Smell Talks : Table ronde Argent & Parfum

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Le mardi 4 juin 2024, la librairie Le Merle Moqueur, à Paris, accueillait le lancement du dix-septième numéro de la revue Nez. En écho à la thématique du dossier Argent & Parfum, une table ronde a réuni ce soir-là trois experts : Camille Goutal, parfumeuse et cocréatrice de la marque Voyages imaginaires avec Isabelle Doyen, David Frossard, fondateur de la société Différentes Latitudes, du label Liquides imaginaires et de la marque Obvious, et Nicolas Olczyk, expert et consultant auprès de sociétés de parfum.

Une table ronde animée par Guillaume Tesson.

Laboratoire Monique Rémy : au commencement était une femme

Femme pionnière et iconoclaste, Monique Rémy a fondé LMR en 1983, guidée par son amour du vivant. Par son audace, son exigence et son intégrité, elle a su fédérer autour d’elle des alliés de choix, en premier lieu les parfumeurs, en leur proposant des extraits naturels à la qualité jamais compromise. Dans le giron d’IFF depuis 2000, LMR est toujours resté fidèle à ses valeurs d’origine : transparence, respect et innovation. À l’occasion des 40 ans de la société, parfumeurs de tous horizons, ingénieurs, producteurs, dirigeants et partenaires qui ont croisé la route de sa fondatrice lui rendent hommage, révélant le caractère unique de son histoire, dans l’ouvrage L’Art du naturel, publié dans la collection « Nez+LMR cahiers des naturels ». Nous vous proposons d’en découvrir l’introduction.

LMR, un acronyme comme les ingrédients d’une très belle et forte histoire : « L » pour laboratoire, le lieu de la science expérimentale, là où se jouent les découvertes, les améliorations, les innovations ; « M » et « R », pour Monique Rémy, une femme pionnière et iconoclaste. Une femme remarquable par son amour d’une valeur, l’honnêteté, mère de la transparence. C’est de cette droiture qu’est né LMR Naturals. Une société à la solide réputation, dont les produits à la pureté inégalée lui ont valu le surnom de « Rolls Royce » du marché. 

Dans l’histoire de LMR, il y a d’abord un récit-cadre, celui de l’aventure d’une femme dans le monde très masculin de la parfumerie à Grasse dans les années 1980 à 2000, puis de l’intégration de sa structure dans une société de composition internationale, IFF, à la demande des parfumeurs qui voulaient pour leurs créations les plus belles matières. C’est grâce à la relation très complice entre Monique Rémy et Nicolas Mirzayantz, qui deviendra par la suite P.-D.G. de toute la division parfum d’IFF, que l’affaire se conclut. Certaines mauvaises langues s’interrogent alors sur le devenir de LMR. La suite de l’histoire les fera taire. Chez IFF, LMR est accueilli comme un fleuron, et les deux structures se nourrissent l’une l’autre. Dès lors, le décor est celui des coulisses de la création, d’avant la narration publicitaire du parfum, depuis le terroir jusqu’au concentré parfumé. 

Si aujourd’hui l’importance de l’ingrédient naturel dans la parfumerie n’est plus à prouver – mais reste à protéger –, il y a quarante ans, au moment de la fondation de LMR, nombreux étaient les industriels qui lui avaient tourné le dos. Il convient donc de prendre le temps d’explorer les motivations qui ont présidé à la destinée de Monique Rémy et de retracer l’évolution de LMR à travers le temps. 

Monique Rémy représente indéniablement une figure emblématique dans le monde de la parfumerie et des arômes, grâce à son engagement inébranlable et infatigable en faveur de l’excellence et de l’innovation tout au long de sa carrière, et en particulier au sein des laboratoires qu’elle a fondés en 1983. Animée par l’amour des matières naturelles et le respect de la création parfumée, elle a assuré l’approvisionnement en ingrédients les plus purs de ses clients, à commencer par les parfumeurs, en maîtrisant la chaîne de valeurs. Une expertise qui débute à la source, en créant des liens de confiance avec les cultivateurs récoltants et les producteurs à travers le monde, par leur écoute, par le développement de techniques agricoles sur mesure et le soutien des communautés locales. Ces initiatives reflètent une philosophie profonde qui reconnaît certes la souveraineté de la nature et la nécessité de la préserver pour les générations futures, mais avant toute chose l’importance de la vérité dans la parole donnée. Quiconque a rencontré Monique Rémy se souvient de son franc-parler, de son intransigeance pour l’exactitude. Une attitude qui n’a jamais toléré les petits arrangements avec la qualité. Une question d’honneur. 

Fidèle aux convictions humaines de sa fondatrice, LMR s’est distingué dans le paysage des ingrédients naturels en assurant aux parfumeurs un accès à des produits de haute qualité, et en répondant à leurs besoins de façonnage par l’introduction de procédés inédits et durables pour l’extraction et la purification de matières premières, à l’instar de la Rose Essential, de la Lavande Enfleurage 2.0 ou encore du Vétiver Ultimate. En adoptant une approche holistique de la production, qui intègre des pratiques agricoles vertueuses, une extraction respectueuse de l’environnement et une transparence totale de la chaîne d’approvisionnement, LMR a établi de nouvelles normes dans l’industrie. Ses naturels de haute qualité ont non seulement élevé le standard des fragrances, mais ont également ouvert de nouvelles voies pour l’innovation dans les arômes alimentaires et les cosmétiques. 

C’est en cela que l’expression « Art du naturel » prend son sens. Sur ce matériau vivant opère un savoir-faire guidé par une vision. Un ingrédient n’est pas une fin en soi, il doit intégrer une composition où il interagit avec d’autres, au service d’une émotion, d’une intention, d’une idée. Il ne pourrait y avoir ici de place pour l’à-peu-près, le contingent, le médiocre. Défendant l’art de la parfumerie en général, IFF à travers LMR Naturals œuvre pour l’excellence de ce métier et l’approvisionnement des artistes de la composition en matériaux les plus durables, littéralement. LMR, depuis ses débuts, a reconnu que l’ingrédient naturel de parfumerie prenait part à une aventure culturelle d’envergure, en aval de la chaîne de valeurs, parce qu’il participe à une création artistique, en amont, parce qu’il est un patrimoine régional, un objet de science et une source d’inspiration. 

Visuel principal : Monique Rémy devant l’appareil de distillation moléculaire, fin des années 1990. © DR

Le fric, est-ce éthique ?

La cueillette d’ylang ylang des Comores dénoncée dans un article de Médiapart en 2023, le travail d’enfants lors de la récolte du jasmin d’Égypte mis en avant dans un documentaire de la BBC[1]« Child labour behind global brands’ best-selling perfumes » sur la chaîne Youtube de la BBC, ainsi que l’article de Ahmed ElShamy et Natasha Cox sur le site du média en mai… Plusieurs scandales touchant l’industrie du parfum ont été mis à jour ces derniers temps, alors même que l’on voit fleurir les discours sur l’éthique dans la communication des marques.
Et si l’un des nerfs de la guerre tenait dans la juste rémunération des premiers maillons de la chaîne ? Ce qui semble être une évidence est pourtant encore loin d’être la règle. Nous proposons une analyse de ce sujet brûlant, tout juste publiée dans le dernier numéro de la revue Nez, qui explore les différents liens entre argent et parfum.

Derrière les beaux discours sur les matières premières vantées dans les publicités, il est des histoires que l’on préférerait oublier. Celle des racines colonialistes de l’industrie du parfum en fait partie. Cette histoire est pourtant essentielle pour comprendre le fonctionnement actuel de l’industrie, et se doit d’être rappelée par décence envers les peuples colonisés. Sans eux, la parfumerie telle qu’on la connaît n’existerait pas. Car ce n’est pas seulement la chimie qui a permis de passer d’une création onéreuse et réservée à quelques privilégiés à une industrie de masse. Le mouvement est global, comme en fait état Sylvie Laurent dans Capital et race, Histoire d’une hydre moderne (Seuil, 2024) : « Sans cette “nature bon marché” constitutive du capitalisme, sans l’esclavage et l’exploitation des terres américaines (à laquelle s’ajoute le travail non rémunéré des femmes en métropole), l’Europe n’aurait pu entrer dans l’âge de la croissance et de la technique. » Pour produire la quantité de naturels que nous connaissons aujourd’hui, il a fallu avoir recours à une main-d’œuvre exploitée, mais aussi à des terres fertiles et dominées par l’Occident, comme celles de Madagascar, des Antilles-Guyane ou encore de la Réunion.
Certaines plantes cultivées sont endémiques, d’autres sont introduites à la suite d’expérimentations. Dans le manuel Les Plantes coloniales utiles que l’on peut cultiver en France, publié en 1943, le botaniste Auguste Chevalier conçoit ainsi l’exploitation colonialiste comme un moyen pour « rapatrier les richesses » : « Les colonies françaises de l’Afrique du Nord, Maroc, Algérie, Tunisie ont le devoir impérieux de se préoccuper de subvenir aux grands besoins de la Métropole en ces essences. […] La fabrication de ces essences hespéridées n’est pas compliquée : point d’outillage coûteux, fabrication simple et facile, main-d’œuvre peu coûteuse, féminine et enfantine. »
L’historienne Mathilde Cocoual a étudié le cas de Madagascar, où l’industrie grassoise a introduit les cultures de l’ylang-ylang, de la vanille, du girofle et de la cannelle au début du XXe siècle : « Il y a une dualité dans ce geste : d’un côté, évidemment, il y a eu une exploitation des populations locales ainsi que des effets néfastes liés à la colonisation ; de l’autre, la plante à parfum a été une ressource complémentaire pour les paysans locaux, souvent plus facile que le travail à la mine », explique-t-elle. Bouleversements migratoires, culturels et religieux, modification durable des terres, villageois réquisitionnés de gré ou de force, mauvaises conditions de vie sur les domaines font partie de l’empreinte impérialiste. Au moment de la décolonisation, dans les années 1960, tout est laissé à l’abandon, sans aide ni compensation financière ; les cultures de plantes à parfum finiront par être rachetées par d’autres sociétés. 

Prix légal, prix éthique 

Qu’en est-il en 2024 ? S’il est difficile d’avoir accès aux revenus des cueilleurs et paysans, qui fluctuent beaucoup – et parce que le sujet est tabou –, et si les conditions d’accès, les intermédiaires et les spécificités propres à chaque matière rendent complexe le contrôle d’une juste rémunération des premiers maillons de la chaîne, la situation est suffisamment précaire, voire critique pour justifier des mouvements de protestation, à l’image de celui mené par les agriculteurs français en janvier 2024. Lorsque le contexte géopolitique est compliqué, la situation est encore plus désastreuse. Dans un article publié sur Médiapart en mars 2023, Florence Loève dénonçait « derrière les flacons Dior, l’exploitation de celles qui cueillent les fleurs d’ylang aux Comores ».[2]« Derrière les flacons Dior, l’exploitation de celles qui cueillent les fleurs d’ylang aux Comores », de Florence Loève, sur le site de Médiapart Les prix sont fixés par les acheteurs et sont soumis à de nombreux facteurs d’incertitude. Six euros par jour pour une cueilleuse, entre dix et vingt euros pour un ouvrier en distillerie… Mais les locaux n’ont que peu le choix : ils dépendent en grande partie de ces cultures. « Il y a une contradiction dans l’industrie du luxe. Les marques portent un discours de développement durable, mais il me semble difficilement crédible tant que les acheteurs de matières premières ont d’abord des objectifs financiers, souligne la journaliste interrogée. Et, même si une marque cherche à sourcer son produit avec de bonnes intentions, la situation géopolitique de pays comme les Comores rend les choses très complexes : la communication des marques doit être plus réaliste à ce sujet. »
Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Shamiso Mungwashu, spécialiste en développement de projets pour la Fairtrade Support Network Zimbabwe, faisait ainsi état de la somme payée aux paysans qui cultivent les épices dans son pays lors d’une conférence de l’UEBT en octobre 2022 : 70 dollars par mois pour la plupart, 170 dollars pour les employés les plus qualifiés ; le solde accordé aux cueilleurs est plus bas encore, et n’est souvent pas encadré : moins de 15 dollars par mois sur quatre à six mois, dans un pays où il s’agit de la principale ressource financière : « Si on ne considère que les repas, pour une famille de quatre personnes, on dépasse déjà le revenu minimum établi par la loi. Sans compter l’électricité, l’école… » Et de compléter : « Nous avons de la gratitude pour nos partenaires. Car la plupart des communautés avec lesquelles je travaille dépendent de vous [les maisons de composition], de la relation que vous avez construite, ne serait-ce que pour avoir la dignité de nourrir leurs familles. » Avant de soulever une question centrale : « Payer 80 dollars est légal. Mais est-ce nécessairement éthique ? » 

La concurrence de la synthèse 

À Madagascar, c’est la vanille qui constitue une ressource importante, comme le note Georges Geeraerts, président du Groupement des exportateurs de vanille de Madagascar et vice-président du Conseil national vanille : « La gousse peut représenter jusqu’à 8 % du PIB, et fait vivre localement plus de 150 000 familles. C’est un produit qui demande beaucoup de temps et d’étapes, et qu’on devrait considérer comme un vrai luxe. Mais son prix Fairtrade a été calculé à 5,6 dollars le kilo ; or cela n’est pas du tout suffisant pour faire vivre une famille, sans parler de l’accès à une éducation décente, par exemple. » Collecteurs, préparateurs, conditionneurs, stockeurs, exportateurs, traders constituent autant d’étapes qui font ensuite grimper le tarif de la matière première pour les sociétés de composition qui en sont les utilisatrices. Sur ce terrain, la gousse a un ennemi puissant : « Les arômes de synthèse, mille fois moins chers, et dont la dénomination entretient un flou dans l’esprit des consommateurs qui ne savent même plus ce qu’ils achètent. » Les mentions « arôme naturel » et « arôme naturel de vanille » ne désignent ainsi pas la même chose ; le cas est similaire dans les parfums : la quantité de matière première n’est pas la même pour obtenir un extrait ou une infusion de vanille ; cela permet pourtant de revendiquer de la même façon l’ingrédient dans la composition. « C’est ce qui explique qu’on vende la même quantité de vanille depuis plus de vingt ans, alors que la population a augmenté, et qu’on doive finir par la céder au rabais. Or, sans la gousse naturelle, la synthèse n’existerait pas : on lui doit un tribut. » Pour pallier ce problème, un prix plancher a été établi en 2021 par le gouvernement malgache, « mais il a été libéralisé en 2023, sans période de transition. C’est dramatique, les paysans n’arrivent plus à vendre, et finissent par le faire à des prix dérisoires pour ne pas perdre leur production. » 

Le prix, sujet central de la soutenabilité 

L’industrie agroalimentaire est certes la plus grande consommatrice de la gousse, et la parfumerie reste proportionnellement une petite acheteuse. Mais elle a son rôle à jouer, et ce d’autant plus que les arômes et les parfums sont créés par les mêmes sociétés. Rappelons qu’à l’heure où LVMH, dirigé par Bernard Arnault, envahit nos boutiques grâce à ses nombreuses marques et enregistre un chiffre d’affaires sans commune mesure, Madagascar est actuellement positionnée au 173e rang sur 191 dans le classement des pays par indice de développement humain. La richesse n’a en toute apparence pas su ruisseler jusqu’aux paysans, sans qui pourtant les grands parfums que nous aimons n’existeraient pas. « Si on veut pouvoir parler de soutenabilité et d’éthique, le prix, qui reste un tabou dans l’industrie, est le sujet central. Les situations varient beaucoup selon les pays et les matières. De manière classique, le prix est indexé sur le temps passé sur place ou sur la quantité récoltée, mais c’est assez inégalitaire : les jeunes sont plus rapides par exemple, les plus âgés sont pénalisés, et cela incite au travail infantile. Au Guatemala, quand la cardamome qui y est produite est achetée à un prix décent, que nous calculons avec les données des producteurs, les paysans peuvent être rémunérés pour assurer leur subsistance, les études des enfants et quelques loisirs. Mais c’est un marché très volatil », note Elisa Aragon, cofondatrice et CEO de la société Nelixia, productrice de matières premières en Amérique latine. Pour autant, la demande en naturels est forte, même dans les produits d’entretien de la maison. Les sociétés clientes veulent cependant faire baisser les coûts, et cherchent des naturels plus low cost. « Le souci est que la hiérarchie très verrouillée dans les entreprises acheteuses, avec en bout de chaîne les actionnaires, cherche toujours à faire baisser les prix, mais ne se rend pas compte de l’impact sur les paysans dont c’est souvent la seule source de revenus. Rémunérer mieux les paysans changerait des millions de vies, sans avoir un impact réellement significatif sur le coût de production des matières. » Le réchauffement climatique a tendance à amplifier le problème : les rendements sont globalement moindres ; il faut donc accompagner les paysans vers des solutions comme l’agroécologie pour leur permettre de trouver une résilience. « Je crois qu’il n’y a pas une seule matière première pour laquelle on peut dire que le prix payé est juste. Mais les clients nous posent de plus en plus la question : une prise de conscience est advenue, et je suis persuadée que les choses vont commencer à changer », conclut Elisa Aragon. 

