À l’occasion de la fête des mères, nous vous proposons un extrait de Par le bout du nez de Sarah Bouasse, fraîchement publié aux éditions Calmann-Lévy. Dans le dernier chapitre de cet ouvrage personnel et émouvant, elle nous parle de son rapport aux odeurs de ses filles : l’amour maternel passe aussi par les senteurs.
Présent·es
Sur lescoups de trois heures, comme toutes les nuits, elle se met à hurler. Pourvu qu’elle ne réveille pas sa grande sœur. Je me précipite jusqu’à son lit, l’exfiltre de derrière les barreaux et me dirige vers le salon sur la pointe des pieds, direction la baie vitrée. Au-dessus des immeubles, une moitié de lune s’est faufilée à travers une fente dans le velours de la nuit. C’est un beau spectacle, mais elle s’en fout. Elle veut manger. Je m’affale sur le canapé, la couche contre moi et soulève mon t-shirt. Branchement immédiat. La gravité entraîne ma tête lourde de sommeil contre la sienne. Je ferme les yeux et étreins tendrement ce petit corps en pyjama rayé qui s’affaire sur mon sein gauche. Galvanisé par l’effort, il devient de plus en plus chaud. Sous mes lèvres, son front est moite. Et son odeur, comme propulsée vers l’extérieur, irradie avec force jusqu’au fond de mes narines. Mon bébé sent les pâtes, comme mon petit frère quand il était nourrisson. Quand j’avais 4 ans, tout juste devenue grande sœur, cette odeur déclenchait en moi une vision bien précise : l’intérieur d’un macaroni trop cuit. Aujourd’hui, je la décrirais plutôt comme une note grasse et douceâtre, quelque part entre céréales torréfiées, levure boulangère et fromage blanc. Mais à cette seconde précise, suspendue dans l’éternité de la nuit, les mots n’ont aucune importance. Je me délecte de ce qui entre dans mon nez, pas tant pour ce que ça sent mais parce que c’est un peu de ma fille que j’incorpore. Quelques molécules échappées d’elle, rentrées à l’intérieur de moi. Retour à l’envoyeur. Je songe que cette manie que je partage avec beaucoup de mères de renifler mon bébé révèle peut-être une tentation de prolonger cet état de fusion qu’a été ma grossesse en « avalant » ma progéniture. Je ne m’en prive pas car je sais que tout se fait plus rare à mesure que le temps passe : les odeurs elles-mêmes, et les occasions de les sentir. Hier encore, c’est sa sœur qui portait ce petit pyjama taille 6 mois. Elle sentait le pain chaud dans les plis du cou et le Kiri dans la bouche. Aujourd’hui elle a 4 ans et ces odeurs ont disparu. Remplacées par d’autres, qui disparaîtront à leur tour. Rien ne dure, et certainement pas ces choses-là : il faut en profiter sur le moment. Alors j’attrape au vol tout ce que je peux. Je pose le nez sur ses joues tièdes quand je la réveille le matin pour l’école. Je me rapproche un peu quand elle me parle, pour mieux entendre son haleine. Et je m’enivre de ses cheveux qui sentent la fourrure de chat. Toutes ces exhalaisons qu’il serait trop bête de laisser se perdre. Leur part des anges. Quand je dis à mes filles que je voudrais les manger – que faire d’autre de tout cet amour ? –, c’est ce que mon nez me permet de faire, un peu. Les renifler me repaît, apaise une faim immense. Sûrement le creux qu’elles ont laissé dans mon ventre en le quittant. Le soir, quand nos trois têtes s’alignent sur un même oreiller pour lire une histoire tandis que mes poumons brassent l’air dans lequel nous nous évaporons à l’unisson, je me dis parfois que je voudrais que tout s’arrête, là, maintenant. Rester à jamais sur ce moment. Figer le bonheur absolu de les savoir tout près de moi, juste ici, avec cette certitude totale que seul mon nez peut m’offrir. La présence de l’autre n’est jamais plus tangible, jamais plus vraie, jamais plus assurée que lorsque son odeur s’insinue en vous. Qu’il fait corps avec vous. Que son existence se fond dans la vôtre. […]
Journaliste, autrice et traductrice, Sarah Bouasse est spécialiste des odeurs et du parfum. Elle écrit notamment pour Nez, la revue olfactive depuis ses débuts. En 2024, elle publie « Par le bout du nez », son premier livre, aux éditions Calmann-Lévy.
Journalist, author, and translator, Sarah Bouasse is a specialist in scents and perfumes. She has been writing for Nez, the olfactory magazine, since its inception. In 2024, she published her first book, "Par le bout du nez," with Calmann-Lévy publishing.
Le Wadi Dawkah, qui compte pas moins de 5 000 arbres à encens, a été inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2000 comme l’une des quatre Terres de l’encens. Cette distinction vient souligner l’importance du commerce de sa résine à travers les siècles dans le Sultanat d’Oman. De quoi encourager le gouvernement omanais et Renaud Salmon, directeur de la création pour la maison Amouage, à mettre en place une industrie d’huile essentielle d’encens d’Oman à la pointe de la qualité. Dominique Roques, sourceur d’ingrédients naturels pour la parfumerie depuis plus de 30 ans, est chargé d’implanter le projet de renaissance de cet arbre précieux dans le Wadi Dawkah. Il sera notre guide pour nous en parler et nous présenter cet ambitieux projet, dont le déploiement prendra plusieurs années.
Ce podcast est uniquement disponible en anglais.
AU SOMMAIRE DE NOTRE GRAND DOSSIER « WADI DAWKAH »
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Journaliste au Monde, Béatrice Boisserie a lancé les ateliers de YOS (yoga olfacto-sonore) pour se mettre à l'écoute de l'effluve, du souffle et de la voyelle. En 2012, elle a créé le blog Paroles d'odeurs pour reccueillir les souvenirs olfactifs de personnalités ou d'inconnus. Après des études de philosophie et d'ethnologie, elle se forme au parfum chez Cinquième sens et au yoga du son à l'Institut des arts de la voix. Elle est l'auteur de 100 questions sur le parfum (La Boétie, 2014).
A journalist at Le Monde, Béatrice Boisserie is a member of the Nez Collective. She has notably published 100 questions about perfume (ed. La Boétie, 2014).
À l’occasion de la Nuit européenne des musées ce samedi 18 mai, et pour vous inviter à respirer les œuvres, nous vous proposons de plonger le nez dans Rédemption, analysée par Carole Couturier & Constance Deroubaix dans Nez#14 – Musique & parfum. Cette toile de Julius Stewart, Américain installé à Paris et ancien élève du peintre pompier Jean-Léon Gérôme, est l’une des perles de La Piscine de Roubaix.
En 1905, dans la Ville lumière, règne l’insouciance de la Belle Époque. Dans les cabarets ou les soirées interlopes, la fête, que l’auteur condense ici dans la partie droite du tableau, se poursuit jusqu’au bout de la nuit. Dans une euphorie alcoolisée, les consciences, en s’effritant, s’affranchissent des conventions. Les corps alanguis lâchent prise. La proximité de jeunes femmes dont la peau moite exsude l’essence la plus intime galvanise les hommes d’âge mûr. Leur libido s’emballe, provoquant sous les vestons un surcroît de température et de sudation. Ces effluves virils en surchauffe s’unissent au parfum entêtant des lys qui ornent la table…
Certaines convives tentent de résister à la convoitise masculine. La brune de dos au premier plan repousse l’homme au monocle, un vieux beau au teint rougeoyant et à l’haleine chargée d’alcool dont la main se glisse sous le voile de sa robe. Le geste, déjà, est celui du propriétaire… D’autres couples, aussi improbables qu’éphémères, se forment. Une jeune femme, à droite, enlace par l’épaule un homme au crâne chauve. Une autre, au fond, tend joyeusement les bras au fumeur de cigare ; l’âcre nuage de foin coupé mêlé d’ammoniac lui va droit dans le nez… L’assemblée semble trop absorbée pour remarquer la grande blonde au regard halluciné, dressée devant sa chaise. Le petit jour blafard, qui point à gauche entre les lourds rideaux de velours, éclaire sa toilette immaculée. Une robe somptueuse ornée de perles et piquée à l’endroit du cœur d’une rose opulente aux couleurs tendres. Deux autres sont plantées de part et d’autre du chignon. Les pétales embaument de leur parfum délicat le visage pétrifié.
La main droite tient l’iris. Cette fleur était, pour les anciens, la messagère des dieux ; aussi sa présence dans ce tableau à l’aura mystique n’a t-elle rien d’anodin. Par ailleurs, dès les années 1900, elle était prisée de la parfumerie de luxe, pour sa senteur poudrée. Deux autres iris se fanent à terre. Ils évoquent Fleur qui meurt, créé en 1901 par Jacques Guerlain et dont la chaude odeur d’iris et de violette illustrait cet ultime instant où la fleur rend l’âme en libérant son parfum. Beaucoup plus inquiétante est l’autre main, dont les quatre doigts griffus se déploient sur la table. À partir de ce détail aux relents de soufre, le sens du tableau se dévoile. En proie au démon, la jeune femme est foudroyée par une apparition. Son regard bleu fasciné fixe le christ en croix dont l’image se révèle à nous, spectateurs, dans le miroir situé derrière elle. Va-t-elle réussir à s’arracher à ce monde de débauche et de vacuité qu’incarne, à droite, la fumeuse solitaire ? Tout porte à le croire : la robe virginale, la lumière du jour qui éclot et jusqu’au titre de l’œuvre. Rédemption fait de son héroïne une moderne Marie-Madeleine.
Visuel principal : Julius Stewart, Rédemption, Huile sur toile (détail), 1905. La Piscine, musée d’art et d’industrie, Roubaix. Source : Wikimedia Commons
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Constance Deroubaix
Constance Deroubaix est experte parfum, et a cofondé avec Carole Couturier In The Ere en 2013, où elles animent des conférences et ateliers sur le parfum pour des événements professionnels et pour les particuliers.
Historienne de l'art, conférencière des musées nationaux, elle a cofondé avec Constance Deroubaix In The Ere en 2013, où elles animent des conférences et ateliers sur le parfum pour des événements professionnels et pour les particuliers.
Hier soir, à Bordeaux, avait lieu la deuxième édition du Bras de fer olfactif, un événement organisé par l’équipe de la boutique de parfumerie indépendante Le Nez insurgé, dans une ambiance festive et réjouissante.
Boules à facettes, costume de gladiateur et pluie de paillettes : lorsque je franchis les portes du Blonde Venus, l’ambiance bat déjà son plein. Pour la deuxième fois (et certainement pas la dernière !) Dorothée Duret et son équipe de la parfumerie de niche Le Nez insurgé ont élu domicile dans cet écrin capitonné de velours rouge niché au bord de l’eau. Participants au nez entraîné, public averti, invités bariolés : du beau monde fourmille autour des tables et fauteuils de cuir, impatients que débutent les festivités.
Sur l’estrade, les quelque 30 fragrances de niche qu’ont dû mémoriser les 27 candidats au cours des cinq dernières semaines trônent dignement. Du mimosa frais et poudré du Flocon de Johann K – le premier bébé d’Isabelle Larignon, présente parmi les invités – en passant par Leather Shot d’Olfactive Studio, la marque de Céline Verleure que j’aperçois en face, Un Été d’Obvious (piloté par David Frossard, ici présent) et Poudrextase de Briac Frocrain (à ma droite) pour sa marque Marlou, la sélection est aussi belle qu’éclectique.
À vingt heures, c’est parti : Eye of the Tiger en fond et lumières roses ricochant sur les verres, le présentateur appelle un à un sur scène les candidats qui s’affronteront ce soir. Parmi ceux-ci, on retrouve Camille, la gagnante de la première session l’année dernière, toute de plumes vêtue. Et le jeu commence fort : seuls 16 d’entre eux pourront poursuivre l’aventure à l’issue du premier round.
Ils forment un cercle, au centre duquel chacun devra sentir et reconnaître à l’aveugle trois créations parmi les 30, en moins de 30 secondes : il faut en avoir trouvé deux a minima pour être présélectionné.
Les concurrents se succèdent, et dans un silence attentif on entend fuser les noms des flacons prononcés avec plus ou moins d’assurance : « Cacao Porcelana ! »[1]Parfum d’Atelier Materi « Esprit de contradiction ? »[2]Parfum de Maison Matine et « Rien »[3]Parfum d’État libre d’Orange . Et on peut le dire, les candidats sont impressionnants !
Après une courte pause durant laquelle le public est invité à miser un jeton pour le joueur de son choix, le combat reprend. Deuxième round, toujours en musique : les candidats s’affrontent en duo, le premier qui devine le parfum vaporisé gagne. Le stress monte d’un cran, toujours dans la bonne humeur.
