Les finalistes du concours Sandalwood Reimagined de Quintis, section Global Winner

Partenariat éditorial

La société productrice de santal Quintis a récemment annoncé les dix finalistes de son concours Sandalwood Reimagined, dont les deux gagnants seront dévoilés lors du WPC à Miami début juillet. Qui sont les cinq parfumeurs senior sélectionnés et quelles ont été leurs sources d’inspirations ? Portraits.

La société productrice de santal Quintis lançait, en octobre dernier, son concours Sandalwood Reimagined, en collaboration avec l’American Society of Perfumers. Ouvert à tous, il visait à « libérer la créativité en ré-imaginant le santal indien “Santalum album” dans une fragrance, pour célébrer l’art de la parfumerie et l’odeur oubliée d’un ancien ingrédient ». Les participants avaient jusqu’au 31 mars 2022 pour envoyer leur composition comprenant au moins 1% d’huile essentielle de santal blanc de la société, dans une eau de toilette à 12%, accompagnée de leur intention de création. 

Après réception d’environ 300 propositions venues des quatre coins du globe, un jury indépendant de parfumeurs a sélectionné dix créations, divisées en deux catégories : Global Winner et Emerging Talent. Focus sur les finalistes de la première, regroupant cinq parfumeurs senior. 

Elodie Durande, Quintessence Fragrances, Royaume-Uni

Née en 1992, j’ai grandi dans un petit village de Normandie, en France. J’ai été attirée par le monde des odeurs depuis l’enfance. Mon esprit créatif et mon cerveau rationnel m’ont naturellement porté vers la parfumerie. J’ai fait des études de chimie avant d’intégrer le cursus de parfumerie de l’Université de Montpellier (licence ProPAC), en alternance à Grasse. Durant l’été, j’ai rencontré – complètement par hasard – le parfumeur François Robert. Il m’a prise sous son aile, m’a guidée et m’a offert l’opportunité de vivre mon rêve. J’ai commencé à travailler pour Quintessence Fragrances comme interne il y a six ans – j’ai intégré l’équipe d’évaluation au bout de six mois. Trois ans plus tard, j’ai pu poursuivre ma formation en tant que parfumeur junior, avec François comme mentor. Je suis officiellement parfumeur depuis trois ans à Brighton, en Angleterre. Je ressens les odeurs comme des textures, des formes et des couleurs. Je cherche à créer des parfums capables de réveiller les émotions des gens, de les transporter dans de nouveaux lieux ou au contraire, leur faire retrouver des souvenirs enfouis.

Inspiration
Ce parfum a été inspiré par mon voyage au Myanmar il y a deux ans, juste avant que la pandémie ne frappe le monde. J’ai le souvenir précis d’un vieil homme qui sculptait des perles en bois de santal sur les trottoirs chauds de la colline de Mandalay. L’air était rempli de fumée d’encens émanant des nombreux temples situés le long de la colline, d’épices provenant des étals des marchés adjacents et de notes florales provenant des parfums portés par les femmes sur place.  

Description du parfum
Cette composition vous emmène en voyage vers une destination encore secrète. Pour créer une fragrance multidimensionnelle dont le bois de santal est la vedette, je me suis tournée vers la chaleur des épices et un accord d’encens mystique et fumé. Le cœur floral est associé à une facette addictive et presque gustative mêlant rhum, baume tolu et vanille. Une combinaison de muscs délicats et crémeux apporte une finition douce rappelant l’odeur de la peau.

Jennifer Jambon, Argeville, France

Petite déjà, je m’amusais à mélanger des herbes et des plantes pour créer des parfums. J’ai suivi une maîtrise de chimie des arômes et des parfums à l’université du Havre, en France. J’ai ensuite obtenu un diplôme de troisième cycle en parfumerie à l’ISIPCA, à Versailles. Ma vocation m’a conduit en Suisse où j’ai fait un stage chez Firmenich, puis en Irlande chez IFF, et jusqu’au Chili, où j’ai travaillé comme parfumeur pour le marché sud-américain. De retour en Europe, j’ai vécu à Londres pendant huit ans, où j’ai exercé comme parfumeur interne pour la marque de luxe Molton Brown. Après quinze années extraordinaires à l’étranger, je suis revenue en France. Depuis 2017, je suis parfumeuse multi-catégorie pour Argeville.

Inspiration
Je me suis inspirée pour ce parfum du sentiment de liberté ressenti lors d’un voyage en Australie. Je me souviens notamment de la diversité et de l’immensité de la forêt de santal, et des montagnes ocres en arrière-plan au coucher du soleil pendant la récolte de l’huile parfumée, précieuse et sacrée. 

Description du parfum
La feuille de violette, associée à la fleur de magnolia et au mimosa, offre un départ floral vert naturel. Puis le bois de santal précieux s’arrondit d’un iris poudré, conférant une texture riche et crémeuse à la fragrance. Enfin, benjoin baumé, oliban mystique et fève tonka gourmande enrichissent le corps et la tenue du parfum sur la peau.

Gwen Gonzales, Givaudan, États-Unis

Mon avenir de parfumeur s’est dessiné dès mon plus jeune âge. Avec ma mère, une grande amatrice de fragrances, nous prenions de petits moments pour apprécier l’odeur d’une pomme fraîche, des légumes récoltés dans notre jardin ou de ses gâteaux juste sortis du four. Mon passe-temps favori était de fabriquer des compositions simples pour mes proches : je mélangeais des teintures de plantes que j’avais faites moi-même avec des huiles essentielles. J’ai passé une grande partie de mon enfance à l’étranger, ce qui m’a beaucoup inspirée dans la création, car j’aime proposer des compositions à la fois familières et surprenantes. Pourtant, alors, je n’imaginais pas que cela serait un jour mon métier. Je pensais d’abord faire des études de médecine, mais j’ai été propulsée dans le monde de la parfumerie et j’ai rejoint Givaudan en tant que technicienne de laboratoire. Je suis fasciné par ce que j’appelle les molécules « Docteur Jekyll and Mister Hyde », par la recherche de l’équilibre entre les natures opposées. J’aime créer des parfums non conventionnels, qui transportent, et qui peuvent être à la fois apaisants et imposants.

Inspiration
C’est une petite parcelle de forêt cachée, découverte lors d’un voyage dans la forêt de Nuesa en Colombie, qui a nourri mon inspiration. Le ciel était lumineux mais filtré par la canopée des arbres. La brise, fraîche, portait le parfum des cosses d’eucalyptus tombées par terre, dont les notes camphrées caractéristiques et rafraîchissantes étaient contrebalancées par une facette inattendue de cassis, terreuse et verte. Le sol était couvert d’une couche d’aiguilles de pin si importante qu’y marcher donnait l’impression de flotter. Il s’en dégageait des odeurs de foin, terreuses et boisées, enveloppantes. Magique et paisible, l’atmosphère tout entière appelait à la méditation et au sacré.

Description du parfum
La fragrance a été construite autour d’une harmonie entre les éléments doux, chauds et froids du bois de santal. À l’ouverture, c’est l’aspect frais qui apparaît dans le nuage aérien d’un accord cosse d’eucalyptus, qui est illuminé par le petit grain, l’huile d’orange amère et une touche de menthe verte. Les notes ardentes et vivifiantes du poivre rose, du piment de Jamaïque et de la cardamome apportent de la chaleur, et enveloppent le cœur construit autour d’un accord fruité et doux de poivre de cassis, d’iris et de safran. En fond, le bois de santal est mis en lumière par des notes d’ambre, de vétiver, d’absolu de sapin, de tonka et de sésame.

Mathieu Lenoir, European Flavors and Fragrances, Royaume-Uni

Mes premiers terrains de jeu olfactifs furent le printemps à Paris, le verger familial à Saint-Léger-des-Aubées, l’orage à Dinard, le foin coupé qui sèche sur les pentes ensoleillées de Sainte-Foy-en-Tarentaise, des grillons bruyants dans la lavande d’Oppède-le-Vieux, une tomate de mon champ bio à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, et tant d’autres choses encore…
C’est à Cinquième sens, avec Monique Schlinger, que j’ai eu mon premier contact avec la parfumerie. J’ai ensuite commencé ma formation sous l’aile de Pierre Bourdon et de Benoit Lapouza à Fragrance resources à Paris, et ai effectué un stage de deux mois chez Chanel avec Jacques Polge et François Demachy. J’ai ensuite rejoint l’école de parfumerie Givaudan à Grasse avec Françoise Marin. J’ai intégré la branche de Givaudan Argenteuil, où j’ai été encadré par Jeffrey Hodges et envoyé à Singapour. À mon retour en France, j’ai eu le poste de parfumeur mondial senior spécialisé dans les soins capillaires. J’ai travaillé pour Firmenich Asia, avant d’être nommé responsable mondial de la parfumerie chez European Flavors and Fragrances au Royaume-Uni.
Ma carrière de parfumeur m’a ainsi offert des expériences variées dans lesquels je puise mon inspiration : des fleurs de jasmin écloses la nuit à Grasse, à un tapis de fleurs de frangipanier à Bali, en passant par un salon de coiffure de rue de Bangkok pour tester mes créations, et par un voyage de Bangalore à Mysore. 

Inspiration
Inspirant, nourrissant, essentiel et pur. Pourrait-on trouver plus mystérieux et merveilleux que le lait ? Pourrait-on trouver plus précieux que le lait de santal ? L’huile de ce bois – le plus noble de notre palette, et le plus proche d’une odeur idéale de peau – présente de nombreuses facettes. J’ai toujours été fasciné par son aspect de lait chaud, ses facettes de noisette. Le Santalum album est impalpable mais présent, et vous entoure d’un nuage de beauté, de fraîcheur et de sensualité pour vous accompagner joliment dans votre voyage. Le Santalum album vous rendra parfait.

Description du parfum
L’huile de graines de carotte, l’huile de davana et le safranal se mêlent à un accord d’iris pour donner une intensité colorée, chaude et sensuelle. L’ensemble est enveloppé d’un voile transparent, aqueux et frais, d’épices froides comme la cardamome et le poivre rose, posé sur une structure hespéridée et boisée solide, lui conférant tenue et diffusion. 

Celia Orozco Cirimbili, GRC Parfum, Italie

J’ai toujours aimé les parfums. Petite, je suppliais constamment ma mère de m’en acheter, et on m’avait même offert un de ces jouets pour fabriquer son propre mélange. Après des études de chimie, j’ai fait un stage en Espagne chez Eurofragance, au cours duquel j’ai su que je voulais être parfumeuse. Je suis entrée au GIP à Grasse. À la fin de mes études, j’ai obtenu un premier emploi chez CPL Aromas au Royaume-Uni, où j’ai surtout travaillé en parfumerie fine et cosmétique. J’ai intégré la société GRC Parfum il y a quatre ans, comme parfumeur fine notamment. J’ai eu – et j’ai toujours – beaucoup à apprendre sur le marché italien. Ayant grandi en France mais étant issue d’une famille espagnole, cet aspect pluriculturel de ma vie contribue à mon processus créatif, tout comme mon amour pour la musique, la danse, l’opéra et tout ce qui a trait au son en général. Curieuse de nature, je suis toujours prête à découvrir de nouveaux lieux et pays, car les voyages m’aident à me ressourcer.

Inspiration
Matière première couramment utilisée mais passant souvent au second plan, le santal est à la fois intime, sensuel et mystérieux. Comme un peintre travaille les ombres et les lumières, j’ai utilisé une variété d’ingrédients pour mettre en valeur ce bois, en le plaçant sur le devant de la scène, tout en le mêlant, de telle sorte que l’on a parfois l’impression qu’il se voile, comme un jeu de cache-cache. Inspirée par ses origines, j’ai souhaité ainsi créer une ode à l’Orient.

Description du parfum
L’ouverture de poivre noir, d’élémi et de poivre rose pétillant positionne ce parfum comme création unisexe. La facette poudrée des racines d’iris apporte une texture veloutée à l’onctuosité du bois de santal, tandis que l’oliban lui confère un aspect mystique. Les muscs blancs moelleux offrent une sensation « peau contre peau » qui contribuent à créer une atmosphère intime. Le fond de nagarmotha et de vétiver adoucit le sillage.

Agnieszka Lukasik (Galilu) : « Aujourd’hui, ce sont les marques qui viennent à nous »

Créé en 2005 à Varsovie, Galilu propose une riche sélection d’une cinquantaine de marques de parfumerie de niche et de produits cosmétiques. Sa propriétaire Agnieszka Lukasik a répondu aux questions de Nez.

Pouvez-vous nous présenter la boutique ?

Nous sommes sur le marché polonais depuis plus de seize ans, puisque nous avons ouvert notre première boutique en 2005. Depuis, quatre autres l’ont rejoint, et nous avons également créé notre eshop. En ligne comme en boutiques, nous proposons une sélection subjective de parfums de niche et de cosmétiques.

Qu’est-ce qui fait la spécificité de votre boutique ? 

Le service offert aux clients, qui est authentique et pas seulement un outil marketing. Mais aussi la connaissance, l’expertise, la passion pour le parfum et l’amour des marques que nous vendons. Le tout dans des endroits magnifiques : voilà l’expérience Galilu !

Les consommateurs, plus habitués aux créations grand public, ont-ils certaines incompréhensions face à ce nouveau type de parfumerie ? 

Les obstacles sont précisément ce qui nous motive. Nous avons éduqué des milliers de nez au cours des dernières années : nous y allons doucement, sans jamais être offensifs, nous donnons du temps aux clients… C’est pour cela qu’ils reviennent toujours, et cela représente un merveilleux voyage pour nous tous.

Comment découvrez-vous les marques ? 

Cela a changé au fil des ans. Au début, pour dénicher de nouvelles marques, nous parcourions le monde, nous allions dans des salons comme Pitti Fragranze à Florence, Esxense à Milan… Aujourd’hui, ce sont plutôt les marques qui viennent à nous. Elles nous inondent d’échantillons et espèrent être les heureuses élues qui auront la chance de faire partie de notre portefeuille. 

Justement, comment sélectionnez-vous celles que vous vendez ? 

Nous choisissons ce que nous aimons vraiment et ce en quoi nous croyons. C’est une décision authentique basée sur nos goûts et nos préférences. Et je dois dire que nous avons plutôt un bon flair !

Comment définissez-vous les univers des marques que vous vendez ? Ont-elles quelque chose en commun ? 

Je dirais la qualité. Elles sont toutes différentes, mais toutes très spéciales à leur manière. Avec des histoires étonnantes, des concepts forts, des fondateurs passionnés. 

Quels types de parfums se vendent le mieux ?

Parmi nos best sellers, on compte notamment Santal 33 du Labo, Portrait of a Lady des Éditions de parfums Frédéric Malle, Bois impérial d’Essential parfums, Philosykos de Diptyque, Gypsy Water de Byredo, Molecule 01 d’Escentric Molecules ou Sel marin de Heeley. Plus généralement, Diptyque, Le Labo, Frédéric Malle et Byredo sont des marques qui fonctionnent très bien chez nous.

Conservez-vous certaines maisons, même si elles sont moins rentables ?

Bien sûr, nous proposons une variété de petites marques de niche que nous aimons et qui sont un facteur distinctif dans notre activité : c’est ce qui nous différencie des autres parfumeries.

  • Plus d’informations sur le site de Galilu : galilu.pl

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

Murat Katran & Mert Guzel (Nishane) : « Istanbul constitue littéralement un pont entre les cultures »

Officiellement lancée à Esxence en 2015, disponible dans plus de 120 pays, la marque turque rend hommage aux racines, à l’art et à l’histoire de l’ancienne Constantinople, à mi-chemin entre les cultures occidentales et orientales. Entretien avec ses co-fondateurs.

Aucun de vous deux ne se destinait à travailler dans l’industrie du parfum. Quel parcours vous a conduit à créer Nishane ?

Murat Katran : Comme Mert, je suis né et j’ai grandi à Istanbul. J’ai été directeur des exportations dans la sidérurgie. Mais j’ai toujours cultivé une fibre artistique, notamment en jouant professionnellement au théâtre pendant treize ans. 
Mert Guzel : Diplômé en sociologie à l’Université de Galatasaray, j’ai lancé en tant qu’éditeur une collection de beaux livres sur les plus grands hôtels de Turquie. Nos carrières respectives nous ont conduits, Murat et moi, à nouer des contacts dans le secteur du luxe. Un jour est née l’idée de créer des parfums inspirés par Istanbul. En turc, Nishane se traduit par trace, signe ou symbole. Pour nous, ce symbole, c’est la ville elle-même. 

En quoi Istanbul vous inspire-t-elle ? 

Mert : Ici, les cultures occidentales et orientales se rejoignent pour former une harmonie unique. Il reste des traces de chacune d’entre elles et pour nous c’est une bénédiction. La musique, les œuvres d’art, la nature et même la manière dont s’expriment les quatre saisons rendent les lieux particuliers. Cela nous permet d’en tirer le meilleur parti. Nous n’avons pas été formés à la parfumerie dans le sens où nous ne formulons pas nous-mêmes en laboratoire. Notre rôle, c’est d’écrire une histoire. Celle-ci engendre des émotions qui nous inspirent un répertoire olfactif. Il n’y a rien de plus excitant que de parvenir à transmettre nos histoires dans un flacon de parfum.
Murat : Comme vous le savez, Istanbul représente depuis des siècles l’une des villes les plus mystérieuses de l’histoire humaine. Dès que vous commencez à découvrir ses facettes cachées, votre imagination galope ! Ces terres ont accueilli tant de civilisations et de religions différentes que nous ne pouvons que nous sentir inspirés jour après jour. Istanbul constitue littéralement un pont entre les cultures. Cette richesse bénéficie aux directeurs de création que nous sommes.

Quels sont les créations dont vous êtes le plus fiers ?

Mert : Nous sommes très fiers, entre autres, de notre trilogie inspirée par le théâtre d’ombre turc, un art mettant en scène des marionnettes traditionnelles. Chaque parfum représente un personnage emblématique. Hacivat évoque l’élégance, la bienveillance, le talent et l’amour de l’art. Ce chypre est censé aider la personne qui le porte à vivre ses plus grands rêves grâce à son sillage persistant et pétillant, avec ses notes stimulantes d’ananas et de bergamote évoluant vers un fond boisé. Zenne fait référence à la beauté, l’énergie, la confiance en soi et la séduction. Inspiré par un personnage féminin, Zenne vous transporte vers les mystères de jardins paradisiaques emplis de plaisirs et de romantisme, avec son mélange assumé de notes fruitées et florales sur un socle de vanille, d’ambre gris et de musc. Karagoz représente les plaisirs de la vie, la spontanéité et la sincérité. Son départ joyeux autour de l’ananas et de notes herbacées fait place à une forte personnalité avec un cœur opulent de néroli, de jasmin et de patchouli. Le vétiver, le bois d’agar et l’ambre donnant les derniers coups de pinceaux pour esquisser ce personnage enjoué.

Quelle marge de liberté laissez-vous aux parfumeurs qui créent pour vous ?

