Sterenn Le Maguer-Gillon et Dominique Roques – Wadi Dawkah : La Route de l’encens

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La Route de l’encens, qui s’étendait sur 2000 kilomètres, reliait le sud de la péninsule arabique à la Méditerranée. Les premières traces avérées d’expéditions en Égypte à la recherche d’encens remontent à 2600 ans avant notre ère et attestent de la domestication du chameau à l’origine du commerce intensif de la précieuse résine 800 ans av. J.-C.
Oman n’apparaît sur la carte de cette route que quelques siècles plus tard, une fois l’emblématique port de commerce de Khor Rori construit.
En 2000, l’Unesco et le Sultanat d’Oman ont signé une convention inscrivant au Patrimoine mondial la Route de l’encens. Cette appellation poétique englobe quatre sites exceptionnels situés dans la vallée du Dhofar, une réserve naturelle dans le sud d’Oman : les vestiges de l’oasis de Shisr (également nommée Ubar) ; les ports affiliés de Khor Rori et Al-Baleed, exemples remarquables de sites médiévaux fortifiés et Wadi Dawkah, le berceau de la plus importante forêt d’arbres Boswellia sacra au monde.

Dans cet épisode, Dominique Roques, sourceur d’ingrédients naturels pour la parfumerie depuis plus de 30 ans et chargé d’implanter le projet de renaissance de cet arbre précieux dans le Wadi Dawkah, s’entretient avec l’archéologue Sterenn Le Maguer-Gillon pour expliquer à quel point chacun de ces lieux témoigne de la place stratégique qu’occupait la région d’Oman sur la route du commerce de l’encens.

Ce podcast est disponible uniquement en anglais.

Crédits photo : © Amouage / Guillaume Tesson

Smell Talks : IFRA – Réglementation & ingrédients pour la parfumerie

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La réglementation des ingrédients pour la parfumerie, barrière à la création ou source d’innovation ? Aurélie Perrichet, directrice régionale Europe de l’IFRA, Jennifer Dorts, responsable des affaires scientifiques et réglementaires de l’IFRA et Thierry Audibert, membre du comité directeur de la Société internationale des parfumeurs-créateurs (SIPC) nous aident à comprendre le rôle des réglementations de l’International Fragrance Association pour garantir un usage sûr des produits parfumés, les innovations nées de ces contraintes et le travail de l’organisme auprès des autorités pour défendre l’industrie.
Une table ronde animée par Jessica Mignot.

Entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center, du 21 au 24 mars 2024. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédés des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.

Visuel principal : © DR

Smell Talks : Xavier Fernandez – GDR O3, quand les nez des chercheurs se rencontrent

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Après une courte présentation du Groupement de recherche du CNRS Odorant, Odeur, Olfaction (GDR O3) et de ses principales activités, son directeur adjoint Xavier Fernandez expose quelques exemples de résultats de projets interdisciplinaires centrés autour de l’histoire des parfums, de l’intelligence artificielle et des neurosciences.

Entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center, du 21 au 24 mars 2024. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédés des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.

Visuel principal : © DR.

Smell Talks : Masterclass Marc-Antoine Corticchiato – 20 ans de Parfum d’empire

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Depuis vingt ans, à l’écart des tendances, Marc-Antoine Corticchiato dessine avec Parfum d’empire la carte d’une parfumerie indépendante et exigeante, guidée par la noblesse des matières premières naturelles. En écho à l’exposition « Parfum d’empire – Quand le parfum des plantes parle », celui qui faillit devenir cavalier professionnel revient sur ses racines marocaines et corses, sur ses méthodes de création, son enthousiasme pour la quête des plus beaux ingrédients et commente l’évolution de son style, de plus en plus personnel.

Une masterclass présentée par Guillaume Tesson.

Entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center, du 21 au 24 mars 2024. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédés des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.

Visuel principal : © Clément Savel.

Smell Talks : La jeune création en parfumerie

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Devenir parfumeur c’est emprunter un chemin exigeant, de l’apprentissage au côté d’un mentor jusqu’aux premières gammes esquissant l’acquisition d’une signature. Grégoire Balleydier, parfumeur chez DSM-Firmenich, Ugo Charron, parfumeur chez Mane et Leslie Gauthier, parfumeuse chez Symrise, échangent sur les atouts, les valeurs et les défis de la nouvelle génération de créateurs.

Une table ronde animée par Guillaume Tesson.

Entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center, du 21 au 24 mars 2024. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédés des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.

Visuel principal : © DR

Quand le sport fait vendre : flankers et images de la masculinité

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, une nouvelle tendance émerge dans le domaine des parfums : celle du sport. Un outil marketing bien rodé, dont nous explorons ici quelques facettes, après avoir dessiné les premiers traits de l’histoire commune qui lie disciplines sportives et flacons sent-bon.

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, une nouvelle tendance émerge dans le domaine des parfums : celle du sport. Elle est en réalité un outil marketing qui favorise l’expansion d’un marché de « flankers », nom que l’on donne dans le milieu à ces déclinaisons qui reprennent (a priori) quelques notes olfactives du parfum initial ainsi que son nom et la forme du flacon. Si l’exercice de la déclinaison peut constituer un réel enjeu créatif, il permet malheureusement le plus souvent de capitaliser sur un succès commercial sans trop de prises de risques.

Les déclinaisons « sportives »  ciblent un public essentiellement masculin, plus jeune et populaire, moins consommateur de parfums que les femmes, creusant au passage les clichés de genre comme sait si bien le faire l’industrie du parfum [voir notre dossier Odor di femina] : féminité séductrice et aimante d’un côté, masculinité puissante et indépendante de l’autre. 

De Ralph Lauren à Dior en passant par Chanel et Yves Saint Laurent, toutes les grandes marques en vogue s’alignent sur cette tendance, présentant des parfums aux profils communs. De Polo Sport à Dior Homme Sport, tous proposent une fragrance avec une tête fraîche d’agrumes ou d’aldéhydes, un coeur fleuri ou épicé (poivre, coriandre) et un fond boisé ambré (cèdre, vétiver, et de plus en plus bois ambrés) parfois enrobé de notes gourmandes (fève tonka, vanille, ethyl-maltol). 

L’objectif est clair : il faut toucher cette nouvelle audience et pour y parvenir, les marques vont adapter leur stratégie. Leur communication d’abord : avec le choix d’égéries sportives ou bien par des campagnes publicitaires mettant en scène des hommes athlétiques, l’enjeu étant toujours de nourrir l’identification aux personnalités pour faire vendre. La part mise dans la communication augmente, celle mise dans le concentré déminue [voir notre dossier Argent et parfum dans Nez, la revue olfactive #17]. Rugbymen, joueurs de foot, surfeurs et même pilotes automobile se prêteront au jeu. On citera notamment Hugo Parisi (plongeur brésilien), Adam Crigler (longskater américain), Danny Fuller (surfeur américain) chez Chanel ; Olivier Giroud (joueur de foot français), Jenson Button (pilote automobile britannique) et Harry Kane (joueur de foot britannique) chez Hugo Boss ; Younes Bendjima (boxeur français), Kylian Mbappé et Zinedine Zidane (tous deux joueurs de foot français) chez Dior ; ou encore Sébastien Chabal (rugbyman français) chez Caron. La liste serait trop longue pour la poursuivre…

Leur stratégie marketing ensuite : les univers olfactifs de ces nouvelles créations portent des valeurs viriles, faisant certes appel au registre de la fraîcheur bienvenue après s’être dépensé (en considérant toujours que cela n’arrive qu’à ces messieurs), mais aussi bien souvent à la puissance, avec l’appui des bois ambrés ou du registre sucré. Les flacons sont uniformisés avec des couleurs sombres (noir, bleu, gris). 

Aujourd’hui, la tendance « extrême »  s’est imposée à son tour, faisant le relai des attributs de force liés aux hommes, et suivant la montée en puissance qui se généralise dans les flacons, quel que soit le genre auquel ils sont destinés. 

Bref : le parfum, c’est comme le sport. Tant que ça fait vendre, on est prêt à investir… Et tant pis si c’est en dépit du bon sens ! Les très nombreuses compétitions sportives sont l’occasion pour les grands groupes comme Coty et LVMH de mettre en avant leurs marques. Logos imprimés sur les maillots, bannières déployées autour des stades et donc visibles tout au long des matchs, ou bien de spots publicitaires diffusés juste avant les diffusions télévisées et monnayés à prix d’or… S’ils sont prêts à tant de dépenses, c’est évidemment parce que cela rapporte gros. Bernard Arnault, le patron de LVMH, le sait bien : comme l’a dévoilé une enquête de Dan Israel et Khedidja Zerouali publiée par Médiapart le 19 juillet dernier,[1]Voir https://www.mediapart.fr/journal/france/190724/jo-lvmh-s-offre-une-place-de-roi-pour-la-ceremonie-d-ouverture celui-ci profite de l’occasion pour mettre en avant ses marques, notamment Louis Vuitton, dont la Fondation a accueilli la flamme durant une après-midi. Histoire de ne pas manquer, selon les propos de son fils Antoine Arnault, les « centaines de millions de paires d’yeux [qui] seront braquées » sur les JO, qui sont autant de portefeuilles à conquérir…

Visuel principal : Un athlète soulevant de lourdes masses, Reims, 1913, Agence Rol. Source : Gallica.bnf.fr / BNF

Pages inspirées, romans bien sentis et nez érudits : petite sélection des lectures olfactives pour l’été

Odeur de crème solaire, éclosion de jasmin et journées qui s’étirent… L’été s’est installé, et avec lui les vacances, pour les plus chanceux. Un peu plus de temps pour se reposer, profiter de ses proches, respirer l’air marin mais aussi pour lire ! Nous avons regroupé ici les derniers ouvrages qui font du nez leur maître mot, pour rendre vos siestes estivales plus érudites… ou pour voyager au creux de rêveries odorantes après une journée au bureau.
Et, bonne nouvelle : pour remplir vos bibliothèques, Nez vous offre les frais de port sur de nombreux livres cet été !

Quelques rêveries olfactives

Ce Parfum rouge de Theresa Révay, par Guillaume Tesson
Stock, mars 2024, 377 pages, 21,90€

1934. La jeune Nine Dupré, qui a fui la Russie, enfant, lors de la prise du pouvoir par les bolcheviques, est aujourd’hui chimiste pour des maisons de parfums. Elle tente d’imposer ses élans créatifs, dans une atmosphère concurrentielle tendue par la crise économique. Nine vit hantée par le souvenir d’un père parfumeur resté à Moscou et dont elle est sans nouvelles. Jusqu’au jour où son nez perçoit, échappé d’une proche collaboratrice de Staline en visite en France, un sillage que seul son paternel a pu créer…
Theresa Révay, pour qui « les parfums, les sons et les couleurs se répondent », s’est inspirée de la parfumeuse Germaine Cellier pour donner vie à son personnage principal, dans cette fresque émaillée de références à l’histoire de la parfumerie. L’arrière grand-oncle de la romancière n’était autre que Léon Givaudan, le chimiste qui mit au point les aldéhydes de haute qualité ayant permis à Ernest Beaux de composer son chef d’œuvre, Chanel N°5. On comprend mieux pourquoi, au milieu de figures de l’industrie imaginaires ou bien réelles, les fragrances Moscou la rouge (rebaptisée L’Aube rouge dans le roman) et Chanel N°5 font figure d’authentiques protagonistes aux côtés d’une héroïne diablement attachante. L’ensemble, porté par un souffle romanesque, se dévore comme une bonne série Netflix.

© Pamela Pianezza

La Croisée des sillages de Clémentine Humeau, par Jessica Mignot
Autoédition limitée à 200 exemplaires, 280 pages, accompagnée du parfum créé par Clémentine Humeau, flacon de 50ml, 159€

Dans ce roman aux allures de conte, on croise un écrivain public, un arbre magique, un photographe de rêveries, un révélateur d’empreintes… et mille évocations sensorielles, qui rappellent combien les couleurs mais aussi les odeurs, les sons et les saveurs, trop souvent inaperçus, texturent notre monde. L’autrice et parfumeuse Clémentine Humeau a également imaginé un sillage qui se fait l’écho baumé, enneigé et moussu de cette histoire amoureuse singulière et lumineuse, racontant avec ses notes ce que le livre narre avec ses mots.

Les Chandeliers de Sioux Berger, par Jessica Mignot
Éditions du Rocher, avril 2024, 233 pages, 18€

La trame principale de ce troisième roman de la journaliste Sioux Berger s’ancre dans un atelier de confection de bougies. Mais au-delà d’un simple ornement romanesque, les parfums remplissent un rôle central : ils ouvrent une pluralité de mondes, construisent des passages temporels et tissent des liens entre les êtres. Fourmillants de souvenirs pour Augusta, vieille dame au passé secret ; points d’ancrage du petit David ; éléments de travail de Sandrine, apprentie parfumeuse ; matières à réflexion pour l’agent immobilier Chérif : les odeurs font bel et bien partie de notre histoire collective et individuelle. Aérant les pages de leur légèreté, elles nous mènent comme un thème musical à travers une quête mystérieuse, que l’on suit par le bout du nez.

Des essais bien sentis

Les Secrets des parfums de Sylvaine Delacourte, par Jeanne Doré
Belin, avril 2024, 224 pages, 17,90€

Vous avez toujours rêvé de vous infiltrer dans les coulisses d’une grande marque de parfums ? Sylvaine Delacourte, directrice création parfum chez Guerlain pendant plus de quinze ans avant de créer sa propre société, nous offre ici un récit personnel de son parcours qui ouvre les portes des laboratoires de la maison parisienne. Une tranche de vie riche d’expériences, racontée de manière franche et avec beaucoup de pédagogie, qui rappelle le ton de la parfumeuse sur son site, Esprit de parfum. Parfait pour les curieux qui souhaitent comprendre comment sont imaginées les fragrances, de l’inspiration initiale au design du flacon, en passant bien sûr par la formulation et l’évaluation. 

L’Appel des odeurs de Ryoko Sekiguchi, par Clara Muller
P.O.L, février 2024, 272 pages, 20€

Après Sentir (2021) qui nous plongeait dans les arômes des vins de Champagne, Ryoko Sekiguchi nous ouvre d’autres horizons olfactifs dans cet ouvrage qui se lit tantôt comme un recueil de nouvelles, tantôt comme un journal intime dans lequel se seraient glissées des bribes de poèmes. Partout, sous toutes leurs formes, on y rencontre « ces “autres êtres” que sont les odeurs » : celles que l’on sent, celles que l’on croit sentir et celles que l’on ne sent plus. De notes en récits, de récits en questions sans réponses, se dessine la relation singulière de l’autrice aux senteurs des êtres et des choses, que sa langue suffit à invoquer, et qui sont à la fois sensations, métaphores et présences. Dans ces pages, quelque chose de fort et de beau nous appelle : ne craignons pas de nous y perdre ; ni de nous y retrouver. 

Par le bout du nez de Sarah Bouasse, par Clément Paradis
Calmann-Lévy, mai 2024, 250 pages, 18,50€ 

Peut-on se raconter par ce que l’on sent plutôt que par ce que l’on voit ? Sarah Bouasse, journaliste et rédactrice pour Nez, tente l’expérience et nous guide dans un dédale d’odeurs – dont on se rend bien vite compte qu’il est aussi le nôtre. Odeurs de maisons de vacances, parfums de l’adolescence, remugles urbains : l’autrice rappelle que nous sentons chaque fois que nous respirons, soit plus de 20 000 fois par jour. Se trace donc au fil des pages un monde intime et partagé de perceptions communes, d’époques traversées et de pertes irrémédiables… Alors que le sens olfactif, lui, se charge de tout retrouver, que ce soit le fond de Shalimar, les effluves d’un prof de danse, ou ceux de notre propre corps. 
Disponible sur le Shop, by Nez

& De la culture, pour un nez bien élevé !