Il n’en reste plus que deux : Camille, qui semble bien déterminée à conserver son titre une année de plus, et Igor, le plus jeune participant de ce bras de fer olfactif. Du haut de ses 18 ans, il précise qu’il ne connaissait pas grand-chose à la parfumerie avant ces dernières semaines : « Je cherchais un nouveau parfum, j’ai franchi les portes du Nez insurgé. C’était la première fois que je rentrais dans la boutique. On m’a proposé de participer au concours. Je me suis dit : pourquoi pas ? L’idée de découvrir plein de créations me plaisait bien ; j’ai toujours aimé les choses bien faites. »
Petit intermède : l’oreille olfactive. Deux personnes du public sont invitées à choisir, parmi trois parfums – à l’aveugle toujours – celui qui correspond le mieux à la musique. Un rap musclé ? C’est évidemment La Haine de Moth and Rabbit, avec ses notes métalliques acérées, fumées et cuirées. Musique aux inspirations hawaïennes, évoquant les vacances sur une île ensoleillée ? L’écho parfait aux embruns marins et citronnés de Mami Wata, de La Seconde Affaire du pommier.
Les festivités se poursuivent, et les demis-finalistes déchus choisissent chacun un professionnel pour les représenter sur un nouveau défi. Qui d’Amélie Bourgeois (Flair) ou d’Andrea Rubini (fondateur de la marque Rubini Profumi) trouvera en premier la note carotte dans l’une des trois mouillettes anonymes ? Elle se dévoile dans Iris cendré, de Naomi Goodsir. Ex-aequo, les deux participants réitèrent l’exercice autour de la poire : Amélie Bourgeois la perçoit dans Sonic Flower de Room 1015 !
Camille et Igor, les deux finalistes, se font face. Dorothée Duret, de dos
C’est finalement l’heure du moment tant attendu : cœur battant et nez aux aguets, Camille et Igor se font face, une mouillette est proposée à chacun, et en quelques secondes le plus jeune donne son verdict : « Dom Rosa ! », la création des Liquides imaginaires, lui permet de remporter le titre cette année ! (Youpi, j’avais parié sur Igor !). Philippe di Meo, le fondateur de la marque, parle de son histoire, celle d’un amour entre la rose et la vigne.
Tous les candidats se félicitent, et la soirée se poursuit dans une ambiance festive. C’est cet esprit de concours convivial, d’entraide entre les participants, que Dorothée Duret me confie avoir préférée, notamment lors des séances de coaching organisées à sa boutique bordelaise. Igor, le lauréat, précise quant à lui : « J’ai senti à l’aveugle en m’entraînant tous les soirs avec ma mère, sans utiliser de méthode en particulier. J’ai beaucoup aimé cette expérience, découvrir ces créations, mais aussi les rencontres avec les autres participants ! »
Venus de tous les univers, amateurs de longue date, collectionneurs de flacons ou simples curieux qui découvrent un nouvel univers, ils ont tous eu le courage de mettre leur nez à l’épreuve.
S’il fallait une preuve que la parfumerie peut réunir, réjouir et amuser, elle s’est assurément illustrée lors de la soirée du 16 mai. Prenons-en de la graine !
Visuel principal : Camille, gagnante du Bras de fer olfactif 2023
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
Si la parfumerie est un élément important de notre quotidien, elle a également joué un rôle essentiel à travers l’histoire, s’ancrant dans différentes cultures et sociétés aux quatre coins du globe. C’est cette thématique qu’ont abordés cinq spécialistes issus de divers horizons, réunis lors du Global Fragrance Summit de l’IFRA qui s’est tenu en décembre dernier, à Genève. Retrouvons dans ce podcast Delphine de Swardt, membre de Nez, le mouvement culturel olfactif ; Philippe Massé, président de Prodarom ; Hiroyuki Matsuo, directeur adjoint chargé de la réglementation et de la sécurité chez Takasago et président du comité des parfums de la Japan Flavor and Fragrance Materials Association ; Monica Rossetto, parfumeuse ; et Bhuvana Nageshwaran, directeur des arômes et des parfums chez Ultra International Ltd.
Ce podcast est uniquement disponible en anglais.
Crédit photo : IFRA.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
En cette Journée internationale de la lumière, Nez vous propose de découvrir les liens qu’ont entretenus et entretiennent encore les odeurs avec différents dispositifs lumineux, depuis les effluves plus ou moins importuns qui émanaient des lampes de nos ancêtres jusqu’aux projets de design les plus contemporains.
On a longtemps cru que les odeurs, comme la lumière, étaient le résultat d’ondes venant faire vibrer notre nerf olfactif. Cette théorie perdure jusqu’à assez tardivement[1]Malgré les critiques d’une large partie de la communauté scientifique, quelques chercheurs affirment encore que la fréquence de vibration des molécules odorantes est ce qui nous permet d’en … Continue reading et l’on souligne ainsi dans un journal de 1900 que les perceptions olfactivesauraient pour origine « un rapport indirect au moyen de rayons de courte ondulation, analogues à ceux que nous considérons comme la cause de la lumière »[2]Henri de Parville, « Revue des sciences », Journal des débats politiques et littéraires, 25 janvier 1900, p. 2. , ou encore, en 1910 que « la science contemporaine admet qu’une odeur n’est en dernière analyse qu’un phénomène vibratoire. De même que la chaleur, la lumière, le son et l’électricité, l’odeur serait donc une radiation que nous percevons suivant sa longueur d’onde et sa fréquence. » [3]Pierre Piobb, « Science et art des parfums », La Liberté, 30 octobre 1910, p. 1.
Certes, cette théorie avait déjà ses détracteurs. En 1877 on pouvait par exemple en lire cette réfutation dans un ouvrage d’anatomie : « Quelques savants ont pensé que les odeurs résultaient aussi d’un mouvement vibratoire […] mais Fourcroy démontra l’origine des émanations odorantes dans la volatilité des matériaux immédiats des végétaux, et les odeurs sont généralement considérées aujourd’hui comme des corps existant par eux-mêmes, et non comme un résultat purement physique, comparable aux ondes lumineuses ou sonores ». [4]Auguste Le Pileur, Le Corps humain, Paris, Hachette, 1877, p. 253. Ce qui n’empêcha pas, en 1920, le pharmacien René Cerbelaud d’affirmer encore que « les ondes odoriférantes émises par les essences peuvent être comparées aux ondes lumineuses émises par le radium. » [5]René Cerbelaud, Formulaire des principales spécialités de parfumerie et de pharmacie, Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, conforme au Codex 1908, 1920, p. 297. Certaines théories ont la vie dure…
Le fonctionnement complexe de notre odorat,[6]La perception visuelle, qu’autorise la lumière, dépend chez l’être humain de trois types de photorécepteurs (les cônes, les bâtonnets et les cellules ganglionnaires photosensible) … Continue readingla difficulté d’observer scientifiquement les molécules odorantes, mais aussi le désintérêt des penseurs et des scientifiques à son égard expliquent certainement que l’on ait longtemps propagé ce genre d’inexactitudes. Bien que l’obscurantisme concernant ce sens ait duré de longs siècles – même aux périodes considérées comme les plus éclairées de notre histoire occidentale [7]Comme le dit Hirac Gurden dans son récent ouvrage : « le siècle des Lumières ne met pas le projecteur sur l’odorat ! Au contraire, il l’éteint complètement. » (Sentir. … Continue reading– on sait à présent que les perceptions visuelles et celles de l’odorat sont de nature tout à fait différente. Les premières sont en effet le fruit de stimuli physiques (ondes électromagnétiques), tandis que les secondes, de nature chimique, sont le résultat du contact entre certaines molécules volatiles et l’extrémité des neurones olfactifs qui se déploient dans une muqueuse située au fond des fosses nasales. A priori rien de commun donc entre ces deux phénomènes et modalités de perceptions. Et pourtant, certains ponts existent bel et bien entre lumière et odeurs ! [8]D’un point de vue neurobiologique notamment, les correspondances transmodales sont l’une des manières par lesquelles la vue et l’odorat interagissent et s’influencent … Continue reading
Quand s’éclairer puait
Au sein de la culture matérielle de l’humanité, odeurs et lumière partagent notamment une histoire commune. L’origine même du mot français « parfum » (du latin per fumum, « par la fumée ») est liée à un processus qui est à la fois source de senteurs et de luminosité : la combustion. De surcroît, pendant plusieurs millénaires, les substances utilisées pour produire de la lumière étaient très largement odorantes. Outre les feux de bois qui répandent leurs senteurs en fonction de l’essence d’arbre brûlée, les premières torches, enflammées grâce à de la poix, exhalaient également des effluves tout à fait caractéristiques.
Les lampes à graisse, dont les premières connues datent du Paléolithique supérieur, n’étaient guère moins odorantes et les archéologues savent aujourd’hui déterminer assez précisément ce que pouvaient sentir les différents ustensiles de combustion destinés à l’éclairage retrouvés un peu partout dans le monde. Les résidus de graisses animales, d’huiles végétales ou de cire d’abeille retrouvés dans ces lampes sont en effet de précieux indices à ce sujet, de même que, plus proche de nous, les sources textuelles, qui les décrivent, encore au XIXe siècle, comme fortement odorantes.
Lampe à huile en terre cuite chypriote, IVe siècle av-J.C
L’éclairage public fut aussi longtemps vecteur de nombreuses émanations, souvent fort peu ragoutantes. Au XVIIe siècle, les falotiers, chargés d’allumer chaque jour les réverbères, utilisent par exemple des chandelles à l’huile de tripes qui répandent leurs remugles. Dans la seconde moitié du siècle, cette matière d’origine animale est peu à peu remplacée par de l’huile de colza, dont l’odeur est certes moins puissante, mais toujours assez peu agréable. Puis c’est le gaz de houille – aussi appelé « gaz d’éclairage » – qui devient le combustible le plus employé, ayant certes l’avantage de brûler sans produire de suie mais dont la combustion produit néanmoins du sulfure d’hydrogène et dioxyde de soufre, au doux parfum d’œuf pourri… [9]On trouve dans la littérature du XIXe siècle de nombreuses références à l’odeur infecte et suffocante des becs de gaz.
Ce n’est guère mieux dans les salles de théâtre et d’opéra, mal ventilées, où les spectateurs sont régulièrement assaillis par de fortes concentrations de molécules malodorantes émanant des différents dispositifs d’éclairage, depuis les chandelles jusqu’aux lampes à pétrole en passant par les lampes à gaz oxhydrique. De la même manière, les premiers spectacles de lanternes magiques, qui se popularisent au XVIIe siècle, sont particulièrement nauséabonds, les lampes de projection fonctionnant alors à l’huile – de baleine, de phoque, de colza ou d’olive –, puis au kérosène à partir de 1853. C’est d’ailleurs entre autres pour cette raison qu’à la fin du XVIIIe, le grand fantasmagore belge Étienne-Gaspard Robertson employait parfois de l’encens dans ses attractions, la combustion des résines parfumées permettant de couvrir les exhalaisons des lanternes elles-mêmes.[10]Clara Muller, « L’expérience olfactives dans les attractions historiques, les médias et les arts visuels (1) », Astasa [En ligne], 28 décembre 2022.
Ainsi, jusqu’à très récemment, l’éclairage domestique comme public impliquait toujours de subir toutes sortes d’émanations impondérables, plus ou moins envahissantes et désagréables. L’électricité, qui se développe à partir de 1880, permet enfin de changer la donne.[11]On trouve tout de même à la fin du XIXe siècle des mentions de « l’odeur de l’électricité », faisant référence soit à l’odeur de l’ozone qui remplit … Continue reading Lumière et odeurs ont ainsi divorcé, dissociant rapidement dans nos imaginaires deux phénomènes qui furent pourtant intimement liés dans l’expérience humaine pendant des millénaires. C’est d’ailleurs cet oubli qu’évoque Marcel Proust en 1913 dans le premier tome de À la recherche du temps perdu lorsqu’il mentionne la« sensation d’étouffement que peut causer aujourd’hui à des gens habitués à vingt ans d’électricité l’odeur d’une lampe qui charbonne ou d’un veilleuse qui file. »[12]Marcel Proust, Du Côté de chez Swann, Paris, B. Grasset, 1914, p. 331.
