Les finalistes du concours Sandalwood Reimagined de Quintis, section Emerging Talent

Partenariat éditorial

Après les portraits des cinq finalistes de la catégorie « Global Winner » du concours Sandalwood Reimagined organisé par Quintis, Nez vous dévoile ceux des participants sélectionnés pour la catégorie « Emerging Talent ».

La société productrice de santal Quintis lançait, en octobre dernier, son concours Sandalwood Reimagined, en collaboration avec l’American Society of Perfumers. Ouvert à tous, il visait à « libérer la créativité en ré-imaginant le santal indien “Santalum album” dans une fragrance pour célébrer l’art de la parfumerie et l’odeur oubliée d’un ancien ingrédient ». Les participants avaient jusqu’au 31 mars 2022 pour envoyer leur composition comprenant au moins 1% d’huile essentielle de santal blanc de la société, dans une eau de toilette à 12%, accompagnée de leur intention de création. Après réception d’environ 300 propositions venues des quatre coins du globe, un jury indépendant de parfumeurs a sélectionné les créations de dix participants, divisées en deux catégories : Global winner et Emerging talent. 

Après avoir présenté les portraits et inspirations des premiers, focus sur les finalistes de la seconde, regroupant cinq parfumeurs juniors ou étudiants. 

David Clément, Fragrance Oils, Royaume Uni

J’ai 27 ans et je viens de Genève, en Suisse. Depuis l’enfance, j’ai toujours été sensible aux odeurs. Je garde de puissants souvenirs olfactifs de différents lieux, souvent associés à une saison, au parfum que portent les gens, aux repas, même au linge de mes proches… Et, en dehors de la parfumerie, les passions qui me nourrissent sont la mixologie, le sport et le bricolage.
J’ai toujours su que je voulais travailler avec mes sens, mais je n’avais alors jamais entendu parler de tous les métiers derrière la production d’un produit parfumé. J’ai obtenu un baccalauréat en langues modernes, qui m’a permis d’étudier l’anglais, l’allemand et l’italien. Un nouveau chapitre a commencé pour moi en 2015, lorsque j’ai été admis à l’École Supérieure du Parfum à Paris. Je m’y suis spécialisé dans la création et le sourcing des matières premières. Mes cinq années d’études m’ont permis d’acquérir des compétences et des connaissances sur l’industrie du parfum et les cours et stages ont confirmé mon attrait pour l’aspect créatif. Diplômé en décembre 2020, j’ai travaillé en tant que technicien de laboratoire chez Firmenich avant de rejoindre le laboratoire technique et application de Fragrance Oils en octobre 2021. C’est une chance, car j’ai ainsi pu être directement confronté aux problèmes que peuvent poser les matières premières dans le produit fini. Mon entreprise m’a soutenu et m’a également permis d’utiliser son laboratoire de création pour construire ma réflexion. J’ai encore de nombreuses choses à apprendre de l’industrie du parfum et j’espère que cet enrichissement me permettra un jour d’accéder à une école interne afin de devenir parfumeur.

Inspiration
S’il était vieilli en fût de bois de santal plutôt qu’en fût de chêne, quel serait le goût du champagne ? De la fermentation à l’ouverture de la bouteille en passant par la maturation en fût, j’ai cherché à capturer l’évolution de son parfum, afin de vous permettre de remonter le temps et de revivre chaque instant de la vie d’un champagne alors qu’il traverse les différentes étapes de son vieillissement en fût de santal.

Description du parfum
Pour évoquer le champagne, j’ai créé un accord vivifiant où l’iris poudré est mis en lumière par des notes de pêche et de prune, tandis qu’une cardamome mordante, mêlée au pamplemousse et aux aldéhydes, offre une ouverture pétillante. Musc sensuel et vanille texturent le bois de santal, chaud et dominant, aux notes complexes, crémeuses, fumées et évoquant la noisette.

Fanny Ginolin, Takasago, France

J’ai toujours été sensible aux parfums, qui constituent pour moi des points de repères, des souvenirs et des jalons identitaires; ils me permettent de m’exprimer, de transmettre des émotions et de raconter des histoires de manière tacite. J’ai très vite orienté mes études pour en faire mon métier. Mon master en chimie spécialisé en parfumerie (Master ARPAC du Havre) m’a permis de comprendre les interactions à l’œuvre dans les compositions et d’intégrer toutes les notions importantes pour en avoir une vision globale.  
J’ai pu confronter mon travail et ma créativité à un jury de professionnels lors de l’édition 2019 du concours CORPO 35 parrainé par Firmenich, où j’ai obtenu la seconde position. Ce projet m’a donné envie de créer davantage et de poursuivre dans cette voie. Pour développer mes connaissances et compétences olfactives en ce sens, j’ai intégré la formation intensive du Grasse Institute of Perfumery (GIP) en 2020. Actuellement assistante parfumeuse au laboratoire d’échantillons de Takasago, je continue à composer des accords et des formules à mon compte tout en cherchant un poste de stagiaire parfumeur.
Mes inspirations proviennent de sources diverses telles que les mots, les souvenirs, la nature, les dualités ou les oppositions. Je suis également passionnée par la décoration et l’histoire, qui nourrissent mon quotidien. 

Inspiration
Laissons le bois de santal nous raconter son odyssée entre l’Inde et l’Australie : « Mon aventure commence au milieu des épices symboliques de l’Inde, accompagné d’une figue fruitée, crémeuse et verte. Je poursuis mon périple sur les terres du pays, me rapprochant peu à peu de l’océan. J’embarque sur un bateau vers l’inconnu, les découvertes et l’immensité. Frôlé, caressé par l’écume de la mer, je continue mon voyage vers ma nouvelle vie, portant en moi les souvenirs épicés de ma patrie. Santal chaud, crémeux et épicé, j’atteins la terre brûlante, sèche et boisée de l’Australie ». C’est ce récit contant l’implantation du bois de santal indien en Australie qui a nourri mon inspiration.

Description du parfum
Chaque accord symbolise une étape précise de l’histoire. L’accord épicé évoque un étal indien chargé de cumin, de cardamome, de gingembre, de coriandre, de poivre noir et de rose, mêlant leurs couleurs et leurs textures. Des notes fruitées de figue entrelacent les facettes laiteuses et crémeuses du bois de santal, établissent le lien entre notes de tête et notes de fond et confèrent de la rondeur au parfum. La facette marine et iodée représente quant à elle la séparation entre deux pays. L’accord santal apporte de la puissance et permet à l’essence de santal naturel d’être au cœur de cette fragrance. Enfin, un accord plus croquant en fond met en avant la force au santal et se marie aux facettes sèches et boisées du cèdre et du vétiver.

Cédric Gras, Sozio, France

Le monde des parfums est une passion pour moi depuis toujours. En grandissant, j’ai eu la chance de voyager à travers le monde, ce qui m’a permis de découvrir des cultures et des odeurs variées dès mon plus jeune âge. Les fragrances ont cette capacité de vous faire découvrir d’autres lieux et d’autres époques, sans faire un seul pas.
Je termine actuellement mon master en création et gestion de l’industrie du parfum à l’Ecole Supérieure du Parfum à Paris. En complément de mes études, j’ai eu la chance d’effectuer cinq stages, dont deux chez IFF à Paris. J’effectue actuellement un second stage chez Sozio, à Grasse, en tant que parfumeur analyste, qui marquera la fin de mes études. J’ai hâte de commencer une carrière à temps plein pour continuer à cultiver ma passion en créant des compositions avec de beaux ingrédients inspirants.

Inspiration
Ce sont les racines du bois de santal qui ont été le fil conducteur de ma création. Celles de l’arbre sont représentées par une note terreuse, mariée à un ensemble de matières premières asiatiques, comme le poivre de Timur, le vétiver de Java et le patchouli, qui rendent hommage à ses racines asiatiques historiques. Avec l’absolu de mimosa d’Australie, la composition se tourne vers la  terre d’accueil du santal, où se construit son avenir. 

Description du parfum
Poivre de Timur, de Sichuan et d’Inde ouvrent la création par une note hespéridée et métallique qui entre en résonance avec le bois de santal. La cardamome prolonge l’aspect épicé et révèle une note solaire construite autour de l’ylang-ylang. Le voyage se termine sur une note de santal chaude et terreuse, apportée par le cashmeran et des matières premières fumées.

Miro Senjak, Luzi & Brani, Suisse

Enfant, je passais tous mes étés avec ma famille au bord de la mer adriatique en Croatie : le parfum des forêts de pins, de la lavande et de la sauge mêlé à la terre chaude et à une brise salée s’est gravé dans ma mémoire olfactive. J’ai fait des études d’ingénieur et mon premier emploi m’a conduit à développer des flacons chez le fabricant Mäurer & Wirtz. Une formation olfactive m’a donné l’occasion de sentir des essences de pin, de lavande et un accord évoquant la brise marine. Leur capacité à évoquer des souvenirs m’a fasciné et j’ai décidé d’apprendre l’art de la parfumerie. Chez Drom Fragrances (aujourd’hui Givaudan), j’ai débuté en marketing puis, après quelque temps, j’ai eu la chance d’être formé à la création par le parfumeur Maarten Schoute. J’aime travailler une composition pendant des mois et la faire porter à de nombreuses personnes. J’ai ainsi commencé à créer en tant que parfumeur indépendant sous la marque Brani fragrances (mon deuxième nom étant Branimir) avec mon propre laboratoire.
Aujourd’hui, je travaille à la fois en marketing pour Luzi à Zurich et en création en tant qu’indépendant. À l’avenir, j’aimerais continuer à collaborer avec des marques qui me passionnent et réinterpréter la notion de sensualité avec créativité et inspiration – loin des habitudes actuelles où chaque parfum passe par tant de tests que tous finissent par avoir la même odeur.

Inspiration
Pour cette création, j’ai choisi d’interpréter les facettes boisées, terreuses et fumées du santal indien avec une approche contemporaine. Outre les 7% d’essence de cette matière première dans la composition globale, j’ai apporté un aspect élégant, boisée et fumée grâce à la feuille de thé noir, au safran et au labdanum.

Description du parfum 
À l’ouverture, un absolu de feuille de thé noir, aux notes herbacées et fumées, est contrasté par la pétillance de la bergamote de Toscane. Le cœur mêle safran cuiré, labdanum évoquant l’encens et de rose turque sensuelle pour amplifier l’élégance mystérieuse de la création. Un fond exclusif de bois de santal indien précieux, de patchouli terreux et d’ambre boisé confère de la puissance à l’ensemble et lui apporte un twist contemporain.

Solène Bourquin, Firmenich, France

J’ai découvert le monde du parfum à l’âge de 11 ans, en vacances à Grasse. Après avoir visité une usine de fabrication de fragrances, j’ai su que je voulais travailler dans l’industrie. J’ai par la suite obtenu une licence de chimie dans une université parisienne, puis j’ai intégré le master de l’ISIPCA à Versailles. J’ai fait mon stage dans le laboratoire d’innovation de Firmenich Paris. Deux ans pendant lesquels mon rôle était de tester de nouvelles technologies pour la parfumerie, dans un environnement épanouissant. Depuis mars 2021, je travaille au sein du laboratoire d’application de Firmenich à Paris. Nous vérifions la stabilité de toutes les compositions avant leur lancement sur le marché.
Je suis passionnée par les voyages. Je me suis récemment rendue en Inde et au Guatemala pour voir, toucher et sentir les ingrédients directement sur leur zone de production. Je souhaite devenir parfumeur pour raconter une histoire avec mes créations.

Inspiration
Ma source d’inspiration a été la pureté du santal. C’est un bois particulier, à la fois doux et intense, crémeux et propre. Puisque nous ré-imaginons le santal, j’ai souhaité partir d’une page blanche, afin d’en proposer une histoire neuve, inédite. J’ai créé un parfum avec des matières premières qui me permettent d’imaginer un univers immaculé.

Description du parfum
Le mariage des notes d’agrumes et de la fleur d’oranger nous plonge dans un univers ensoleillé, plein de luminosité et de liberté. Puis le bois de santal accompagné de notes musquées nous invitent à voyager à travers une parfumerie ré-imaginée. 

Smell Talks : Érika Wicky – La parfumerie poudrée, un classique de la création

Également disponible sur : Spotify, Deezer, Apple Podcasts, Amazon Music, Youtube

A l’automne 2021, Nez et Bibliocité ont proposé au public un cycle de rencontres dans les bibliothèques de la ville de Paris… 

Aujourd’hui, nous sommes à la bibliothèque Forney, dans le 4e arrondissement de Paris, pour écouter Érika Wicky, docteure en Histoire de l’art et chercheuse à l’European University Institute.
La spécialiste de l’histoire olfactive de la peinture, membre du Comité scientifique de l’Osmothèque, explore dans son intervention La Parfumerie poudrée, un classique de la création.

La peinture par le bout du nez

Cet été, plusieurs initiatives européennes permettent de (re)découvrir des œuvres picturales à travers notre odorat. Leurs démarches et les dispositifs employés sont ici mis en perspective afin de mieux comprendre les enjeux et intérêts de ces nouvelles médiations olfactives.

Le musée est traditionnellement un espace-temps en marge de la réalité, avec son ethos, ses rituels sacralisants – ne toucher qu’avec les yeux, parler bas, ne pas manger, ne pas courir – et ses codes de restrictions sensorielles. Visites et dispositifs olfactifs temporaires ou permanents permettant aux visiteurs de découvrir diverses odeurs au sein des expositions d’art se multiplient pourtant dans les musées depuis une quinzaine d’années. L’odorat devient ainsi tantôt maître, tantôt sujet du regard.

En France, nous connaissons par exemple les visites parfumées des grands musées parisiens et nantais organisées notamment par Essences & Art (Catherine Werber et Sylvie Jourdet) ou encore par ln The Ere, duo composé de l’historienne d’arts Carole Couturier et de l’experte parfums Constance Deroubaix que l’on retrouve dans chaque numéro de Nez avec la rubrique « Des effluves et une œuvre ». Ce type de médiations guidées permet d’établir une relation différente avec les œuvres, en proposant des senteurs en lien avec les éléments figuratifs d’un tableau par exemple, mais aussi avec le contexte historique, voire même avec l’histoire de la parfumerie. Il ne s’agit donc pas seulement d’une manière d’expliquer les œuvres, mais de les interpréter, de les contextualiser de manière non-visuelle, de produire de nouveaux savoirs mais aussi de nouvelles sensations et émotions à partir d’elles. 