Les Parfums de la nature de Roland Salesse, par Jeanne Doré 
Quæ, juin 2024, 152 pages, 23€

On ne présente plus Roland Salesse, ancien directeur du laboratoire de Neurobiologie de l’olfaction au centre INRAE de Jouy-en-Josas, cofondateur de l’association d’éducation olfactive le Nez en Herbe et auteur, entre autres, de Faut-il sentir bon pour séduire ? et du Cerveau cuisinier.
Celui-ci nous offre un voyage dans le nez des autres vivants, avec une approche résolument scientifique, parfois technique lorsqu’il s’agit de décrire les réactions biochimiques, mais toujours pédagogique. Le résultat est passionnant, et permet de comprendre comment les odeurs font partie intégrante de la nature et sont des indispensables du vivant. Il offre une autre manière de percevoir le monde et ses mille parfums, non plus comme de simples agréments pour nous, mais comme un langage complexe aux fonctions diverses et à destination de tous ceux qui le peuple : végétaux, insectes et animaux (humains compris). Nécessaire et franchement réussi.

Sentir. Comment les odeurs agissent sur notre cerveau de Hirac Gurden, par Clément Paradis
Les Arènes, avril 2024, 256 pages, 21€

Hirac Gurden, directeur de recherche en neurosciences au CNRS, et rédacteur pour Nez, nous livre un ouvrage accessible et généreux sur l’odorat et ses mécanismes. Ici on parle du fonctionnement de notre nez, de notre cerveau, de ce qui définit une odeur, mais aussi de nos effluves corporels et de ce que l’on met dans nos assiettes. En plus de quelques détours par l’histoire du parfum et l’observation du règne animal, la narration s’autorise parfois à glisser vers la première personne pour permettre au chercheur de partager sa madeleine de Proust et les effluences marquantes de son passé. Ce panorama ne serait pas complet sans un chapitre sur la perte d’odorat et sur les protocoles de rééducation olfactive que Hirac Gurden développe depuis plusieurs années, notamment pour aider les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
Disponible sur le Shop, by Nez

La Vanille en parfumerie, La Feuille de violette en parfumerie, Collectif,  Nez+LMR Cahiers des naturels 
Par Éléonore de Bonneval, Olivier R.P. David, Jeanne Doré, Anne-Sophie Hojlo, Jessica Mignot, Clara Muller, Delphine de Swardt. 96 pages, 16€ 

La collection lancée en collaboration avec LMR Naturals, la référence pour les matières premières naturelles, s’enrichit de deux nouveaux ouvrages, consacrés à la vanille et à la feuille de violette. Saviez-vous que cette dernière – dont l’odeur nous est moins familière que celle de sa fleur – a rejoint la palette des parfumeurs au début du XXe siècle ? Et que la vanille, originaire du Mexique, était déjà employée par les Aztèques pour parfumer le cacao ? Quatre éditions par an proposent de (re)découvrir les ingrédients naturels de la parfumerie sous toutes leurs facettes, avec un regard à 360 degrés : botanique, histoire, gastronomie, agriculture, chimie, sans oublier bien sûr fragrances et parfumeurs !
Disponibles sur le Shop, by Nez

L’Art du naturel, Collectif, Nez+LMR Cahiers des naturels
Par Béatrice Boisserie, Sarah Bouasse, Éléonore de Bonneval, Aurélie Dematons, Judith Gross, Jessica Mignot, Guillaume Tesson, Delphine de Swardt.  96 pages, 16€

Femme pionnière et iconoclaste, Monique Rémy a fondé LMR en 1983, guidée par son amour du vivant. Par son audace, son exigence et son intégrité, elle a su fédérer autour d’elle des alliés de choix, en premier lieu les parfumeurs, en leur proposant des extraits naturels à la qualité jamais compromise. Dans le giron d’IFF depuis 2000, LMR est toujours resté fidèle à ses valeurs d’origine : transparence, respect et innovation. À l’occasion des 40 ans de la société, parfumeurs de tous horizons, ingénieurs, producteurs, dirigeants et partenaires qui ont croisé la route de sa fondatrice lui rendent hommage, révélant le caractère unique de son histoire.
Disponible sur le Shop, by Nez

Bonnes lectures, et très bel été !

Sport et parfum : les débuts d’une histoire commune

Éditions dédiées, égéries célèbres et imaginaires partagés : si le sport fait transpirer, la parfumerie n’a cessé d’y trouver un ancrage et un moyen de vendre.
À l’occasion des Jeux olympiques à Paris, nous vous proposons une plongée dans les premiers flirts entre disciplines sportives et flacons de parfum, pour mieux comprendre en quoi ceux-ci sont liés !

Les premiers Jeux olympiques connus ont eu lieu lors de l’été 776 avant J.-C. à Olympie dans le sud de la Grèce. Ils ont été créés en l’honneur de Zeus, roi des dieux. Entre guerres et conflits, la flamme olympique ne fut rallumée qu’en 1896 à Athènes et a été célébrée tous les quatre ans depuis lors (entrecoupés par les deux Guerres mondiales). En 1924, les Jeux olympiques d’hiver ont vu le jour dans les Alpes françaises. Cent ans plus tard, la France accueille de nouveau les Jeux, et les marques de parfum y voient une opportunité marketing rêvée.
Mais ce n’est pas nouveau : dès les débuts de la parfumerie moderne, les marques n’ont pas manqué de s’inspirer du sport pour imaginer de nouveaux lancements, main dans la main avec la mode. 

Jean Patou et l’Huile de Chaldée

Jean Patou est l’un des premiers à avoir initié ce lien entre sport et parfum. Il conçoit alors des vêtements adaptés aux activités en plein air, comme la jupe de la célèbre tenniswoman Suzanne Lenglen. C’est dans cette lignée, et pour accompagner les aristocrates qui s’évadent à la mer l’été et profitent d’un bronzage qui n’est plus le signe des classes inférieures, qu’il imagine ses créations : « Patou (comme Chanel) imagine des vêtements décontractés pour la plage, pour la campagne et pour les activités de plein air – à une époque où la pratique du sport se popularise et où les événements sportifs deviennent médiatiques. Dans cette veine, il propose également à ses clientes, en 1927, une huile de bronzage teintée (rouge ocre) et parfumée, l’Huile de Chaldée », explique Yohan Cervi dans Une Histoire de parfums. Suivra Le Sien, en 1929, conçu comme unisexe : « bien que demeuré confidentiel, celui-ci témoigne d’un changement des mentalités dans la manière de concevoir le parfum », poursuit-il.

Suzanne Lenglen, 1920
Photographie de presse, agence Rol
Source : gallica.bnf.fr / BnF

Lacoste, des polos et des crocos

C’est la même année que le « crocodile » est né. Surnommé ainsi par un journaliste américain à la suite d’un match acharné, le jeune tennisman français René Lacoste fait broder dès 1927 ce reptile, dessiné par Robert George, sur ses polos. Le logo devient alors un symbole et évolue au fil des campagnes publicitaires. En 1967, la marque propose son premier parfum, une Eau de Lacoste pour les sportifs. S’ensuivront d’autres créations en lien avec le sport tels que la série L.12.12 en 2011, qui fait référence au premier polo blanc inventé par René Lacoste, et Match Point, imaginé par Sophie Labbé en 2020. Aux profils aromatiques, ces parfums s’identifient au tennis et participent à l’image d’une discipline élégante. 

Le cheval de bataille d’Hermès

Une autre grande maison française entretient depuis sa création des liens très étroits avec le sport, et en particulier avec l’équitation : Hermès. Fondée en 1837, elle se consacre d’abord au travail du cuir en tant que maître sellier au 24, faubourg saint Honoré, avant d’étendre sa gamme pour s’adapter à sa clientèle. Si L’Eau d’Hermès, composée par Edmond Roudnitska en 1951, faisait déjà référence à l’univers équestre avec ses facettes de cumin et de cuir, L’Eau de Cologne d’Hermès (rebaptisée Eau d’orange verte depuis) s’accompagne de toute une campagne publicitaire mettant en scène différentes pratiques sportives. Les suivants poursuivent la tendance équestre : de Calèche (1961) signé Guy Robert à Galop de Christine Nagel (2016), jusqu’au plus récent Oud alezan (2024) dans la collection Hermessence, sans compter les nombreux échos au cuir dans d’autres créations.  

Ralph Lauren, sport d’élite

Outre Atlantique, c’est le jeune américain Ralph Lauren qui bouleverse les tendances. Celui-ci n’avait pourtant rien d’un sportif. Le styliste, qui avait pour ambition de bouleverser les codes, confectionne d’abord des cravates très larges qui évoquent le glamour du vieux Hollywood. Peu à peu, il parvient à séduire un public avec ses costumes de flanelle blanche et ses chemises habillées. En 1972, il lance une gamme de polos dans une palette de couleurs éclatantes. Suivra, en 1978, le premier parfum avec une bouteille verte distinctive au design vintage, renfermant des notes de pin, de cuir et de tabac. Pour le promouvoir, une publicité met en scène des joueurs de polo en pleine action. Ralph Lauren utilise ainsi le sport comme outil de communication, et reprend les codes de sports élitistes : le tennis, le golf, la chasse… qui répondent parfaitement aux imaginaires de la parfumerie, une industrie tenue par la classe bourgeoise. Cela lui vaudra d’être l’habilleur officiel du tournoi de Wimbledon en 2006 et de l’équipe olympique américaine en 2008 et 2024. 

Bien d’ autres marques ont suivi son exemple et choisi le sport comme outil marketing : loin de constituer une référence anecdotique, il est même devenu une véritable habitude de l’industrie. C’est ce que nous dévoilerons dans le prochain article de cette mini-série !

Visuel principal : Un saut de Rémi Weil à la piscine des Tourelles, photographie de presse, Agence Rol, 14 juin 1927. Source : gallica.bnf.fr / BnF

[Article modifié le 22 août 2024]

Smell Talks : Clara Muller – Du nez pour le vivant

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Que se passe-t-il en nous et entre nous lorsque nous respirons un arbre, une fleur ou une trace animale ? Historienne de l’art et rédactrice pour Nez, Clara Muller nous propose une conférence dans laquelle elle souligne l’importance de l’odorat dans notre attachement au monde vivant qui nous entoure.

Entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center, du 21 au 24 mars 2024. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédés des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.

Visuel principal : © : Manon Raczynski

Place au naturel avec DSM-Firmenich

Partenariat éditorial

Un an après la sortie de son livre Grasse, de la fleur au parfum paru chez Gallimard, la maison de composition DSM-Firmenich confirme son approche du naturel visant à « mobiliser la science au profit de la nature et de sa sublimation ». Tour d’horizon avec Xavier Brochet, directeur de l’innovation et des ingrédients naturels.

Quel regard portez-vous sur l’engouement provoqué par le naturel en parfumerie depuis quelques années ?

La nature parle à tous, et de plus en plus, si bien qu’on la retrouve dans la presse grand public de tous les secteurs : santé, alimentaire, environnement… De plus en plus averti, le consommateur a ainsi élargi ses connaissances sur les plantes via l’aromathérapie, en terroir avec la gastronomie, et en bonnes pratiques en faveur de l’écologie. Cet accès accru à l’information gomme ainsi le fossé autrefois existant entre les professionnels et le grand public. C’est un phénomène très positif, car les discours portés sur les ingrédients naturels se font désormais plus sérieux et fiables.

Mais cet engouement se confronte à un mouvement contraire : le monde de 2024 révèle de nombreuses incertitudes géopolitiques, climatiques ou financières qui secouent la filière des naturels. En effet, la reprise économique euphorique qui a suivi la pandémie a très vite été rattrapée par l’inflation. D’autre part, ce marché aujourd’hui mondialisé rencontre inévitablement quelques tensions sur différents lieux de production. Sur les dernières années, les guerres ont porté un impact majeur sur le coût de l’énergie entraînant des hausses de prix considérables pour les distillations et les extractions.

Comment progresse le marché des ingrédients naturels dans ce contexte ?

Si le marché global du parfum augmente – notamment grâce à l’ouverture de nouveaux marchés –, la consommation des ingrédients naturels ne s’est pour autant pas accrue et représente un faible pourcentage dans les parfums et les arômes. Avec l’augmentation des coûts de production, et à budget constant, les marques mettent nécessairement le naturel en moindre proportion dans la formule.
Si le marché est stable en croissance, il se montre néanmoins très fragmenté : les matières premières ayant toutes des différences de coûts, de procédés ou d’origines, les contrastes semblent encore plus éclatants qu’avant. Les filières naturelles illustrent bien de ce qui se passe dans le monde actuel : en temps de crise, certains acteurs de la chaîne peinent à survivre ; d’autres, plus aisés, ont pu faire beaucoup d’économies. 
Enfin, les enjeux d’ordre réglementaire et répondant aux exigences de responsabilité sociétales des entreprises (RSE) viennent ajouter un cadre contraignant, certes, mais bénéfique. À toutes les étapes de culture et de production, il est désormais important de suivre les mêmes règles : consommer moins d’eau, moins d’énergie, sur moins de surface cultivée, et suivre les principes de précaution.

Solvants alternatifs, nouveaux procédés d’extraction… Comment envisagez-vous l’avenir de ces ingrédients chez DSM-Firmenich ?

Dans ce contexte complexe, notre entreprise aborde le naturel sous toutes ses facettes et agit sur les trois niveaux classiques d’innovation : l’agronomie à travers la sélection variétale par exemple ; les procédés de transformation ; le réglementaire et la certification. La recherche de solvants alternatifs est un sujet qui nous intéresse depuis longtemps. Parmi tous les solvants verts identifiés, DSM-Firmenich souhaite concentrer ses recherches sur le CO2 et l’eau. En effet, ces derniers sont plus durables, plus respectueux des ingrédients fragiles, et montrent une meilleure capacité à capter toutes les facettes d’une biomasse.

L’extraction au CO2, verte avant l’heure ?

Cette technologie, aussi appelée SFE [Supercritical Fluid Extraction, ou extraction au fluide supercritique] reste une technologie majeure chez DSM-Firmenich, qui ne cesse d’investir pour améliorer en continu le procédé. Le CO2 préserve la fraîcheur de la biomasse car il permet d’extraire l’ingrédient à plus faible température. De plus, ce solvant capture un spectre plus large de facettes. Depuis son premier usage dans l’industrie du parfum en 1995 avec la baie rose, son champ n’a cessé de s’élargir. Réservé initialement aux matières sèches telles que les épices, il est utilisé depuis une dizaine d’années pour les produits frais, travaillés en petites quantités au début, puis à plus grande échelle avec notre partenaire indien Jasmine Concrete ; le jasmin fleur Inde SFE en est un bel exemple. La technologie s’ouvre désormais aux produits liquides : jus et infusions de fruits et de légumes. Enfin, en parallèle de l’évolution du type de biomasse traitée, le CO2 employé fait aussi l’objet d’améliorations majeures : auparavant extrait des poches souterraines, il est dorénavant capturé dans l’air et recyclé.

Qu’apporte l’extraction électromagnétique à la palette ?

Ce procédé d’extraction appelé Firgood[1]Firgood est une marque déposée par DSM-Firmenich. consiste à exposer une biomasse fraîche à des fréquences électromagnétiques. L’eau constitutive des ingrédients se met à chauffer, et véhicule les principes odorants de la plante. Certains naturels auparavant impossibles à extraire peuvent ainsi s’exprimer, tels que les fleurs muettes : glycine, violette, pivoine ; les fruits et légumes gorgés d’eau : poire, fraise, poivron…
Le procédé répond au besoin crucial de la réduction d’énergie employée pour la transformation, profitant d’une vitesse de transformation accrue par rapport à l’extraction conventionnelle. L’analyse des cycles de vie a en effet montré que le taux d’émission carbone du lavandin Firgood est réduit de 48% par rapport à celui issu d’une distillation classique. Les marques en perçoivent l’intérêt et les derniers ingrédients Firgood se retrouvent déjà dans les grands succès du marché : le jasmin grandiflorum Firgood signe le Fame de Paco Rabanne, la vanille Firgood, le Burberry Goddess.