Murat : Avant de nous mettre d’accord sur la narration, nous essayons de lister les notes olfactives susceptibles de nous aider à mettre en avant les émotions ou l’état d’esprit que nous souhaitons proposer. Ensuite, nous recherchons le parfumeur que nous estimons capable de porter le projet. Nous pouvons alors commencer à cheminer avec lui. Nous sentons autant que possible pendant la phase de création, au point d’endosser à moitié le rôle de parfumeur.

Lorsque vous mettez au point un nouveau parfum, pensez-vous à une cible en particulier ?

Mert : Pour nous le plus crucial est de réussir la partie storytelling. Peu importe que ce nouveau parfum soit en phase ou pas avec le marché. En tant que marque, c’est le mode narratif qui nous préoccupe le plus. Nous sommes ravis que Nishane soit considérée comme l’une des maisons de niche les plus avant-gardistes. Notre objectif est de proposer à chaque fois quelque chose de nouveau. 

Quels marchés ciblez-vous en priorité ?

Murat : En un mot : le monde entier. Nos créations sont disponibles dans plus de cent-vingt pays à travers le monde.

En quoi est-ce important pour vous d’être présents à Esxence ? 

Mert : Nous avons noué des liens très forts avec ce salon, où nous avons lancé la marque en 2015 après cinq ans de genèse. Nishane a désormais acquis une renommée internationale. Nous ne recherchons pas particulièrement de nouveaux partenaires en participant à Esxence. Mais nous sommes très heureux en même temps de retrouver tous les acteurs qui ont multiplié les efforts pour nous permettre d’en arriver là, de leur présenter nos nouveautés et de fêter tous ensemble notre succès. 

  • Plus d’informations sur le site de Nishane : nishane.com/

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

Luca Maffei (Atelier Fragranze Milano) : « La parfumerie de niche me permet de prendre tous les risques »

En 2011, aux côtés de son père, Luca Maffei fonde la société de composition Atelier Fragranze Milano (AFM). Avec le concours du parfumeur français Antoine Lie dans le rôle de consultant, la maison œuvre uniquement pour la niche. Rencontre.

Vous composez pour des marques aux cultures olfactives bien distinctes. Lorsque vous recevez un nouveau brief, comment vous mettez-vous au travail ?

Pour commencer, j’étudie l’histoire de l’entreprise qui m’a contacté. L’enquête se poursuit sous forme de jeu de rôle. J’essaie d’abord de penser comme mon interlocuteur. Quel message veut-il transmettre à son public ? Ensuite, je m’installe dans la peau du consommateur qui pourrait s’offrir cette nouvelle fragrance. J’imagine le parfum que j’aimerais porter dans cette marque. Cette étape est cruciale. Le parfumeur est un traducteur. Si le brief est très clair, tout va bien. Mais parfois, le client ne sait pas exactement ce qu’il veut. 

Dans ce cas, comment réagissez-vous ?

Il faut garder la tête froide et aborder le brief d’une autre manière. On peut demander au client de reformuler – c’est-à-dire d’employer d’autres mots. Ou encore lui faire sentir des matières premières et des accords et d’observer ses réactions. Ce challenge fait partie de la création du parfum. C’est l’aspect qui m’a poussé à devenir parfumeur, comme mon père. À ses côtés, j’ai eu la chance de vivre l’explosion commerciale de la fin des années 1990. Pour lui, le brief c’était comme un jeu consistant à rentrer dans la tête des directeurs marketing.

Le développement d’un parfum prend du temps. Pourtant, les marques ont souvent des impératifs de timing…

À l’école Givaudan de Grasse, l’ancienne directrice Françoise Marin m’avait indiqué trois qualités essentielles à cultiver pour réussir. D’abord, la curiosité, puis la créativité, toutes deux propices aux associations de matières premières. Enfin, la ténacité. « Sinon, mieux vaut changer de métier », affirmait-elle. À mes yeux, cette ténacité est primordiale lorsqu’il s’agit de respecter à la fois le délai dicté par un client et mon propre emploi du temps. Il est impensable de consacrer de trop longues séances de travail au même interlocuteur. Travailler de front sur plusieurs projets évite de saturer l’esprit : une fragrance boisée le matin, un parfum floral l’après-midi… C’est l’idéal pour rythmer la journée et garder du recul. Parfois, la première formule fait mouche. Ce fut le cas pour Garuda, de Jul & Mad. À l’inverse, pour L’Attesa de Masque Milano, un iris ambré, plus d’un an et demi de développement a été nécessaire. Je me souviens d’avoir modifié la formule des centaines de fois. Parfois, on aurait envie de dire « j’arrête là, vous vous êtes trompé de parfumeur ». Mais comme je suis un compétiteur, je trouve à chaque fois l’énergie pour gagner le projet.

Est-ce qu’on a forcément plus de liberté quand on travaille pour une marque de niche ? 

Pour vous répondre, il faudrait déjà que je puisse collaborer un jour avec une grande enseigne de couture pour comparer. Je ne désespère pas ! J’aimerais voir ce que cela donne de jouer dans un stade au lieu de se produire dans une salle de taille modeste. Pour autant, les maisons considérées comme confidentielles ne posent aucune limite à ma créativité. Elles me permettent de prendre tous les risques et d’imposer ma vision. Mes clients me mettent au défi de sortir des accords trop évidents. Ma responsabilité, c’est de trouver de nouvelles interprétations. Pour le choix des matières premières, j’ai toute latitude. Je me suis donné les moyens de réunir dans les mêmes locaux, au centre de Milan, la création, l’évaluation et la production. C’est un atout. Je me suis inspiré des grandes maisons de compositions que j’ai visitées pour créer des infrastructures similaires, à une échelle réduite et en centre-ville. J’ai la chance de ne pas être excentré, à l’écart du mouvement. C’est important de pouvoir ressentir le pouls de la cité juste sous mes fenêtres.

Chez Atelier Fragranze Milano, vous formez un tandem créatif avec le consultant Antoine Lie, qui vit à Paris. Comment définiriez-vous votre relation ? 

Nous partageons la même vision de la parfumerie. Pour nous, le créateur doit maintenir un contact direct avec le client, à chaque phase de l’élaboration d’un parfum. Antoine et moi communiquons tous les jours. Je séjourne une semaine à Paris, il passe la suivante à Milan. Nous échangeons nos points de vue sur 100% des projets, même si nous conservons chacun des développements de manière indépendante. Cela nous aide à rester créatifs. À son contact, je m’imprègne de l’expérience qu’il a acquise auprès de grandes maisons comme Armani, Guess ou Tom Ford. Et lui, à mon contact, apprend… l’italien !

Vous avez fait vos premiers pas en 2007. Qu’est-ce qui a changé dans le monde du parfum en quinze ans ? 

La parfumerie s’est ouverte au grand public en devenant un mouvement culturel. La niche a explosé. Mais la créativité s’est peut-être un peu fermée.

Avec le temps, quel regard portez-vous sur vos créations ? 

Je suis plus indulgent avec moi-même, je porte de plus en plus mes créations : je pense que c’est un signe. Cela n’a pas toujours été le cas. J’apprécie Le Loden de Jacques Fath, Ceci n’est pas un flacon bleu 1.5 chez Histoires de parfums et Garuda de Jul et Mad. Ce n’est pas si courant quand on met au point une formule en la sentant cinquante fois par jour pendant un mois, comme un chef obligé de goûter le même plat des semaines durant. C’est comme si j’étais devenu mon premier client. Imaginer des fragrances que je peux porter, voilà ma vision de la parfumerie.

Masque Milano, I Fiori del Male, Laboratorio Olfattivo, Nobile 1942… Vous créez majoritairement pour des maisons de niche italiennes. Est-ce que vous pensez qu’il existe un « style italien » dans la parfumerie ?

Je pense qu’il y a un goût pour tout ce qui vient de chez nous en général. Ce n’est pas si éloigné du style français. Si je devais le définir, je dirais que c’est la capacité à interpréter le bello, le beau, un héritage de la culture gréco-romaine et des racines européennes. Cela se traduit par une attention aux proportions, aux détails, à l’harmonie, à l’équilibre entre les matières premières, comme dans la mode, la cuisine et la peinture.

Pour le milanais de naissance que vous êtes, le salon Esxence a-t-il une saveur particulière ?

Milan, c’est ma ville. Elle représente mes racines, j’y ai établi mon bureau… C’est toujours un sentiment assez exaltant de la voir devenir pour quelques jours the place to be, la vitrine la plus importante de la parfumerie où font escale tous les acteurs mondiaux de la niche, clients, amis et concurrents.

Est-ce que vous avez un souvenir particulièrement fort, sur Esxence ? 

Il y en a plusieurs. D’abord, en 2013, le parfumeur Maurizio Cerizza m’a poussé à me présenter au concours du salon, The Scent of Excellence, réservé aux créateurs de moins de trente ans, avec Iris Magnifica qui a fait partie des cinq finalistes. J’ai été très ému également, deux ans plus tard, lorsque Jul et Mad ont présenté la collection que nous avions composée pour eux. Cette dynamique a permis au parfum Néa d’être récompensé en 2016 à Los Angeles par un Art and Olfaction Award dans la catégorie maison indépendante.

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

Nez, la revue… de presse – #20 – Où l’on apprend que les archéologues se mettent au parfum, que les moustiques ont du nez et que Reims sent le biscuit et la betterave

Au menu de cette revue de presse, le rôle de l’olfaction dans l’art contemporain, les senteurs vues par les philosophes et le retour de l’enfleurage du muguet.

Que sentaient la Mésopotamie ancienne ou Londres au XIXe siècle ? L’odorat, longtemps considéré comme le parent pauvre des sens, connaît ces derniers temps une réhabilitation dans de nombreuses sphères, et c’est notamment le cas en histoire, où le décryptage des odeurs du passé devient un nouveau champ d’études. Dans une interview à Usbek&Rica, l’archéologue Barbara Huber raconte ainsi comment une équipe de l’institut Max Planck en Allemagne utilise la technologie biomoléculaire pour y parvenir, et en quoi cette dimension sensorielle peut nous éclairer sur de nombreux aspects de l’histoire de l’humanité : la parfumerie bien sûr, mais aussi le commerce, ou encore les hiérarchies sociales. 

À Prague, des chercheurs de l’Académie des sciences de République tchèque se sont quant à eux donné pour objectif de reconstituer les fragrances de l’Antiquité grecque et égyptienne, nous apprend Radio Prague international. Recherches archéologiques, sources littéraires de l’époque, textes médicaux grecs et inscriptions sur les murs des temples égyptiens doivent les aider dans cette entreprise.

Odeurs et histoire, c’est également le sujet qu’aborde Matthieu Garrigou-Lagrange dans un épisode de Sans oser le demander sur France Culture. La chercheuse Brigitte Munier, auteure de Odeurs et Parfums en Occident – Qui fait l’ange fait la bête, y relève un paradoxe : alors que nous n’avons eu de cesse depuis l’Antiquité de chercher à nous entourer de senteurs agréables, le sens de l’odorat a été constamment discrédité au profit de la vue et de l’ouïe, jugées plus nobles.

Ce primat de l’oeil sur le nez a longtemps été la règle dans le domaine de l’art, mais là aussi, la situation évolue : l’art contemporain s’empare de plus en plus de la question de la création olfactive, souligne Marie Sorbier dans Affaire en cours, toujours sur France Culture. Les futuristes, les dadaïstes ou Marcel Duchamp faisaient déjà appel à l’odorat, note l’historienne de l’art Sandra Barré, mais « ce qui est nouveau cependant, c’est la manière d’envisager l’odeur au cœur des institutions, des musées, des galeries mais aussi au sein de la critique théorique ».

C’est précisément la senteur de la Loire qui était au cœur de l’installation « L’effluve des fleuves », présentée par Chloé Jeanne à l’occasion de sa résidence à l’espace Mode d’Emploi à Tours cet hiver. Pour la recréer, l’artiste plasticienne a interrogé la perception des habitants. C’est Veronika Rebeka Csatlovszky-Nagy, parfumeuse chez Cinquième sens, qui a interprété les impressions recueillies à l’aide de notes aquatiques, d’herbe coupée, de mousse et d’une touche de cuir.

Et la ville de Reims, quelle est son ambiance olfactive ? Arnaud Steffen, dirigeant d’une agence de communication, a pour projet de compiler dans un livre les odeurs qui font l’identité de la ville, entre biscuiteries historiques, moût de raisin pendant les vendanges, friandises du marché de Noël, effluves de pierres et de cierges de la cathédrale et relents de jus de betterave des sucreries voisines, nous dit Le Parisien.

Des facettes riches et variées qui pourraient sans doute inspirer des étudiants à l’Isipca. Philosophie magazine nous propose un reportage au sein de l’école de parfumerie de Versailles, offrant une plongée dans des cours d’olfaction ou d’aromatique alimentaire. L’occasion d’apprendre également que Gaston Bachelard a écrit sur l’arôme onirique de la menthe aquatique et Théophraste sur le « pourrissement » de la transpiration. 

Vous avez certainement une préférence pour la première plutôt que pour la seconde, et à l’autre bout du monde, des personnes à la culture et au mode de vie complètement différents du vôtre feraient probablement le même choix, si l’on en croit une étude publiée dans Current Biology. Notre appétence ou notre dégoût pour les odeurs seraient déterminés à 41% par la structure de la molécule odorante et seulement à 6% par le milieu culturel de chacun, le reste étant affaire de préférence personnelle, selon Sciences et avenir. 

Si les produits antimoustiques sont conçus pour repousser universellement les moustiques, ces derniers sont capables de mémoriser leur odeur et ainsi de les éviter, selon une nouvelle étude publiée dans la revue Scientific Reports, relayée par Géo. Des tests en laboratoire ont en effet révélé que la plupart des femelles qui ont survécu à des insecticides sont ensuite capables de reconnaître l’empreinte olfactive de cinq molécules qui y sont couramment utilisées. 

Molécules contre essences, synthèse contre naturel : cette opposition, encore largement présente dans l’esprit du grand public, n’a pas de sens, rappelle Slate. Le site souligne que l’arrivée des molécules de synthèse en parfumerie a permis davantage d’audace et de créativité, tandis que les matières premières naturelles, souvent considérées comme forcément bienfaisantes, sont au contraire celles qui posent des problèmes d’allergies et de photosensibilisation. La parfumerie du futur les rapprochera-t-elle, entre naturels écoresponsables et ingrédients issus de la chimie verte[1]Voir l’article de Sylvain Antoniotti Chimie durable et parfumerie : assurer notre développement sans compromettre la capacité des générations futures à assurer le leur

C’est la synthèse qu’utilisent d’ailleurs les parfumeurs pour introduire une note muguet dans une composition, les petites clochettes blanches ne livrant pas d’extrait odorant exploitable en quantité suffisante. Mais cela pourrait changer : près de Nantes, la société AB 1882 mène des expérimentations afin de remettre au goût du jour la technique de l’enfleurage traditionnel, abandonnée depuis les années 1930, selon Ouest-France. Rappelons aussi que même si le muguet est souvent qualifié de fleur muette, Robertet proposait également dans les années 1950 un Butaflor muguet extrait grâce au butane liquéfié. 

Et pour terminer cette revue de presse, on ne peut que se ranger à l’avis du Guardian, qui s’inquiète de notre désengagement sensoriel croissant ces dernières décennies face à ce que nous mangeons, entraînant une hausse des troubles de l’alimentation. Aliments suremballés, fruits prédécoupés et produits transformés, souvent avalés face à un écran, nous ont menés bien loin de la vigilance nécessaire des chasseurs-cueilleurs face à leur nourriture. La bonne nouvelle, c’est qu’il suffit de prêter véritablement attention à ses cinq sens, et notamment à son odorat, pour mieux manger.

Et c’est ainsi que les mouillettes ne servent pas qu’à déguster les œufs !

Visuel principal : © Morgane Fadanelli

Franco Wright (Luckyscent) : « Les habitués des créations grand public voient que la niche pousse la parfumerie dans des directions plus intéressantes »

D’abord cofondateurs d’une agence de design, les Américains Franco Wright et Adam Eastwood ont dès 2002 l’idée de créer Luckyscent, leur propre site de vente en ligne consacré aux parfums confidentiels. En 2006, ils ouvraient leur premier Scent Bar à Los Angeles, suivi par un deuxième dans la même ville, et un troisième à New York en 2019. Entretien.

Pouvez-vous nous présenter la boutique ? 

Nous avons créé nos Scent Bars comme le prolongement physique de notre site Luckyscent. Une vaste sélection de parfums de niche, artisanaux, voire de “super niche” y est présentée à une clientèle du monde entier dans un environnement convivial. Nos parfums sont organisés par thème dans un cadre similaire à celui d’un bar à vin. 

Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à entrer dans votre boutique ? 

Notre sélection de parfums et les connaissances de notre personnel. Que vous soyez un collectionneur ou que vous commenciez seulement à découvrir les parfums de niche, nous vous offrons une expérience amusante et stimulante.  

Quels sont les freins rencontrés face aux consommateurs, plus habitués aux créations grand public ? 

Je pense que les clients qui ont l’habitude des marques grand public se montrent finalement suffisamment curieux et ouverts d’esprit pour découvrir différents genres de parfums. En fin de compte, ils voient que la niche pousse la parfumerie dans des directions plus intéressantes. 

Comment découvrez-vous les marques ?

De toutes sortes de manières… En ligne, sur les réseaux sociaux, parfois via les clients. Les marques nous soumettent aussi souvent des propositions. Mais aussi de temps en temps en voyageant à l’étranger – c’est d’ailleurs ainsi que nous avons commencé à les découvrir. 

Comment choisissez-vous celles que vous vendez ?

C’est un mélange de plusieurs facteurs : le concept, le profil olfactif, le prix, la distribution, les tendances du marché, la rareté, voire la popularité…  

De plus en plus souvent, nous nous demandons : « Avons-nous besoin de ce parfum ? Ne vendons-nous pas déjà quelque chose de similaire ? Comment se vendra-t-il en ligne ou en magasin ? » Nous essayons de faire la meilleure sélection possible dans un magasin qui couvre tous les genres. 

Quels types de parfums se vendent le mieux ?

Ce sont ceux des marques que nous avons passé de nombreuses années à soutenir et qui continuent à créer des parfums excellents et uniques.Nous avons par exemple toujours eu de bons résultats avec Escentric Molecules, Comme des garçons, Andy Tauer, Indult… Dernièrement, nous avons constaté une forte croissance et un grand enthousiasme autour de Xerjoff, Maison Francis Kurkdjian, Zoologist et des maisons plus récentes comme Marc-Antoine Barrois. 

Conservez-vous certaines marques, même si elles sont moins rentables ?

Bien sûr, parfois le profit n’est pas le facteur clé que nous regardons. 

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

Simppar : des ingrédients comme carburant et ça repart !