L’âge d’or des lampes à parfum
Entre le début du XIXe et celui du XXe siècle, de nombreux textes font état de « lampes odoriférantes », plus ou moins précieuses, diffusant cette fois-ci des arômes soigneusement sélectionnés. Mais celles-ci, bien que portant le nom de « lampes » en raison de la combustion qu’elles réclament – la plus célèbre restant la Lampe Berger –,[13]La Lampe Berger, toujours commercialisée aujourd’hui, est créée en 1898 par le préparateur en pharmacie français Maurice Berger, sous le nom, évocateur, de « diffuseur fumivore … Continue reading ne sont en réalité pas destinées à l’éclairage, même si certains prétendaient qu’on pouvait, à leur lueur, « reconnaître pendant la nuit, l’heure à une montre ». [14]J.-B. Batka, « Description d’une nouvelle lampe odoriférante », Journal de pharmacie et des sciences accessoires, 1er janvier 1828, p. 410.Il s’agit en fait de simples diffuseurs, comme en témoigne par exemple ce mode-d’emploi daté de 1897 : « Prenez une lampe à alcool ordinaire que vous remplissez d’eau de verveine, de violette, de Cologne, etc., ou d’essence aromatique, si c’est pour une chambre de malade. Dans la mèche, introduisez un fil de fer au bout duquel vous aurez fait poser une petite boule de platine spongieux. […] On allume, et lorsque la boule est devenue tout à fait rouge, on éteint la mèche. Le platine restant incandescent, le parfum se répand un temps infini dans l’appartement. »[15]Anonyme, « Un conseil par jour. Lampe à parfum », La Fronde, 13 décembre 1897, p. 4.
De véritables lampes odorantes naissent en revanche dès les années 1920, comme si la disparition des odeurs avec l’arrivée de l’électricité avait créé un manque et l’envie immédiate de ré-odoriser la lumière, ce que favorise la démocratisation des parfums. En 1924, Hazel E. Palmer dépose ainsi aux États-Unis un brevet pour « une nouvelle lampe à parfum ornementale, composée entièrement de coquillages naturels groupés autour d’une ampoule électrique à incandescence de manière à ressembler à une grande fleur. […] L’une des caractéristiques les plus importantes de cette invention est le récipient en coquille naturelle (14) situé à côté de l’ampoule (11), où le parfum liquide reçoit de la chaleur et est vaporisé. » [16]C’est encore aujourd’hui le principe des lampes chauffe-bougie destinées à diffuser le parfum contenu dans la cire d’une bougie sans flamme ni combustion. [17]H. E. Palmer, Natural Shell Perfume Lamp, brevet n°1566502, déposé aux États-Unis le 11 avril 1924.La disposition des pétales en coquillages, explique encore l’inventeur, peut être ajustée pour ressembler à différentes fleurs et correspondre ainsi au parfum choisi !
H. E. Palmer, Natural Shell Perfume Lamp, 1924
D’autres projets de ce genre se développent au cours de la décennie et les lampes de table ou de chevet destinées à éclairer autant qu’à parfumer les espaces se popularisent aux États-Unis et en Europe au cours des années 1930. On en trouve alors de toutes les formes, certaines abstraites et géométriques – souvent en verre et en métal dans un esprit Art Déco [18]Je me souviens avoir utilisé chez ma grand-mère maternelle un modèle de ce genre, composé d’une base en métal supportant une lampe en verre sphérique ornementée, agrémentée sur le … Continue reading–, d’autres déclinant des figures humaines ou animales en céramique. Ces lampes brûle-parfum décoratives, qui s’échangent encore aujourd’hui dans les brocantes et les ventes aux enchères, témoignent du dynamisme créatif de l’entre-deux-guerres – notamment dans le domaine de la parfumerie.[19]Voir à ce sujet : Yohan Cervi, Une Histoire de parfums (1880-2020), Paris, éditions Nez, 2022.
Moins esthétiques, les ampoules parfumantes, qui apparaissent à la même époque, sont un autre moyen, meilleur marché, d’associer lumière et odeur. Un brevet déposé aux États-Unis par Gotthilf Lehmann en 1929 décrit par exemple une ampoule à incandescence entourée de laine d’amiante imprégnée de parfum. L’inventeur imagine même décliner son invention pour illuminer et parfumer les sapins de noël artificiels, qui existent depuis le XIXe siècle et auxquels ne manquait que l’odeur ! Si l’idée est reprise en 1973 par l’américain John G. Whitaker pour sa Vaporous Lamp – une ampoule dont le sommet est recouvert d’un vernis contenant des micro-capsules odorantes –, ce système ne se popularisera jamais véritablement et ce sont d’autres formes et techniques qu’emploient désormais les designers.[20]Même s’il est possible de trouver aujourd’hui sur internet des ampoules imitant des flammes de bougie trempées dans du silicone parfumé…
Des luminaires innovants
Car les créateurs contemporains [21]Voir également les projets étudiants illu.me de la polonaise Aleksandra Krogulecka et SPRING du portugais António Rosário.sont loin d’avoir oublié l’idée d’associer au sein d’objets singuliers ces deux phénomènes intangibles que sont l’émission de lumière et celle de senteurs. La lampe colorée O Joy[22]Voir http://www.driussoassociati.com/industrial-design/o-joy-o-bag-4/, imaginée en 2017 par le studio italien DriussoAssociati, en est un exemple. Fonctionnant sur batteries, cette dernière s’inspire de la forme archétypale de la lampe de table avec son abat jour circulaire mais repose sur un socle semi-sphérique autorisant l’utilisateur à lui donner un mouvement de balancier. Six cartouches parfumées, à changer en fonction de son humeur (Dream, Relax, Free, Party, Inspire, Sensual), peuvent y être insérées, tandis que des haut-parleurs permettent de s’y connecter en bluetooth pour diffuser de la musique.
D’autres designers se tournent plutôt vers la nature pour y puiser leurs formes et leurs matières premières. La lampe LOTUS[23]Voir https://www.ye-jj.space/ideas/lotus-lamp(2019) du chinois Ye Jia Jie s’inspire ainsi du mouvement de certaines fleurs – dont celles du genre Nelumbo – qui, en quelques minutes, s’ouvrent à la lumière et à la chaleur du soleil pour diffuser leur parfum et attirer les pollinisateurs avant de se refermer pour la nuit, un phénomène nommé nyctinastie par les scientifiques. De la même manière, les pétales en papier de riz de la lampe s’ouvrent sous l’effet de la chaleur de l’ampoule et se referment à l’extinction de celle-ci grâce à des fils de Nitinol, un alliage de nickel et de titane à mémoire de forme et thermo-réactif. Au cœur de la fleur, l’ampoule elle-même est enveloppée d’une lanterne en papier spiralée qui tourne sur elle-même sous l’effet de la chaleur, diffusant par ventilation les quelques gouttes d’huile essentielle déposées sur le dessus.[24]La bio-inspiration va même plus loin, puisque le lotus sacré, comme d’autres plantes dites thermogéniques, peut élever la température au cœur de ses efflorescences pour favoriser la … Continue reading
Ye Jia Jie, LOTUS (2019)
Certaines lampes contiennent plus simplement des substances odorantes directement dans leurs abat-jour. C’est le cas de la Fragrance Lamp[25]Voir https://georgianaghit.wixsite.com/fragrancelamp (2019) de la roumaine Georgiana Ghit, une suspension conique en pâte de bois recyclé et fleurs de lavande séchées. Éco-conçue et biodégradable, cette lampe – qui a reçu en 2020 un prix lors du A’ Design Award – permet ainsi d’associer éclairage artificiel et aromathérapie, en misant sur une senteur naturelle dont les propriétés relaxantes ont été maintes fois démontrées. [26]Voir à ce sujet : Hiroki Harada et al., « Linalool Odor-Induced Anxiolytic Effects in Mice », Frontiers in Behavorial Neuroscience, 2018, Vol. 12 : … Continue readingEt si le parfum faiblit avec le temps, la matière de l’abat-jour, poreuse, peut toujours être imprégnée d’une huile essentielle ou d’un hydrolat de lavande.
Beaux et ludiques
À l’instar de certaines de leurs ancêtres des années 1930, les lampes olfactives contemporaines peuvent ainsi devenir de véritables objets d’art, à la croisée de l’artisanat, du design et de la parfumerie. En collaboration avec la maison de parfum turinoise Tonatto Profumi, fondée par la parfumeuse Diletta Tonatto, la designer italienne Astrid Luglio a notamment donné naissance à la collection Philtrum.[27]Voir https://astridluglio.com/tonatto-profumi/Présentéepour la première fois lors du festival de design Operae à Turin en 2017, cette série d’objets – dont un lampadaire et une lampe de table – s’inspire des techniques et savoir-faire de la parfumerie pour s’en approprier les outils et les matériaux. Réalisés en laiton par un orfèvre, les luminaires, dont les formes élégantes évoquent celle d’une corolle de fleur pour le lampadaire et celle d’un éventail [28]Les éventails sont d’ailleurs souvent parfumés depuis le XVIe siècle en Europe. pour la lampe de table, intègrent ainsi des filtres plissés de laboratoire. Ces derniers, souvent composés de cellulose ou de fibres de coton, sont utilisés lors de la production de parfums pour filtrer et clarifier certaines matières premières ainsi que les jus avant leur mise en flacon. Au sein des lampes de la collection, ils servent de support à la fragrance, qui peut être simplement pulvérisée dessus, tout en filtrant la lumière émanant de l’ampoule à incandescence, incarnant ainsi une forme d’analogie entre parfum et lumière tout en mettant en avant une étape méconnue du processus de la création olfactive.
Lors de la Milan Design Week 2024, Marta Bakowski, designer et coloriste d’origine franco-polonaise, et Carole Calvez, diplômée de la formation de design olfactif de l’école Cinquième Sens, présentaient quant à elles la première version de l’applique murale Halo[29]Voir https://ethe-real.cargo.site(2024) [visuel principal], fruit d’une recherche commune de près d’un an. Les deux créatrices, qui se rencontrent au Jardin des métiers d’Art et du Design à Sèvres où elles sont toutes deux résidentes, constatent vite qu’elles partagent un langage et une approche, faisant la part belle à l’intuition. Partant d’une sélection de matières premières naturelles et synthétiques issues de la palette des parfumeurs, les créatrices ont travaillé autour de l’univers coloriel de certaines de ces matières jusqu’à arriver à un objet hybride, à mi-chemin entre le luminaire et le diffuseur olfactif. L’idée cependant, n’est pas tant de proposer un produit qui permettrait de répandre n’importe quelle fragrance d’ambiance, mais un objet à la fois ludique et esthétique autorisant une véritable expérience, conjointe et cohérente, de l’odeur et de la couleur. Ce sont ainsi quatre matières décrites par les créatrices comme « électriques » ou « métalliques » – l’aldéhyde C-11, l’oxyde de rose 90/10, l’huile essentielle de piment baie (ou poivre de Jamaïque), et le Spirambrène (un captif Givaudan) – qui, dans chaque déclinaison du luminaire, sont associées à des couleurs soigneusement sélectionnées. L’objet lui-même, composé d’un disque blanc et d’une pastille centrale bi-colore en PMMA que l’on peut rapprocher ou éloigner pour faire grandir ou diminuer un halo coloré, permet une variation de l’intensité lumineuse et chromatique. Ceci évoque non seulement les diverses nuances que l’on peut déceler dans une même matière odorante, mais suggère également le volume et l’intensité variable d’une odeur, qui, tout comme la couleur, peut sembler plus ou moins diluée ou diffuse. Ainsi l’objet n’est-il pas seulement pensé pour produire de la lumière tout en favorisant la diffusion de senteurs – ventilées au centre du luminaire – mais bien pour incarner visuellement et matériellement certains mécanismes olfactifs, et permettre de les approcher grâce à une forte dimension expérientielle. « À force de manipuler cet objet, j’ai presque l’impression de voir une odeur », déclare d’ailleurs Carole Calvez.