Vous venez de signer un partenariat avec Interstellar Lab, en quoi consiste-t-il ?

DSM-Firmenich s’intéresse depuis longtemps aux fermes verticales en milieu contrôlé. En effet, cette démarche cherche à répondre à deux problématiques : réduire la surface au sol et diminuer les risques liés aux aléas agricoles, comme les sols fatigués, pollués, ou les accidents climatiques brutaux. À cette fin, nous faisons appel à trois différents spécialistes : d’une part, les « équipementiers », spécialisés en robotique, filtration de l’air, éclairage par LED, etc… La société Jungle, avec qui nous avions établi un premier partenariat, entre dans cette catégorie. D’autre part, des « agronomes du futur », c’est-à-dire les chercheurs capables de développer les recettes innovantes par l’utilisation de micro-organismes ou d’intrants. Enfin les « experts en informatique », qui intègrent l’intelligence artificielle et traitent les données générées par des capteurs afin d’optimiser les pratiques agricoles… Interstellar Lab est un nouveau partenaire qui s’inscrit dans les deux dernières catégories. Leur offre consiste à cultiver des plantes sur une plateforme pilote appelée « Biopod », où l’agriculture est automatisée et dans un environnement contrôlé. Cette solution permet une véritable optimisation de l’eau (recyclée à 98%), de l’énergie et de la surface exploitée. Aujourd’hui, notre partenariat se situe dans sa première phase d’étude : sur une plante stratégique identifiée [et tenue secrète] nous pratiquons toutes sortes d’expériences : sélection variétale, mise au point de recettes de cultures… Cela nous permet de comprendre les interactions entre les différentes plantes, l’impact de l’éclairage, de la ventilation, etc. Si cette étape est concluante, nous passerons en phase deux de production : les procédés élaborés seront alors dupliqués à grande échelle.

Peut-on désormais affirmer que les parfums présents sur le marché sont plus respectueux de l’environnement ?

La communication met toujours l’accent sur « l’innovation » des ingrédients, oubliant parfois que ces produits ne représentent hélas qu’une toute petite partie du marché. Extraction SFE, Firgood… Ces propositions alternatives et respectueuses de l’environnement ne s’intègrent aujourd’hui que dans les nouveaux produits. Or, si 10% du marché se renouvelle chaque année, il faudrait attendre dix ans pour qu’une innovation trouve véritablement sa place au sein des produits existants ! Reformuler un grand classique pour intégrer ces innovations implique un travail réglementaire, nous sommes donc parfois confrontés à la frilosité des marques et à la peur des réactions potentielles du consommateur si le produit venait à changer. Certaines marques commencent à montrer le chemin, à l’instar de Nina Ricci : le parfum Nina a été reformulé en version vegan, et ses notes de tête revues avec un citron d’Italie surcyclé. 

Que proposeriez-vous pour donner plus de place aux naturels dans les formules ?

Une infime quantité de naturel peut parfois être utilisée pour pouvoir être revendiquée par la communication des parfums ou sur le packaging d’un gel douche…. L’emploi du naturel doit avoir du sens : a-t-il un réel impact olfactif dans la composition ? Pour le vérifier, un test d’évaluation devrait être effectué pour déceler s’il existe une différence avec et sans l’ingrédient. Je pense qu’il faut accorder un minimum de place au naturel dans la formule, ne pas descendre en deçà d’un seuil limite au-delà duquel on perd ce fameux « sens ». Un dosage minimum permettrait d’une part d’être réellement perceptible en tant que tel et d’autre part, de garantir des revenus minimums indispensables pour pérenniser une petite filière : une dizaine de kilos sont nécessaires pour qu’un producteur puisse planter, voire monter une unité d’extraction ou de distillation si les volumes sont assurés… La marque Bulgari illustre cette démarche responsable : le joaillier s’est récemment investi dans la filière de l’élémi aux Philippines [lire le reportage dans Nez #17]. Gageons que plus de marques s’engagent ainsi, et sur un plus grand nombre de matières, afin que tout le monde puisse y trouver un intérêt, notamment les petits producteurs.

Visuel principal : © Philippe Frisée

Notes

Notes
1 Firgood est une marque déposée par DSM-Firmenich.

Smell Talks : Stéphanie Prinet Morou & Frédéric Manfrin – L’action du fonds de dotation Per Fumum

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Le Fonds de dotation Per Fumum, créé en 2019 par Francis Kurkdjian, pérennise et structure par le mécénat des actions de soutien (patrimoine, recherche, éducation…) liées au parfum. Stéphanie Prinet Morou, sa déléguée générale, et Frédéric Manfrin, chef du service Histoire au département Philosophie, histoire et sciences de l’homme de la Bibliothèque nationale de France, évoquent l’inventaire inédit mené récemment sur l’histoire du parfum dans les collections de la BNF, dans une conférence enregistrée lors de la Paris Perfume Week en mars 2024.

Entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center, du 21 au 24 mars 2024. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédés des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.

Visuel principal : © DR

36e congrès du Comité international d’histoire de l’art : la part belle aux pratiques olfactives

Organisé cette année à Lyon sous l’égide du Comité français d’histoire de l’art, le 36e congrès du Comité international d’histoire de l’art (CIHA), dont le thème était pour cette édition « Matière Matérialité », a accueilli fin juin plusieurs conférences consacrées à la dimension olfactive dans les pratiques artistiques et patrimoniales. Une forme de consécration pour les artistes et les chercheurs qui, depuis quelques décennies, travaillent avec passion avec et sur ce sens longtemps négligé : l’odorat.

Le thème choisi, « Matière Matérialité », invitait comme une évidence la question de l’odeur et l’étude de cette matérialité non-visuelle et intangible dans le patrimoine et l’histoire de l’art. Si le sujet restait jusqu’à présent assez peu présent dans ce type de rencontres, victime d’un héritage culturel faisant de l’odorat un sens négligeable et impropre à l’esthétique, l’importance qui lui a été accordée cette année dans la programmation du congrès du CIHA – une petite dizaine de conférences tout de même – semble confirmer que ce que l’anthropologue canadien David Howes nomme le « sensual turn [1]On assiste selon lui, dans les années 1980-1990, à un regain d’intérêt pour la dimension sensorielle dans les sciences humaines, d’abord en anthropologie mais également en histoire, … Continue reading» a bien eu lieu : une place semble officiellement se faire dans les milieux académiques pour les considérations patrimoniales et pratiques artistiques olfactives – pratiques que certains appellent de leurs vœux depuis fort longtemps et qui jalonnent l’histoire de l’art moderne et contemporain.

En effet, dès 1844, dans le journal L’Illustration, un certain Monsieur Cap prônait l’avènement d’une forme d’art, qu’il propose alors nommer « osmétique » ou « osphrétique », et qui n’aurait rien à voir avec celui du parfumeur : « Je veux parler d’un art véritable, élevé à la hauteur de tous les autres, digne de tenir une place éminente parmi les ingénieuses conceptions de l’esprit humain, et ayant pour objet spécial les plaisirs, les jouissances du nez. […] Des musées, des collections, des institutions publiques seront consacrés au développement, à l’illustration de cette nouvelle conquête de l’intelligence humaine [et] l’Institut verra s’élever une section d’osphrétique au sein de l’Académie royale des Beaux-Arts.[2]M. Cap, « Un nouvel Art. – L’Osphrétique », L’Illustation, Vol. 3, n° 71, 4 juillet 1844, p. 294. » Plus de dix ans plus tard, on retrouve mention de cette idée par le scientifique Jacques Babinet, qui, non sans humour, définit l’osphrétique comme un « art de flairer » ou « art du mufle » qui se donnerait au public sous forme de « concert[s] d’olfaction. [3]Jacques Babinet, Etudes et lectures sur les sciences d’observation et leurs applications pratiques, Vol. 5, Paris, Mallet-Bachelier, 1858, pp. 182-186 : publié pour la première fois le 2 … Continue reading» 
Cette dernière formule nous ramène à une idée existant alors depuis près d’un siècle, puisqu’en 1755 l’abbé Polycarpe Poncelet[4]Lui-même émule du Père Castel qui, peu avant lui, aurait évoqué l’idée d’un « clavecin des odeurs », pendant de son projet, plus connu, de « clavecin pour les … Continue reading s’était déjà mis en tête « d’ébaucher les principes d’une Musique olfactive [5]Polycarpe Poncelet, Chimie du goût et de l’odorat, ou Principes pour composer facilement, & à peu de frais, les liqueurs à boire, & les eaux de senteurs, Paris, imprimerie de P. G. … Continue reading», avant de renoncer face à la difficulté de la tâche. Cette projection d’un art olfactif qui aurait plus d’affinités avec les arts performatifs qu’avec les arts visuels persistera jusqu’aux premières décennies du XXe siècle et l’on trouve, aussi bien dans la fiction que dans la presse européenne, de nombreuses mentions de tentatives de créer des pianos ou orgues à parfums[6]Pour n’en citer que quelques-uns : l’odophone imaginé par le parfumeur Septimus Piesse au milieu du XIXe siècle, l’ « ododion » imaginé par l’auteur … Continue reading destinés à jouer des « symphonies d’odeurs [7]Adolphe Démy, Essai historique sur les expositions universelles de Paris, 1907, pp. 1015-1017.» aussi couramment appelées « symphonies pour le nez[8]Herbert Farjeon, « The nose has it », Sunday Pictorial, July 1, 1934. » ou encore qualifiées, chez Huysmans, d’« odorante[s] orchestration[s] [9]Joris-Karl Huysmans, À Rebours, Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique », 1975 (1884), p. 157.». 

L’idée « qu’il puisse exister un art des parfums, qui n’aurait d’ailleurs aucun rapport avec la parfumerie[10]Pierre Piobb, « Science et art des parfums », La Liberté, 30 octobre 1910, p. 1-2. », comme le formule à son tour en 1910 le journaliste Pierre François Xavier Vincenti, bien que largement raillée dans la presse de la fin du XIXe siècle, fit donc malgré tout quelques émules. Plusieurs auteurs, artistes et penseurs se plairont d’ailleurs à imaginer de nouveaux noms pour cette forme d’art, encore largement spéculative, et l’on trouve ainsi, dans des textes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, de multiples termes pour le désigner : « aromatology[11]Christopher Pearse Cranch, « A Plea for the Sense of Smell », Putnam’s Magazine, 1868, cité dans Christina Bradstreet, Scented Visions. Smell in Art, 1850-1914, Penn State … Continue reading», « odor art[12]Henry T. Finck, « The Aesthetic Value of the Sense of Smell », The Atlantic, décembre 1880, p. 798. », « arte degli odori [13]Ennio Valentini, « L’arte degli odori – Manifesto futurista », 1915.» ou encore « olfactique [14]Patrice de Riencourt de Longpré, Notes coordonnées d’histoire naturelle, Tome I, Paris, éditions Argo, 1930, pp. 181-184.» sont ainsi proposés, tandis que le journaliste Émile Gautier parle quant à lui, plus simplement, « des artistes de l’olfaction [15]Emile Gautier, « La Publicité par le Nez », La Publicité : journal technique des annonceurs, 1er février 1920, p. 374.».

Au XXe siècle, émerge l’idée d’intégrer des substances odoriférantes à des formes non seulement performatives mais également visuelles et plastiques – sculptures, peintures, installations, expositions – notamment chez les avants-gardes du début puis du milieu du siècle[16]Voir notamment les nombreux travaux de l’historienne de l’art néerlandaise Caro Verbeek.. Depuis ces premières expérimentations, l’usage du médium olfactif s’est très largement répandu dans le monde de l’art et il est aujourd’hui rare de ne pas découvrir au moins une œuvre odorante dans les grandes biennales internationales. La renommée mondiale acquise par certains artistes contemporains travaillant régulièrement ou ponctuellement avec la dimension olfactive – à l’instar d’Anicka Yi, de Sissel Tolaas, Koo Jeong A, Carsten Höler, Haegue Yang, Dane Mitchell, Pamela Rosenkranz, Luca Vitone, Ernesto Neto et bien d’autres – n’est certainement pas étrangère à la croissance exponentielle de ces pratiques, particulièrement dans la dernière décennie [17]Certainement parmi de nombreux autres facteurs comme la multiplication et la démocratisation des techniques de diffusion, la facilitation de l’accès aux matières premières, la normalisation … Continue reading [voir Nez #4 – Le parfum et l’art].

Inévitablement, leur profusion et diversité entraînent une réponse du côté de la recherche dans les champs de l’histoire de l’art mais aussi de l’esthétique et de la muséologie[18]Voir notamment : Mathilde Castel (dir.), Les Dispositifs olfactifs au musée, Paris, Le Contrepoint, coll. « Nez culture », 2018.. Depuis une vingtaine d’années, de plus en plus nombreux sont les historiens et théoriciens de l’art de par le monde à se pencher sur le sujet – mais aussi sur la présence incidente d’odeurs dans diverses formes d’art et lieux patrimoniaux, ou encore sur la représentation d’éléments olfactifs dans les arts dits visuels [19]Ceci étant lié à un intérêt croissant pour le sujet de l’olfaction de manière plus vaste dans les sciences dures et les sciences humaines depuis les années 1980. Voir notamment : … Continue reading–, parmi lesquels Jim Drobnick, Caro Verbeek, Chantal Jaquet, Denys Riout, Larry Shiner, Debra Riley Parr, Érika Wicky, Lizzie Marx, Sandra Barré, Mădălina Diaconu ou encore Hsuan Hsu, pour n’en citer que quelques uns. Mais malgré cette production académique en croissance, malgré la multiplication des ouvrages et revues qui affirment la validité et la valeur de ces études, la place relativement importante accordée à l’olfaction dans un événement de l’envergure du congrès du CIHA apparaît comme un nouveau jalon dans la reconnaissance de la légitimité et de l’intérêt de ces pratiques et de leur étude, encore récemment considérées par certains comme peu sérieuses ou simplement « à la mode » (comme j’ai pu l’entendre à plusieurs reprises de la bouche de galeristes et d’historiens de l’art).

Cham, Une scène d’osphrétique, 1844. Gravure accompagnant l’article de M. Cap dans L’Illustration du 4 juillet 1844. Domaine public.

Etudier et préserver l’invisible

« Si l’idée de la primauté de la vision peut encore se tapir dans nos habitudes, les artistes ont mis en garde contre sa stérilité pendant des décennies ». C’est par ces mots que les historiens de l’art Taisuke Edamura et Henri De Riedmatten ont ouvert, dès le premier jour du congrès, une session intitulée « Art and the Invisible », consacrée à des œuvres impossibles à appréhender par la vue, ou bien donnant à percevoir divers phénomènes qui échappent au regard. S’inscrivant directement dans ces problématiques, ma communication introduisait un corpus de travaux olfactifs conçus par une vingtaine d’artistes entre 1971 et aujourd’hui[20]Catherine Bodmer, Mike Bouchet, Magali Daniaux et Cédric Pigot, Peter de Cupere, Heribert Friedl, Pierre Huyghe, Dane Mitchell, Laurie Mortreuil, Elodie Pong, Carlos Ramirez-Pantanella, Sean Raspet, … Continue reading, emplissant les lieux d’exposition de simples molécules odorantes et s’inscrivant dans la lignée des expositions « vides » qui ont jalonné la fin du XXe et le début du XXIe siècle. Alors qu’une majeure partie des créations odorantes dans l’art contemporain sont hybrides[21]Voir notamment : Jim Drobnick, « Smell : The Hybrid Art », in Chantal Jaquet (dir.), L’Art olfactif contemporain, actes du colloque international La Création Olfactive, … Continue reading, à la fois plastiques et olfactives, ces quelques œuvres se manifestent quant à elles sans aucun support visible ni tangible dans la galerie immaculée. Ainsi consacrées par cet espace du white cube[22]Le white cube est un modèle d’espace d’exposition qui s’installe en Europe et aux États-Unis au début des années 1930 en même temps que s’établit le paradigme moderniste … Continue reading qui leur permet d’exister dans la singularité de leur médium – mais aussi d’accéder au statut d’Art –, ces œuvres que l’on serait tenté de qualifier de « mono-sensorielles » ne peuvent cependant pas être purement olfactives puisque toutes se manifestent dans un espace qui reste visible et perceptible, un contexte (à la fois architectural, culturel, idéologique, empreint de son histoire et de ses habitus) avec lequel elles conversent nécessairement. Ce sont non seulement ces rapports dialectiques entre le lieu d’exposition et les odeurs employées comme unique médium d’expression par les artistes que je me suis attachée à démêler lors de cette intervention, mais également la manière dont certaines de ces interventions sensibles questionnent la notion de représentation.