Accompagner le changement 

Un grand nombre de maisons de composition cherchent néanmoins à s’engager pour que les producteurs gagnent en autonomie, en investissant dans du matériel par exemple, en mettant en place des partenariats à long terme, ou encore en créant des outils d’évaluation de la durabilité des matières premières et compositions parfumées… C’est aussi l’une des raisons d’être de l’Union for Ethical Biotrade (UEBT), une organisation à but non lucratif créée en 2007 pour garantir un sourcing équitable. Parmi les différents critères d’évaluation, « le principe 3 porte notamment sur les prix équitables et sur la manière dont les entreprises doivent s’assurer que les accords d’approvisionnement avec les producteurs sont fondés sur le dialogue, la confiance et la collaboration à long terme », explique Rik Kutsch Lojenga, directeur exécutif de l’UEBT. « Traditionnellement, les pratiques de rémunération des cueilleurs et cultivateurs sont informelles, et les équivalents du salaire minimum ne sont souvent pas respectés. Nous avons créé une approche progressive pour accompagner les sociétés : valorisation du temps moyen consacré par les producteurs aux activités de culture ou de collecte à un taux au minimum proportionnel au salaire de subsistance, soutien à la diversification des sources de revenus locales, ou encore objectifs pour faire progresser les salaires pour les travailleurs sous contrat. Nous guidons aussi les auditeurs tiers pour déterminer le salaire vital, que nous définissons comme la rémunération perçue pour une semaine standard par un travailleur dans un lieu donné, suffisante pour assurer un niveau de vie décent à celui-ci et à sa famille », poursuit-il. Pour garantir que les sociétés acheteuses respectent les normes, l’UEBT réalise des vérifications sur le terrain, permettant de définir une base d’amélioration progressive qui vise à accompagner les changements. Elle propose également un programme de certification pour chaque ingrédient, orchestré par un organisme tiers, pour lequel elle ne perçoit pas de rémunération, et qui seul permet d’obtenir un label. Si de telles démarches ont permis une amélioration et une sensibilisation globale de l’industrie, « les évaluations de l’UEBT ne sont pas des “garanties” et ne peuvent à elles seules résoudre des problèmes profondément enracinés tels que les inégalités et les déséquilibres de pouvoir », souligne Rik Kutsch Lojenga. Les audits ont par ailleurs un prix que le producteur ne peut être le seul à payer, et l’accompagnement financier en ce sens doit devenir un engagement des grandes marques, qui bénéficient de la valeur ajoutée de ces produits certifiés. 

Rien dans le flacon 

Pourtant, les situations restent largement précaires pour les « petites mains », premières à subir les conséquences des spéculations, crises diverses engendrées par le Covid ou les guerres… Et les décisions des marques. Les matières premières naturelles sont souvent valorisées dans les campagnes marketing des grands parfums qui en vantent les origines. Rose bulgare, vanille de Madagascar, ylang-ylang des Comores font voyager, et donc vendre. On sait pourtant que le prix du concentré constitue une faible proportion du prix final du flacon – entre 1 et 5 %, surtout pour les marques mainstream qui bénéficient d’une large présence dans les médias. Mais le scandale, pour le parfumeur Christophe Laudamiel, tient à la communication : « Ce que l’on sait moins, c’est que les marques n’utilisent souvent qu’entre 0,01 et 0,1 % d’extrait pur d’un ingrédient naturel dans leur concentré pour pouvoir le mentionner dans leur communication. On laisse habilement croire au public que ces naturels constituent une part significative du parfum, mais si les formules étaient publiques, tout le monde serait très certainement bouche bée. » Il a ainsi envoyé une lettre aux grands groupes en août 2022, dans laquelle il souligne qu’utiliser 100 ppm (0,01 %) d’un ingrédient dans une composition ne devrait pas autoriser à le mentionner dans un dossier de presse. « Pour un flacon de 50 ml, les grands groupes paient 70 centimes à 1,50 dollar le concentré. Cela doit couvrir tout le monde : parfumeur, évaluateur, commercial, législation, et évidemment fermiers, coopérative, transformateurs, transport… Au kilo, évidemment, les matières naturelles peuvent être chères, mais si on ne met quasiment rien dans le flacon, on ne garantit rien au fermier, payé selon les volumes vendus. Augmenter son revenu ne changerait rien aux bénéfices énormes de ces groupes qui possèdent des poignées de licences et se félicitent de leurs chiffres annuels sans aucune honte ! » Pour mettre en évidence ce grand écart, le parfumeur publie sur le compte instagram Fragrance Drama[3]Voir https://www.instagram.com/fragrance.drama/ les analyses de certaines compositions célèbres. « C’est comme si l’on faisait passer un vêtement composé à 99 % de nylon pour un drap de laine de qualité. Les maisons de luxe n’accepteraient pas ça dans leurs gammes de mode, pourquoi l’accepteraient-elles dans leurs flacons ? » 

De toute évidence, les efforts dilués ne suffisent plus ; la prise de conscience doit être générale si l’on veut imaginer un avenir différent du passé. Pour reprendre les mots de Sylvie Laurent : « Briser le cercle funeste commence par la dissipation des illusions et des légendes. » 

Visuel principal : © Nicolas Nadé

Smell Talks : Soizic Beaucourt – Le rayonnement de la parfumerie du Moyen-Orient

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Dans cet épisode, Soizic Beaucourt, parfumeuse pour la maison de composition espagnole Eurofragance présente dans la région du Golfe depuis plus de 30 ans, nous parle du rayonnement de la parfumerie du Moyen-Orient.

Du 21 au 24 mars 2024, entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédées des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.

Crédit photo : © Eurofragance

Simppar 2024 : Sous l’énergie solaire de Grasse

Le Simppar (Salon international des matières premières de la parfumerie), organisé par la Société française des parfumeurs, s’est tenu cette année les 28 et 29 mai 2024 à Grasse. Fort du succès parisien, l’événement s’est exporté sur le cours Honoré Cresp, avec vue et soleil. Compte-rendu des déambulations embaumées, pour celles et ceux qui auraient manqué cette dix-septième édition.

« Plus de 2000 visiteurs le premier jour, presque autant le second, c’est bien plus qu’envisagé ! » se réjouit Thierry Duclos, organisateur du salon. Cette première édition réalisée à Grasse, pour le plus grand plaisir du maire de la ville Jérôme Viaud, s’est parfaitement déroulée, après trois ans et demi de préparation. « La terrasse avec vue et son petit kiosque étaient tellement charmants que j’ai organisé le salon autour. » Malgré les contraintes logistiques et le dénivelé de la ville ancienne, le salon a réussi à absorber les nombreux exposants : « 98 stands pour 250 demandes, des visiteurs du monde entier, et aussi d’importantes associations présentes : la British Society of Perfumers, l’IFEAT, Grasse Expertise, Prodarom, la Fédération européenne des huiles essentielles… C’était l’opportunité de définir une position commune pour défendre les acteurs en matière de législation », confie Thierry Duclos. 

Une fois n’est pas coutume, les festivités ne démarrent pas par l’habituelle descente des escalators de la porte de Champerret mais par la montée d’une colline ! La veille au soir, c’est DSM-Firmenich qui déroule le tapis rouge au grandiose Château Saint Georges : « Merci de célébrer le riche patrimoine de Grasse avec nous », détaille l’invitation. Avec plaisir ! Une belle occasion de rencontrer l’équipe grassoise, de voir les parfumeurs de la maison, mais aussi d’ailleurs, et surtout de prendre des nouvelles de la reine des fleurs, la rose : pauvre récolte 2024 hélas, me confie Fabrice Pellegrin, la météo a engendré beaucoup de pertes cette année… Mais chut… Les discours de Jérôme Viaud et de Jerry Vittoria, président Fine Fragrance chez DSM-Firmenich, commencent…

JOUR 1

8h30. Par une faille spatio-temporelle, je me réveille pour aller assister à un second discours du maire qui s’est téléporté au petit déjeuner organisé par ADF (le groupe détient Nature et Technologies, anciennement Tournaire Equipement). C’est à la villa Fragonard que nous nous retrouvons, de quoi admirer les reproductions du peintre éponyme et son charmant jardin. À 9h30, je remonte le boulevard, visite au pas de course le musée et son impressionnante collection de flacons anciens.

10h, je suis prête pour l’entrée du salon et, première surprise : une partie est en extérieur, façon marché de Noël ! Choix risqué s’il avait plu, mais tellement plus agréable pour sentir, car heureusement, le beau temps est de la partie !

Juste devant l’entrée, Patrice Blaizot de PCW nous fait découvrir une sélection : la Sotolone (molécule naturelle aux notes caramel-lactone-fenugrec-immortelle), l’absolue de brèche d’abeilles, dont les alvéoles procurent un effet plus animal que la cire seule ; et quelques bases sympathiques : Pistachio (très frangipane), le whisky (pur jus de Mark Buxton !) et bien d’autres. Avis d’ailleurs aux parfumeurs indépendants, et particuliers, Patrice et son équipe annoncent l’arrivée d’un kit de matières premières avec balance pour faire ses propres formulations (et pourquoi pas produire chez eux ?)

L’équipe de PCW

Le plus important au Simppar est de trouver les bonnes personnes pour sentir avec vous. Je commence la tournée avec la parfumeuse Céline Perdriel de Cosmo International Fragrances, direction l’Égypte avec Hashem Brothers qui propose davantage de citrus pour pallier les ruptures en Espagne. Nous sentons l’absolue de son de riz, impression des grains tamisés dans la paille ; l’absolue de feuilles de tomates, qui est étonnamment cuirée ; et une série de petitgrains : l’un d’orange douce, puis de citron, de citron italien… Restons en Égypte, pour sentir la nouveauté de Fakhry : le Keylime distillé, une note très tendance sur le salon, le leur est très cannelle, coca.

Hashem Brothers

Tout au bout, se trouve le stand Sensient : la société n’a-t-elle pas été vendue à Symrise ? Justement, pas cette branche qui commercialise du naturel ! Ils présentent ici une collection d’extraits CO2, dont je retiens le thé noir du Kenya, qui fait « thé de Noël », une vanille très épicée, la mandarine 5X extrait, particulièrement concentrée et pétillante, et enfin la menthe jardin aux délicieuses notes de thé à la menthe.

L’équipe Sensient

De belles marques font la queue pour le stand Payan Bertrand qui met en valeur quatre indications géographiques productrices d’ingrédients précieux.  La flouve, que l’on peut aussi sentir sur le stand des Fleurs d’exception du pays de Grasse à l’aveugle ; une rose centifolia au parfum particulièrement pur ; l’absolue de feuille de violette ; et son divin mimosa, aux notes de tête légèrement vertes, glissant ensuite vers le poudré. Après le succès de leur fleur de cuir process E, Frédéric Badie réitère l’exercice avec un vétiver d’Inde, qui nous offre une version très douce du bois ; un santal blanc indonésien, plus fumé que l’indien ; et le rhodarol aux inflexions techniques, presque métalliques. Mais dis donc, Frédéric, qu’est-ce que c’est ce petit prospectus rose distribué à l’entrée ? Tu as ouvert une boutique à Grasse ? OK, je passerai ce soir !

Frédéric Badie et Steffie Le Benezic, Payan Bertrand

Ange Dole et Isabelle Fritsch présentent la thématique Synaergie (pour connecter Synarome avec les partenariats de sourcing durables). Sous la tente où il commence à faire très chaud, un thé aromatisé au pomelo est le bienvenu pour accompagner le pomelo de Corse rectifié, réalisé à froid et issu de fruits IGP. Leur teinture de vanille Madagascar m’évoque les gousses que l’on met dans le rhum pour les conserver. Retour à la synthèse, avec le diéthyl acétal d’héliotropine, un substitut de l’héliotropine, dont tout le monde cherche à se débarrasser, semble-t-il. On y retrouve la douceur et la diffusion de l’original, avec cependant un peu moins de texture. Je finis avec le Tonkarome, sublime base des années 1950 qui reconstitue une fève tonka ambrée (et ne pose pas de problèmes d’approvisionnements). 

L’équipe Synarome
© Synarome

Qu’est-ce que Biolandes nous a concocté cette fois-ci ? Cédric Alfenore s’amuse à faire deviner sur  touches deux ingrédients issus de sa créativité débordante. « C’est poudré et un peu animal, du cacao ? Attends, je glisse vers la mousse de chêne avec le côté salé et liquoreux. Mais qu’est-ce que c’est ? » « Une absolue rameau d’asperge des sables des Landes ! » Ah? « Oui, les “cladodes” [rameaux sans feuilles] sont séchés durant l’été, souvent broyés et laissés sur place, Biolandes les récupère, les sèche à nouveau avant de les extraire. » Deuxième touche, encore plus bizarre et aux antipodes du courant vegan : l’absolue de laine, réalisée à partir des eaux de lavages de moutons néo-zélandais. Effet biquette garanti. C’est en pleine randonnée pyrénéenne que Cédric a eu cette idée farfelue, en passant la main dans la laine d’un ovin ! « Un ingrédient classique pour me laver le nez ? »  

Cédric Alfenore, Biolandes

Après l’animal, place au propre ! Robertet étend sa collection Clean R Scent réalisée au solvant dit « vert », le diméthyl carbonate. J’avais déjà senti les trois premiers l’an passé (vanille Bourbon, tonka toastée et bois de cyprès) ; je vais me concentrer sur les trois nouveaux : l’absolue de maté, à la fois tabacée et fruitée comme un figolu ; le ciste, qui se fait un peu plus doux que le conventionnel ; et enfin le bourgeon de cassis, qui se bonifie avec le procédé, car il perd son effet soufré pour se concentrer sur le fruit. Comme dit l’équipe, il faut changer de paradigme, mais combien d’années faudra-t-il pour se débarrasser complètement de l’hexane ?

L’équipe Robertet

Une envie d’aller voir le stand de Nez m’amène au Palais des congrès, eh oui, il y a une suite de l’autre côté de la rue ! Il faut monter quelques marches pour accéder aux stands de la presse, des écoles (Isipca, ESP, GIP), et de The Perfumist ! Une promenade qui permet de capter les bruits de couloir : « Tu as vu le reportage de la BBC[1]Allusion au reportage diffusé le 28 mai 2024 sur la chaîne britannique BBC : https://www.youtube.com/watch?v=3295wEpmajoL’article sur le site de la BBC, avec les réponses de L’Oréal, de … Continue reading ? », « Tu vas au cocktail ce soir ? ah mais il fallait s’inscrire ! », « à Grasse, c’est plus ensoleillé et moins guindé qu’à Paris »

Le stand Nez

De retour côté tentes, je rend visite pour la première fois à Misitano & Stracuzzi, dont le fondateur m’explique qu’ils ont commencé comme exportateurs avant de produire à leur tour. Ils ne faisaient que des agrumes et s’étendent aujourd’hui à d’autres produits (à venir ?).  Lui aussi est ravi d’être à Grasse, un salon d’ingrédients près des champs sonne comme une évidence.

Un effluve puissant aux notes de muguet vient à moi, c’est le Nymphéal, qui s’échappe du stand Givaudan-Albert Vieille. Cette molécule, qui a été captive de 2016 à 2024, tient son nom des Nymphéas de Monet, un tableau auquel les facettes aquatiques de l’ingrédient font écho, mais sur sa petite céramique, il diffuse aussi bien ses accents verts, aldéhydés, entre cyclamen et tilleul.

Juste en face, la société IFF commercialise désormais son ancien captif Ylanganate, une molécule très puissante aux accents floraux (ylang ylang et fruités) que l’on peut tester dans différentes applications : en alcool, en produit d’entretien et en shampoing. Mais la star du stand reste LMR Naturals qui fait pétiller le salon : un fantastique citron vert du Mexique, variété perse, vert et zesté à souhait, véritable appel au mojito. Suivent deux pamplemousses, à comparer : rose (plus juteux) et blanc (plus zesté). Enfin, l’extrait CO2 de cassis vient remplacer le cassis « Conscious » présenté en 2022 : le nouvel extrait est assez vert, presque narcisse. Depuis le stand, les invitations fusent pour l’événement du lendemain midi… à suivre.