Suite à ce type de visite sollicitant les deux hémisphères du cerveau, les visiteurs ont souvent rapporté avoir apprécié cette manière sensible d’entrer dans les œuvres permettant une compréhension incarnée des objets, une émotion plus vive, et finalement une mémorisation accrue de celles-ci. Dans une société où l’on a soif d’expériences, et alors que le regard détient encore une primauté dans l’espace du musée, l’olfaction offre une approche corporelle riche et totalisante. L’expérience artistique, esthétique et muséale en sont renouvelées, et l’engagement renforcé, comme le montrent les contributeurs de l’ouvrage collectif Les Dispositifs olfactifs au musée, publié par les éditions Nez en 2018, sous la direction de Mathilde Castel.

L’approche olfactive des beaux-arts n’est donc pas nouvelle et ce genre de visites est ponctuellement organisé dans divers musées, à l’initiative de leurs équipes internes ou de prestataires et conférenciers extérieurs. Cet été quatre projets européens s’attachent, chacun à leur manière, à associer odeurs et œuvres picturales, afin d’ajouter une dimension invisible à cet art du regard qu’est la peinture.

L’historienne de l’art et membre d’odeuropa Lizzie Marx en train de sentir lea composition pomander qui accomapgne le portrait de Eitel Besserer par Martin Schaffner (1516) au Museum Ulm, Allemagne © Odeuropa

Le consortium Odeuropa, dont l’objectif principal est de constituer une base de données des odeurs historiquement significatives en Europe entre le XVIe et le début du XXe siècle, organise depuis le mois d’avril et jusqu’au 28 août des visites guidées odorantes intitulées « Follow Your Nose. A Guided Tour with Smell » au Museum Ulm en Allemagne. Ce musée d’histoire de l’art détient entre ses murs une collection éclectique, allant de la préhistoire jusqu’au XXe siècle, et notamment un ensemble exceptionnel de peintures et sculptures médiévales. 

En partenariat avec IFF, et sous la direction de Bernardo Fleming, les équipes d’Odeuropa ont composé dix senteurs à partir de l’analyse de huit tableaux de la collection permanente. Inger Leemans, responsable du projet, souligne l’importance de « développer un « regard olfactif » pour « voir » les odeurs dans les œuvres d’art » afin de « faire l’expérience du patrimoine avec des sens autres que la vision ». Les œuvres picturales constituent d’ailleurs l’une des sources de recherche du projet, une intelligence artificielle ayant été entraînée à identifier les objets odorants au sein de représentations visuelles. Les œuvres sélectionnées parmi les collections du musée d’Ulm l’ont ainsi été parce que chacune représente un ou plusieurs éléments odorants : des jardins fleuris (Jonas Arnold), un pomander ciselé (Martin Schaffner), des gants parfumés (Andreas Schuch), la myrrhe et l’encens offerts au Christ par les mages (Jörg Stocker), un nuage de fumée montant des enfers (Martin Schaffner), ou une table couverte de mets moisissants (Daniel Spoerri).

Ces premières visites olfactives marquent une étape importante dans le projet Odeuropa dont l’un des objectifs est de mettre en scène des odeurs historiques reconstituées au sein de musées et de sites historiques afin de permettre aux visiteurs de se connecter physiquement au passé de notre continent. L’idée est donc autant de permettre un regard nouveau sur les œuvres que de passer par celles-ci pour plonger dans l’histoire. « Il ne faudrait pas que ces outils de médiation viennent masquer un manque de fond, qu’ils ne soient qu’illustration ou deviennent des outils marketing [1]Christine Saillard, « Sentir pour ressentir, la médiation olfactive au service des œuvres d’art… », Dialogue avec Muriel Molinier, publié sur Com’en Histoire, 2017. … Continue reading » insistait en 2017 Christine Saillard, alors responsable du service des publics des musées de Grasse et familière des pratiques de médiation par les odeurs. C’est ici loin d’être le cas : ni purement illustratives, ni accessoires, les senteurs deviennent à la fois patrimoniales et vectrices d’expériences, ouvrant une voie d’entrée sensorielle dans le passé de nos cultures européennes. 

« L’utilisation d’odeurs liées aux récits présents dans les peintures offre de nouvelles perspectives au public et aide à comprendre le contexte dans lequel les œuvres d’art ont été créées » explique Eva Leistenschneider, directrice adjointe du Museum Ulm. Cela est particulièrement parlant dans le cas du portrait du conseiller municipal d’Ulm, Eitel Besserer, peint en 1516 par Martin Schaffner. L’homme tient en effet dans ses mains un chapelet en bois orné d’un pomander en argent ciselé, sorte de bijou perforé contenant divers aromates. Ce type d’objet était alors porté par les classes aisées afin de se protéger des miasmes que l’on croyait responsables des maladies. Mais le parfum du pomander peut également prendre une signification religieuse : le portrait suggère qu’Eitel Besserer se prépare à la prière ; réchauffé entre ses mains, le pomander l’enveloppera d’une atmosphère parfumée, l’isolant du reste du monde. 

La recréation du parfum de ce bijou caractéristique, de même que celle des gants parfumés que tient Helena Schermar dans le portrait peint par Andreas Schuch en 1630, a été effectuée à partir de formules trouvées par l’historienne de l’art Lizzie Marx au sein de manuels ménagers et de traités médicaux des XVIe et XVIIe siècles. Le parfum contient ainsi de la noix de muscade, des clous de girofle, du romarin, de la cannelle, de la rose, de l’ambre gris et de la civette, des ingrédients pour certains très coûteux à l’époque, car importés de l’autre bout du monde. Aujourd’hui, il est proposé aux visiteurs de le sentir grâce à de petits tubes en plastique contenant une éponge métallique qui absorbe l’huile de parfum pure. Lorsque l’utilisateur appuie sur la pompe, l’air parfumé s’échappe, prêt à être inhalé. Chaque participant reçoit le sien devant le tableau présenté par le guide, puis le rend à ce dernier. Contrairement aux mouillettes, ce dispositif est réutilisable et permet une diffusion sèche tout en évitant que les parfums, enfermés dans le tube, ne contaminent l’atmosphère.

Sofia Ehrich sentant le parfum de Victory Boogie Woogie, Kunsthalle La Haye, © Maximilian Ehrich

La redécouverte sensible de l’histoire par l’intermédiaire d’œuvres visuelles des siècles passés n’est cependant pas la seule démarche mise en œuvre par Odeuropa au Museum Ulm. L’une des œuvres choisies, Orange blue (1964-1965) d’Ellsworth Kelly, est en effet une peinture abstraite, invitant à une création plus libre, basée sur la couleur et la synesthésie. En effet, ce type d’œuvres ne peut nous informer ni sur le paysage odorant ni sur la symbolique olfactive du passé, et son interprétation en senteurs ne peut être qu’un exercice d’associations intellectualisées. Ici, les parfumeurs ont cherché à suggérer les couleurs vives du tableau grâce à des matières premières telles que les agrumes et la fleur d’oranger pour le orange, et des notes marines pour le bleu. « Les parfumeurs ont pris en compte la proportion d’orange et de bleu dans le tableau lors de la création du parfum » explique Sofia Ehrich du projet Odeuropa, avant d’ajouter : « Ce qui est intéressant, c’est quand j’ai demandé aux gens qui sentaient ce parfum à l’aveugle quelles couleurs ils visualisaient, j’ai obtenu comme réponses “orange”, “bleu”, “ambre”, mais aussi “la mer” ou “un coucher de soleil”. » 

Les initiatives artistiques et para-artistiques qui mêlent le visuel et l’olfactif font ainsi couramment appel à ce type d’associations dites « synesthésiques ». Du grec syn – qui signifie union – et æsthesis – qui désigne la faculté de percevoir des sensations –, la synesthésie est avant tout un phénomène neurologique par lequel plusieurs modalités sensorielles se combinent de manière spontanée. Il peut s’agir de l’association des graphèmes et des couleurs, mais aussi des sons et des odeurs, des odeurs et des formes, etc. Le terme est cependant couramment utilisé pour décrire des correspondances volontairement établies entre plusieurs sens dans la création littéraire, musicale ou plastique. Associer le parfum des agrumes à la couleur orange n’est ainsi qu’une association d’idées, que l’on nomme parfois « synesthésie artificielle » et non une réelle synesthésie qui, elle, est involontaire et propre à chaque synesthète. 

Les rapprochements entre les sens que font les non-synesthètes résultent souvent d’un apprentissage associatif, c’est-à-dire qu’ils se fondent sur l’aspect visuel de l’objet ou de la source odorante à laquelle une odeur est attachée dans notre imaginaire. Ces représentations mentales sont donc en grande partie culturelles : aux Philippines par exemple, le mauve sera associé au parfum du ube, un igname violet, plutôt qu’à celui de la violette comme ce serait communément le cas en France. D’autres peuvent cependant être plus que de simples associations d’idées, mais bien de véritables correspondances transmodales partagées par un grand nombre d’individus et que les chercheurs tentent de modéliser et de comprendre depuis plusieurs années. Le professeur en psychologie expérimentale Charles Spence, notamment, s’est attelé à comprendre l’association des odeurs à certaines formes, et défend la théorie selon laquelle ces correspondances seraient déterminées par des structures neurologiques.

Synesthésies, associations transmodales ou associatives sont en tout cas autant de pistes envisagées lorsqu’il s’agit de traduire en odeurs une œuvre picturale abstraite. Au Kunstmuseum de La Haye, aux Pays-Bas, l’historienne de l’art Caro Verbeek, conservatrice du département Mondrian & De Stijl du musée, est ainsi à l’origine d’un projet d’interprétation olfactive d’une œuvre de Piet Mondrian, à l’occasion de l’exposition « Mondrian Moves » organisée pour célébrer le centenaire du peintre néerlandais.

Mondrian est, avec des artistes comme Georgiana Houghton, Hilma af Klint, Vassily Kandinsky et Kasimir Malevitch, considéré comme l’un des premiers peintres abstraits. Sa toute dernière œuvre, Victory Boogie Woogie, sur laquelle l’artiste travailla de 1942 à 1944, année de sa mort, a été choisie pour être associée à un parfum créé par les parfumeurs d’IFF Birgit Sijbrands, Anh Ngo et Bernardo Fleming. Pourquoi cette œuvre ? « Parce que Victory Boogie Woogie est déjà une œuvre synesthésique en elle-même » explique la commissaire. « Elle représente la musique et la danse, le rythme, l’optimisme et l’énergie du boogie woogie, que Mondrian avait découvert à New York en 1940 ». Ainsi, puisque l’œuvre est déjà l’interprétation visuelle d’une forme musicale par le biais de lignes, de formes et de couleurs, pourquoi ne serait-elle pas traductible à son tour en assemblages de molécules odorantes ? « Ce sont différentes modalités pour traduire la même énergie » soutient Caro Verbeek. Les parfumeurs se sont ainsi plongés dans leurs archives, afin d’y dénicher divers travaux de recherche menés par le passé sur les correspondances odeurs/couleurs, afin d’interpréter chacune des teintes présentes sur le tableau : bleu foncé, bleu clair, blanc, gris, jaune et rouge. Ce dernier est suggéré par des notes de rose ou de géranium, exemple typique d’un apprentissage associatif puisque ces deux fleurs sont bien souvent de couleur rouge. « Quand ils m’ont fait sentir le parfum pour la première fois je trouvais qu’il y avait trop de notes de fond » explique Caro Verbeek. « Ils se sont donc concentrés sur les notes de tête afin de rendre la composition plus vibrante, plus rythmique, à l’image de l’œuvre avec tous ces angles, toutes ces parcelles de couleurs carrées ».

Bien que l’on considère aujourd’hui que Mondrian – contrairement à Kandinsky – n’était pas un véritable synesthète, il a pourtant expérimenté la congruence entre musique et image dans de nombreuses œuvres qui témoignent de l’influence de la neurologie, de la psychiatrie et de la psychologie expérimentale qui, dès la fin du XIXe siècle, mènent à une psychologisation et une spiritualisation de l’œuvre d’art. Les premiers tenants de l’abstraction, dont Mondrian fait partie, sont pour beaucoup redevables de ce phénomène, étudiant par exemple l’influence des couleurs, des formes et des angles sur la psyché et les émotions, ou la manière dont leur harmonie, leur confrontation ou leurs fréquences vibratoires peuvent évoquer des perceptions non-visuelles. Dans l’exposition, le parfum est présenté à l’écart de l’œuvre elle-même, à côté de la vitrine consacrée à la relation de Mondrian avec la synesthésie. Mais lors des visites guidées, le parfum peut être senti devant la toile, et alors « beaucoup de gens m’ont dit que l’œuvre semblait plus dynamique, qu’elle se mettait à bouger. Ce qui est exactement ce que Mondrian voulait transmettre avec cette œuvre » rapporte Caro Verbeek.

Piet Mondrian, Victory Boogie Woogie, 1942-1944

Toutefois, l’interprétation olfactive de Victory Boogie Woogie ne se contente pas de ces traductions  de rythmes et de couleurs mais reprend également, comme base, le parfum du studio new yorkais de l’artiste, où l’œuvre fut réalisée. Le musée de La Haye présente en effet trois autres compositions, inspirées par les ateliers successifs de l’artiste à Amsterdam, Paris puis New York. « L’idée est de plonger dans le contexte de création des œuvres et par là-même de sentir l’évolution de son style artistique ». Ses habitudes, ses objets personnels et les matériaux utilisés ont permis aux parfumeurs de reproduire trois ambiances olfactives pour plonger les visiteurs au cœur même de ces lieux de création, reproduits pour l’occasion sous forme de maquettes. « À New York, on pouvait sentir les émanations de la térébenthine, des meubles en bois, des oranges qu’il consommait alors en grandes quantités, et de la colle des bandes adhésives dont il se servait pour délimiter ses zones de couleurs » explique encore Caro Verbeek.