Tout aussi attendu que le festival de Cannes et la finale de Roland Garros, le Simppar (Salon international des matières premières pour la parfumerie), organisé au nom de la Société française des Parfumeurs, s’est tenu les 1er et 2 juin 2022, après trois longues années d’attente. L’occasion de découvrir le fruit des dernières innovations et ingrédients qui pimenteront les créations futures mais aussi (et surtout !) de se retrouver enfin !

Après un report dû la pandémie, l’édition 2022 a manifestement attiré le public : 106 exposants, dont 57% d’étrangers  et plus de 2000  visiteurs ! Tous venus sentir sans masque, s’embrasser, multiplier les accolades avec de vraies personnes, en chair et en volume ! Sans surprise, les thématiques « green-upcycling-éthique» que l’on a vues fleurir dans les communications ont imprégné les méthodes d’extraction, transformant joliment la palette du parfumeur. Impressions au pas de course (c’est qu’il nous faudrait trois jours pour parcourir tout ce salon !) et en images. 

Stand Robertet

Je commence en beauté avec Robertet, intriguée par l’artiste japonais Dai Dai Tran en train de construire une sorte de rose géante faite à partir de touches colorées et de papiers recyclés. Le ton est donné : des déchets naît la beauté. On y découvre un santal album du Népal, un safran de Grèce, un bois de chêne et son délicieux côté liquoreux-armagnac, l’étonnant Civegan (une note animale obtenue en co-distillant du poivre blanc avec des écarts de patchouli), un son de riz et pour finir, le pétillant poivre du Sichuan vert extrait CO2 aux accents de verveine, citron vert et mandarine.

PCW

Chez PCW, c’est en famille que l’on me fait découvrir les nuances des différentes variétés d’encens : Boswellia occulta, assez aldéhydé, le carterii, plus classique, le Boswellia sacra, aussi appelé encens vert ou « luban » à Oman, et enfin le papyrifera, très frais, évoquant la verveine. Bien que connu pour ses vertus thérapeutiques, je n’avais jamais eu encore l’occasion de le sentir ! La myrrhe commiphora et sa note cuirée me rappellent… la combi de plongée! À retenir : le costus de l’Himalaya, un cuir au féminin assez fruité avec ses facettes osmanthus ! On me précise qu’on peut tout acheter en petites quantités, bon à savoir pour les parfumeurs indépendants !

Rose bulgare

Quittons le Moyen-Orient pour la Bulgarie : rose et lavande sont les ingrédients stars de Triglav-Edelveis. Je demande à la fondatrice comment se porte la filière de la lavande dans son pays face aux surproductions françaises, elle me fait part de son inquiétude par rapport aux pénuries à venir à cause du conflit en Ukraine. Au Simppar, on vit aussi l’actualité du monde en temps réel…

Que se passe-t-il, d’ailleurs, à l’autre bout du monde ? Destination l’Australie avec Quintis qui nous fait goûter la richesse du santal album à travers différents batchs : du lacté  car plus riche en bêta-santalol, au plus poudré “cédré”, en passant par le plus “pamplemousse”. La société profite de l’occasion pour annoncer les dix finalistes de leur concours « Sandalwood Reimagined »  Bravo à eux, le nom des deux gagnants sera dévoilé lors du WPC à Miami.

Au sud de l’Australie rejoignons la Tasmanie. Connaissez-vous le kunzea ? Sa note aromatique, assez terpénique mais plutôt originale provient d’un arbuste sauvage avec de jolies fleurs en pompons. Jonpaul de la société Jandico en profite pour me faire découvrir sa palette de noms exotiques : tea tree côtier (bien plus doux que le classique), le scoparium du sud (presque eucalyptus) et la rosalina du sud. A l’heure où le parfum s’intéresse à l’aromachologie, et au caractère actif des ingrédients pourquoi pas…

Verger Naturals

Transition toute trouvée avec Verger, dont le fondateur a justement quitté l’Australie (et son métier de banquier) pour retourner dans son pays originel, le Sri Lanka. Il nous invite à découvrir de très belles qualités d’extraits CO2 des ingrédients clés locaux : cannelle feuille et écorce, vanille, thé vert mais aussi un poivre blanc bien animal. À suivre de près !

Jasmine Concrete

Remontons plus au nord vers l’Inde, chez Jasmine Concrete. Cette année, de nombreux producteurs à la source comme Raja ont pris leur propre stand. On commence par son ingrédient star et inédit : un jasmin grandiflorum tout en fraîcheur traité en extraction CO2, suivi du petit frère sambac, bien fruité et dépourvu d’animalité. Sa tubéreuse est onctueuse, sa vanille excite les papilles ! (déjà quatre ans qu’il en rêvait) ; et enfin des lotus blanc, et rose. « C’est utilisé en parfumerie, ça? ». « Pour le marché japonais, c’est zen ! »  Moi ce qui me rend zen, c’est de voir le sourire de Raja, même ses touches colorées portent la joie de vivre indienne.

Si vous cherchez l’exotisme, cap vers le Népal : Aarya Aroma propose de puissantes matières locales. Est-ce le terroir, ou le traitement, mais tous les ingrédients me paraissent différents : jatamansi, palmarosa, lemongrass, cardamome noire, poivre de Timur, menthe arvensis, jusqu’au calamus… J’ai checké mes vieilles notes d’étudiante en parfum et en ai retrouvé ma première description : « cheval qui se parfume à l’iris, rèche, cheveux gras ». Aussi, quand la fille du fondateur me propose d’en manger, bizarrement je ne suis pas très motivée… « Au Népal, on mâche les racines pour soigner les maux de gorge », m’explique-t-elle. Je prends le plus petit morceau qu’elle me tend, très riche en huile essentielle, et je comprends direct pourquoi il n’y a plus de problème de gorge : je n’ai plus de gorge !

Van Aroma

J’atterris ensuite en Indonésie chez Van Aroma, au pays du patchouli. Joshua me fait découvrir des cristaux de patchoulol 99%, un composé naturel obtenu par distillation moléculaire et centrifugation. Ça je le mangerais bien en bonbon…

Nelixia

J’arrive enfin, par je ne sais quel miracle, à entrer sur le stand bondé de Nelixia – on comprend pourquoi : la douce effluve baumée et cuirée du gaïac attire les amoureux de l’ingrédient. Surtout quand il est traité avec soin. Cela me donne immédiatement envie de partir au Paraguay voir ces petits arbres se régénérer. Elisa Aragon, la cofondatrice, me montre ses dernières pépites : ambrette certifiée UEBT (tout comme le gaïac d’ailleurs), cardamome, baume styrax… Et me propose de goûter des graines d’ambrette. Après l’expérience précédente, j’hésite : on dirait des mini escargots… « Si, si, c’est bon, essaie !». Effectivement, c’est croquant-gourmand, avec un petit goût de céréales !

Fair Oils

Même esprit d’authenticité chez Fair Oils : la société qui a fait ses armes en cosmétiques et en  aromathérapie s’attaque aujourd’hui à la parfumerie fine. On peut y sentir les produits phares de Madagascar et du Kenya. L’équipe inspire confiance, (on y retrouve même un ancien de Firmenich !) : welcome dans le parfum !

Firmenich

A propos de Firmenich, dans l’allée principale, se murmurent dans l’ordre (et le désordre) trois lettres : SM… DSM ? – « Tu étais au courant, toi ? », « Mais non ! » Étonnement, stupéfaction, excitation, les avis s’échangent pour commenter la fusion de Firmenich avec le géant néerlandais, spécialiste de nutrition. Mais qui mange qui ? En attendant, la société suisse poursuit la collection « Beyond muguet » avec le très ozonique Muguissimo, présente à nouveau le Sylvamber et le puissant et boisé Z11 HD, la rose damascena Firad, obtenue par concentration de l’eau  de rose, et une infusion de vanille planifolia.

LMR Naturals by IFF

Poursuivons avec les géants : IFF présente, côté synthèse, le Veraspice, une molécule épicée aux nuances de clou de girofle, légèrement vanillée, assez proche de l’iso-eugénol. Chez LMR, sa filiale pour les naturels, on découvre trois collections. La première célèbre les agrumes (orange douce et amère, limette, mandarine et bergamote, citron) et illustre l’implantation d’un centre d’innovation en Floride avec CitraSource. La deuxième regroupe les « Conscious green extracts » issus d’une nouvelle technique d’extraction utilisant un solvant vert mais chut !, c’est breveté ! Lavande, bourgeon de cassis, jasmin, narcisse (très original, pas vert, assez marc de café), un lavandin en enfleurage. La dégustation se termine avec des extraits CO2 dont l’excellent poivre Timur, aux accents de fruit de la passion.

Capua

Tiens, tiens, la promo de l’école Givaudan débarque au stand Capua, iconique pour ses agrumes (mais pas que !) Je défends ma place pour découvrir la technologie  «Natprofile » qui recycle l’eau issue des extractions encore riche en composés volatils. Elle est récupérée des colonnes à résines, puis lavée à l’éthanol pour donner ces nouveaux produits plus doux, moins zestés appelés bergamote ou citron « Peel Water ». J’ai bien aimé aussi la Rose Water Natpro, le néroli qui fait très petitgrain, et la réglisse proposée en deux concentrations.

Mais au fait, où est le stand Givaudan ?

Floral Concept

Chez Floral Concept, pendant que Marc-Antoine Corticchiato et Alexis Toublanc de Parfums d’empire découvrent la fabuleuse cire d’abeille andalouse et ses notes très ensoleillées (café, ambre, ciste, liqueur), Julien, le fils de la fondatrice Frédérique Rémy, m’explique que les abeilles butinent l’immortelle, ce qui donne cette note chaude, très « flamenco » ! Il me présente d’autres trésors : le bois de rose du Pérou, le petitgrain rectifié du Paraguay, et une ambrette qui me rappelle direct le Chanel N°18

Naturamole

Et si on faisait une petite pause avec les distillations ? Place à l’innovation pure avec Naturamole, les molécules naturelles obtenues par biotech. Abdelkrim a créé sa société il y a 20 ans, et s’est depuis entouré d’une équipe de choc ! Si j’avais quelques millions à investir, ce serait ici  (mais apparemment, je ne suis pas la seule sur le coup…)! Les molécules ont des noms qu’on oublie illico, mais elles sont fabriquées à partir de champi, ce qui fait bien triper…

Du stand de Naturamole à celui de Nez, il n’y a qu’un pas.

Dominique Roques

 « J’ai adoré votre livre !», voilà la phrase qu’on entend en continu autour de notre sourceur-poète, Dominique Roques, qui enchaîne les signatures pendant qu’Anne-Laure Hennequin évalue notre culture parfum d’un tour de cartes.

Il est 19h, alors que je m’approche de la zone cocktail, je retrouve Sébastien, un ami parfumeur qui me fait découvrir sa nouvelle maison : Voegele. Tout en me faisant sentir un accord gaïac (décidément à la mode !), on me tend un verre rempli d’une boisson rose, de la même couleur que la moquette : « un gin-tonic à base de concentré ». « C’est sans alcool ? », « Natürlich ! ». Traquenard, je note.

Je me rends compte que je suis loin d’avoir visité tous les stands, il faut que je speede un peu. Je commence ma deuxième journée avec la sobriété japonaise : « More with less ». Tout est bien rangé chez Takasago, symétrie, chiralité, leur Hedirosa me remet le nez au carré avec sa note florale, fruitée, verte, un petit peu métallique. Mon moment préféré reste l’échange de cartes de visite offertes à deux mains à la japonaise, toujours avec révérence.

Trois petits pas plus loin, je regarde de plus près les jolies peintures qui viennent illustrer les molécules de Symrise : une autre façon de voir les notes à travers la couleur… mais que sent-on s’échapper d’à côté ? D’autres molécules bien connues…

Ce sont les notes échappées du stand Synarome ah ah ! où on compare les bases avec et sans Ambrarome,  rhodinol, éthyl levulinate, vétiverol, algénone, et isopulegol, ah oui, c’est sûr, ça dépasse les fines cloisons de stands…

Chez Mane, Matthieu nous présente six ingrédients : le pamplemousse rose rectifié, le fameux jasmin grandiflorum en méthode enfleurage que je trouve très frais ; une spécialité appelée Greencatcher, constituée de 50% de bigarade : assez sympa, très propre.

L’exotique Cocotone obtenue par biotech (coco, tonka, amande, figue), le Vayanol , une note vanille girofle qui m’évoque le pop corn, rigolo ; et le patchouli Gayo, en Pure Jungle Essence, joli avec son effet salé, presque mousse de chêne.

Payan Bertrand

Je m’attaque à Payan Bertrand, le stand « comme à la maison », aussi bondé qu’une cuisine en soirée. Certains ingrédients m’ont déjà été cités comme incontournables, et j’ai envie de tout rapporter : résinoïde gentiane, baies roses CO2, extrait de copeaux de chêne, extrait de lentisque décoloré, résinoïde d’iris DM très cacao-fruits rouges, et enfin la fameuse fleur de cuir Process E dont la réputation précède l’olfaction : si vous aimez la fourrure de chat et l’abricot qui arrive à pas de velours, cet ingrédient est fait pour vous !

Bontoux

Chez Bontoux, je retrouve Maxime de Scentree – c’est aussi ça le Simppar, on commence à sentir avec l’un puis on termine avec d’autres. Marine nous délecte de sa lavande pure cœur, avant d’envahir le stand d’un débouché de flacon de l’huile essentielle d’amande amère : « c’est fait à partir de noyau d’abricot »,  « Ah bon ? je ne savais pas ! »

Biolandes

Chez Biolandes, je me console du départ en retraite de Renaud, en sentant avec Cédric les dernières découvertes qui elles aussi ont leur petit succès : un extrait de pop corn très gourmand, aux notes de cacao, beurre, lait chaud, iris. Un composé très étonnant : le vétiver by absolue, produit à partir de drèche de la plante, ce qui lui donne une note fumée mais aussi copeau de chêne-armagnac, très original ; un ylang ylang bien fruité pour une huile essentielle complète, et un encens d’Oman Boswellia sacra.

Hashem Brothers

Le hasard veut que je termine avec les ingrédients d’Égypte. Chez Hashem Brothers j’apprends que le pays rivalise avec l’Espagne en matière d’agrumes. J’y sens du petitgrain d’orange douce, très aromatique, et des spécialités maison : le néroli sur fruit, entre fleur et zeste ; le petitgrain sur fleurs ; une essence de jasmin, mais oui, c’est possible ! Leur basilic verveine est fabuleux et je termine pour le plaisir sur la feuille de tomate, l’absolue d’épinard et l’absolue de feuille de violette que j’avais déjà senties la dernière fois.

Fahkry

Chez Fahkry, Husein me fait découvrir sa fierté : une nouvelle essence de jasmin très rafraîchissante que je verrais bien dans un accord  thé vert. Sortons des sentiers battus avec la feuille d’olivier, l’absolue ortie qui évoque le cresson, et l’absolue artichaut, entre rose et cacao poudré. Et comme on aime tous les deux les notes dites du passé mais qui feront peut-être l’avenir de la parfumerie, on termine avec l’absolue de cassie aussi poudrée qu’un pompon de mimosa, et son admirable œillet, miellé à souhait : on en ferait volontiers un Opium 2023. De jolies matières qui illustrent tout l’amour que le couple y met !

17h40, retour à la réalité, les organisateurs démontent subitement les lampes, la moquette couleur gin tonic est dégrafée, aussi vite que le tapis rouge du festival de Cannes.  Adieu ingrédients champions, je repars du Simppar repue. 

Mais on se retrouve l’année prochaine ! Le report de l’an passé nous permet de gagner un an ! Youpi !

A noter, vous retrouverez certains des exposants du Simppar cités dans cet article dans notre ouvrage, publié en 2021 à l’occasion des 30 ans du salon et ré-édité en juin 2022 : De la plante à l’essence – un tour du monde des matières à parfums (Biolandes, Bontoux, Capua, Fahkry, Firmenich, Floral Concept, Givaudan, Hashem Brothers, LMR naturals, Mane, Naturamole, Nelixia, Payan Bertrand, Quintis, Robertet, Symrise, Takasago, Van Aroma, Verger Naturals).

Dhaher bin Dhaher (Tola) : « Je consacre de plus en plus de temps au décloisonnement des cultures olfactives »

Avec Tola, Dhaher bin Dhaher, homme d’affaires et directeur artistique fasciné par la niche, revisite avec une subtilité toute européenne l’héritage olfactif émirati. Entretien.

Comment est née Tola ?

J’ai fondé ma marque en 2010, mais mon activité de directeur artistique n’est pas mon cœur de métier : je consacre l’essentiel de mon temps à diriger une société qui oeuvre notamment dans la protection des données personnelles pour le gouvernement d’Abu Dhabi. L’histoire de Tola doit tout à ma mère, la plus grande passionnée de parfums que je connaisse. C’est au cours d’un séjour à Londres, avec elle et ma sœur aînée, que l’idée s’est imposée à moi. Toutes deux échangeaient sur les émotions et les souvenirs que peut transmettre une fragrance. J’en ai été ému au point de vouloir créer moi-même des histoires olfactives.

En quoi votre famille a-t-elle influencé la création de votre entreprise ? 

Aux Émirats Arabes Unis, l’usage des parfums se distingue des habitudes du reste du monde. On associe plusieurs fragrances en même temps, selon son humeur et quel que soit le support : eau de toilette, huile parfumée, encens… Ma mère est devenue experte dans l’art d’assembler elle-même des matières premières pour fabriquer ce que nous appelons au Moyen-Orient le bakhoor, qui se traduit en français par « encens ». Ce mélange sous forme solide est composé de copeaux ou de poudre de bois d’agar et d’huiles parfumées. Une fois chauffé sur un morceau de charbon incandescent, il diffuse sa fragrance. On l’utilise pour parfumer la maison, les vêtements, célébrer l’arrivée d’un visiteur… Ma mère en confectionnait artisanalement jusqu’à cent kilos par an pour la famille et les amis. Un jour, je lui ai dit qu’avec son expertise et ses recettes, nous avions de quoi commercialiser une gamme de produits. Nous allions dépasser la sphère familiale pour nous adresser au monde entier.

Comment avez-vous concrétisé cet élan ?  

Je me suis donné trois ans pour observer le marché. J’ai profité de mes déplacements professionnels pour arpenter les boutiques de niche, rencontrer des producteurs de matières premières, des distributeurs et des créateurs, comme Alessandro Gualtieri de Nasomatto ou encore Gérald Ghislain de Histoires de parfums. L’une de mes nièces, alors étudiante en design, a mis au point l’identité visuelle de Tola. Deux autres nièces ont esquissé les illustrations accompagnant la description des fragrances sur notre site Internet. 

Il y a eu des hauts et des bas. J’ai failli perdre espoir quand j’ai découvert le coût des flacons et des capots sur-mesure. Mais j’étais prêt à tout pour me singulariser. En 2013, j’ai finalisé mes premières compositions : six parfums et deux bakhoors. Je me souviens du premier salon auquel j’ai participé. J’ai posé les flacons sur un baril rouillé et j’apostrophais les visiteurs en tenue traditionnelle immaculée en disant : « Vous voyez, on ne fait pas que du pétrole ! ».