Gwendoline Leroy et Laurie Heller, IFF-LMR

Pour clôturer la série des libérations de molécules, Symrise présente le Neomagnolan, isomère plus raffiné que le Magnolan original, avec des notes plus texturées, rhubarbe, méthyl pamplemousse. Côté naturel, la maison Lautier regroupe maintenant les ingrédients de Madagascar, les produits de la gamme Artisan et les Supernature, les notes fruitées qui complètent le Garden Lab des légumes. Le parfumeur Alexandre Illan nous fait ainsi deviner à l’aveugle quelques originaux : le chou-fleur, le poireau, le bolet jaune, la pomme, la fraise le fruit de la passion.

Alexandre Illan sur le stand Symrise-Lautier

Mane décline sa présentation de six ingrédients : le poivre Timur Jungle essence du Népal (très pamplemousse), le géranium bourbon de Madagascar (litchi), la lavande Pure Jungle essence, faite à partir de sommités fleuries, donc plus crémeuse et florale, le jasmin E Pure Jungle essence (un enfleurage qui gomme l’animalité), le Vayanol (vanille-clou de girofle) « Moi ça me rappelle le maïs Bonduelle » me confie un parfumeur visiteur. C’est pas faux !  Et le meilleur pour la fin, le viril Havanawood, aux effluves de foin, tabac, cendre et cigare.

L’équipe Mane

19h : il se fait tard, les premiers visiteurs se dirigent vers le cocktail. Discours du maire, vue sur Grasse… Mais qui voilà ? Renaud Beguin-Billecocq, l’ancien directeur de Biolandes avec une moustache ? Ça, c’est la nouvelle de la soirée ! 

Chèvrefeuilles, roses, et surtout jasmins étoilés… Les fleurs de Grasse prennent le relai des ingrédients pour embaumer les ruelles de la ville. Direction la boutique de Frédéric Badie, comme promis, pour découvrir sa marque Pure Signature, qui propose des parfums, des huiles et des ingrédients Payan Bertrand. On y retrouve la fine équipe de Thierry Bernard et ses Parfumeurs du monde. L’occasion de féliciter Stéphane Piquart, nommé pour son parfum Albedo aux Fragrance Foundation Awards ; le sourceur reçoit d’ailleurs ses clients à la villa Primerose, qui appartient à la marque Atelier des Ors, située à proximité. 

JOUR 2

9h00 : Le salon ouvre plus tôt ce matin, je retrouve Anne-Laure Hennequin, créatrice du jeu Master parfums. Démarrons avec Bontoux. La société offre une tartine matinale d’huile d’olive à l’extrait de vanille et/ou à l’huile essentielle de bergamote. Marine Magnier nous dévoile comment leurs procédés sont améliorés pour réduire l’énergie. En sentant l’hysope, on apprend que cette fleur ne pousse que d’un côté de la tige ; j’adore cette note un peu vintage qui rappelle l’absinthe et la chartreuse. On poursuit avec un pur cœur patchouli (qui contient 51% de patchoulol), étonnamment transparent, et d’autres ingrédients ensoleillés de la Drôme.

Elise Leclerc et Marine Magnier, Bontoux

En parlant de savoir-faire, un saut nous amène chez Floral Concept où se délectent déjà deux inséparables : Pamela Roberts[2]Pamela Roberts est consultante fragrance design et ancienne directrice de la création chez l’Artisan parfumeur. et Sylvaine Delacourte qui vient de sortir un livre intitulé Les Secrets des parfums, mémoires d’une créatrice. Nous sommes en train de sentir un néroli de Tunisie en cours de certification UEBT, lorsque Zahra Osman de Neo Botanika passe une tête pour nous sensibiliser à la sublime déco naturelle du stand. L’occasion de différencier visuellement et olfactivement la baie rose (Schinus terebinthifolius) et le Schinus molle, aux notes plus vives, presque pamplemousse ! Leur nouveauté pour le Simppar : le géranium rosat d’Afrique du Sud, tellement bien cultivé localement que ce pélargonium s’y est hybridé.

Julien Von Eben-Worlée et Frédérique Rémy (Floral Concept)

Natgreen donne l’occasion de prendre le pouls de la planète aux quatre coins du monde où la société source ses ingrédients. Je sens l’amyris d’Haïti, boisé et sec, aux accents paillés. Sous son calme olympien, Maïssa Meriem Bessalah précise qu’en Haïti il faut avoir un stock tampon de six mois pour pallier les aléas politiques, notamment lorsque l’aéroport ferme ; la sécheresse impacte le prix du patchouli en Indonésie, la pluie ralentit la récolte du poivre noir à Madagascar… 

Qui est Syensqo ? Une nouvelle entité issue de la société Solvay. On peut y comparer la vanilline, Rhovanil issue de la pétrochimie et celle obtenue par biotech à partir du son de riz, nommée Rhovanil naturel. Leur objectif actuel : réduction de l’énergie avec panneaux solaires, et une chaudière vapeur à biomasse pour 2026.

L’équipe Syensqo

Je m’arrête au stand A4, chez Plant Lipids car je reconnais un visage : Claire Delbecque, anciennement Bontoux, vient de prendre la responsabilité du développement de cette société indienne qui emploie 1600 personnes. Tant que ça ? On y sent des plantes locales : d’excellentes épices (gingembre frais, cardamome CO2) mais aussi des produits d’ailleurs (élémi des Philippines, poivre noir du Sri Lanka…) À  suivre, donc !

Claire Delbecque, Plants Lipids

« Tu as été voir Capua ? », me demande-ton pour la troisième fois. Je file donc sur le stand où la foule s’affaire pour sentir de nouvelles surprises. Luca Bocca Ozino nous présente magistralement deux collections très intéressantes. La première appelée « Green and co-extraction » est une infusion de fleurs dans de l’huile essentielle ou dans des Natpro (extraction à partir des jus) ; on y découvre ainsi l’infusion de fleur de bergamote dans l’huile essentielle de bergamote (plus petitgrain), la fleur de mandarine (une mandarine plus néroli), l’incroyable infusion de fleur de jasmin d’Italie, délicieusement fruitée et florale. La seconde collection nommée « Compact 100% nat ingrédients » présente des citrus concentrés : on enlève les terpènes, les cires, les furocoumarines, et on ajoute d’autres fractions pour compléter le profil, ce qui donne des zestes très puissants, concentrés et sucrés à souhait, notamment l’orange compact, un vrai sirop d’orange, la bergamote, très lavandée…

Luca Bocca Ozino en présentation chez Capua

Mais le temps file, il est plus de midi ! Je suis en retard pour rejoindre le petit jardin du musée international de la Parfumerie où IFF nous reçoit pour rendre un hommage mérité à Monique Rémy, fondatrice du mythique Laboratoire qui porte son nom, LMR, et qui nous a quittés en début d’année.  On y présente aussi l’ouvrage L’Art du naturel édité par Nez, dans sa collection « Nez+LMR cahier des naturels », qui retrace ses quarante années d’innovations (et auquel je suis assez fière d’avoir contribué !)

Romain Raimbault, cofondateur de la Paris Perfume Week, Judith Gross, VP IFF
et Dominique Brunel, cofondateur et directeur commercial de Nez

Retour au salon avec Biosylx : Stéphane Piquart m’avait effectivement prévenue que Guillaume Delaunay était là ! L’expert des gommes et résines expose pour la première fois au Simppar. Sa société, désormais basée en Afrique du Sud, s’est bien développée. On savoure quelques spécialités locales : le bucchu (ah, j’écorche son nom depuis 20 ans ? il faut prononcer « bourrou » en raclant les r). Cette petite plante endémique poussant sauvagement, il faut aller la chercher chez les fermiers et la distiller avec une unité nomade, pour obtenir son odeur aromatique. Tagète, camomille bleue, myrrhe aux facettes safranées, et je termine avec son iconique encens Boswella carterii, de quoi se purifier de tous les cocktails et petits fours qu’on absorbe depuis deux jours.

L’équipe Biosylx

Juste en face, c’est une autre tête connue qui me fait entrer sur le stand O’ Laughlin : Florent Glasse, qui a récemment rejoint ce groupe créé par Michael O Laughlin, installé en Chine, mais qui s’intéresse aussi à l’Inde… Toujours est-il que le groupe teste de nouvelles molécules comme le Florion, très intéressant pour le Moyen-Orient avec une note cuirée-daim qui sent aussi la framboise et les ionones ; et pourquoi pas l’alpha bisabolene ? Une note verte et terreuse qui sent également l’oignon sauvage et le beurre… Étonnant.

Florent Glasse et Michael O Laughlin

Félicitations à Antoine Destoumieux, qui vient tout juste de se marier ! C’est courageux d’assurer sa responsabilité commerciale malgré la fatigue de son week-end festif… Astier Demarest met l’accent sur la Provence et le partenariat réalisé avec Jérôme Liautaud, producteur à Mallemaison. Estragon, lavande fine, menthe poivrée super fraîche, lavandin grosso, et une immortelle de Provence (très différente de l’origine corse) avec des accents cuirés-calamus.

Antoine Destoumieux et Fanny Cangi (Astier Demarest)

Je retourne sous la tente pour finir le salon, car un sourceur bien informé me donne quelques tuyaux. Si vous avez envie de sentir la différence entre la mandarine verte (cueillie en septembre-octobre, exprimée par pelatrice), la jaune (qui a connu le froid de janvier et extraite par sfumatrice[3]Pelatrice : le zeste est râpé dans un cylindre avant d’être centrifugé ; sfumatrice : le fruit est entièrement pressé, zeste et pulpe.) et la rouge (février-mars, par sfumatrice également), rendez-vous chez Cilione. Les deux sœurs accueillent avec le sourire et vous feront peut-être aussi sentir des ingrédients encore en test, mais chut, c’est en off…

Les sœur Cilione

Une petite glace à la lavande ou au thym pour se rafraîchir ? La distillerie Bleu Provence a installé un frigo avec les glaces Terre Adélice, miam ! Philippe Soguel travaille ici la lavande de la Drôme, qui « serait utilisée dans le Sauvage de Dior » (le solo de Johnny Depp résonne soudain dans ma tête). On y retrouve les variétés Maillette, Diva, Lavandin Abrial (plus doux que grosso)…

Distillerie Bleu Provence

Vite vite, 16h50, le salon va fermer, c’est le moment de filer chez DSM-Firmenich, au stand tout rose, Karine Jacqmin me fait découvrir l’huile essentielle de poivre rose de Madagascar, produite durant la période où l’on ne travaille pas la vanille. Pratique, cette plante est aussi une bonne façon de générer de l’ombre pour cette dernière. Le jasmin fleur extrait CO2, un petit luxe, révèle une note florale extrêmement fraîche, toute douce, avec un beau « blooming » ; une absolue de sauge sclarée IG Grasse, poudrée et tabacée ; la lavande Diva et enfin le croquant poivron Firgood plus vrai que nature ! Et j’attribue la palme de la meilleure blague à un certain Benoit G. (dont je tairai le nom) : « Après le poivron Firgood, le champagne very good ! »

17h POP ! Effectivement, la tradition de clôturer le salon par le champagne est connue de tous, il n’est maintenant plus possible de sentir quoi que ce soit autour du stand.

L’équipe DSM-Firmenich

Mais on ne va pas se quitter comme ça, un petit gala de clôture nous attend ! Retour au jardin de la Villa Fragonard, où chacun commente ce qu’il a retenu (pour ma part, nombreuses notes d’agrumes, des efforts portés sur les certifications et la réduction d’énergie) et surtout félicite Thierry Duclos ainsi que sa fille, Alexandra, pour l’organisation de cette première édition grassoise. La prochaine se tiendra à nouveau à Paris les 4 et 5 juin 2025. Puis une nouvelle édition à Grasse en 2026 !

Bien sûr, nous y serons pour vous…

Photos : Aurélie Dematons

Notes

Notes
1 Allusion au reportage diffusé le 28 mai 2024 sur la chaîne britannique BBC : https://www.youtube.com/watch?v=3295wEpmajo
L’article sur le site de la BBC, avec les réponses de L’Oréal, de l’UEBT et d’Estée Lauder : https://www.bbc.com/news/world-middle-east-68172560
2 Pamela Roberts est consultante fragrance design et ancienne directrice de la création chez l’Artisan parfumeur.
3 Pelatrice : le zeste est râpé dans un cylindre avant d’être centrifugé ; sfumatrice : le fruit est entièrement pressé, zeste et pulpe.

L’odeur de mon père, par Clara Muller

Mousse à raser, blouson en cuir, eau de Cologne ou plat mijoté… Quels sont les souvenirs olfactifs qui gravitent autour de nos pères ? C’est la question que nous invite à nous poser Clara Muller dans ce témoignage personnel et émouvant, que nous vous proposons à l’occasion de la fête des pères – après le texte de Sarah Bouasse pour la fête des mères.

Je n’ai pas le souvenir que mon père ait jamais porté de parfum. Ou plutôt si : je me souviens que dans les très rares occasions où il s’aspergeait du contenu d’un flacon indéfini évoquant l’after-shave, quelque chose me paraissait sentir étrangement faux. Comme si cela n’était pas vraiment mon papa qui se tenait là dans cette odeur de barbier, mais un imposteur. L’apposition de cette fragrance sur sa personne me faisait l’effet d’une dissonance cognitive, d’un bug dans le système. Parmi toutes les odeurs que j’associe à mon père – et il y en a beaucoup – aucun parfum n’a jamais eu sa place.

Mon père, c’est avant tout l’effluve du café matinal – « Café ! » étant presque toujours son premier mot au réveil – qu’il agrémente systématiquement d’une goutte de lait et bien souvent d’une tartine de camembert ou de roquefort joyeusement trempée dans le bol. Café au lait et fromages bien faits sont donc les premiers effluves que j’associe à mon père, parce qu’ils étaient les premiers dans mon enfance et adolescence à accompagner nos journées ensemble, souvent à grand renfort d’expressions de dégoût de la part de ma mère, et parfois de la mienne.

L’autre senteur qui s’est toujours attachée à lui est celle de la cigarette. Celle-ci imprégnait le moindre de ses vêtements et chaque centimètre carré de son bureau, de la moquette jusqu’aux voilages grisés par la fumée, en passant par son pouf en cuir noir dans lequel nous aimions nous jeter. Cette odeur que j’ai aujourd’hui en horreur m’était, tant que j’habitais chez mes parents, assez familière pour ne pas me déplaire. Je me souviens particulièrement d’un cendrier en bois de thuya, rapporté d’un voyage au Maroc, qui trônait la plupart du temps sur son bureau mais l’accompagnait aussi dans toutes les pièces de l’appartement au gré de ses déplacements. Les émanations mélangées des cendres, du tabac froid et du bois lui-même m’intriguaient suffisamment pour que je sois régulièrement tentée de soulever la partie supérieure de l’objet afin d’en renifler le contenu.

L’odeur de ses cigarettes – que je l’ai presque toujours vu rouler lui-même – se mêlait également particulièrement bien à celles de l’épais gilet noir en bouclettes de laine et pièces de cuir qu’il portait constamment à la maison. Elle s’y mariait probablement avec les odeurs de sa peau et de sa sueur, ces odeurs intimes qui ne nous rebutent jamais chez les gens qu’on aime. Le gilet, désormais très usé, quitte moins la penderie, mais j’y glisse toujours le nez lors de mes visites – et je suis sûre que mon frère en fait autant ! Il n’y a pas si longtemps, ce dernier me rappelait également la manière que nous avions, pour reconnaître son scooter garé parmi tant d’autres, de renifler l’intérieur des couvertures qui tiennent les jambes des motards au chaud et au sec. C’est ainsi au nez que nous identifiions formellement le véhicule paternel !

Cuisinier de la famille – ma mère s’occupait plus spontanément de pâtisserie –, mon père mettait et met toujours beaucoup d’énergie et de détermination à préparer divers plats de viandes : des crépinettes de porc lors des vacances en Normandie, des courgettes farcies à la chair à saucisse pour mes anniversaires, mais aussi, à certaines occasions, du pot au feu longuement mijoté, de l’épaule d’agneau rôtie à l’ail, ou encore des plats plus typiques des régions d’origine de ses parents, comme la choucroute à la saucisse de Strasbourg ou les fasírts, ces boulettes de viande hongroises que préparaient sa mère et sa grand-mère avant lui. Des effluves étrangement nostalgiques pour la végétarienne que je suis devenue ! A priori moins réjouissante, l’odeur des fonds de casseroles brûlés, qu’il oubliait périodiquement sur le feu malgré ses talents de cuisinier, convoque également le souvenir souriant des week-ends en famille et des hurlements d’exaspération de ma mère face à tant de distraction…

Il y a aussi toutes ces senteurs qui s’attachent aux souvenirs heureux des aventures dans lesquelles  mon père nous guidait : celles, vivantes, des balades dominicales en forêt, mais aussi celles du local à vélo de l’immeuble au départ et au retour de ces balades ; l’odeur humide et argileuse de la géosmine dans les grottes que nous explorions à chaque séjour dans le Lot ou le Lubéron ; les effluves de plastique du masque de plongée tiède juste après avoir craché dedans pour éviter la formation de buée ; les relents à la fois synthétiques et moussus des tentes déployées lors des bivouacs dans les Alpes ; le parfum tiède et poussiéreux des hamacs en toile dans lesquels nous faisions la sieste l’été ; les exhalaisons piquantes des feux de bois, allumés indifféremment dans une cheminée ou en plein air, et qui s’accrochaient à ses cheveux noirs… Tout cela, c’est aussi « l’odeur de mon père ».