Assez similaire dans son fonctionnement aux petites pompes distribuées au musée d’Ulm, les dispositifs odorants mis en place à La Haye se composent d’un erlenmeyer, une fiole conique largement utilisée en verrerie de laboratoire, surplombé d’une poire et d’un bouchon en liège traversé par une paille courbée. À l’intérieur de la fiole, l’air agité par les pressions sur la poire fait remonter les molécules odorantes du concentré de parfum placé au fond, permettant de humer l’air parfumé à la sortie de la paille.

Kit olfactif créé par Frank Bloem pour le Fries Museum. Courtesy de l’artiste.

Toujours aux Pays-Bas, cette fois-ci au Fries Museum de Leuvarde, une autre exposition donne certaines de ses œuvres à sentir, dans une perspective plus illustrative. L’artiste et parfumeur Frank Bloem, fondateur de The Snifferoo, propose une visite guidée accompagnée par l’interprétation parfumée de cinq toiles de l’exposition « à la campagne ! From Maris to Monet » qui rassemble des paysages impressionnistes français et néerlandais issus des collections du musée Boijmans Van Beuningen de Rotterdam. Le sujet semble pouvoir se prêter aisément à des illustrations olfactives. En effet, les impressionnistes peignaient en extérieur, dans l’objectif de saisir l’instant sur le vif, de capturer la lumière et ses variations, de rendre les couleurs dans leur multitude et leurs infimes subtilités : sans doute n’auraient-ils pas vu d’un mauvais œil – ou senti d’un mauvais nez – l’idée de capturer également les impressions provoquées par les odeurs changeantes émanant des paysages où ils posaient leur chevalet.

La visite olfactive de « à la campagne ! » débute à l’extérieur de l’exposition où Frank Bloem introduit son discours en décrivant le paysage olfactif urbain de la fin du XIXe siècle grâce à un premier parfum évoquant les effluves de goudron et de fumée produits par les industries naissantes et les poêles de chauffage. « Cette asphyxie est l’une des raisons pour lesquelles les peintres ont quitté les villes et se sont mis à peindre à la campagne » explique le guide. Bien sûr, c’est aussi l’invention en 1841 par John Goff Rand des tubes de peinture qui leur permit de quitter leurs ateliers confinés, mais cette mise en situation olfactive historique permet de justifier en partie la démarche de la visite puisque, d’emblée, les odeurs ne sont pas de simples accessoires mais se rapportent à un contexte précis de création qu’elles rendent perceptible. Chaque parfum est appliqué sur une mouillette numérotée collée sur une carte portant la reproduction d’une des œuvres de l’exposition. Ce dispositif simple, qui a pour avantages d’être peu coûteux, de n’être pas visuellement distrayant et de pouvoir être emporté à l’issue de la visite, a cependant un inconvénient, celui de ne pas séparer efficacement les odeurs qui tendent donc à se superposer. 

Plus loin, dans la salle dédiée aux toiles réalisées dans la forêt de Fontainebleau, la deuxième composition est donnée à sentir face au Paysage boisé (1855) de Constant Troyon, peintre de l’Ecole de Barbizon. La toile représente la forêt avec un empilement d’arbres abattus au premier plan et quelques vaches à l’arrière-plan. Le parfum qui lui est associé, mêlant mousse de chêne, notes boisées et une évocation d’humus, illustre l’image de manière assez littérale, mais permet surtout de créer un contraste avec l’odeur précédente. Voilà, comprend-ton, ce que cherchaient les peintres en quittant les cités enfumées : une reconnexion sensible avec la nature et les paysages.

Dans les salles suivantes, ce sont encore des illustrations olfactives figuratives et réalistes. Pour accompagner les marines et les représentations, nombreuses, de la côte atlantique, le parfumeur propose « une sensation de bord de mer un peu ensoleillée », composée de sulfure de diméthyle (composé organosulfuré abondant dans l’eau de mer), de notes d’algues et d’un accord floral estival. Pour les peintures néerlandaises de polders hollandais, où souvent paissent des bovins, c’est « une teinture de fumier de vache biologique séché » qui « donne une odeur beaucoup plus agréable que ce à quoi l’on s’attend ». Enfin, un parfum d’herbe et de fleurs illustre simplement les représentations de jardins. « J’ai été surpris de voir à quel point cela fonctionnait » rapporte Frank Bloem. « Je m’attendais à ce que ce soit un élément amusant, illustratif, mais cela s’est avéré être plus. Tout d’abord, cela permet de mieux se concentrer. Vous devenez plus intéressé et regardez mieux les œuvres […] et cela fonctionne très bien comme amorce de conversation pour le groupe. »

La dernière salle de l’exposition, consacrée à la transition de l’impressionnisme vers l’abstraction, explore notamment la manière dont les peintres ont cessé de mélanger leurs couleurs sur la palette pour les appliquer par petites touches brutes de sorte que l’œil du spectateur les mélange par juxtaposition. En réponse à cette illustration des théories des couleurs qui ont influencé radicalement la peinture post-impressionniste, Frank Bloem a choisi de proposer trois matières premières pures, supposées traduire des couleurs : le patchouli pour le violet foncé – couleur des ses fleurs –, la coumarine pour le jaune – certainement à cause de son parfum de foin – et la Floralozone, note ozonique, marine et anisée, pour les tons gris bleus : « J’ai choisi un naturel, un synthétique identique-nature et un autre qui n’est pas présent dans la nature. Les gens sont envoyés dans la salle avec les trois odeurs pour découvrir par eux-mêmes comment le regard change selon ce que vous sentez ». L’expérience n’est donc pas tout à fait celle d’une traduction synesthésique mais un exercice plus libre, s’éloignant de l’illustration simple.

En Espagne enfin, c’est au Prado de Madrid que l’on peut, jusqu’au 3 juillet, sentir une œuvre flamande majeure du XVIIe siècle, L’Allégorie de l’odorat, l’un des cinq tableaux du cycle intitulé Allégories des cinq sens, peint par Jan Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens entre 1617 et 1618 à Anvers. L’œuvre en elle-même est une célébration visuelle des effluves de la nature et de la manière dont les hommes les ont exploitées pour sublimer les perceptions offertes par le sens olfactif. 

C’est en se concentrant sur dix détails de la toile que le parfumeur Gregorio Sola a proposé des matières et composé des parfums pour cette exposition intitulée « The Essence of a Painting » (L’Essence d’un tableau), en collaboration avec Puig et la Perfume Academy Foundation. Dans le musée, une reproduction du tableau sur écran tactile permet d’en toucher dix détails et d’activer ainsi la diffusion de chaque parfum grâce au dispositif AirParfum développé par le groupe catalan Puig. Une interface plus technologique que les précédentes, qui ne permet cependant pas simultanément l’olfaction et la contemplation de l’œuvre elle-même. 

Pierre Paul Rubens et Jan Brueghel l’Ancien, Allégorie de l’odorat, 1617-1618. © Museo Nacional del Prado

Les dix senteurs créées pour l’occasion – Allégorie, Gants parfumés, Civette, Nard, Figuier, Fleur d’oranger, Jasmin, Rose et Narcisse – sont en majeure partie inspirées des fleurs qui envahissent une large portion de l’œuvre. Le parfum Allégorie transpose ainsi les émanations du petit bouquet de roses, de jasmin et d’œillets que la figure allégorique porte à son nez. Mais les fleurs représentées sur la toile sont encore bien plus nombreuses. Iris, narcisses, roses, œillets mais aussi tulipes, perce-neiges, violettes, boutons-d’or, pensées, ancolies, hortensia, jasmin, yucca, plus de 80 espèces sont identifiables sur la toile, toutes n’étant d’ailleurs pas odorantes et ne fleurissant pas aux mêmes moment de l’année. 

Certains des parfums offerts aux visiteurs permettent d’attirer l’attention sur des détails peu visibles, comme le figuier qui se mêle aux fleurs d’hortensia, et dont Gregoria Sola a reproduit les inflexions vertes et lactées. C’est aussi l’occasion pour le commissaire Alejandro Vergara de fournir des informations sur la place et l’usage de certaines plantes au XVIIe siècle. Le parfum du néroli, popularisé à la fin du siècle en Italie par Marie-Anne de La Trémoille, princesse de Nerola, invite à baisser les yeux vers le rameau de fleur d’oranger qui gît aux pieds des deux figures allégoriques exécutées par Rubens, mais souligne aussi la grande valeur de cette plante en Europe de Nord du vivant des peintres. D’autres ingrédients comme l’absolue de jasmin, la rose et la racine d’iris, se font prétexte à de brefs éclaircissements concernant les techniques d’extraction et leurs usages en parfumerie au cours de l’histoire, attirant l’attention sur le petit laboratoire rempli de fioles et d’alambics, presque dissimulé derrière les fleurs du tableau.

Mais les senteurs les plus intéressantes sont plutôt celles qui racontent autre chose que ce que l’œil peut immédiatement déceler. Le parfum intitulé Gants, formulé à partir d’une recette de 1696 à base d’ambre gris, permet d’évoquer la mode des gants parfumés à l’aide d’huiles ou de poudres odorantes composées de fleurs, de musc, d’ambre gris ou de civette pour masquer l’odeur nauséabonde des cuirs tannés. Au XVIIe siècle aux Pays-Bas, les gants en peau d’Espagne parfumées était ainsi particulièrement à la mode et l’on sait qu’en 1629, Rubens, revenant de la péninsule ibérique, offrit justement une paire de gants parfumés à l’ambre gris à l’infante Isabel Clara Eugenia qui régnait alors sur le sud de la Hollande. La composition Civette, quant à elle, évoque l’animal allongé aux côtés de l’allégorie, alors chassé pour ses sécrétions très utiles aux parfumeurs et aux pharmaciens. La dernière composition, Nard, est inspirée par le bas relief presque invisible qui orne le bâtiment à l’arrière-plan du tableau, représentant l’une des scènes parfumées les plus illustres du Nouveau Testament : l’onction des pieds du Christ par Marie Madeleine, qui utilise l’un des parfums les plus précieux du début de notre ère, le nard, extrait d’une herbe aromatique originaire d’Inde.

Il est peut-être à regretter que plus d’éléments non-floraux ne fassent pas partie des détails odorants donnés à sentir. L’encensoir fumant sur son lit de braises, les poudriers aux pieds de l’Odorat, les citrons qui surplombent la scène ou les fraises qui se mêlent aux fleurs sauvages auraient pu offrir une plus grande variété d’odeurs et attirer l’attention sur des détails moins évidents de la toile, ainsi que sur des usages culturels historiques méconnus. Un musc animal aurait par exemple pu permettre de souligner la présence de quelques chevreuils évoquant par analogie le chevrotain porte-musc asiatique – que l’on devine représenté sur l’un des vases en porcelaine chinoise bleue débordant de fleurs – qui produit cette substance alors particulièrement prisée, désormais bannie de la palette des parfumeurs.

Illustratives, synesthésiques, historiques, didactiques ou juste pour le plaisir, les odeurs ont donc de nombreuses manières de s’allier à la peinture et de redéfinir à la fois notre perception et notre compréhension du patrimoine visuel de l’humanité. Le nez, pour rediriger les yeux.

Visuel principal : Pierre Paul Rubens et Jan Brueghel l’Ancien, Allégorie de l’odorat, 1617-1618. © Museo Nacional del Prado

Notes

Notes
1 Christine Saillard, « Sentir pour ressentir, la médiation olfactive au service des œuvres d’art… », Dialogue avec Muriel Molinier, publié sur Com’en Histoire, 2017. https://cehistoire.hypotheses.org/1060

Homme et parfum : une histoire complexe

À l’occasion de la fête des pères, nous vous offrons un texte de l’historienne Eugénie Briot, initialement publié dans Nez, la revue olfactive #03 – Le sexe des parfums puis repris dans le livre Parfums pour homme, et qui retrace la naissance et l’évolution de la parfumerie masculine.

Symbole de pureté ou de péché, le parfum est avant tout, dans l’inconscient occidental, un fétiche féminin. Si différents produits odorants ont toujours été utilisés par les deux sexes, pour des questions d’hygiène ou pour se protéger des émanations désagréables et des maladies, il faut pourtant attendre le début du XXe siècle pour que l’évolution des codes masculins et le marketing aboutissent à l’émergence d’une parfumerie de séduction destinée aux hommes.

Dans l’imaginaire de l’Occident, le parfum est si étroitement lié à la figure féminine qu’il est difficile de l’en dissocier. Aussi son usage par les hommes a-t-il longtemps fait débat, comme s’il portait de facto atteinte à leur virilité. Pour autant, l’idéal incarné par le chevalier du Moyen Âge n’est plus celui du courtisan de l’Ancien Régime ou du bourgeois du XIXe siècle ; et la notion de masculinité, subtil équilibre de puissance et de raffinement, a évolué selon les époques, entraînant des variations de la tolérance au parfumage des hommes, au gré d’une courbe qui semble suivre une pente inverse à celle du taux de testostérone requis chez eux. Balayons d’emblée un malentendu. Sous le vocable ambigu de « parfum » coexistent en réalité deux catégories de produits, aux fonctions sociales et symboliques différentes. En premier lieu, des fragrances qui apportent un supplément d’odeur à ceux qui les portent, afin de rayonner et de communiquer une certaine impression à leur entourage. Elles sont souvent destinées à séduire, tout du moins à être perçues et à plaire. Par ailleurs, on trouve des produits d’hygiène dont le rôle est d’atténuer, de masquer ou de faire disparaître les effluves corporels. Leur fugacité – ils sont odorants uniquement au moment de leur utilisation – assure une absence de trace dans la sphère sociale. Les eaux de Cologne et les eaux de lavande, omniprésentes au XIXe siècle pour embaumer et purifier l’eau de la toilette, en sont les emblèmes. L’importance de ces produits parfumés – mais rincés au cours des rituels de rasage – explique la place que ceux-ci ont acquise chez les hommes. 