Que signifie le nom de votre marque, Tola ?

C’est une unité de poids très répandue pour le commerce de l’or et d’autres matières précieuses en Inde, dans le sud de l’Asie et la région du Golfe. Un tola correspond à un peu moins de douze grammes.

Vous n’êtes pas parfumeur de métier. Qui vous aide à créer ? 

Même si je ne suis pas chimiste, je suis capable, dans mon laboratoire de Dubaï, d’élaborer les premiers essais, les premiers accords. Pour la finalisation des formules et la mise aux normes IFRA, je m’entoure de maisons de création. Je ne communique pas les noms de ces dernières, à part IFF pour l’acquisition de certaines matières premières. 

Rencontrez-vous des réticences ou des préjugés face à l’origine de votre marque ?

Les gens pensent qu’ils vont nécessairement sentir de l’oud dans chaque composition. Je n’en utilise pas systématiquement, même si c’est une matière fétiche pour moi. Je le dose depuis les débuts de Tola avec subtilité, avec une vision globale du marché. Bien sûr, ma culture guide mon inspiration. L’une de mes dernières créations évoque d’ailleurs un intérieur émirati où se mêleraient les odeurs de bakhoor et de café. Mais j’espère que mon admiration pour la parfumerie européenne se ressent dans mes accords qui associent les fleurs, les agrumes, les épices… Il y en a de légers et d’autres plus capiteux. En Europe, où l’on apprécie les fragrances orientales, l’accueil est positif. L’Italie est mon premier marché en volume. Concernant les limites culturelles, je constate des résistances en Asie. Mais c’est compréhensible : la Chine est passée d’« aucun parfum » à la découverte récente de la niche. Quant au Japon, c’est encore un peu tôt. Là-bas, le parfum reste lié aux odeurs de peau, à une interprétation plus intime. Tout est une question de pédagogie. C’est pourquoi je consacre de plus en plus de temps au décloisonnement des cultures olfactives.

C’est-à-dire ?

J’ai commencé par sensibiliser mon propre pays à la diversité de la niche, en ouvrant trois boutiques à Dubaï et à Abu Dhabi. Ce concept imaginé avec Alessandro Gualtieri s’appelle la Villa 515. Ces trois lieux proposent des marques comme Histoires de parfums, Jean-Charles Brosseau, La Parfumerie moderne, État libre d’Orange, Nobile 1942… Les visiteurs n’achètent pas toujours, mais au moins, ils découvrent des fragrances et des modes narratifs différents de la culture dubaïote. Et, dès que je le peux, je m’associe à des événements locaux autour de l’olfaction. J’ai par ailleurs mis en odeurs des contes pour enfants pendant la pandémie et j’ai organisé pour des étudiants des ateliers de bakhoor dans le but de perpétuer cette tradition. Je souhaite aller plus loin. Chez Tola, je reçois régulièrement des stagiaires issus d’écoles de parfumerie européennes. J’aimerais mettre en place un incubateur de talents pour permettre aux meilleurs d’entre eux de rester à nos côtés au-delà de la durée du stage. À terme, l’idée est d’intégrer des créations de ces jeunes recrues à notre collection.

Qu’attendez-vous d’Esxence cette année ?

Ce salon est un facilitateur de rencontres. Je suis fier d’avoir été la première marque des Émirats Arabes Unis à y participer. Nous sommes désormais plusieurs et nous nous serrons les coudes. Pour Tola, cette édition est l’occasion de présenter un nouveau design. Nous restons sur un créneau artistique luxueux, en évitant le bling-bling. Nous présenterons la totalité de notre collection, soit douze fragrances et une nouvelle gamme de bakhoors. Cette année, ma priorité est de nouer des contacts avec des distributeurs pour étendre notre présence à de nouveaux marchés et accentuer nos points de vente là où nous sommes déjà implantés. Mon rêve ultime : ouvrir nos propres enseignes Tola dans un futur proche.

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

Nathalie Feisthauer (LAB Scent) : « Pour moi, la niche, c’est une définition de la beauté »

Après plus de trente années au service de grandes maisons de composition, Nathalie Feisthauer a choisi le statut d’indépendante en 2014. Aspirant à de nouvelles voies esthétiques, elle cultive un fort attrait pour la niche qui lui permet une plus grande liberté de création. Entretien.

De 1986 à 2014, vous avez créé pour des marques comme Cartier, Versace ou Azzaro, au sein des groupes Givaudan puis Symrise, avant de vous installer à votre propre compte. Qu’est-ce qui a motivé ce changement ?

J’ai eu la chance de vivre les années d’or de la parfumerie. Personne n’était plus heureux que moi, le dimanche soir, à l’idée de se rendre au bureau le lendemain. J’étais en finale sur plein de projets, j’ai remporté de nombreux wins, entourée de collègues et de clients de grande qualité. Au début des années 2000, les tests consommateurs ont commencé à orienter le travail de création. Je n’étais pas contre a priori. Mais un jour, j’ai ressenti un manque de sens. Je me suis lassée de devoir faire 500 essais pour un flanker un peu plus gourmand que l’original. Je ne croyais plus aux briefs qui ciblaient « une femme qui va à l’opéra, qui aime les labradors, la campagne et son mari ». Et je ne parle pas de la concurrence, encouragée entre parfumeurs au sein d’une même entreprise, qui confinait souvent à l’absurde. Les tests ne servaient plus à désigner la meilleure proposition mais à éviter le rejet. J’avais si peu de pouvoir pour défendre mes propres créations que j’ai décidé de me lancer seule. Je souhaitais m’ouvrir à de nouvelles voies esthétiques, ce que la niche me permet au quotidien. Le nom de ma société, LAB Scent, est suivi du motto « besoin de sens ».

En quoi ce nouveau départ a-t-il modifié votre manière de créer ? 

J’ai quitté la gesticulation pour la singularité. Quand j’étais en poste dans de grandes structures, je passais mon temps à lisser, à délaver mes créations. Aujourd’hui, j’ai la liberté de proposer du relief. Lorsque je réponds à un brief, je suggère souvent ce que j’appelle une diagonale, un parti-pris parfois inattendu qui tient compte de la demande du client tout en partant dans une direction très libre. Cela peut être clivant, mais cela rencontre l’approbation dans 95% des cas. Une autre particularité : plus le temps passe, plus mes formules se resserrent.

Vous composez presque exclusivement pour des maisons de niche. Avant d’aborder un brief, comment vous préparez-vous ?

J’ai gardé des réflexes de grosses boîtes. Je me renseigne sur la marque, je demande un kit d’échantillons pour apprécier leur production et éviter de proposer une tubéreuse ou un cuir s’il y en a déjà dans la gamme. Autre cas de figure : ceux qui me choisissent pour démarrer leur activité. Cela arrive souvent dans les pays du Golfe. Dans ce cas, je propose du classique (oud, rose, safran…) et à côté des choses très différentes. Cela me permet de cerner leur capacité à s’éloigner du classique. Pour Aedes de Venustas, mes premières propositions jouaient sur des notes olfactives patinées évoquant le cuir et le cachemire. Ils pensaient que c’était ma marque de fabrique alors que c’était du sur-mesure pour eux.

Vous avez eu accès, chez Givaudan puis Symrise, à un choix de matières premières très vaste. Qu’en est-il aujourd’hui ? 

Quand j’ai remporté Blonde de Versace [aujourd’hui arrêté] il a fallu acheter de grandes quantités de tubéreuse chez de nombreux producteurs. Les marques de niche, elles, n’ont pas besoin de générer de gros volumes. La production d’un concentré peut tourner autour de 10 à 15 tonnes pour une marque grand public contre 50 à 100 kilos pour un label de niche. J’ai découvert le plaisir de rechercher des matières premières disponibles en petites quantités et qui par définition n’intéressent pas les grands groupes. Mon principal partenaire, Olivier Maure, de chez Art & Parfum, est capable de sourcer, par exemple, de la cascarille, une écorce aux notes boisées et poivrées, que j’ai utilisée dans Odisiaque N°6 pour Sous le manteau, ou encore de l’absolue champaca, du palo santo ou de l’absolue de frangipanier. Pour moi, la niche, c’est une définition de la beauté, le parti-pris d’un directeur artistique. J’aime m’appuyer sur des ingrédients rares pour donner corps à cette vision. Je commence à travailler avec la Chine pour un nouveau client. À sa demande, le premier parfum formulé est à base de pei lan, une herbe aromatique dite herbe de fortune. Loin de me contraindre, cette requête a nourri ma liberté de créer.

Quel temps passez-vous sur le développement ?

Les maisons de niche, contrairement au mass market, ne mettent pas deux ans à créer des moules ou façonner des capots. Ce temps gagné permet de conserver l’énergie initiale. Cela tombe bien, car je déteste fignoler mes formules indéfiniment au pinceau à trois poils. Il faut choisir sa bataille, savoir s’arrêter assez vite. Je développe mes fragrances en trois à six mois. C’est suffisant pour répondre à la demande tout en conservant un minimum de recul sur le résultat.

En ce milieu d’année 2022, si vous deviez retenir une tendance dans la niche, quelle serait-elle ?

Il y a un peu moins d’un an, d’un seul coup, une bonne partie de mes clients français qui pratiquaient des concentrations à 18 ou 20%, m’ont sollicitée pour intensifier leurs versions jusqu’à 24, 28 voire 30%. Au Moyen-Orient, où contrairement aux idées reçues beaucoup de créations plafonnent à 20%, j’ai observé le même phénomène. Ces clients évoquent de nombreux retours des consommateurs sur une prétendue tenue moins efficace des parfums. Ma première hypothèse, c’est que depuis dix ans, l’oud a modifié les marqueurs, en apportant un niveau de puissance qui n’existait pas auparavant. Cette tendance s’est généralisée parmi mes clients de la parfumerie de niche. Seconde hypothèse, la pandémie a entraîné des effets secondaires comme l’anosmie et la dégradation de l’odorat… Veut-on se rassurer en ayant un ressenti plus intense ? Je n’ai pas la réponse. Quoi qu’il en soit, je me suis rapidement conformée à ces remarques, en faisant en sorte que mes formules respectent les normes IFRA jusqu’à 35% au moins de concentration.

Qu’attendez-vous de l’édition Esxence 2022 ?

Après deux ans de pandémie, ce sera plus que jamais le lieu essentiel pour retrouver une bonne partie de mes clients, répartis dans quarante pays. Esxence permet de revoir les personnes perdues de vue, et de nouer de nouvelles affinités. J’adore y rencontrer « en vrai » la communauté des blogueurs et celles et ceux avec qui j’échange via Instagram. J’y vais également pour soutenir les marques de niche qui présentent des nouveautés, comme Alendor et Rebatchi pour qui j’ai récemment composé.

__

  • Plus d’informations sur le site de Nathalie Feisthauer : lab-scent.com

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

Liam Sardea (LKNU) : « Nous essayons d’amener chacun à dessiner, dans ce vaste cosmos, sa propre constellation »

Après avoir fait ses débuts en ligne, la parfumerie indépendante LKNU a ouvert ses portes en 2021 dans un centre commercial de luxe à Melbourne. Sa sélection d’une soixantaine de marques est servie par une approche résolument différente de la vente et l’expérience client. Interview avec Liam Sardea, enseignant chercheur en esthétique à l’université de Melbourne et education manager chez LKNU.

Comment est né LKNU ?

L’impulsion est venue d’une expérience de notre fondatrice, Lee, ex-comptable devenue make-up artist spécialisée en effets spéciaux. Elle a un jour voulu s’offrir un parfum pour une occasion spéciale, et a alors constaté qu’acheter un parfum à Melbourne n’avait rien à voir avec acheter un parfum à Paris ou ailleurs en Europe : le choix qui s’offrait à elle était limité, tout comme la qualité des conseils qu’elle s’est vue prodiguer. Il faut se rendre compte que la culture olfactive ici n’est vraiment pas la même qu’en France. Et bien que Lee ait fini par opter pour Fracas de Piguet – ce qui n’est pas mal ! – cela a suscité chez elle une réflexion sur l’expérience proposée à ceux, toujours plus nombreux, que le parfum intéresse ici en Australie. Finalement, elle a eu envie d’ouvrir sa propre boutique. LKNU a démarré en ligne en 2015, et l’adresse physique a ouvert en 2021, à la seconde où le déconfinement nous l’a permis. Mon titre d’education manager et le rôle que je joue dans la boutique sont au service de l’ambition première de LKNU : œuvrer pour une culture olfactive, transmettre la connaissance du parfum à ceux qui le souhaitent, et d’élever les standards de communication avec nos clients. Car le vocabulaire propre à l’olfaction tend à marginaliser tous ceux qui ne le maîtrisent pas. Pourtant il est tout à fait possible d’établir un dialogue sans lui. Je dis toujours à nos clients : « Même lorsque vous ne me dites pas ce qu’il faut, cela me rapproche de ce qu’il vous faut ». 

Comment sélectionnez-vous les marques que vous vendez ? 

Il est important que nos employés soient eux-mêmes convaincus par les marques que nous vendons. Parce que nous sommes une petite équipe, nous avons pu instaurer un processus de sélection qui implique tout notre personnel. Nous nous réunissons régulièrement et nous débattons, discutons. Chacun argumente pour ou contre les propositions des autres, et nous tâchons de parvenir à un consensus. Ces réunions sont le premier lieu où nous appliquons notre conviction que tout le monde a quelque chose à dire en matière de parfums. En ce qui concerne le choix des marques que nous soumettons à ces sessions de sélection, il ne répond à aucune logique ou critères pré-établis : la découverte est toujours une surprise. Nous sommes résolument ouverts à toute proposition créative, mais nous ne retenons que celles qui possèdent de réelles qualités intrinsèques. Cela étant, c’est une volonté forte pour nous de ne pas nous cantonner aux seules parfumeries française et italienne : nous avons par exemple beaucoup de marques thaïlandaises. 

Qu’est-ce qui plaît aux amateurs de parfums de niche à Melbourne ? 

Personnellement, j’observe ici deux catégories : d’un côté, ceux qui portent Santal 33 de Le Labo et Baccarat rouge 540 de Francis Kurkdjian ; des amateurs qui suivent les tendances et aiment les parfums à impact fort et au charme immédiat. De l’autre, ceux qui veulent sentir « différent ». La culture olfactive européenne commence enfin à se propager ici en Australie. Il y a donc des amateurs en quête de créations intéressantes, originales. J’aime penser que, chez LKNU, nous faisons bouger les lignes, un client après l’autre. Que nous permettons aux gens de découvrir que le parfum, au-delà de simplement sentir bon, peut raconter une histoire, véhiculer un message, exprimer une personnalité.   

Comment définissez-vous l’expérience que vous offrez à vos clients ?

En premier lieu, nous posons comme base que notre boutique est un « safe space », un endroit où ils peuvent essayer librement et en toute sécurité. L’idée, c’est de mettre nos clients suffisamment à l’aise pour pouvoir leur faire des propositions qui sortent de leurs habitudes. J’aime rappeler que les Australiens sont des « omnivores » : à Melbourne par exemple, nous sommes habitués à consommer une très grande variété de cuisines. Celles-ci sont disponibles où que vous soyez, à toute heure du jour et de la nuit. C’est important de s’en souvenir, car cette ouverture permet réellement de les amener vers des créations différentes, si on le fait doucement. Il faut simplement trouver des connexions. Par exemple, si je conseille une personne qui porte Portrait of a Lady des Éditions de parfums Frédéric Malle, une rose patchouli au style baroque, je me demande comment introduire un élément nouveau sans changer radicalement de décor : peut-être une rose avec de la mousse de chêne, comme Eau suave de Parfum d’empire. Ou bien Rose Oud de Nicolaï. En définitive, LKNU propose un univers où il n’existe pas de constellations prédéfinies ; mais aide chaque client à établir des connexions, à repérer les schémas qui ont du sens pour lui. Nous essayons d’amener chacun à dessiner, dans ce vaste cosmos, sa propre constellation. 

Qu’est-ce qui pousse vos clients à pousser la porte de LKNU ? 

Déjà, notre boutique est très belle ! La circulation y est fluide et l’atmosphère lumineuse répond aux matériaux, chêne clair et velours. Quant aux miroirs – au plafond, sur les murs et les tables de présentation – ils donnent un sentiment d’espace et d’ouverture. C’est une esthétique relaxante. Ensuite, il y a cette liberté que nous essayons de communiquer à ceux qui viennent nous voir : nous encourageons les gens à explorer, sans jamais forcer l’achat. Trouver un parfum qui parle à votre âme, cela peut prendre du temps. Nous réunissons ces deux luxes que sont le temps et l’espace. 

Quels freins observez-vous chez vos clients ? 

Quelque chose que nous notons souvent, et surtout chez des hommes, c’est une forme de peur. Je l’interprète comme la conséquence logique d’une suite d’expériences trop souvent ratées : il n’y a rien de pire que d’aller dans une parfumerie et de se faire taper sur les doigts parce qu’on n’emploie pas les bons mots, comme si on était à l’école. Or beaucoup d’hommes ont déjà vécu cela. Cela aboutit à en faire des clients nerveux. Au final, c’est encore et toujours un problème de langage : ils ont peur de dire les mauvaises choses, de ne pas se faire comprendre. Chez LKNU, nous incitons nos clients à utiliser les mots qu’ils veulent, car leurs référents personnels, leur manière propre d’exprimer les choses, sont autant d’indices précieux pour nos vendeurs. 

Que faites-vous d’un parfum qui ne se vend pas aussi bien que vous l’espériez ? 

Chaque parfum a son heure. S’il a été choisi avec rigueur, s’il est qualitatif , nous sommes convaincus que cette heure-là viendra. 

Plus d’informations sur le site de LKNU : https://lknu.com.au/

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

Quintis dévoile les noms des dix finalistes de son concours Sandalwood Reimagined

Partenariat éditorial

Lancée fin 2021, la compétition, ouverte à tous les parfumeurs et qui met en avant l’huile de santal de la société, touche à sa fin. Dix finalistes ont été sélectionnés, avant l’annonce finale du gagnant lors du Congrès mondial de la parfumerie (WPC) à Miami.

Le 28 octobre 2021, la société d’approvisionnement de bois de santal indien et australien Quintis Sandalwood, en partenariat avec l’American Society of Perfumers, lançait un concours international à destination de tous les parfumeurs, sans prérequis d’expérience.

Nommé Sandalwood Reimagined, il constitue la première initiative lancée dans le cadre du Q-Lab, un nouveau centre d’éducation et de créativité créé par Quintis pour valoriser cette précieuse matière. En imposant comme seul critère l’emploi d’huile de bois de santal indien cultivé par la société avec un dosage minimum de 1 % dans une eau de toilette, et une déclaration d’intention créative, la compétition s’affranchissait de tout brief classique afin de valoriser l’inventivité du parfumeur. Les participants avaient jusqu’au 31 mars 2022 pour soumettre leur dossier. Presque 300 compositions provenant du monde entier ont été envoyées. 

