Et si un territoire pouvait se raconter autrement que par ses paysages ? Et s’il suffisait de fermer les yeux… et de le respirer ? C’est l’ambition du projet « Faire sentir les terres du Velay », porté par le Conservatoire de l’Agglomération du Puy-en-Velay et ses partenaires. Rencontre avec Claire Monteillard, responsable de l’action culturelle et de la communication au Conservatoire, qui nous présente les temps forts de la programmation.
Pouvez-vous nous raconter la genèse du projet « Faire sentir les terres du Velay » ? A l’origine, un des professeurs du conservatoire d’enseignement artistique proposait un travail avec Michel Godard, grand musicien, tubiste et serpentiste via notamment l’accueil d’un concert atypique qui s’intitule « Le concert des parfums ». En effet, la musique et le parfum s’expriment à travers un vocabulaire commun. Ils parlent d’accords, de notes, d’harmonie, de composition… Tout comme un parfum se construit sur une pyramide olfactive avec des notes de tête, de cœur et de fond, la musique s’organise autour des aigus, médiums et graves, créant ainsi une correspondance naturelle entre ces formes d’expression. Au vu de l’accueil de ce concert et de sa thématique extrêmement passionnante, il a semblé intéressant de construire un projet plus large autour de l’art et de l’odeur dans le cadre d’une convention territoriale d’éducation artistique et culturelle. On a voulu créer une expérience olfactive et sensorielle mêlant les médiums artistiques (musique, littérature, art-design…) avec des regards d’artistes sur le sujet. Ainsi, le projet est une expérience artistique multidisciplinaire et sensorielle qui explore le lien profond entre art et odeur sur le territoire de la Communauté d’agglomération du Puy-en-Velay, ce qui explique notre choix du titre de l’évènement « Faire sentir les terres du Velay ». Pour ce faire, un artiste-designer a eu pour charge de réaliser une cartographie olfactive du territoire. En parallèle, on a voulu développer des événements associés afin de permettre de créer des résonances. Pour finir, ce projet s’inscrit dans la convention de territoire d’éducation artistique et culturelle et est financé par la Direction Régionale des Affaires Culturelles Auvergne Rhône-Alpes, La Région Auvergne Rhône-Alpes, le Département de la Haute-Loire et la Communauté d’agglomération du Puy-en-Velay. Cette dernière est porteuse du projet via ses services que sont le Conservatoire de musique, de danse, de théâtre et d’arts-plastiques, le Musée Crozatier et notre Pays d’art et d’histoire ainsi que la bibliothèque municipale du Puy-en-Velay.
Côté programmation, que pourront découvrir les visiteurs ? Ce projet se décline en plusieurs événements. D’abord, il y aura plusieurs représentations du « Concert des parfums ». Pour ce dialogue inédit entre sons et fragrances, la parfumeuse Ursula S. Yeo a créé des accords inspirés de pièces originales du compositeur Michel Godard. Ses parfums sont diffusés pendant le concert au moyen de tissus imprégnés d’essences odorantes pour créer des notes à chaque morceaux musicaux et qui deviendront une composition à la fin du concert. Les musiciens répondent aux senteurs, les compositions faisant large place à l’improvisation musicale. Ensuite, il faut citer l’immense travail de cartographie olfactive mené par l’artiste designer-chercheur Jean Sébastien Poncet auprès de scolaires et de leur famille, des élèves du département arts plastiques du conservatoire, des personnes en précarité et plus largement du grand public. En fait, tous les territoires ont des odeurs. Celles et ceux qui les habitent les expriment par leur activité. Leurs gestes et les matières qu’ils manipulent font sentir la terre sur laquelle ils vivent. Jean-Sébastien propose de se mettre à leur écoute – par le nez – pour cartographier les fragrances qu’ils produisent. Enfin, l’exposition Farelaria (faire sentir) réunit tout le travail qui a pu être fait, à savoir les rencontres avec captation audio de métiers et la réalisation des Olfacterres (terrariums odorants).
Pourquoi avoir choisi de mettre l’odorat au centre de ce projet ? L’odorat occupe une place centrale dans le projet « Faire sentir les terres du Velay » car il est l’un des sens les plus puissants pour éveiller la mémoire et les émotions. Contrairement à la vue ou à l’ouïe, qui passent par une analyse rationnelle, l’odorat agit de manière immédiate et instinctive. Une simple senteur peut nous transporter dans un territoire de nature, ravivant des souvenirs lointains ou des sensations profondément ancrées. Et cela tombe bien : les odeurs sont omniprésentes dans notre environnement : l’herbe coupée, l’écorce des arbres, la terre après la pluie… Elles nous ancrent dans un territoire sensoriel où chaque fragrance raconte une histoire, évoque un lieu, une saison, une émotion. Ainsi donc, il s’agit de chercher à recréer une connexion entre l’humain et son environnement. Associer l’odorat aux autres disciplines artistiques permet de créer des passerelles entre les sensations. D’ailleurs, cette association des sens est un phénomène neurologique qui s’appelle la synesthésie par lequel deux ou plusieurs sens sont associés (ex. graphèmes et couleurs).
S’il fallait citer quelques parfums emblématiques du Velay, lesquels vous viendraient à l’esprit ? Il y en a beaucoup, mais je citerais principalement la verveine, le pin sylvestre, le narcisse, les genêts, la pouzzolane, l’argile, et les sous-bois.
Quel public espérez-vous toucher, et surtout, qu’aimeriez-vous qu’il retienne de cette expérience ? Avec l’idée de « Faire sentir », nous apportons une attention toute particulière aux questions de transmission. Comme nous le disions précédemment, il s’agit d’un projet d’éducation artistique et culturel de territoire. Il engage des élèves des écoles primaires et maternelles, des personnes en précarité ou des publics adultes et jeunes du conservatoire dans des pratiques collectives de création. Leur présentation lors d’évènements, dans des lieux culturels référencés permettent leur diffusion à un plus large public. Au fil des événements proposés, nous aimerions que le public considère d’autres manières de percevoir et de ressentir un territoire. Nous souhaitons éveiller la curiosité et la sensibilité de chacun en montrant que les odeurs, bien qu’invisibles, sont essentielles à notre mémoire, à nos émotions. Elles nous ancrent dans le monde. Pour conclure, le projet « Faire sentir les terres du Velay » n’est pas seulement une expérience, mais un véritable outil de transmission sensorielle et émotionnelle, que chacun pourra emporter avec lui et prolonger dans son quotidien.
Au menu de cette revue de presse, un microbiote nasal qui fait le lien entre déclin olfactif et cognitif, un gène responsable de l’hyposmie chez les patients atteints de mucoviscidose, et diverses méthodes de test, de développement et d’entretien de notre précieuse capacité à sentir.
Depuis quelques semaines, la presse scientifique et médicale fait la part belle à l’actualité de la recherche en matière de santé et d’odorat. Le 3 mai, le magazine santé 36,9° de la RTS diffusait par exemple un reportage de 45 minutes intitulé Odorat : la santé passe aussi par le nezrevenant sur le rôle essentiel de l’odorat chez Homo sapiens et sur les enjeux liés à la perte de ce sens qui demeure « le moins investi par la science bio-médicale ». Le reportage, signé Quentin Bohlen et Jochen Bechler, repose sur des témoignages d’experts pour évoquer le fonctionnement du système olfactif mais surtout en rappeler l’importance tout au long de l’existence, depuis la vie in utero jusqu’à la vieillesse. Le magazine s’interroge : comment notre odorat peut-il être cultivé et que peut-il cultiver en nous ? Nous découvrons ainsi tour à tour à l’écran des ateliers d’éveil olfactifs destinés aux jeunes enfants, les méthodes d’entraînement à la mémorisation des odeurs en école d’œnologie, un protocole de rééducation olfactive pour les personnes souffrant d’anosmie ou de parosmie, ainsi que des ateliers d’olfactothérapie à destination de personnes âgées atteintes de troubles cognitifs.