Gantiers, merciers, apothicaires et barbiers 

L’histoire du métier de marchand parfumeur apporte une explication à cette ambiguïté du mot « parfum ». Sous l’Ancien Régime, les corporations réglementent l’artisanat et le commerce : celle des gantiers-parfumeurs détient le monopole de la fabrication des fragrances destinées à masquer les odeurs de bouc, de mégie et de tannage des gants ; les merciers, quant à eux, sont seulement autorisés à vendre ces créations et à enjoliver la présentation de leurs flacons. Parallèlement, apothicaires et barbiers, en composant des produits parfumés aux vertus thérapeutiques et hygiéniques, contribuent aussi à modeler l’imaginaire occidental lié à l’univers olfactif ; ils sont ainsi les dépositaires d’une parfumerie d’hygiène qui ne contrevient pas à la morale, particulièrement en Grande-Bretagne où l’anglicanisme pèse sur les usages. Se côtoient donc, dans la boutique du XIXe siècle, les eaux de senteur du gantier-parfumeur, les colifichets du mercier et les articles d’hygiène du barbier et de l’apothicaire. De cette filiation multiple découle la difficulté de penser les parfums d’un point de vue culturel, car les diverses réalités de pratiques, de contextes d’utilisation et de normes en font des produits différents, notamment lorsque se pose la question du genre. 

Essence diabolique 

La religion chrétienne légitime l’offrande de parfum à Dieu et tolère son utilisation hygiénique, mais tout autre usage demeure sacrilège, en particulier à des fins de séduction. C’est Marie-Madeleine qui, en sacrifiant ses parfums de pécheresse aux pieds du Christ, condamne durablement leur emploi profane et ancre leur légitimité dans la seule adoration du Tout-Puissant. S’il peut être le véhicule de la prière, le vecteur d’une communication « verticale » avec Dieu, le parfum est perverti lorsqu’il sert une communication « horizontale » entre les êtres humains. Esther, Judith et Salomé, figures bibliques qui lui sont étroitement associées, se révèlent d’ailleurs toutes trois fatales aux hommes qui les entourent. C’est pourquoi ces derniers lient durablement cet attribut de séduction à la femme et le nimbent de tous les soupçons. Le parfumage féminin profane est d’autant plus condamnable qu’il est perçu comme une volonté de dissimulation : il s’agit de masquer l’effluve du péché originel, celui d’Ève. L’odeur naturelle de la femme n’étant d’ailleurs rien d’autre que celle du vice, on l’a parfois appelée odor di femina en référence au Don Giovanni de Mozart (Mi pare sentir odor di femmina !) – elle exprime son essence diabolique. 

« Musc, civette et baume de Pérou » 

Avec de telles références, on pourrait penser que tout parfumage masculin est susceptible d’entacher l’aura virile. Pourtant, à certaines époques, comme sous l’Ancien Régime, afficher un parfum, même puissant, n’est pas inconcevable ni dévirilisant pour un homme. Les livres de comptes des parfumeurs du XVIIIe siècle révèlent par exemple que les poudres à perruque des aristocrates sont parfois embaumées : le marquis de Béthune se fournit en poudre « à la maréchale » (iris, fleur d’oranger, rose, coriandre, clou de girofle) ; le duc de La Trémoille, en poudre de chypre ; et le duc de Coigny, en poudre d’œillet. À cette époque, la principale raison du parfumage masculin reste toutefois liée à l’hygiène. Comme l’expose Georges Vigarello dans Le Propre et le Sale (éditions du Seuil, 1987), la toilette au xvii e et  au début du XVIIIe siècle est sèche ; hommes et femmes se frottent le corps avec des linges blancs imprégnés de senteurs. Cette pratique rattache les parfums aux produits d’hygiène, dont l’usage n’est pas condamné. C’est aussi pour se protéger du mauvais air, et donc des maladies, que les hommes emploient des fragrances, parfois puissantes. En témoigne cette « composition à porter sur soi » proposée en 1693 par Le Parfumeur français de Simon Barbe : « Broyez dans le mortier quatre grains de musc et deux grains de civette ensemble, ajoutez-y quatre gouttes de baume de Pérou, et ramassez le tout avec un peu de coton et mettez-le dans votre boîte ou gland » [bijou ciselé s’ouvrant en quartiers] .  


Entre-soi masculin 

L’idéal qui s’impose après la Révolution à l’homme occidental ne laisse en revanche qu’une faible part au parfumage. Comme le souligne Alain Corbin dans Histoire de la virilité (éditions du Seuil, 2011), le XIXe siècle transforme les vertus masculines. Le dimorphisme sexuel s’accentue par le vêtement : l’habit noir devient le costume de rigueur pour les hommes, sans véritable distinction de classe sociale, s’opposant au chatoiement d’étoffes et de couleurs de la toilette féminine. De façon plus générale, la société se raffermit autour d’une exigence de sacrifice et de savoir-mourir pour des valeurs, relativement nouvelle à l’échelle des masses populaires : le service militaire est de nouveau rendu obligatoire en 1872, les lieux de l’entre-soi masculin se multiplient (du fumoir au club en passant par le bordel), le duel d’honneur se démocratise. Les médecins du XIXe siècle, dans leurs écrits, s’attardent toujours sur les émanations du corps de la femme, mais soulignent aussi celle, naturelle et puissante, de l’homme sain : « On distinguera même par l’odeur un homme vigoureux d’un homme délicat et efféminé ; car la résorption de la semence communique à la transpiration, à la sueur et à toutes les parties du corps, une odeur forte, ammoniacale et même un peu vireuse ; tandis que les personnes faibles répandent une vapeur acide ou fade comme les enfants ou les femmelettes », signale Julien-Joseph Virey dans son Histoire naturelle du genre humain (1800-1801). Les manuels de savoir-vivre ne livrent que peu de renseignements sur les normes olfactives propres aux hommes du XIXe siècle ; tout au plus dispensent-ils quelques recommandations allant dans le sens d’une stricte réserve, notamment en ce qui concerne la consommation de tabac, susceptible d’indisposer les dames. Les catalogues de parfumerie ne comportent pas de catégories « homme » ou « femme » : eaux de toilette, extraits d’odeurs, savonnettes, huiles et pommades capillaires, vinaigres de toilette… semblent être utilisés sans distinction de genre. Le seul cosmétique exclusivement masculin, la cire à moustaches, n’est généralement pas parfumé (sauf, parfois, à la violette). 

Toilette de gentleman 

En 1906, pourtant, un prospectus de Colgate & Co. destiné au marché français, intitulé « Ce que la parfumerie Colgate recommande comme article de toilette à un gentleman », lève le doute. Aux États-Unis, le marketing est en train de naître, un discours adapté à chaque cible se précise, et il devient possible d’identifier des attentes et des pratiques pour chacun des deux genres. La brochure vante le savon pour la barbe Colgate, la poudre dentifrice Colgate, mais également l’eau de toilette à la violette Colgate, « délicieusement rafraîchissante », « sans égale pour enlever le feu du rasoir » et qui donne au bain « un parfum agréable ». Ainsi que « des eaux de toilette dans une variété de parfums, tels que Caprice, Vioris, Héliotrope, Cashmere Bouquet, Muguet, etc. », dont l’usage est recommandé aux hommes. Cependant, ces articles relèvent encore uniquement d’une finalité hygiénique : l’eau de toilette n’est destinée qu’à purifier et aromatiser légèrement l’eau pour l’ablution. De manière significative, aucun « extrait pour le mouchoir » (l’équivalent de nos actuelles « eaux de toilette » ou « eaux de parfum »), qui imprègne le mouchoir et donc l’homme, n’est mentionné ici. 

Jeu sur le genre 

Ces pratiques masculines s’inscrivent ainsi dans un contexte général d’hygiène et d’indistinction des senteurs selon le sexe. Eau de Cologne, pommade… il n’est pas question pour l’homme du XIXe siècle d’afficher une identité olfactive au-delà d’une certaine intimité. Hors de cette retenue, sa virilité est mise en doute. C’est pourquoi le sillage odorant devient, dans les romans de l’époque, l’instrument du jeu sur le genre et notamment l’attribut de l’homosexualité masculine. Dans L’Homme-Sirène de Luis d’Herdy (1899), le parfum d’héliotrope que porte Édouard d’Ore au confessionnal est à l’origine d’une troublante mais amusante méprise : « Et, pendant qu’il se meurtrissait consciencieusement les genoux sur le dur petit banc en attendant son tour, l’héliotrope, dont il était porteur, eut vite saturé l’espace clos d’une épaisse draperie. […] Quand il eut longuement exposé ses fautes et répondu franchement aux délicates questions de son confesseur, celui-ci lui adressa un petit discours bien senti et lui donna l’absolution. “Allez en paix, ma fille, murmura alors le brave homme, qui, à l’odeur subtile chatouillant agréablement ses narines, avait deviné une pénitente, et gardez-vous, à l’avenir, de ces vilains péchés de chair qui contristent Notre Seigneur.” » Cette confusion révèle à quel point le parfum représente pour l’époque la marque de la féminité. On l’a vu, l’héliotrope est pourtant, au même moment, recommandé par Colgate pour la toilette masculine. Plutôt que la note, c’est donc le volume olfactif qui est ici en cause et qui signe, au nez du prêtre, le genre de son pénitent. Dans la littérature de la fin du XIXe siècle, les exemples abondent d’hommes homosexuels lourdement parfumés. L’ostentation olfactive revient alors à affirmer une ambiguïté de genre.
En 1850, quand la maison Tamisier publie, dans Le Bon Ton, une annonce pour son Eau Napoléon, elle explique que celle-ci a été « composée en 1810 pour l’Empereur, qui s’en servait surtout pour ses bains », mais précise aussi qu’elle « répond à tous les besoins de la toilette et laisse après elle plutôt un sentiment qu’une odeur ». Une eau parfumée qui ne parfume pas : voilà l’idéal de la fragrance masculine jusqu’à une période récente. L’hygiène est valorisée, la séduction est dévirilisante. 

Force, nature, austérité  

Reste la célèbre Fougère royale d’Houbigant. Cet accord lavande- géranium-coumarine, créé en 1882, a ouvert la voie à une famille  olfactive presque exclusivement masculine. S’il peut se moduler, dans les limites de ce qui demeure socialement acceptable, la note elle-même est affirmée. Comme tous les produits de parfumerie du XIXe siècle, cette fougère a d’abord été mixte. Mais, dès l’orée du XXe siècle et surtout après la Seconde Guerre mondiale, avec la naissance du marketing et l’influence des marques américaines, on assiste à l’essor du genre en parfumerie et les catalogues commencent à distinguer des univers olfactifs spécifiquement masculins, dont les fougères. À mesure que l’offre s’étend, elle s’adresse différemment aux hommes et aux femmes. Or le parfum est un produit que l’on ne peut pleinement appréhender à distance, à partir d’un catalogue. Le flacon, l’emballage et les messages qui l’entourent sont donc chargés de le faire connaître et apprécier des consommateurs bien avant leur éventuelle entrée dans une boutique. Et, parmi tous les mots qui peuvent le décrire, « fougère » présente un avantage : a priori, cette plante ne sent rien, mais elle évoque des valeurs viriles positives – la force, la nature, une austérité de bon aloi –, ce qui garantit son acceptation par une clientèle craignant l’outrance. Préciser qu’un parfum est une fougère, c’est en dire doctement quelque chose, pour nourrir le discours et valoriser le produit, mais aussi ne rien en dire du tout. Hormis les spécialistes, rares sont les personnes qui savent à quoi renvoie cet accord.
En parfumerie féminine, le succès de la violette durant plus d’un siècle s’explique sans doute parce que celle-ci répondait symboliquement à ce qu’on attendait de la femme du XIXe : réserve, modestie – être une petite fleur ravissante, mais qui reste à sa place, cachée sous un feuillage, et ne révèle sa beauté qu’à celui qui veut bien la voir. La fougère constitue son pendant masculin. Le mot rassure et agit comme un rempart contre la faute de goût. 

Le XXe siècle va faire éclater les codes de la virilité et octroyer davantage de souplesse aux hommes pour se parfumer. Le choc de la Première Guerre mondiale déconstruit l’idéal martial hérité du siècle précédent. D’autres modèles masculins émergent, multiples, plus ouverts. Et l’homme est appelé à de nouvelles consommations, jusqu’alors réservées à la gent féminine. À partir des années 1960, l’accord fougère joue un rôle de premier plan dans l’essor du marché : il domine les produits d’hygiène masculine et investit la parfumerie de séduction. Sur cette base, d’autres notes pourront éclore, agrémentant de couleurs inédites les traditionnelles odeurs du mâle. 

Cet article est initialement paru dans  Nez, la revue olfactive #03 – Le sexe des parfums. Retrouvez-le également aux côtés de notre sélection idéale dans le livre Parfums pour homme publié par Nez.

Visuel principal : Un coin de table, d’Henri Fantin-Latour, 1872, Musée d’Orsay. Source : commons.wikimedia.org

Les finalistes du concours Sandalwood Reimagined de Quintis, section Global Winner

Partenariat éditorial

La société productrice de santal Quintis a récemment annoncé les dix finalistes de son concours Sandalwood Reimagined, dont les deux gagnants seront dévoilés lors du WPC à Miami début juillet. Qui sont les cinq parfumeurs senior sélectionnés et quelles ont été leurs sources d’inspirations ? Portraits.

La société productrice de santal Quintis lançait, en octobre dernier, son concours Sandalwood Reimagined, en collaboration avec l’American Society of Perfumers. Ouvert à tous, il visait à « libérer la créativité en ré-imaginant le santal indien “Santalum album” dans une fragrance, pour célébrer l’art de la parfumerie et l’odeur oubliée d’un ancien ingrédient ». Les participants avaient jusqu’au 31 mars 2022 pour envoyer leur composition comprenant au moins 1% d’huile essentielle de santal blanc de la société, dans une eau de toilette à 12%, accompagnée de leur intention de création. 

Après réception d’environ 300 propositions venues des quatre coins du globe, un jury indépendant de parfumeurs a sélectionné dix créations, divisées en deux catégories : Global Winner et Emerging Talent. Focus sur les finalistes de la première, regroupant cinq parfumeurs senior. 