Peut-être est-ce parce qu’il y a là déjà tant de richesses que l’idée ne m’est jamais venue de lui offrir un parfum. Alors qu’au fil des ans j’ai cherché pour chacun de mes proches la fragrance qui leur siérait et exalterait leur être, cette quête ne s’est jamais manifestée dans le cas de mon père. Parfois, tout est déjà tellement là, absolu de sens et d’évidence, toutes les odeurs déjà si sédimentées dans la mémoire et l’imaginaire, qu’un jus n’aurait rien de plus beau à raconter. À la manière de cette ancienne odeur d’after-shave, je crois qu’un parfum ne pourrait que voler l’odeur de mon père. Et cela, je ne saurai le permettre.

Visuel principal : © Laure-Emmanuelle Muller

Prix de la Fragrance Foundation France 2024 : l’olfactif à l’honneur !

Chaque année, l’industrie du parfum récompense à travers cette association les meilleurs parfums, mainstream comme de niche, selon différents critères et catégories : prix de l’innovation responsable, prix du meilleur parfum de niche (en partenariat avec Cinquième Sens), prix des professionnels et prix du public. La Fragrance Foundation est par ailleurs un des partenaires de la Paris Perfume Week, organisée par les équipes de Nez, qui s’est déroulée en mars dernier à Paris.

Après quelques changements déjà lors de la précédente édition pour le prix du meilleur parfum de niche – dont la possibilité de pouvoir sentir tous les candidats, ce qui n’était pas le cas avant – le processus de sélection de cette année s’est encore amélioré. Désormais, tous les prétendants (envoyés par les marques suite à un appel à candidature) ont été reconditionnés, afin d’être évalués à l’aveugle par le jury composé de 24 expertes et experts olfactifs des maisons de compositions, et journalistes spécialistes (dont ma pomme). 

Par ailleurs, les trois catégories ont été repensées, suite au déséquilibre constaté l’an dernier (certains parfums avaient plus de chance de gagner en fonction de celles-ci). Les trois groupes ainsi nouvellement constitués pour une meilleure répartition et équité sont : marque de niche indépendante établie depuis plus de cinq ans, jeune marque de niche de moins de cinq ans, et marque de niche appartenant à un groupe ou à une collection exclusive.

Recevoir une centaine d’échantillons conditionnés dans des petites fioles numérotées est toujours impressionnant… Tous les sentir, les suivre, les porter, puis sélectionner ses cinq préférés est un travail à la fois intense et captivant ! Un exercice qui laisse pleinement place à la sensation olfactive, sans aucune autre influence (si ce n’est la couleur du contenu). Après cette première sélection par tous les jurés, six candidats deviennent finalistes, puis un vote confidentiel permet de désigner le vainqueur parmi trois élus dans chaque catégorie, toujours sans connaître le nom des parfums. Ce n’est sans doute pas étranger au fait que certaines marques, ou références peu connues ont émergé cette année dans les finalistes…

And the winners are…

Prix du meilleur parfum de niche pour une jeune marque indépendante : 
Vanille Riviera, Maison Rebatchi, signé Julie Massé (Mane)
Finalistes : /Sa.Man/, Anomlia Paris et Eve, La Fontana

Prix du meilleur parfum de niche pour une marque indépendante établie :
Guidance, Amouage, signé Quentin Bisch (Givaudan)
Finalistes : Ganymède Extrait, Marc-Antoine Barrois et Bonne Chauffe, Frapin

Prix du meilleur parfum de niche pour une marque appartenant à un groupe
Téméraire, dans « La Collection Particulière » de Givenchy, signé Nicolas Bonneville (DSM-Firmenich)
Finalistes : Tabacco Honey, Guerlain et Smoking Hot, By Kilian

Concernant les autres prix, voici les gagnants :

Prix de l’innovation responsable pour un parfum
Espoir de la parfumerie : Myrrhe & Bois brûlés de Carlotha Ray
Marque confirmée : Prada Paradoxe intense

Prix des professionnels 
Meilleur jus : Burberry Goddess
Meilleur flacon : Gaultier Divine
Meilleure communication : Gaultier Divine
Meilleure déclinaison masculine : Boss Bottled Elixir
Meilleure déclinaison féminine : L’Interdit Rouge ultime de Givenchy
Meilleur parfum mixte : Eau de Rochas Citron soleil

Prix du public
Meilleur parfum féminin : La Vie est belle Iris absolu de Lancôme
Meilleur parfum masculin : Le Male Elixir de Jean-Paul Gaultier
Meilleure expérience parfum point de vente : Sephora, fontaines à parfums murales
Meilleure expérience parfum E-commerce& E-enseignes : sephora.fr pour la fête des mères

Prix spécial de la Fragrance Foundation France
MYSLF d’Yves Saint Laurent


À l’année prochaine pour l’édition 2025 !

Visuel principal : © Fragrance Foundation France

Smell Talks : Ryoko Sekiguchi – L’appel des odeurs

Également disponible sur : SpotifyDeezerApple PodcastsAmazon MusicYoutube

Dans cet épisode, Ryoko Sekiguchi, poète, essayiste et autrice de plusieurs livres sur le goût et la gastronomie, évoque avec Sarah Bouasse la genèse de son ouvrage L’Appel des odeurs, publié chez P.O.L. en début d’année.

Du 21 au 24 mars 2024, entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédées des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.

Crédit photo : Trami Nguyen.

Véronique Delmas, directrice d’Atmo Normandie : « Nous souhaitons mettre un gros coup de projecteur sur la question de l’odorat »

Créée il y a 50 ans, Atmo Normandie est l’association régionale de surveillance de la qualité de l’air. Elle forme notamment de nombreux nez normands, capables de signaler les problèmes d’odeurs sur la région et d’aider à établir un dialogue avec les industriels. Pour la date anniversaire, l’association propose aussi de nombreux événements réjouissants. Véronique Delmas, qui en est la directrice, et Baptiste Delaunay, ingénieur d’études, nous parlent de son histoire et de son fonctionnement.

Pouvez-vous nous parler de la naissance d’Atmo Normandie ?

Véronique : Il faut remonter 50 ans en arrière, dans les années 1973-1974 : à l’époque, la région était particulièrement industrialisée ; le niveau de pollution était alors très supérieur à aujourd’hui, avec des centrales thermiques et des raffineries qui ont pour certaines fermé depuis. La nécessité de créer un réseau de contrôle de la qualité de l’air s’est faite sentir : cela a été le deuxième au niveau national. Au côté des services de l’État, des collectivités territoriales et des industriels,  les associations REMAPPA[1]Réseau d’Etude et d’Alarme pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique sur Rouen et ALPA[2]Association de Lutte contre la Pollution Atmosphérique sur Le Havre, réunies plus tard en Air Normand était née en Haute Normandie, et c’est la fusion avec Aircom en Basse Normandie, lors de la réforme des régions en 2015, qui a abouti à la dénomination Atmo Normandie. 
Si la surveillance de la qualité de l’air était d’abord centrée sur les problématiques industrielles – et cela reste un de nos domaines d’expertise – nous nous sommes peu à peu rendus compte qu’il y avait d’autres enjeux importants, comme le chauffage, le trafic ou les pratiques agricoles.

Quelles sont les techniques d’évaluation de la qualité de l’air ?

Baptiste : Il y a, d’une part, la surveillance de l’air, qui est obligatoire : certains polluants, comme par exemple le benzène, les particules (PM10 et PM2.5), le dioxyde d’azote, l’ozone et/ou le dioxyde de soufre, sont en effet réglementés ; l’OMS a aussi établi des valeurs seuils. Ils sont mesurés grâce à divers capteurs. 
En parallèle, il y a la surveillance des odeurs. Les habitants se posent en effet facilement des questions sanitaires à leur sujet, même s’il faut souligner qu’il n’y a pas de lien univoque entre toxicité et odeurs : une mauvaise odeur peut ne pas  être dangereuse, et l’inverse est vrai aussi, ce qui est dangereux n’a pas forcément d’odeur. Mais c’est aussi une question de nuisance, de confort.

Véronique : Les évaluations olfactives de l’air ont émergé dès les années 1980-1990 au Havre ; elles étaient assez rudimentaires, il fallait que les habitants sortent deux fois par jour de chez eux, et notent s’ils sentaient des odeurs gênantes, en leur attribuant une puissance sur une échelle de 1 à 5. Ces données étaient corrélées aux directions du vent et permettaient déjà d’identifier certaines problématiques. 
Une première évolution a eu lieu à la fin des années 1990 : une industrie de fabrication d’huile de colza, qui s’était développée sur l’agglomération de Rouen, émettait des odeurs nouvelles. Des habitants ont alors été formés au Champ des odeurs, la méthode de classification olfactive imaginée par Jean-Noël Jaubert. Cela demandait beaucoup d’engagement, avec 70 heures de formation : je me souviens de m’être demandé si ça pouvait fonctionner… Et ça a été le cas ! L’industriel en question a mis en place un biofiltre pour réduire les nuisances et les habitants ont pu mesurer la réduction des odeurs. Et cela a aussi permis de créer du lien entre tous les acteurs autour de visites de sites olfactives, permettant de sentir et de comprendre les différentes émanations lors de la transformation, et l’ambiance a vraiment évolué. Cela nous a poussé à développer à nouveau le concept avec d’autres usines dans d’autres secteurs. 

Désormais, vous utilisez le « Langage des nez »[3]Le Langage des nez est un modèle déposé. pour former habitants et industriels, quel en est l’intérêt ?

Baptiste : Il permet de qualifier les notes odorantes perçues sans rester sur du subjectif de gêne ou d’appréciation. Il permet de donner une objectivité aux perceptions : il s’agit d’une méthode qui a fait l’objet de publications scientifiques, cela aide à notre crédibilité. Ce langage commun permet aussi de réaliser des audits olfactifs : l’utilisation des mêmes termes permet de faire le lien entre les industriels et les particuliers. Une station d’épuration a ainsi récemment organisé une visite pour les personnes formées au Langage des nez, en leur expliquant les étapes. Par la suite, ces personnes peuvent faire le lien avec les autres habitants, et on observe ainsi que les plaintes sont beaucoup moins récurrentes. Mais pour cela, il est aussi nécessaire que l’industriel s’inscrive dans une démarche de progrès et communique de façon transparente, en cas d’incident par exemple. Ce qui est recherché ainsi, c’est notamment l’amélioration du cadre de vie.

Les habitants non formés ont-ils leur mot à dire ?

Baptiste : Nous utilisons une plateforme en ligne, Signalair,[4]https://www.signalair.eu/fr/ créée avec d’autres associations de surveillance de la qualité de l’air, qui permet à tout citoyen de recenser une gêne visuelle (fumée…) ou olfactive. On parle en évocations, cela permet d’avoir un maillage plus complet de la région, et l’on peut ensuite envoyer des nez formés sur le terrain pour passer de l’évocation à la note odorante, et entamer de vraies recherches.

Comment les industriels font-ils évoluer leurs pratiques en conséquence ?

Véronique : Ils réalisent localement des audits olfactifs, et forment des évaluateurs en interne : il y a par exemple 18 personnes formées pour l’usine TotalEnergies du Havre. Lorsqu’un signalement est fait par un nez industriel formé au Langage, cela peut déclencher une alerte chez tous les nez formés dans les industries voisines, qui complètent l’alerte et nous permettent de faire un bilan afin de détecter la source olfactive.
Quand un problème se pose, beaucoup de solutions se présentent : de l’entretien plus régulier des tuyaux à l’investissement dans un biofiltre…

Baptiste : Il y a aussi beaucoup d’échanges entre les entreprises, de visites olfactives entre elles. Depuis quelque temps, on observe que la question se pose en amont d’une installation, pour anticiper cette problématique. On essaie de travailler ensemble ; cela peut être sur le sourcing, le process ou le traitement post émission.

Y a-t-il des notes olfactives qui reviennent en particulier dans les signalements ?

Baptiste : Cela dépend des endroits. On a notamment des problématiques avec les méthaniseurs [installation de traitement des déchets agricoles permettant de produire du biogaz], ou au niveau des zones d’enfouissement, qui dégagent des odeurs de déchets ménagers. Au Havre, près des raffineries, c’est une note assez soufrée qui est relevée, même si elle est moins forte qu’avant. Mais cela peut aussi être des émanations au niveau d’usines de torréfaction, actuellement plutôt dans l’agglomération rouennaise.
On prend en considération tous les signalements de la même manière, on transmet tous les signalements anonymisés aux services de l’État concernés (DREAL, DDPP, etc), à l’exception des problèmes de voisinage que l’on essaie de régler en interne. Car si l’on ne traitait pas tous les signalements, les gens cesseraient d’en faire.

Minute internationale des odeurs, exposition, Olympiades des nez, colloque… Cette année, vous avez organisé de nombreux événements, pouvez-vous nous en dire plus ?

Véronique : Dans le cadre des 50 ans de l’association, on a eu envie de mettre en valeur tout ce qu’on faisait sur les odeurs avec les nez normands, car notre démarche est pionnière et semble assez unique au monde. 

L’idée de la Minute internationale des odeurs est venue suite à une discussion avec l’écrivain Mathieu Simonet, auteur de la Journée internationale des nuages. L’idée est simple : le lundi 10 juin, à 10h06, chacun est invité à sortir de chez soi et à noter ce qu’il sent, avec le langage qu’il veut. Nous avons traduit le protocole en plusieurs langues, pour que ce soit vraiment international. Nous exposerons les réponses lors d’une exposition à Rouen cet été, qui traitera de l’odorat et de ses langages tout au long de notre histoire. Sept classes sont formées au Langage des nez à cette occasion, avec des résultats très positifs, qui font penser que l’éducation olfactive devrait être inscrite dans le programme scolaire.

Nous avons aussi organisé une olympiade, Les Nez d’or, en avril, au cours de laquelle différentes épreuves odorantes faisaient s’affronter des nez dans une ambiance conviviale ; ou encore une « rando-Nez », balade olfactive qui aura lieu le dimanche 16 juin dans le parc des Boucles de la Seine Normande, où petits et grands seront initiés au Langage des nez. Enfin, nous organisons une journée de colloque interdisciplinaire le mercredi 11 septembre au Pavillon des Transitions à Rouen, ouverte à toutes et tous.

Avec ces événements, nous souhaitons mettre un gros coup de projecteur sur la question de l’odorat. Jusqu’à présent, nous avons beaucoup travaillé sur les odeurs industrielles, les gênes, mais dans le dernier rapport de veille olfactive sur l’agglomération de Rouen,[5]Voir https://www.atmonormandie.fr/publications/bilan-de-la-veille-olfactive-realisee-par-les-nez-citoyens-de-la-metropole-rouen d’autres odeurs de la vie courante sont mises en avant : celles des fleurs, de l’herbe coupée, de la Seine… Nous avons envie de nous ouvrir à de nouvelles approches.

  • Le site d’Atmo Normandie : https://www.atmonormandie.fr/
  • Cliquez ici pour découvrir le programme des événements organisés par Atmo Normandie

Visuel principal : Véronique Delmas et Baptiste Delaunay

Notes

Notes
1 Réseau d’Etude et d’Alarme pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique
2 Association de Lutte contre la Pollution Atmosphérique
3 Le Langage des nez est un modèle déposé.
4 https://www.signalair.eu/fr/
5 Voir https://www.atmonormandie.fr/publications/bilan-de-la-veille-olfactive-realisee-par-les-nez-citoyens-de-la-metropole-rouen

Smell Talks : Germaine Cellier, une parfumeuse fougueuse

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Dans cet épisode, Olivier R.P. David, responsable parfumerie du Master FESAPCA à Versailles, osmothécaire et rédacteur pour Nez, revient sur le parcours de Germaine Cellier, l’une des premières femmes parfumeuses à avoir fait parler d’elle, en présence de Martine Azoulai, journaliste et nièce de la créatrice.

Une table ronde animée par Sarah Bouasse.

Du 21 au 24 mars 2024, entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédées des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.