Le potentiel de l’odorat dans le diagnostic et l’accompagnement de pathologies neuro-dégénératives a d’ailleurs été largement relayé dans la presse ce mois-ci. D’après Science Daily, un jeu-vidéo en réalité virtuelle olfactive a notamment été développé par une équipe de l’institut des sciences de Tokyo pour contrer le déclin cognitif. Les participants sont invités à mémoriser un odorant semblant émaner d’une statue virtuelle puis à suivre des indices olfactifs disséminés dans le paysage jusqu’à en localiser la source. Une fois arrivés à destination, les joueurs doivent comparer plusieurs odeurs afin d’identifier celle mémorisée à l’origine. « En combinant des tâches ciblées avec un retour d’information en temps réel, notre approche d’entraînement olfactif basée sur la réalité virtuelle peut accroître l’engagement cognitif et maximiser son impact thérapeutique », explique le professeur Takamichi Nakamoto, à l’origine de l’étude publiée dans Scientific Reports. Des améliorations ont d’ailleurs été notées chez 30 personnes âgées de 63 à 90 ans testées au moyen de différentes tâches cognitives avant et après 20 minutes de jeu.
Nous avons récemment relayé les recherches qui ambitionnent de mettre à profit le flair canin pour le dépistage de certaines maladies, mais d’autres méthodes semblent également efficaces. Futura Sciences nous apprend qu’une nouvelle série de tests olfactifs non-invasifs réunis sous le nom AROMHA Bain Health Test(ABHT)a été développée par une équipe de recherche nord-américaine afin d’évaluer la santé cérébrale des personnes vieillissantes. En effet, le dysfonctionnement du système olfactif, notamment la baisse des capacités d’identification, de discrimination et de mémorisation des odorants, est un symptôme particulièrement précoce de plusieurs pathologies comme Alzheimer ou Parkinson. Jusqu’à présent, deux tests sont couramment utilisés pour évaluer les fonctions olfactives : l’un développé par l’Université de Pennsylvanie (UPSIT), l’autre consistant en une batterie de trois tests nommée Sniffin’ Sticks (SST). Si de nouveaux types de tests sont actuellement expérimentés par plusieurs équipes de recherche, AROMHA semble particulièrement prometteur car il peut être auto-administré à domicile. Le protocole repose en effet sur un questionnaire en ligne et une vingtaine d’étiquettes olfactives – faciles à envoyer par la poste – et permettrait donc d’identifier plus facilement les personnes à risque de développer une démence. Peut-être pourrait-on, dès lors, les soumettre à l’entraînement olfactif en réalité virtuelle développé par l’équipe du Pr. Nakamoto !
De manière générale, au-delà des troubles neurodégénératifs, la diminution de la fonction olfactive semble associée à un risque de mortalité accrue chez les personnes âgées. Le Quotidien du médecinrappelle ainsi les liens entre les déficits olfactifs et plusieurs maladies chroniques (hypertension, diabète, maladies cardiovasculaires…). L’article cite notamment une étude suédoise menée grâce à un autre test olfactif appliqué en gériatrie et associé à un suivi du taux de mortalité (toutes causes confondues) des personnes testées après 6 puis 12 ans ainsi qu’à une analyse des causes de ces décès. Or, comme le résume Pourquoi docteur ?, « les participants classés comme anosmiques présentaient un risque relatif de mortalité près de 70% plus élevé que les volontaires classés comme normosmiques. » Si les résultats de cette étude soulignent donc l’importance de la fonction olfactive comme marqueur de risque de mortalité chez les personnes âgées, des recherches supplémentaires seront nécessaires pour évaluer l’utilité clinique des évaluations olfactives dans l’identification des personnes susceptibles de fragilités cognitives et/ou physiologiques.
Une étude chinoise parue dans Translation Psychiatryet relayée par Santé Magazinesemble par ailleurs montrer que le déclin conjoint des capacités cognitives et olfactives « pourrait découler de particularités au niveau du microbiote du nez. » L’analyse des communautés microbiennes présentes dans les cavités nasales de 510 personnes âgées dont l’état de santé cognitive avait été préalablement évalué a permis à l’équipe de déterminer que les dysfonctionnements olfactifs de type hyposmie étaient associés à une plus grande richesse bactérienne. En outre, « les participants dont le biotype nasal était dominé par les bacilles Corynebacterium présentaient une prévalence plus faible de troubles cognitifs légers que ceux dominés par les bactéries Dolosigranulum ou Moraxella. » L’analyse du microbiote nasal pourrait donc également contribuer à l’identification des personnes à risque et peut-être mener un jour « à la mise en place de traitements basés sur la modification du microbiote nasal pour réduire le risque de démence. »
Des études antérieures suggéraient déjà que la flore pathogène du nez pouvait pénétrer dans le cerveau par la voie olfactive, endommageant potentiellement les neurones et contribuant aux maladies neurodégénératives. Récemment, Futura Sciencesse faisait d’ailleurs le relai d’une étude de 2022 qui montrait que les lésions de la muqueuse olfactive facilitent l’entrée dans le cerveau de Chlamydia pneumoniae, une bactérie qui s’attaque au système nerveux central. Cette étude avait alors été utilisée par certains pour suggérer que les personnes ayant l’habitude de se mettre les doigts dans le nez pourraient s’exposer à des risques accrus de développer la maladie d’Alzheimer. L’article rassure cependant : « la maladie d’Alzheimer résulte d’une combinaison complexe de facteurs génétiques et environnementaux » et « il n’y a aucune preuve formelle que se curer le nez puisse entraîner la maladie d’Alzheimer. »Mais de conclure : « Cependant, il est recommandé de pratiquer ce geste avec douceur afin de ne pas endommager la muqueuse nasale. »
Une autre maladie a également intéressé la presse ce mois-ci, la fibrose kystique (mucoviscidose), dont l’un des symptômes est également l’altération de l’odorat. La raison de cette déficience, expliqueMedscape, semble être d’ordre génétique et non une conséquence de l’inflammation des sinus, comme cela était précédemment supposé. Une étude pilotée par l’INRAE portant sur 10 patients dont 80% présentaient un dysfonctionnement olfactif a permis de constater une distribution anormale des récepteurs olfactifs ainsi qu’une « faible abondance de cellules basales globuleuses, essentielles à la régénération des tissus olfactifs ».Une seconde batterie de tests, menée cette fois sur des cochons atteints de mucoviscidose, semble suggérer que les mutations du gène CFTR, responsables de la maladie, affectent aussi directement le système olfactif. Bien que ces recherches n’offrent pas encore de solutions thérapeutiques, elles ouvrent du moins la voie à une prise en charge plus complète de la maladie, en incluant les symptômes sensoriels.
Suite à cette revue de presse scientifique, Nez vous invite à contribuer à l’étude en ligne sur l’olfaction chez l’adulte menée par le Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon en cliquant ici.