Elodie Durande, Quintessence Fragrances, Royaume-Uni

Née en 1992, j’ai grandi dans un petit village de Normandie, en France. J’ai été attirée par le monde des odeurs depuis l’enfance. Mon esprit créatif et mon cerveau rationnel m’ont naturellement porté vers la parfumerie. J’ai fait des études de chimie avant d’intégrer le cursus de parfumerie de l’Université de Montpellier (licence ProPAC), en alternance à Grasse. Durant l’été, j’ai rencontré – complètement par hasard – le parfumeur François Robert. Il m’a prise sous son aile, m’a guidée et m’a offert l’opportunité de vivre mon rêve. J’ai commencé à travailler pour Quintessence Fragrances comme interne il y a six ans – j’ai intégré l’équipe d’évaluation au bout de six mois. Trois ans plus tard, j’ai pu poursuivre ma formation en tant que parfumeur junior, avec François comme mentor. Je suis officiellement parfumeur depuis trois ans à Brighton, en Angleterre. Je ressens les odeurs comme des textures, des formes et des couleurs. Je cherche à créer des parfums capables de réveiller les émotions des gens, de les transporter dans de nouveaux lieux ou au contraire, leur faire retrouver des souvenirs enfouis.

Inspiration
Ce parfum a été inspiré par mon voyage au Myanmar il y a deux ans, juste avant que la pandémie ne frappe le monde. J’ai le souvenir précis d’un vieil homme qui sculptait des perles en bois de santal sur les trottoirs chauds de la colline de Mandalay. L’air était rempli de fumée d’encens émanant des nombreux temples situés le long de la colline, d’épices provenant des étals des marchés adjacents et de notes florales provenant des parfums portés par les femmes sur place.  

Description du parfum
Cette composition vous emmène en voyage vers une destination encore secrète. Pour créer une fragrance multidimensionnelle dont le bois de santal est la vedette, je me suis tournée vers la chaleur des épices et un accord d’encens mystique et fumé. Le cœur floral est associé à une facette addictive et presque gustative mêlant rhum, baume tolu et vanille. Une combinaison de muscs délicats et crémeux apporte une finition douce rappelant l’odeur de la peau.

Jennifer Jambon, Argeville, France

Petite déjà, je m’amusais à mélanger des herbes et des plantes pour créer des parfums. J’ai suivi une maîtrise de chimie des arômes et des parfums à l’université du Havre, en France. J’ai ensuite obtenu un diplôme de troisième cycle en parfumerie à l’ISIPCA, à Versailles. Ma vocation m’a conduit en Suisse où j’ai fait un stage chez Firmenich, puis en Irlande chez IFF, et jusqu’au Chili, où j’ai travaillé comme parfumeur pour le marché sud-américain. De retour en Europe, j’ai vécu à Londres pendant huit ans, où j’ai exercé comme parfumeur interne pour la marque de luxe Molton Brown. Après quinze années extraordinaires à l’étranger, je suis revenue en France. Depuis 2017, je suis parfumeuse multi-catégorie pour Argeville.

Inspiration
Je me suis inspirée pour ce parfum du sentiment de liberté ressenti lors d’un voyage en Australie. Je me souviens notamment de la diversité et de l’immensité de la forêt de santal, et des montagnes ocres en arrière-plan au coucher du soleil pendant la récolte de l’huile parfumée, précieuse et sacrée. 

Description du parfum
La feuille de violette, associée à la fleur de magnolia et au mimosa, offre un départ floral vert naturel. Puis le bois de santal précieux s’arrondit d’un iris poudré, conférant une texture riche et crémeuse à la fragrance. Enfin, benjoin baumé, oliban mystique et fève tonka gourmande enrichissent le corps et la tenue du parfum sur la peau.

Gwen Gonzales, Givaudan, États-Unis

Mon avenir de parfumeur s’est dessiné dès mon plus jeune âge. Avec ma mère, une grande amatrice de fragrances, nous prenions de petits moments pour apprécier l’odeur d’une pomme fraîche, des légumes récoltés dans notre jardin ou de ses gâteaux juste sortis du four. Mon passe-temps favori était de fabriquer des compositions simples pour mes proches : je mélangeais des teintures de plantes que j’avais faites moi-même avec des huiles essentielles. J’ai passé une grande partie de mon enfance à l’étranger, ce qui m’a beaucoup inspirée dans la création, car j’aime proposer des compositions à la fois familières et surprenantes. Pourtant, alors, je n’imaginais pas que cela serait un jour mon métier. Je pensais d’abord faire des études de médecine, mais j’ai été propulsée dans le monde de la parfumerie et j’ai rejoint Givaudan en tant que technicienne de laboratoire. Je suis fasciné par ce que j’appelle les molécules « Docteur Jekyll and Mister Hyde », par la recherche de l’équilibre entre les natures opposées. J’aime créer des parfums non conventionnels, qui transportent, et qui peuvent être à la fois apaisants et imposants.

Inspiration
C’est une petite parcelle de forêt cachée, découverte lors d’un voyage dans la forêt de Nuesa en Colombie, qui a nourri mon inspiration. Le ciel était lumineux mais filtré par la canopée des arbres. La brise, fraîche, portait le parfum des cosses d’eucalyptus tombées par terre, dont les notes camphrées caractéristiques et rafraîchissantes étaient contrebalancées par une facette inattendue de cassis, terreuse et verte. Le sol était couvert d’une couche d’aiguilles de pin si importante qu’y marcher donnait l’impression de flotter. Il s’en dégageait des odeurs de foin, terreuses et boisées, enveloppantes. Magique et paisible, l’atmosphère tout entière appelait à la méditation et au sacré.

Description du parfum
La fragrance a été construite autour d’une harmonie entre les éléments doux, chauds et froids du bois de santal. À l’ouverture, c’est l’aspect frais qui apparaît dans le nuage aérien d’un accord cosse d’eucalyptus, qui est illuminé par le petit grain, l’huile d’orange amère et une touche de menthe verte. Les notes ardentes et vivifiantes du poivre rose, du piment de Jamaïque et de la cardamome apportent de la chaleur, et enveloppent le cœur construit autour d’un accord fruité et doux de poivre de cassis, d’iris et de safran. En fond, le bois de santal est mis en lumière par des notes d’ambre, de vétiver, d’absolu de sapin, de tonka et de sésame.

Mathieu Lenoir, European Flavors and Fragrances, Royaume-Uni

Mes premiers terrains de jeu olfactifs furent le printemps à Paris, le verger familial à Saint-Léger-des-Aubées, l’orage à Dinard, le foin coupé qui sèche sur les pentes ensoleillées de Sainte-Foy-en-Tarentaise, des grillons bruyants dans la lavande d’Oppède-le-Vieux, une tomate de mon champ bio à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, et tant d’autres choses encore…
C’est à Cinquième sens, avec Monique Schlinger, que j’ai eu mon premier contact avec la parfumerie. J’ai ensuite commencé ma formation sous l’aile de Pierre Bourdon et de Benoit Lapouza à Fragrance resources à Paris, et ai effectué un stage de deux mois chez Chanel avec Jacques Polge et François Demachy. J’ai ensuite rejoint l’école de parfumerie Givaudan à Grasse avec Françoise Marin. J’ai intégré la branche de Givaudan Argenteuil, où j’ai été encadré par Jeffrey Hodges et envoyé à Singapour. À mon retour en France, j’ai eu le poste de parfumeur mondial senior spécialisé dans les soins capillaires. J’ai travaillé pour Firmenich Asia, avant d’être nommé responsable mondial de la parfumerie chez European Flavors and Fragrances au Royaume-Uni.
Ma carrière de parfumeur m’a ainsi offert des expériences variées dans lesquels je puise mon inspiration : des fleurs de jasmin écloses la nuit à Grasse, à un tapis de fleurs de frangipanier à Bali, en passant par un salon de coiffure de rue de Bangkok pour tester mes créations, et par un voyage de Bangalore à Mysore. 

Inspiration
Inspirant, nourrissant, essentiel et pur. Pourrait-on trouver plus mystérieux et merveilleux que le lait ? Pourrait-on trouver plus précieux que le lait de santal ? L’huile de ce bois – le plus noble de notre palette, et le plus proche d’une odeur idéale de peau – présente de nombreuses facettes. J’ai toujours été fasciné par son aspect de lait chaud, ses facettes de noisette. Le Santalum album est impalpable mais présent, et vous entoure d’un nuage de beauté, de fraîcheur et de sensualité pour vous accompagner joliment dans votre voyage. Le Santalum album vous rendra parfait.

Description du parfum
L’huile de graines de carotte, l’huile de davana et le safranal se mêlent à un accord d’iris pour donner une intensité colorée, chaude et sensuelle. L’ensemble est enveloppé d’un voile transparent, aqueux et frais, d’épices froides comme la cardamome et le poivre rose, posé sur une structure hespéridée et boisée solide, lui conférant tenue et diffusion. 

Celia Orozco Cirimbili, GRC Parfum, Italie

J’ai toujours aimé les parfums. Petite, je suppliais constamment ma mère de m’en acheter, et on m’avait même offert un de ces jouets pour fabriquer son propre mélange. Après des études de chimie, j’ai fait un stage en Espagne chez Eurofragance, au cours duquel j’ai su que je voulais être parfumeuse. Je suis entrée au GIP à Grasse. À la fin de mes études, j’ai obtenu un premier emploi chez CPL Aromas au Royaume-Uni, où j’ai surtout travaillé en parfumerie fine et cosmétique. J’ai intégré la société GRC Parfum il y a quatre ans, comme parfumeur fine notamment. J’ai eu – et j’ai toujours – beaucoup à apprendre sur le marché italien. Ayant grandi en France mais étant issue d’une famille espagnole, cet aspect pluriculturel de ma vie contribue à mon processus créatif, tout comme mon amour pour la musique, la danse, l’opéra et tout ce qui a trait au son en général. Curieuse de nature, je suis toujours prête à découvrir de nouveaux lieux et pays, car les voyages m’aident à me ressourcer.

Inspiration
Matière première couramment utilisée mais passant souvent au second plan, le santal est à la fois intime, sensuel et mystérieux. Comme un peintre travaille les ombres et les lumières, j’ai utilisé une variété d’ingrédients pour mettre en valeur ce bois, en le plaçant sur le devant de la scène, tout en le mêlant, de telle sorte que l’on a parfois l’impression qu’il se voile, comme un jeu de cache-cache. Inspirée par ses origines, j’ai souhaité ainsi créer une ode à l’Orient.

Description du parfum
L’ouverture de poivre noir, d’élémi et de poivre rose pétillant positionne ce parfum comme création unisexe. La facette poudrée des racines d’iris apporte une texture veloutée à l’onctuosité du bois de santal, tandis que l’oliban lui confère un aspect mystique. Les muscs blancs moelleux offrent une sensation « peau contre peau » qui contribuent à créer une atmosphère intime. Le fond de nagarmotha et de vétiver adoucit le sillage.

Agnieszka Lukasik (Galilu) : « Aujourd’hui, ce sont les marques qui viennent à nous »

Créé en 2005 à Varsovie, Galilu propose une riche sélection d’une cinquantaine de marques de parfumerie de niche et de produits cosmétiques. Sa propriétaire Agnieszka Lukasik a répondu aux questions de Nez.

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Murat Katran & Mert Guzel (Nishane) : « Istanbul constitue littéralement un pont entre les cultures »

Officiellement lancée à Esxence en 2015, disponible dans plus de 120 pays, la marque turque rend hommage aux racines, à l’art et à l’histoire de l’ancienne Constantinople, à mi-chemin entre les cultures occidentales et orientales. Entretien avec ses co-fondateurs.

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Luca Maffei (Atelier Fragranze Milano) : « La parfumerie de niche me permet de prendre tous les risques »

En 2011, aux côtés de son père, Luca Maffei fonde la société de composition Atelier Fragranze Milano (AFM). Avec le concours du parfumeur français Antoine Lie dans le rôle de consultant, la maison œuvre uniquement pour la niche. Rencontre.

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Nez, la revue… de presse – #20 – Où l’on apprend que les archéologues se mettent au parfum, que les moustiques ont du nez et que Reims sent le biscuit et la betterave

Au menu de cette revue de presse, le rôle de l’olfaction dans l’art contemporain, les senteurs vues par les philosophes et le retour de l’enfleurage du muguet.

Que sentaient la Mésopotamie ancienne ou Londres au XIXe siècle ? L’odorat, longtemps considéré comme le parent pauvre des sens, connaît ces derniers temps une réhabilitation dans de nombreuses sphères, et c’est notamment le cas en histoire, où le décryptage des odeurs du passé devient un nouveau champ d’études. Dans une interview à Usbek&Rica, l’archéologue Barbara Huber raconte ainsi comment une équipe de l’institut Max Planck en Allemagne utilise la technologie biomoléculaire pour y parvenir, et en quoi cette dimension sensorielle peut nous éclairer sur de nombreux aspects de l’histoire de l’humanité : la parfumerie bien sûr, mais aussi le commerce, ou encore les hiérarchies sociales. 

À Prague, des chercheurs de l’Académie des sciences de République tchèque se sont quant à eux donné pour objectif de reconstituer les fragrances de l’Antiquité grecque et égyptienne, nous apprend Radio Prague international. Recherches archéologiques, sources littéraires de l’époque, textes médicaux grecs et inscriptions sur les murs des temples égyptiens doivent les aider dans cette entreprise.

Odeurs et histoire, c’est également le sujet qu’aborde Matthieu Garrigou-Lagrange dans un épisode de Sans oser le demander sur France Culture. La chercheuse Brigitte Munier, auteure de Odeurs et Parfums en Occident – Qui fait l’ange fait la bête, y relève un paradoxe : alors que nous n’avons eu de cesse depuis l’Antiquité de chercher à nous entourer de senteurs agréables, le sens de l’odorat a été constamment discrédité au profit de la vue et de l’ouïe, jugées plus nobles.

Ce primat de l’oeil sur le nez a longtemps été la règle dans le domaine de l’art, mais là aussi, la situation évolue : l’art contemporain s’empare de plus en plus de la question de la création olfactive, souligne Marie Sorbier dans Affaire en cours, toujours sur France Culture. Les futuristes, les dadaïstes ou Marcel Duchamp faisaient déjà appel à l’odorat, note l’historienne de l’art Sandra Barré, mais « ce qui est nouveau cependant, c’est la manière d’envisager l’odeur au cœur des institutions, des musées, des galeries mais aussi au sein de la critique théorique ».