Parce que cette forme de création invisible, reposant sur une matérialité volatile, peut sembler a priori impossible à documenter et à préserver, ces problématiques ont été placées au cœur d’une autre session, intitulée « Curating and Preserving Olfactory Art and Heritage » et portée par les historiennes de l’art Érika Wicky et Marjolijn Bol ainsi que par le chimiste Olivier David (également rédacteur pour Nez). L’archivage et la conservation des œuvres olfactives – mais également des parfums et même des odeurs (d’artefacts, de lieux patrimoniaux, etc.) – constituent en effet des défis majeurs. « Comment adapter les outils de l’histoire de l’art (description, illustration, etc.) au nouveau médium de l’olfaction ? » s’interrogent notamment les chercheurs, ouvrant la réflexion à un vaste panel de pratiques non seulement artistiques mais également patrimoniales.

Plusieurs propositions ont été avancées lors de cette session durant laquelle sont notamment intervenus Georgios Alexopoulos et Victoria-Anne Michel, membres du consortium Odeuropa de 2020 à 2023, présentant une communication co-écrite avec Cecila Bembibre et Emma Paolin. La notion de patrimoine olfactif, au cœur de ce projet de recherche européen, appartient au concept plus large de patrimoine sensoriel qui existe depuis une dizaine d’années et repose sur l’hypothèse selon laquelle il existerait dans une culture ou une société donnée des aspects sensoriels – liés à ses paysages, sa culture matérielle, ses pratiques, ses savoir-faire, ses mœurs passés ou présents – qui seraient constitutifs et dignes de faire l’objet d’une conservation ou d’une réactivation particulières[23]En 2018 les savoir-faire liés aux parfums en Pays de Grasse ont été inscrits par l’Unesco sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Mais les odeurs elles-mêmes … Continue reading. Les chercheurs ont ainsi présenté (et donné à sentir) un certain nombre de cas d’étude, depuis l’adaptation d’une formule destinée à parfumer les gants en cuir au XVIIe siècle jusqu’à la reconstruction de l’odeur de la voiture royale P5B d’Elizabeth II, désormais objet de musée. Victoria-Anne Michel a également insisté sur l’importance des perceptions olfactives en lien avec les lieux patrimoniaux et plus particulièrement les galeries, bibliothèques, archives et musées (réunis sous l’acronyme GLAMs) qu’elle étudie notamment grâce aux témoignages écrits et oraux, historiques et contemporains, de « nose witnesses » – terme dérivé de l’anglais « eyewitness » qui désigne un témoin oculaire, et que l’on pourrait donc traduire par « témoin olfactif »[24]De la même manière, l’étude des œuvres olfactives à distance – que les œuvres soient anciennes ou simplement géographiquement inaccessibles aux chercheurs – pose d’évidentes … Continue reading.
À cette intervention s’articulait particulièrement bien celle d’Isabelle Chazot qui est revenue sur l’approche de l’Osmothèque dont elle préside le comité scientifique[25]L’Osmothèque, située à Versailles, est l’unique institution au monde consacrée à la conservation des parfums anciens et contemporains. Avoir convié cette institution à intervenir … Continue reading. Outre le travail de repesée et de préservation de parfums historiques et contemporains effectué depuis plus de trente ans par cette institution unique au monde – dont les caves maintenues dans l’obscurité à une température de 12°C n’ont rien à envier aux réserves de certains musées – de nouvelles missions incombent désormais à l’Osmothèque en tant qu’acteur majeur de la conservation et de la transmission du patrimoine olfactif sous toutes ses formes. Elle accueillera notamment les reconstitutions historiques composant la Heritage Smell Library[26]Voir : https://odeuropa.eu/the-heritage-smell-library/  issues des trois années de collaboration entre Odeuropa et IFF, et envisage de devenir également un acteur de la conservation de l’art olfactif. Un élargissement qui réclame un véritable travail de réflexion pour répondre de manière pertinente et exigeante aux enjeux théoriques, méthodologiques et pratiques de tels projets. Le projet NOMEN[27]Isabelle Reynaud Chazot, Alice Camus, Sophie-Valentine Borloz, Olivier David, Erika Wicky, et al., « PROJET NOMEN La classification des compositions odorantes à visée historique : Repeser, … Continue reading initié par l’Osmothèque se propose par exemple d’établir un cadre théorique et une nomenclature internationale pour classifier correctement les différents types de reconstitutions olfactives historiques en les qualifiant en fonction de la méthodologie utilisée (Repesées, Adaptations, Reconstructions, Interprétations ou Évocations).

Lizzie Marx présentant le parfum recomposé par IFF des gants d’Helena Schermar dans le portrait peint par Andreas Schus en 1630 lors d’une visite guidée olfactive du Musée d’Ulm, Allemagne.
Photo : Christina Kotsopoulou. © Odeuropa

Revenant au sujet de la dimension olfactive dans les arts, Sandra Barré a d’abord présenté l’exposition « Mondes Sensibles, une histoire sensorielle de l’œuvre d’art total » dont elle est la commissaire et qui se tient jusqu’au 12 janvier 2025 au Musée international de la parfumerie de Grasse. Les installations de trois artistes français, Tiphaine Calmettes, Florian Mermin et Camille Correas, y côtoient des archives convoquant d’autres œuvres multi-sensorielles de l’histoire du XXe siècle.[28]Alexandre Scriabine, Valentine de Saint-Point, Carolee Schneemann, Lygia Clark, Joseph Beuys, Bill Viola, Jean-Pierre Bertrand… C’est à partir de ces œuvres – dont l’histoire de l’art occidentale, obnubilée par les images, a souvent oublié les autres dimensions sensorielles – que la chercheuse a entrepris un travail de reconstitution, en partenariat avec les parfumeuses du studio Flair.[29]En 2018, l’historienne de l’art Caro Verbeek avait déjà tenté de recréer, ou plutôt d’interpréter, les senteurs de différentes œuvres historiques, notamment, avec l’aide … Continue reading En l’absence presque totale de sources écrites documentant la dimension odorante de ces projets, ce sont là encore les témoignages de personnes ayant fait l’expérience de ces œuvres qui ont permis de composer des interprétations de leur odeur. Dans la salle de conférence, le public a par exemple pu découvrir les effluves aromatiques qui auraient pu être ceux perçus en 1975 par les spectateurs de l’œuvre Il vapore de Bill Viola [décédé le jour de la publication de cet article][30]Cette installation comprend un moniteur vidéo montrant un film en noir et blanc d’une performance dans laquelle l’artiste remplissait une casserole en laissant couler de l’eau par … Continue reading, interprétés par Margaux Le Paih-Guerin, ou ceux, moins plaisants, qui auraient pu émaner de la performance Meat Joy de Carolee Schneemann en 1964, interprétés par Amélie Bourgeois.[31]Dans la performance qui a donné lieu à la vidéo qui en est aujourd’hui la seule trace archivée, huit interprètes largement dénudés, dont l’artiste elle-même, dansaient, puis … Continue reading Ce type de recompositions trouveront-elles bientôt une place dans les archives des musées et des fondations, ou peut-être dans celles de l’Osmothèque ? C’est le souhait exprimé par la chercheuse qui espère ainsi que les senteurs seront désormais considérées comme faisant intégralement partie de ces œuvres, encourageant une écriture plus complète de l’histoire de l’art du siècle dernier.
Également invitée à présenter ses recherches, Viveka Kjellmer s’est enfin exprimée sur ce qu’elle nomme « l’ekphrasis olfactive »,[32]Le terme ekphrasis (du grec ancien ἐκφράζειν, « expliquer jusqu’au bout ») désigne une description précise et détaillée. Il est particulièrement utilisé en histoire et en … Continue reading c’est-à-dire les stratégies sensorielles et linguistiques mises en place dans les œuvres et les expositions impliquant l’olfaction afin de porter du sens. À partir de trois études de cas suédois, il s’agissait pour elle d’expliquer non seulement la nature de l’expérience olfactive dans ces contextes artistiques, mais également la manière dont celle-ci peut être véritablement signifiante. Elle est ainsi revenue sur l’exposition « Aquanauts : The Expedition [33]Voir : https://www.aquanauts.se/exhibition» présentée en 2023 au Östergötlands Museum et qui associait à des figures imaginaires des parfums créés par Karolina Stockhaus, ainsi que sur l’installation de l’artiste chinois Zheng Bo à la Göteborgs Konsthall, The Pleasure of Slowness [34]Voir : https://goteborgskonsthall.se/en/exhibition/the-pleasure-of-slowness/(2023), composée d’un tapis vivant de différentes espèces de mousses odorantes traduisant une perspective profondément éco-sensible. Son intervention s’est achevée sur une proposition de visites guidées portées par un storytelling olfactif de l’exposition de la photographe Ingrid Pollard qui s’ouvrira en octobre 2024 au Hasselblad Center.

 Embrasser les multi-sensorialités

Viveka Kjellmer, accompagnée par Érika Wicky et Astrid von Rosen, était également à l’origine de la session « Multisensory materiality » qui se tenait le lendemain et proposait d’approcher l’art – même a priori visuel – par le prisme de l’odorat, de l’ouïe, du toucher et du goût : « Nous nous intéressons à la manière dont les approches multi-sensorielles peuvent nous aider à reconsidérer ce qui a été obscurci au cours des années où l’on s’est concentré sur les aspects visuels de l’art. » 

La première communication, proposée par Hsuan Hsu, situait les pratiques olfactives au cœur d’importants enjeux politiques : partant du concept de « smellscape[35]J. Douglas Porteous, « Smellscape », Progress in Physical Geography: Earth and Environnement, Vol. 9, n° 3, pp. 356-378. » inventé par le géographe J. Douglas Porteous en 1985, le chercheur américain s’est intéressé à la manière dont les paysages olfactifs et les atmosphères peuvent être des agents de pouvoir et de différenciation (environnementale, sociale, raciale, coloniale…). En explorant la notion de « mémoire distribuée », il s’est concentré sur la manière dont certaines œuvres d’art odorantes peuvent raviver des mémoires collectives endommagées ou occultées par la mémoire dominante, imprégnée notamment de colonialisme et de post-colonialisme. L’ouvrage In sensorium (2022) de Tanaïs [voir Nez #13 –  De près ou de loin] est cité par le chercheur comme une référence dans sa manière de s’intéresser au parfum comme un moyen de réfléchir à – et éventuellement guérir de – certaines oppressions mais également de se réapproprier une mémoire dans une perspective décoloniale. Et Hsuan Hsu de revenir sur une récente exposition au Denver Art Museum, « Near East to Far West : Fictions of American & French Colonialism [36]Voir : https://www.denverartmuseum.org/en/exhibitions/near-east-far-west», dans laquelle étaient présentées deux œuvres olfactives – Sarab (qui signifie « mirage » en arabe) et Hawa (qui signifie « air » ou « vent ») – de l’artiste et parfumeuse Dana El Masri. Cette dernière y invitait le public à se confronter ce que l’orientalisme peut signifier en termes olfactifs et pas seulement picturaux, c’est-à-dire la manière dont les occidentaux se représentent en odeurs un « Orient » fantasmé n’ayant aucun lien avec l’expérience vécue des peuples des quelques 200 pays et cultures rassemblés sous cette appellation vague et problématique.

Vue de l’installation de Dana El Masri dans l’exposition « Near East to Far West. Fictions of French and Americain Colonialism », Denver Museum of Art, 5 mars – 29 mai 2023. Courtesy du Denver Art Museum.

Dani Ezor a de son côté présenté une communication examinant la matérialité et la signification des objets de toilettes, notamment destinés aux parfums et produits parfumés, dans les Antilles françaises au XVIIIe siècle et dont la présence dans certaines toiles du XVIIIe siècle participe à qualifier la blanchité (whiteness) des figures féminines par opposition aux femmes noires. Dans le Portrait de la famille Choiseul-Meuse à la Martinique, peint vers 1775 par Marius-Pierre Le Masurier, cette différenciation raciale entre la femme blanche et la nourrice créole par la représentation d’éléments olfactifs est particulièrement évidente, à une époque où la théorie des miasmes a encore cours et où les conceptions racistes se basent notamment sur un discrimination olfactive entre les individus et les communautés en fonction de leur couleur de peau et de leur origine sociale[37]En outre, « au cœur de la sociabilité des élites dans la France des Lumières, la toilette est devenue un lieu essentiel de construction identitaire au XVIIIe siècle » (Dani Ezor, … Continue reading. Certains soutiennent ainsi que les noirs produiraient des odeurs miasmatiques dont il conviendrait, pour les blancs, de se protéger.[38]Jean-Baptiste Thibault de Chanvalon, Voyage à la Martinique , contenant diverses observations sur la physique, l’histoire naturelle, l’agriculture, les mœurs et les usages de cette … Continue reading Dans les Caraïbes notamment, l’aristocratie blanche fera donc usage du parfum non seulement comme d’un produit qui marque le luxe, le raffinement et la féminité, mais également pour se prémunir des maladies supposément portées par les odeurs des noirs et s’en distinguer… Ainsi la table de toilette de Mme de Choiseul-Meuse, avec son bouquet de roses, ses flacons et ses boîtes en laque – matière inaltérable qui représente une forme de protection de la bonne odeur – incarne bien cette différenciation olfactive.
Moins directement consacrées aux odeurs, d’autres communications ont encore évoqué la dimension odorante au sein de formes de création immersives et/ou participatives, à l’instar de la proposition de Michael Barg au sujet de l’expérience multi-sensorielle des jardins italiens du début de l’époque moderne, ou encore de l’intervention de Fabiana Senkpiel concernant les méthodes de documentation applicables aux œuvres performatives composées avec des aliments (et donc souvent fortement odorantes). Ce sont ainsi près d’une dizaine d’interventions d’une grande variété qui ont considéré, de près ou de loin, la question de la matérialité olfactive et de ses enjeux dans les arts et le patrimoine. « J’ai été agréablement surpris, commente Hsan Hsu à l’issue de l’événement, par le nombre et la qualité des conversations sur l’esthétique olfactive. Ensemble, les présentations démontrent une gamme passionnante d’approches de la recherche sur les médias olfactifs, de la curation, de la conservation et des parfums “patrimoniaux” à la multimodalité, l’ekphrasis, la décolonialité et les sciences humaines environnementales. » 

À l’heure où les artistes n’hésitent plus à employer parfums et odeurs comme moyens d’expression et matières à création, où les chercheurs proposent de nouvelles lectures olfactives de l’histoire de l’art, où les institutions culturelles et patrimoniales s’emparent plus que jamais des senteurs comme objets de patrimoine, outils de médiation ou leviers d’inclusion, ce 36e congrès du CIHA marque sans nul doute un moment important pour le développement et la reconnaissance de tout un pan de la culture olfactive.