Historienne de l’art, critique d'art et commissaire d’exposition indépendante , Clara Muller mène des recherches sur les enjeux de la respiration comme modalité de perception dans l'art contemporain ainsi que sur les diverses pratiques artistiques employant les odeurs comme médium ou sujet. Outre un certain nombre de publications des éditions Nez, elle contribue à des catalogues d’exposition, monographies d’artistes et ouvrages universitaires sur le sujet de l’art olfactif, tels que Les Dispositifs olfactifs au musée (Nez éditions, 2018) ou Olfactory Art and the Political in an Age of Resistance (Routledge, 2021). www.claramuller.fr
Aujourd’hui, Luc Gabriel, fondateur de The Different Company et Isabelle Masson-Mandonnaud, fondatrice de Sabé Masson, échangent leurs points de vue sur l’art de créer, d’innover et de durer lorsqu’on est à la tête d’une marque de parfum indépendante.
Une table ronde enregistrée lors de la Paris Perfume Week 2025 et animée par Guillaume Tesson.
Photo : DR.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Depuis Ispahan d’Yves Rocher en 1977, il a signé plus de 150 parfums. Chimiste de formation, créateur autodidacte, il commence à composer pour Dragoco en 1996, avant la fusion avec Symrise. En 2000, Maurice Roucel compose Musc ravageur pour les Éditions de parfums Frédéric Malle. Dans cet épisode, il revient sur la création de cette fragrance, devenue une icône.
Un podcast by Nez, en partenariat avec Symrise.
Photo : DR.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Le Simppar (Salon international des matières premières de la parfumerie) organisé par la Société française des parfumeurs s’est tenu les 4 et 5 juin à Paris. Fréquentation accrue, organisation fluide, la relève est assurée avec Alexandra Duclos qui succède à son père à la direction de l’événement.
Malgré sa présence désormais annuelle, le salon trentenaire ne montre aucun signe d’essoufflement : « Nous avons enregistré un peu plus de 4000 entrées sur les deux jours, dont près de 350 parfumeurs de tous pays, sans compter tous ceux qui n’ont pas indiqué leur fonction sur leur badge » précise Thierry Duclos. Avec 128 exposants de 24 pays et des visiteurs en grande majorité étrangers, la vocation de plus en plus internationale de cet événement est confirmée : on y entend toutes les langues !
La foule se pressant à l’entrée, je commence par un petit tour d’ensemble pour évaluer les nouveautés : une aile supplémentaire, des stands qui montent en gamme. Comme tout le monde, je commence par les grands fournisseurs pour m’aventurer vers les plus confidentiels le second jour. Il faut donc jouer des coudes pour accéder aux touches ; un créateur de marque de niche, un brin débordé s’étonne : « Je n’imaginais pas une telle effervescence » !
Des stands « ambiance »
Chez Mane, décor balnéraire sous le thème « Sun Club ». Le traditionnel pantonier des matières met en avant la Sublimolide, une alternative vegan à l’Ambrettolide ; l’Antillone, captif obtenu par biotechnologie, inspiré de l’ananas du Costa Rica, avec des accents de poire verte. Un délicieux Rhum blanc Pure Jungle Essence habillerait parfaitement l’Antillone, et ça tombe bien car c’est ce que nous propose Mathilde Le Marechal en version mocktail ! Le champaca rouge en E Pure Jungle Essence (E comme Enfleurage sur huile de jojoba, suivi d’une extraction CO2) nous embarque en Inde. Le Darkoa, un co-extrait de patchouli Gayo et de poudre de cacao constitue une vraie nouveauté, tout comme le Spicyrup, spécialité gourmande autour de la Présentone H, entre le carrot cake et la betterave caramélisée, étonnante !
Mathilde Le Maréchal, Mane
Ambiance de jardin d’hiver chez Payan Bertrand pour sentir trois ingrédients Process e, (recette secrète Payan Bertrand qui intègre le fractionnement de l’ingrédient) : un divin baume du Pérou (en vrai du Salvador), une angélique très poivrée et une ambrette aux accents de noix sèche. Cap sur l’Asie du Sud-Est avec le santal album indonésien, fumé-crémeux, et surtout le remarquable cuir de Sumatra, équilibre subtil entre patchouli et osmanthus, effet seconde peau à croquer. Clin d’œil à Frédéric Badie dont l’absence est remarquée. Bon rétablissement !
Jean Baptiste Boisseau et Sylvie Gallo, Payan Bertrand
Fraîcheur citrus
Une belle découverte avec les deux frères Cabestrero de Prodaress, une histoire de famille qui démarre en Argentine pour s’étendre à toute l’Amérique du Sud. Orange, pamplemousse, mandarine de toutes les couleurs, un vrai bain de fraîcheur bienvenue. Je repars avec un joli calendrier des récoltes !
Les frères Cabestrero, Prodaress
Chez Capua, on ne présente plus les agrumes, déjà célèbres ; je viens pour la noisette dont tout le monde parle et pour leur procédé Natinfuse (une infusion sur éthanol sous pression) : ainsi, le café robusta évoque la mouture fraîche, le jasmin se fait abricot, l’iris pallida propose une iris abordable aux accents plus boisés vétiver-noisette. Et justement cette fameuse noisette Natinfuse sur Triéthylcitrate, (solvant) ? un vrai gâteau beurré aux fruits secs, sans la note pyrazine qui souvent m’écœure… Réputation méritée !
Luca Bocca Ozino et Laurent Bert, Capua
Un autre ingrédient se susurre dans les allées « as-tu senti aussi le champignon de Biolandes ? » La société propose un extrait de champignon blanc de Paris, oui, le plus vendu au monde ! Un vrai velouté qui pousse les notes crémeuses, « idéal pour une fleur d’oranger ou un santal », confie Cédric Alfenore. À propos de santal, voici une version upcyclé des drèches d’une origine Nouvelle Calédonie : le santal By Absolute, qui est vraiment proche d’un santal classique ; enfin le surprenant absolu mélilot à l’effet mousse de chêne, herbacé et balsamique.
Cédric Alfenore, Biolandes
Du jeu et des mallettes
Ici, ça sent, ça glousse, que se passe-t-il ? Alexandre Illan anime avec brio un quiz à l’aveugle des produits Symrise, le bollet jaune de l’an passé, le Corps Racine (petit air de l’Eau de gentiane blanche d’Hermès), l’objectif étant de tester son nez après avoir découvert le radical Ambrostar, petit cousin de l’AmberXtreme. Une pause s’impose…
Alexandre Illan (à gauche) et ses groupies, Symrise
Je vais jouer cette fois avec Antoine Destoumieux qui a repris la direction opérationnelle de la société depuis février, et renforce le partenariat d’Astier Demarest avec Robertet. Petit jeu sur les réseaux pour gagner une mallette d’ingrédients (en partenariat avec Nez bien sûr). Perdu ! dommage, elle me faisait bien envie…
Antoine Destoumieux, Astier Demarest
Une autre mallette me fait de l’œil, celle de PCW : ce kit idéal de parfumeur indépendant, déjà annoncé à Grasse, est fièrement présenté par Patrice Blaizot. J’en profite pour sentir quelques isolats naturels qui répondent à la norme ISO 9235 ; je prends un petit cours sur la tubéreuse, dont il existe quatre types selon son nombre de pétales : simple (ou traditionnelle, avec une rangée de corolle), semi-double, double (ou hybride) et panaché. Et je termine par les deux spécialités qui ont caracolé en tête des demandes de leur e-shop : pistache et champagne ! Combo parfait pour influenceurs !
Patrice Blaizot, PCW
De la pédagogie
On poursuit dans le sud avec la SCA3P, et le plaisir de sentir l’ingrédient sur lequel j’ai eu la joie d’écrire souvent : la sauge ! Connaissez-vous la différence entre la qualité « vert broyé » (la sauge est directement hachée par l’ensileuse), et la méthode « préfanée » (la récolte est mise en andain et déshydratée durant 2-3 jours avant la distillation), deux qualités olfactives bien distinctes.