Sentir le vivant

Notre intérêt pour ce qui sent est souvent réduit au plaisir que nous, humains, pouvons y prendre – ou non. Pourtant, les molécules olfactives ont bien d’autres fonctions. En s’y plongeant, notre nez peut-il se faire le vecteur d’une transformation de notre rapport au monde ? C’est la question que pose cet article que nous vous proposons à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, ce mercredi 5 juin.

Notre rapport aux odeurs semble relativement superficiel et polarisé : celles que l’on apprécie d’un côté, celles que l’on n’aime pas de l’autre. Pourtant, dans le monde vivant, les molécules olfactives ont des fonctions bien plus diversifiées – y compris pour l’humain. Nous en prenons conscience lorsque nous expérimentons ce handicap qu’est l’anosmie : notre nez nous permet, certes, de prendre du plaisir lors de nos repas et dans notre environnement, mais aussi de nous protéger des mets avariés, de nous alerter de divers dangers invisibles, ou encore de créer de l’attachement grâce à la mémoire olfactive.[1]Voir l’ouvrage Être nez sans odorat de l’association Anosmie.org, auto-édition, à paraître le 6 juin 2024

On a souvent dit que l’odorat a été mis de côté parce qu’il serait le sens qui nous renvoie le plus à notre animalité.[2] Voir notamment Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, PUF, 2010 Son rejet tient aussi, probablement, de ce qu’il est par son fonctionnement même le sens le plus lié aux émotions, à ces « affects » que les penseurs de différentes époques se sont attachés à faire passer de l’autre côté de la rationalité, dans ce geste dualiste (corps/âme, animal/humain) qui a traversé la majeure partie de la pensée philosophique. Dans ce geste de rejet de la sensibilité, nous avons cherché à effacer une part de nous : nous sommes en effet une part de ce vivant que nous nous attachons pourtant à exploiter.


Atmosphère anthropocène

Nous avons ainsi fait du vivant un « environnement » : quelque chose qui nous entoure, nous humains, comme nous avions jadis fait de la Terre le centre de l’Univers, dans notre folie toute nombriliste. Quelque chose que nous pouvons utiliser, travailler, nous approprier : « Pour le capital, la nature est l’ensemble des réalités qui, n’ayant pas de valeur, sont disponibles pour l’appropriation », résume ainsi le chercheur en philosophie Paul Guillibert.[3]Paul Guillibert, Exploiter les vivants, Amsterdam, 2023, p. 74  Comme le rappelle Dominique Roques dans Le Parfum des forêts, les humains n’ont pas attendu pour décimer les cèdres du Liban : « Il reste aujourd’hui moins de 2% de la forêt initiale. Toutes les civilisations de l’Antiquité sont venues couper les cèdres, ils avaient déjà presque disparu avant que notre Moyen Âge ne commence. Avec les cèdres, l’humanité à l’aube de son histoire a inauguré l’exploitation sans limite de la nature, une tragédie qu’elle va rejouer avec application partout sur la Terre jusqu’à nos jours. » Mais cette fureur consumériste s’est, comme on le sait, nettement amplifiée ces dernières années : « Ce que le monde occidental va faire de ses forêts à partir du début de l’ère moderne est la réplique accélérée de ce qui s’est joué dans le temps long au Proche-Orient. Il aura fallu trois mille ans de coupe des cèdres pour commencer à manquer d’arbres capables de fournir des poutres, mille ans suffiront pour que le XVIIe siècle européen constate une pénurie de grands arbres pour la construction de navires. […] Tout a changé d’échelle, en dix ou douze siècles, les hommes ont coupé dans le seul pays de France, avec les mêmes outils, l’équivalent de trois cent fois la surface de la forêt des cèdres du Liban ! », poursuit l’auteur.[4] Dominique Roques, Le Parfum des forêts – L’homme et l’arbre, un lien millénaire, Grasset, 2023, p. 55; p. 85

Et ainsi, à bien des égards, nous avons rendu l’air irrespirable. C’est ce que met en avant l’exposition « Atmosphère primale », issue d’un travail de recherche et création mêlant arts et sciences et qui rend en effet sensible, à travers des expériences polysensorielles, l’évolution de l’air et de ses odeurs sur le temps long : « L’équipe cherche à rendre perceptibles les atmosphères passées et futures, confrontant ainsi les visiteurs à l’irrespirabilité de ces espaces […] invitant le public à une réflexion profonde sur notre place dans l’univers et notre relation au vivant qui ne se limite pas à l’humain », note Edwige Armand, artiste et maîtresse de conférences en art numérique, qui a imaginé ce projet. En expérimentant par tout notre corps les évolutions drastiques de l’environnement, sur le temps long mais aussi sur le temps court des dix dernières années, l’exposition nous invite à porter un autre regard sur l’air que nous avons rendu moins respirable. Roland Salesse, ingénieur agronome et docteur en sciences, remarque : « À partir de l’ère industrielle, tout change : les pollutions s’intensifient, et l’exploitation du pétrole à partir du XIXᵉ modifie notre environnement olfactif mais aussi celui de tout le vivant, que nous noyons dans un bruit olfactif. On a oublié que les odeurs signifiaient quelque chose, on superpose des senteurs manufacturées à celles existantes : des parfums floutent les senteurs des bases désagréables de nos lessives ». 

Réodoriser le monde 

Parallèlement à la désodorisation que l’hygiénisme a véritablement ancrée, nous avons réodorisé le monde, achevant le geste d’appropriation du vivant dont les racines remontent plus loin que ne le laisse imaginer le concept d’ « anthropocène », aujourd’hui mis en avant. Nous avons décorrélé les odeurs des informations qu’elles sont censées porter, et ce désintérêt conscient fait le bonheur du marketing olfactif. De fausses odeurs de croissant chaud sont diffusées pour attirer les clients dans les boulangeries industrielles, le plastique des poupées est parfumé à la vanilline pour que l’on en oublie la toxicité… Et les constructeurs des usines à bitume de l’autoroute A69 reliant Castres à Toulouse promettent de parfumer aux huiles essentielles les émanations polluantes. Qu’importent qu’elles rejettent de l’oxyde d’azote, du monoxyde de carbone, du dioxyde de soufre ou encore du benzène, toxiques pour l’humain comme pour bien d’autres vivants. Certes, des initiatives pionnières, et notamment celles d’Atmo Normandie, mettent un coup de projecteur sur les nuisances olfactives, en parallèle à leur travail sur la surveillance de l’air par la mesures des composés chimiques qui s’y trouvent. En proposant une formation aux habitants pour qu’ils puissent devenir évaluateurs, l’association participe à l’amélioration de la qualité olfactive ambiante dans une région où les industries sont nombreuses. Mais sa directrice, Véronique Delmas, souligne aussi qu’il n’y a « pas de lien univoque entre toxicité et odeurs : des molécules peuvent sentir mauvais sans être néfastes, et à l’inverse des composés inodores peuvent présenter des dangers conséquents. Par ailleurs, le recours au masquage d’une odeur par une autre peut poser problème, car on ajoute un composé de plus, dont on ne connaît pas toujours les propriétés chimiques ». En bref, un pansement sur une jambe de bois, qui pose aussi le problème de la confiance que nous pouvons avoir en notre capacité olfactive : « dans ce cas, notre nez ne peut plus s’acquitter de sa fonction première, qui est de nous avertir du danger », appuie un récent documentaire proposé par Arte.[5]Voir https://www.arte.tv/fr/videos/109817-007-A/que-nous-transmettent-les-odeurs/ 

Faisons un pas de plus : les parfums ne se contentent pas de flouter les informations émises par notre environnement. À l’opposé des discours ambiants, ils tendent de plus en plus à nous habituer aux odeurs « antithétiques de la nature » à l’instar du recours aux bois ambrés, qui par leur puissance concentrent l’attention sur la personne qui les portent (boostant au passage leur attractivité et donc les ventes) , comme nous l’écrivions dans l’article que nous leur avions consacré : « Ironiquement, à l’heure où le public réclame plus de naturel, de sain, de bio, et où les marques ne communiquent quasiment que là-dessus – ne se gênant d’ailleurs pas pour avancer des pourcentages plus ou moins mensongers, du moins trompeurs, pour nous rassurer –, le sillage des bois ambrés peut être perçu comme une antithèse de la nature. Et ce n’est pas tant leur origine 100% artificielle qui pose problème – comme déjà évoqué sur ce site – mais le fait qu’ils évoquent une atmosphère urbaine, polluée, une sorte de retranscription olfactive de pots d’échappements, de pétrole, de tarmac d’aéroport, d’émanations d’usines, de cendriers ou de goudron. Un condensé de tout ce que notre société de consommation génère de pire, en somme. »

Par ailleurs, estimer l’impact de la parfumerie sur le vivant en général reste complexe : nous avions consacré un dossier entier posant de premières ébauches sur son caractère « durable », soulevant autant de questions qu’il en traitait. Depuis, d’autres approches ont étoffé cette réflexion, avec notamment celui sur le néocolonialisme latent de l’industrie dans Nez#17 – Argent & parfum : l’exploitation des populations plus précaires – moins protégées par les droits sociaux de leur pays – pour participer à la récolte des matières premières naturelles qui entrent dans nos flacons participe à la dégradation du vivant humain et non humain, sans parler du fait que les populations exploitées seront aussi les premières à subir les conséquences du changement climatique et de la perte de biodiversité. Les champs de monoculture, les techniques de transformation énergivores et les quantités de flacons produits participent évidemment à la destruction du vivant, comme c’est le cas de toute industrie de masse.

Sentir le vivant : une autre voie est possible

Il faudrait donc imaginer une autre manière de considérer la nature, non plus comme un environnement, mais comme vivant, permettant de nous inscrire en son sein à l’égal des autres êtres, – animaux, végétaux… – qui la composent. Et cela passera, selon le philosophe Baptiste Morizot, par une attention sensible qui permettra de contrer la « crise de la sensibilité » dont il fait le constat dans Manières d’être vivant : celle-ci consiste en « un appauvrissement de ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre, et tisser comme relations à l’égard du vivant […] conjointement un effet et une part des causes de la crise écologique qui est la nôtre. »[6]Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Actes sud, 2020, p. 21 Si l’auteur ne se penche pas en particulier sur notre odorat, qu’il qualifie ici ou là de « sens pauvre », on peut cependant argumenter que cet appauvrissement est justement une conséquence (et cause) de la crise de la sensibilité, et non pas un statu quo inhérent à notre génétique humaine. On peut en tout cas imaginer une autre manière de sentir, comme le fait Clara Muller, historienne de l’art et rédactrice pour Nez, qui se penche sur le lien entre odorat et vivant dans un projet d’ouvrage, et qui anime des ateliers de sensibilisation à destination du grand public : « Les odeurs ne sont pas seulement des odeurs pour nous humains : ce sont des messages que s’échangent les vivants. Cette idée s’est imposée à moi lors d’une promenade dans le Jura, où j’avais été la seule d’un groupe de quinze personnes à avoir prêté attention à ce que nous croisions. Je ne cessais de me répéter “si la forêt sent si bon, c’est parce qu’elle parle”. À la même période, j’ai lu les ouvrages de Vinciane Despret, de Laurent Tillon, d’Estelle Zhong Mengual ou encore de Baptiste Morizot, qui m’ont confortés dans cette intuition. Prêter une attention sensible au vivant est une nécessité, et cela passe selon moi aussi par l’odorat. Certains artistes contemporains l’ont d’ailleurs bien compris ! ».  

Elle reprend l’hypothèse du philosophe selon laquelle ce sont les pratiques  et non les seules idées qui permettent de faire évoluer les choses : « Baptiste Morizot prône notamment le pistage, mais nous pouvons penser à d’autres pratiques, concevoir des sessions d’olfaction naturalistes, à l’écoute des senteurs, pour nous y rendre plus sensibles », imagine Clara Muller. On pourrait tirer de cette nouvelle manière de sentir des bénéfices concrets, « en termes de biocontrôle en agriculture, pour lutter contre les insectes ravageurs, contrôler les maladies vectorielles – en attirant hors des habitats humains les moustiques – ou encore pour protéger les animaux lorsque nos routes traversent leurs habitats, en les attirant vers des ponts à l’aide de dispositifs odorants », énumère-t-elle. Mais c’est surtout la question d’une « reconnexion essentielle au monde » qui intéresse la chercheuse, au-delà de tout bénéfice pratique immédiat. L’idée étant à terme de provoquer un changement de paradigme dans notre rapport à l’olfaction, afin de : « sentir une rose pour la valeur intrinsèque de sa vie de rosier », et non seulement parce que son odeur est plaisante pour nous.

Sentir la vie d’un rosier

L’attention de plus en plus accrue au « langage du vivant » pousse les chercheurs à se pencher sur leurs odeurs, éléments de communication importants puisque transportables dans l’air. Le biologiste David G. Haskell propose ainsi de sentir divers végétaux et d’en comprendre les significations dans son ouvrage Le Parfum des arbres, 13 façons de le respirer, publié en 2022 aux éditions Flammarion.

On se confronte alors à un monde complexe, dans lequel on a d’ailleurs peu mis le nez jusqu’à présent, comme l’explique Roland Salesse : « À l’échelle du micromètre (millième de millimètre), il y a les microbes qui échangent entre eux par des signaux chimiques, mais ceux-ci ne sont pas toujours perceptibles pour nous. À l’échelle des individus multicellulaires, comme les plantes et les animaux, la diversité est fantastique, notamment chez les insectes qui communiquent beaucoup par phéromones. Mais les plantes sont également d’incroyables usines à composés chimiques, ceux-là mêmes dont la parfumerie exploite les produits. » Les signaux olfactifs émis par les plantes peuvent être des signaux de comestibilité et d’habitabilité qui déclencheront copulation et/ou ponte…
Parmi ces molécules, « certaines sont issues de la photosynthèse, comme les terpènes ; d’autres sont des produits métaboliques, comme le parfum de la rose », précise-t-il. Parmi les championnes de l’odorat – qui mettraient K.O. tout participant à un bras de fer olfactif – on pense aux abeilles, dotées d’une soixantaine de récepteurs olfactifs, capables d’apprendre à leurs collègues où trouver par exemple des sources alimentaires, ou encore aux fourmis, laissant derrière elles des phéromones de piste.
Mais en réalité, les échanges sont aussi nombreux que les vivants eux-mêmes, comme le montre l’ouvrage L’Odorat des animaux de Gérard Brand (EDP Sciences, 2023).

Il nous serait alors in fine possible de porter un regard différent sur les parfums, comme y invite Clara Muller, « en considérant qu’ils sont composés, entre autres, par les mots des vivants autres qu’humains. On peut ainsi penser son parfum comme un bouquet de significations multi-spécifiques. Ce décentrement de notre façon de sentir ce que nous considérons en général simplement comme un assemblage de “matières premières” me semble être à la fois une manière de rendre des égards à tous les non-humains qui contribuent à nos parfums, et une manière de réenchanter quelque peu la parfumerie. »
Voilà enfin de quoi se réjouir, et espérer, peut-être, que nous posions un autre nez sur le vivant, en ne le considérant plus comme simple environnement.

Visuel principal : Rosa et Auguste Bonheur, Bovins sur une colline, 1851. Source : Wikimedia Commons

Notes

Notes
1 Voir l’ouvrage Être nez sans odorat de l’association Anosmie.org, auto-édition, à paraître le 6 juin 2024
2  Voir notamment Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, PUF, 2010
3 Paul Guillibert, Exploiter les vivants, Amsterdam, 2023, p. 74 
4  Dominique Roques, Le Parfum des forêts – L’homme et l’arbre, un lien millénaire, Grasset, 2023, p. 55; p. 85
5 Voir https://www.arte.tv/fr/videos/109817-007-A/que-nous-transmettent-les-odeurs/
6 Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Actes sud, 2020, p. 21

Smell Talks : Hirac Gurden – L’odorat du nouveau-né

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Dans cet épisode, Hirac Gurden, directeur de recherches en neurosciences au CNRS et rédacteur pour Nez, auteur du livre Sentir – Comment les odeurs agissent sur notre cerveau (Les Arènes), nous invite à comprendre comment fonctionne l’odorat du nouveau-né.

Une conférence présentée par Guillaume Tesson.

Du 21 au 24 mars 2024, entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédées des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.

Crédit photo : Philippe Quaisse.

Nez#17 – Argent & parfum : the menu, please!

Nez #17 sort aujourd’hui, et sera célébré par une soirée de lancement le 4 juin, à la librairie Le Merle moqueur à Paris (75020). Parmi les rubriques habituelles qui mettent l’odorat à toutes les sauces (art, littérature, photographie, sciences, histoire, gastronomie, parfumerie…), le grand dossier traite du lien entre le parfum et l’argent. En guise de mise en bouche, nous vous proposons de lire l’édito de ce nouveau numéro.