Visuel principal : Camille Correas, Subflux, 2024. Vue de l’exposition « Mondes Sensibles, une histoire sensorielle de l’œuvre d’art totale », Musée International de la Parfumerie de Grasse, 14 juin 2024 – 12 janvier 2025. © Benoit Page

Notes

Notes
1 On assiste selon lui, dans les années 1980-1990, à un regain d’intérêt pour la dimension sensorielle dans les sciences humaines, d’abord en anthropologie mais également en histoire, sociologie, philosophie, linguistique, sémiologie, littérature, histoire de l’art, etc. (David Howes, Sensual relations : Engaging the senses in culture and social theory, University of Michigan Press, 2003.)
2 M. Cap, « Un nouvel Art. – L’Osphrétique », L’Illustation, Vol. 3, n° 71, 4 juillet 1844, p. 294.
3 Jacques Babinet, Etudes et lectures sur les sciences d’observation et leurs applications pratiques, Vol. 5, Paris, Mallet-Bachelier, 1858, pp. 182-186 : publié pour la première fois le 2 septembre 1857 dans Le Journal des Débats.
4 Lui-même émule du Père Castel qui, peu avant lui, aurait évoqué l’idée d’un « clavecin des odeurs », pendant de son projet, plus connu, de « clavecin pour les yeux » (1725) (Voir : « Synaesthesia Music and the Senses », The Scotsman, 30 novembre 1950, p. 8).
5 Polycarpe Poncelet, Chimie du goût et de l’odorat, ou Principes pour composer facilement, & à peu de frais, les liqueurs à boire, & les eaux de senteurs, Paris, imprimerie de P. G. Le Mercier, 1755, pp. 238-240.
6 Pour n’en citer que quelques-uns : l’odophone imaginé par le parfumeur Septimus Piesse au milieu du XIXe siècle, l’ « ododion » imaginé par l’auteur allemand Kurd Lasswitz dans Bis zum Nullpunkt des Seins (1871) et repris par l’écrivain suédois Claës Lundin dans Oxygen och Aromasia (1878), ou encore l’orgue à parfums d’Aldous Huxley dans Le Meilleur des Mondes (1932), le « profumatóio a tastiera » proposé par Marinetti en 1933 dans « Teatro totale per masse », etc.
7 Adolphe Démy, Essai historique sur les expositions universelles de Paris, 1907, pp. 1015-1017.
8 Herbert Farjeon, « The nose has it », Sunday Pictorial, July 1, 1934.
9 Joris-Karl Huysmans, À Rebours, Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique », 1975 (1884), p. 157.
10 Pierre Piobb, « Science et art des parfums », La Liberté, 30 octobre 1910, p. 1-2.
11 Christopher Pearse Cranch, « A Plea for the Sense of Smell », Putnam’s Magazine, 1868, cité dans Christina Bradstreet, Scented Visions. Smell in Art, 1850-1914, Penn State University Press, 2022, p. 29.
12 Henry T. Finck, « The Aesthetic Value of the Sense of Smell », The Atlantic, décembre 1880, p. 798.
13 Ennio Valentini, « L’arte degli odori – Manifesto futurista », 1915.
14 Patrice de Riencourt de Longpré, Notes coordonnées d’histoire naturelle, Tome I, Paris, éditions Argo, 1930, pp. 181-184.
15 Emile Gautier, « La Publicité par le Nez », La Publicité : journal technique des annonceurs, 1er février 1920, p. 374.
16 Voir notamment les nombreux travaux de l’historienne de l’art néerlandaise Caro Verbeek.
17 Certainement parmi de nombreux autres facteurs comme la multiplication et la démocratisation des techniques de diffusion, la facilitation de l’accès aux matières premières, la normalisation des pratiques interdisciplinaires, ou encore l’introduction dans certains cursus d’école d’art de cours et d’ateliers dédiés à l’olfactif, à l’instar de l’atelier de recherche et création monté par Julie C. Fortier à l’Ecole européenne supérieure d’art de Bretagne, du Art Sense(s) Lab créé par Peter de Cupere à la PXL-MAD School of Arts à Hasselt en Belgique, des ateliers animés par Maki Ueda à la Royal Art Academy des Pays-Bas, de ceux créés par Ted Neeman pour la School of the Art Institute de Chicago,  du Perfume Art Project lancé par Yoko Iwasaki à la Saga Université de Kyoto, ou encore du partenariat institutionnel entre Firmenich et l’école d’art et de design londonienne Central Saint Martins.
18 Voir notamment : Mathilde Castel (dir.), Les Dispositifs olfactifs au musée, Paris, Le Contrepoint, coll. « Nez culture », 2018.
19 Ceci étant lié à un intérêt croissant pour le sujet de l’olfaction de manière plus vaste dans les sciences dures et les sciences humaines depuis les années 1980. Voir notamment : https://mag.bynez.com/art/la-peinture-par-le-bout-du-nez/
20 Catherine Bodmer, Mike Bouchet, Magali Daniaux et Cédric Pigot, Peter de Cupere, Heribert Friedl, Pierre Huyghe, Dane Mitchell, Laurie Mortreuil, Elodie Pong, Carlos Ramirez-Pantanella, Sean Raspet, Miriam Songster, Gérard Titus-Carmel, Sissel Tolaas, Trapier-Duporté, Maki Ueda, Clara Ursitti, Luca Vitone, Nadia Wagner, Amy Yao.
21 Voir notamment : Jim Drobnick, « Smell : The Hybrid Art », in Chantal Jaquet (dir.), L’Art olfactif contemporain, actes du colloque international La Création Olfactive, Paris, La Sorbonne, 23 – 24 mai 2014, Paris, Garnier, coll. « Classiques », 2015.
22 Le white cube est un modèle d’espace d’exposition qui s’installe en Europe et aux États-Unis au début des années 1930 en même temps que s’établit le paradigme moderniste de l’art dans lequel la vision est reine. Cet espace géométrique aux murs blancs, au sol uni, à l’éclairage zénithal artificiel devient le modèle dominant dans les galeries et les musées d’art modernes et contemporains.
23 En 2018 les savoir-faire liés aux parfums en Pays de Grasse ont été inscrits par l’Unesco sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Mais les odeurs elles-mêmes ne tombent ni sous la définition d’un patrimoine matériel ni sous celle d’un patrimoine immatériel. En 2021, la France a adoptée une loi qui reconnaît du moins l’existence d’un « patrimoine sensoriel des campagnes », c’est-à-dire les sons et odeurs caractéristiques de la vie rurale qu’il serait nécessaire de protéger car ils font partie de « l’identité culturelle des territoires ».
24 De la même manière, l’étude des œuvres olfactives à distance – que les œuvres soient anciennes ou simplement géographiquement inaccessibles aux chercheurs – pose d’évidentes difficultés méthodologiques puisque la reproduction visuelle en est intrinsèquement lacunaire. La recherche concernant ces œuvres et ces pratiques se fonde donc très largement sur des éléments discursifs issus notamment de différentes ressources para-textuelles (monographies, catalogues d’exposition, articles de presse, cartels, notes d’intention, dossiers de presse…), ainsi que sur des entretiens menés avec les artistes, galeristes ou commissaires d’exposition ainsi qu’avec le public dont les témoignages sont essentiels.
25 L’Osmothèque, située à Versailles, est l’unique institution au monde consacrée à la conservation des parfums anciens et contemporains. Avoir convié cette institution à intervenir lors de ce congrès est d’ailleurs aussi une consécration : celle d’un progrès dans la reconnaissance de la parfumerie comme une forme d’art.
26 Voir : https://odeuropa.eu/the-heritage-smell-library/ 
27 Isabelle Reynaud Chazot, Alice Camus, Sophie-Valentine Borloz, Olivier David, Erika Wicky, et al., « PROJET NOMEN La classification des compositions odorantes à visée historique : Repeser, reconstituer, reconstruire ou réinventer un “parfum” ancien ? », 2023.  <https://hal.science/hal-04157027>
28 Alexandre Scriabine, Valentine de Saint-Point, Carolee Schneemann, Lygia Clark, Joseph Beuys, Bill Viola, Jean-Pierre Bertrand…
29 En 2018, l’historienne de l’art Caro Verbeek avait déjà tenté de recréer, ou plutôt d’interpréter, les senteurs de différentes œuvres historiques, notamment, avec l’aide du parfumeur IFF Bernardo Flemming, celles des Métachories (1913) de Valentine de Saint-Point (à sentir dans l’exposition « Mondes sensibles » au MIP de Grasse), de l’exposition Internationale du Surréalisme de 1938 ou de l’exposition First Papers of Surrealism de 1942 (avec l’aide du parfumeur IFF Bernardo Flemming), mais également celle de The Beanery (1965) d’Edward Kienholz (en collaboration avec l’artiste Esther Brakenhoff). Voir : https://futuristscents.com/2018/12/12/the-museum-of-smells-art-historical-scents-at-the-stedelijk-museum-amsterdam/
30 Cette installation comprend un moniteur vidéo montrant un film en noir et blanc d’une performance dans laquelle l’artiste remplissait une casserole en laissant couler de l’eau par la bouche, ainsi qu’un récipient en métal posé sur un plaque chauffante devant le moniteur et contenant de l’eau et des feuilles d’eucalyptus, chargeant l’air d’une vapeur parfumée.
31 Dans la performance qui a donné lieu à la vidéo qui en est aujourd’hui la seule trace archivée, huit interprètes largement dénudés, dont l’artiste elle-même, dansaient, puis rampaient et entremêlaient leurs corps tout en « jouant » avec du poisson, de la viande et de la volaille crus.
32 Le terme ekphrasis (du grec ancien ἐκφράζειν, « expliquer jusqu’au bout ») désigne une description précise et détaillée. Il est particulièrement utilisé en histoire et en critique d’art pour désigner la description des œuvres.
33 Voir : https://www.aquanauts.se/exhibition
34 Voir : https://goteborgskonsthall.se/en/exhibition/the-pleasure-of-slowness/
35 J. Douglas Porteous, « Smellscape », Progress in Physical Geography: Earth and Environnement, Vol. 9, n° 3, pp. 356-378.
36 Voir : https://www.denverartmuseum.org/en/exhibitions/near-east-far-west
37 En outre, « au cœur de la sociabilité des élites dans la France des Lumières, la toilette est devenue un lieu essentiel de construction identitaire au XVIIIe siècle » (Dani Ezor, « White when Polished : Race, Gender, and the Materiality of Silver at the toilette », Journal 18, n° 14, automne 2022.<https://www.journal18.org/issue14/white-when-polished-race-gender-and-the-materiality-of-silver-at-the-toilette/>
38 Jean-Baptiste Thibault de Chanvalon, Voyage à la Martinique , contenant diverses observations sur la physique, l’histoire naturelle, l’agriculture, les mœurs et les usages de cette isle, faites en 1751 & dans les années suivantes, Paris, C.-J.-B. Bauche, 1763.

Smell Talks : Dominique Roques – Le destin des arbres à parfum

Également disponible sur : SpotifyDeezerApple PodcastsAmazon MusicYoutube

Dominique Roques a été sourceur d’ingrédients naturels pendant plus de trente ans. Auteur du livre Le Parfum des forêts (Grasset, 2023) et de Cueilleur d’essences (Grasset, 2021), il retrace dans cet épisode le destin des arbres à parfums.

Du 21 au 24 mars 2024, entre salon et festival, la première édition de la Paris Perfume Week a réuni professionnels et amateurs passionnés au Bastille Design Center. Son objectif : rendre compte de l’effervescence de la culture olfactive, et mettre en avant les acteurs d’une industrie multiple – marques, maisons de composition et producteurs de matières premières. Sur la scène des Smell Talks se sont succédées des masterclass de grands parfumeurs… et des conférences et tables rondes sur les dernières avancées de la recherche, ou les relations que le parfum peut entretenir avec l’art, la musique, le cinéma ou la mode. Nez vous propose de redécouvrir certaines de ces interventions.

Crédit photo : © Clément Savel.

« 5th Experimental Scent Summit » : la culture olfactive sous le ciel lisboète

C’est entre les effluves de pastéis de nata, de tilleuls en fleurs et de pavés humides que s’est tenue le 6 juin dernier la 5e édition de l’Experimental Scent Summit, organisé cette année à Lisbonne par l’Institute for Art and Olfaction de Los Angeles. Une journée riche en rencontres et échanges autour de la culture olfactive, rassemblant chercheurs, artistes et parfumeurs du monde entier.

Après Berlin, Londres, Amsterdam, une édition 2020 en ligne et quatre années de pause pour cause de pandémie, c’est avec joie que les organisateurs (Saskia Wilson-Brown, Klara Ravat, Julianne Lee et Miguel Matos) ont à nouveau réuni une communauté de professionnels et de passionnés pour évoquer, le temps d’une journée, des sujets aussi divers que la trans-modalité dans l’art, l’usage des senteurs dans les cultures de Mésoamérique, ou encore la composition de parfum sous forme de cadavres exquis olfactifs !

L’art olfactif à l’honneur

Sous les ors néo-baroques de la Casa do Alentejo, au cœur de la capitale portugaise, l’artiste américaine Megan Linderman a ouvert la journée avec la présentation de son projet Love, Trust, and Chlorine (2024) pour lequel elle s’intéresse à l’odeur de l’oxytocine (ou ocytocine). L’occasion pour le public, composé d’une soixantaine de personnes venues d’une quinzaine de pays différents, de découvrir deux échantillons surprenants : l’un reproduisant le parfum « clinique et pourtant très humain » de l’oxytocine, l’autre sorti tout droit de l’imaginaire de l’artiste inspirée par ce neuropeptide surnommé « hormone du bonheur » en raison de son implication dans l’empathie, la confiance ou encore l’attachement chez l’être humain. Alliant deux substances invisibles traversant nos corps et agissant sur lui en même temps que sur notre psyché, ce projet, qui cherche encore sa forme finale, constitue la première incursion de l’artiste dans la création olfactive.

Également ancrée dans la biologie, l’expérience olfactive proposée par le parfumeur Maxwell Williams et l’artiste Sean Raspet, eux aussi originaires des États-Unis, s’est avérée plus déroutante encore : basé sur des études concernant les variations interindividuelles dans la perception de certaines molécules odorantes, en raison d’une diversité d’expression des gènes codant les récepteurs olfactifs impliqués dans leur réception, leur parfum Missense (2024) ne se compose que de molécules connues pour être perçues de manière très différentes d’une personne à une autre. Prenant le contrepied de la volonté de plaire au plus grand nombre et d’uniformiser la réception, Missense maximise la différence de perception et échappe à tout consensus. Incités par les artistes à verbaliser leur perception de la création, les participants ont d’ailleurs mobilisé un vocabulaire résolument éclectique pour tenter de caractériser ce qui semblait être, pour beaucoup, du « jamais senti » !

Outre ces formes de créations purement olfactives, plusieurs autres projets, à l’intersection des arts visuels, sonores, performatifs, numériques et olfactifs ont également été mis à l’honneur. L’artiste, compositrice et parfumeuse Jo Burzynska, venue spécialement de Nouvelle-Zélande, a ainsi mis en avant sa pratique multisensorielle fondée sur l’expérience de la transmodalité. Cette dernière –  souvent confondue avec la synesthésie – consiste en l’association, généralement partagée par un grand nombre d’individus, entre deux types de stimuli. « Si l’odeur du citron était une hauteur de son, serait-elle aigüe ou grave ? », interroge l’artiste pour illustrer son propos. La réponse de la salle est unanime : le parfum du citron est aigu. Écouter des notes hautes tout en humant une composition parfumée pourrait donc a priori augmenter la perception des notes hespéridées au sein de celle-ci. Ce sont ces considérations qui ont présidé à la création de plusieurs projets de l’artiste, comme The Frequency Range (2023), trois parfums inspirés par diverses hauteurs de notes, ou encore Scents take up the ringing (2024) associant le son, l’odeur et la couleur, dans une réflexion autour de la notion culturelle d’harmonie.

