Le muguet des parfumeurs

Pour fêter ce premier mai, Nez vous fait une fleur et vous offre l’article sur les notes muguet publié dans Nez, la revue olfactive #08. Faute de pouvoir capter les composés odorants des blanches clochettes, les industriels poursuivent depuis plus de cent ans des recherches intensives pour en recréer le parfum.

Fleurettes rétives

Le muguet est apprécié depuis toujours pour son odeur fine, discrète et fraîche, évocatrice du printemps. Mais si la première a autrefois donné son parfum sous la forme d’une essence au prix exorbitant, le second reste totalement mutique. Aucun procédé d’extraction, même le plus délicat, ne réussit à capter ses effluves pour qu’un parfumeur puisse en faire usage. La technique du headspace permet toutefois de savoir quelles molécules entrent dans leur composition : la phénylacétaldéhyde oxime et le dihydrofarnésal sont les plus caractéristiques, même s’ils ne sont présents qu’à l’état d’infimes traces.  

À vos éprouvettes ! 

Des molécules synthétiques destinées à restituer la senteur unique, florale, légèrement verte et aqueuse du muguet sont donc élaborées dès les débuts de la parfumerie moderne. De nos jours, ces produits représentent 20% du marché des matières premières. Leurs facettes fraîches et propres expliquent leur importance dans les produits d’hygiène et d’entretien. 

La reconstitution d’un muguet réaliste est possible dès 1905 avec la commercialisation par Knoll & Co. de l’hydroxycitronellal, qui n’existe pas dans la nature. Hermann Knoll l’obtient par transformation du citronellal présent dans la citronnelle. Mais le produit est contaminé par des impuretés aux odeurs herbacées, mentholées et rosées ; une version plus pure est obtenue par Givaudan grâce au procédé de Laurier et vendue à partir de 1906 sous le nom de Laurine. Chuit, Naef & Cie, qui deviendra Firmenich, commercialise en 1908 une autre qualité d’hydroxycitronellal, la Cyclosia, enrichie en isomère le plus odorant. 

Hydroxycitronellal

Le chimiste Gustave Louis Blanc, déjà inventeur d’un procédé de synthèse de l’alcool phényléthylique, découvre en 1919 un aldéhyde à l’odeur proche du muguet, évoquant le cyclamen. Il le présente à son ami Léon Givaudan, qui le commercialise sous le nom d’Aldéhyde B (pour Blanc) en petite quantité au sein de bases. En 1929, la société Winthrop dépose un brevet pour la production de grands volumes de ce composé, ce qui fait baisser son prix et favorise son utilisation à des doses importantes, sous le nom d’aldéhyde cyclamen. 

Aldéhyde cyclamen

Marion Scott Carpenter, de la branche américaine Givaudan-Delawanna, obtient en 1946 un dérivé de l’aldéhyde cyclamen possédant un carbone supplémentaire. Il est cinq fois plus puissant que ce dernier, mais les parfumeurs de la maison mère, à Vernier, le jugent « sans intérêt olfactif appréciable » car il ressemble trop à son prédécesseur. Dix ans plus tard, avec l’attrait croissant pour des parfums plus puissants, Carpenter réussit à réveiller l’attention portée à sa molécule, qui est brevetée et produite à partir de 1956 sous le nom de Lilial. Sa performance et son faible coût rendent ce produit très populaire, entraînant une production énorme de 15000 tonnes par an. En plus de reconstituer l’odeur du muguet, cette famille de molécules est surtout indispensable pour donner du volume, de la substance et une fraîcheur florale incomparable en cœur d’un parfum, de façon peu coûteuse. Cet emploi dans toutes les catégories de la parfumerie a justifié les recherches incessantes des sociétés de matières premières qui ont découvert et commercialisé une trentaine de composés pour cette seule note muguet !  

Lilial

Précieux alcools 

En 1973, Firmenich lance un nouveau produit sous le nom de Mayol et brevette son procédé de fabrication, après avoir reconnu l’intérêt olfactif d’un vieux composé obtenu pour la première fois en 1939 par R.G. Cooke et A. Killen Macbeth, de l’université d’Adélaïde (Australie), lors de recherches sur les composés du cumin. Son nom est un hommage au chanteur de café-concert Félix Mayol, qui entrait en scène avec un brin de muguet à la boutonnière depuis son premier tour de chant parisien, le 1er mai 1895. Cette découverte est très importante, car c’est le premier composé qui sent le muguet sans avoir de fonction aldéhyde. Ce groupe d’atomes composé d’un carbone, d’un oxygène et d’un hydrogène se dégrade facilement dans des milieux oxydants ou basiques, comme les déodorants ou les détergents, ce qui en limite l’emploi. Plus stable dans ces conditions, le Mayol procure sans aucun problème un parfum de muguet à un produit ménager. 