Des influences mutuelles
Le rapprochement entre la parfumerie et les objets éclairants a par ailleurs donné naissance, aux XXe et XXIe siècles, à des luminaires et des flacons respectivement inspirés l’un de l’autre. Ainsi certains designers puisent-ils dans l’univers du parfum pour donner forme à des lampes originales, à l’instar de la Lampe Olab[30]Voir https://www.gregoiredelafforest.com/#item=lampe-olab de Grégoire de Lafforest qui s’allume et s’éteint grâce à une poire à presser évoquant les pulvérisateurs d’antan, de la collection Eau de lumière[31]Voir https://joyana.fr/luminaires-design-eau-de-lumiere-par-designheure-x-davide-oppizzi/120432/de David Oppizzi qui reprend les lignes de flacons de parfum dont la lumière serait désormais le seul contenu, ou encore de la Perfume Bottle Lamp[32]Voir https://portaromana.com/products/perfume_bottle_lamp?variant=41265646796993 de l’éditeur anglais Porta Romana dont le corps en verre soufflé translucide rappelle un flacon de parfum des années 1950. De la même manière, les dessinateurs de flacons ont parfois emprunté leurs formes à divers objets lumineux, comme les flacons en forme d’ampoule de l’après-rasage Mennen Skin Bracer (édition limitée de 1974) etde l’eau de Cologne Charlie’s Bright Idea (1983)de Revlon ou ceux, inspirés de briquets, de Must(1981) puis de Baiser volé(2011) de Cartier. Sans parler des innombrables créations parfumées dont les noms déclinent le champ lexical de la lumière ou de l’électricité [33]Les termes Lumière, Clarté, Éclat, Radiance ou encore Soleil, ainsi que les adjectifs en découlant, se retrouvent notamment dans les noms d’un très grand nombre de parfums depuis le début … Continue readinget de ces notes olfactives que l’on qualifie volontiers de lumineuses, chatoyantes,transparentes ou d’éblouissantes. [34]Paradoxalement, pour éviter toute altération, les parfums doivent être conservés à l’abri de la lumière, puisque les molécules odorantes sont généralement très sensibles au rayonnement … Continue reading Un comble quand on sait que, pour éviter toute altération, les parfums doivent être conservés à l’abri de la lumière, puisque les molécules odorantes sont généralement très sensibles au rayonnement lumineux. C’est d’ailleurs avec une exposition longue à des lampes UV que les laboratoires testent la résistance des parfums à la lumière !
Fait plus curieux encore : lorsque l’inventeur germano-américain Heinrich Göbel et la Edison Electric Light Company fondée par Thomas Edison entrent en litige pour déterminer le véritable inventeur de l’ampoule électrique à incandescence. Göbel aurait en effet déclaré avoir, dès 1854, utilisé une bouteille d’eau de Cologne pour produire sa première ampoule ! La légende, non vérifiée à ce jour, a cependant donné naissance en 2004 à un timbre allemand à l’occasion des 150 ans de l’invention de l’ampoule électrique. Sur ce timbre figure bien l’image supposée de cette première Göbellampe de 1854, dont le filament s’insère dans ce qui ressemble effectivement à une bouteille d’eau de Cologne.[35]Une première ampoule d’origine doublement allemande en quelque sorte ! Parfums, odeurs et lumière seraient décidément inséparables !
Timbre allemand, 150 Jahre elektrische Glühlampe, 2004.
C’est ainsi toute une histoire culturelle, scientifique et matérielle qui se déroule lorsqu’on questionne les liens qui se sont tissés en Occident entre odeur et lumière. Une histoire de croyances et d’expériences, de mots, de matérialités et de formes, de pratiques quotidiennes et de créations hors du commun, qu’il nous semblait opportun de retracer dans ses grandes lignes en cette Journée internationale de la lumière.
Visuel principal : Marta Bakowski et Carole Calvez, Halo, 2024.
Malgré les critiques d’une large partie de la communauté scientifique, quelques chercheurs affirment encore que la fréquence de vibration des molécules odorantes est ce qui nous permet d’en discriminer un si grand nombre. C’est ce qu’on appelle la « théorie vibratoire de l’olfaction », émise en 1928 par Malcolm Dyson et notamment reprise en 1996 par Luca Turin. Voir : « Testing a radical theory », Nature Neuroscience, Vol. 7, n° 315, 2004. https://doi.org/10.1038/nn0404-315 / Pandey, N., Pal, D., Saha, D. et al.,« Vibration-based biomimetic odor classification », Scientific Report, Vol. 11, art. 11389, 2021. https://doi.org/10.1038/s41598-021-90592-x
René Cerbelaud, Formulaire des principales spécialités de parfumerie et de pharmacie, Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, conforme au Codex 1908, 1920, p. 297.
La perception visuelle, qu’autorise la lumière, dépend chez l’être humain de trois types de photorécepteurs (les cônes, les bâtonnets et les cellules ganglionnaires photosensible) codés par seulement quatre gènes, tandis que la perception olfactive sollicite environ 400 types de récepteurs différents codés par à peu près autant de gènes (représentant entre 1% et 3% de notre génome).
Comme le dit Hirac Gurden dans son récent ouvrage : « le siècle des Lumières ne met pas le projecteur sur l’odorat ! Au contraire, il l’éteint complètement. » (Sentir. Comment les odeurs agissent sur notre cerveau, Paris, Les Arènes, 2024, p. 38).
D’un point de vue neurobiologique notamment, les correspondances transmodales sont l’une des manières par lesquelles la vue et l’odorat interagissent et s’influencent mutuellement. Voir à ce sujet : A. Seigneuric, et al., « The nose tells it to the eyes: crossmodal associations between olfaction and vision », Perception, 2010, Vol. 39, n° 11, p. 1541-54. L’odorat a également un rôle important à jouer dans le développement de la vision chez le nourrisson. Voir à ce sujet : Giulia Purpura et Stefania Petri, « Early Interplay of Smell and Sight in Human Development: Insights for Early Intervention With High-Risk Infants », Current Developmental Disorders Reports, 2023, Vol. 10, p. 232-238.
On trouve tout de même à la fin du XIXe siècle des mentions de « l’odeur de l’électricité », faisant référence soit à l’odeur de l’ozone qui remplit l’atmosphère après un éclair, soit à celle des étincelles provoquées par un circuit électrique défectueux. D’ailleurs, les odeurs qui émanent de nos jours ponctuellement d’une lampe qui surchauffe ou d’un court-circuit nous alertent surtout d’un dysfonctionnement de notre installation électrique !
La Lampe Berger, toujours commercialisée aujourd’hui, est créée en 1898 par le préparateur en pharmacie français Maurice Berger, sous le nom, évocateur, de « diffuseur fumivore hygiénique ». D’abord destinée à détruire les molécules odorantes dans les lieux publics grâce à son brûleur catalytique, elle s’agrémente bientôt de parfums et s’installe chez les particuliers.
C’est encore aujourd’hui le principe des lampes chauffe-bougie destinées à diffuser le parfum contenu dans la cire d’une bougie sans flamme ni combustion.
Je me souviens avoir utilisé chez ma grand-mère maternelle un modèle de ce genre, composé d’une base en métal supportant une lampe en verre sphérique ornementée, agrémentée sur le dessus d’un léger creux pouvant contenir du parfum sous forme solide ou liquide.
La bio-inspiration va même plus loin, puisque le lotus sacré, comme d’autres plantes dites thermogéniques, peut élever la température au cœur de ses efflorescences pour favoriser la volatilisation des substances odorantes qu’elles produisent et ainsi accroître leurs chances d’attirer les pollinisateurs.
Voir à ce sujet : Hiroki Harada et al.,« Linalool Odor-Induced Anxiolytic Effects in Mice », Frontiers in Behavorial Neuroscience, 2018, Vol. 12 : https://doi.org/10.3389/fnbeh.2018.00241
Les termes Lumière, Clarté, Éclat, Radiance ou encore Soleil, ainsi que les adjectifs en découlant, se retrouvent notamment dans les noms d’un très grand nombre de parfums depuis le début du XXe siècle.
Paradoxalement, pour éviter toute altération, les parfums doivent être conservés à l’abri de la lumière, puisque les molécules odorantes sont généralement très sensibles au rayonnement lumineux. C’est d’ailleurs avec une exposition longue à des lampes UV que les laboratoires testent la résistance des parfums à la lumière !
Une première ampoule d’origine doublement allemande en quelque sorte !
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Clara Muller
Historienne de l’art, critique d'art et commissaire d’exposition indépendante , Clara Muller mène des recherches sur les enjeux de la respiration comme modalité de perception dans l'art contemporain ainsi que sur les diverses pratiques artistiques employant les odeurs comme médium ou sujet. Outre un certain nombre de publications des éditions Nez, elle contribue à des catalogues d’exposition, monographies d’artistes et ouvrages universitaires sur le sujet de l’art olfactif, tels que Les Dispositifs olfactifs au musée (Nez éditions, 2018) ou Olfactory Art and the Political in an Age of Resistance (Routledge, 2021). www.claramuller.fr
Jeanne Bichet, évaluatrice chez Luzi, Mark Buxton etSidonie Grandperret, parfumeurs chez Luzi, expliquent comment ils accompagnent des marques de parfums vers un segment plus niche.
Du 21 au 24 mars 2024, entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédées des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.
Une table ronde animée par Guillaume Tesson.
Crédit photo : Luzi.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
L’accord qui lie Amouage à Oman, visant à relancer la filière de l’encens, s’inscrit dans le contexte historique et géopolitique du Sultanat. La marque souhaite ainsi participer à son développement social et économique, et s’attache à mettre en avant la culture omanaise.
Oman compte cinq millions d’habitants, dont plus d’un tiers à Mascate, la capitale. Situé entre la mer Rouge et le Golfe, le sultanat jouit d’une position géographique unique. Un carrefour stratégique entre la Méditerranée et l’océan Indien. Si Oman a moins de ressources que ses voisins (un peu de gaz naturel et un peu de pétrole), sa position sur le détroit d’Ormuz lui permet de gérer un tiers du trafic mondial de l’or noir. Cette exception culturelle dans la région prédestinait sans doute le sultanat à jouer les médiateurs. Car on le surnomme « la Suisse du Moyen-Orient ». Oman joue un rôle diplomatique intermédiaire essentiel.
L’histoire d’Oman se joue sur les côtes, où les ports du Dhofar et du Golfe tissent des liens avec l’Afrique, l’Inde, la Chine… Dans ces cités marchandes transitent or et ivoire, épices et pierres précieuses, soie et laques, échangés contre de l’encens de la région. Au XVIe siècle, pourtant, le commerce maritime omanais connaît un coup d’arrêt, lorsque les Portugais se mettent à dominer le golfe et l’océan Indien. En créant son propre empire maritime, capable de rivaliser avec celui des Britanniques, Oman étend son influence jusqu’au milieu du XIXe siècle le long de la côte d’Afrique de l’Est jusqu’à Zanzibar et, au-delà du détroit d’Ormuz, en Iran et au Pakistan.
À son arrivée au pouvoir en 1970, le sultan Qaboos va tout faire pour, en un mandat, faire passer son sultanat d’un État du tiers-monde à un pays développé. Il se lance ainsi dans une politique de modernisation du pays et engage des réformes économiques. Des activités industrielles et logistiques se développent autour de ports comme Mascate ou Sohar.
Cultivé, ce souverain atypique et mélomane qui se passionne pour les arts fait construire l’opéra de Mascate, faisant d’Oman le premier État du golfe à se doter d’un tel édifice. Sur le plan social, il décide de redistribuer la rente énergétique à la population nationale. Grâce à l’argent du pétrole et à la vision du sultan Qaboos, l’État providence omanais permet également le développement de la société en matière d’emploi, de santé et d’éducation. La première université publique ouvre ses portes en 1986, un ministère de l’enseignement supérieur est créé en 1994.
Le gouvernement omanais cherche aujourd’hui à diversifier l’économie du pays. Il investit dans l’hydrogène vert en créant un parc solaire et éolien afin d’alimenter la production d’hydrogène faite à partir de l’eau. L’actuel sultan, sa majesté Haitham Ben Tarik Al Saïd, au pouvoir depuis 2020, devrait poursuivre le programme de réformes économiques.
Le gouvernement cherche également à attirer davantage d’entreprises et d’investissements étrangers. Et de touristes, entre plages, montagnes et désert tout proche. Un nouvel aéroport international a ouvert ses portes à Mascate en 2018, avec une capacité d’accueil de 12 millions de passagers par an. La ville de Salalah elle aussi mise sur le tourisme pour sortir de son enclave : ce port de 200 000 habitants est la capitale du Dhofar, la région où poussent les arbres à encens. La relance de la filière avec la maison Amouage et l’accueil de visiteurs sur le site du Wadi Dawkah pourraient s’inscrire dans cette perspective d’ouverture d’Oman au tourisme.
AMOUAGE-OMAN : LE FOND ET LA FORME Ses flacons, en verre ou en cristal, sont façonnés chez Waltersperger, verrier centenaire basé en France, dans le département de la Seine-Maritime. Ses étuis en argent sont fabriqués par le prestigieux joaillier londonien Asprey. Et ses parfums sont signés par une trentaine de parfumeurs de toutes les nationalités et sensibilités olfactives. Pourtant, c’est à Oman et nulle part ailleurs qu’Amouage puise ses racines. Dès sa naissance, en 1983, la maison s’inscrit dans la plus pure tradition omanaise de la parfumerie. Au cœur de ses créations, des ingrédients phares du sultanat, comme l’encens du Dhofar, la rose du djebel Akhdar, l’ambre gris récolté sur les rives de l’océan Indien. Côté design aussi, Amouage se confond avec Oman. La maison de parfum s’est inspirée du blason de la famille royale pour créer son logo. Sur les pampilles qui ornent les extraits de parfum figurent un kandjar, la dague emblématique du sultanat portée par les hommes lors des cérémonies officielles, et deux épées entrelacées surmontées de la couronne royale. Le capuchon des flacons masculins (qui ont une forme rectangulaire) s’inspire du manche du kandjar.