Le français Ugo Charron, musicien et parfumeur chez Mane, a pour sa part présenté un autre genre de proposition à la croisée des sens de l’ouïe, de la vue et de l’odorat. Les concerts immersifs organisés par Cosmic Gardens, le duo de musique électronique qu’il a cofondé il y a quelques années avec le français Clément Mercet, permettent en effet de déplacer les expériences olfacto-sonores depuis les galeries et les musées vers les salles de spectacle. Ces sets live, organisés en plusieurs chapitres portés par la musique mais également des compositions olfactives et visuelles, invitent à un voyage multisensoriel, depuis les tréfonds de l’océan jusqu’aux mystères de l’espace cosmique.

Peter de Cupere durant sa présentation « Odophones, Olfactory Art Augmented Reality & Nose Smellers » lors de la 5e édition de l’Experimental Scent Summit, Casa do Alentejo, Lisbonne.
© João Inocêncio Gomes / Institute for Art and Olfaction

Le belge Peter de Cupere, dont l’inventivité et la productivité dans le champ de la création olfactive depuis presque trente ans demeurent quasi inégalées, présentait quant à lui plusieurs œuvres inspirées par l’univers musical mais dénuées de son, à l’instar de son Olfactiano (1997-2004) ou de son récent Odomonica (2023-2024), sorte d’harmonica muet laissant échapper, au lieu de notes de musique, diverses notes odorantes activées par le souffle du joueur. Mais ce sont ses récentes œuvres olfactives en réalité augmentée que les participants ont pu expérimenter lors du Summit. Son QR Nose Smeller imprimé en 3D et destiné à se fixer directement sous les narines permet de sentir un parfum en même temps qu’un QR code, scanné à l’aide d’un smartphone ou d’une tablette, fait apparaître une sculpture virtuelle qui semble prendre place dans l’environnement direct du spectateur de manière d’autant plus réaliste que l’odeur, perçue simultanément, paraît presque en émaner directement…

À l’aune de sa propre pratique, l’artiste M Dougherty a de son côté exploré les possibilités de créer des illusions olfactives n’ayant rien à voir avec la fantosmie, qui n’est pas une illusion mais une hallucination se traduisant par la perception d’une sensation olfactive en l’absence de molécules odorantes. L’illusion, elle, survient lorsque les stimuli et la perception ne correspondent pas : perception similaire de deux stimuli différents ou perception différente de stimuli similaires, par exemple. Ce qui intéresse M Dougherty dans ce cadre est de déterminer par quels moyens l’artiste peut être en mesure de contrôler la perception olfactive de celles et ceux qui font l’expérience de son œuvre : inadéquation orchestrée entre l’odorat et la vue, manipulation des attentes, suggestion linguistique ou encore effets de masquage sont autant de techniques qui peuvent être employées pour troubler, orienter ou donner du sens aux expériences olfactives dans un contexte artistique.

Marquant la fin de la matinée, un parfum mêlé d’orange, de citron et de pamplemousse a finalement envahit la salle tandis que le public s’attachait à éplucher les agrumes distribués par l’artiste et musicienne américaine Hannah Marie Marcus. L’objectif ? Tenter de distinguer, dans l’un d’entre eux, une fragrance injectée dans le péricarpe par l’artiste qui présentait de cette manière son projet Citromancy (2023-2024). Ce rituel de divination – à prendre avec légèreté – est en effet réalisé par l’artiste à partir d’agrumes frais, reparfumés de l’intérieur par des matières premières dont chacune est associée à un message divinatoire particulier, restitué sous forme de poème. Votre kumquat cache une odeur de ciste-labdanum ? Le message est clair : « Soyez comme la chèvre / Traversez librement ce pont / Entre les vivants et les morts / Et grignotez des arbustes / De chaque côté, je peignerai votre barbe / Pour trouver de la résine. »

Diversité des pratiques olfactives

Mais les artistes n’étaient pas les seuls à présenter leurs travaux lors de cette journée dense en communications. Des praticiens d’autres disciplines – parfumerie, aromathérapie, ingénierie et même prestidigitation – ont également pu monter sur scène afin de partager leurs propres approches du monde invisible des odeurs. Elena Roadhouse, aromathérapeuthe et parfumeuse, s’inspire par exemple de l’image du kintsugi – cet art japonais de la réparation des céramiques brisées au moyen d’une laque saupoudrée d’or – pour évoquer son accompagnement olfactif et psychologique des femmes en période de ménopause et périménopause. Après avoir invité le public à un exercice de relaxation par le souffle accompagnée par une fréquence sonore relaxante agissant sur le système nerveux parasympathique et d’un parfum aromatique, boisé et terpénique, Elena Roadhouse s’est attachée à expliquer la manière dont elle allie, en consultation, la méthode jungienne de l’imagination active à des parfums naturels composés spécifiquement pour chaque patientes.

Plus ancré dans la technique, Simon Niedenthal, professeur de design d’interaction, s’est attardé sur l’irruption du corps et des sens non-visuels dans la discipline qu’il enseigne à l’Université de Malmö en Suède. En revenant sur plusieurs projets développés avec ses étudiants, il s’est attaché à démontrer que (presque) tout le monde est en mesure de créer des prototypes de diffuseurs olfactifs. L’utilisation de composants électroniques simples, de micro-contrôleurs, de prototypage papier, de l’impression 3D et de la découpe laser, mais aussi le hackage de dispositifs existants, constituent en effet des ressources relativement accessibles permettant d’imaginer des dispositifs olfactifs adaptés à divers usages (muséologie, éducation, communication, divertissement…) grâce à différents modes de diffusion et types d’interaction.

Sarah McCartney durant sa présentation « Scenting Manet. Imagining the Aromas of The Bar at the Folies-Bergère » lors de la 5e édition de l’Experimental Scent Summit, Casa do Alentejo, Lisbonne.
© João Inocêncio Gomes / Institute for Art and Olfaction

Ce sont aussi des dispositifs de cette sorte, spécifiquement muséologiques, qu’a brièvement présenté Sofia Ehrich, historienne de l’art et commissaire d’exposition américaine associée au projet Odeuropa et co-autrice du très utile Olfactory Storytelling Toolkit, un guide pratique à destination des institutions culturelles intéressées par la dimension olfactive. Comme en écho à cette intervention, la parfumeuse et autrice britannique Sarah McCartney a pour sa part résumé le projet mené récemment avec un groupe d’étudiants à la Courtauld Gallery de Londres : imaginer les odeurs qui auraient pu émaner du chef-d’œuvre de la collection, Un Bar aux Folies-Bergère d’Édouard Manet. Divers éléments visuels du tableau (les boissons, les mandarines confites, la foule…) mais également des savoirs historiques au sujet des parfums des années 1880, ont permis de créer six parfums qui pouvaient notamment être découverts sur mouillettes lors de visites guidées.

Des pratiques a priori plus éloignées encore de la parfumerie ont également été représentées lors de cette journée. Prestidigitateur devenu parfumeur, Michael Paul s’est intéressé aux liens entre ces deux pratiques qui reposent, l’une comme l’autre, sur l’illusion et la « magie », qui dépendraient, selon lui, uniquement de la perception du public. Il s’agit donc de jouer avec les attentes et l’attention, et de soigner la narration, afin de créer une véritable expérience sortant de l’ordinaire. L’artiste Klara Ravat, fondatrice du Smell Lab à Berlin, et le parfumeur Miguel Matos, sont quant à eux revenus sur certaines de leurs expérimentations de composition olfactive, ludiques et joyeusement « irrationelles », pour reprendre leur propre expression. Ainsi les deux acolytes ont-ils par exemple imaginé des sessions de création collective en s’inspirant du jeu du cadavre exquis, dans lequel chaque participant, professionnel ou amateur, ajoute un ingrédient à la formule. D’autres séances invitaient le hasard dans le processus, en proposant de composer un parfum grâce à un tirage de tarot dont chaque carte était associée à une matière première. De quoi désacraliser la parfumerie et rendre l’expérience olfactive amusante et accessible !

Des chercheurs au nez fin

L’Experimental Scent Summit a ceci d’exceptionnel qu’il autorise une grande diversité de voix, et à celles des artistes, des parfumeurs et des expérimentateurs de tous bords, s’ajoutaient celles de chercheurs dont les travaux viennent enrichir ce champ relativement récent des Sensory studies. Alessandra Mondin a notamment dévoilé une recherche passionnante et inédite au sujet de la représentation olfactive des personnages queer dans le cinéma anglo-américain. En examinant des films et séries dramatiques des XXe et XXIe siècles – Le Faucon Maltais (1941), Adieu, ma belle (1944), Carol (2015), Killing Eve (2018-2022)–  iel s’est intéressé·e à la manière dont les personnages queer, qu’ils soient explicitement ou implicitement désignés comme tels, sont souvent associés à l’écran à une diversité de références et de moments parfumés, tandis que la masculinité hétérosexuelle n’est généralement associée olfactivement qu’à la fumée des cigares et cigarettes…

Plus que le cinéma, c’est l’art et la mode qui intéressent l’historienne Lily McGonigal, également invitée à partager ses travaux lors de cette journée. La chercheuse s’est ainsi attachée à expliquer son choix d’associer des parfums, pour la plupart issus de marques de niche, à diverses œuvres surréalistes afin d’évoquer, auprès de ses étudiants, l’obsession protéiforme de ce mouvement pour l’érotisme et le corps féminin. Convaincue des effets positifs de cette expérience pédagogique olfactive, Lily McGonigal y voit une manière d’engager plus fortement l’attention des élèves mais en défend également la pertinence au regard à la fois de sa discipline – « L’histoire de la mode est l’histoire des traces que nos corps laissent derrière eux » – et de la sensibilité multisensorielle de nombre d’artistes du mouvement surréaliste.

Flacons durant la présentation de Laura Prieto « The Impossible Challenge of Recreating Ancient Perfumes » lors de la 5e édition de l’Experimental Scent Summit, Casa do Alentejo, Lisbonne.
© João Inocêncio Gomes / Institute for Art and Olfaction

Membre de l’Institut de chimie organique et de biochimie de l’Académie tchèque des sciences, Laura Prieto a de son côté résumé les défis liés à la tentative de recréer des parfums antiques, démarche de plus en plus courante, à la fois du côté de l’archéologie expérimentale et de celui des institutions culturelles. La difficulté d’employer certains ingrédients, disparus ou désormais presque introuvables sous leur forme originale, les changements environnementaux qui ont parfois modifié la disponibilité ou le profil olfactif de certaines matières naturelles, ou encore la mécompréhension des techniques anciennes qui ne sont pas toujours reproductibles avec des équipements modernes, sont quelques unes des raisons invoquées par la chercheuse pour affirmer l’impossibilité de prétendre reproduire à l’identique les parfums du passé. 

Également membre de Alchemies of Scent, groupe de recherche pluridisciplinaire basé à Prague s’intéressant à la parfumerie gréco-égyptienne antique, Sean Coughlin, philosophe et historien, s’est de son côté éloigné de ses spécialités pour livrer une réflexion sur l’une des figures les plus célèbres – et controversée – de la parfumerie moderne : François Coty. Après avoir rappelé le côté le plus sombre de l’héritage de Coty, notamment ses affiliations fascistes et son soutien à des organisations nationalistes et anti-communistes, le chercheur s’est intéressé aux origines mystérieuses du nom de l’un de ses plus célèbres parfums, L’Origan (1905), retraçant ses origines jusqu’au mythe de grec d’Amaracus, parfumeur de la cour de Chypre et transformé par Aphrodite en plant de marjolaine (Origanum majorana). Se pencher sur cette histoire, ancienne et moderne, résume-t-il, est également intéressant « à cause de ces histoires, réelles et légendaires, qui continuent d’informer notre manière de considérer le parfum et la parfumerie. »

C’est d’ailleurs aussi un regard trans-historique, portant cette fois sur l’usage des parfums en Mésoamérique, qu’a proposé le parfumeur Matthew Sànchez au public du Summit. Évoquant la diversité des pratiques olfactives (sociales, spirituelles, médicinales, hygiéniques….) des peuples pré-colombiens, il s’est attardé sur certaines matières odorantes – de la résine de copal au cacao en passant par la figue de barbarie, l’eucalyptus et certaines variétés de lys ou de faux-jasmin – avant de faire le lien avec les pratiques olfactives, toujours très diversifiées, des populations de l’actuel Mexique. Une longue histoire qui étend son influence sur la parfumerie contemporaine, puisque certains créateurs, à l’instar de Matthew Sanchèz lui-même, puisent encore dans celle-ci pour composer leurs propres fragrances.

Explorant à son tour une part de son héritage culturel, l’artiste Maki Ueda, qui se consacre depuis peu à des travaux de recherche plus universitaires, a proposé une étude de cas de « méta-communication olfactive » en se basant sur un classique de la littérature japonaise : Le Dit du Genji (XIe siècle), attribué à Murasaki Shikibu. « Que peut-on, nous humains, communiquer à travers les odeurs ? » s’interroge Maki Ueda. En associant différentes compositions d’encens basées sur des recettes traditionnelles associées à certains moments et personnages clés du Dit du Genji, elle a notamment illustré la manière dont le parfum peut ajouter une strate de lecture nouvelle au récit, et à toute forme de communication, à la condition explicite d’une forme d’ « alphabétisation olfactive » commune permettant une « lecture » et une interprétation partagée.

Enfin, revenant à notre culture occidentale moderne, j’ai moi-même présenté mon dernier projet de recherche, à la croisée des sciences de la vie et de la philosophie environnementale. J’ai ainsi souligné l’importance de raviver notre capacité à percevoir et à interpréter les odeurs du monde vivant de manière désanthropocentrée, en incitant à porter attention aux senteurs émises par les végétaux, les champignons, les animaux ou encore les bactéries, tout en se rappelant qu’elles sont toujours le signe que quelque chose se passe ou s’échange au sein du tissu du vivant. Faire un usage conscient, délibéré et informé de notre odorat à l’endroit du vivant permettrait, il me semble, de faire l’expérience consciente de l’air en tant qu’habitat partagé et d’initier une reconnexion essentielle avec le reste de la communauté biotique.

Les 10 ans des Art and Olfaction Awards

Le lendemain de cette dense journée consacrée à la culture olfactive au sens large s’est tenue la soirée de remise des prix des Art & Olfaction Awards, marquant le retour d’un événement important pour la parfumerie indépendante, qui fêtait cette année ses 10 ans. Dans la catégorie « Indépendants », ont été récompensés Amnesia Rose de Luca Maffei pour Aedes de Venustas et IV de Kévin Mathys pour Kajal tandis que, dans la catégorie « Artisan », se sont distingués Grove in the Heart de Na-Moya et Debbie Lin pour Samar et Cocktail Molotov de Sy Truong pour Sylhouette. Également récompensés : Arabian Jasmine de Amer Al Radhi pour Amer Perfumes qui reçoit le « Aftel Award for Handmade Perfume » et Queer de Russie de Ksenia Golovanova et Valery Mikhalitsyn pour Nose Republic qui remporte le « Newcomer Award ».