C’est précisément la senteur de la Loire qui était au cœur de l’installation « L’effluve des fleuves », présentée par Chloé Jeanne à l’occasion de sa résidence à l’espace Mode d’Emploi à Tours cet hiver. Pour la recréer, l’artiste plasticienne a interrogé la perception des habitants. C’est Veronika Rebeka Csatlovszky-Nagy, parfumeuse chez Cinquième sens, qui a interprété les impressions recueillies à l’aide de notes aquatiques, d’herbe coupée, de mousse et d’une touche de cuir.

Et la ville de Reims, quelle est son ambiance olfactive ? Arnaud Steffen, dirigeant d’une agence de communication, a pour projet de compiler dans un livre les odeurs qui font l’identité de la ville, entre biscuiteries historiques, moût de raisin pendant les vendanges, friandises du marché de Noël, effluves de pierres et de cierges de la cathédrale et relents de jus de betterave des sucreries voisines, nous dit Le Parisien.

Des facettes riches et variées qui pourraient sans doute inspirer des étudiants à l’Isipca. Philosophie magazine nous propose un reportage au sein de l’école de parfumerie de Versailles, offrant une plongée dans des cours d’olfaction ou d’aromatique alimentaire. L’occasion d’apprendre également que Gaston Bachelard a écrit sur l’arôme onirique de la menthe aquatique et Théophraste sur le « pourrissement » de la transpiration. 

Vous avez certainement une préférence pour la première plutôt que pour la seconde, et à l’autre bout du monde, des personnes à la culture et au mode de vie complètement différents du vôtre feraient probablement le même choix, si l’on en croit une étude publiée dans Current Biology. Notre appétence ou notre dégoût pour les odeurs seraient déterminés à 41% par la structure de la molécule odorante et seulement à 6% par le milieu culturel de chacun, le reste étant affaire de préférence personnelle, selon Sciences et avenir. 

Si les produits antimoustiques sont conçus pour repousser universellement les moustiques, ces derniers sont capables de mémoriser leur odeur et ainsi de les éviter, selon une nouvelle étude publiée dans la revue Scientific Reports, relayée par Géo. Des tests en laboratoire ont en effet révélé que la plupart des femelles qui ont survécu à des insecticides sont ensuite capables de reconnaître l’empreinte olfactive de cinq molécules qui y sont couramment utilisées. 

Molécules contre essences, synthèse contre naturel : cette opposition, encore largement présente dans l’esprit du grand public, n’a pas de sens, rappelle Slate. Le site souligne que l’arrivée des molécules de synthèse en parfumerie a permis davantage d’audace et de créativité, tandis que les matières premières naturelles, souvent considérées comme forcément bienfaisantes, sont au contraire celles qui posent des problèmes d’allergies et de photosensibilisation. La parfumerie du futur les rapprochera-t-elle, entre naturels écoresponsables et ingrédients issus de la chimie verte[1]Voir l’article de Sylvain Antoniotti Chimie durable et parfumerie : assurer notre développement sans compromettre la capacité des générations futures à assurer le leur

C’est la synthèse qu’utilisent d’ailleurs les parfumeurs pour introduire une note muguet dans une composition, les petites clochettes blanches ne livrant pas d’extrait odorant exploitable en quantité suffisante. Mais cela pourrait changer : près de Nantes, la société AB 1882 mène des expérimentations afin de remettre au goût du jour la technique de l’enfleurage traditionnel, abandonnée depuis les années 1930, selon Ouest-France. Rappelons aussi que même si le muguet est souvent qualifié de fleur muette, Robertet proposait également dans les années 1950 un Butaflor muguet extrait grâce au butane liquéfié. 

Et pour terminer cette revue de presse, on ne peut que se ranger à l’avis du Guardian, qui s’inquiète de notre désengagement sensoriel croissant ces dernières décennies face à ce que nous mangeons, entraînant une hausse des troubles de l’alimentation. Aliments suremballés, fruits prédécoupés et produits transformés, souvent avalés face à un écran, nous ont menés bien loin de la vigilance nécessaire des chasseurs-cueilleurs face à leur nourriture. La bonne nouvelle, c’est qu’il suffit de prêter véritablement attention à ses cinq sens, et notamment à son odorat, pour mieux manger.

Et c’est ainsi que les mouillettes ne servent pas qu’à déguster les œufs !

Visuel principal : © Morgane Fadanelli

Franco Wright (Luckyscent) : « Les habitués des créations grand public voient que la niche pousse la parfumerie dans des directions plus intéressantes »

D’abord cofondateurs d’une agence de design, les Américains Franco Wright et Adam Eastwood ont dès 2002 l’idée de créer Luckyscent, leur propre site de vente en ligne consacré aux parfums confidentiels. Entretien.

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Simppar : des ingrédients comme carburant et ça repart !

Tout aussi attendu que le festival de Cannes et la finale de Roland Garros, le Simppar (Salon international des matières premières pour la parfumerie), organisé au nom de la Société française des Parfumeurs, s’est tenu les 1er et 2 juin 2022, après trois longues années d’attente. L’occasion de découvrir le fruit des dernières innovations et ingrédients qui pimenteront les créations futures mais aussi (et surtout !) de se retrouver enfin !

Après un report dû la pandémie, l’édition 2022 a manifestement attiré le public : 106 exposants, dont 57% d’étrangers  et plus de 2000  visiteurs ! Tous venus sentir sans masque, s’embrasser, multiplier les accolades avec de vraies personnes, en chair et en volume ! Sans surprise, les thématiques « green-upcycling-éthique» que l’on a vues fleurir dans les communications ont imprégné les méthodes d’extraction, transformant joliment la palette du parfumeur. Impressions au pas de course (c’est qu’il nous faudrait trois jours pour parcourir tout ce salon !) et en images. 

Stand Robertet

Je commence en beauté avec Robertet, intriguée par l’artiste japonais Dai Dai Tran en train de construire une sorte de rose géante faite à partir de touches colorées et de papiers recyclés. Le ton est donné : des déchets naît la beauté. On y découvre un santal album du Népal, un safran de Grèce, un bois de chêne et son délicieux côté liquoreux-armagnac, l’étonnant Civegan (une note animale obtenue en co-distillant du poivre blanc avec des écarts de patchouli), un son de riz et pour finir, le pétillant poivre du Sichuan vert extrait CO2 aux accents de verveine, citron vert et mandarine.

PCW

Chez PCW, c’est en famille que l’on me fait découvrir les nuances des différentes variétés d’encens : Boswellia occulta, assez aldéhydé, le carterii, plus classique, le Boswellia sacra, aussi appelé encens vert ou « luban » à Oman, et enfin le papyrifera, très frais, évoquant la verveine. Bien que connu pour ses vertus thérapeutiques, je n’avais jamais eu encore l’occasion de le sentir ! La myrrhe commiphora et sa note cuirée me rappellent… la combi de plongée! À retenir : le costus de l’Himalaya, un cuir au féminin assez fruité avec ses facettes osmanthus ! On me précise qu’on peut tout acheter en petites quantités, bon à savoir pour les parfumeurs indépendants !

Rose bulgare

Quittons le Moyen-Orient pour la Bulgarie : rose et lavande sont les ingrédients stars de Triglav-Edelveis. Je demande à la fondatrice comment se porte la filière de la lavande dans son pays face aux surproductions françaises, elle me fait part de son inquiétude par rapport aux pénuries à venir à cause du conflit en Ukraine. Au Simppar, on vit aussi l’actualité du monde en temps réel…

Que se passe-t-il, d’ailleurs, à l’autre bout du monde ? Destination l’Australie avec Quintis qui nous fait goûter la richesse du santal album à travers différents batchs : du lacté  car plus riche en bêta-santalol, au plus poudré “cédré”, en passant par le plus “pamplemousse”. La société profite de l’occasion pour annoncer les dix finalistes de leur concours « Sandalwood Reimagined »  Bravo à eux, le nom des deux gagnants sera dévoilé lors du WPC à Miami.

Au sud de l’Australie rejoignons la Tasmanie. Connaissez-vous le kunzea ? Sa note aromatique, assez terpénique mais plutôt originale provient d’un arbuste sauvage avec de jolies fleurs en pompons. Jonpaul de la société Jandico en profite pour me faire découvrir sa palette de noms exotiques : tea tree côtier (bien plus doux que le classique), le scoparium du sud (presque eucalyptus) et la rosalina du sud. A l’heure où le parfum s’intéresse à l’aromachologie, et au caractère actif des ingrédients pourquoi pas…

Verger Naturals

Transition toute trouvée avec Verger, dont le fondateur a justement quitté l’Australie (et son métier de banquier) pour retourner dans son pays originel, le Sri Lanka. Il nous invite à découvrir de très belles qualités d’extraits CO2 des ingrédients clés locaux : cannelle feuille et écorce, vanille, thé vert mais aussi un poivre blanc bien animal. À suivre de près !

Jasmine Concrete

Remontons plus au nord vers l’Inde, chez Jasmine Concrete. Cette année, de nombreux producteurs à la source comme Raja ont pris leur propre stand. On commence par son ingrédient star et inédit : un jasmin grandiflorum tout en fraîcheur traité en extraction CO2, suivi du petit frère sambac, bien fruité et dépourvu d’animalité. Sa tubéreuse est onctueuse, sa vanille excite les papilles ! (déjà quatre ans qu’il en rêvait) ; et enfin des lotus blanc, et rose. « C’est utilisé en parfumerie, ça? ». « Pour le marché japonais, c’est zen ! »  Moi ce qui me rend zen, c’est de voir le sourire de Raja, même ses touches colorées portent la joie de vivre indienne.

Si vous cherchez l’exotisme, cap vers le Népal : Aarya Aroma propose de puissantes matières locales. Est-ce le terroir, ou le traitement, mais tous les ingrédients me paraissent différents : jatamansi, palmarosa, lemongrass, cardamome noire, poivre de Timur, menthe arvensis, jusqu’au calamus… J’ai checké mes vieilles notes d’étudiante en parfum et en ai retrouvé ma première description : « cheval qui se parfume à l’iris, rèche, cheveux gras ». Aussi, quand la fille du fondateur me propose d’en manger, bizarrement je ne suis pas très motivée… « Au Népal, on mâche les racines pour soigner les maux de gorge », m’explique-t-elle. Je prends le plus petit morceau qu’elle me tend, très riche en huile essentielle, et je comprends direct pourquoi il n’y a plus de problème de gorge : je n’ai plus de gorge !

Van Aroma

J’atterris ensuite en Indonésie chez Van Aroma, au pays du patchouli. Joshua me fait découvrir des cristaux de patchoulol 99%, un composé naturel obtenu par distillation moléculaire et centrifugation. Ça je le mangerais bien en bonbon…

Nelixia

J’arrive enfin, par je ne sais quel miracle, à entrer sur le stand bondé de Nelixia – on comprend pourquoi : la douce effluve baumée et cuirée du gaïac attire les amoureux de l’ingrédient. Surtout quand il est traité avec soin. Cela me donne immédiatement envie de partir au Paraguay voir ces petits arbres se régénérer. Elisa Aragon, la cofondatrice, me montre ses dernières pépites : ambrette certifiée UEBT (tout comme le gaïac d’ailleurs), cardamome, baume styrax… Et me propose de goûter des graines d’ambrette. Après l’expérience précédente, j’hésite : on dirait des mini escargots… « Si, si, c’est bon, essaie !». Effectivement, c’est croquant-gourmand, avec un petit goût de céréales !

Fair Oils

Même esprit d’authenticité chez Fair Oils : la société qui a fait ses armes en cosmétiques et en  aromathérapie s’attaque aujourd’hui à la parfumerie fine. On peut y sentir les produits phares de Madagascar et du Kenya. L’équipe inspire confiance, (on y retrouve même un ancien de Firmenich !) : welcome dans le parfum !

Firmenich

A propos de Firmenich, dans l’allée principale, se murmurent dans l’ordre (et le désordre) trois lettres : SM… DSM ? – « Tu étais au courant, toi ? », « Mais non ! » Étonnement, stupéfaction, excitation, les avis s’échangent pour commenter la fusion de Firmenich avec le géant néerlandais, spécialiste de nutrition. Mais qui mange qui ? En attendant, la société suisse poursuit la collection « Beyond muguet » avec le très ozonique Muguissimo, présente à nouveau le Sylvamber et le puissant et boisé Z11 HD, la rose damascena Firad, obtenue par concentration de l’eau  de rose, et une infusion de vanille planifolia.

LMR Naturals by IFF

Poursuivons avec les géants : IFF présente, côté synthèse, le Veraspice, une molécule épicée aux nuances de clou de girofle, légèrement vanillée, assez proche de l’iso-eugénol. Chez LMR, sa filiale pour les naturels, on découvre trois collections. La première célèbre les agrumes (orange douce et amère, limette, mandarine et bergamote, citron) et illustre l’implantation d’un centre d’innovation en Floride avec CitraSource. La deuxième regroupe les « Conscious green extracts » issus d’une nouvelle technique d’extraction utilisant un solvant vert mais chut !, c’est breveté ! Lavande, bourgeon de cassis, jasmin, narcisse (très original, pas vert, assez marc de café), un lavandin en enfleurage. La dégustation se termine avec des extraits CO2 dont l’excellent poivre Timur, aux accents de fruit de la passion.

Capua

Tiens, tiens, la promo de l’école Givaudan débarque au stand Capua, iconique pour ses agrumes (mais pas que !) Je défends ma place pour découvrir la technologie  «Natprofile » qui recycle l’eau issue des extractions encore riche en composés volatils. Elle est récupérée des colonnes à résines, puis lavée à l’éthanol pour donner ces nouveaux produits plus doux, moins zestés appelés bergamote ou citron « Peel Water ». J’ai bien aimé aussi la Rose Water Natpro, le néroli qui fait très petitgrain, et la réglisse proposée en deux concentrations.