Un jury indépendant de parfumeurs ayant collaboré avec les plus grandes entreprises de l’industrie – parmi lesquelles Givaudan, Firmenich, Estée Lauder, Ralph Lauren, Coty, ou encore Mane – a évalué les créations à l’aveugle, sur mouillette et sur peau. 

Dix finalistes ont ainsi été sélectionnés et annoncés le 1er juin 2022 lors du salon SIMPPAR à Paris.

Dans la catégorie « Global winner » (Parfumeurs ou talents senior) : Elodie Durande (Royaume-Uni), Gwen Gonzales (États-Unis), Jennifer Jambon (France), Mathieu Lenoir (Royaume-Uni), Celia Orozco Cirimbili (Italie).

Dans la catégorie « Emerging talent » (parfumeurs junior et étudiants) : David Clément (Royaume-Uni), Fanny Ginolin (France), Cédric Gras (France), Miro Senjak (Suisse), Solène Bourquin (France)

Les prix seront décernés lors du cocktail de clôture du Congrès mondial de la parfumerie à Miami, le 1er juillet 2022. Le lauréat de la première catégorie recevra 10 000 dollars australiens (environ 6 400 euros) et le gagnant de la catégorie « talent émergent » recevra 2 000 dollars australiens (environ 1 280 euros). 

Clara Feder et Michel Gutsatz (Le Jardin retrouvé) : « Nous cherchons à construire une collection équilibrée, tout en suivant notre devise : l’avant-garde en héritage »

Fondée en 1975, la marque Le Jardin retrouvé est l’une des pionnières de la parfumerie de niche, portée par la vision avant-gardiste de Yuri Gutsatz, son créateur. Clara Feder et Michel Gutsatz, qui en ont repris les rênes en 2016, en perpétuent l’héritage avec passion.

Dans quel contexte Yuri Gutsatz a-t-il choisi de lancer sa propre marque ?

Michel : Les années 1970 étaient marquées par une énorme créativité dans les milieux de la mode et de la beauté. Ma mère, qui importait alors des textiles indiens, travaillait avec des marques comme Agnès B., Cacharel, Chantal Thomas, qui ont ensuite pris une ampleur considérable. Mais dans la parfumerie, seuls les PDG et les cadres étaient mis en avant. En 1979, mon père, Yuri Gutsatz, avait donné une conférence en tant que vice-président de la STPF [maintenant SFP, Société Française des Parfumeurs], intitulée « Parfumeur, ton nom est personne » pour protester contre cette pratique, soulignant que désormais nous n’avions plus affaire à « une “parfumerie de parfumeur” mais [à] une parfumerie de marketing ». En prenant cette position et en fondant sa propre marque, il se fait le précurseur de la création indépendante telle que nous la connaissons aujourd’hui. 
Clara : Nous avons aussi retrouvé le compte-rendu d’un entretien de 1984 où lui et Jean Laporte [fondateur de L’Artisan parfumeur] expliquent pourquoi ils créent cette niche qu’ils nomment alors « parfumerie du troisième type » ou « parfumerie parallèle » : il s’agit de redonner au créateur sa liberté, son indépendance, et de rendre à la fragrance son statut d’artisanat d’art.

Mais lorsque vous avez hérité du Jardin retrouvé, le contexte n’était plus le même. Qu’est-ce qui vous a motivé à relancer la maison ? 

Michel : J’ai vécu toute ma vie dans ce milieu, avec mes deux parents passionnés : mon père était une véritable encyclopédie du parfum, ma mère avait un esprit entrepreneurial et je savais qu’ils souhaitaient en faire une tradition familiale. Mais j’étais parti faire une carrière de professeur en marketing. Puis, en deux ans et demi, j’ai perdu ma mère et mes deux frères. Cela a déclenché une prise de conscience : Clara et moi ne souhaitions pas voir disparaître tout cet héritage – mon père nous avait légué quelque 2000 formules. Nous avons donc interrogé plusieurs professionnels, et tout le monde nous a dit la même chose : Le Jardin retrouvé a une véritable histoire, il faut la mettre en avant, et ne pas enfermer ses parfums au musée, car ils correspondent au public.
Clara : À ce moment-là, une sorte de vent de folie nous a pris : on est parti la fleur au fusil, avant de se rendre compte que l’accès au marché était devenu très compliqué, avec une forte concurrence, et que l’administratif prenait beaucoup de place. Les fournisseurs n’étaient plus habitués aux flacons remplissables, non sertis, et trouver une pompe à vis adaptée a été une gageure, par exemple. Et les consommateurs eux-mêmes n’étaient pas encore dans ces pratiques d’éco-responsabilité. 

Comment avez-vous procédé pour donner un nouveau souffle à la marque face à ces difficultés ?

Michel : Pour le relancement de sept créations en 2016, nous avons fait appel au parfumeur Maxence Moutte. Nous l’avions rencontré à un mariage, de manière fortuite ; il nous avait parlé de son grand respect pour le travail de mon père, et travailler avec lui était une évidence. Il s’est plongé dans les formules, jusqu’à nous dire : « je pense que j’ai vraiment compris sa signature olfactive ». Mais, à l’époque, plus personne ne nous connaissait vraiment. Il nous fallait sortir des sentiers battus pour la remettre sur le devant de la scène.
Clara : Parmi les 2000 formules héritées, Maxence en a alors sélectionné quatre. Nous avons fabriqué 500 échantillons, et les avons envoyés à notre communauté Facebook et de blogueurs, afin qu’ils votent pour leur favori, à l’aveugle. J’avais mis en avant cette démarche avec une série de vidéos, où l’on dévoilait les archives. C’était un geste très novateur que d’impliquer ainsi le public. Oriental sans souci a obtenu 47% des voix, suivi de Bois tabac Virginia, nous les avons donc relancés avec joie. 

Maxence Moutte est aussi, plus récemment, à l’origine de créations originales. Comment travaillez-vous ensemble ?

Clara : Sa liberté est totale, dans la mesure où il est vraiment imprégné par la marque et la signature de Yuri – avec la recherche de certaines aspérités – même s’il utilise des ingrédients qui n’étaient pas disponibles il y a trente ans. Et nous n’avons pas de limite de prix. 
Michel : C’est un cas assez unique : lorsqu’on l’a rencontré, il nous fallait l’autorisation de Givaudan, la maison de composition pour laquelle il travaille, pour qu’il puisse créer pour nous. Nous l’avons facilement obtenue, car mon père travaillait pour Roure à l’époque, qui a ensuite fusionné avec Givaudan. Depuis 2022, nous avons noué des liens encore plus forts avec Givaudan, car nous sourçons désormais nos ingrédients chez eux. Pour le développement, Maxence nous apporte ses essais, on le challenge. Nous respectons également l’héritage de mon père en proposant comme à l’origine toute une gamme de produits. Ainsi, pour Mousse Arashiyama, la bougie est sortie deux ans avant l’eau de parfum. La prochaine sera Osmanthe Liu Yuan, qui existe elle aussi depuis l’an dernier en bougie. 

Quels sont vos critères pour orienter les lancements, qu’il s’agisse de rééditions ou de compositions inédites ?

Clara :  Quand on reprend une marque historique, le plus dur est de savoir faire le tri. Deux axes nous guident : la fidélité à la signature olfactive de Yuri et le fait de proposer une offre variée, pour que chacun trouve la création qui le touche. Les sept premières rééditions, choisies avec Maxence, couvraient les différentes familles olfactives. Puis nous avons procédé de manière à ce que la gamme soit toujours plus complète. Nous avons aussi développé une dimension éco-responsable avec une parfumerie respectueuse de la planète : à travers le process « Road To Clean » initié début 2021, Maxence a remplacé les ingrédients bioaccumulatifs par d’autres, inoffensifs pour les écosystèmes et les êtres humains. Il s’agissait, au-delà de la réglementation IFRA (certificat attestant de l’innocuité pour la santé des parfums vendus en Europe), d’aller plus loin en adoptant les normes de Clean Beauty (CREDO Dirty List) pratiquées aux États-Unis par l’industrie cosmétique d’avant-garde.
Michel : C’est parce que Maxence savait qu’il fallait un ambré qu’il a choisi ceux qui lui semblaient les plus intéressants dans les archives, dont Oriental sans souci. Nous cherchons à construire une collection équilibrée, tout en suivant notre devise : avoir l’avant-garde en héritage. Il faut que les nouveautés puissent toucher d’autres sensibilités. Mousse Arashiyama est un boisé avec des notes plus aquatiques, que nous n’avions pas encore dans notre catalogue. Osmanthe Liu Yuan est un floral mais avec un twist fruité, qui correspond plus aux goûts du marché asiatique. 
Par ailleurs, nous employons une large part de naturels – ils constituent entre 93 et 96 % du produit fini. Mais nous nous inscrivons toujours dans l’héritage de Yuri et de la belle parfumerie française qui n’existerait pas sans les synthétiques. 

Vous avez d’abord vendu vos produits uniquement sur internet : qu’est-ce qui explique ce choix ?

Michel : Il y a deux raisons essentielles : d’une part, en travaillant en Chine depuis 2009,  nous y avons observé la montée impressionnante des ventes de parfums, et notamment en ligne. Nous pensons que c’est un modèle qui va se développer et la pandémie l’a montré. Et puis, en 2016, les distributeurs prenaient des marges trop importantes, ce qui rendait la survie des marques plus difficile. 
Clara : La vente de parfums uniquement en ligne étant peu répandue alors, nous avons dû chercher des moyens pour nous faire connaître, et évoquer l’olfactif sur un écran un peu froid. J’ai beaucoup réfléchi à cette notion de jardin retrouvé, qui peut être compris à la fois comme lieu de repos paisible, comme l’espace intérieur à soi, et enfin comme jardin planétaire à soigner. Pour exprimer cette triple vision, le plus naturel pour moi a été l’écriture, car chaque parfum a son histoire. Et puis mes études de cinéma m’ont poussé à développer l’aspect plus visuel et auditif, afin de donner une dimension synesthésique. Cela m’a permis d’inventer un jardin imaginaire, où l’on pénétrait par une armoire comme dans Narnia. Nous avons également mis en place le système d’échantillons remboursés à l’achat, qui est désormais beaucoup plus courant. 

C’est la première fois que vous participerez à Esxence cette année : qu’en attendez-vous ?

Michel : Nous souhaiterions désormais être présents dans les boutiques physiques. En 2020, nous avons repensé notre identité de marque, en retravaillant le flaconnage, le packaging et le logo, avec l’agence Centdegrés. Nous créons aussi beaucoup de contenu de communication, dans les pas de l’industrie du luxe. Cela nous permet de présenter aux distributeurs une identité riche, qui permettra de nourrir les réseaux sociaux par exemple.
En tant que petite maison, on ne peut pas viser tous les marchés : il faut faire des choix. Nous allons être présents en Chine, en Australie et en Grande-Bretagne. Très clairement, nous souhaiterions surtout nous implanter aux États-Unis et en Europe du Nord : l’Allemagne, la Norvège, la Suède et les pays baltes. C’est un grand défi pour nous.

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

Pissara Umavijani (Dusita) : « La plus grande difficulté pour un parfumeur, c’est d’exprimer sa signature dans des registres différents »

Lancée à Paris en 2014, la marque Dusita exporte dans 60 pays son univers singulier, empreint de la culture thaïlandaise de sa fondatrice. Collectionneuse de parfums vintage devenue parfumeuse autodidacte, Pissara Umavijani rend hommage à son pays natal et à l’œuvre poétique de son père dans un style nourri d’influences européennes. Interview. 

Comment est née la marque Dusita ? 

Dusita découle avant tout de ma passion pour la parfumerie. À la mort de mon père – le poète Montri Umavijani – j’ai voulu créer quelque chose de spécial en sa mémoire. Il m’est venu l’envie de créer des fragrances qui réuniraient la délicatesse de la culture du Siam et l’art de la parfumerie moderne que j’admire, étudie et collectionne depuis longtemps. Au départ, c’était juste pour le plaisir. Mais lorsque je suis arrivée à Paris pour m’y installer en 2011, un ami m’a mise en relation avec François Hénin, fondateur de la parfumerie Jovoy. Je lui ai présenté mes deux premières compositions : Mélodie de l’Amour et Issara. À ce moment-là, je ne songeais pas du tout à les vendre ! C’étaient des parfums que j’avais faits pour moi, et j’étais simplement curieuse de savoir ce qu’en penserait un professionnel du secteur. Mais François Hénin m’a encouragée à fonder ma marque. C’est ainsi que, trois ans plus tard, j’ai lancé Dusita. Un mot emprunté à la croyance siamoise, qui désigne un paradis céleste où règne le bonheur. 

Où avez-vous appris la parfumerie ? 

Je suis autodidacte. J’ai développé mon amour des parfums aux côtés d’un ami, en Thaïlande, et nous nous sommes formés ensemble. Lui s’intéressait surtout aux compositions naturelles, et lisait notamment les livres de Mandy Aftel. Ma préférence allait plutôt à la parfumerie moderne et j’ai suivi, notamment, la méthode Jean Carles [une technique d’apprentissage des ingrédients mise au point par le parfumeur éponyme, fondateur de l’école interne de Roure, désormais Givaudan]. J’ai aussi eu la chance de connaître un parfumeur d’IFF installé en Thaïlande, avec qui j’ai pu échanger et qui a parfois accepté de sentir mes créations. Cet apprentissage « classique » fait que j’aime travailler de manière traditionnelle, notamment écrire mes formules à la main. Et je les ai toujours pesées moi-même – ce qui m’a largement aidé à me familiariser avec les ingrédients. 

Où trouviez-vous vos matières premières lorsque vous étiez en Thaïlande ?

Mon ami et moi commandions nos ingrédients aux quatre coins du monde et nous les faisions envoyer en Thaïlande, parfois en passant par l’intermédiaire de revendeurs car nous achetions évidemment de petites quantités. Depuis 2014, c’est Accords et Parfums qui fabrique mes formules, donc j’utilise exclusivement la palette d’ingrédients de la société, ce qui a demandé un peu d’adaptation au début ! Je me rappelle que, la première fois que j’ai reçu l’une de mes formules fabriquées par eux à Grasse, j’ai été très surprise : olfactivement, ça n’avait presque rien à voir avec cette même formule fabriquée à partir de ma propre palette !  

Comment naissent vos nouveaux parfums ? 

Mon ambition est de créer une collection complète qui couvre toutes les familles olfactives. À chaque nouveau parfum, je me demande comment relier mon inspiration première à cette idée de « Dusita » – de paradis, donc – tout en gardant une touche française. Par exemple, pour La Douceur de Siam, j’avais en tête l’idée d’une princesse marchant dans un jardin, au coucher du soleil. Je l’ai imaginée douce et élégante ; et je l’ai dépeinte à l’aide de fleurs exotiques : champaca, jasmin et rose damascena. Le bois de santal et la vanille font allusion au parfum qui imprègne ses vêtements ; et j’ai ajouté une touche de modernité en habillant la rose de damascones. Mon inspiration est un mélange d’images, d’odeurs et de couleurs ; et les poèmes de mon père jouent un rôle important aussi. 

Les marchés sur lesquels vos parfums sont présents influencent-ils vos idées ? 

Je ne pense pas vraiment aux marchés, non. Juste à la création. Bien sûr, il me semble important de pouvoir proposer plusieurs types de parfums, donc je cherche à explorer des univers olfactifs différents, mais j’essaie de conserver un style unique. C’est la plus grande difficulté pour un parfumeur, je crois, d’exprimer sa signature dans des registres différents. Cela demande de casser son propre moule. Moi-même je suis très à l’aise avec les floraux, que j’aime beaucoup, je peux donc composer un accord assez facilement. Mais si je veux imaginer un parfum gourmand, boisé, ou aromatique, j’ai besoin de changer ma disposition d’esprit. 

Comment s’exprime votre signature ? 

J’aime beaucoup travailler des ingrédients peu ou pas connus. Je suis surprise de voir l’influence des tendances, même dans la parfumerie de niche. Par exemple, il y a 10 ans, on voyait de la baie rose partout. Et je me demandais : pourquoi toutes les marques suivent cette mode, alors que nos clients ont justement envie d’explorer des choses différentes ? En ce moment, je réfléchis à faire un parfum gourmand – une famille que je n’ai pas encore explorée. Et je me dis que je voudrais faire autre chose qu’un parfum sucré, ou vanillé. La gourmandise peut être interprétée de tant de façons différentes. Ce matin, je sentais une essence de basilic du Vietnam, une odeur qui est quasiment absente de nos parfums et pourtant tellement familière dans la cuisine. Et je me disais qu’elle se marierait bien avec des aldéhydes, des épices, et pourquoi pas un bois exotique comme le bois de Hô, lui aussi peu utilisé. Il y a beaucoup de choses à inventer !

Quels sont vos best-sellers ?

En France, ce sont Anamcara – un fruité fleuri boisé plutôt féminin – et Moonlight in Chiangmai, lui plutôt masculin. En Asie, Mélodie de l’Amour marche si bien que nous sommes constamment en rupture de stock. Je ne pensais pas que ce parfum serait tant apprécié. Le responsable du site Lucky Scent m’a récemment appris qu’il était la treizième référence plus vendue chez eux ! Je vais bientôt la décliner en spray pour le corps. 

Depuis quand participez-vous au salon Esxence et pourquoi ? 

J’y vais depuis les débuts de Dusita. La première fois, en 2015, ma collection n’était même pas encore en vente. J’étais la dernière marque à m’être inscrite et le stand qu’on m’avait donné était juste en face des toilettes… Mais finalement c’était un endroit assez stratégique car tout le monde finissait par passer devant moi ! Cette année, c’est la sixième fois que je participe. Il s’agit bien sûr de présenter la marque et de réfléchir à sa stratégie avec les revendeurs, distributeurs et représentants de tous les pays. Mais cela permet aussi de voir et revoir des gens du secteur avec qui j’ai noué des amitiés, de découvrir ce que font les uns et les autres. J’ai fait plusieurs salons, mais Esxence est celui que je préfère parmi tous. 

__

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

Cécile Zarokian : « Il est possible de s’imposer face aux grandes maisons de création »

Créatrice de parfums indépendante installée à Paris, Cécile Zarokian a fondé sa propre société, Cécile Zarokian Parfumeur, et travaille pour de nombreuses marques en s’adaptant aux différents clients et marchés, de l’Amérique du Sud au Moyen-Orient en passant par l’Europe. Rencontre.

Comment s’est développée votre activité en tant qu’indépendante ? 