Accueil de la soirée de la 10e édition des Art and Olfaction Awards, Casa do Alentejo, Lisbonne.
© João Inocêncio Gomes / Institute for Art and Olfaction

Les artistes Jas Brooks et Pedro Lopes ont quant à eux reçu le prix Sadakichi – destiné aux pratiques créatives olfactives – pour leur projet Smell and Paste. Cette boîte à outils de prototypage basse fidélité permet aux concepteurs d’interfaces homme-machine (notamment en réalité virtuelle) de tester simplement l’efficacité de l’interaction olfactive envisagée grâce à des autocollants en scratch and sniff à coller dans l’ordre voulu sur un ruban de papier qui se déroule dans une cassette imprimée en 3D ou en carton, libérant les senteurs de manière séquencée. « Nous postulons que les concepteurs ont besoin à la fois de matériel hi-fi pour le développement final et de techniques de prototypage basse fidélité pour rendre la conception d’expériences olfactives rapide, peu coûteuse et accessible », expliquent les deux concepteurs du projet.
Les jurys ont en outre honoré le projet Odeuropa dans son ensemble pour sa contribution à la culture olfactive, mais également la parfumeuse britannique Pia Long, qui a reçu le prix Septimus Piesse pour avoir su, ces dernières années, encourager les discussions entre les parfumeurs du monde entier et l’Ifra dans le but de défendre la liberté de création des parfumeurs. Un programme et un palmarès qui reflètent bien les missions de l’Institute for Art and Olfaction depuis sa création : « favoriser l’expérimentation et l’accessibilité dans le domaine de la parfumerie, de l’art olfactif et de toutes autres formes d’expressions olfactives. »

Visuel principal : Maki Ueda durant sa présentation « Possible Olfactory Meta-communication » lors du 5e Experimental Scent Summit, Casa do Alentejo, Lisbonne. © João Inocêncio Gomes / Institute for Art and Olfaction

Les Grands entretiens : Frank Voelkl

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C’est un parfumeur très discret. Il a pourtant créé pour Guerlain, Christian Dior, Hugo Boss ou encore Le Labo, avec le fameux Santal 33, immense succès de la parfumerie de niche. « Le parfum que l’on sent partout », dixit le New York Times, en 2015. Né en Allemagne, Frank Voelkl a étudié à Paris, et depuis 25 ans, ce globe-trotter formule à New York, pour des marchés aussi variés que l’Europe, l’Amérique du Sud ou encore la Chine. Nous l’avons rencontré au siège parisien de la maison de composition DSM-Firmenich.

Ce podcast vous est raconté par Guillaume Tesson.

Visuel principal : © DSM-Firmenich

Le parfum, un véritable mode de vie au Moyen-Orient

Partenariat éditorial

Encens, bakhours, attars… le parfum est profondément enraciné dans la culture omanaise, et d’abord sous sa forme originelle de per fumum, à travers la fumée. Cet amour des fragrances, largement partagé dans tout le Moyen-Orient, est lié à la représentation de soi et de l’autre, à ses propres valeurs et aux rites sociaux qui s’incarnent chaque jour ou pour les grandes occasions.

C’est sur ces terres que sont récoltées, transformées et sublimées depuis des siècles les résines aromatiques, les sécrétions magnifiques et les plantes odorantes desquelles la parfumerie puise ses ingrédients les plus précieux : la myrrhe et l’encens proviennent des rivages de la mer Rouge, l’ambre gris flotte au large de la péninsule arabique, la rose damascena pousse dans les montagnes de l’Hajar, à 2 000 mètres d’altitude. Et la chaleureuse cuisine de la région se délecte d’aromates comme la coriandre, la sauge ou la menthe, mais aussi la cannelle et le clou de girofle.

Et c’est également dans le monde arabique qu’est né l’alambic, au ve siècle, et que le procédé de distillation s’est perfectionné quelques siècles plus tard, sous l’influence des alchimistes qui développent des techniques pour extraire les huiles essentielles des plantes et les utiliser dans des parfums. Des méthodes qui ont amélioré l’art de la composition des fragrances et qui, une fois transmises aux Européens via l’Espagne et l’Italie, ont largement contribué à l’essor de la parfumerie moderne.

Savoir-faire ancestral et terroir de choix pour les plantes aromatiques : toutes les conditions sont réunies pour faire du parfum un élément capital du mode de vie oriental, profondément ancré dans la culture omanaise. D’autant que le sultanat jouit d’une position géographique privilégiée. Grâce au développement des techniques de navigation et des routes commerciales, la région voit transiter des produits venus d’ailleurs qui s’invitent dans la liste des ingrédients disponibles pour la parfumerie, tels que le musc de Chine, le safran d’Iran ou le santal d’Inde.

Depuis des siècles, les parfums sont utilisés dans la région pour des raisons culturelles et religieuses. Ils font partie intégrante du patrimoine. Leur usage est promu par la culture islamique au point que les parfums et l’encens occupent une place de choix dans les souks, au cœur de la cité, jamais bien loin des lieux de culte.

Les fragrances sont diffusées lors des prières, des rituels et des célébrations afin de créer une atmosphère sacrée et de favoriser la connexion au divin. 

À Oman et dans les émirats voisins, le parfum est souvent offert en cadeau pour des occasions spéciales et est devenu un signe d’amitié et de respect entre les cultures. Mais il relève également d’un usage quotidien, utilisé à toute heure de la journée pour différentes pratiques, qu’elles soient sociales ou intimes. 

Jamais ailleurs qu’ici le parfum n’a été aussi proche de ses origines de per fumum, à travers la fumée. La pratique de la fumigation dans la maison répond à de nombreux objectifs : se relaxer, purifier l’atmosphère, la rendre agréable, éloigner les mauvais esprits… Tous les foyers disposent ainsi d’un mabkhara, un brûleur traditionnel où se consument sur du charbon ardent quelques gouttes d’huile aromatique ou quelque morceau de bois odorant. On parle d’« encens » lorsque l’on brûle n’importe quelle matière odorante, et pas seulement le frankincense de la région.

Souk de Salalah
© Mulook Albalushi / Amouage

Chaque matin, opération bakhour : cet élément clé de la culture orientale désigne le processus quotidien de fumigation qui consiste à imprégner de parfum les vêtements et tissus d’ameublement de sa maison. Un bain de fumée qui s’étend au corps tout entier pour les grandes occasions : les futures mariées, par exemple, imprègnent littéralement par fumigation leurs vêtements, mais aussi leur peau et leurs cheveux, la veille de leurs noces.

Chez soi, le parfum est également un signe d’hospitalité. Recevoir ses hôtes avec du parfum fait partie du rite d’accueil essentiel à la culture arabe, quelle que soit sa condition sociale. Une atmosphère agréablement parfumée créerait un sentiment d’intimité, de confiance, d’appartenance. Lorsque les invités arrivent, les hôtes leur tendent un aspersoir d’eau florale comme l’eau de rose pour nettoyer leurs mains dans un geste élégant. À la fin du repas, à la place du café et pour indiquer à ses invités qu’il est temps de se retirer, un plateau de parfums est apporté, puis passé d’un hôte à l’autre autour de la table, des fragrances avec lesquelles ils sont incités à se parfumer.

Bois, épices, fleurs, résines, aromates… Parmi les matières premières emblématiques de la région, on trouve des notes boisées et le bois de santal, l’oliban, la myrrhe, l’opoponax et le ciste labdanum, le safran et la cannelle, la rose et le jasmin, le nard et la fleur d’oranger. Dans la liste de ces essences opulentes, l’oud tient une place privilégiée. Rare, cher et très prisé pour se distinguer, il se brûle sous forme de copeaux, tandis que son huile fauve et cuirée entre dans la composition des mukhallats, ces accords traditionnels puissants qui intègrent les formules des parfums moyen-orientaux.

Les senteurs sont également considérées comme un élément essentiel de l’esthétique personnelle et sont souvent associées à la beauté et au bien-être spirituel. Sentir bon va au-delà de l’hygiène, c’est aussi un moyen de ne pas offenser les autres. Si la cérémonie du bain et le nettoyage au savon noir et à l’eucalyptus au hammam constituent un rituel profondément ancré dans la culture moyen-orientale, à la sortie, hommes et femmes s’enduisent le corps et les cheveux d’huile parfumée. Purifier avant de se parer. Jamais avec de l’alcool, bien sûr, mais on utilise de l’huile comme support de composition. Les fleurs, les épices ou les herbes choisies sont distillées puis ajoutées à une essence de bois de santal. La composition de ces parfums huileux, appelés attars, peut être personnalisée en y joignant les ingrédients de son choix : rose, ambre, musc, oliban…
Le parfum devient également un moyen d’exprimer sa culture et son identité, qui concerne aussi bien les hommes que les femmes. Au Moyen-Orient, on n’hésite pas à mélanger les parfums entre eux. Ce processus de layering consiste à superposer différentes fragrances, ce qui accentue encore la personnalisation du parfum : outre le gel douche, on utilise des crèmes et des huiles pour parfumer le corps et les cheveux. On peut ainsi obtenir de nouvelles notes et varier l’intensité de ces accords singuliers. Brûler, respirer, s’imprégner, s’enduire : le peuple arabe ne craint pas le corps à corps avec des odeurs sensuelles et mystérieuses, ambrées et musquées.

AU SOMMAIRE DE NOTRE GRAND DOSSIER « WADI DAWKAH »

Visuel principal : Le souk de Muttrah © Mulook Albalushi / Amouage

Tendance thé : vous en reprendrez bien une tasse ?

Cette boisson millénaire connaît depuis quelque temps un regain d’intérêt dans le monde du parfum. Son influence sur la création olfactive ne date cependant pas d’hier. Explications avec Jeremy Tamen, ethnobotaniste, et Jean-Christophe Hérault, VP parfumeur chez IFF.

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Smell Talks : Table ronde Argent & Parfum

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Le mardi 4 juin 2024, la librairie Le Merle Moqueur, à Paris, accueillait le lancement du dix-septième numéro de la revue Nez. En écho à la thématique du dossier Argent & Parfum, une table ronde a réuni ce soir-là trois experts : Camille Goutal, parfumeuse et cocréatrice de la marque Voyages imaginaires avec Isabelle Doyen, David Frossard, fondateur de la société Différentes Latitudes, du label Liquides imaginaires et de la marque Obvious, et Nicolas Olczyk, expert et consultant auprès de sociétés de parfum.

Une table ronde animée par Guillaume Tesson.

Laboratoire Monique Rémy : au commencement était une femme

Femme pionnière et iconoclaste, Monique Rémy a fondé LMR en 1983, guidée par son amour du vivant. Par son audace, son exigence et son intégrité, elle a su fédérer autour d’elle des alliés de choix, en premier lieu les parfumeurs, en leur proposant des extraits naturels à la qualité jamais compromise. Dans le giron d’IFF depuis 2000, LMR est toujours resté fidèle à ses valeurs d’origine : transparence, respect et innovation. À l’occasion des 40 ans de la société, parfumeurs de tous horizons, ingénieurs, producteurs, dirigeants et partenaires qui ont croisé la route de sa fondatrice lui rendent hommage, révélant le caractère unique de son histoire, dans l’ouvrage L’Art du naturel, publié dans la collection « Nez+LMR cahiers des naturels ». Nous vous proposons d’en découvrir l’introduction.

LMR, un acronyme comme les ingrédients d’une très belle et forte histoire : « L » pour laboratoire, le lieu de la science expérimentale, là où se jouent les découvertes, les améliorations, les innovations ; « M » et « R », pour Monique Rémy, une femme pionnière et iconoclaste. Une femme remarquable par son amour d’une valeur, l’honnêteté, mère de la transparence. C’est de cette droiture qu’est né LMR Naturals. Une société à la solide réputation, dont les produits à la pureté inégalée lui ont valu le surnom de « Rolls Royce » du marché. 

Dans l’histoire de LMR, il y a d’abord un récit-cadre, celui de l’aventure d’une femme dans le monde très masculin de la parfumerie à Grasse dans les années 1980 à 2000, puis de l’intégration de sa structure dans une société de composition internationale, IFF, à la demande des parfumeurs qui voulaient pour leurs créations les plus belles matières. C’est grâce à la relation très complice entre Monique Rémy et Nicolas Mirzayantz, qui deviendra par la suite P.-D.G. de toute la division parfum d’IFF, que l’affaire se conclut. Certaines mauvaises langues s’interrogent alors sur le devenir de LMR. La suite de l’histoire les fera taire. Chez IFF, LMR est accueilli comme un fleuron, et les deux structures se nourrissent l’une l’autre. Dès lors, le décor est celui des coulisses de la création, d’avant la narration publicitaire du parfum, depuis le terroir jusqu’au concentré parfumé. 

Si aujourd’hui l’importance de l’ingrédient naturel dans la parfumerie n’est plus à prouver – mais reste à protéger –, il y a quarante ans, au moment de la fondation de LMR, nombreux étaient les industriels qui lui avaient tourné le dos. Il convient donc de prendre le temps d’explorer les motivations qui ont présidé à la destinée de Monique Rémy et de retracer l’évolution de LMR à travers le temps. 

Monique Rémy représente indéniablement une figure emblématique dans le monde de la parfumerie et des arômes, grâce à son engagement inébranlable et infatigable en faveur de l’excellence et de l’innovation tout au long de sa carrière, et en particulier au sein des laboratoires qu’elle a fondés en 1983. Animée par l’amour des matières naturelles et le respect de la création parfumée, elle a assuré l’approvisionnement en ingrédients les plus purs de ses clients, à commencer par les parfumeurs, en maîtrisant la chaîne de valeurs. Une expertise qui débute à la source, en créant des liens de confiance avec les cultivateurs récoltants et les producteurs à travers le monde, par leur écoute, par le développement de techniques agricoles sur mesure et le soutien des communautés locales. Ces initiatives reflètent une philosophie profonde qui reconnaît certes la souveraineté de la nature et la nécessité de la préserver pour les générations futures, mais avant toute chose l’importance de la vérité dans la parole donnée. Quiconque a rencontré Monique Rémy se souvient de son franc-parler, de son intransigeance pour l’exactitude. Une attitude qui n’a jamais toléré les petits arrangements avec la qualité. Une question d’honneur. 

Fidèle aux convictions humaines de sa fondatrice, LMR s’est distingué dans le paysage des ingrédients naturels en assurant aux parfumeurs un accès à des produits de haute qualité, et en répondant à leurs besoins de façonnage par l’introduction de procédés inédits et durables pour l’extraction et la purification de matières premières, à l’instar de la Rose Essential, de la Lavande Enfleurage 2.0 ou encore du Vétiver Ultimate. En adoptant une approche holistique de la production, qui intègre des pratiques agricoles vertueuses, une extraction respectueuse de l’environnement et une transparence totale de la chaîne d’approvisionnement, LMR a établi de nouvelles normes dans l’industrie. Ses naturels de haute qualité ont non seulement élevé le standard des fragrances, mais ont également ouvert de nouvelles voies pour l’innovation dans les arômes alimentaires et les cosmétiques. 

C’est en cela que l’expression « Art du naturel » prend son sens. Sur ce matériau vivant opère un savoir-faire guidé par une vision. Un ingrédient n’est pas une fin en soi, il doit intégrer une composition où il interagit avec d’autres, au service d’une émotion, d’une intention, d’une idée. Il ne pourrait y avoir ici de place pour l’à-peu-près, le contingent, le médiocre. Défendant l’art de la parfumerie en général, IFF à travers LMR Naturals œuvre pour l’excellence de ce métier et l’approvisionnement des artistes de la composition en matériaux les plus durables, littéralement. LMR, depuis ses débuts, a reconnu que l’ingrédient naturel de parfumerie prenait part à une aventure culturelle d’envergure, en aval de la chaîne de valeurs, parce qu’il participe à une création artistique, en amont, parce qu’il est un patrimoine régional, un objet de science et une source d’inspiration. 

Visuel principal : Monique Rémy devant l’appareil de distillation moléculaire, fin des années 1990. © DR

Le fric, est-ce éthique ?