Nez #17 sortira officiellement dans quelques jours, couronné par une soirée de lancement le 4 juin, à la librairie Le Merle moqueur, dans le 20e arrondissement de Paris. Du nez des coiffeurs à la parfumerie brésilienne, en passant par les effluves corporels, les senteurs chez Henry David Thoreau, un entretien avec le parfumeur Rodrigo Flores-Roux et le sommelier de thé Benjamin Sieuw, ou encore une plongée dans la culture de l’élémi, nous avons encore mis le nez dans plein de sujets… Avec, en question centrale, celle de l’argent, source de bien des mystères que nous avons tenté d’éclairer : Que sent l’argent mis en flacon ? Comment est calculé le prix d’un parfum ? Peut-on expliquer le grand écart entre des flacons à 10 euros et d’autres à 450 ? Comment sont rémunérées les petites mains qui cultivent et récoltent nos matières premières ? Dans quelle mesure les odeurs constituent-elles toujours un marqueur social ? Combien sont payés les parfumeurs ? Comment l’art olfactif contemporain s’empare-t-il de l’argent ?
Toutes ces interrogations sont passées au crible par les rédacteurs de Nez, offrant une vision panoramique du rapport de l’industrie à son portefeuille. Et au nôtre : quelle valeur pouvons-nous accorder à nos flacons ? C’est ce sujet que soulève l’édito de Jeanne Doré, que nous vous dévoilons ici.

Parce que vous le valez bien

« Tu as senti le dernier Tartempion ? – Ah oui, il est vraiment superbe ! Mais par contre, tu as vu le prix… » Difficile aujourd’hui d’avoir une conversation sur une nouveauté sans en venir au sujet de l’argent. Entre un marché mondial qui pèse près de 60 milliards de dollars, en constante croissance, et des étiquettes qui piquent les yeux, il y a en effet de quoi s’interroger.
Si, comme le dit la rumeur, les matières premières odorantes ne représentent qu’un petit euro dans un flacon, comment ne pas avoir l’impression de se faire arnaquer ? Incarnation d’un rêve qui s’évapore dès qu’on le pulvérise, le parfum entretient une relation ambivalente avec sa valeur. Qu’achète-t-on précisément lorsque l’on passe à la caisse ? De l’alcool ? du verre ? un logo sur un sac ? du pouvoir ? du bonheur ? Pas évident de savoir, surtout quand on ne nous parle que de promesses d’audace et de sensualité, ou de santal du bout du monde, et beaucoup plus rarement du temps long passé à peaufiner une formule, des frais de stockage, de conditionnement ou de distribution, des gens à payer pour présenter, évaluer, peser, assembler, relayer, expédier, vendre tout ça… Le parfum n’est pas un mélange d’huiles essentielles vendu au poids. C’est une industrie, certes, mais c’est aussi une création – plus ou moins inspirée – qui pourrait parfois être uniquement considérée comme telle, sans tenir compte de sa valeur marchande.
Lorsque l’on admire une œuvre dans une expo, qu’elle nous touche, qu’elle nous émeut, ou qu’elle nous perturbe, se pose-t-on la question de son prix ? Quand on sent l’effluve du café matinal, un lilas en fleur dans un jardin ou la fourrure musquée de notre chat, se demande-t-on combien ça coûte ? Est-ce que si c’est gratuit, ça ne vaut rien ? Et si l’on s’attachait à respirer chaque odeur, qu’elle soit naturelle ou composée, simplement comme un plaisir fugace, une émotion, un souvenir, une sensation qui n’appartiennent qu’à nous ?
Jeanne Doré.

Sarah Bouasse : « Quelques molécules échappées d’elle, rentrées à l’intérieur de moi »

À l’occasion de la fête des mères, nous vous proposons un extrait de Par le bout du nez de Sarah Bouasse, fraîchement publié aux éditions Calmann-Lévy. Dans le dernier chapitre de cet ouvrage personnel et émouvant, elle nous parle de son rapport aux odeurs de ses filles : l’amour maternel passe aussi par les senteurs.

Présent·es

Sur les coups de trois heures, comme toutes les nuits, elle se met à hurler. Pourvu qu’elle ne réveille pas sa grande sœur. Je me précipite jusqu’à son lit, l’exfiltre de derrière les barreaux et me dirige vers le salon sur la pointe des pieds, direction la baie vitrée. Au-dessus des immeubles, une moitié de lune s’est faufilée à travers une fente dans le velours de la nuit. C’est un beau spectacle, mais elle s’en fout. Elle veut manger. Je m’affale sur le canapé, la couche contre moi et soulève mon t-shirt. Branchement immédiat. La gravité entraîne ma tête lourde de sommeil contre la sienne. Je ferme les yeux et étreins tendrement ce petit corps en pyjama rayé qui s’affaire sur mon sein gauche. Galvanisé par l’effort, il devient de plus en plus chaud. Sous mes lèvres, son front est moite. Et son odeur, comme propulsée vers l’extérieur, irradie avec force jusqu’au fond de mes narines. Mon bébé sent les pâtes, comme mon petit frère quand il était nourrisson. Quand j’avais 4 ans, tout juste devenue grande sœur, cette odeur déclenchait en moi une vision bien précise : l’intérieur d’un macaroni trop cuit. Aujourd’hui, je la décrirais plutôt comme une note grasse et douceâtre, quelque part entre céréales torréfiées, levure boulangère et fromage blanc. Mais à cette seconde précise, suspendue dans l’éternité de la nuit, les mots n’ont aucune importance. Je me délecte de ce qui entre dans mon nez, pas tant pour ce que ça sent mais parce que c’est un peu de ma fille que j’incorpore. Quelques molécules échappées d’elle, rentrées à l’intérieur de moi. Retour à l’envoyeur. Je songe que cette manie que je partage avec beaucoup de mères de renifler mon bébé révèle peut-être une tentation de prolonger cet état de fusion qu’a été ma grossesse en « avalant » ma progéniture. Je ne m’en prive pas car je sais que tout se fait plus rare à mesure que le temps passe : les odeurs elles-mêmes, et les occasions de les sentir. Hier encore, c’est sa sœur qui portait ce petit pyjama taille 6 mois. Elle sentait le pain chaud dans les plis du cou et le Kiri dans la bouche. Aujourd’hui elle a 4 ans et ces odeurs ont disparu. Remplacées par d’autres, qui disparaîtront à leur tour. Rien ne dure, et certainement pas ces choses-là : il faut en profiter sur le moment. Alors j’attrape au vol tout ce que je peux. Je pose le nez sur ses joues tièdes quand je la réveille le matin pour l’école. Je me rapproche un peu quand elle me parle, pour mieux entendre son haleine. Et je m’enivre de ses cheveux qui sentent la fourrure de chat. Toutes ces exhalaisons qu’il serait trop bête de laisser se perdre. Leur part des anges. Quand je dis à mes filles que je voudrais les manger – que faire d’autre de tout cet amour ? –, c’est ce que mon nez me permet de faire, un peu. Les renifler me repaît, apaise une faim immense. Sûrement le creux qu’elles ont laissé dans mon ventre en le quittant. Le soir, quand nos trois têtes s’alignent sur un même oreiller pour lire une histoire tandis que mes poumons brassent l’air dans lequel nous nous évaporons à l’unisson, je me dis parfois que je voudrais que tout s’arrête, là, maintenant. Rester à jamais sur ce moment. Figer le bonheur absolu de les savoir tout près de moi, juste ici, avec cette certitude totale que seul mon nez peut m’offrir. La présence de l’autre n’est jamais plus tangible, jamais plus vraie, jamais plus assurée que lorsque son odeur s’insinue en vous. Qu’il fait corps avec vous. Que son existence se fond dans la vôtre.
[…]

Par le bout du nez de Sarah Bouasse, Calmann-Lévy, 250 pages, 18,50€. Disponible sur le Shop, by Nez.

Visuel © Lucie Sassiat

Renaud Salmon et Dominique Roques – Wadi Dawkah, la terre de l’encens

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Le Wadi Dawkah, qui compte pas moins de 5 000 arbres à encens, a été inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2000 comme l’une des quatre Terres de l’encens. Cette distinction vient souligner l’importance du commerce de sa résine à travers les siècles dans le Sultanat d’Oman.
De quoi encourager le gouvernement omanais et Renaud Salmon, directeur de la création pour la maison Amouage, à mettre en place une industrie d’huile essentielle d’encens d’Oman à la pointe de la qualité. Dominique Roques, sourceur d’ingrédients naturels pour la parfumerie depuis plus de 30 ans, est chargé d’implanter le projet de renaissance de cet arbre précieux dans le Wadi Dawkah. Il sera notre guide pour nous en parler et nous présenter cet ambitieux projet, dont le déploiement prendra plusieurs années.

Ce podcast est uniquement disponible en anglais.

AU SOMMAIRE DE NOTRE GRAND DOSSIER « WADI DAWKAH »

Crédit photo : Amouage.

Des effluves et une œuvre : Rédemption, de Julius Stewart

À l’occasion de la Nuit européenne des musées ce samedi 18 mai, et pour vous inviter à respirer les œuvres, nous vous proposons de plonger le nez dans Rédemption, analysée par Carole Couturier & Constance Deroubaix dans Nez#14 – Musique & parfum. Cette toile de Julius Stewart, Américain installé à Paris et ancien élève du peintre pompier Jean-Léon Gérôme, est l’une des perles de La Piscine de Roubaix.

En 1905, dans la Ville lumière, règne l’insouciance de la Belle Époque. Dans les cabarets ou les soirées interlopes, la fête, que l’auteur condense ici dans la partie droite du tableau, se poursuit jusqu’au bout de la nuit. Dans une euphorie alcoolisée, les consciences, en s’effritant, s’affranchissent des conventions. Les corps alanguis lâchent prise. La proximité de jeunes femmes dont la peau moite exsude l’essence la plus intime galvanise les hommes d’âge mûr. Leur libido s’emballe, provoquant sous les vestons un surcroît de température et de sudation. Ces effluves virils en surchauffe s’unissent au parfum entêtant des lys qui ornent la table…

Certaines convives tentent de résister à la convoitise masculine. La brune de dos au premier plan repousse l’homme au monocle, un vieux beau au teint rougeoyant et à l’haleine chargée d’alcool dont la main se glisse sous le voile de sa robe. Le geste, déjà, est celui du propriétaire… D’autres couples, aussi improbables qu’éphémères, se forment. Une jeune femme, à droite, enlace par l’épaule un homme au crâne chauve. Une autre, au fond, tend joyeusement les bras au fumeur de cigare ; l’âcre nuage de foin coupé mêlé d’ammoniac lui va droit dans le nez…
L’assemblée semble trop absorbée pour remarquer la grande blonde au regard halluciné, dressée devant sa chaise. Le petit jour blafard, qui point à gauche entre les lourds rideaux de velours, éclaire sa toilette immaculée. Une robe somptueuse ornée de perles et piquée à l’endroit du cœur d’une rose opulente aux couleurs tendres. Deux autres sont plantées de part et d’autre du chignon. Les pétales embaument de leur parfum délicat le visage pétrifié.

La main droite tient l’iris. Cette fleur était, pour les anciens, la messagère des dieux ; aussi sa présence dans ce tableau à l’aura mystique n’a t-elle rien d’anodin. Par ailleurs, dès les années 1900, elle était prisée de la parfumerie de luxe, pour sa senteur poudrée. Deux autres iris se fanent à terre. Ils évoquent Fleur qui meurt, créé en 1901 par Jacques Guerlain et dont la chaude odeur d’iris et de violette illustrait cet ultime instant où la fleur rend l’âme en libérant son parfum.
Beaucoup plus inquiétante est l’autre main, dont les quatre doigts griffus se déploient sur la table.
À partir de ce détail aux relents de soufre, le sens du tableau se dévoile. En proie au démon, la jeune femme est foudroyée par une apparition. Son regard bleu fasciné fixe le christ en croix dont l’image se révèle à nous, spectateurs, dans le miroir situé derrière elle. Va-t-elle réussir à s’arracher à ce monde de débauche et de vacuité qu’incarne, à droite, la fumeuse solitaire ? Tout porte à le croire : la robe virginale, la lumière du jour qui éclot et jusqu’au titre de l’œuvre. Rédemption fait de son héroïne une moderne Marie-Madeleine. 

Visuel principal : Julius Stewart, Rédemption, Huile sur toile (détail), 1905. La Piscine, musée d’art et d’industrie, Roubaix. Source : Wikimedia Commons

Bras de fer olfactif, deuxième round : niche, rires et paillettes

Hier soir, à Bordeaux, avait lieu la deuxième édition du Bras de fer olfactif, un événement organisé par l’équipe de la boutique de parfumerie indépendante Le Nez insurgé, dans une ambiance festive et réjouissante.

Boules à facettes, costume de gladiateur et pluie de paillettes : lorsque je franchis les portes du Blonde Venus, l’ambiance bat déjà son plein. Pour la deuxième fois (et certainement pas la dernière !) Dorothée Duret et son équipe de la parfumerie de niche Le Nez insurgé ont élu domicile dans cet écrin capitonné de velours rouge niché au bord de l’eau. Participants au nez entraîné, public averti, invités bariolés : du beau monde fourmille autour des tables et fauteuils de cuir, impatients que débutent les festivités. 

Sur l’estrade, les quelque 30 fragrances de niche qu’ont dû mémoriser les 27 candidats au cours des cinq dernières semaines trônent dignement. Du mimosa frais et poudré du Flocon de Johann K – le premier bébé d’Isabelle Larignon, présente parmi les invités – en passant par Leather Shot d’Olfactive Studio, la marque de Céline Verleure que j’aperçois en face, Un Été d’Obvious (piloté par David Frossard, ici présent) et Poudrextase de Briac Frocrain (à ma droite) pour sa marque Marlou, la sélection est aussi belle qu’éclectique. 

À vingt heures, c’est parti : Eye of the Tiger en fond et lumières roses ricochant sur les verres, le présentateur appelle un à un sur scène les candidats qui s’affronteront ce soir. Parmi ceux-ci, on retrouve Camille, la gagnante de la première session l’année dernière, toute de plumes vêtue. Et le jeu commence fort : seuls 16 d’entre eux pourront poursuivre l’aventure à l’issue du premier round.

Ils forment un cercle, au centre duquel chacun devra sentir et reconnaître à l’aveugle trois créations parmi les 30, en moins de 30 secondes : il faut en avoir trouvé deux a minima pour être présélectionné. 

Les concurrents se succèdent, et dans un silence attentif on entend fuser les noms des flacons prononcés avec plus ou moins d’assurance : « Cacao Porcelana ! »[1]Parfum d’Atelier Materi  « Esprit de contradiction ? »[2]Parfum de Maison Matine et « Rien »[3]Parfum d’État libre d’Orange . Et on peut le dire, les candidats sont impressionnants !

Après une courte pause durant laquelle le public est invité à miser un jeton pour le joueur de son choix, le combat reprend. Deuxième round, toujours en musique : les candidats s’affrontent en duo, le premier qui devine le parfum vaporisé gagne. Le stress monte d’un cran, toujours dans la bonne humeur.


Il n’en reste plus que deux : Camille, qui semble bien déterminée à conserver son titre une année de plus, et Igor, le plus jeune participant de ce bras de fer olfactif. Du haut de ses 18 ans, il précise qu’il ne connaissait pas grand-chose à la parfumerie avant ces dernières semaines : « Je cherchais un nouveau parfum, j’ai franchi les portes du Nez insurgé. C’était la première fois que je rentrais dans la boutique. On m’a proposé de participer au concours. Je me suis dit : pourquoi pas ? L’idée de découvrir plein de créations me plaisait bien ; j’ai toujours aimé les choses bien faites. » 

Petit intermède : l’oreille olfactive. Deux personnes du public sont invitées à choisir, parmi trois parfums – à l’aveugle toujours – celui qui correspond le mieux à la musique. Un rap musclé ? C’est évidemment La Haine de Moth and Rabbit, avec ses notes métalliques acérées, fumées et cuirées. Musique aux inspirations hawaïennes, évoquant les vacances sur une île ensoleillée ? L’écho parfait aux embruns marins et citronnés de Mami Wata, de La Seconde Affaire du pommier. 

Les festivités se poursuivent, et les demis-finalistes déchus choisissent chacun un professionnel pour les représenter sur un nouveau défi. Qui d’Amélie Bourgeois (Flair) ou d’Andrea Rubini (fondateur de la marque Rubini Profumi) trouvera en premier la note carotte dans l’une des trois mouillettes anonymes ? Elle se dévoile dans Iris cendré, de Naomi Goodsir. Ex-aequo, les deux participants réitèrent l’exercice autour de la poire : Amélie Bourgeois la perçoit dans Sonic Flower de Room 1015 !