Les flacons féminins eux aussi intègrent les codes les plus iconiques de la culture omanaise. Le dôme de la mosquée de Ruwi a par exemple orné le premier capuchon de Cristal & Gold Woman. À l’époque, la grande mosquée de Mascate n’était pas encore construite. Aujourd’hui, c’est son dôme à elle qui se décline sur les flacons carrés. Chacun d’entre eux est orné d’un diamant Swarovski qui symbolise l’éclat de la société omanaise. Le motif initial de la vague se décline à présent sur la tranche des flacons Amouage. À l’origine, les mots amour et amwaj (« vague » en arabe) avaient inspiré le nom de la maison. Un choix qui témoigne aussi de la symbiose culturelle voulue par la marque entre Oman et la France, terre de parfum.
AU SOMMAIRE DE NOTRE GRAND DOSSIER « WADI DAWKAH »
Journaliste au Monde, Béatrice Boisserie a lancé les ateliers de YOS (yoga olfacto-sonore) pour se mettre à l'écoute de l'effluve, du souffle et de la voyelle. En 2012, elle a créé le blog Paroles d'odeurs pour reccueillir les souvenirs olfactifs de personnalités ou d'inconnus. Après des études de philosophie et d'ethnologie, elle se forme au parfum chez Cinquième sens et au yoga du son à l'Institut des arts de la voix. Elle est l'auteur de 100 questions sur le parfum (La Boétie, 2014).
A journalist at Le Monde, Béatrice Boisserie is a member of the Nez Collective. She has notably published 100 questions about perfume (ed. La Boétie, 2014).
Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a les parfums qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Semaine après semaine, ils sont désormais plusieurs à nous avoir conté leur rapport à une création, et l’influence parfois inconsciente de celle-ci sur leur manière de composer.
Aujourd’hui, le parfumeur senior Vincent Ricord (TechnicoFlor) évoque Féminité du bois de Serge Lutens, un parfum dont l’écriture limpide a influencé son regard sur la mise en scène des matières premières.
Lorsque Féminité du bois est sorti en 1992, j’étais adolescent. Je me souviens qu’il faisait réagir mes proches – beaucoup travaillaient dans l’industrie du parfum. Ils n’étaient pas dithyrambiques mais on les sentait intrigués. Je suis allé vérifier par moi-même en poussant la porte des Galeries Lafayette de Nice. Une solennité se dégageait du corner Serge Lutens, avec ses airs de bar à parfum. J’ai demandé à sentir… Et j’ai été transporté. Moi qui avais grandi dans les années 1980 au milieu des florientaux, des chypres tonitruants, des sillages magnifiques d’Opium d’Yves Saint Laurent et de Parfum de peau de Montana, dont les structures me faisaient penser à des orchestrations symphoniques, je découvrais une mélodie intimiste débordant de poésie. C’était comme si j’avais toujours écouté de l’opéra et que je mettais la main sur un vinyle du Velvet Underground. Mouillette sous le nez, je décèle la prune, la cannelle et le cèdre, mais je n’ai pas de mots pour décrire la structure. Mon esprit flotte dans une sorte de candeur. Je me prends une nouvelle forme olfactive en pleine figure. Je me dis que le parfum, cela peut être aussi cela : une expression de la sincérité.
Aujourd’hui encore, après des années de pratique, il m’arrive de sentir une fragrance sans l’intellectualiser, exactement comme ce jour-là. Et cette sincérité dans l’écriture influence chaque nouvelle création. Elle m’interroge. Que vais-je, que dois-je raconter comme histoire ? Construire une narration abstraite en associant des matières premières, c’est primordial pour moi. Il peut m’arriver de « citer » Féminité du bois, mais très indirectement. Cela se situe dans la démarche de mettre sur le devant de la scène une matière, avec une écriture limpide. Je pense à la note verte de l’Eau d’Ikar de Sisley, où le lentisque corse joue au garçon manqué avec ses facettes de bigarade et de graine de carotte. Je citerai aussi Velvet Date pour Maison Rebatchi, où la datte est mâtinée d’ambre et de notes cuirées.
Un jour, à Grasse, j’ai pu exprimer ma gratitude au créateur de Féminité du bois, Christopher Sheldrake, un homme très accessible et aussi élégant que ses parfums. Sa réponse ? « Ah oui, l’idée c’était de composer un cèdre très féminin ». Tout simplement !
J’ai la chance d’avoir trois filles. Sans leur imposer l’univers des parfums, je les initie à leur grammaire, comme on découvre celle d’une musique ou d’un film. La plus jeune est encore petite, mais j’ai déjà offert à l’aînée Chanel N°5 en version extrait. Et je sais déjà que j’emmènerai ma cadette chez Serge Lutens pour y chercher son flacon de Féminité du bois.
Après 17 ans chez Expressions Parfumées à Grasse, puis un passage chez Drom en 2018, Vincent Ricord est aujourd'hui parfumeur au sein de la maison de composition TechnicoFlor.
Sayyid Khalid, Président du Conseil d’administration d’Amouage, présente Wadi Dawkah, la terre de l’encens, un site omanais protégé par l’UNESCO depuis l’an 2000.
Dans cette vidéo, Sayyid Khalid restitue comment la gestion de ce lieu par Amouage perpétue un héritage millénaire. Produire un encens de qualité exceptionnelle et créer une destination touristique incontournable offrent aux visiteurs la possibilité de découvrir toute les subtilités de cet « or du désert ».
Credits: @Nez Director: Eléonore de Bonneval Videographer: Ateeb Ali Creative Director: Mathieu Chévara Video Editor: Jean-Philippe Derail Sound design: Perfecting Sound Forever Title design: Vianney Bureau, Mikaël Charbonnier Amouage: Renaud Salmon, Andras Komar, Dominique Roques, Matthew Wright, Rayyan Alabdullatif Special thanks to Arielle Lauze
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Éléonore de Bonneval
Cette photoreporter indépendante et « photographe des odeurs » a conçu des expositions interactives comme « Odorat, sens invisible ».
Dans ce nouvel épisode de la collaboration entre le GDR O3 (Groupement de recherche Odorant, Odeur, Olfaction) et Nez, il est question de cookies, de souris et de bulbe olfactif.
Poursuivons notre rendez-vous autour des études qui ont vu le jour grâce à ce groupement de recherche mêlant des scientifiques de tout bord, qui ont pour objet commun l’odeur sous toutes ses formes. Le principe ? Nez lit les publications, et vous en propose une version allégée, plus facile d’accès mais toujours exacte.
À l’occasion de la Journée mondiale de la santé ce dimanche 7 avril, faisons le point sur les liens que tissent nez et production d’insuline en suivant les travaux de Hirac Gurden, directeur de recherche en neurosciences au CNRS et membre du GDR O3.
Nez et santé sont intimement liés, c’est ce que l’on comprend grâce à une étude menée par l’équipe REGLYS (Régulation de la Glycémie par le Système Nerveux Central) du CNRS et de l’Université Paris Cité, en collaboration avec l’University College London. Digérer les aliments et réguler notre niveau de glycémie dans le sang n’est pas aisé pour notre organisme. Nous avons besoin pour cela d’une bonne coordination entre le cerveau et plusieurs organes de l’abdomen, dont le pancréas. Cet organe libère l’insuline essentielle pour baisser nos niveaux de glucose sanguin pendant le repas, synonyme d’apport soudain et très élevé de sucres. Or les chercheurs ont montré que cette libération d’insuline a lieu également avant même de manger, pour préparer la prise d’aliments, lorsque nous sentons les fumets appétissants des mets : ils ont identifié, dans le bulbe olfactif – première structure codant l’information olfactive dans le cerveau de tous les mammifères – une molécule clé dans le contrôle de l’insuline, le neurotransmetteur nommé GLP-1 qui permet au cerveau de communiquer avec le pancréas.
Ils ont observé que lorsqu’ils réduisaient l’activité du GLP-1 chez des souris au poids normal (en bloquant la transmission de l’information par voie génétique ou par voie pharmacologique), leur pancréas ne produisait plus d’insuline lorsqu’on leur présentait l’odeur appétissante d’un cookie au beurre de cacahuète et ne trouvaient pas non plus l’aliment caché sous leur litière. En effet, même si les neurones olfactifs fonctionnent convenablement et détectent l’odeur alimentaire, le frein appliqué sur le système GLP-1 dans le bulbe olfactif qui reçoit les signaux des neurones olfactifs empêche la propagation du signal électrochimique vers le reste du cerveau, bloquant ainsi le chemin neuronal vers le pancréas.
Grâce à ces travaux, les chercheurs montrent ainsi pour la première fois que l’odorat influence grandement le métabolisme et que perturber le sens de l’olfaction entraîne une perturbation de la régulation de l’insuline. Dans un second temps, l’équipe a montré que cette phase de « préparation métabolique » due à l’insuline était absente chez les souris obèses et diabétiques, et que celles-ci ne trouvaient le cookie caché que lorsque les chercheurs activaient pharmacologiquement le système GLP-1 dans leur bulbe olfactif. Cette molécule permet donc à la fois d’orienter vers la nourriture à l’odeur appétissante, et de préparer l’organisme au niveau énergétique à la prise de repas. Cette découverte permettrait à terme de mieux comprendre les relations entre cerveau et pancréas par l’intermédiaire du système olfactif dans le cadre de l’obésité et le diabète de type 2 chez l’humain, afin de mieux les soigner.
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
Nous ne sommes pas les seuls à avoir une culture olfactive : ce sens est essentiel pour bien d’autres animaux !
Dans le prolongement de la collaboration entre le GDR O3 (Groupement de recherche Odorant, Odeur, Olfaction) et Nez, poursuivons notre rendez-vous autour des études qui ont vu le jour grâce à ce groupement de recherche mêlant des scientifiques de tout bord, qui ont pour objet commun l’odeur sous toutes ses formes. Le principe ? Nez lit les publications, et vous en propose une version plus facile d’accès.
Aujourd’hui, parlons du nez des ours, tortues et autres mésanges grâce aux travaux de Gérard Brand, chercheur du CSGA de Dijon, membre du GDR O3 et auteur de L’Odorat des animaux aux éditions EDP Sciences.
Si l’odorat des rongeurs permet de contribuer à la connaissance de l’odorat dans l’espèce humaine, le nez des animaux est globalement un domaine de recherche qui, selon Gérard Brand, a « explosé depuis le début des années 2000 ». Le chercheur du CSGA de Dijon a récemment publié un ouvrage (disponible sur le shop de Nez) qui reprend les derniers travaux scientifiques sur le sujet. Chaque chapitre porte sur un aspect de l’odorat (structure, fonctionnement, utilité…) et sur un être vivant en particulier. On y apprend par exemple que l’ingestion du plastique chez la tortue ne vient pas seulement de la confusion visuelle des sacs flottant dans l’eau avec les méduses mais aussi d’une appétence pour l’odeur du « plastique mariné » (immergé depuis quelques temps dans l’eau de mer), que l’ours balise un sentier en déposant des signaux chimiques odorants lorsqu’il marche, ou encore que les mésanges bleues parfument leur nid avec des plantes aromatiques, bénéficiant ainsi de leurs propriétés antiparasitaires mais aussi d’un investissement plus poussé du mâle dans la gestion de la couvée. L’ouvrage permet également de mettre en lumière les problématiques actuelles liées notamment à « l’augmentation du taux de CO₂, qui perturbe le fonctionnement de l’odorat et pose des problèmes adaptatifs (difficultés de repérage dans l’espace, mauvaise reconnaissance des prédateurs…) ; et à la pollution (notamment plastique) qui trompe le nez de certaines espèces (tortues mais aussi pétrels, par exemple) par émanations similaires à celle de la nourriture habituelle », nous explique Gérard Brand. L’auteur souligne également l’ampleur des inconnues en ce qui concerne l’odorat des animaux : beaucoup d’espèces n’ont encore fait l’objet d’aucune étude, l’histoire évolutive du système olfactif reste mal connue, et la recherche sur l’adaptation de l’odorat dans certains milieux en est encore à ses balbutiements.