Chez Floral Concept, passage obligatoire pour sentir le « linalol cœur de bois de rose », encore plus précieux (et coûteux) que leur bois de rose actuel, déjà célèbre. L’occasion de rappeler que le bois de rose, le vrai, vient du bois. Et non des feuilles. Ah ? Qui ferait cela ?
Intriguée, je file chez Khush Ingredients où effectivement on peut sentir ce fameux bois de rose issu des branches et feuilles, « pour éviter de couper les arbres », je laisse le public faire son avis. On trouve chez eux de tout : Rose Bulgarie UEBT, des extraits CO2 de vanille et de cardamome ; un absolu de fleur de lotus, coûteux mais original avec son effet poudré mimosa ; une lavande du Cachemire que je trouve très belle, et du baume de Copaiba, vanillé et crémeux à souhait.
L’équipe de Khush Ingredients
Dans la même allée, un nouvel exposant : ABD Majid Oud. Le RDV est pris pour suivre une leçon d’oud. Dire qu’il n’y avait jusque-là pas de stand consacré à cet ingrédient pourtant omniprésent… François Ducreuzet d’Essentiel Oud et Magali Quenet, organisatrice de voyages olfactifs, sont également à table, l’évaluation des différentes origines peut commencer : Inde, Bengladesh, Thailand, Laos, Vietnam, Cambodge, Malaisie, Indonésie… Khalid Iqbal, le directeur commercial pointe les différences de chacun. Je note tout !
L’équipe d’ABD Majid Oud
Synthèse et technologie
Chez Givaudan, le Scent Piano attire les curieux. Le robot à touches délivre les ingrédients mythiques : le Boisiris, boisé et poudré, la Paradisamide (pamplemousse, cassis, rhubarbe), le Rosyrene Super, une rose métallique, L’Ultrazur qui sent l’homme musclé après un bain de mer, la méthyl laitone, coco crémeuse, ainsi qu’une sélection de naturels. Ambrofix et Nymphéal s’illustrent dans des démonstrations olfactives. Totebag N°7 en bandoulière, je poursuis.
Le Scentpiano de Givaudan
ACS International présente deux nouveautés : le Onestolide, un « musc de peau » issu de la biotechnologie et dérivéé de l’ambrettolide HC, et la Florajasmone HC, une tétrahydrojasmone plus herbale et florale. Serge Oldenbourg se lance dans une brillante explication des isomères « trans » et « cis »… L’inclusivité moléculaire a de beaux jours devant elle !
Serge Oldenbourg, ACS International
Chez Synarome, après le pomelo, la clémentine rejoint la collection des agrumes récoltés par un partenaire producteur de Corse. Retour à la synthèse avec un geranyl acétate issu de monarde, aux effets poire et aldéhydés. Mais qu’est-ce que la monarde ? Une plante originaire du Canada, celle-ci vient de Normandie et contient 90% de géraniol. Heureusement, ils ont apporté un plant pour montrer à quoi cela ressemble ! Le tétrahydro ionol, aux notes irisées, violette, cuirée ; la thuyone issue de la récupération des tailles de haies de thuya français. On termine par le Cuir de Russie avec une démo qui montre que ce grand classique peut tout moderniser, « même une note coca » assure Isabelle Fritsch !
Ange Dole et Isabelle Fritsch, Synarome, et Daniel Boubat, Fragrance Project International
Filières et sourcing : Madagascar & Chine
Robertet fête ses 175 ans, et illustre ses ambitions à Madagascar : au menu, une artémise CleanRscent, résidu upcyclé de la pharmacopée qui évoque le tabac miellé, coumariné, sans problème de législation ; un combava zest assez épicé ; du gingembre frais fractionné bio. Retour en France avec une algue aux effluves salés de mousse, vraie bouffée de Bretagne ; un extrait CO2 eau de vie (puisqu’on n’a pas le droit de l’appeler Cognac…) façon ambrette, et on termine avec une première chez Robertet, un captif étonnant : le thé noir fumé CleanRscent qui sent vraiment le cigare !
Lautier explore aussi l’île rouge : gingembre frais, une cannelle naturellement basse en safrol, du palmarosa, et surtout la bay Saint Thomas, ingrédient ressuscité à Madagascar après deux cyclones sur l’île de la Dominique. La gamme Artisan nous emmène d’Indonésie (noix de muscade) à Haïti (vétiverol), en passant par le Laos (benjoin), le Sri Lanka (feuille de cannelle), et la Somalie (myrrhe), les ingrédients cultivés sur place sont ensuite fractionnés à Saint-Cézaire.
Solène Homo, Lautier 1795
Coup de projecteur sur la filière chinoise avec LMR, pour une vraie plongée dans la médecine traditionnelle. On y découvre ainsi l’absolue osmanthus (un « Cahier des naturels Nez + LMR » consacré à la fleur est d’ailleurs attendu à l’automne…), l’essence de fleur de magnolia, car n’oublions pas que c’est Monique Rémy qui s’est aventurée la première sur le magnolia dans les années 1990 ; un géranium plus menthé que d’ordinaire ; le poivre Sichuan, idéal pour pousser les notes fruitées ou les accords masculins. En provenance d’autres pays : la feuille de curcuma Inde, le pamplemousse cœur, le néroli frais Egypte For Life. Je dois relever le travail très original de Gwendoline Le Roy (IFF), la parfumeuse qui les a intégrés dans des compositions en démonstration.
Toujours côté IFF, deux molécules : Tropicalia, aux notes banane, melon, fruits exotiques, à sentir avec l’accent brésilien du jeune parfumeur qui le présente, et l’Oceanol, à l’effet mousse salée.
Léa Peyrolle et Gwendoline Le Roy, IFF LMR
Des cocktails et récoltes
Il est 17h, et DSM-Firmenich attire déjà la foule au champagne. Je me concentre et passe rapidement sur la présentation de l’exposition « House of Muscs », l’oliban SFE, le Firsantol, le Clearwood Prisma que je connais déjà, pour me concentrer sur les nouveautés : le Firgood Café arabica du Pérou, un café gourmand torréfié mais non brûlé, une base Cyclamen qui vient remplacer l’aldéhyde cyclamen. Dernière bouffée de Rhum Jamaïque SFE, un peu plus boisé que celui de chez Mane juste en face, et je file chez Bontoux !
Trois nouveautés chez ces derniers : un encens résinoïde DM liquide, car cette année les clients réclament des matières « pratiques à peser en laboratoire par les robots », une sauge sclarée Pure Cœur sur TEC naturel qui enlève les effets soufrés de la plante, et une essence de ciste cuirée et aromatique. On repart avec un délicieux cocktail à base de kombucha agrémenté de lavande, bergamote et genièvre, signé Marlène Staiger, et un point récolte avec Marine Magnier, notamment la crise qui touche la fève Tonka, récurrente lorsque les arbres donnent moins, tous les trois ans.
L’équipe Bontoux
Une source fiable me chuchote que les variations du prix du patchouli sont toujours difficiles à anticiper, ce que Van Aroma me confirme : les maisons de compositions ont du mal à s’engager dans la durée… un an maxi, puis tout est remis en cause ! Avis aux concernés… Je découvre le « healing wood » (tiens tiens, ce nom me dit quelque chose…), composé de cristaux de patchoulol à 99,5%.