Camille et Igor, les deux finalistes, se font face. Dorothée Duret, de dos

C’est finalement l’heure du moment tant attendu : cœur battant et nez aux aguets, Camille et Igor se font face, une mouillette est proposée à chacun, et en quelques secondes le plus jeune donne son verdict : « Dom Rosa ! », la création des Liquides imaginaires, lui permet de remporter le titre cette année ! (Youpi, j’avais parié sur Igor !). Philippe di Meo, le fondateur de la marque, parle de son histoire, celle d’un amour entre la rose et la vigne.

Tous les candidats se félicitent, et la soirée se poursuit dans une ambiance festive. C’est cet esprit de concours convivial, d’entraide entre les participants, que Dorothée Duret me confie avoir préférée, notamment lors des séances de coaching organisées à sa boutique bordelaise. Igor, le lauréat, précise quant à lui : « J’ai senti à l’aveugle en m’entraînant tous les soirs avec ma mère, sans utiliser de méthode en particulier. J’ai beaucoup aimé cette expérience, découvrir ces créations, mais aussi les rencontres avec les autres participants ! »

Venus de tous les univers, amateurs de longue date, collectionneurs de flacons ou simples curieux qui découvrent un nouvel univers, ils ont tous eu le courage de mettre leur nez à l’épreuve.

S’il fallait une preuve que la parfumerie peut réunir, réjouir et amuser, elle s’est assurément illustrée lors de la soirée du 16 mai. Prenons-en de la graine ! 

Visuel principal : Camille, gagnante du Bras de fer olfactif 2023

Notes

Notes
1 Parfum d’Atelier Materi
2 Parfum de Maison Matine
3 Parfum d’État libre d’Orange

Smell Talks : La parfumerie et son héritage culturel

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Si la parfumerie est un élément important de notre quotidien, elle a également joué un rôle essentiel à travers l’histoire, s’ancrant dans différentes cultures et sociétés aux quatre coins du globe. C’est cette thématique qu’ont abordés cinq spécialistes issus de divers horizons, réunis lors du Global Fragrance Summit de l’IFRA qui s’est tenu en décembre dernier, à Genève. Retrouvons dans ce podcast Delphine de Swardt, membre de Nez, le mouvement culturel olfactif ; Philippe Massé, président de Prodarom ; Hiroyuki Matsuo, directeur adjoint chargé de la réglementation et de la sécurité chez Takasago et président du comité des parfums de la Japan Flavor and Fragrance Materials Association ; Monica Rossetto, parfumeuse ; et Bhuvana Nageshwaran, directeur des arômes et des parfums chez Ultra International Ltd.

Ce podcast est uniquement disponible en anglais.

Crédit photo : IFRA.

Les odeurs en lumière

En cette Journée internationale de la lumière, Nez vous propose de découvrir les liens qu’ont entretenus et entretiennent encore les odeurs avec différents dispositifs lumineux, depuis les effluves plus ou moins importuns qui émanaient des lampes de nos ancêtres jusqu’aux projets de design les plus contemporains.

On a longtemps cru que les odeurs, comme la lumière, étaient le résultat d’ondes venant faire vibrer notre nerf olfactif. Cette théorie perdure jusqu’à assez tardivement[1]Malgré les critiques d’une large partie de la communauté scientifique, quelques chercheurs affirment encore que la fréquence de vibration des molécules odorantes est ce qui nous permet d’en … Continue reading et l’on souligne ainsi dans un journal de 1900 que les perceptions olfactives auraient pour origine « un rapport indirect au moyen de rayons de courte ondulation, analogues à ceux que nous considérons comme la cause de la lumière »[2]Henri de Parville, « Revue des sciences », Journal des débats politiques et littéraires, 25 janvier 1900, p. 2. , ou encore, en 1910 que « la science contemporaine admet qu’une odeur n’est en dernière analyse qu’un phénomène vibratoire. De même que la chaleur, la lumière, le son et l’électricité, l’odeur serait donc une radiation que nous percevons suivant sa longueur d’onde et sa fréquence. » [3]Pierre Piobb, « Science et art des parfums », La Liberté, 30 octobre 1910, p. 1.

Certes, cette théorie avait déjà ses détracteurs. En 1877 on pouvait par exemple en lire cette réfutation dans un ouvrage d’anatomie : « Quelques savants ont pensé que les odeurs résultaient aussi d’un mouvement vibratoire […] mais Fourcroy démontra l’origine des émanations odorantes dans la volatilité des matériaux immédiats des végétaux, et les odeurs sont généralement considérées aujourd’hui comme des corps existant par eux-mêmes, et non comme un résultat purement physique, comparable aux ondes lumineuses ou sonores ». [4]Auguste Le Pileur, Le Corps humain, Paris, Hachette, 1877, p. 253. Ce qui n’empêcha pas, en 1920, le pharmacien René Cerbelaud d’affirmer encore que « les ondes odoriférantes émises par les essences peuvent être comparées aux ondes lumineuses émises par le radium. » [5]René Cerbelaud, Formulaire des principales spécialités de parfumerie et de pharmacie, Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, conforme au Codex 1908, 1920, p. 297. Certaines théories ont la vie dure…

Le fonctionnement complexe de notre odorat,[6]La perception visuelle, qu’autorise la lumière, dépend chez l’être humain de trois types de photorécepteurs (les cônes, les bâtonnets et les cellules ganglionnaires photosensible) … Continue reading la difficulté d’observer scientifiquement les molécules odorantes, mais aussi le désintérêt des penseurs et des scientifiques à son égard expliquent certainement que l’on ait longtemps propagé ce genre d’inexactitudes. Bien que l’obscurantisme concernant ce sens ait duré de longs siècles – même aux périodes considérées comme les plus éclairées de notre histoire occidentale [7]Comme le dit Hirac Gurden dans son récent ouvrage : « le siècle des Lumières ne met pas le projecteur sur l’odorat ! Au contraire, il l’éteint complètement. » (Sentir. … Continue reading– on sait à présent que les perceptions visuelles et celles de l’odorat sont de nature tout à fait différente. Les premières sont en effet le fruit de stimuli physiques (ondes électromagnétiques), tandis que les secondes, de nature chimique, sont le résultat du contact entre certaines molécules volatiles et l’extrémité des neurones olfactifs qui se déploient dans une muqueuse située au fond des fosses nasales. A priori rien de commun donc entre ces deux phénomènes et modalités de perceptions. Et pourtant, certains ponts existent bel et bien entre lumière et odeurs ! [8]D’un point de vue neurobiologique notamment, les correspondances transmodales sont l’une des manières par lesquelles la vue et l’odorat interagissent et s’influencent … Continue reading

Quand s’éclairer puait

Au sein de la culture matérielle de l’humanité, odeurs et lumière partagent notamment une histoire commune. L’origine même du mot français « parfum » (du latin per fumum, « par la fumée ») est liée à un processus qui est à la fois source de senteurs et de luminosité : la combustion. De surcroît, pendant plusieurs millénaires, les substances utilisées pour produire de la lumière étaient très largement odorantes. Outre les feux de bois qui répandent leurs senteurs en fonction de l’essence d’arbre brûlée, les premières torches, enflammées grâce à de la poix, exhalaient également des effluves tout à fait caractéristiques.

Les lampes à graisse, dont les premières connues datent du Paléolithique supérieur, n’étaient guère moins odorantes et les archéologues savent aujourd’hui déterminer assez précisément ce que pouvaient sentir les différents ustensiles de combustion destinés à l’éclairage retrouvés un peu partout dans le monde. Les résidus de graisses animales, d’huiles végétales ou de cire d’abeille retrouvés dans ces lampes sont en effet de précieux indices à ce sujet, de même que, plus proche de nous, les sources textuelles, qui les décrivent, encore au XIXe siècle, comme fortement odorantes.

L’éclairage public fut aussi longtemps vecteur de nombreuses émanations, souvent fort peu ragoutantes. Au XVIIe siècle, les falotiers, chargés d’allumer chaque jour les réverbères, utilisent par exemple des chandelles à l’huile de tripes qui répandent leurs remugles. Dans la seconde moitié du siècle, cette matière d’origine animale est peu à peu remplacée par de l’huile de colza, dont l’odeur est certes moins puissante, mais toujours assez peu agréable. Puis c’est le gaz de houille – aussi appelé « gaz d’éclairage » – qui devient le combustible le plus employé, ayant certes l’avantage de brûler sans produire de suie mais dont la combustion produit néanmoins du sulfure d’hydrogène et dioxyde de soufre, au doux parfum d’œuf pourri… [9]On trouve dans la littérature du XIXe siècle de nombreuses références à l’odeur infecte et suffocante des becs de gaz.

Ce n’est guère mieux dans les salles de théâtre et d’opéra, mal ventilées, où les spectateurs sont régulièrement assaillis par de fortes concentrations de molécules malodorantes émanant des différents dispositifs d’éclairage, depuis les chandelles jusqu’aux lampes à pétrole en passant par les lampes à gaz oxhydrique. De la même manière, les premiers spectacles de lanternes magiques, qui se popularisent au XVIIe siècle, sont particulièrement nauséabonds, les lampes de projection fonctionnant alors à l’huile – de baleine, de phoque, de colza ou d’olive –, puis au kérosène à partir de 1853. C’est d’ailleurs entre autres pour cette raison qu’à la fin du XVIIIe, le grand fantasmagore belge Étienne-Gaspard Robertson employait parfois de l’encens dans ses attractions, la combustion des résines parfumées permettant de couvrir les exhalaisons des lanternes elles-mêmes.[10]Clara Muller, « L’expérience olfactives dans les attractions historiques, les médias et les arts visuels (1) », Astasa [En ligne], 28 décembre 2022.

Ainsi, jusqu’à très récemment, l’éclairage domestique comme public impliquait toujours de subir toutes sortes d’émanations impondérables, plus ou moins envahissantes et désagréables. L’électricité, qui se développe à partir de 1880, permet enfin de changer la donne.[11]On trouve tout de même à la fin du XIXe siècle des mentions de « l’odeur de l’électricité », faisant référence soit à l’odeur de l’ozone qui remplit … Continue reading Lumière et odeurs ont ainsi divorcé, dissociant rapidement dans nos imaginaires deux phénomènes qui furent pourtant intimement liés dans l’expérience humaine pendant des millénaires. C’est d’ailleurs cet oubli qu’évoque Marcel Proust en 1913 dans le premier tome de À la recherche du temps perdu lorsqu’il mentionne la « sensation d’étouffement que peut causer aujourd’hui à des gens habitués à vingt ans d’électricité l’odeur d’une lampe qui charbonne ou d’un veilleuse qui file. »[12]Marcel Proust, Du Côté de chez Swann, Paris, B. Grasset, 1914, p. 331.

L’âge d’or des lampes à parfum

Entre le début du XIXe et celui du XXe siècle, de nombreux textes font état de « lampes odoriférantes », plus ou moins précieuses, diffusant cette fois-ci des arômes soigneusement sélectionnés. Mais celles-ci, bien que portant le nom de « lampes » en raison de la combustion qu’elles réclament – la plus célèbre restant la Lampe Berger –,[13]La Lampe Berger, toujours commercialisée aujourd’hui, est créée en 1898 par le préparateur en pharmacie français Maurice Berger, sous le nom, évocateur, de « diffuseur fumivore … Continue reading ne sont en réalité pas destinées à l’éclairage, même si certains prétendaient qu’on pouvait, à leur lueur, « reconnaître pendant la nuit, l’heure à une montre ». [14]J.-B. Batka, « Description d’une nouvelle lampe odoriférante », Journal de pharmacie et des sciences accessoires, 1er janvier 1828, p. 410.Il s’agit en fait de simples diffuseurs, comme en témoigne par exemple ce mode-d’emploi daté de 1897 : « Prenez une lampe à alcool ordinaire que vous remplissez d’eau de verveine, de violette, de Cologne, etc., ou d’essence aromatique, si c’est pour une chambre de malade. Dans la mèche, introduisez un fil de fer au bout duquel vous aurez fait poser une petite boule de platine spongieux. […] On allume, et lorsque la boule est devenue tout à fait rouge, on éteint la mèche. Le platine restant incandescent, le parfum se répand un temps infini dans l’appartement. »[15]Anonyme, « Un conseil par jour. Lampe à parfum », La Fronde, 13 décembre 1897, p. 4.

De véritables lampes odorantes naissent en revanche dès les années 1920, comme si la disparition des odeurs avec l’arrivée de l’électricité avait créé un manque et l’envie immédiate de ré-odoriser la lumière, ce que favorise la démocratisation des parfums. En 1924, Hazel E. Palmer dépose ainsi aux États-Unis un brevet pour « une nouvelle lampe à parfum ornementale, composée entièrement de coquillages naturels groupés autour d’une ampoule électrique à incandescence de manière à ressembler à une grande fleur. […] L’une des caractéristiques les plus importantes de cette invention est le récipient en coquille naturelle (14) situé à côté de l’ampoule (11), où le parfum liquide reçoit de la chaleur et est vaporisé. » [16]C’est encore aujourd’hui le principe des lampes chauffe-bougie destinées à diffuser le parfum contenu dans la cire d’une bougie sans flamme ni combustion. [17]H. E. Palmer, Natural Shell Perfume Lamp, brevet n°1566502, déposé aux États-Unis le 11 avril 1924.La disposition des pétales en coquillages, explique encore l’inventeur, peut être ajustée pour ressembler à différentes fleurs et correspondre ainsi au parfum choisi !

D’autres projets de ce genre se développent au cours de la décennie et les lampes de table ou de chevet destinées à éclairer autant qu’à parfumer les espaces se popularisent aux États-Unis et en Europe au cours des années 1930. On en trouve alors de toutes les formes, certaines abstraites et géométriques – souvent en verre et en métal dans un esprit Art Déco [18]Je me souviens avoir utilisé chez ma grand-mère maternelle un modèle de ce genre, composé d’une base en métal supportant une lampe en verre sphérique ornementée, agrémentée sur le … Continue reading–, d’autres déclinant des figures humaines ou animales en céramique. Ces lampes brûle-parfum décoratives, qui s’échangent encore aujourd’hui dans les brocantes et les ventes aux enchères, témoignent du dynamisme créatif de l’entre-deux-guerres – notamment dans le domaine de la parfumerie.[19]Voir à ce sujet : Yohan Cervi, Une Histoire de parfums (1880-2020), Paris, éditions Nez, 2022.

Moins esthétiques, les ampoules parfumantes, qui apparaissent à la même époque, sont un autre moyen, meilleur marché, d’associer lumière et odeur. Un brevet déposé aux États-Unis par Gotthilf Lehmann en 1929 décrit par exemple une ampoule à incandescence entourée de laine d’amiante imprégnée de parfum. L’inventeur imagine même décliner son invention pour illuminer et parfumer les sapins de noël artificiels, qui existent depuis le XIXe siècle et auxquels ne manquait que l’odeur ! Si l’idée est reprise en 1973 par l’américain John G. Whitaker pour sa Vaporous Lamp – une ampoule dont le sommet est recouvert d’un vernis contenant des micro-capsules odorantes –, ce système ne se popularisera jamais véritablement et ce sont d’autres formes et techniques qu’emploient désormais les designers.[20]Même s’il est possible de trouver aujourd’hui sur internet des ampoules imitant des flammes de bougie trempées dans du silicone parfumé…

Des luminaires innovants

Car les créateurs contemporains [21]Voir également les projets étudiants illu.me de la polonaise Aleksandra Krogulecka et SPRING du portugais António Rosário.sont loin d’avoir oublié l’idée d’associer au sein d’objets singuliers ces deux phénomènes intangibles que sont l’émission de lumière et celle de senteurs. La lampe colorée O Joy[22]Voir http://www.driussoassociati.com/industrial-design/o-joy-o-bag-4/, imaginée en 2017 par le studio italien DriussoAssociati, en est un exemple. Fonctionnant sur batteries, cette dernière s’inspire de la forme archétypale de la lampe de table avec son abat jour circulaire mais repose sur un socle semi-sphérique autorisant l’utilisateur à lui donner un mouvement de balancier. Six cartouches parfumées, à changer en fonction de son humeur (Dream, Relax, Free, Party, Inspire, Sensual), peuvent y être insérées, tandis que des haut-parleurs permettent de s’y connecter en bluetooth pour diffuser de la musique.