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
Le jeudi 11 janvier 2024, la librairie Albin Michel à Paris, accueillait le lancement du seizième numéro de Nez, la revue olfactive. En écho à la thématique du dossier Mode & parfum, une table ronde rassemblait ce soir-là autour d’Eugénie Briot, historienne et autrice pour Nez, Delphine Jelk, parfumeuse maison chez Guerlain et Sonia Constant, parfumeuse chez Givaudan et co-fondatrice de la marque Ella K.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Parfumeur indépendant vivant à Lavaur, près de Toulouse, fondateur de la société Osmoart consacrée à la fois à l’éducation, aux naturels, à la création et au design olfactif, Pierre Bénard lance un premier parfum baptisé Lilith, sombre héroïne, actuellement en campagne de financement participatif. Il nous parle de la germination de ce soliflore tubéreuse.
Quelle est votre formation ?
Initialement biochimiste, j’ai été propulsé dans le voyage sensationnel des senteurs grâce à un docteur en biotechnologie végétale, un alchimiste passionné d’odeurs, qui m’a transmis, durant six ans, des connaissances dans diverses disciplines étroitement liées à l’olfaction. Suivant le fil rouge que constitue la botanique des plantes aromatiques et à parfum, j’ai poursuivi ma formation d’étudiant en parfumerie à Montpellier, puis à Grasse où j’ai fait mes premiers pas dans l’industrie et où j’ai obtenu le titre de parfumeur. Je suis directeur artistique olfactif de la société Osmoart que j’ai lancée en 2003.
À quoi ressemble votre quotidien d’indépendant ?
Mon quotidien est éclectique. J’ai besoin de bien m’organiser, car les projets sont divers : mise en place de concerts parfumés, d’expositions olfactives, consulting dans la création, formations professionnelles… Mes activités de parfumeur indépendant s’orientent vers quatre directions : l’éducation olfactive (même si je lui préfère le terme d’« enseignement olfactif ») ; l’expertise du naturel, portée par ma formation mais surtout mon amour indéniable pour ces ingrédients ; la création olfactive, à la fois pour imaginer des fragrances pour la peau comme pour l’intérieur ; et enfin ce que j’appelle le « design de l’air », se référant au métier de régisseur olfactif pour parfumer des lieux et des événements.
Ces différentes casquettes me permettent de faire de nombreuses rencontres professionnelles ou personnelles, qui font la richesse de mon métier et de cette entreprise solitaire. Le parfum connecte les individus.
Comment est née l’idée de créer votre propre parfum ?
C’est une longue histoire, qui a mis beaucoup de temps à germer. Je repense à Constant Viale, l’horticulteur-poète, qui m’avait confié quelques semences de Polianthes tuberosa que j’ai toujours en ma possession : elles sont noires. À leur image, la longue germination de ce soliflore est une introspection créative de l’ombre à la lumière. Elle est intimement initiée par une histoire d’amour, du coup de foudre à l’attachement. Cette création est arrosée par le temps et comme un symbole, elle célèbre aussi les vingt années que j’ai consacrées à Osmoart et à cette vision artistique du parfum.
Comment l’avez-vous composé ?
Lilith est façonnée comme un soliflore, autour d’un cœur de tubéreuse.
Au départ, sa conception provient de différentes études olfactives : d’abord, de celle de son essence, le nez à même la fleur, dans les cultures de Constant Viale ; celle de headspace réalisée grâce à Jean-Philippe Paris [anciennement directeur de laboratoire, aujourd’hui directeur scientifique et technique de l’Atelier français des matières premières] lorsque nous exerçions chez Payan Bertrand ; en passant par la découverte d’extraits de cette fleur issus de nouvelles techniques proposés par d’autres sociétés d’ingrédients naturels. Je l’ai donc examinée sous toutes ses coutures, déshabillée avant de la parer d’autres matières précieuses.
En tête, j’ai composé un accord simple entre une huile essentielle fractionnée d’une cardamome indienne, épice froide, et une molécule mentholée. Un effet glacial médusant qui mord la peau comme les crochets de reptiles. À la manière d’un bouquet, son cœur s’entoure de notes florales de roses, d’un jasmin d’Inde, de fleurs d’oranger et exotiques. Son sillage suave et maternel est un baume à ce cœur : une voie lactéedebois de santal et delarmes de benjoin, un voile étoilé de muscs cosmiquessur une peau d’ambre.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées, et quels heureux hasards ?
L’une des difficultés dans la création d’un parfum aussi personnel est cette quête de justesse : utiliser les bons ingrédients comme on trouve les bons mots pour conter olfactivement l’histoire imaginée, pour composer un poème fait de senteurs.
Lilith peut se lire selon différentes approches : au travers des ingrédients de provenance indienne qu’elle contient, elle devient nomade et gitane ; au travers d’effets tactiles, elle incarne plusieurs facettes du féminin… Pendant cette quête d’esthétisme, plusieurs rencontres humaines ont constitué d’heureux hasards qui m’ont permis de faire face aux défis que je me suis fixés.
Au-delà de la création olfactive, comment a été pensé le flacon ?
J’ai une grande sensibilité pour les beaux-arts que j’étudie en autodidacte, c’est ce qui m’a permis d’être concepteur-designer du flacon et du packaging de ce projet. La forme du flacon évoque une toupie : un jouet, source de fascination pour l’enfant que nous sommes ou avons toutes et tous été. Il suscite l’envie irrépressible de s’en saisir, mais le lancer est contredit par sa fragilité, puisqu’il est réalisé en porcelaine de Limoges, une indication géographique témoignant d’un savoir-faire.
Ce flacon s’inspire également du Samā‘, une danse giratoire sacrée des derviches tourneurs, inscrite au Patrimoine culturel immatériel de l’humanitédepuis 2008. J’ai déposé ce modèle sous le nom Apocalypse. Étymologiquement, ce terme grec ancien est la transcription d’une action de découvrir, une mise à nu, l’enlèvement d’un voile : une révélation. Ce flacon androgyne a été remodelé plusieurs fois, comme le parfum, pour permettre son passage de l’imagination à la réalisation.
Vous avez imaginé un jeu de « fil rouge » pour faire découvrir votre parfum, en quoi consiste-t-il ?
Des énigmes sont transmises sur les réseaux sociaux depuis le 8 mars, notamment sur mon compte Instagram, afin de retrouver les doses cachées dans dix sites du centre-ville de Toulouse, contenues dans une pochette noire étanche où est inscrit le nom du jeu, « Smell me I am famous ». Ceux qui les trouvent sont invités à l’annoncer sur les réseaux en taggant #lilithsombreheroine.
Cela permet, tout en dévoilant et médiatisant le parfum, de rendre visible des œuvres artistiques et des lieux culturels toulousains, parfois peu reconnus et pourtant si accessibles.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la campagne de crowdfunding ?
Elle a débuté le mardi 27 février, et dure 35 jours, jusqu’au 1e avril 2024. Cette campagne de financement participatif est une manière de soutenir la production de cette première fragrance, de son flacon en porcelaine et de son packaging. Il y a plusieurs contreparties. Pour présenter l’esprit de Lilith, une dose de cette « drogue parfaite » est contenue dans une ampoule sécable qui permet son inhalation. Le flacon Apocalypse d’une contenance de 125 ml sera proposé dans son écrin-fleur nommé « Hana » contenant quatre cartes photographiques qui content le parfum. Mais il y a également des lots comprenant des formations professionnelles à destination d’entreprises qui souhaiteraient soutenir le projet.
En savoir plus sur la campagne de financement participatif du projet sur Kisskissbankbank
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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En 2022, un accord a été noué entre Amouage et le ministère de l’Héritage et du Tourisme d’Oman pour relancer la filière de l’encens dans le sultanat. Une initiative qui se place dans la continuité de l’inscription, en 2000, de la Terre de l’encens au patrimoine mondial de l’UNESCO, comme l’explique Renaud Salmon, directeur de la création de la maison de parfum omanaise. Rencontre.
Pourquoi vous a-t-il semblé nécessaire de lancer une nouvelle filière de l’encens à Oman ?
Depuis quelques années déjà, il existe un intérêt croissant dans l’industrie du parfum pour parler d’ingrédients d’origine naturelle avec un minimum de transparence : fleurs, bois, certaines résines… Mais l’encens ne semblait pas concerné. Or, c’est un ingrédient clé pour les parfums Amouage et pour le sultanat d’Oman. Pas uniquement un ingrédient, d’ailleurs, mais un arbre clé, sur les plans historique, culturel et économique. Historiquement, cette matière première a toujours généré beaucoup de business autour d’elle : il y a des traders, de nombreux intermédiaires… Et le fait que la résine passe de main en main complique singulièrement la possibilité d’assurer la traçabilité de l’encens. De façon paradoxale, les meilleures qualités d’encens sont censées être à Oman, mais en réalité il y en a très peu sur le marché. Même ici.
Alors, d’où vient l’encens d’Oman aujourd’hui ?
L’encens d’origine omanaise est récolté dans toute la région du Dhofar, dans le sud du pays. En 2000, quatre sites de la région correspondant à cette Terre historique de l’encens ont été inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. La route commerciale de la précieuse résine rejoignait l’Inde, la Chine et la Mésopotamie, d’un côté, et, de l’autre, traversait le Yémen depuis la région de Salalah, puis l’Arabie saoudite avant de remonter vers Alexandrie et vers l’Europe.
Pourquoi avoir choisi le Wadi Dawkah pour relancer la filière de l’encens omanais ?
La particularité du Wadi Dawkah est d’être situé sur le plateau du Dhofar, entre la sécheresse du désert et l’humidité de la mousson, et de bénéficier ainsi de conditions climatiques potentiellement idéales pour la culture de l’arbre à encens. Dans cet oued, les arbres historiques poussent de manière sauvage. Le projet d’Amouage, en association avec le ministère de l’Héritage et du Tourisme du sultanat d’Oman, est de produire et de récolter l’encens pour la parfumerie sur les quelques kilomètres carrés du site. Jusqu’ici, aucun arbre n’était exploité en ce sens sur le territoire, à peine quelques récoltes sauvages de-ci de-là. Aujourd’hui, le Wadi Dawkah sert de projet pilote pour l’industrie de l’encens à Oman. Il sera aussi un refuge pour des arbres qui devraient être transplantés depuis d’autres zones.
Comment ça, transplantés ?
Les arbres à encens ont la caractéristique d’être extrêmement résistants et de pousser très facilement. Deux qualités qui les rendent aisément transplantables d’un lieu à l’autre. On estime que la capacité d’accueil de l’oued est d’environ 15 000 arbres. Ils pourraient rejoindre le site à raison de 5 individus par jour, et ce pendant dix ans. Une densité qui permettrait aux visiteurs de mieux comprendre le développement des arbres.
Vous parlez de « forêt intelligente », qu’entendez-vous par là ?
Ce concept a surgi dans de nombreux discours depuis quelques années. Il s’agit de géotaguer chaque arbre, afin de pouvoir comprendre l’évolution du cheptel d’arbres et de tracer l’origine des gommes. Chaque arbre est ainsi rendu traçable par l’établissement d’une carte d’identité qui sera accessible grâce à un QR code, une base de données où seront notées toutes les caractéristiques essentielles le concernant : ses évolutions, ses mesures descriptives, la liste de ses maladies ou de ses blessures…
Une première récolte de résine a eu lieu en octobre 2023, qu’a-t-elle révélé ?
Que la filière est en chantier ! Cette récolte expérimentale est un jalon fondamental dans l’avenir de la filière et son développement. Elle a en effet pour objectif de déterminer les meilleurs moments de l’année pour récolter, mais aussi de qualifier les différentes qualités de résine obtenues selon les zones de l’oued où elles ont été prélevées. Une étape visuelle, esthétique, où se jugent la couleur, la taille, l’apparence, avant de pouvoir procéder à l’analyse des composants lors de la distillation et à l’évaluation olfactive. Nous étudions également l’impact de la poussière sur les jeunes arbres à encens, notons l’influence de l’altitude ou de la proximité de la mer sur la qualité de la résine. Il semblerait que l’humidité de l’océan augmente le nombre d’impuretés dans les larmes d’encens.
Quelle serait la particularité de ce nouvel encens d’Oman ?
Ce qui le rendrait unique, c’est qu’il serait extrait d’un arbre appartenant à une terre distinguée par l’UNESCO. Par ailleurs, il se dit que la qualité de l’essence d’encens qu’on tire des arbres de la région du Nadj où se trouve le Wadi Dawkah est exceptionnelle (avec une teneur en alpha-pinène supérieure à 70 %).
À qui sera-t-il destiné ?
Une partie des larmes d’encens sera réservée au commerce local, dans la boutique du Wadi Dawkah, par exemple. Mais toute la production d’essence d’encens provenant du site sera d’abord utilisée par Amouage exclusivement. Une fois les besoins de la maison assurés, rien n’empêchera d’en faire profiter les parfumeurs du monde entier. Car l’huile essentielle devrait être destinée en priorité à la parfumerie fine, et non plus à l’aromathérapie, qui est pour l’instant le principal secteur acheteur de l’encens. Je suis persuadé que cette nouvelle filière va tirer toute l’économie d’Oman vers le haut.