J’exerce depuis dix-sept ans, en tenant compte de mes années chez Robertet, et je suis à mon compte depuis onze ans. J’ai longtemps jonglé en solo entre la création, l’administratif et la logistique… Pour rester efficace face à l’augmentation de la charge de travail, il a fallu agrandir la structure : nous sommes désormais trois à bord. Mon bras droit, Pauline Zimer, s’est formée à l’Isipca, après quatre ans au développement produit chez Hermès Parfums. Elle intervient sur la partie évaluation mais aussi sur la gestion des matières premières et la communication, entre autres… Laetitia Loviconi nous assiste sur la partie administrative et vente. La société se structure, et nous envisageons de prendre des locaux plus grands. Nous travaillons notamment pour des marques de niche d’envergures diverses : Amouage, Nishane, Masque Milano, Jacques Fath, Jovoy, Jul et Mad… L’objectif est de consolider et poursuivre ce développement, pour des maisons confidentielles mais aussi grand public. Parmi les dernières grandes réussites, il y a l’aventure Bossa, pour la marque brésilienne Granado du groupe Puig.

Vous étiez en lice aux côtés de Firmenich et Givaudan pour ce projet. Et vous l’avez remporté…

C’est peut-être la preuve que le modèle de l’industrie est en train d’évoluer. Il est aujourd’hui possible de s’imposer face aux grandes maisons. C’est la première fois qu’un parfumeur indépendant, et français, remporte un tel projet au Brésil, deuxième plus gros marché parfum au monde. Le challenge pour moi était de parler aux consommateurs de ce pays tout en me distinguant. Bossa talonne désormais le numéro un des ventes de la marque, et la presse brésilienne l’a décrit comme « le floral solaire qui manquait au marché ». C’est un signal fort envoyé à l’industrie !

Entre le désir de remporter un projet et celui d’imposer votre démarche créative, quelle est votre ligne de conduite, voire vos limites ?

Je ne travaille pas avec une parfumothèque [une collection d’accords déjà créés] : le sur-mesure commence toujours par une page blanche. Il faut savoir ensuite expliquer sa démarche. Et être capable de prendre une nouvelle direction créative si besoin. C’est rare mais cela peut arriver. Je préfère soumettre une seule proposition à laquelle je crois à 100% que deux auxquelles je ne crois qu’à moitié.

Quelles sont les clés d’un brief bien traité ?

J’en vois deux. En premier lieu s’adapter, en aidant le client à décrire ce qu’il souhaite, en apprenant à lire entre les lignes. L’autre clé, c’est de comprendre qu’on ne fera pas plaisir à tout le monde : le directeur de création, le service commercial… Moins il y a d’intermédiaires, mieux c’est. Car j’envisage cette relation comme un partenariat, pas comme un rapport de force. Au contraire, des tensions peuvent survenir quand les délais sont trop réduits. Il faut donc savoir poser ses limites. Accepter un travail pour la veille, cela ne sert personne. Lorsque j’ai besoin de plus de temps et de prix de revient, je n’hésite pas à le dire.

Comment vous impliquez-vous dans les projets ou dans les lancements des marques avec qui vous collaborez ?

Là encore, l’adaptabilité et l’agilité priment. En novembre 2020, la France est à nouveau confinée. Cela fait plusieurs mois que les réunions Zoom sont devenues la règle. Les voyages se font rares. J’apprends que pour Noël, au Brésil, Granado va mettre Bossa en vitrines. Sans hésiter, avec Pauline, nous avons pris le premier vol pour Rio pour pouvoir être au cœur de ce lancement majeur. La marque a ainsi pu organiser un tournage vidéo au Pain de Sucre, cet emblème de la ville qui figure sur le flacon de Bossa.
Juste avant notre dernier séjour au Brésil, en mars de cette année, j’ai réalisé qu’un de mes clients, Nishane, était distribué dans l’unique boutique de niche de Sao Paulo, Neeche. J’ai prévenu l’un et l’autre de ma visite. Un événement a alors été organisé au pied levé pour promouvoir cette marque indépendante turque !

Vous créez pour des marchés où le parfum répond à des usages et des attentes très différents. Comment composez-vous avec ces écarts culturels ?

Pour le Brésil, il a fallu composer un parfum estival et rafraîchissant avec une concentration plutôt légère, autour de 10%. À l’inverse, au Moyen-Orient, la puissance, la concentration sont des critères essentiels. Pour Epic 56 Woman d’Amouage, je suis allée jusqu’à 56%. Quant aux attars, ces parfums traditionnels sans alcool, à base d’huiles, ils atteignent 100% de concentration. Dans ce cadre, parvenir à respecter les normes IFRA relève du casse-tête. Mais le défi est fascinant et le résultat olfactivement très intense. J’ai ainsi créé récemment quatre attars pour Amouage, sortis en janvier dernier : Rose Aqor, Oud Ulya, Saffron Hamra et Leather Sadah.

Des liens particuliers vous unissent à cette maison…

C’est en effet pour Amouage que j’ai créé mon premier parfum, Epic Woman, à l’époque de mon apprentissage chez Robertet. Celui-ci reste à ce jour leur deuxième meilleure vente sur les féminins. Je suis en outre fière que Silver Oud, reconnu pour sa puissance, soit devenu un benchmark des parfums à base de oud – et que, d’édition limitée, il ait intégré la collection pour répondre à une forte demande ! Enfin, Rose Aqor m’a valu les félicitations de Dominique Ropion, que j’admire beaucoup.

À côté de la parfumerie fine, vous créez pour d’autres supports olfactifs, voire gustatifs…

Pour la soirée de lancement de la gamme des attars Amouage à Cannes, j’en ai décliné trois – Rose Aqor, Oud Ulya et Saffron Hamra – en edible scent, une version comestible du parfum à sprayer sur des cocktails soigneusement choisis. La mixologie est un univers qui me fascine ; j’estime que les mixologues font un peu le même métier que les parfumeurs. Ils peuvent passer des heures à se demander si dans telle création, le citron doit être utilisé sous forme de zeste, de jus ou d’essence. Mais je développe aussi des identités olfactives pour des hôtels, des malls, des marques de spiritueux…

En 2011, vous aviez collaboré avec un illustrateur, pour un projet où visuels et fragrances se répondaient. Si vous deviez à nouveau sortir de votre cadre quotidien, quel chemin emprunteriez-vous ?

J’adorerais travailler avec plusieurs artistes, de différents univers, notamment avec un chorégraphe. Mais ce qui m’anime le plus en ce moment est le désir de créer un parfum en collaboration avec le directeur artistique d’une maison de couture ou de joaillerie… Un rêve que je ne me serais pas permis il y a quelques années !

  • Plus d’informations sur le site de Cécile Zarokian : cecilezarokian.com
  • Crédit photo : © Firas Shambeh

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

Serge Laugier (Le Paravent) : « Je tiens à proposer des parfums plus confidentiels, car ils assurent une signature olfactive inédite »

D’abord pensée par son fondateur Serge Laugier comme une boutique de décoration haut de gamme, Le Paravent est désormais une référence de la parfumerie de niche à Lyon. Située dans le quartier des galeries d’art du centre-ville, elle s’attache à défendre une vision artistique et indépendante de la création olfactive. Entretien.

Comment avez-vous été amené à proposer des parfums dans votre boutique ? 

Le Paravent a été fondé en 2011, dans un quartier chic et artistique de Lyon. J’ai créé un cadre raffiné, en proposant des articles liés à l’art de vivre en général. Ayant reçu très jeune une formation œnologique de haut niveau, les parfums et les arômes ont toujours beaucoup compté dans ma vie ! Dès l’ouverture, j’ai proposé les bougies parfumées Cire Trudon, la plus ancienne manufacture de cire française encore en activité, aux fragrances riches et complexes. Les clients qui entraient exprimaient souvent le désir d’une offre de parfums rares : cette orientation est devenue rapidement une évidence. C’est naturellement vers les plus belles marques de la parfumerie indépendante que je me suis dirigé, avec un succès immédiat et durable !

Comment avez-vous construit votre sélection de marques ?

Je tiens à proposer des parfums plus confidentiels, car ils assurent une signature olfactive inédite : je propose donc beaucoup de marques indépendantes en exclusivité sur Lyon. La première que j’ai sélectionnée, en 2015, était Le Galion, une maison française emblématique. J’avais rencontré son fondateur Nicolas Chabot au salon Esxence de Milan, et j’ai eu un réel coup de cœur pour ses créations historiques. Puis la très renommée maison Lubin nous a également rejoint avec bonheur. Mais nous sélectionnons aussi des marques à l’esprit « avant-gardiste », qui s’adressent à une clientèle parfois un peu plus jeune. Comme celle de Céline Verleure, fondatrice d’Olfactive Studio, dont l’idée d’associer la parfumerie à la photographie est novatrice. Mais également Histoire de parfums, à l’identité très travaillée et fondée par le passionnant Gérald Ghislain. Je pense aussi aux parfums Naomi Goodsir, qui constituent une réelle parfumerie d’auteur avec des compositions joliment inspirées !
Je prends du temps pour analyser olfactivement chaque parfum en les portant et en échangeant avec nos fidèles clients. L’attachement que l’on a pour une marque nous permet de la mettre en lumière et ainsi de participer à son développement. Je suis aussi attentif aux partenariats, aux liens que l’on tisse avec les créateurs et leurs équipes. Je travaille uniquement avec des passionnés et cela fait sans doute une différence. Il faut prendre garde à ce que chaque parfum soit un peu unique : je dois rejeter deux propositions trop proches dans deux marques différentes afin d’éviter les redondances.  

Comment découvrez-vous de nouvelles marques ?

C’est une recherche que j’affectionne particulièrement : parfois, je pars plusieurs jours en voyage et je m’immerge dans de nouveaux univers. Mes clients me partagent également leurs découvertes, c’est très enrichissant ! Les salons professionnels, comme Esxence ou Pitti Fragranze, m’ont permis de rencontrer des maisons de parfums remarquables. Certaines marques me contactent directement et parfois la magie opère ! Ainsi, lorsqu’il a relancé la Maison Violet, Victorien Sirot m’a appelé pour m’expliquer ce merveilleux projet. Je suis tombée sous le charme de cette passionnante aventure. J’ai commandé leur première collection « Héritage » qui a connu un succès immédiat. Trouver une nouvelle marque n’est pas difficile ; lui assurer un suivi et une reconnaissance demande plus de travail. L’offre est croissante, mais lorsqu’on rencontre une maison que l’on apprécie, on s’implique totalement. C’est notamment le cas pour les parfums de Marc-Antoine Barrois qui connaissent un énorme succès en boutique ! 

Que faites-vous lorsque certaines références rencontrent moins de succès ? 

On peut parfois percevoir une demande moindre sur des compositions à l’univers plus classique. Les fragrances audacieuses, à l’inverse, répondent à la demande d’une clientèle bien précise, notamment des plus jeunes. Et, lorsqu’un parfum rencontre moins de succès, je ne remets pas en cause la marque, mais préfère organiser un point avec les équipes. Une petite formation, pour apprendre à mieux en parler et à réactualiser ses connaissances est souvent une réussite. D’où l’importance aussi d’avoir de bons rapports avec nos partenaires. La présentation générale des créations est très importante également. La boutique, la mise en place, l’accueil doivent être soignés et professionnels. Dès lors, le prix n’est plus forcément un frein, car les clients s’offrent un flacon comme un cadeau de valeur.

Rencontrez-vous des freins de la part de ceux qui passent le pas de votre porte, habitués aux créations du circuit classique ?

Parfois, nos visiteurs recherchent une fragrance qui ressemble à celle qu’ils ont l’habitude de porter. Je leur propose plutôt une découverte olfactive en approchant les diverses familles de parfum (boisé, fleuri, ambré…) et en découvrant leurs envies et leurs émotions. Dans ce cas, il y a une vraie démarche pédagogique à faire, pour qu’ils acceptent de sortir, peu à peu, de leurs habitudes. On redécouvre ensemble les matières premières travaillées différemment. Tout en douceur. Il est indispensable de prendre son temps : cet échange passionnant peut facilement durer une heure. Les parfums suscitent des émotions profondes : certains peuvent être émus aux larmes lorsqu’ils trouvent « leur » parfum ! C’est très gratifiant d’apporter cela ! Et puis il y a certains parfums qui sortent de nos zones de confort, comme Nuit de bakélite de Naomi Goodsir, qui a demandé plus de quatre ans de développement. La première approche n’est pas toujours évidente pour les clients peu habitués à ces écritures très signées ; mais c’est aussi ce qui permet d’aborder une autre philosophie de la parfumerie, comme une véritable création artistique.

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

À suivre :
Cécile Zarokian (Cécile Zarokian Parfumeur), Michel Gutsatz (Le Jardin retrouvé), Dhaher bin Dhaher (Tola), Luca Maffei (Atelier Fragranze Milano), Nathalie Feisthauer, Franco Wright (Luckyscent), Pissara Umavijani (Dusita), Liam Sardea (LKNU)…

Rencontre avez un nouveau-nez

À l’occasion de la fête des mères, nous vous proposons une plongée olfactive dans la peau d’un nouveau-né, en vous offrant un article initialement publié dans Nez, la revue olfactive #11.

Bien avant sa venue au monde, le bébé est doté du sens de l’odorat. La découverte de son univers intra utérin, enrichi notamment par les arômes de l’alimentation maternelle, enrichit son répertoire de perceptions et le prépare pour le début de sa vie.

Passage obligé pour l’homme comme pour tous les mammifères, le ventre maternel laisse son empreinte dans la mémoire sensorielle. Dès la 28e semaine de gestation, le fœtus dispose d’un système olfactif fonctionnel. Il commence alors à détecter divers stimulus, à les distinguer les uns des autres, à les mémoriser et même à manifester une prédilection ou un dégoût à leur égard. Alimenté en oxygène et en éléments nutritifs par l’intermédiaire du placenta et du cordon ombilical qui le relient à sa mère, il baigne dans une poche protectrice de liquide amniotique qui lui permet de bouger et dont le contenu est constamment renouvelé. Le fœtus respire, ingère et déglutit ce fluide. C’est dans cet environnement qu’il se familiarise avec l’alimentation de sa mère et s’imprègne de la « carte d’identité olfactive » de cette dernière. Ses propres urines se mêlent au contenu de la poche des eaux, offrant une source supplémentaire d’odeurs et de saveurs prégnantes. 
Directeur de recherche au CNRS, Benoist Schaal a conduit de nombreuses recherches sur la perception et l’apprentissage olfactifs du fœtus, du bébé et du jeune enfant, au Centre des sciences du goût et de l’alimentation, à Dijon. Avec Luc Marlier, chercheur au CNRS à Strasbourg, ils ont démontré en 1998 que la très grande majorité des mères et des pères étaient capables, lorsqu’on leur faisait sentir deux échantillons de liquide amniotique, de reconnaître celui de leur nourrisson. Le fluide intra-utérin partagerait donc des caractéristiques odorantes individuelles avec le fœtus aussi bien qu’avec sa mère, ce qui suggérerait qu’il a un rôle à jouer dans l’interaction initiale entre eux. Les chercheurs préconisent, dans cet esprit, de retarder le premier bain du nouveau-né. 
Le liquide amniotique est décrit par Benoist Schaal comme un « bruit de fond olfactif », que l’enfant à naître pourrait percevoir dans sa globalité mais dont il saurait aussi discerner les subtilités. Il a, selon le scientifique, « une note animale caractéristique » dont les facettes varient en fonction de l’alimentation de la mère et dont certaines composantes peuvent ponctuellement se faire plus « sonores » que d’autres. Ainsi, chez l’humain, « on a documenté de façon directe ou indirecte le passage transplacentaire des notes d’ail, de cumin, de fenugrec, de curry, d’anis, de menthe, de carotte, de chocolat, d’alcool, ainsi que de la nicotine associée à la fumée de tabac » – une liste non exhaustive. Le chercheur précise que « la perméabilité placentaire est augmentée en fin de gestation ». Toutefois, les futures mères ne présentent pas toutes la même aptitude à transférer des flaveurs à leur fœtus : « le taux du trans fert transplacentaire des métabolites odorants peut varier d’une femme à l’autre », signale Benoist Schaal. 
Chaque poche des eaux est donc unique et susceptible d’engendrer un apprentissage sensoriel individualisé. Cette vie prénatale contribue, pour le directeur de recherche au CNRS, « à préformer le potentiel initial de sensibilité, de discrimination, de mémoire, de préférences, de réponses motrices, qui constitueront la “boîte à outils” du nouveau-né ». 

Construction dans la continuité 

Car dès le plus jeune âge, les bébés manifestent des préférences. Il semblerait notamment que le contexte dans lequel le fœtus a mémorisé une perception sensorielle donnée influence celle-ci à long terme – comme c’est le cas chez certains animaux. L’un des éléments de ce contexte étant l’état émotionnel de la mère, auquel l’enfant à naître serait sensible. Celui-ci pourrait ainsi éprouver de l’attraction envers une odeur enregistrée dans des circonstances sécurisantes, ou à l’inverse « un franc rejet » envers une autre engrangée dans un état de malaise. Or « l’acquisition d’une préférence (ou d’une aversion) au cours de la vie fœtale peut être durable », souligne Benoist Schaal. Peter Hepper, professeur à la faculté de psychologie de la Queen’s University de Belfast (Irlande du Nord), et son équipe ont par exemple montré qu’une corrélation entre l’exposition à l’arôme d’ail in utero et une prédilection pour un aliment à l’ail est encore mesurable chez des enfants âgés de 8 à 9 ans. 
À plus court terme, a fortiori, la construction sensorielle du tout-petit se fait dans la continuité de la gestation. Car la physiologie de l’odorat est la même chez lui que chez le fœtus à neuf mois, pointe Benoist Schaal. « L’expérience olfactive fœtale contribue ainsi à structurer les chaînes nerveuses de l’activité perceptive et cognitive, et à orienter les premières réponses du nouveau-né. » Il faudrait donc éviter une rupture trop brutale entre les vies intra-utérine et extra-utérine. Le gynécologue-obstétricien Pierre Rousseau, qui a longtemps exercé au CHU Tivoli de La Louvière (Belgique), conseille d’ailleurs aux femmes qui allaitent de ne pas modifier leur alimentation après l’accouchement. 