D’autres designers se tournent plutôt vers la nature pour y puiser leurs formes et leurs matières premières. La lampe LOTUS[23]Voir https://www.ye-jj.space/ideas/lotus-lamp (2019) du chinois Ye Jia Jie s’inspire ainsi du mouvement de certaines fleurs – dont celles du genre Nelumbo – qui, en quelques minutes, s’ouvrent à la lumière et à la chaleur du soleil pour diffuser leur parfum et attirer les pollinisateurs avant de se refermer pour la nuit, un phénomène nommé nyctinastie par les scientifiques. De la même manière, les pétales en papier de riz de la lampe s’ouvrent sous l’effet de la chaleur de l’ampoule et se referment à l’extinction de celle-ci grâce à des fils de Nitinol, un alliage de nickel et de titane à mémoire de forme et thermo-réactif. Au cœur de la fleur, l’ampoule elle-même est enveloppée d’une lanterne en papier spiralée qui tourne sur elle-même sous l’effet de la chaleur, diffusant par ventilation les quelques gouttes d’huile essentielle déposées sur le dessus.[24]La bio-inspiration va même plus loin, puisque le lotus sacré, comme d’autres plantes dites thermogéniques, peut élever la température au cœur de ses efflorescences pour favoriser la … Continue reading

Certaines lampes contiennent plus simplement des substances odorantes directement dans leurs abat-jour. C’est le cas de la Fragrance Lamp[25]Voir https://georgianaghit.wixsite.com/fragrancelamp (2019) de la roumaine Georgiana Ghit, une suspension conique en pâte de bois recyclé et fleurs de lavande séchées. Éco-conçue et biodégradable, cette lampe – qui a reçu en 2020 un prix lors du A’ Design Award – permet ainsi d’associer éclairage artificiel et aromathérapie, en misant sur une senteur naturelle dont les propriétés relaxantes ont été maintes fois démontrées. [26]Voir à ce sujet : Hiroki Harada et al., « Linalool Odor-Induced Anxiolytic Effects in Mice », Frontiers in Behavorial Neuroscience, 2018, Vol. 12 : … Continue readingEt si le parfum faiblit avec le temps, la matière de l’abat-jour, poreuse, peut toujours être imprégnée d’une huile essentielle ou d’un hydrolat de lavande.

Beaux et ludiques

À l’instar de certaines de leurs ancêtres des années 1930, les lampes olfactives contemporaines peuvent ainsi devenir de véritables objets d’art, à la croisée de l’artisanat, du design et de la parfumerie. En collaboration avec la maison de parfum turinoise Tonatto Profumi, fondée par la parfumeuse Diletta Tonatto, la designer italienne Astrid Luglio a notamment donné naissance à la collection Philtrum.[27]Voir https://astridluglio.com/tonatto-profumi/ Présentée pour la première fois lors du festival de design Operae à Turin en 2017, cette série d’objets – dont un lampadaire et une lampe de table – s’inspire des techniques et savoir-faire de la parfumerie pour s’en approprier les outils et les matériaux. Réalisés en laiton par un orfèvre, les luminaires, dont les formes élégantes évoquent celle d’une corolle de fleur pour le lampadaire et celle d’un éventail [28]Les éventails sont d’ailleurs souvent parfumés depuis le XVIe siècle en Europe. pour la lampe de table, intègrent ainsi des filtres plissés de laboratoire. Ces derniers, souvent composés de cellulose ou de fibres de coton, sont utilisés lors de la production de parfums pour filtrer et clarifier certaines matières premières ainsi que les jus avant leur mise en flacon. Au sein des lampes de la collection, ils servent de support à la fragrance, qui peut être simplement pulvérisée dessus, tout en filtrant la lumière émanant de l’ampoule à incandescence, incarnant ainsi une forme d’analogie entre parfum et lumière tout en mettant en avant une étape méconnue du processus de la création olfactive.

Lors de la Milan Design Week 2024, Marta Bakowski, designer et coloriste d’origine franco-polonaise, et Carole Calvez, diplômée de la formation de design olfactif de l’école Cinquième Sens, présentaient quant à elles la première version de l’applique murale Halo[29]Voir https://ethe-real.cargo.site(2024) [visuel principal], fruit d’une recherche commune de près d’un an. Les deux créatrices, qui se rencontrent au Jardin des métiers d’Art et du Design à Sèvres où elles sont toutes deux résidentes, constatent vite qu’elles partagent un langage et une approche, faisant la part belle à l’intuition. Partant d’une sélection de matières premières naturelles et synthétiques issues de la palette des parfumeurs, les créatrices ont travaillé autour de l’univers coloriel de certaines de ces matières jusqu’à arriver à un objet hybride, à mi-chemin entre le luminaire et le diffuseur olfactif. L’idée cependant, n’est pas tant de proposer un produit qui permettrait de répandre n’importe quelle fragrance d’ambiance, mais un objet à la fois ludique et esthétique autorisant une véritable expérience, conjointe et cohérente, de l’odeur et de la couleur. Ce sont ainsi quatre matières décrites par les créatrices comme « électriques » ou « métalliques » – l’aldéhyde C-11, l’oxyde de rose 90/10, l’huile essentielle de piment baie (ou poivre de Jamaïque), et le Spirambrène (un captif Givaudan) – qui, dans chaque déclinaison du luminaire, sont associées à des couleurs soigneusement sélectionnées. L’objet lui-même, composé d’un disque blanc et d’une pastille centrale bi-colore en PMMA que l’on peut rapprocher ou éloigner pour faire grandir ou diminuer un halo coloré, permet une variation de l’intensité lumineuse et chromatique. Ceci évoque non seulement les diverses nuances que l’on peut déceler dans une même matière odorante, mais suggère également le volume et l’intensité variable d’une odeur, qui, tout comme la couleur, peut sembler plus ou moins diluée ou diffuse. Ainsi l’objet n’est-il pas seulement pensé pour produire de la lumière tout en favorisant la diffusion de senteurs – ventilées au centre du luminaire – mais bien pour incarner visuellement et matériellement certains mécanismes olfactifs, et permettre de les approcher grâce à une forte dimension expérientielle. « À force de manipuler cet objet, j’ai presque l’impression de voir une odeur », déclare d’ailleurs Carole Calvez.

Des influences mutuelles

Le rapprochement entre la parfumerie et les objets éclairants a par ailleurs donné naissance, aux XXe et XXIe siècles, à des luminaires et des flacons respectivement inspirés l’un de l’autre. Ainsi certains designers puisent-ils dans l’univers du parfum pour donner forme à des lampes originales, à l’instar de la Lampe Olab[30]Voir https://www.gregoiredelafforest.com/#item=lampe-olab de Grégoire de Lafforest qui s’allume et s’éteint grâce à une poire à presser évoquant les pulvérisateurs d’antan, de la collection Eau de lumière[31]Voir https://joyana.fr/luminaires-design-eau-de-lumiere-par-designheure-x-davide-oppizzi/120432/ de David Oppizzi qui reprend les lignes de flacons de parfum dont la lumière serait désormais le seul contenu, ou encore de la Perfume Bottle Lamp[32]Voir https://portaromana.com/products/perfume_bottle_lamp?variant=41265646796993 de l’éditeur anglais Porta Romana dont le corps en verre soufflé translucide rappelle un flacon de parfum des années 1950.
De la même manière, les dessinateurs de flacons ont parfois emprunté leurs formes à divers objets lumineux, comme les flacons en forme d’ampoule de l’après-rasage Mennen Skin Bracer (édition limitée de 1974) et de l’eau de Cologne Charlie’s Bright Idea (1983) de Revlon ou ceux, inspirés de briquets, de Must (1981) puis de Baiser volé (2011) de Cartier. Sans parler des innombrables créations parfumées dont les noms déclinent le champ lexical de la lumière ou de l’électricité [33]Les termes Lumière, Clarté, Éclat, Radiance ou encore Soleil, ainsi que les adjectifs en découlant, se retrouvent notamment dans les noms d’un très grand nombre de parfums depuis le début … Continue reading et de ces notes olfactives que l’on qualifie volontiers de lumineuses, chatoyantes, transparentes ou d’éblouissantes. [34]Paradoxalement, pour éviter toute altération, les parfums doivent être conservés à l’abri de la lumière, puisque les molécules odorantes sont généralement très sensibles au rayonnement … Continue reading Un comble quand on sait que, pour éviter toute altération, les parfums doivent être conservés à l’abri de la lumière, puisque les molécules odorantes sont généralement très sensibles au rayonnement lumineux. C’est d’ailleurs avec une exposition longue à des lampes UV que les laboratoires testent la résistance des parfums à la lumière !

Fait plus curieux encore : lorsque l’inventeur germano-américain Heinrich Göbel et la Edison Electric Light Company fondée par Thomas Edison entrent en litige pour déterminer le véritable inventeur de l’ampoule électrique à incandescence. Göbel aurait en effet déclaré avoir, dès 1854, utilisé une bouteille d’eau de Cologne pour produire sa première ampoule ! La légende, non vérifiée à ce jour, a cependant donné naissance en 2004 à un timbre allemand à l’occasion des 150 ans de l’invention de l’ampoule électrique. Sur ce timbre figure bien l’image supposée de cette première Göbellampe de 1854, dont le filament s’insère dans ce qui ressemble effectivement à une bouteille d’eau de Cologne.[35]Une première ampoule d’origine doublement allemande en quelque sorte ! Parfums, odeurs et lumière seraient décidément inséparables !

C’est ainsi toute une histoire culturelle, scientifique et matérielle qui se déroule lorsqu’on questionne les liens qui se sont tissés en Occident entre odeur et lumière. Une histoire de croyances et d’expériences, de mots, de matérialités et de formes, de pratiques quotidiennes et de créations hors du commun, qu’il nous semblait opportun de retracer dans ses grandes lignes en cette Journée internationale de la lumière.

Visuel principal : Marta Bakowski et Carole Calvez, Halo, 2024.

Notes

Notes
1 Malgré les critiques d’une large partie de la communauté scientifique, quelques chercheurs affirment encore que la fréquence de vibration des molécules odorantes est ce qui nous permet d’en discriminer un si grand nombre. C’est ce qu’on appelle la « théorie vibratoire de l’olfaction », émise en 1928 par Malcolm Dyson et notamment reprise en 1996 par Luca Turin. Voir : « Testing a radical theory », Nature Neuroscience, Vol. 7, n° 315, 2004. https://doi.org/10.1038/nn0404-315 / Pandey, N., Pal, D., Saha, D. et al., « Vibration-based biomimetic odor classification », Scientific Report, Vol. 11, art. 11389, 2021. https://doi.org/10.1038/s41598-021-90592-x
2 Henri de Parville, « Revue des sciences », Journal des débats politiques et littéraires, 25 janvier 1900, p. 2.
3 Pierre Piobb, « Science et art des parfums », La Liberté, 30 octobre 1910, p. 1.
4 Auguste Le Pileur, Le Corps humain, Paris, Hachette, 1877, p. 253.
5 René Cerbelaud, Formulaire des principales spécialités de parfumerie et de pharmacie, Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, conforme au Codex 1908, 1920, p. 297.
6 La perception visuelle, qu’autorise la lumière, dépend chez l’être humain de trois types de photorécepteurs (les cônes, les bâtonnets et les cellules ganglionnaires photosensible) codés par seulement quatre gènes, tandis que la perception olfactive sollicite environ 400 types de récepteurs différents codés par à peu près autant de gènes (représentant entre 1% et 3% de notre génome).
7 Comme le dit Hirac Gurden dans son récent ouvrage : « le siècle des Lumières ne met pas le projecteur sur l’odorat ! Au contraire, il l’éteint complètement. » (Sentir. Comment les odeurs agissent sur notre cerveau, Paris, Les Arènes, 2024, p. 38).
8 D’un point de vue neurobiologique notamment, les correspondances transmodales sont l’une des manières par lesquelles la vue et l’odorat interagissent et s’influencent mutuellement. Voir à ce sujet : A. Seigneuric, et al., « The nose tells it to the eyes: crossmodal associations between olfaction and vision », Perception, 2010, Vol. 39, n° 11, p. 1541-54. L’odorat a également un rôle important à jouer dans le développement de la vision chez le nourrisson. Voir à ce sujet : Giulia Purpura et Stefania Petri, « Early Interplay of Smell and Sight in Human Development: Insights for Early Intervention With High-Risk Infants », Current Developmental Disorders Reports, 2023, Vol. 10, p. 232-238.
9 On trouve dans la littérature du XIXe siècle de nombreuses références à l’odeur infecte et suffocante des becs de gaz.
10 Clara Muller, « L’expérience olfactives dans les attractions historiques, les médias et les arts visuels (1) », Astasa [En ligne], 28 décembre 2022.
11 On trouve tout de même à la fin du XIXe siècle des mentions de « l’odeur de l’électricité », faisant référence soit à l’odeur de l’ozone qui remplit l’atmosphère après un éclair, soit à celle des étincelles provoquées par un circuit électrique défectueux. D’ailleurs, les odeurs qui émanent de nos jours ponctuellement d’une lampe qui surchauffe ou d’un court-circuit nous alertent surtout d’un dysfonctionnement de notre installation électrique !
12 Marcel Proust, Du Côté de chez Swann, Paris, B. Grasset, 1914, p. 331.
13 La Lampe Berger, toujours commercialisée aujourd’hui, est créée en 1898 par le préparateur en pharmacie français Maurice Berger, sous le nom, évocateur, de « diffuseur fumivore hygiénique ». D’abord destinée à détruire les molécules odorantes dans les lieux publics grâce à son brûleur catalytique, elle s’agrémente bientôt de parfums et s’installe chez les particuliers.
14 J.-B. Batka, « Description d’une nouvelle lampe odoriférante », Journal de pharmacie et des sciences accessoires, 1er janvier 1828, p. 410.
15 Anonyme, « Un conseil par jour. Lampe à parfum », La Fronde, 13 décembre 1897, p. 4.
16 C’est encore aujourd’hui le principe des lampes chauffe-bougie destinées à diffuser le parfum contenu dans la cire d’une bougie sans flamme ni combustion.
17 H. E. Palmer, Natural Shell Perfume Lamp, brevet n°1566502, déposé aux États-Unis le 11 avril 1924.
18 Je me souviens avoir utilisé chez ma grand-mère maternelle un modèle de ce genre, composé d’une base en métal supportant une lampe en verre sphérique ornementée, agrémentée sur le dessus d’un léger creux pouvant contenir du parfum sous forme solide ou liquide.
19 Voir à ce sujet : Yohan Cervi, Une Histoire de parfums (1880-2020), Paris, éditions Nez, 2022.
20 Même s’il est possible de trouver aujourd’hui sur internet des ampoules imitant des flammes de bougie trempées dans du silicone parfumé…
21 Voir également les projets étudiants illu.me de la polonaise Aleksandra Krogulecka et SPRING du portugais António Rosário.
22 Voir http://www.driussoassociati.com/industrial-design/o-joy-o-bag-4/
23 Voir https://www.ye-jj.space/ideas/lotus-lamp
24 La bio-inspiration va même plus loin, puisque le lotus sacré, comme d’autres plantes dites thermogéniques, peut élever la température au cœur de ses efflorescences pour favoriser la volatilisation des substances odorantes qu’elles produisent et ainsi accroître leurs chances d’attirer les pollinisateurs.
25 Voir https://georgianaghit.wixsite.com/fragrancelamp
26 Voir à ce sujet : Hiroki Harada et al., « Linalool Odor-Induced Anxiolytic Effects in Mice », Frontiers in Behavorial Neuroscience, 2018, Vol. 12 : https://doi.org/10.3389/fnbeh.2018.00241
27 Voir https://astridluglio.com/tonatto-profumi/
28 Les éventails sont d’ailleurs souvent parfumés depuis le XVIe siècle en Europe.
29 Voir https://ethe-real.cargo.site
30 Voir https://www.gregoiredelafforest.com/#item=lampe-olab
31 Voir https://joyana.fr/luminaires-design-eau-de-lumiere-par-designheure-x-davide-oppizzi/120432/
32 Voir https://portaromana.com/products/perfume_bottle_lamp?variant=41265646796993
33 Les termes Lumière, Clarté, Éclat, Radiance ou encore Soleil, ainsi que les adjectifs en découlant, se retrouvent notamment dans les noms d’un très grand nombre de parfums depuis le début du XXe siècle.
34 Paradoxalement, pour éviter toute altération, les parfums doivent être conservés à l’abri de la lumière, puisque les molécules odorantes sont généralement très sensibles au rayonnement lumineux. C’est d’ailleurs avec une exposition longue à des lampes UV que les laboratoires testent la résistance des parfums à la lumière !
35 Une première ampoule d’origine doublement allemande en quelque sorte !

Smell Talks : Quand le sillage monte en grade

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Jeanne Bichet, évaluatrice chez Luzi, Mark Buxton et Sidonie Grandperret, parfumeurs chez Luzi, expliquent comment ils accompagnent des marques de parfums vers un segment plus niche.

Du 21 au 24 mars 2024, entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédées des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.

Une table ronde animée par Guillaume Tesson.

Crédit photo : Luzi.

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