Sur la sellette 

À la suite de réactions de sensibilisation de la peau, ces molécules sont très contrôlées. La quantité d’hydroxycitronellal est limitée dans les formules, le Lyral a été banni en 2011, et le Lilial va progressivement disparaître en vertu du principe de précaution. Ces restrictions ont poussé les sociétés à lancer d’importants projets de recherche pour trouver des produits de substitution. Par exemple, afin de remplacer olfactivement le Lilial et le Lyral, Firmenich a créé le concept Beyond Muguet, une étude qui a conduit à une série de mini-bases dont Beyond Hivernal et Beyond Lilyflore qui, avec sept molécules de la maison, reconstituent au plus près les profils olfactifs de ces molécules cruciales, utilisées dans près de la moitié des produits parfumés.  

Un aimant à spermatozoïdes 

En 2003, l’équipe du professeur de biologie cellulaire Hanns Hatt, de l’université allemande de Bochum, démontre que les gamètes mâles sont porteurs d’un récepteur, nom de code OR1D2, normalement présent dans l’épithélium olfactif et sensible aux molécules à senteur de muguet. La plus puissante d’entre elles, l’Isolilial ou Bourgeonal (inexistant dans la nature), oriente le mouvement des spermatozoïdes : ces derniers se dirigent vers elle ! De façon amusante, l’équipe a aussi montré que les aldéhydes du o 5 de Chanel bloquent cet effet attractif.  

Cinq muguets emblématiques de la parfumerie :

Crème Nivéa
1911
Elle a titillé nos narines dès l’enfance. Son parfum de rose citronnée est rafraîchi par le muguet, et la violette assortie de notes poudrées lui donne le cachet caractéristique des cosmétiques immémoriaux. Enfin, les muscs apportent une touche confortable avec leur odeur duveteuse.  

Diorissimo, Dior
Edmond Roudnitska, 1956
Un carré de clochettes blanches prend vie à travers l’écriture épurée d’Edmond Roudnitska. Le muguet est accompagné de notes vertes craquantes, d’une rose fraîche, d’un jasmin lumineux et d’ylang-ylang solaire, le fond moussu complète la promenade bucolique dans le jardin de Cabris.  
Lire notre critique de Diorissimo sur Auparfum

Anaïs Anaïs, Cacharel
Paul Léger, Raymond Chaillan, Robert Gonnon et Roger Pellegrino, 1978
Il y a quarante ans, le parfum des jeunes filles mêlait lys, muguet, chèvrefeuille et jasmin. Ce bouquet floral joue entre innocence et sensualité, sans masquer la facette animale logée au fond des corolles. Les notes boisées et des muscs pas si propres dessinent un sourire certes gracieux mais plus si chaste.  
Lire notre critique d’Anaïs Anaïs sur Auparfum

Miu Miu, Miu Miu
Daniela Andrier, 2015
Ce soliflore muguet modernisé débute avec une verdeur tempérée par une brume de muscs doux, de poire et de pêche. Les clochettes s’accompagnent d’un jasmin immaculé sur fond d’Akigalawood, pour un rendu d’une lumineuse abstraction, et s’étirent avec des notes d’ambre et de cèdre.  
Lire notre critique de Miu Miu sur Auparfum

Muguet porcelaine, Hermès
Jean-Claude Ellena, 2016
Dans les mots du parfumeur Jean-Claude Ellena : « L’odeur du muguet hésite entre rose et jasmin, cette hésitation fait son charme. L’accord se fait entre le rhodinol (rosé) et la Paradisone (jasmin), rarement utilisée et ici en grand aplat. Le froid, le mouillé, vient du cis-6- nonénol. »  
Lire notre critique de Muguet Porcelaine sur Auparfum

Et vous, quel est votre muguet préféré en parfumerie ?

Visuel principal : Le Muguet, Johanna Hanna Hellesen (1801 – 1844)

Commentaires

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Article tout simplement génial! Merci cher Olivier. Un « aimant à spermatozoïde » il faut donc que j’en abuse et pas seulement au mois de mai lol! Mon muguet favori Perle de mousse de Bertrand Duchaufour pour Ann Gerard. Mais le petit dernier de Dusita, Cavatina me plaît aussi beaucoup!

Article vraiment intéressant ! Mon parfum Muguet préféré du moment est Lily of the Valley, de Penhaligon’s

Moi j’ai adoré une eau de parfum de chez Gerlain lilia bella depuis les années 2005 impossible de le trouver
Il y à quantité de senteur d’eau aqua allégorie de Gerlain mais lilia bella à totalement disparu quel dommage il tenait bien et laissé une super odeur dans le sillage Question pourquoi l’ont-ils arrêté

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