Mais au fait, où est le stand Givaudan ?

Floral Concept

Chez Floral Concept, pendant que Marc-Antoine Corticchiato et Alexis Toublanc de Parfums d’empire découvrent la fabuleuse cire d’abeille andalouse et ses notes très ensoleillées (café, ambre, ciste, liqueur), Julien, le fils de la fondatrice Frédérique Rémy, m’explique que les abeilles butinent l’immortelle, ce qui donne cette note chaude, très « flamenco » ! Il me présente d’autres trésors : le bois de rose du Pérou, le petitgrain rectifié du Paraguay, et une ambrette qui me rappelle direct le Chanel N°18

Naturamole

Et si on faisait une petite pause avec les distillations ? Place à l’innovation pure avec Naturamole, les molécules naturelles obtenues par biotech. Abdelkrim a créé sa société il y a 20 ans, et s’est depuis entouré d’une équipe de choc ! Si j’avais quelques millions à investir, ce serait ici  (mais apparemment, je ne suis pas la seule sur le coup…)! Les molécules ont des noms qu’on oublie illico, mais elles sont fabriquées à partir de champi, ce qui fait bien triper…

Du stand de Naturamole à celui de Nez, il n’y a qu’un pas.

Dominique Roques

 « J’ai adoré votre livre !», voilà la phrase qu’on entend en continu autour de notre sourceur-poète, Dominique Roques, qui enchaîne les signatures pendant qu’Anne-Laure Hennequin évalue notre culture parfum d’un tour de cartes.

Il est 19h, alors que je m’approche de la zone cocktail, je retrouve Sébastien, un ami parfumeur qui me fait découvrir sa nouvelle maison : Voegele. Tout en me faisant sentir un accord gaïac (décidément à la mode !), on me tend un verre rempli d’une boisson rose, de la même couleur que la moquette : « un gin-tonic à base de concentré ». « C’est sans alcool ? », « Natürlich ! ». Traquenard, je note.

Je me rends compte que je suis loin d’avoir visité tous les stands, il faut que je speede un peu. Je commence ma deuxième journée avec la sobriété japonaise : « More with less ». Tout est bien rangé chez Takasago, symétrie, chiralité, leur Hedirosa me remet le nez au carré avec sa note florale, fruitée, verte, un petit peu métallique. Mon moment préféré reste l’échange de cartes de visite offertes à deux mains à la japonaise, toujours avec révérence.

Trois petits pas plus loin, je regarde de plus près les jolies peintures qui viennent illustrer les molécules de Symrise : une autre façon de voir les notes à travers la couleur… mais que sent-on s’échapper d’à côté ? D’autres molécules bien connues…

Ce sont les notes échappées du stand Synarome ah ah ! où on compare les bases avec et sans Ambrarome,  rhodinol, éthyl levulinate, vétiverol, algénone, et isopulegol, ah oui, c’est sûr, ça dépasse les fines cloisons de stands…

Chez Mane, Matthieu nous présente six ingrédients : le pamplemousse rose rectifié, le fameux jasmin grandiflorum en méthode enfleurage que je trouve très frais ; une spécialité appelée Greencatcher, constituée de 50% de bigarade : assez sympa, très propre.

L’exotique Cocotone obtenue par biotech (coco, tonka, amande, figue), le Vayanol , une note vanille girofle qui m’évoque le pop corn, rigolo ; et le patchouli Gayo, en Pure Jungle Essence, joli avec son effet salé, presque mousse de chêne.

Payan Bertrand

Je m’attaque à Payan Bertrand, le stand « comme à la maison », aussi bondé qu’une cuisine en soirée. Certains ingrédients m’ont déjà été cités comme incontournables, et j’ai envie de tout rapporter : résinoïde gentiane, baies roses CO2, extrait de copeaux de chêne, extrait de lentisque décoloré, résinoïde d’iris DM très cacao-fruits rouges, et enfin la fameuse fleur de cuir Process E dont la réputation précède l’olfaction : si vous aimez la fourrure de chat et l’abricot qui arrive à pas de velours, cet ingrédient est fait pour vous !

Bontoux

Chez Bontoux, je retrouve Maxime de Scentree – c’est aussi ça le Simppar, on commence à sentir avec l’un puis on termine avec d’autres. Marine nous délecte de sa lavande pure cœur, avant d’envahir le stand d’un débouché de flacon de l’huile essentielle d’amande amère : « c’est fait à partir de noyau d’abricot »,  « Ah bon ? je ne savais pas ! »

Biolandes

Chez Biolandes, je me console du départ en retraite de Renaud, en sentant avec Cédric les dernières découvertes qui elles aussi ont leur petit succès : un extrait de pop corn très gourmand, aux notes de cacao, beurre, lait chaud, iris. Un composé très étonnant : le vétiver by absolue, produit à partir de drèche de la plante, ce qui lui donne une note fumée mais aussi copeau de chêne-armagnac, très original ; un ylang ylang bien fruité pour une huile essentielle complète, et un encens d’Oman Boswellia sacra.

Hashem Brothers

Le hasard veut que je termine avec les ingrédients d’Égypte. Chez Hashem Brothers j’apprends que le pays rivalise avec l’Espagne en matière d’agrumes. J’y sens du petitgrain d’orange douce, très aromatique, et des spécialités maison : le néroli sur fruit, entre fleur et zeste ; le petitgrain sur fleurs ; une essence de jasmin, mais oui, c’est possible ! Leur basilic verveine est fabuleux et je termine pour le plaisir sur la feuille de tomate, l’absolue d’épinard et l’absolue de feuille de violette que j’avais déjà senties la dernière fois.

Fahkry

Chez Fahkry, Husein me fait découvrir sa fierté : une nouvelle essence de jasmin très rafraîchissante que je verrais bien dans un accord  thé vert. Sortons des sentiers battus avec la feuille d’olivier, l’absolue ortie qui évoque le cresson, et l’absolue artichaut, entre rose et cacao poudré. Et comme on aime tous les deux les notes dites du passé mais qui feront peut-être l’avenir de la parfumerie, on termine avec l’absolue de cassie aussi poudrée qu’un pompon de mimosa, et son admirable œillet, miellé à souhait : on en ferait volontiers un Opium 2023. De jolies matières qui illustrent tout l’amour que le couple y met !

17h40, retour à la réalité, les organisateurs démontent subitement les lampes, la moquette couleur gin tonic est dégrafée, aussi vite que le tapis rouge du festival de Cannes.  Adieu ingrédients champions, je repars du Simppar repue. 

Mais on se retrouve l’année prochaine ! Le report de l’an passé nous permet de gagner un an ! Youpi !

A noter, vous retrouverez certains des exposants du Simppar cités dans cet article dans notre ouvrage, publié en 2021 à l’occasion des 30 ans du salon et ré-édité en juin 2022 : De la plante à l’essence – un tour du monde des matières à parfums (Biolandes, Bontoux, Capua, Fahkry, Firmenich, Floral Concept, Givaudan, Hashem Brothers, LMR naturals, Mane, Naturamole, Nelixia, Payan Bertrand, Quintis, Robertet, Symrise, Takasago, Van Aroma, Verger Naturals).

Dhaher bin Dhaher (Tola) : « Je consacre de plus en plus de temps au décloisonnement des cultures olfactives »

Avec Tola, Dhaher bin Dhaher, homme d’affaires et directeur artistique fasciné par la niche, revisite avec une subtilité toute européenne l’héritage olfactif émirati. Entretien.

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Nathalie Feisthauer (LAB Scent) : « Pour moi, la niche, c’est une définition de la beauté »

Après plus de trente années au service de grandes maisons de composition, Nathalie Feisthauer a choisi le statut d’indépendante en 2014 et cultive un fort attrait pour la niche. Entretien.

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Liam Sardea (LKNU) : « Nous essayons d’amener chacun à dessiner, dans ce vaste cosmos, sa propre constellation »

La parfumerie indépendante LKNU a ouvert ses portes en 2021 à Melbourne et propose une soixantaine de marques avec une approche résolument différente de la vente et l’expérience client. Interview avec Liam Sardea, education manager.

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Quintis dévoile les noms des dix finalistes de son concours Sandalwood Reimagined

Partenariat éditorial

Lancée fin 2021, la compétition, ouverte à tous les parfumeurs et qui met en avant l’huile de santal de la société, touche à sa fin. Dix finalistes ont été sélectionnés, avant l’annonce finale du gagnant lors du Congrès mondial de la parfumerie (WPC) à Miami.

Le 28 octobre 2021, la société d’approvisionnement de bois de santal indien et australien Quintis Sandalwood, en partenariat avec l’American Society of Perfumers, lançait un concours international à destination de tous les parfumeurs, sans prérequis d’expérience.

Nommé Sandalwood Reimagined, il constitue la première initiative lancée dans le cadre du Q-Lab, un nouveau centre d’éducation et de créativité créé par Quintis pour valoriser cette précieuse matière. En imposant comme seul critère l’emploi d’huile de bois de santal indien cultivé par la société avec un dosage minimum de 1 % dans une eau de toilette, et une déclaration d’intention créative, la compétition s’affranchissait de tout brief classique afin de valoriser l’inventivité du parfumeur. Les participants avaient jusqu’au 31 mars 2022 pour soumettre leur dossier. Presque 300 compositions provenant du monde entier ont été envoyées. 

Un jury indépendant de parfumeurs ayant collaboré avec les plus grandes entreprises de l’industrie – parmi lesquelles Givaudan, Firmenich, Estée Lauder, Ralph Lauren, Coty, ou encore Mane – a évalué les créations à l’aveugle, sur mouillette et sur peau. 

Dix finalistes ont ainsi été sélectionnés et annoncés le 1er juin 2022 lors du salon SIMPPAR à Paris.

Dans la catégorie « Global winner » (Parfumeurs ou talents senior) : Elodie Durande (Royaume-Uni), Gwen Gonzales (États-Unis), Jennifer Jambon (France), Mathieu Lenoir (Royaume-Uni), Celia Orozco Cirimbili (Italie).

Dans la catégorie « Emerging talent » (parfumeurs junior et étudiants) : David Clément (Royaume-Uni), Fanny Ginolin (France), Cédric Gras (France), Miro Senjak (Suisse), Solène Bourquin (France)

Les prix seront décernés lors du cocktail de clôture du Congrès mondial de la parfumerie à Miami, le 1er juillet 2022. Le lauréat de la première catégorie recevra 10 000 dollars australiens (environ 6 400 euros) et le gagnant de la catégorie « talent émergent » recevra 2 000 dollars australiens (environ 1 280 euros). 

Clara Feder et Michel Gutsatz (Le Jardin retrouvé) : « Nous cherchons à construire une collection équilibrée, tout en suivant notre devise : l’avant-garde en héritage »

Fondée en 1975, la marque Le Jardin retrouvé est l’une des pionnières de la parfumerie de niche, portée par la vision avant-gardiste de Yuri Gutsatz, son créateur. Clara Feder et Michel Gutsatz, qui en ont repris les rênes en 2016, en perpétuent l’héritage avec passion.

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Pissara Umavijani (Dusita) : « La plus grande difficulté pour un parfumeur, c’est d’exprimer sa signature dans des registres différents »

Lancée à Paris en 2014, la marque Dusita exporte dans 60 pays son univers singulier, empreint de la culture thaïlandaise de sa fondatrice. Collectionneuse de parfums vintage devenue parfumeuse autodidacte, Pissara Umavijani rend hommage à son pays natal et à l’œuvre poétique de son père dans un style nourri d’influences européennes. Interview.

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Cécile Zarokian : « Il est possible de s’imposer face aux grandes maisons de création »

Créatrice de parfums indépendante installée à Paris, Cécile Zarokian travaille pour de nombreuses marques, de l’Amérique du Sud au Moyen-Orient en passant par l’Europe. Rencontre.

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Serge Laugier (Le Paravent) : « Je tiens à proposer des parfums plus confidentiels, car ils assurent une signature olfactive inédite »

D’abord pensée par son fondateur Serge Laugier comme une boutique de décoration haut de gamme, Le Paravent est désormais une référence de la parfumerie de niche à Lyon, et s’attache à défendre une vision artistique et indépendante de la création. Entretien.

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Rencontre avez un nouveau-nez

À l’occasion de la fête des mères, nous vous proposons une plongée olfactive dans la peau d’un nouveau-né, en vous offrant un article initialement publié dans Nez, la revue olfactive #11.

Bien avant sa venue au monde, le bébé est doté du sens de l’odorat. La découverte de son univers intra utérin, enrichi notamment par les arômes de l’alimentation maternelle, enrichit son répertoire de perceptions et le prépare pour le début de sa vie.