Une unité d’extraction va également être créée à l’entrée du Wadi Dawkah. Pour quelle raison ?
Chez Amouage, nous sommes convaincus que le circuit de transformation le plus court est aussi le plus vertueux. Il s’agit ainsi de transformer l’encens et d’extraire l’essence au plus proche du lieu de récolte. On ne voudrait pas d’une résine produite à Oman qui soit transformée ailleurs et qui revienne ensuite sous forme d’huile essentielle pour être utilisée dans nos parfums !
Cela a aussi un intérêt didactique. En créant une petite unité de distillation proche de l’oued, nous avons fait le choix de distiller la production du site petit à petit, et non pas en quelques jours. Cela permet à la transformation de s’étaler dans le temps, et à davantage de visiteurs d’en profiter.
Quelle est la place du volet tourisme dans le projet d’établir une filière ?
Il est central ! L’un des avantages du classement par l’UNESCO est que les sites distingués sont valorisés auprès d’un public très large. Nous pensons que la question du tourisme est directement liée au développement industriel de l’ingrédient. Il nous faut aussi avancer main dans la main avec tous les autres acteurs concernés par le site, comme les tribus locales avec leurs troupeaux de chameaux, et conjuguer le fait de fournir les meilleures conditions de croissance aux arbres avec celui de laisser à ces tribus un accès à l’oued et de créer de l’emploi local. Produire un encens de qualité à un prix juste dans le respect des populations et la protection des arbres, voilà notre pari.
Journaliste au Monde, Béatrice Boisserie a lancé les ateliers de YOS (yoga olfacto-sonore) pour se mettre à l'écoute de l'effluve, du souffle et de la voyelle. En 2012, elle a créé le blog Paroles d'odeurs pour reccueillir les souvenirs olfactifs de personnalités ou d'inconnus. Après des études de philosophie et d'ethnologie, elle se forme au parfum chez Cinquième sens et au yoga du son à l'Institut des arts de la voix. Elle est l'auteur de 100 questions sur le parfum (La Boétie, 2014).
A journalist at Le Monde, Béatrice Boisserie is a member of the Nez Collective. She has notably published 100 questions about perfume (ed. La Boétie, 2014).
Sourceur de produits naturels depuis plus de trente ans, Dominique Roques est sollicité par Amouage pour un accompagnement sur trois ans. Sa mission : imaginer la renaissance de la filière de l’encens dans le parc naturel du Wadi Dawkah, au sultanat d’Oman, un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Pourquoi lui ? Parce que renouer avec une tradition vieille de plusieurs millénaires ne pouvait se faire qu’avec un expert humble, curieux et enthousiaste. Rencontre.
Début 2023, vous créez votre propre société de conseil, Balsam Consulting, après avoir travaillé chez Biolandes puis Firmenich [aujourd’hui DSM-Firmenich]. À peine indépendant, vous êtes contacté par Renaud Salmon, directeur de la création d’Amouage, pour accompagner la maison dans la mise en œuvre du projet Wadi Dawkah. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette aventure ?
Ma passion, ce sont les arbres à parfum. J’ai écrit un premier livre très axé sur le sujet (Cueilleur d’essences,Grasset, 2021) et un second qui l’est encore plus (Le Parfum des forêts,Grasset, 2023). Travailler sur un projet multifacettes autour de l’arbre à encens est une opportunité merveilleuse, d’autant que c’est un arbre assez mystérieux à comprendre. Pourquoi est-il différent sur les deux rives du golfe d’Aden ? L’encens ne pousse-t-il qu’en altitude ou bien peut-on le trouver au niveau de la mer ? Quelles sont les bonnes méthodes de gemmage – une technique qui consiste à inciser l’arbre pour sécréter de la résine ? Peut-on créer des plantations d’encens ? La qualité de la résine sera-t-elle la même ? Toutes ces questions me passionnent, et apporter ma modeste contribution au projet m’a immédiatement séduit.
Comprendre les spécificités de cet arbre ne se fait probablement pas seul : avec qui collaborez-vous ?
Il y a une dimension très pratique au projet Wadi Dawkah : on a trois ans pour le mettre en œuvre. À Salalah, ville la plus proche du site classé par l’UNESCO dans le sud d’Oman, Amouage a embauché Matthew Wright pour être la cheville ouvrière du projet. C’est ensemble que l’on se pose toutes ces questions. On essaie d’être très réalistes en se demandant ce que l’on sait vraiment et ce que l’on ne sait pas. C’est un domaine pour lequel il n’existe pas une foultitude d’experts internationaux. Il faut donc agglomérer des connaissances académiques à celles qui sont issues de la tradition pour avancer, lentement mais sûrement.
Quel est l’âge moyen d’un arbre à encens ?
On ne sait pas ! Quand on connaît la date de sa plantation, on peut le regarder évoluer. Mais à Wadi Dawkah, il y a des arbres qui semblent être dans le paysage depuis toujours. Ils sont vieux, ils sont gros, ils ne sont jamais très hauts car ils ne dépassent pas 7 mètres. J’ai parlé avec beaucoup de gens, mais – aussi incroyable que cela puisse paraître – personne ne semble le savoir. Et c’est génial ! Disons entre 50 et 150 ans pour les plus gros arbres de Wadi Dawkah…
Sur le plan de la productivité, la quantité de résine sécrétée par l’arbre varie-t-elle avec le temps ?
Le jeu du gemmage, c’est de répartir les zones d’incision de l’arbre, afin qu’elles soient suffisamment écartées pour ne pas le surexploiter. Plus l’arbre grandit et grossit, plus il dégage de la surface sur l’écorce qui permet de faire de nouvelles entailles, et plus il donne ainsi davantage de résine qu’un arbre jeune. Le phénomène est d’autant plus magnifique que l’arbre à encens n’arrêtera jamais de produire de la résine tout au long de sa vie. C’est le cas d’autres arbres à parfum dans le monde, comme le baumier du Pérou ou le styrax. Dès lors que les communautés qui ont appris à vivre à ses côtés ont déterminé les bonnes méthodes d’exploitation, l’arbre donne l’impression d’intégrer le processus du gemmage dans son cycle de vie.
Pourtant cet arbre est sous pression à Oman, pourquoi ?
Il y a deux raisons principales. La première, la plus spectaculaire à mon avis, ce sont les chameaux. Ils mangent tout ce qui est dans le désert et, dès lors qu’un arbre à encens commence à produire des pousses tendres, l’animal s’en délecte. Et ça, c’est terrible. Terrible. Terrible. Il n’y aura pas de prospérité des arbres à encens à Oman en dehors des zones desquelles on arrivera à exclure les chameaux. Ce sont des sujets intéressants et difficiles à la fois, car ils sont le reflet de l’évolution sociétale du pays. Traditionnellement, le pâturage des chameaux était lié à des répartitions complexes de territoires et d’arbres élaborées entre tribus et clans omanais. Une fois son territoire d’arbres établi, chacun veillait à ce que ses chameaux ne divaguent pas. Cela a beaucoup évolué au cours des dernières décennies avec le développement du pays.
Le second problème est lié à la pression de l’urbanisation sur des zones sauvages. Mais l’existence du projet Wadi Dawkah a enclenché la mise en place d’un programme de préservation et de transplantation des arbres venant ainsi en soutien à la création d’une filière.
Justement, les arbres à encens peuvent-ils être transplantés de manière durable ?
De façon générale, plus les arbres sont adultes, plus ils sont développés, plus la possibilité de les transplanter ailleurs est compliquée. Mais la réponse des arbres à ce type de déménagement est très variable selon les essences. Il y a une dizaine d’années, on s’est aperçu que pour l’olivier, par exemple, cela ne posait pas de problème. Je reste prudent, parce qu’il faut avoir beaucoup de recul, mais il me semble que l’arbre à encens a quelque chose en commun avec l’olivier. On peut appeler cela de la résilience ou de l’adaptabilité.
Ainsi, on mène un travail en collaboration avec des sociétés qui, avant d’extraire la matière avec laquelle ils font de la chaux, sont encouragées à sauver les arbres et à les transplanter. Or à Wadi Dawkah, on a besoin de compléter un peu les peuplements existants par des arbres de l’extérieur, car qui dit plus d’arbres dit plus grande capacité de gemmage. Cette question représente donc un vrai enjeu écologique de sauvegarde, mais aussi une possibilité d’aller un peu plus vite, un peu plus loin, à un moment où l’on cherche à créer une véritable filière de production.
Comment l’arbre à encens vit-il ?
C’est un vrai partenaire des zones désertiques et montagneuses d’Oman, et c’est assez fantastique. Il a de l’eau en période de mousson, puis plus d’eau pendant des mois, mais il survit et s’adapte à cela. Pourtant, les besoins en eau des arbres à encens et les phénomènes d’irrigation sont des choses que l’on connaît encore assez mal. Par exemple, il y a plus de dix ans, à Wadi Dawkah, de nombreuses jeunes pousses ont été plantées et, visiblement, elles ont été trop irriguées, les arbres n’ont pas aimé. Ils ont mal poussé et on est en train de corriger le tir. Maintenant, il faut tout reprendre patiemment et, honnêtement, on tâtonne.
En quoi est-ce que ce projet de Wadi Dawkah est différent de ce que vous faisiez préalablement ?
Je m’intéressais à des filières d’approvisionnement avec des clients qui attendaient un produit spécifique et des quantités. Ici, on est sur un projet complètement hybride : on veut imaginer une véritable filière de production, avec 15 000 arbres à terme, et l’associer à un centre touristique qui ne soit pas Disneyland ! Il s’agit donc de développer un site touristique esthétique et singulier, de créer une expérience muséale, tout en faisant cohabiter cela avec une vraie filière d’approvisionnement qui aura été constituée, mise en place, développée pour être sous le regard de tout le monde. Dans les plantes à parfum, c’est une situation vraiment rare, et j’aime bien cette idée de poursuivre les deux buts à la fois.
Dans vos écrits, on sent l’importance des hommes derrière les plantes à parfum. Qu’en est-il ici ?
L’encens est très important culturellement pour la communauté omanaise. Et j’espère au fond de moi que ce projet mené sur le site du Wadi Dawkah va être à la hauteur de ses ambitions : contribuer à la renaissance de toute une filière, modèle possible pour le futur du gemmage dans les montagnes du gouvernorat du Dhofar. Car pour qu’Oman puisse revendiquer l’encens comme une fierté, il faudra que l’ensemble du processus soit transparent, éthique, et réponde à toutes les exigences en lien avec la récolte de produits sauvages pour le parfum : pas d’arbres surexploités, un prix décent pour les gens qui travaillent sur les arbres, etc. Et selon moi, il n’y a aucune raison de penser que cela n’est pas possible.
Nous vous avons récemment annoncé le lancement d’une collaboration entre le GDR O3 (Groupement de recherche Odorant, Odeur, Olfaction) et Nez. L’occasion d’établir un rendez-vous régulier autour des études qui ont vu le jour grâce à ce groupement de recherche mêlant des scientifiques de tout bord, qui ont pour objet commun l’odeur sous toutes ses formes. Le principe ? Nez décortique les publications, et vous en propose une version allégée et plus facile d’accès.
Saviez-vous par exemple que mieux comprendre l’origine du parfum de la rose ouvrait la voie à des innovations en cosmétique et en pharmacie ? C’est, entre autres, ce que nous explique Benoît Boachon, ingénieur de recherche au CNRS et membre du GDR O3.
S’il y a bien une odeur que nous savons détecter et apprécier, c’est celle de la rose, célèbre reine des fleurs. Ce que nous ignorions pourtant, c’était l’origine de son parfum captivant. Une première étude menée sous la direction de Sylvie Baudino, directrice du Laboratoire de biotechnologies végétales appliquées aux plantes aromatiques et médicinales (LBVpam) du CNRS et de l’Université Jean Monnet et publiée en 2015 dans la revue Science, avait permis d’identifier une enzyme clé – l’hydrolase NUDX1 – impliquée dans la synthèse du géraniol et d’autres terpènes qui participent à la signature olfactive de la rose. Nous en avions parlé dans l’odorama de Nez#07 – Sens animal.