19h : tout le monde se rassemble autour de la scène installée pour les (nombreux) discours qui vont suivre : SFP, maire de Grasse, remise du Prix du parfumeur décerné à Clémentine Beun, pour une « lavande argentée » qui rend hommage aux paysages de Provence. Francis Kurkdjian prend ensuite la parole malgré le brouhaha qui s’installe, pour présenter le Prix de l’International Society of Perfumer-Creators (ISPC) remis à Patricia de Nicolaï, Thierry Audibert, Alberto Morillas et Robert Sinigaglia.
20h30 : les invités se jettent sur le cocktail comme des fauves assoiffés !
Alberto Morillas, Patricia de Nicolaï, Thierry Audibert, Francis Kurkdjian
De l’exotisme
Jour 2, je quitte les grands groupes européens pour m’aventurer en Australie, transition en douceur. Sur le stand de Dutjahn, un nom familier : Maxence Piquart représente la société australienne pendant que le papa, Stéphane – surnommé l’ « Indiana Jones du sourcing » –, vadrouille. Avec la disparition de Santanol et Quintis, Dutjahn devient une référence en santal australien (Spicatum et Album), travaillé avec les communautés aborigènes. Coup de cœur pour Desert Dry : bois mort de Spicatum aux notes cuirées et épicées.
Maxence Piquart, Dujahn
Ultra International fait le pont entre l’Inde et l’Australie : cette société familiale fondée à Delhi en 1929 (d’où la déco années folles de leur stand) s’est diversifiée en ingrédients de toutes origines, notamment par des acquisitions de sociétés comme Golden Grove. A retenir : le bois de Bouddha, souvent utilisé pour réaliser des statues, entre le santal et le gaïac ; un champaca rouge ; joli absolu foin aux notes osmanthus-tabac, et enfin l’extrait CO2 de bois de chêne, effet baril de whisky.
Cette aile plus calme du salon permet de découvrir de nouveaux arrivants. Par exemple, la société Seidoko : difficile de manquer leur mascotte agrume vivante (voir photo). On est bien au Japon ! On y respire yuzu, sudachi, et hinoki, de grands classiques locaux.
L’équipe Seidoko
Verger surprend aussi avec un extrait de fruit du jacquier (banane fermentée vanille, café), et un absolu de son de riz confortable, aux accents poudrés, céréale. Deux ingrédients pour « tester le marché ».
Retour en Inde, avec Synthite (joli jasmin grandiflorum très frais, tubéreuse) et Plant Lipids, avec de beaux extraits CO2 aux prix compétitifs : un café arabica très authentique, et une cardamome upcyclée.
De l’éthique
Jacarandas valorise les plantes malgaches tout en reversant 5% de leur chiffre d’affaires aux agriculteurs : la psiadia, une note entre basilic et baies roses ; un poivre vert inédit, étonnamment frais et fumé à la fois, des ingrédients destinés à l’aromathérapie : l’hélichryse bractée, l’hélichryse gymno et bien sûr l’ylang ylang, le niaouli…
Nelixia présente entre autres le styrax résinoïde, soluble dans l’alcool – les robots vont aimer peser ça aussi ! – et sa fabuleuse tubéreuse du Guatemala qui semble envoûter le client.
Elisa Arago, Nelixia, et Laurent Mercier, Eurofragance
17 h : l’édition 2025 ferme ses portes. Je repars les narines pleines de merveilles : ambrette, champaca, café, citrus, noisette, champignons, rhum, eau de vie, tabac… J’ai pu voyager de l’Asie à l’Inde en passant par Madagascar. Et dans ce brouhaha multilingue, j’entends encore de l’animation chez Synarome. Attention traquenard : trois cocktails conçus par Le Gainsbarre (café et piano-bar installé rue de Verneuil) mêlent clémentine, monarde et thuyone.
Parfums sans alcool, le futur ? Pas encore au salon des ingrédients !
Rendez-vous les 26 et 27 mai 2026 pour une prochaine édition, grassoise cette fois !
Merci à Anne-Laure Hennequin (Master Parfums) d’avoir senti au pas de course avec moi !
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Aurélie Dematons
Fondatrice de l'agence Le Musc & la Plume, spécialisée en création de parfums et identités olfactives, elle accompagne les marques du concept au développement. Après avoir débuté chez Coty, puis Cinquième sens, Aurélie explore les territoires d'innovation : diffusion du parfum dans l'air ou création pour d'autres secteurs (hôtellerie, automobile, train). En 2017, elle part faire le tour du monde des plantes à parfums. Elle contribue régulièrement à Nez et à Expression cosmétique.
Aujourd’hui, Delphine Jelk, parfumeuse et directrice de la création de la maison Guerlain, propose une masterclass dans laquelle elle évoque son approche très sensorielle, sa relation aux ingrédients de synthèse et sa vision pour relier le passé et l’avenir de la plus ancienne maison de parfumerie française.
Une masterclass enregistrée lors de la Paris Perfume Week 2025 et animée par Sarah Bouasse.
Photo : DR.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Alors que l’industrie du parfum se penche de plus en plus sur le lien entre odeurs et émotions, la maison de composition Mane affirme son expertise sur le sujet avec son programme Wellmotion. En quoi consiste-t-il ? De quelle manière a-t-il été développé ? Comment accompagne-t-il le travail des parfumeurs ? Réponses avec Caroline Dubourg, responsable Recherche & Innovation Fragrance Consumer Good, et Caroline Plessis, parfumeuse spécialisée en chimie et captifs.
Article rédigé en partenariat avec Mane
En quoi consiste le programme Wellmotion ? Caroline Dubourg: C’est une plateforme de recherche et d’innovation développée par Mane, qui a pour but de comprendre, mesurer et prédire les liens entre parfums et émotions. Cela nous permet de proposer des compositions qui présentent un bénéfice émotionnel vérifié. D’après l’agence Mintel, 75 % des émotions que nous ressentons chaque jour sont liées à notre odorat. Les parfums sont un véritable vecteur de bien-être.
Comment avez-vous travaillé pour développer ce programme ? C.D. : Nous avons combiné différentes méthodologies issues des sciences cognitives. Nous avons d’abord interrogé les consommateurs de différents pays sur leur représentation mentale des matières premières pour comprendre les perceptions et les liens entre les émotions et les ingrédients naturels de parfumerie. Puis nous avons pratiqué des tests d’association sur des matières premières, des accords et des parfums, qui nous ont permis de définir des profils émotionnels pour tout stimulus olfactif testé, basés sur les réactions conscientes et inconscientes. Nous avons également analysé les réponses verbales spontanées du panel à l’aide de l’intelligence artificielle. Enfin, nous avons réalisé des mesures physiologiques : nous pratiquons un prélèvement salivaire avant et après un stimulus olfactif et analysons l’évolution de quatre biomarqueurs sur ce court laps de temps (10 min). C’est une technologie de pointe fiable, rapide et non-invasive, qui a été mise au point avec le CNRS et la start up SkillCell, et qui fera l’objet d’un brevet d’ici la rentrée. Cette combinaison de méthodes subjectives, objectives et physiologiques, basées sur les neurosciences, permet de prédire quelles émotions va susciter une création avec un niveau de précision inédit, à travers huit dimensions : quand je sens ce parfum, quel est mon état d’esprit ? Dynamisé ? Relaxé ? Réconforté ? Joyeux ? Sûr de moi ? Sensuel ? Élégant ? Connecté à la nature ?