Passage obligé pour l’homme comme pour tous les mammifères, le ventre maternel laisse son empreinte dans la mémoire sensorielle. Dès la 28e semaine de gestation, le fœtus dispose d’un système olfactif fonctionnel. Il commence alors à détecter divers stimulus, à les distinguer les uns des autres, à les mémoriser et même à manifester une prédilection ou un dégoût à leur égard. Alimenté en oxygène et en éléments nutritifs par l’intermédiaire du placenta et du cordon ombilical qui le relient à sa mère, il baigne dans une poche protectrice de liquide amniotique qui lui permet de bouger et dont le contenu est constamment renouvelé. Le fœtus respire, ingère et déglutit ce fluide. C’est dans cet environnement qu’il se familiarise avec l’alimentation de sa mère et s’imprègne de la « carte d’identité olfactive » de cette dernière. Ses propres urines se mêlent au contenu de la poche des eaux, offrant une source supplémentaire d’odeurs et de saveurs prégnantes. 
Directeur de recherche au CNRS, Benoist Schaal a conduit de nombreuses recherches sur la perception et l’apprentissage olfactifs du fœtus, du bébé et du jeune enfant, au Centre des sciences du goût et de l’alimentation, à Dijon. Avec Luc Marlier, chercheur au CNRS à Strasbourg, ils ont démontré en 1998 que la très grande majorité des mères et des pères étaient capables, lorsqu’on leur faisait sentir deux échantillons de liquide amniotique, de reconnaître celui de leur nourrisson. Le fluide intra-utérin partagerait donc des caractéristiques odorantes individuelles avec le fœtus aussi bien qu’avec sa mère, ce qui suggérerait qu’il a un rôle à jouer dans l’interaction initiale entre eux. Les chercheurs préconisent, dans cet esprit, de retarder le premier bain du nouveau-né. 
Le liquide amniotique est décrit par Benoist Schaal comme un « bruit de fond olfactif », que l’enfant à naître pourrait percevoir dans sa globalité mais dont il saurait aussi discerner les subtilités. Il a, selon le scientifique, « une note animale caractéristique » dont les facettes varient en fonction de l’alimentation de la mère et dont certaines composantes peuvent ponctuellement se faire plus « sonores » que d’autres. Ainsi, chez l’humain, « on a documenté de façon directe ou indirecte le passage transplacentaire des notes d’ail, de cumin, de fenugrec, de curry, d’anis, de menthe, de carotte, de chocolat, d’alcool, ainsi que de la nicotine associée à la fumée de tabac » – une liste non exhaustive. Le chercheur précise que « la perméabilité placentaire est augmentée en fin de gestation ». Toutefois, les futures mères ne présentent pas toutes la même aptitude à transférer des flaveurs à leur fœtus : « le taux du trans fert transplacentaire des métabolites odorants peut varier d’une femme à l’autre », signale Benoist Schaal. 
Chaque poche des eaux est donc unique et susceptible d’engendrer un apprentissage sensoriel individualisé. Cette vie prénatale contribue, pour le directeur de recherche au CNRS, « à préformer le potentiel initial de sensibilité, de discrimination, de mémoire, de préférences, de réponses motrices, qui constitueront la “boîte à outils” du nouveau-né ». 

Construction dans la continuité 

Car dès le plus jeune âge, les bébés manifestent des préférences. Il semblerait notamment que le contexte dans lequel le fœtus a mémorisé une perception sensorielle donnée influence celle-ci à long terme – comme c’est le cas chez certains animaux. L’un des éléments de ce contexte étant l’état émotionnel de la mère, auquel l’enfant à naître serait sensible. Celui-ci pourrait ainsi éprouver de l’attraction envers une odeur enregistrée dans des circonstances sécurisantes, ou à l’inverse « un franc rejet » envers une autre engrangée dans un état de malaise. Or « l’acquisition d’une préférence (ou d’une aversion) au cours de la vie fœtale peut être durable », souligne Benoist Schaal. Peter Hepper, professeur à la faculté de psychologie de la Queen’s University de Belfast (Irlande du Nord), et son équipe ont par exemple montré qu’une corrélation entre l’exposition à l’arôme d’ail in utero et une prédilection pour un aliment à l’ail est encore mesurable chez des enfants âgés de 8 à 9 ans. 
À plus court terme, a fortiori, la construction sensorielle du tout-petit se fait dans la continuité de la gestation. Car la physiologie de l’odorat est la même chez lui que chez le fœtus à neuf mois, pointe Benoist Schaal. « L’expérience olfactive fœtale contribue ainsi à structurer les chaînes nerveuses de l’activité perceptive et cognitive, et à orienter les premières réponses du nouveau-né. » Il faudrait donc éviter une rupture trop brutale entre les vies intra-utérine et extra-utérine. Le gynécologue-obstétricien Pierre Rousseau, qui a longtemps exercé au CHU Tivoli de La Louvière (Belgique), conseille d’ailleurs aux femmes qui allaitent de ne pas modifier leur alimentation après l’accouchement. 

Quête de réconfort 

La naissance est une épreuve pour l’enfant, et accompagner celui-ci dans une certaine continuité sensorielle semble déterminant pour son développement. Certaines recherches ont prouvé que le nouveau-né recherchait une telle stabilité. En 1995, Benoist Schaal, Luc Marlier et Robert Soussignan (de l’université de Reims) ont découvert que, deux jours après sa venue au monde, celui-ci est attiré par l’odeur du liquide amniotique. À trois jours, confronté à deux liquides amniotiques distincts, « le sien et celui d’un autre fœtus, il s’oriente plus rapidement et plus longuement vers le premier », concluront-ils même dans une étude postérieure. Une preuve supplémentaire de la capacité du cerveau néonatal à encoder les effluves de son environnement utérin. 
Que recherche le nourrisson en se dirigeant vers cette senteur familière ? Du réconfort, assurément. Heili Varendi, du département de pédiatrie de l’université de Tartu (Estonie), démontre en 1998 l’effet apaisant sur les bébés de l’odeur de leur liquide amniotique : ceux qui y sont exposés pleurent moins (en moyenne vingt-neuf secondes) que ceux qui sentent le sein de leur mère (en moyenne trois cent une secondes). 
D’autres études du groupe de recherche dijonnais du Centre des sciences du goût et de l’alimentation ont souligné qu’une continuité était naturellement assurée par l’intermédiaire du colostrum : ce « premier lait » sécrété par la mère après l’accouchement possède, selon Luc Marlier, des caractéristiques olfactives communes avec le liquide amniotique. Les effluves de ces deux substances sont même si semblables que les bébés ne seraient pas en mesure de les différencier. « Cette ressemblance entre les deux fluides périnatals est toutefois transitoire, puisqu’avec l’avènement de la lactogenèse (entre 2,5 et 3,5 jours postpartum) le colostrum sera progressivement remplacé par le lait », précise Maryse Delaunay-El Allam dans sa thèse sur la rétention à long terme de l’expérience sensorielle du nouveau-né. 
L’attrait des tout-petits pour les stimulus auxquels ils sont habitués ne se limite pas aux substances organiques : Benoist Schaal a constaté que l’exposition à une odeur artificielle avant la naissance modifie sa perception ultérieure. Un arôme connu est généralement doté d’une valeur positive, « soit par simple familiarisation – ce qui est familier étant plus attractif que ce qui est nouveau –, soit par des mécanismes d’association », précise-t-il. 

« Méthode kangourou » 

Les choses sont plus complexes dans le cas des grands prématurés (nés au bout de six à sept mois de grossesse), car toutes leurs connexions neuronales ne sont pas encore établies. Pour favoriser leur développement, la pédiatre Nathalie Charpak est une fervente avocate de la « méthode kangourou » : faire porter l’enfant prématuré par ses parents sur leur ventre, peau contre peau, aussi souvent et longtemps que possible, plutôt que de le maintenir dans un incubateur. L’équipe soignante s’emploie à traiter les troubles spécifiques dont le bébé souffre, explique-t-elle ; pour le reste, « on aimerait bien pouvoir le remettre dans le ventre de sa mère, mais on ne peut pas ! ». Le placer à plat ventre contre le torse de celle-ci est, selon Nathalie Charpak, la solution s’en approchant le plus. L’objectif est d’aider « le cerveau à grossir avec des stimulations sensorielles – notamment olfactives – dont [l’enfant né avant terme] jouirait s’il était encore dans le ventre de sa mère ». Cela permet aussi de « l’accompagner dans un sommeil profond et [d’assurer] une meilleure stabilisation de ses signes vitaux », précise la pédiatre française installée en Colombie, où elle a découvert cette méthode. L’objectif est clair : « réduire le stress, qui est aussi dangereux pour l’adulte que pour l’enfant » et auquel le prématuré est très exposé. Certains services préconisent à cette fin de placer des pièces de tissu imprégnées de l’odeur maternelle dans la couveuse, mais pour Nathalie Charpak « la maman elle-même est le meilleur incubateur qui soit ». 
L’un des troubles les plus inquiétants chez ces bébés est l’apnée du sommeil, une interruption temporaire de la respiration qui « diminue l’oxygénation, notamment du cerveau, et peut entraîner des perturbations neurologiques ou des retards de développement », détaille Jean Messer, ancien chef du service de médecine et de réanimation du nouveau-né au CHU de Hautepierre à Strasbourg. Or, selon une étude qu’il a cosignée en 2005 avec le chercheur au CNRS Luc Marlier, l’odeur de vanille peut avoir des bénéfices non négligeables en la matière : les chercheurs ont constaté une réduction de 36 % du nombre d’épisodes d’apnée chez des prématurés sujets à ce trouble, lorsque ce parfum était diffusé. La présence d’effluves agréables semble avoir tendance à accélérer le rythme respiratoire, et ce d’autant plus que la fréquence est basse. 
Les enfants nés avant terme peuvent par ailleurs avoir des difficultés à se nourrir. Téter n’est pas chose aisée pour un cerveau dont les connexions neuronales ne sont pas terminées, ni « pour un corps qui n’a pas encore acquis une musculature orale suffisamment endurante et une coordination succion-déglutition-respiration », précise Benoist Schaal. Afin d’encourager le bébé à devenir plus autonome, il est essentiel d’accompagner les périodes de succion de stimulus olfactifs d’ordre alimentaire, affirme Monique Haddad, ancienne orthophoniste du service de néonatalogie du centre hospitalier Victor-Dupouy à Argenteuil. Elle souligne que ce trouble doit être corrigé de manière précoce, car il peut avoir des conséquences néfastes à long terme, notamment lorsqu’il sera question pour l’enfant d’avoir une alimentation variée ou d’ingérer des morceaux. Sans accompagnement, pointe l’orthophoniste – aujourd’hui retraitée –, on risque notamment de voir apparaître des phobies alimentaires, mais également des troubles dans la motricité bucco-faciale, avec des conséquences sur la parole.

Former des liens

Dans son livre Les Nourritures affectives (éd. Odile Jacob, 1993), le neuropsychiatre Boris Cyrulnik nous rappelle l’importance de la dimension sensorielle et de l’affectivité dans le développement du lien unissant l’enfant à ses parents. « Un enfant […] comprend bien avant de parler. La pensée s’organise d’abord à partir des perceptions qui alimentent les premières représentations sensorielles », écrit-il. Les odeurs font partie intégrante de cet environnement sensible auquel le tout-petit va s’attacher pour créer des relations. 
Le gynécologue-obstétricien Pierre Rousseau rappelle avec indignation l’époque où les « nouveau-nés étaient immédiatement emportés pour être soignés, pesés, habillés et […] hurlaient dans les bras de la soignante qui les ramenait vers leur mère ». Lui qui a travaillé dans ces conditions se souvient d’avoir vu des nourrissons se relâcher brusquement et se calmer « au moment où ils arrivaient au-dessus de la table d’accouchement où se trouvait leur mère. La palpitation des narines qui précédait leur apaisement suggère qu’ils avaient reconnu son odeur » –même si pour Benoist Schaal la question reste ouverte, car « ce battement des narines pourrait indiquer simplement l’épuisement et l’essoufflement ». Cette perception des effluves maternels est, pour Pierre Rousseau, « une étape importante dans l’établissement de l’attachement ». Le médecin insiste aussi sur le fait que seul un environnement sécurisant permet la formation de liens sociaux structurants. Or Sarah Jessen, du département de neurologie de l’université de Lübeck, en Allemagne, a mesuré par électroencéphalographie comment réagissent des nourrissons de 7 mois face à des signaux inquiétants – en l’occurrence, des visages exprimant la peur –, en présence de l’odeur de leur mère. L’étude montre que celle-ci les rassure instantanément et de façon durable. « Nos données suggèrent que l’olfaction, une modalité sensorielle qui a été largement négligée comme signal social dans notre propre espèce, pourrait fonctionner comme un modulateur crucial dans l’apprentissage social précoce », concluent les auteurs. 

Circuit de la récompense 

Les effluves corporels jouent en effet un rôle central dans nos relations interpersonnelles [voir « La chimie de l’attirance », dans Nez #03]. Comme l’ont étudié Benoist Schaal et ses équipes dès les années 1980 et de nombreux autres scientifiques depuis, ils nous permettent de reconnaître nos pairs et constituent un élément clé de notre communication affective. Or ces deux fonctions sont à la base de la constitution du lien mère-enfant. Lors d’entretiens menés par l’équipe de Pierre Rousseau au CHU Tivoli de La Louvière, une femme confie peu après la naissance de sa fille : « Les souvenirs que j’ai, c’est vraiment le contact de sa peau, l’odeur, et je pense qu’elle me sentait aussi… Je crois que c’est à ce moment-là que je suis devenue maman. » A contrario, « les mères qui ont, en raison de divers troubles mentaux, des problèmes de liaison avec leur enfant présentent une perception olfactive anormale » et peuvent avoir des difficultés à reconnaître son odeur, selon une recherche conduite par Ilona Croy, docteur en psychologie et directrice du groupe de recherche du département de médecine psychosomatique à l’université de Dresde (Allemagne). 
En 2013, Johan Lundström, docteur en psychologie rattaché au Karolinska Institutet de Stockholm (Suède), associé à d’autres groupes de chercheurs de Dijon, Montréal (Canada) et Dresde, a par ailleurs démontré que l’odeur d’un nouveau-né, en plus d’être perçue comme plaisante, active chez les femmes le circuit cérébral de la récompense. Une réaction physiologique qui pourrait contribuer à développer le lien d’attachement. Pierre Rousseau note d’ailleurs qu’il n’est pas rare de voir une jeune mère ou un jeune père sentir le crâne de son bébé et s’écrier : « Ça fait du bien ! » 
Des scientifiques japonais se sont intéressés tout spécialement à cette question. Sous la direction de Mamiko Ozaki, professeur au département de biologie de l’université de Kobe, ils ont identifié la composition chimique de l’effluve se dégageant de la tête du tout-petit et ont pu constater que celui-ci évoluait : son individualité est plus marquée une heure après la naissance que deux à trois jours plus tard. Cela tendrait à renforcer l’hypothèse de l’existence d’une communication sensorielle précoce mère-enfant. 
L’olfaction est difficile à étudier et à mesurer chez des sujets aussi jeunes, mais peu de doutes subsistent sur le fait que la communication chimique et les perceptions enregistrées très tôt pourraient influencer durablement la construction individuelle, par une lecture sensible de l’environnement. Benoist Schaal en est lui-même convaincu : les odeurs permettent de « diriger l’attention, la motivation et les émotions de l’enfant, et contribuent ainsi à organiser ses connaissances sur le monde ».

 

Cet article est initialement paru dans Nez, la revue olfactive #11 : La vie & la mort.

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