Plus récemment, des travaux menés par Benoît Boachon du LBVPAM et réalisés dans le cadre de la thèse de Corentin Conart, dirigée par Jean-Claude Caissard, ont permis de découvrir l’enzyme en amont de cette hydrolase NUDX1 et qui lui fournit son substrat. Ils ont étudié son évolution afin de comprendre comment elle a acquis l’activité de produire le précurseur de ces molécules parfumées, un phénomène unique à la rose. En effet, contrairement à la plupart des plantes, le géranyl diphosphate (« GPP ») qui participe à la synthèse du géraniol n’est pas produit dans les chloroplastes par l’enzyme nommée « GPP synthase » chez la rose, mais par une enzyme présente dans le cytosol, la partie liquide des cellules. Cette enzyme bifonctionnelle, nommée « G/FPP synthase », produit en réalité à la fois du GPP et du farnesyl diphosphate (FPP), un autre composé précurseur important dans la synthèse des terpénoïdes comme les sesquiterpènes ou les stérols végétaux. L’étude, publiée dans la revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America), souligne également que la G/FPP synthase est présente chez toutes les espèces de la famille des Rosacées. Si ces résultats peuvent sembler anecdotiques au commun des mortels non spécialistes, Benoît Boachon précise cependant que « cette découverte permet de mieux comprendre comment certaines plantes produisent des odeurs via une voie métabolique alternative ouvrant la voie à une révision du dogme généralement accepté chez les plantes et pourrait avoir des implications pour les industries du parfum, de la cosmétique et pharmaceutiques. » En effet, « la biologie de synthèse et l’ingénierie métabolique sont de plus en plus utilisées pour produire des molécules d’intérêt issues de plantes (parfois rares) en utilisant par exemple la levure sans passer par la synthèse organique. La découverte de cette voie de biosynthèse originale pourrait donc être utilisée pour produire des parfums à partir de la levure de manière plus efficace. Le géraniol est également un précurseur de certaines molécules anticancéreuses, comme la vinblastine, dont la production est issue de la cueillette de la pervenche de Madagascar. Cette découverte permet aussi de mieux appréhender comment les arômes d’origine terpénique sont produits dans les fruits des Rosacées. »
On ne sait pas vous, mais nous, ça nous donne envie de voir la vie en rose.
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Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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En 2023, le salon qui se tient chaque année à Milan accueillait 289 marques et 10300 visiteurs, dont 70 % de professionnels. Créateurs, parfumeurs, journalistes… Mais aussi distributeurs et boutiques, pour qui cet événement est l’un des plus attractifs de la parfumerie d’auteur. Un lieu riche en échanges et découvertes, grâce à un choix unique de marques. Une promesse que devrait renouveler la 14e édition, qui se tiendra du 6 au 9 mars prochains.
« Chaque année, sur la base d’une sélection minutieuse effectuée par notre comité technique, nous offrons à nos visiteurs le meilleur de la parfumerie artistique », déclarait l’an dernier sur le site de l’événement Maurizio Cavezzali, cofondateur d’Esxence. Né en 2009, le salon n’a cessé de croître, à l’image du nombre de marques confidentielles ces dernières années. Déjà très prisé des professionnels, il a gagné en envergure après la crise sanitaire. Depuis 2022, il se tient à l’Allianz MiCo Milano Convention Center, dont la surface lui permet de réunir près de 300 exposants, venus d’une trentaine de pays différents. Pour Marie Hauguenois, fondatrice de la parfumerie Basic à Reims, « c’est le Maison & Objet de la création de niche. »
Un événement immanquable pour Manon Carrère, agent de distribution de marques telles que Essential parfums, L’Orchestre parfums, Sora Dora ou encore Une Nuit nomade.« C’est l’un des meilleurs salons de niche puisqu’il réunit un très grand nombre de marques », explique-t-elle. « Tous les professionnels sont pleinement disponibles, l’ambiance est effervescente. C’est aussi l’occasion rêvée, pour un agent, de présenter de nouvelles maisons aux boutiques, de leur faire découvrir d’autres territoires olfactifs. » Esxence revêt en effet une dimension internationale. « L’occasion d’acquérir une vision globale de la création de niche, grâce aux exposants venus d’Asie ou d’Australie par exemple », affirmeIsabelle Gallet, propriétaire de la parfumerie indépendante Santa Rosa à Toulouse. « Cela permet d’observer les cultures olfactives par pays et par région, mais aussi les tendances de l’année et notamment celles de l’été à venir, puisque le salon se tient en mars », renchérit Frédéric Molinari, qui a fondé la boutiqueMaison d’exception à Thionville en octobre 2022. « Le temps d’une semaine, Esxence offre un lieu de rencontre à tous les professionnels du secteur, au même endroit, au même moment », analyseManon Carrère. Les conférences proposées viennent en outre étoffer la culture olfactive des acteurs présents, si leur agenda le permet. Un véritable espace de découverte, de repérage, où dénicher les talents de demain.
Un terrain de jeu propice à l’échange
Au-delà des opportunités commerciales, l’événement constitue une promesse d’échange pour les revendeurs – ou retailers, pour reprendre un terme plus employé dans le milieu. « C’est l’occasion de mettre un visage sur un créateur ou un agent, loin des mails déshumanisés. Ce contact physique favorise la curiosité et le potentiel coup de cœur », explique Marie Hauguenois. Parmi les belles rencontres faites en 2022, elle citeL’Orchestre parfum et Essential parfums.Clivant, gothique, l’univers de Filippo Sorcinellil’a aussi marquée, bien qu’il ne corresponde pas à sa clientèle.
Une dimension humaine qui permet d’évoquer les projets à venir, la vision du marché. « Même si nous sommes régulièrement contactés par les marques, Esxence a l’avantage de réunir des professionnels ouverts à l’échange. Cela optimise la rencontre », affirme Isabelle Gallet. Celle avec la créatrice d’Atelier Materi a été déterminante, là où le démarchage par mail n’avait pas abouti. « L’échange sur le stand permet d’appréhender plus facilement si l’ADN visuel et olfactif d’une marque épouse l’univers de la boutique. Cette rencontre enrichit l’échange d’une autre saveur », analyse Frédéric Molinari. OutreL’Orchestre parfum, il y a découvert Alexandre Jou Tiziana Terenzi. Les rendez-vous en marge du salon offrent eux aussi leur chance au coup de cœur, à l’instar de la créatrice Naomi Goodsir pour Marie Hauguenois.
Photo : Parfumerie Ivoire (Houdan), Isabelle Gallet de Santa Rosa (Toulouse), Sophie Creyssac de la Parfumerie bordelaise (Bordeaux), Marie Hauguenois de Basic (Reims)
Esxence favorise en outre le dialogue entre partenaires. Pour Manon Carrère, c’est le lieu idéal pour cultiver le lien avec ses différents clients : « Au-delà des marques que je représente, je peux faire découvrir aux boutiques des créateurs qui me semblent intéressants pour leur offre », indique-t-elle.
C’est, enfin, l’occasion d’échanger avec ses pairs. En 2022, l’Italian Trade Agency a convié des boutiques françaises à Milan, sélectionnées par Manon Carrère, qui les a ensuite guidées sur le salon. Une opportunité en or lorsqu’on se rend à Esxence pour la première fois, comme l’expliqueIsabelle Gallet. « Le vol, l’hôtel et les repas sont pris en charge. On est donc totalement disponibles pour évoquer entre confrères notre vision de la niche, nos problématiques ou nos coups de cœur. C’est très enrichissant. » Une expérience fédératrice, qui a permis aux retailers de tisser un lien qu’ils continuent d’entretenir, via des échanges réguliers, deux ans plus tard.
Le salon requiert un minimum d’organisation pour en profiter au mieux. Manon Carrère, qui s’y rend chaque année depuis cinq ans, a coutume de prendre rendez-vous avec ses clients environ trois semaines à l’avance : « C’est essentiel pour s’assurer qu’un créateur soit pleinement disponible pour échanger. » Elle suggère d’ailleurs aux boutiques qui se rendraient pour la première fois à Milan de repérer les marques intéressantes sur le site d’Esxence, puis de déambuler dans les allées pour laisser place à la découverte. « Sans organisation, on peut vite se sentir un peu dépassé par l’étendue du lieu », renchérit Isabelle Gallet.
La spontanéité est aussi l’un des charmes de l’événement. « Si un repérage le premier jour s’impose, c’est bien de laisser place aux rencontres imprévues, d’aller découvrir les marques que nous suggèrent nos confrères », analyse Marie Hauguenois. Les boutiques font ensuite leur choix suivant leur marché régional, en veillant à ce que les parfums ne se concurrencent pas.
De nombreux retailers préfèrent optimiser les deux premiers jours, car l’événement est ensuite ouvert au grand public ; les marques sont alors moins disponibles. Frédéric Molinari privilégie une autre approche : « Une fois que nous avons vu nos marques partenaires avec ma directrice, on parcourt le salon pour prospecter. Le samedi est un jour intéressant car on peut y observer les réactions du public. » Avoir toutes les maisons à portée de main est pour lui un avantage de taille. Deux visites, en 2019 puis en 2022, lui ont suffi pour repérer une dizaine de marques sur les vingt-cinq créateurs qu’il distribue dans sa boutique.
Esxence constitue ainsi un incontournable, comme le résume Maurizio Cavezzali : « C’est l’événement mondial de référence : les acteurs les plus importants de l’industrie se réunissent ici, les tendances se décident ici, les marques émergentes font leurs débuts ici. Édition après édition, nous cherchons toujours à nous renouveler. »
Visuel principal : Isabelle Gallet (Parfumerie Santa Rosa) et Géraldine Archambault (Essential Parfums)
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Sophie Normand
Fascinée par le parfum depuis l’enfance, Sophie Normand crée un blog en 2008, My Blue Hour, dédié à cet univers. Par la suite, elle prête sa plume à l’Olfathèque, l’encyclopédie en ligne de Cinquième Sens, où elle suit le cursus Matières Premières et Formulation. Elle y découvre en détails la palette du parfumeur et s’exerce à l’évaluation. Elle est aujourd’hui rédactrice pour les sites Fragrantica et Premium Beauty News. Elle écrit également pour des marques de niche. En parallèle de cette activité éditoriale, elle anime des ateliers olfactifs et des trend tours dédiés aux tendances de la parfumerie.
En octobre 2023, à Paris, dans le cadre des Rives de la beauté, le parfumeur de la maison de composition DSM-Firmenich Fabrice Pellegrin et le journaliste Lionel Paillès ont proposé une conférence autour de leur livre Grasse, de la fleur au parfum, publié chez Gallimard.
Animée par Guillaume Tesson, cette conversation nous ouvre les portes d’un écosystème singulier qui va de la culture de la fleur, avec ses savoir-faire artisanaux, jusqu’à la transformation du produit naturel par les technologies de pointe.
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Dans le cadre de la collaboration entre le GDR O3 (Groupement de recherche Odorant, Odeur, Olfaction) et Nez, nous vous proposons un rendez-vous régulier autour des études qui ont vu le jour grâce à ce groupement de recherche mêlant des scientifiques de tout bord, qui ont pour objet commun l’odeur sous toutes ses formes. Le principe ? Nez lit les publications, et vous en propose une version allégée, plus facile d’accès mais toujours exacte.
Aujourd’hui, allons observer au microscope ces protéines essentielles et pourtant encore mal connues que sont les récepteurs olfactifs, en compagnie de Claire de March, chargée de recherche au CNRS – Université Paris-Saclay et membre du GDR O3.
Il n’y a pas que l’intelligence artificielle qui a récemment permis de s’approcher un peu plus du fonctionnement de notre nez. Il faut dire que les récepteurs olfactifs se montrent particulièrement pudiques en laboratoire, ce qui complique la compréhension de leur structure : « La mise en forme pour l’étude de ces récepteurs en laboratoire est encore trop délicate à réaliser car ils s’expriment très mal à la surface des cellules modèles communément utilisées pour la production des protéines », explique la biochimiste Claire de March. Celle-ci a cependant participé, avec plusieurs scientifiques internationaux, à l’élaboration d’un processus expérimental permettant de produire en laboratoire un récepteur olfactif humain et d’obtenir sa structure par cryomicroscopie électronique – qui consiste à congeler en express un échantillon et à prendre la protéine en « photo » pour l’observer dans son état natif. Le nom de l’heureux élu ? OR51E2, présent dans le nez et les cellules cancéreuses de la prostate, qui s’est montré être le candidat le plus favorable par sa stabilité : contrairement à bien d’autres, celui-ci « a été conservé lors de l’évolution entre les espèces », poursuit Claire de March.
À quoi ressemble cette première structure de récepteur olfactif ? Il « présente des motifs structuraux moléculaires particuliers qui pourraient donc être spécifiquement impliqués dans l’olfaction », pour nous permettre de sentir, notamment, l’odeur du fromage. Un pas décisif dans la compréhension de ces protéines, qui a valu à l’article une publication dans la prestigieuse revue Nature.
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
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