Outre l’utilisation de ces méthodes complémentaires, qu’est-ce qui fait la spécificité de Wellmotion ? C.D. : Nous avons évalué l’intégralité de la palette de matières premières de nos parfumeurs pour déterminer l’impact que chacune peut avoir sur les huit dimensions émotionnelles que nous avons identifiées. Quand ils créent, les parfumeurs ne sont donc pas limités et peuvent se servir de tous les ingrédients à leur disposition. Wellmotion permet par ailleurs de prendre en compte les bénéfices de l’ensemble de la formule : nous ne nous contentons pas de revendiquer un effet relaxant parce que nous utilisons 3 % de tel ou tel ingrédient. En outre, nous avons travaillé à une échelle internationale pour recueillir des données dans différentes régions du monde.
Comment les parfumeurs l’utilisent-ils ? Caroline Plessis : C’est très simple : nous soumettons la formulation d’un parfum à la plateforme Wellmotion et l’algorithme développé en interne, basé sur de l’intelligence artificielle, permet d’obtenir un profil émotionnel pour chaque parfum de manière instantanée. Quand on change une matière première, on voit le résultat évoluer en direct, ce qui permet de s’assurer qu’on n’affadit ou même qu’on ne contrecarre pas l’effet émotionnel attendu en associant les ingrédients. C.D. : C’est vraiment une aide à la créativité : grâce à cet outil et cette librairie olfactive, les parfumeurs vont utiliser des matières premières ou des accords auxquels ils n’auraient pas forcément pensé pour un projet. En outre, on peut imaginer une infinité de combinaisons entre les différentes émotions suscitées pour répondre le plus précisément possible aux besoins de nos clients.
Pouvez-vous nous donner des exemples d’ingrédients et de leurs effets sur les émotions d’après Wellmotion ? C.P. : Ce qui est très intéressant, c’est que nos matières premières suscitent le plus souvent plusieurs émotions, avec parfois des résultats surprenants. Quand on leur a fait sentir de l’Antillone, un de nos captifs obtenu par biotechnologie, aux facettes juteuses d’ananas et de poire, les consommateurs se sont ainsi sentis dynamisés, mais aussi dans une moindre mesure relaxés et joyeux, ce qui n’était pas forcément évident pour cette note très fruitée et assez verte. Notre Orcanox upcyclé, avec ses facettes rappelant l’ambre gris, est lui capable de provoquer tout un éventail d’émotions, puisqu’il obtient les réponses « relaxé », « sûr de moi », « réconforté », mais aussi « élégant », « sensuel » et « dynamisé ». Il est aussi très instructif pour nous de savoir comment sont perçues des matières que l’on pense connaître. La lavande a ainsi été décrite par les répondants comme plaisante, élégante et sensuelle – des qualificatifs qui ne sont pas forcément ceux que j’ai en tête quand je l’utilise dans une formule. Et si elle a bien l’effet relaxant qu’on attend, les premiers marqueurs qui ressortent sont plutôt « connecté à la nature » et « dynamisé ». Au-delà des émotions qu’il nous permet de susciter grâce à nos parfums, Wellmotion est une mine d’informations et un outil passionnant pour tout ce qu’il nous réapprend sur notre palette d’ingrédients.
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Anne-Sophie Hojlo
Devenue journaliste après des études d'histoire, elle a exercé sa plume pendant dix ans au Nouvel Observateur, où elle a humé successivement l'ambiance des prétoires puis les fumets des tables parisiennes. Elle rejoint l'équipe d'Auparfum, puis de Nez, en 2018 et écrit depuis pour les différentes publications du collectif, notamment dans la collection « Les Cahiers des naturels », ou encore Parfums pour homme (Nez éditions, 2020).
Aujourd’hui, Thomas Fontaine, parfumeur et président de l’Osmothèque, Emmanuel Guichard, délégué général de la FEBEA et Tristan Hinschberger, doctorant à l’École du Louvre, reviennent sur l’influence du mouvement Art Déco sur le parfum, un siècle après l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925.
Une table ronde enregistrée lors de la Paris Perfume Week 2025 et animée par Sarah Bouasse.
Photo : DR.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Guillaume Frémondière, ingénieur agronome chez IFF et Juliette Karagueuzoglou, parfumeuse chez IFF, se penchent sur une fleur emblématique de la parfumerie : le magnolia. Ensemble, ils évoquent sa culture, sa transformation, son profil olfactif et ses usages en parfumerie.
Une table ronde enregistrée lors de la Paris Perfume Week 2025 et animée par Sarah Bouasse.
Photo : DR.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Et si les plantes avaient plus à nous dire que ce que nos yeux peuvent voir ? C’est le pari de Botanique olfactive – Sentir la nature au fil des saisons, un livre mêlant botanique, photographie et odeurs, récemment paru aux éditions Nez. À l’occasion de la dix-neuvième édition de la Fête de la nature, qui se déroule du du 21 au 25 mai 2025, nous vous proposons un échange avec l’auteur Giulio Giorgi, paysagiste, écologue et ingénieur agronome, et le photographe Audoin Desforges, qui reviennent ensemble sur cette écriture sensible du vivant, où l’odorat devient un outil d’éveil autant qu’une approche écologique. Rencontre.
Comment est née l’idée du livre Botanique olfactive, sentir la nature au fil des saisons ? Giulio Giorgi : Il s’agit d’une genèse à long terme. En tant que paysagiste, je travaille au quotidien avec des matières végétales. Très tôt, j’ai ressenti le besoin d’établir un dialogue avec les plantes que je manipulais dans mes projets. J’ai commencé à noter, dans un carnet ou sur mon téléphone, toutes les odeurs que je percevais dans la nature. Parallèlement, je me suis passionné pour l’univers du parfum, et pour toute la culture olfactive qui l’entoure. Des rencontres ont été déterminantes, comme celle d’Olivier R.P. David [rédacteur pour Nez], qui m’a aidé à identifier certaines molécules odorantes des plantes. C’est grâce à lui que j’ai été mis en relation avec l’équipe de Nez. C’est là que le projet a vraiment commencé à prendre forme.
Pourquoi avoir choisi de collaborer avec les éditions Nez, plutôt qu’avec un éditeur spécialisé en botanique ? G.G. : La collaboration avec Nez était une évidence. Leur expertise olfactive était un atout indéniable, tout comme leur compétence éditoriale. Ils maîtrisent l’art d’écrire, de structurer la pensée et d’innover. J’étais convaincu qu’ensemble, on trouverait le bon langage pour s’adresser à la fois aux jardiniers, mais aussi aux curieux et aux parfumeurs. Et puis, ils ont tout de suite cru au projet, en y apportant une forte dimension artistique, notamment avec l’idée d’un travail photographique réalisé sur le terrain.
Il est question dans le livre de « botanique olfactive ». Comment définiriez-vous cette expression ? G.G. : Je voulais souligner la dimension sensorielle des plantes. La botanique olfactive, c’est une manière d’associer la rigueur scientifique de la botanique à une approche sensible, presque poétique de la plante. C’est aussi une invitation à sentir le végétal, et à ne plus le regarder uniquement comme une forme abstraite ou colorée, mais plutôt comme un ensemble d’organismes vivants qui dialoguent avec leur environnement – et avec nous – à travers leurs odeurs.
Comment avez-vous élaboré la sélection des espèces présentées dans le livre ? G.G. : Au départ, c’était une liste beaucoup plus longue ! Puis, des critères se sont affinés : représenter toutes les formes végétales (arbres, arbustes, herbacées, lianes), répertorier les espèces par saison, et surtout, choisir des plantes que le lecteur peut croiser dans son quotidien, en ville notamment. Les photos du livre ont été entièrement faites en France par Audoin, mais elles ont une portée universelle : la botanique des jardins est cosmopolite. Beaucoup d’espèces viennent d’Asie, d’Amérique, d’ailleurs… Ce livre peut donc toucher le monde entier.