Quête de réconfort 

La naissance est une épreuve pour l’enfant, et accompagner celui-ci dans une certaine continuité sensorielle semble déterminant pour son développement. Certaines recherches ont prouvé que le nouveau-né recherchait une telle stabilité. En 1995, Benoist Schaal, Luc Marlier et Robert Soussignan (de l’université de Reims) ont découvert que, deux jours après sa venue au monde, celui-ci est attiré par l’odeur du liquide amniotique. À trois jours, confronté à deux liquides amniotiques distincts, « le sien et celui d’un autre fœtus, il s’oriente plus rapidement et plus longuement vers le premier », concluront-ils même dans une étude postérieure. Une preuve supplémentaire de la capacité du cerveau néonatal à encoder les effluves de son environnement utérin. 
Que recherche le nourrisson en se dirigeant vers cette senteur familière ? Du réconfort, assurément. Heili Varendi, du département de pédiatrie de l’université de Tartu (Estonie), démontre en 1998 l’effet apaisant sur les bébés de l’odeur de leur liquide amniotique : ceux qui y sont exposés pleurent moins (en moyenne vingt-neuf secondes) que ceux qui sentent le sein de leur mère (en moyenne trois cent une secondes). 
D’autres études du groupe de recherche dijonnais du Centre des sciences du goût et de l’alimentation ont souligné qu’une continuité était naturellement assurée par l’intermédiaire du colostrum : ce « premier lait » sécrété par la mère après l’accouchement possède, selon Luc Marlier, des caractéristiques olfactives communes avec le liquide amniotique. Les effluves de ces deux substances sont même si semblables que les bébés ne seraient pas en mesure de les différencier. « Cette ressemblance entre les deux fluides périnatals est toutefois transitoire, puisqu’avec l’avènement de la lactogenèse (entre 2,5 et 3,5 jours postpartum) le colostrum sera progressivement remplacé par le lait », précise Maryse Delaunay-El Allam dans sa thèse sur la rétention à long terme de l’expérience sensorielle du nouveau-né. 
L’attrait des tout-petits pour les stimulus auxquels ils sont habitués ne se limite pas aux substances organiques : Benoist Schaal a constaté que l’exposition à une odeur artificielle avant la naissance modifie sa perception ultérieure. Un arôme connu est généralement doté d’une valeur positive, « soit par simple familiarisation – ce qui est familier étant plus attractif que ce qui est nouveau –, soit par des mécanismes d’association », précise-t-il. 

« Méthode kangourou » 

Les choses sont plus complexes dans le cas des grands prématurés (nés au bout de six à sept mois de grossesse), car toutes leurs connexions neuronales ne sont pas encore établies. Pour favoriser leur développement, la pédiatre Nathalie Charpak est une fervente avocate de la « méthode kangourou » : faire porter l’enfant prématuré par ses parents sur leur ventre, peau contre peau, aussi souvent et longtemps que possible, plutôt que de le maintenir dans un incubateur. L’équipe soignante s’emploie à traiter les troubles spécifiques dont le bébé souffre, explique-t-elle ; pour le reste, « on aimerait bien pouvoir le remettre dans le ventre de sa mère, mais on ne peut pas ! ». Le placer à plat ventre contre le torse de celle-ci est, selon Nathalie Charpak, la solution s’en approchant le plus. L’objectif est d’aider « le cerveau à grossir avec des stimulations sensorielles – notamment olfactives – dont [l’enfant né avant terme] jouirait s’il était encore dans le ventre de sa mère ». Cela permet aussi de « l’accompagner dans un sommeil profond et [d’assurer] une meilleure stabilisation de ses signes vitaux », précise la pédiatre française installée en Colombie, où elle a découvert cette méthode. L’objectif est clair : « réduire le stress, qui est aussi dangereux pour l’adulte que pour l’enfant » et auquel le prématuré est très exposé. Certains services préconisent à cette fin de placer des pièces de tissu imprégnées de l’odeur maternelle dans la couveuse, mais pour Nathalie Charpak « la maman elle-même est le meilleur incubateur qui soit ». 
L’un des troubles les plus inquiétants chez ces bébés est l’apnée du sommeil, une interruption temporaire de la respiration qui « diminue l’oxygénation, notamment du cerveau, et peut entraîner des perturbations neurologiques ou des retards de développement », détaille Jean Messer, ancien chef du service de médecine et de réanimation du nouveau-né au CHU de Hautepierre à Strasbourg. Or, selon une étude qu’il a cosignée en 2005 avec le chercheur au CNRS Luc Marlier, l’odeur de vanille peut avoir des bénéfices non négligeables en la matière : les chercheurs ont constaté une réduction de 36 % du nombre d’épisodes d’apnée chez des prématurés sujets à ce trouble, lorsque ce parfum était diffusé. La présence d’effluves agréables semble avoir tendance à accélérer le rythme respiratoire, et ce d’autant plus que la fréquence est basse. 
Les enfants nés avant terme peuvent par ailleurs avoir des difficultés à se nourrir. Téter n’est pas chose aisée pour un cerveau dont les connexions neuronales ne sont pas terminées, ni « pour un corps qui n’a pas encore acquis une musculature orale suffisamment endurante et une coordination succion-déglutition-respiration », précise Benoist Schaal. Afin d’encourager le bébé à devenir plus autonome, il est essentiel d’accompagner les périodes de succion de stimulus olfactifs d’ordre alimentaire, affirme Monique Haddad, ancienne orthophoniste du service de néonatalogie du centre hospitalier Victor-Dupouy à Argenteuil. Elle souligne que ce trouble doit être corrigé de manière précoce, car il peut avoir des conséquences néfastes à long terme, notamment lorsqu’il sera question pour l’enfant d’avoir une alimentation variée ou d’ingérer des morceaux. Sans accompagnement, pointe l’orthophoniste – aujourd’hui retraitée –, on risque notamment de voir apparaître des phobies alimentaires, mais également des troubles dans la motricité bucco-faciale, avec des conséquences sur la parole.

Former des liens

Dans son livre Les Nourritures affectives (éd. Odile Jacob, 1993), le neuropsychiatre Boris Cyrulnik nous rappelle l’importance de la dimension sensorielle et de l’affectivité dans le développement du lien unissant l’enfant à ses parents. « Un enfant […] comprend bien avant de parler. La pensée s’organise d’abord à partir des perceptions qui alimentent les premières représentations sensorielles », écrit-il. Les odeurs font partie intégrante de cet environnement sensible auquel le tout-petit va s’attacher pour créer des relations. 
Le gynécologue-obstétricien Pierre Rousseau rappelle avec indignation l’époque où les « nouveau-nés étaient immédiatement emportés pour être soignés, pesés, habillés et […] hurlaient dans les bras de la soignante qui les ramenait vers leur mère ». Lui qui a travaillé dans ces conditions se souvient d’avoir vu des nourrissons se relâcher brusquement et se calmer « au moment où ils arrivaient au-dessus de la table d’accouchement où se trouvait leur mère. La palpitation des narines qui précédait leur apaisement suggère qu’ils avaient reconnu son odeur » –même si pour Benoist Schaal la question reste ouverte, car « ce battement des narines pourrait indiquer simplement l’épuisement et l’essoufflement ». Cette perception des effluves maternels est, pour Pierre Rousseau, « une étape importante dans l’établissement de l’attachement ». Le médecin insiste aussi sur le fait que seul un environnement sécurisant permet la formation de liens sociaux structurants. Or Sarah Jessen, du département de neurologie de l’université de Lübeck, en Allemagne, a mesuré par électroencéphalographie comment réagissent des nourrissons de 7 mois face à des signaux inquiétants – en l’occurrence, des visages exprimant la peur –, en présence de l’odeur de leur mère. L’étude montre que celle-ci les rassure instantanément et de façon durable. « Nos données suggèrent que l’olfaction, une modalité sensorielle qui a été largement négligée comme signal social dans notre propre espèce, pourrait fonctionner comme un modulateur crucial dans l’apprentissage social précoce », concluent les auteurs. 

Circuit de la récompense 

Les effluves corporels jouent en effet un rôle central dans nos relations interpersonnelles [voir « La chimie de l’attirance », dans Nez #03]. Comme l’ont étudié Benoist Schaal et ses équipes dès les années 1980 et de nombreux autres scientifiques depuis, ils nous permettent de reconnaître nos pairs et constituent un élément clé de notre communication affective. Or ces deux fonctions sont à la base de la constitution du lien mère-enfant. Lors d’entretiens menés par l’équipe de Pierre Rousseau au CHU Tivoli de La Louvière, une femme confie peu après la naissance de sa fille : « Les souvenirs que j’ai, c’est vraiment le contact de sa peau, l’odeur, et je pense qu’elle me sentait aussi… Je crois que c’est à ce moment-là que je suis devenue maman. » A contrario, « les mères qui ont, en raison de divers troubles mentaux, des problèmes de liaison avec leur enfant présentent une perception olfactive anormale » et peuvent avoir des difficultés à reconnaître son odeur, selon une recherche conduite par Ilona Croy, docteur en psychologie et directrice du groupe de recherche du département de médecine psychosomatique à l’université de Dresde (Allemagne). 
En 2013, Johan Lundström, docteur en psychologie rattaché au Karolinska Institutet de Stockholm (Suède), associé à d’autres groupes de chercheurs de Dijon, Montréal (Canada) et Dresde, a par ailleurs démontré que l’odeur d’un nouveau-né, en plus d’être perçue comme plaisante, active chez les femmes le circuit cérébral de la récompense. Une réaction physiologique qui pourrait contribuer à développer le lien d’attachement. Pierre Rousseau note d’ailleurs qu’il n’est pas rare de voir une jeune mère ou un jeune père sentir le crâne de son bébé et s’écrier : « Ça fait du bien ! » 
Des scientifiques japonais se sont intéressés tout spécialement à cette question. Sous la direction de Mamiko Ozaki, professeur au département de biologie de l’université de Kobe, ils ont identifié la composition chimique de l’effluve se dégageant de la tête du tout-petit et ont pu constater que celui-ci évoluait : son individualité est plus marquée une heure après la naissance que deux à trois jours plus tard. Cela tendrait à renforcer l’hypothèse de l’existence d’une communication sensorielle précoce mère-enfant. 
L’olfaction est difficile à étudier et à mesurer chez des sujets aussi jeunes, mais peu de doutes subsistent sur le fait que la communication chimique et les perceptions enregistrées très tôt pourraient influencer durablement la construction individuelle, par une lecture sensible de l’environnement. Benoist Schaal en est lui-même convaincu : les odeurs permettent de « diriger l’attention, la motivation et les émotions de l’enfant, et contribuent ainsi à organiser ses connaissances sur le monde ».

 

Cet article est initialement paru dans Nez, la revue olfactive #11 : La vie & la mort.

Barbara Herman (Eris Parfums) : « Consciemment ou non, j’ai tendance à explorer pour chaque nouveauté une piste très différente de la précédente »

Lancée en 2016 par l’Américaine Barbara Herman, autrice et créatrice du blog Yesterdaysperfume.com, la marque Eris Parfums propose des sillages modernes au style inspiré d’hier, tous signés par le parfumeur indépendant Antoine Lie. Interview.

Comment est née la marque Eris Parfums ? 

J’ai toujours aimé et côtoyé le parfum, notamment grâce à ma mère et ma grand-mère. Mais c’est à partir de 2008 que je m’y suis intéressée plus activement, à lire des articles, et j’ai alors découvert qu’il existait en ligne toute une sous-culture absolument fascinante. J’ai commencé à collectionner les fragrances vintage et leurs publicités. Étant alors blogueuse professionnelle pour PopSugar, un média en ligne consacré à la culture populaire, je me suis dit qu’il fallait que j’écrive sur le sujet. J’ai lancé mon propre blog, Yesterdaysperfume.com, qui m’a ensuite inspiré l’écriture d’un livre : Scent and Subversion: Decoding a Century of Provocative Perfume (Lyons Press, 2013). Dans le cadre de cet ouvrage, pour un chapitre dédié aux visionnaires du parfum, j’ai interviewé le parfumeur Antoine Lie dont j’admire les créations, belles ou plus expérimentales, parfois les deux à la fois. Nous sommes devenus amis. Après être tombée en amour du vintage, avoir lancé ce blog et écrit un livre, je me suis dit : « quelle est la chose la plus folle que je pourrais faire maintenant ? ». Et la réponse a été : lancer une marque de parfum ! Je ne souhaitais pas proposer des compositions rétro à proprement parler : je voulais une sorte de collection « post-moderne » qui rende hommage aux créations vintage, aux floraux intenses et aux notes animales du passé, mais pour un public d’aujourd’hui. 

Comment avez-vous imaginé vos premières créations ?

Je voulais des parfums audacieux, et toujours avec un twist. J’avais en tête cette citation d’Edgar Allan Poe : « Il n’y a pas de beauté exquise sans une certaine étrangeté dans les proportions ». Et il était très clair qu’il m’en fallait au moins un avec des notes animales.

Vous travaillez exclusivement avec Antoine Lie. Pourquoi ? 

Lorsque j’ai eu l’idée de créer ma marque, je lui ai demandé s’il était prêt à me suivre dans cette aventure: il était partant. Au départ, je pensais lui confier la création de cette fameuse composition animale, et solliciter d’autres parfumeurs pour faire les deux autres fragrances que je souhaitais, un floral et un chypre. Mais j’ai tellement aimé les premiers essais qu’il m’a soumis – des floraux animalisés – que j’ai décidé d’en faire ma première collection. Cela a toujours eu beaucoup de sens de travailler avec lui. Nous partageons une vision commune depuis le départ, et nous avons développé avec le temps une façon de communiquer qui fonctionne à merveille. Comme je ne viens pas de l’industrie, je n’ai pas toujours le vocabulaire qui y est classiquement utilisé, mais j’ai senti énormément de choses et nous avons beaucoup de références communes. 

Comment se déroulent typiquement les développements ? 

C’est souvent le nom qui vient en premier. Et j’ai une idée olfactive du parfum dans ma tête. Je crée alors un moodboard avec des images de mode, des photos tirées de films, ou d’objets… Je donne tout ça à Antoine, et je lui indique aussi les parfums qui m’inspirent, les notes que je voudrais qu’il utilise, et l’effet que j’aimerais que sa proposition produise sur celui qui la sent. Cette intention émotionnelle est très importante. Je parviens ainsi à exprimer assez clairement ce que je veux. Il n’empêche que c’est toujours une surprise de recevoir les essais d’Antoine. Jusqu’ici, les développements s’étalent en moyenne sur une année. 

Comment décidez-vous de la direction à donner à votre collection ? 

Je n’en donne pas vraiment… Les choses se font d’elles-mêmes. Comme je le disais, j’avais au départ l’envie de développer trois fragrances : un floral aux notes indolées, un chypre et un parfum animal. C’est sur ce dernier qu’Antoine a commencé à travailler et lorsqu’il m’a soumis ses essais, je suis restée bouche bée. C’était la première fois que je briefais un parfumeur, et tout était tellement beau. Comment pouvais-je dire non à l’une de ses propositions ? C’était impossible de choisir – depuis, je me suis un peu améliorée sur ce point ! Mais à ce moment-là, j’ai décidé de tous les garder. Dans cette thématique animale, Ma Bête est le plus littéral – le plus extrême, disons – avec son interprétation de la célèbre base Animalis, conjuguée à d’autres notes animales comme le castoréum, la civette, le musc… Night Flower est un floral cuiré dans l’esprit d’un Shalimar moderne ; et Belle de Jour est un floral salé par une note d’algue, que j’ai trouvé vraiment intéressant dès la première fois que je l’ai senti. 

Et les suivants ?

J’étais encore journaliste en 2015 lorsque le terme « Mx. » est entré dans le dictionnaire, pour indiquer un titre de civilité sans spécifier de genre. C’est un mot qui raconte une façon moderne de penser le genre. Je m’y suis intéressée et j’ai écrit à ce sujet. Il est devenu le point de départ et le nom de mon quatrième parfum, lancé en 2017, un boisé qui joue avec des notes traditionnellement considérées comme masculines et féminines. Puis j’ai eu envie d’en proposer une version plus sombre, plus extrême. Entre temps j’avais quitté mon travail de rédactrice pour m’occuper à plein temps d’Eris Parfums. Antoine a imaginé une composition plus animale grâce à l’ambre gris, avec des facettes gourmandes apportées par le cacao et la vanille. Ce parfum plus dark, proposé en extrait, est devenu Mxxx. Ensuite il y a eu Green Spell, une création intensément verte et joyeuse, puis tout récemment Scorpio Rising, une explosion d’épices. Donc même s’il n’y a pas de stratégie particulière, il est vrai que, consciemment ou non, j’ai tendance à explorer pour chaque nouveauté une piste très différente de la précédente. 

Eris Parfums est vendue aux États-Unis, mais aussi en France, en Allemagne et bientôt au Royaume-Uni. Votre présence sur ces différents marchés influence-t-elle vos créations? 

Pas du tout. Je me tiens au courant de l’actualité de la parfumerie, mais je ne fais aucune étude de marché pour mes lancements. Ce qui m’importe, c’est seulement d’aller là où Eris Parfums n’est pas encore allé. 

Pourquoi êtes-vous présente à Esxence cette année ?

Chaque semaine, des personnes me contactent pour savoir quand ma marque sera disponible à la livraison dans leur pays. J’essaie de répondre à leurs demandes, mais il serait évidemment bien mieux qu’ils puissent essayer mes parfums et les acheter près de là où ils habitent ! Donc, pour ma première participation à ce salon, l’enjeu est d’abord de me présenter aux distributeurs européens et internationaux. Leur faire sentir les compositions, leur raconter l’histoire d’Eris Parfums, et leur faire voir que ce n’est pas « juste » une marque de parfum vintage, ou avec des notes animales. D’autre part, comme il y a beaucoup d’incertitude en ce moment, j’entends les rassurer sur le fait que je suis là pour rester : après deux années très difficiles, Eris Parfums perdure. La marque est même plus forte aujourd’hui que jamais, puisque je sais encore mieux ce que je veux, et que notre travail avec Antoine est de plus en plus fluide. Le meilleur est à venir. 

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

Les Grands entretiens : Mathilde Laurent

Également disponible sur : Spotify, Deezer, Apple Podcasts, Amazon Music, YouTube

Il existe autant de façons de composer un parfum qu’il existe de créateurs. Nez vous invite à découvrir leur parcours, leur pratique et leur vision.

Mathilde Laurent a commencé à faire parler d’elle à la fin des années 1990. Tout juste sortie de l’école, elle fait des débuts remarqués de parfumeur chez Guerlain. En 2005, après plus de 10 ans dans cette véritable institution parisienne, elle devient la créatrice des parfums de la maison Cartier. Depuis toujours, Mathilde Laurent incarne une approche artistique de son métier, et elle s’engage pour le partager et le faire découvrir au plus grand nombre.

Elle a signé un ouvrage paru le 19 mai 2022, publié par Nez : Sentir le sens.

Ce podcast vous est raconté par Sarah Bouasse.


Suivre Mathilde Laurent sur Instagram : @mathilde.laurent

Crédit photo : Cartier

Karine Torrent (Floratropia) : « Selon moi, la parfumerie 100% naturelle est la nouvelle niche »

Après avoir travaillé plusieurs années dans l’industrie, Karine Torrent fonde sa propre marque, Floratropia, en 2019. Elle fait le choix d’une parfumerie 100% naturelle, dans une démarche à la fois artistique et éthique. Les premières créations ont été lancées en 2020. Entretien.

Quelles motivations vous ont menées à créer votre marque ?