La cueillette d’ylang ylang des Comores dénoncée dans un article de Médiapart en 2023, le travail d’enfants lors de la récolte du jasmin d’Égypte mis en avant dans un documentaire de la BBC[1]« Child labour behind global brands’ best-selling perfumes » sur la chaîne Youtube de la BBC, ainsi que l’article de Ahmed ElShamy et Natasha Cox sur le site du média en mai… Plusieurs scandales touchant l’industrie du parfum ont été mis à jour ces derniers temps, alors même que l’on voit fleurir les discours sur l’éthique dans la communication des marques.
Et si l’un des nerfs de la guerre tenait dans la juste rémunération des premiers maillons de la chaîne ? Ce qui semble être une évidence est pourtant encore loin d’être la règle. Nous proposons une analyse de ce sujet brûlant, tout juste publiée dans le dernier numéro de la revue Nez, qui explore les différents liens entre argent et parfum.

Derrière les beaux discours sur les matières premières vantées dans les publicités, il est des histoires que l’on préférerait oublier. Celle des racines colonialistes de l’industrie du parfum en fait partie. Cette histoire est pourtant essentielle pour comprendre le fonctionnement actuel de l’industrie, et se doit d’être rappelée par décence envers les peuples colonisés. Sans eux, la parfumerie telle qu’on la connaît n’existerait pas. Car ce n’est pas seulement la chimie qui a permis de passer d’une création onéreuse et réservée à quelques privilégiés à une industrie de masse. Le mouvement est global, comme en fait état Sylvie Laurent dans Capital et race, Histoire d’une hydre moderne (Seuil, 2024) : « Sans cette “nature bon marché” constitutive du capitalisme, sans l’esclavage et l’exploitation des terres américaines (à laquelle s’ajoute le travail non rémunéré des femmes en métropole), l’Europe n’aurait pu entrer dans l’âge de la croissance et de la technique. » Pour produire la quantité de naturels que nous connaissons aujourd’hui, il a fallu avoir recours à une main-d’œuvre exploitée, mais aussi à des terres fertiles et dominées par l’Occident, comme celles de Madagascar, des Antilles-Guyane ou encore de la Réunion.
Certaines plantes cultivées sont endémiques, d’autres sont introduites à la suite d’expérimentations. Dans le manuel Les Plantes coloniales utiles que l’on peut cultiver en France, publié en 1943, le botaniste Auguste Chevalier conçoit ainsi l’exploitation colonialiste comme un moyen pour « rapatrier les richesses » : « Les colonies françaises de l’Afrique du Nord, Maroc, Algérie, Tunisie ont le devoir impérieux de se préoccuper de subvenir aux grands besoins de la Métropole en ces essences. […] La fabrication de ces essences hespéridées n’est pas compliquée : point d’outillage coûteux, fabrication simple et facile, main-d’œuvre peu coûteuse, féminine et enfantine. »
L’historienne Mathilde Cocoual a étudié le cas de Madagascar, où l’industrie grassoise a introduit les cultures de l’ylang-ylang, de la vanille, du girofle et de la cannelle au début du XXe siècle : « Il y a une dualité dans ce geste : d’un côté, évidemment, il y a eu une exploitation des populations locales ainsi que des effets néfastes liés à la colonisation ; de l’autre, la plante à parfum a été une ressource complémentaire pour les paysans locaux, souvent plus facile que le travail à la mine », explique-t-elle. Bouleversements migratoires, culturels et religieux, modification durable des terres, villageois réquisitionnés de gré ou de force, mauvaises conditions de vie sur les domaines font partie de l’empreinte impérialiste. Au moment de la décolonisation, dans les années 1960, tout est laissé à l’abandon, sans aide ni compensation financière ; les cultures de plantes à parfum finiront par être rachetées par d’autres sociétés. 

Prix légal, prix éthique 

Qu’en est-il en 2024 ? S’il est difficile d’avoir accès aux revenus des cueilleurs et paysans, qui fluctuent beaucoup – et parce que le sujet est tabou –, et si les conditions d’accès, les intermédiaires et les spécificités propres à chaque matière rendent complexe le contrôle d’une juste rémunération des premiers maillons de la chaîne, la situation est suffisamment précaire, voire critique pour justifier des mouvements de protestation, à l’image de celui mené par les agriculteurs français en janvier 2024. Lorsque le contexte géopolitique est compliqué, la situation est encore plus désastreuse. Dans un article publié sur Médiapart en mars 2023, Florence Loève dénonçait « derrière les flacons Dior, l’exploitation de celles qui cueillent les fleurs d’ylang aux Comores ».[2]« Derrière les flacons Dior, l’exploitation de celles qui cueillent les fleurs d’ylang aux Comores », de Florence Loève, sur le site de Médiapart Les prix sont fixés par les acheteurs et sont soumis à de nombreux facteurs d’incertitude. Six euros par jour pour une cueilleuse, entre dix et vingt euros pour un ouvrier en distillerie… Mais les locaux n’ont que peu le choix : ils dépendent en grande partie de ces cultures. « Il y a une contradiction dans l’industrie du luxe. Les marques portent un discours de développement durable, mais il me semble difficilement crédible tant que les acheteurs de matières premières ont d’abord des objectifs financiers, souligne la journaliste interrogée. Et, même si une marque cherche à sourcer son produit avec de bonnes intentions, la situation géopolitique de pays comme les Comores rend les choses très complexes : la communication des marques doit être plus réaliste à ce sujet. »
Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Shamiso Mungwashu, spécialiste en développement de projets pour la Fairtrade Support Network Zimbabwe, faisait ainsi état de la somme payée aux paysans qui cultivent les épices dans son pays lors d’une conférence de l’UEBT en octobre 2022 : 70 dollars par mois pour la plupart, 170 dollars pour les employés les plus qualifiés ; le solde accordé aux cueilleurs est plus bas encore, et n’est souvent pas encadré : moins de 15 dollars par mois sur quatre à six mois, dans un pays où il s’agit de la principale ressource financière : « Si on ne considère que les repas, pour une famille de quatre personnes, on dépasse déjà le revenu minimum établi par la loi. Sans compter l’électricité, l’école… » Et de compléter : « Nous avons de la gratitude pour nos partenaires. Car la plupart des communautés avec lesquelles je travaille dépendent de vous [les maisons de composition], de la relation que vous avez construite, ne serait-ce que pour avoir la dignité de nourrir leurs familles. » Avant de soulever une question centrale : « Payer 80 dollars est légal. Mais est-ce nécessairement éthique ? » 

La concurrence de la synthèse 

À Madagascar, c’est la vanille qui constitue une ressource importante, comme le note Georges Geeraerts, président du Groupement des exportateurs de vanille de Madagascar et vice-président du Conseil national vanille : « La gousse peut représenter jusqu’à 8 % du PIB, et fait vivre localement plus de 150 000 familles. C’est un produit qui demande beaucoup de temps et d’étapes, et qu’on devrait considérer comme un vrai luxe. Mais son prix Fairtrade a été calculé à 5,6 dollars le kilo ; or cela n’est pas du tout suffisant pour faire vivre une famille, sans parler de l’accès à une éducation décente, par exemple. » Collecteurs, préparateurs, conditionneurs, stockeurs, exportateurs, traders constituent autant d’étapes qui font ensuite grimper le tarif de la matière première pour les sociétés de composition qui en sont les utilisatrices. Sur ce terrain, la gousse a un ennemi puissant : « Les arômes de synthèse, mille fois moins chers, et dont la dénomination entretient un flou dans l’esprit des consommateurs qui ne savent même plus ce qu’ils achètent. » Les mentions « arôme naturel » et « arôme naturel de vanille » ne désignent ainsi pas la même chose ; le cas est similaire dans les parfums : la quantité de matière première n’est pas la même pour obtenir un extrait ou une infusion de vanille ; cela permet pourtant de revendiquer de la même façon l’ingrédient dans la composition. « C’est ce qui explique qu’on vende la même quantité de vanille depuis plus de vingt ans, alors que la population a augmenté, et qu’on doive finir par la céder au rabais. Or, sans la gousse naturelle, la synthèse n’existerait pas : on lui doit un tribut. » Pour pallier ce problème, un prix plancher a été établi en 2021 par le gouvernement malgache, « mais il a été libéralisé en 2023, sans période de transition. C’est dramatique, les paysans n’arrivent plus à vendre, et finissent par le faire à des prix dérisoires pour ne pas perdre leur production. » 

Le prix, sujet central de la soutenabilité 

L’industrie agroalimentaire est certes la plus grande consommatrice de la gousse, et la parfumerie reste proportionnellement une petite acheteuse. Mais elle a son rôle à jouer, et ce d’autant plus que les arômes et les parfums sont créés par les mêmes sociétés. Rappelons qu’à l’heure où LVMH, dirigé par Bernard Arnault, envahit nos boutiques grâce à ses nombreuses marques et enregistre un chiffre d’affaires sans commune mesure, Madagascar est actuellement positionnée au 173e rang sur 191 dans le classement des pays par indice de développement humain. La richesse n’a en toute apparence pas su ruisseler jusqu’aux paysans, sans qui pourtant les grands parfums que nous aimons n’existeraient pas. « Si on veut pouvoir parler de soutenabilité et d’éthique, le prix, qui reste un tabou dans l’industrie, est le sujet central. Les situations varient beaucoup selon les pays et les matières. De manière classique, le prix est indexé sur le temps passé sur place ou sur la quantité récoltée, mais c’est assez inégalitaire : les jeunes sont plus rapides par exemple, les plus âgés sont pénalisés, et cela incite au travail infantile. Au Guatemala, quand la cardamome qui y est produite est achetée à un prix décent, que nous calculons avec les données des producteurs, les paysans peuvent être rémunérés pour assurer leur subsistance, les études des enfants et quelques loisirs. Mais c’est un marché très volatil », note Elisa Aragon, cofondatrice et CEO de la société Nelixia, productrice de matières premières en Amérique latine. Pour autant, la demande en naturels est forte, même dans les produits d’entretien de la maison. Les sociétés clientes veulent cependant faire baisser les coûts, et cherchent des naturels plus low cost. « Le souci est que la hiérarchie très verrouillée dans les entreprises acheteuses, avec en bout de chaîne les actionnaires, cherche toujours à faire baisser les prix, mais ne se rend pas compte de l’impact sur les paysans dont c’est souvent la seule source de revenus. Rémunérer mieux les paysans changerait des millions de vies, sans avoir un impact réellement significatif sur le coût de production des matières. » Le réchauffement climatique a tendance à amplifier le problème : les rendements sont globalement moindres ; il faut donc accompagner les paysans vers des solutions comme l’agroécologie pour leur permettre de trouver une résilience. « Je crois qu’il n’y a pas une seule matière première pour laquelle on peut dire que le prix payé est juste. Mais les clients nous posent de plus en plus la question : une prise de conscience est advenue, et je suis persuadée que les choses vont commencer à changer », conclut Elisa Aragon. 

Accompagner le changement 

Un grand nombre de maisons de composition cherchent néanmoins à s’engager pour que les producteurs gagnent en autonomie, en investissant dans du matériel par exemple, en mettant en place des partenariats à long terme, ou encore en créant des outils d’évaluation de la durabilité des matières premières et compositions parfumées… C’est aussi l’une des raisons d’être de l’Union for Ethical Biotrade (UEBT), une organisation à but non lucratif créée en 2007 pour garantir un sourcing équitable. Parmi les différents critères d’évaluation, « le principe 3 porte notamment sur les prix équitables et sur la manière dont les entreprises doivent s’assurer que les accords d’approvisionnement avec les producteurs sont fondés sur le dialogue, la confiance et la collaboration à long terme », explique Rik Kutsch Lojenga, directeur exécutif de l’UEBT. « Traditionnellement, les pratiques de rémunération des cueilleurs et cultivateurs sont informelles, et les équivalents du salaire minimum ne sont souvent pas respectés. Nous avons créé une approche progressive pour accompagner les sociétés : valorisation du temps moyen consacré par les producteurs aux activités de culture ou de collecte à un taux au minimum proportionnel au salaire de subsistance, soutien à la diversification des sources de revenus locales, ou encore objectifs pour faire progresser les salaires pour les travailleurs sous contrat. Nous guidons aussi les auditeurs tiers pour déterminer le salaire vital, que nous définissons comme la rémunération perçue pour une semaine standard par un travailleur dans un lieu donné, suffisante pour assurer un niveau de vie décent à celui-ci et à sa famille », poursuit-il. Pour garantir que les sociétés acheteuses respectent les normes, l’UEBT réalise des vérifications sur le terrain, permettant de définir une base d’amélioration progressive qui vise à accompagner les changements. Elle propose également un programme de certification pour chaque ingrédient, orchestré par un organisme tiers, pour lequel elle ne perçoit pas de rémunération, et qui seul permet d’obtenir un label. Si de telles démarches ont permis une amélioration et une sensibilisation globale de l’industrie, « les évaluations de l’UEBT ne sont pas des “garanties” et ne peuvent à elles seules résoudre des problèmes profondément enracinés tels que les inégalités et les déséquilibres de pouvoir », souligne Rik Kutsch Lojenga. Les audits ont par ailleurs un prix que le producteur ne peut être le seul à payer, et l’accompagnement financier en ce sens doit devenir un engagement des grandes marques, qui bénéficient de la valeur ajoutée de ces produits certifiés. 

Rien dans le flacon 

Pourtant, les situations restent largement précaires pour les « petites mains », premières à subir les conséquences des spéculations, crises diverses engendrées par le Covid ou les guerres… Et les décisions des marques. Les matières premières naturelles sont souvent valorisées dans les campagnes marketing des grands parfums qui en vantent les origines. Rose bulgare, vanille de Madagascar, ylang-ylang des Comores font voyager, et donc vendre. On sait pourtant que le prix du concentré constitue une faible proportion du prix final du flacon – entre 1 et 5 %, surtout pour les marques mainstream qui bénéficient d’une large présence dans les médias. Mais le scandale, pour le parfumeur Christophe Laudamiel, tient à la communication : « Ce que l’on sait moins, c’est que les marques n’utilisent souvent qu’entre 0,01 et 0,1 % d’extrait pur d’un ingrédient naturel dans leur concentré pour pouvoir le mentionner dans leur communication. On laisse habilement croire au public que ces naturels constituent une part significative du parfum, mais si les formules étaient publiques, tout le monde serait très certainement bouche bée. » Il a ainsi envoyé une lettre aux grands groupes en août 2022, dans laquelle il souligne qu’utiliser 100 ppm (0,01 %) d’un ingrédient dans une composition ne devrait pas autoriser à le mentionner dans un dossier de presse. « Pour un flacon de 50 ml, les grands groupes paient 70 centimes à 1,50 dollar le concentré. Cela doit couvrir tout le monde : parfumeur, évaluateur, commercial, législation, et évidemment fermiers, coopérative, transformateurs, transport… Au kilo, évidemment, les matières naturelles peuvent être chères, mais si on ne met quasiment rien dans le flacon, on ne garantit rien au fermier, payé selon les volumes vendus. Augmenter son revenu ne changerait rien aux bénéfices énormes de ces groupes qui possèdent des poignées de licences et se félicitent de leurs chiffres annuels sans aucune honte ! » Pour mettre en évidence ce grand écart, le parfumeur publie sur le compte instagram Fragrance Drama[3]Voir https://www.instagram.com/fragrance.drama/ les analyses de certaines compositions célèbres. « C’est comme si l’on faisait passer un vêtement composé à 99 % de nylon pour un drap de laine de qualité. Les maisons de luxe n’accepteraient pas ça dans leurs gammes de mode, pourquoi l’accepteraient-elles dans leurs flacons ? » 

De toute évidence, les efforts dilués ne suffisent plus ; la prise de conscience doit être générale si l’on veut imaginer un avenir différent du passé. Pour reprendre les mots de Sylvie Laurent : « Briser le cercle funeste commence par la dissipation des illusions et des légendes. » 

Visuel principal : © Nicolas Nadé

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