Que nous disent ces odeurs végétales ? G.G. : Il faut bien comprendre que l’odeur n’est pas un détail, c’est une information aussi importante que la couleur d’une fleur ou la forme d’une feuille. Elle raconte l’écologie de la plante, ses interactions avec le sol, l’air, les insectes, les autres végétaux. C’est un langage que l’on commence à peine à décrypter et qui me fascine.
Peut-on alors considérer les odeurs des plantes comme des indicateurs environnementaux ? G.G. : Absolument. Les odeurs sont souvent le résultat de stress ou de transformations chimiques internes. Prenez la résine de oud, par exemple, dont le parfum résulte d’une infection par un champignon de l’arbre aquilaria. Sans cette intervention extérieure, pas d’odeur ! De même, la qualité d’un sol ou le mode de culture peut influencer les composés volatils produits par une plante.
Le livre suit le cycle des saisons. Vous l’avez documenté sur une année complète ? G.G. : En réalité, le projet s’est étendu sur deux ans. Il a fallu faire beaucoup de repérages, de recherches, et surtout, attendre le bon moment pour photographier la plante en fleurs.
Audoin, comment avez-vous travaillé ensemble avec Giulio sur le terrain ? Audoin Desforges : Parfois, il m’est arrivé de partir seul sur certaines missions. Giulio me préparait des plans très précis, pour que je puisse reconnaître la plante. Mais dès qu’on pouvait être ensemble, c’était plus simple. Je pouvais observer, tourner autour, prendre le temps. G.G. : C’est vrai ! J’ai toute une collection de photos d’Audoin en train de contourner les plantes, de chercher la bonne lumière… Son regard pouvait donner des résultats très surprenants.
C’est-à-dire ? G.G. : Il y a par exemple une photo que je trouve incroyable, et très représentative du rapport que l’on entretient au végétal. Il s’agit du Photinia en fleurs [voir le chapitre « printemps » du livre, page 76]. J’étais en train de renifler les fleurs en entrant directement dans la canopée, et à ce moment-là, Audoin m’a pris en photo, de loin, pour ne faire apparaître que mes jambes, le reste du corps étant enfoui par cette crinoline de fleurs odorantes.
Justement, vous qui centrez habituellement votre travail sur les portraits de personnes, diriez-vous que la plante possède « un bon profil » ? A.D. : Les plantes sont toujours photogéniques – c’est une sacrée différence avec les humains ! [rires] Mais l’approche est totalement différente : pas de contact, pas d’échange verbal possible. Il a fallu que je développe une nouvelle forme d’écoute. J’ai travaillé avec la lumière naturelle, puis joué avec les contrastes et les volumes.
Quels défis avez-vous rencontrés sur le terrain ? A.D. : La lumière, le temps, l’accessibilité… Il fallait souvent attendre le bon moment, tourner autour de la plante, recommencer. C’était un travail d’observation, presque d’apprivoisement.
Comment s’est nouée votre collaboration ? G.G. : Avec l’équipe de Nez, on avait envisagé plusieurs photographes. Le nom d’Audoin est vite ressorti, justement parce qu’il ne venait pas du monde de la botanique. On voulait un regard neuf, une sensibilité différente. Et on a bien fait !
Quels sont vos premiers souvenirs olfactifs liés à la nature ? A.D. : Curieusement, tous mes souvenirs olfactifs viennent surtout de la cuisine. L’orgeat, l’amande… Et puis il y a ce moment précis : quand on prend le train pour se rendre dans le sud de la France, et qu’on sort du TGV : l’air ambiant sent la mer, les plantes méditerranéennes. Ce choc olfactif, je le garde très fortement en mémoire. G.G. : Pour moi, c’est le Pyracantha (ou buisson ardent). C’était une plante qu’on retrouvait partout à Milan dans les années 1980, et son odeur me fascinait. Une odeur presque métallique – certains diront : « artichaut cuit au beurre » –, pas forcément agréable, mais très marquante.
Quel est, selon vous, le message principal que ce livre pourra transmettre ? G.G. : Je crois que c’est avant tout un outil sensible, un moyen d’apprendre à mieux percevoir la complexité du vivant. Beaucoup de lecteurs nous ont dit qu’ils n’imaginaient pas que ces plantes « ordinaires » puissent être à ce point intéressantes. Certains se sont mis à les chercher pour pouvoir les sentir. Au fond, l’ouvrage est une manière de questionner notre vision anthropocentrique du monde, de prendre conscience que, tout autour de nous, se jouent une myriade de choses invisibles, et pour autant essentielles.
Le jeudi 15 mai 2025, la librairie Les Nouveautés, à Paris, accueillait le lancement du dix-neuvième numéro de Nez, la revue olfactive. Invité d’honneur de ce numéro, le parfumeur Bertrand Duchaufour était présent pour une rencontre exceptionnelle, au cours de laquelle il est revenu sur son parcours, sur la création de sa marque de parfums L’Entropiste… Sans oublier de réagir au thème du dossier de ce dix-neuvième opus : Le Bien et le Mal.
Une conversation animée par Guillaume Tesson.
Photo : DR.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Le jeudi 10 avril 2025, la librairie 7L, à Paris, accueillait le lancement du livre de Giulio Giorgi, « Botanique Olfactive – Sentir la nature au fil des saisons » (éd. Nez culture). Pour cet ouvrage, le premier à proposer une classification botanique fondée sur des critères olfactifs, l’ingénieur agronome, écologue et paysagiste-concepteur a collaboré avec des scientifiques mais aussi des parfumeurs… Sophie Labbé et Coralie Spicher, de chez DSM-Firmenich, participaient ce soir-là à une conversation en compagnie de l’auteur.
Une conversation animée par Sarah Bouasse.
Photo : DR.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
L’encens, “or du désert”, est en passe de devenir un symbole de l’identité omanaise. C’est la conviction de l’anthropologue sociale Ayesha Mualla. Enseignante-chercheuse, elle étudie les usages de l’encens dans la culture omanaise et séjourne régulièrement sur la Terre de l’encens, dans la région du Dhofar, où elle mène ses enquêtes de terrain et s’interroge sur la renaissance de cet ingrédient. Nez l’a rencontrée à l’Université de Technologie et des Sciences Appliquées de Nizwa, à une heure et demie au sud de Mascate, la capitale du Sultanat, où elle enseigne et partage son expertise.
Une interview réalisée par Eléonore de Bonneval.
Ce podcast est disponible uniquement en anglais.
Photo : Ahmed Al Kalbani.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Au menu de cette revue de presse, des odeurs qui font peur, des villes au patrimoine parfumé, des églises à respirer, des artistes et critiques au nez fin, ainsi qu’une multitude d’initiatives traduisant l’heureuse vitalité de la culture olfactive !