En travaillant dans l’industrie du parfum, j’ai remarqué qu’elle peinait à se renouveler et à s’approprier les problématiques éthiques contemporaines. J’ai donc voulu poser les bases d’une marque idéale, reliant savoir-faire parfumeur et développement durable, en repensant toutes les étapes de la chaîne de valeur du produit.
En créant Floratropia, ma volonté était ainsi d’ « ensauvager le monde du parfum », dans un double sens. Artistique d’une part,en reconnectant le parfum à la beauté sauvage et à l’émotion brute du naturel, avec une approche un peu « crue » des matières premières naturelles, et des compositions assez osées, singulières, non formatées : nous voulons de cette manière faire voyager dans le versant botanique de la parfumerie, et ouvrir de nouveaux horizons olfactifs pour les amoureux du parfum.
Éthique d’autre part, avec un modèle global tourné vers le durable et le vivant. Nous cherchons à avoir un impact positif sur la planète avec une parfumerie décarbonée – car détachée de la synthèse encore majoritairement pétrochimique – et offrant un maximum de débouchés aux filières de production de plantes à parfum. Et pour que cela soit vertueux pour l’écosystème, nous sourçons nos matières sur des filières traçables, certifiées bio, et des partenariats éthiques, porteurs de bonnes pratiques environnementales et sociétales. Nous participons ainsi à soutenir plus activement l’écosystème fragile auquel appartient la biodiversité des plantes à parfums.
Et nous contribuons à rendre les communautés agricoles plus résilientes face aux bouleversements climatiques auxquels elles sont – et seront de plus en plus – exposées à l’avenir. Nous avons également repensé le packaging pour réduire l’empreinte carbone du produit : nos flacons sont rechargeables, légers, peu gourmands en ressources, ne nécessitant pas de suremballage, et nous les collectons pour les revaloriser.

Comment s’est fait le choix du parfumeur et se déroule le développement ? 

La rencontre avec la parfumeuse Delphine Thierry a été décisive dans la création de la marque : grâce à sa grande technicité sur ce type de formulation, j’ai compris qu’on pouvait donner corps à une parfumerie artistique en 100% naturel. Car pour susciter l’envie et initier une véritable transition, la caution environnementale n’est pas suffisante, il faut surtout donner envie avec de belles compositions. Quant au développement, notre cahier des charges est posé dès le départ, par le choix strict de matières premières naturelles et durables. J’assure la direction artistique, en dialogue avec Delphine qui a vraiment le talent d’incarner la vision d’une marque. Le tandem fonctionne à merveille : nous nous comprenons très bien, il y a finalement assez peu d’allers-retours – moins d’une dizaine en moyenne.

Dans quelle mesure prenez-vous en compte le marché pour orienter vos nouveautés ?

Nous sommes en dehors des tendances du marché classique de l’industrie, et suivons notre ligne directrice artistique qui est d’ensauvager le parfum, d’explorer et de faire découvrir la beauté du naturel, la force brute des matières. Lorsque je pense à de prochaines créations, je suis mon imagination, mon intuition, pas une stratégie marketing. L’important étant que l’on apporte quelque chose de nouveau et de créatif au marché, et c’est un objectif qui nous a particulièrement guidé dans le développement de L’Ambre des fleurs. L’ambre est un classique de la parfumerie et nous souhaitions apporter à cet archétype notre « personnalité » de marque.

Quels sont les marchés que vous visez ?

Nos marchés cibles sont en Europe : l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, les pays nordiques. Nous ne diffusons pas encore nos parfums aux États-Unis ni en Chine, C’est un objectif à moyen-terme, particulièrement la Chine que j’affectionne particulièrement pour y avoir vécu trois ans.
Certains marchés semblent a priori moins appropriés pour la marque, comme le Moyen-Orient : notre approche minimaliste dans le packaging est très loin des standards locaux. Mais c’est un marché très dynamique avec une clientèle très curieuse et passionnée. Cela peut réserver de belles surprises.

Quel est votre objectif en participant à Esxence cette année ?

Esxence va nous offrir une vitrine à l’international. Le salon va nous permettre de faire connaître la marque, de prendre la température des différents marchés, et de voir comment chacun s’approprie l’univers de Floratropia. Nous espérons également développer nos canaux de distribution ; car si la vente en ligne nous permet d’exprimer toute la singularité de notre démarche, j’aimerais désormais que nous soyons plus présents dans des boutiques physiques. Cela prendra probablement du temps, car le naturel n’est pas encore une priorité pour l’industrie – ce que nous nous attachons à faire changer. Nos engagements et partis pris sont en outre encore très nouveaux et très radicaux pour beaucoup de revendeurs. Même si l’on parle beaucoup de transition écologique, les parfumeries indépendantes restent encore un peu frileuses : pour beaucoup, le parfum est une « création artistique » qui doit faire rêver avant tout. Le ramener à des considérations écologiques peut paraître antinomique. C’est un nouveau récit à inventer. Et c’est justement ce que nous essayons de faire en inscrivant une vraie démarche artistique au cœur de notre modèle. Selon moi, la parfumerie 100% naturelle est la nouvelle « niche » de la parfumerie.

DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

Un tour du monde des œuvres olfactives à humer ce printemps

L’actualité de l’art olfactif a rarement été aussi prolifique que cette année. Nez vous propose un tour du monde, non-exhaustif, des expositions parfumées à voir, mais surtout à sentir en ce printemps et début d’été 2022.

La multiplication récente des projets artistiques olfactifs à travers le globe montre à quel point ces pratiques tendent désormais à se démocratiser au sein des arts visuels et plastiques, et combien ce médium qu’est l’odeur trouve des applications qui dépassent de loin la création et la commercialisation de parfums par l’industrie. Les senteurs font partie intégrante des ressources à disposition des artistes de toutes les disciplines pour s’exprimer, pour converser avec nos esprits et nos corps, pour créer formes et récits, pour questionner le monde, ouvrir les possibles, créer la surprise et, parfois, la beauté. Alors la prochaine fois que vous vous rendez au musée, n’oubliez pas d’ouvrir grand les narines !

Pour la sixième grande édition thématique de l’événement lille3000, intitulée « Utopia », qui regroupe plus de 35 expositions dans la ville de Lille, la métropole européenne lilloise et la région Hauts-de-France, le belge Peter de Cupere présente jusqu’au 2 octobre une série d’œuvres sculpturales olfactives, dont certaines inédites, inspirées par divers scénarios liés au réchauffement climatique.
Dans le cadre de l’exposition « Le Jardin d’Eden », curatée par Siegrid Demyttenaere et Sofie Lachaert à l’Église Sainte-Marie-Madeleine, les visiteurs peuvent notamment découvrir la gigantesque Flower Fragrum Cardamomi, installation de 9 mètres de haut représentant un bulbe de fleur dont la surface est recouverte d’un vernis scratch-and-sniff, à gratter pour dégager les odeurs. Par ailleurs, ses iconiques et étrangement dystopiques Smoke Cloud, Factory Tree et Olfactory Tree proposent aux visiteurs de respirer des effluves grinçants de la pollution aérienne qui étouffe peu à peu nos écosystèmes.
Une série de nouvelles créations s’expose aussi à la Maison Folie Moulins : de délicates fleurs de sel aux parfums océaniques dont l’aspect évoque le blanchissement corallien et que l’artiste imagine issues d’un monde futur où le sel marin aura submergé les continents suite à la fonte irrémédiable des glaces…

Salt Flowers (2022), Peter de Cupere © Peter de Cupere –  Maison Folie Moulins, Lille

En ce printemps 2022, la canadienne Julie C. Fortier révèle également plusieurs œuvres inspirées de la nature – préservée celle-ci – notamment au sein de l’exposition polysensorielle « La fin est dans le commencement et cependant on continue » à la Fondation d’entreprise Martell de Cognac. Forme nouvelle dans le travail de l’artiste, son tapis olfactif Que salive l’horizon, tufté à la main, diffuse trois odeurs à venir humer au ras du sol, et invite à se prélasser comme on s’allongerait dans l’herbe parfumée en été. La plasticienne présente aussi l’installation Eau succulente, composée de six parfums et de six aliments disposés sur une table en spirale, une incitation à croiser les sens et à observer leurs subtiles interactions. 

Que salive l’horizon (2022), Julie C. Fortier © Julie C. Fortier – Fondation Martell, Cognac

Également exposée dans « Faut-il voyager pour être heureux ? » à la fondation EDF à Paris, Julie C. Fortier y redéploie son installation murale Ascension, nuage composé de 44 000 touches à parfums imprégnées de quatre compositions différentes et créé à l’origine en 2017 aux Beaux-Arts de Rennes.

La Biennale Design de Saint-Etienne accueille également jusqu’au 11 juin, sous le commissariat du Collectif Jumel, une exposition hors-les-murs en partenariat avec l’École nationale supérieure d’art et de design de Saint-Étienne et sous le parrainage de l’artiste Boris Raux. Intitulée « Ces routes ne vont nulle part », elle est installée au sein de la Brasserie Stéphanoise, haut lieu d’odeurs et de saveurs, qui pour l’occasion accueille les œuvres sensorielles des six artistes sélectionnés par Melissa Douville et la plasticienne Juliette Delecour : Lorie Bayen El-Kaim, Merryl Bouchereau, Floriane Kisa, Rosalie Parent, Atelier Pers et Antoine Salle. Une dégustation de bières spéciales aura lieu le samedi 11 juin pour le finissage.

Juliette Delecour, membre du Collectif Jumel, montre par ailleurs une installation olfactive intitulée Chanele N5 dans le cadre du Off de la Biennale de l’Art africain contemporain qui se tient à Dakar du 19 mai au 21 juin.

Forget Me Not (2022), Juliette Delecour © Collectif Jumel – Biennale du design de Saint-Etienne

Au musée international de Parfumerie, à Grasse, vient également de débuter l’exposition « Respirer l’art. Quand l’art contemporain sublime l’univers du parfum » qui durera jusqu’au 5 mars 2023, l’occasion de faire dialoguer les collections du musée avec un grand nombre d’œuvres de médiums variés, prêtées par des institutions publiques, des galeries, des collectionneurs privés, ou les artistes eux-mêmes. On y retrouvera des œuvres de Peter de Cupere, Julie C. Fortier et Boris Raux, mais aussi Helga Griffiths, Emma Febvre et Jérémie Topin, Francis Kurkdjian et Sophie Calle, Daniel Pescio, Antoine Renard, Hayoun Kim, Hicham Berrada, Ernesto Neto, Duy Anh Nhan Duc, Isa Barbier, Pierre et Gilles, Frédéric Pasquini, Ali Cherri, Jean-Pierre Bertrand, Sylvie Fleury, Andrea Branzi, Jean-Michel Othoniel, Martynka Wawrzyniak, Gilles Barbier, etc. Nez sera également présent à travers l’exposition des parfums issus de sa collection 1+1, accompagnés d’œuvres des artistes impliqués dans leur création.

Vue de « Respirer l’art » avec La Chasse (2022), Julie C. Fortier © Carlo Barbiero – Musée International de la Parfumerie, Grasse

Du 25 mai au 10 juillet à Vitry-sur-Seine, le français Jean-François Krebs, dont le travail performatif, visuel, tactile et olfactif s’articule autour des question de limite des corps, de la transformation en végétal et des rites de guérison, présente une installation au sein de « Cosmogonias », à la Galerie Municipale Jean Collet. Conçue comme un espace immersif, l’exposition allie les œuvres de trois artistes ayant en commun un goût pour les combinaisons du vivant et les mutations de la matière : Marie-Sarah Adenis, Valentin Ranger et Jean-François Krebs. Conçue par ce dernier, une sculpture-fontaine en ouraline – un verre contenant de l’uranium qui lui donne un éclat fluorescent – accueille les visiteurs avec un rituel de blessing olfactif à l’eau de rose, de verveine ou de jasmin, selon le moment de l’exposition. Composée de reproductions de fragments de corps humain, de plantes vivantes dans un système semi-hydroponique, d’extraits de plantes aromatiques, médicinales ou sacrées et d’eaux florales, son œuvre Réaction sombre distille quant à elle une puissante aura mêlant parfums de camphre, d’anis étoilé, de sauge, de jasmin et de vétiver. Présentée dans sa phase Réaction claire lors du 72e festival Jeune Création à Romainville, le titre de cette œuvre évolutive qui mêle l’humain et le végétal fait référence aux deux phases de la photosynthèse. Un week-end de performances olfactives viendra clôturer l’exposition.

Réaction sombre (2021-2022), Jean-François Krebs © Jean-François Krebs – Galerie Municipale Jean Collet, Vitry-sur-Seine

Enfin, en France toujours, le jardin botanique et exotique de Roscoff dans le Finistère accueillera du 26 mai au 17 juillet le projet graphique, olfactif et gustatif « ASAÉS » de la plasticienne Claire Xuân. Une sélection de matières premières – fleurs, fruits, herbes, algues et bois odoriférants – utilisées dans les arts culinaires et la parfumerie sera ainsi mise en images par l’artiste au gré d’une déambulation multi-sensorielle parmi les nombreuses espèces végétales du jardin.

Vue de « ASAÉS » de Claire Xuân © Claire Xuân – Jardin Botanique et Exotique, Roscoff

Direction l’Italie, où la Biennale de Venise qui se tient jusqu’au 27 novembre est aussi l’occasion de découvrir « Es-senze » organisée par le commissaire Pier Paolo Pancotto dans les salles de l’étage noble du Palazzo Mocenigo, qui accueille le musée du parfum et du textile de Venise. L’exposition rassemble le travail d’une dizaine d’artistes internationaux – Mircea Cantor, Mateusz Chorobski, Jason Dodge, Bruna Esposito, Eva Marisaldi, Florian Mermin, Giuseppe Penone, Paola Pivi, Namsal Siedlecki, Achraf Touloub, Nico Vascellari et Luca Vitone – qui puisent pour l’occasion leur inspiration dans l’univers des odeurs et du parfum. Les œuvres présentées sont pour certaines d’emblée odorantes, comme les bâtons d’encens du plasticien roumain Mircea Cantor qui se consument sur des socles conçus par l’artiste, tandis que d’autres ont été associées à des parfums créés pour l’occasion, en concertation avec les artistes, comme c’est le cas de la sculpture de mains en terre cuite du français Florian Mermin, nimbée d’un halo de rose, et tenant entre ses larges paumes un pot-pourri de fleurs séchées.

Vue de « Es-senze » avec Effleurement (2021), Florian Mermin © Claudio Franzini – Museo di Palazzo Mocenigo, Venise

Plus au nord, aux Pays-Bas, Claudia de Vos présente quant à elle quinze œuvres olfactives dans « Gurzicht, Sense of Nature » (jusqu’au 30 juin) au sein de différents espaces du Conference Center Drakenburg de la petite ville de Baarn. Photographies, collages, sculptures et tapisseries inspirés par les paysages sylvestres et le pouvoir thérapeutique de certaines essences naturelles exsudent, par divers moyens, des senteurs de mousse, de bois, de résines, de miel, d’herbe coupée, ou encore de champignon, qui invitent à respirer les images créées par l’artiste.

Moss Girl (2021), Claudia de Vos © Claudia de Vos – Conference Center Drakenburg, Baarn

C’est en Allemagne que s’achève notre tour d’Europe, avec « Sensing the Unseen » de l’artiste Helga Griffiths, qui non seulement prête son œuvre Migratory Sense au MIP de Grasse, mais présente également jusqu’au 14 août de nouvelles installations au Saarlandmuseum Moderne Galerie à Sarrebruck. Ses œuvres multimédias, qui relient de manière abstraite le corps humain avec son environnement, font ici référence à l’histoire minière de la région. L’artiste a notamment rapporté de la dernière mine de charbon active d’Allemagne, la mine Prosper Haniel à Bottrop, un échantillon d’air encapsulé dans une ampoule en verre, de la même manière que Marcel Duchamp avait capturé 50 centimètres cubes d’Air de Paris dans une ampoule pharmaceutique en 1919. Baptisée L’Air du Charbon, cette capsule temporelle, mémoire invisible d’un paysage et d’une économie façonnés par le charbon, a également donné lieu à une édition parfumée.

Vue de « Sensing the Unseen » de Helga Griffiths © VG Bild-Kunst, Bonn, 2022 © Photo : Andrew Griffiths – Saarlandmuseum Moderne Galerie, Sarrebruck

De l’autre côté du monde, en Nouvelle-Zélande, l’artiste Jo Burzynska, formée à la composition de parfums à l’Institute for Art and Olfaction en 2016, dévoile son Eau Tautahi au centre d’art de Christchurch dans le cadre de son exposition de sortie de résidence intitulée « What Might We Find When We Stop Looking ? », visible jusqu’au 29 mai. Dans une démarche de psycho-géographie sensorielle et de réappropriation de l’espace urbain inspirée par l’Internationale situationniste, l’artiste a cherché à cartographier la ville selon différentes zones sensorielles : tactiles, olfactives, gustatives et sonores. La fragrance créée pour l’occasion se compose de trois accords inspirés de trois aspects de la ville de Christchurch : un accord « urbain » évoquant la poussière, le goudron et le café ; un accord « rivière » rappelant le parfum frais, vert et aquatique de l’Ōtākaro qui coule à travers la ville et enfin un accord « jardin » imitant l’odeur de l’humus, des feuilles et du bois.

Portrait de Jo Burzynska – Botanical sofa © Jo Burzynska – The Arts Center, Christchurch

Aux États-Unis, tandis que s’achève début juin l’exposition de design olfactif « Living with Scents » au Museum of Craft and Design de San Francisco, l’Institute for Art and Olfaction de Los Angeles met en avant le travail pluri-disciplinaire de Joe Merrell dans « The Fragility of Complex Things » (jusqu’au 1er juin). Plusieurs vidéos, tirages photographiques et deux parfums créés depuis le début de la pandémie révèlent au public les effets intimes de la crise sanitaire et politique de ces deux dernières années.

Balsam Fir (2021), Joe Merrell © Joe Merrell – Institute for Art and Olfaction, Los Angeles

Projet de plus grande ampleur, « Once the Smoke Clears » de l’artiste Beatrice Glow occupera jusqu’au 2 octobre les espaces du Baltimore Museum of Art. Fruit de plusieurs années de recherche sur l’histoire socio-culturelle du tabac, l’exposition explore les réalités sociales et écologiques du commerce globalisé de cette plante originaire des Amériques. L’artiste y présente des aquarelles, des soieries imprimées et brodées, des objets modélisés en réalité virtuelle, d’autres imprimés en 3D et peints à la main, tous inspirés d’une culture visuelle occidentale imprégnée de colonialisme. Plusieurs expériences olfactives viennent compléter cette exposition multi-sensorielle qui donne à repenser la construction et la perception du monde que nous connaissons.

Vue de « Once the Smoke Clears » de Beatrice Glow – Baltimore Museum of Art © Photo : Mitro Hood

Enfin, à New York, ouvre le 3 juin l’exposition de M Dougherty « Your Dog Knows » à la galerie Olfactory Art Keller, que les visiteurs seront invités à découvrir avec leur chien, afin d’approcher le travail olfactif de l’artiste de manière désanthropocentrée !

Your Dog Knows (2022), M Dougherty © M Dougherty – Olfactory Art Keller, New York

Lire également sur Nez l’article Les œuvres à sentir cet été.

Visuel principal : Migratory Sense (2017), Helga Griffiths © Carlo Barbiero – Musée international de la parfumerie, Grasse

Avec le soutien de nos grands partenaires

IFRA