’est tout un savoir-faire qui ne s’invente pas, mais qui s’apprend et se perfectionne au long de nombreuses et difficiles années de formation et d’expérience. C’est également le fruit d’une idée, d’un processus, d’une réflexion, et donc d’un certain talent qui aboutit à une forme abstraite qui se tient, qui va plaire (ou pas) au public, et ça, ça s’invente encore moins. Ça se travaille, très longtemps.

Aboutir à une formule de parfum qui est prête à être mise en flacon, cela demande du temps, beaucoup de temps. Réduire son prix au simple coût des matières qui le composent, c’est être dans la totale ignorance de comment il est conçu. Ce qui coûte cher dans le « jus », ce n’est pas seulement les ingrédients (essences ou molécules qui peuvent pourtant atteindre plusieurs milliers d’euros au kilo), c’est surtout le temps passé à les assembler, de la manière la plus harmonieuse possible afin d’en faire un parfum qui soit portable, déjà, puis aimé, voire émouvant. Suggérer que le parfum reflète le prix du concentré, ce serait comme exiger des vêtements qu’ils ne coûtent que le prix du tissu. Sans tout le travail de création, la main d’œuvre de couture, le temps passé à développer patrons et prototypes. De la même manière que lorsque vous achetez une bouteille de vin à 15 euros, vous savez bien que ce prix n’est pas uniquement celui du raisin et de l’eau, mais que ce que vous payez est le fruit de tout un processus, d’une longue transformation, d’un savoir-faire, du transport, etc., et qui mis bout à bout, donnera ce prix de vente, qui vous paraîtra soit honteux si vous trouvez ce vin quelconque, soit une aubaine si c’est un nectar. Tout cela ne sort pas de nulle part, et personne ne peut fournir ce travail et ce temps sans être rémunéré. Il faut donc bien que la vente d’une bouteille ou d’un flacon rétribue (et encore, si peu) ce travail de création, de transformation.

Alors pourquoi tirer sur une ambulance, à savoir insinuer que des parfumeurs indépendants, ceux-là même qui ont parfois du mal à vivre de leur activité et vendent des parfums au prix le plus juste (sans égérie, sans publicité) avec une teneur en matières premières de la meilleure qualité possible, devraient  « faire un petit effort » ? Pourquoi ne pas plutôt dénoncer les réels dysfonctionnements de ce système, à savoir les marges engendrées par les groupes détenteurs des licences des grandes marques diffusées en circuit mainstream, qui non seulement ne font que reproduire à l’infini le même parfum cloné, sans aucun intérêt, mais osent le vendre à des prix bien en décalage avec ce qu’il contient vraiment ? Même si ces formules ultra-calibrées ont souvent demandé du temps pour être peaufinées, ce qu’elles renferment réellement en simple coût de matière première – sans parler du supplément d’âme – sera bien souvent inférieur à ce que vous trouverez chez des marques sans publicité.

Avant de conclure, et pour répondre à l‘idée lumineuse de la journaliste (qui n’a décidément pas lu – ou pas compris ? – notre article sur « le générique du parfum » !), oui le parfum générique existe déjà : ce sont les copies, qui bien que légalement interdites, profitent d’un flou juridique et que vous pouvez trouver dans certaines gares, marchés ou dans la rue. Pour environ 10 euros, vous aurez un « générique » de Sauvage, de Bois d’argent ou de La vie est belle, mais je doute que ce soit là une démarche qui la concerne, car plutôt réservée à ceux pour qui dépenser 100 euros pour du parfum n’est même pas un sujet.

Pour finir : si vous voulez payer le prix le plus juste, fuyez les nouveautés des grandes enseignes et des marques détenues par les grands groupes, car c’est là que vous donnerez le plus d’argent à ce qui précisément vous pousse à les acheter : égérie, marketing, publicité, communication… Allez donc plutôt chercher du côté des classiques (avant les années 2000), le rapport qualité-prix sera toujours meilleur, ou encore mieux, chez les marques indépendantes : là, pour 120 euros, vous trouverez sûrement – à condition de prendre un peu de temps – un parfum original, signé, élégant et personnel, et dont la formule aura certainement une valeur supérieure à celles des nouveautés chez Sephora et compagnie. Parmi ces marques indépendantes, on ne saurait justement que trop vous recommander Parfum d’empire, qui se situe dans le très haut du panier de la parfumerie d’auteur, tout en proposant des prix finalement assez raisonnables : entre Ambre russe à 110 euros euros les 50 ml ou Le Cri à 125 euros, et J’adore qui coûte 115 euros pour le même volume, je peux vous assurer que votre argent ne va pas au même endroit. Tout ce qui n’est pas destiné à rémunérer Charlize Theron, les actionnaires de LVMH ou à financer les emplacements publicitaires, vous pouvez être certain que ça se retrouve directement dans le flacon. Et que le talent de Marc-Antoine Corticchiato – qui gagne sans aucun doute moins que l’égérie de Dior –, n’est finalement que très peu rétribué au regard de sa valeur. Même si le talent, au fond, ça n’a pas de prix…

Visuel : Anonyme, La vente des oignons de tulipe, XVIIe siècle. Huile sur bois. Musée des beaux-arts de Rennes.

Notes

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1 Nous ne sommes pas les derniers à souligner certains tarifs qui nous semblent excessifs. Un dossier est donc prévu bientôt sur le sujet – stay tuned ! – même s’il prendra certainement plus de trois minutes à lire…

Commentaires

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J’attends désormais avec impatience le dossier annoncé et, pourquoi pas, la définition d’un classique (« avant les années 2000 »?). J’ajouterai que quelques années, parfois quelques mois, suffisent pour trouver un parfum – de designer et parfois de niche – « soldé » sur Internet, pour écouler les invendus ou faire la place à un nouveau modèle de flacon.

Merci,

Bonjour Playground Love, patience pour le dossier, il ne sera sans doute pas prêt avant avril ou mai !
Concernant les « classiques d’avant les années 2000 », nous voulions dire que c’est souvent dans cette catégorie que l’on trouve les meilleurs rapports qualité-prix car à l’époque, il y avait un peu plus de budget mis dans les formules (par rapport à la communication), et puis ceux qui ont survécu ont fait leurs preuves ! Disons qu’en proportion, il y a moins de parfums intéressants dans les lancements plus récents (et beaucoup disparaitront d’ailleurs très vite…)
Bonne soirée
jeanne

Cette journaliste est lamentable ! Que sait-elle de la création d’un parfum ? Rien , apparemment !
Qu’elle aille passer un mois dans une maison de création de Parfums , elle comprendra alors combien elle s’est ridiculisée avec ses réflexions , et son aplomb ! Elle n’y connaît absolument rien ! Comment ose-t-elle ?

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