Il semble loin le temps où les odeurs ne s’immisçaient que rarement et discrètement dans les pages des journaux. Certaines font aujourd’hui les gros titres… de la presse culturelle ! France Culture nous emmène par exemple dans l’atelier de la designer olfactive Carole Calvez, au Jardin des métiers d’Art et du Design, à Sèvres. Cette dernière, formée à la composition olfactive en 2017, travaille depuis lors avec des artistes et des institutions culturelles, composant « des odeurs » qui n’ont pas vocation à devenir des « parfums » mais plutôt des évocations, des ambiances ou des récits, en somme des moyens d’ouvrir les imaginaires par le prisme de la sensorialité. Ces dernières années, elle a notamment cherché à évoquer l’haleine d’un dinosaure pour l’œuvre Ceci est ton souffle (2023) de l’artiste Anaïs Tondeur ou encore soigneusement associé odeurs et couleurs pour créer, en binôme avec la designer Marta Bakowski, la lampe olfactive Halo (2024). Ses collaborations institutionnelles l’ont également amenée à reconstituer le parfum d’un baume utilisé pour la momification des pharaons, ou encore à imaginer des senteurs pour des lieux historiques comme le Prieuré Saint-Cosme, dernière demeure de Ronsard, ou la villa Savoye, chef-d’œuvre du Corbusier. Au milieu des quelques « 7000 flacons » qui habitent son atelier, Carole Calvez revient ainsi, au micro de Pierre Ropert, sur quelques-unes de ces expériences passées mais aussi sur sa sensibilité de longue date pour le monde des odeurs. Elle évoque également son dernier projet : « donner à sentir le lien entre l’homme et le cheval » pour l’exposition « Des Chevaux et des Hommes » au musée de la Grande Guerre de Meaux.
En ce mois d’avril, Ouest France est également revenu sur plusieurs projets olfactifs dans les champs de l’art et du patrimoine. À Nantes notamment, « Retenir ton odeur », l’exposition personnelle de la plasticienne Julie C. Fortier fait sensation. Depuis le 3 avril ses installations emplissent en effet l’air du Passage Saint-Croix de leurs singuliers effluves. Formée à la composition de parfums il y a une dizaine d’années, l’artiste déploie dans sa pratique une inventivité plastique et olfactive remarquable — d’ailleurs mise en avant dans la monographie publiée par Nez en 2020 — qui parle à la sensibilité des petits et des grands. Depuis les capsules olfactives « givrées » de Le jour où les fleurs ont gelé (2018) jusqu’à l’hypnotique tapis en laine tuftée de Attendu Tendue (2022) en passant par les milliers de touches à parfums noires qui composent Les Intouchables (2018), les œuvres réunies ce printemps à Nantes, tout en évoquant souvenirs, liens et paysages, nous parlent aussi des matériaux odorants eux-mêmes, comme l’explique l’artiste dans l’entretien vidéo publié par le journal. En écho à l’approche multisensorielle de Julie C. Fortier, une seconde exposition, « Nantes, terre de parfums », sera également à découvrir entre le 2 mai et le 7 juin au Passage Saint-Croix. Arnaud Biette et Patrick Sarradin, « descendants de grandes familles de savonniers parfumeurs nantais », ont en effet œuvré à la mise en valeur de ce patrimoine industriel méconnu de la cité des ducs. Quatre parfumeurs nantais des XVIIIe, XIXe et XXe siècles — Sarradin, Biette, Bertin et Roux — seront ainsi mis à l’honneur dans cette exposition organisée en partenariat avec le musée d’histoire de Nantes.
Dans la Sarthe, nous apprend encore Ouest France, une visite olfactive de l’église Saint-Colombe de La Flèche semble avoir été particulièrement appréciée. Organisée par dans le cadre du label Pays d’art et d’histoire et menée par la guide conférencière Sofia Mazelie, cette expérience visait à faire découvrir différemment le patrimoine local. Les senteurs proposées durant la visite orientaient le regard des visiteurs et visiteuses en fonction des souvenirs et associations propres à chacun et chacune. Pour l’une des participantes, le parfum de la lavande évoquait par exemple la couleur bleue, attirant son attention vers l’azur étoilé de la voûte. Pour une autre, cette même essence suggérait « le soleil » et « quelque chose de joyeux », dirigeant son regard vers les vitraux, en particulier celui représentant la Libération, réalisé par l’atelier angevin Bordereau juste après la Deuxième Guerre mondiale.
Le journal nous emmène également à Courseulles-sur-Mer dans le Calvados, où les ateliers Expolfactive proposent quant à eux d’approcher la création contemporaine par le prisme de l’olfaction.Organisées tout au long des mois d’avril et de mai (puis à nouveau en octobre) par Johan Vitrey-Tardif et Charlène Robin-Maire, co-fondateurs de la parfumerie Poppy récemment ouverte dans le village normand, ces animations invitent participants et participantes de tous âges à découvrir les coulisses de la parfumerie à travers une sélection de compositions olfactives avant d’associer celles-ci aux œuvres picturales et photographiques exposées dans l’espace. Enfin, à Laval, en Mayenne, le Musée d’art naïf et des arts singuliers (MANAS) propose au public en situation de handicap (moteur, mental, visuel ou auditif) de découvrir les œuvres exposées grâce à l’odorat, au toucher et à l’ouïe. Ces visites multi-sensorielles, qui s’inscrivent, nous explique Ouest France, dans le cadre du mois de l’accessibilité, illustrent encore une fois le « tournant sensible » de la médiation culturelle ainsi que l’intérêt grandissant pour l’olfaction au sein des espaces muséaux et patrimoniaux français. Dans le cadre de l’exposition « Aube d’un Eden » visible au MANAS jusqu’en juillet, une œuvre de la peintre Jacqueline Benoit, La Rêveuse (2000), est d’ailleurs également associée à un parfum, créé en partenariat avec Les Jardins de Carbey Hills.
À l’étranger aussi les expositions olfactives trouvent de nombreux échos dans la presse. Artsyrevient ainsi sur la dernière exposition d’Otobong Nkanga au Nasher Sculpture Center de Dallas. L’artiste nigériane, qui s’est notamment fait connaître ces dernières années pour ses œuvres monumentales aux effluves d’épices, de terre ou encore de savon, présente ce mois-ci l’installation Each Seed a Bodycréée dans le cadre du prix Nasher 2025 dont elle est lauréate et qui donne son nom à l’exposition. Amarante, chicorée, cacao, café, genièvre, pamplemousse aubépine, orange, salsepareille, sorgho, yucca et sassafras, la liste des matériaux évoquent, selon l’article, « un garde-manger bien garni ou les ingrédients d’une savoureuse préparation ». C’est cependant par le nez et non par la bouche que les visiteurs et visiteuses, s’agenouillant devant la sculpture serpentine de 16 mètres de long, incorporent la dimension volatile de l’œuvre. Ce « volume sculptural qui s’incruste dans les poumons, dans la mémoire », évoque des histoires de migration et de liens aux territoires. Une autre installation de l’artiste, également olfactive, Carved to Flow, se compose de savons solides — 08 Salt Rock et 08 Red Bond — créés en collaboration avec des savonniers texans. Composés d’argile rouge, de miel vanillé, de sel, de pierre ponce et de graines de pavot, ces pains de savon retracent là-encore une certaine histoire des routes commerciales et des usages de la terre. Comme l’écrit la journaliste : les émanations odorantes des œuvres d’Otobong Nkanga sont avant tout « une invitation à prêter attention » à des récits, des systèmes ou des phénomènes enfouis, oubliés ou négligés et qui, pourtant, témoignent des entrelacs du monde.
En Nouvelle-Zélande (Aotearoa), The Post met en lumière l’exposition collective « The Brood », présentée au Dowse Art Museum à Lower Hutt dans la région de Wellington. L’odeur poignante s’échappant de l’installation Olfactory Ghost (2025) de l’artiste, musicien et parfumeur autodidacte Nathan Taarre semble avoir particulièrement remué le journaliste. Dans une pièce obscure, une dizaine de petites amulettes en céramique sont suspendues en cercle autour d’une unique ampoule, « mais la présence principale dans cette pièce est le parfum » qui « vous enveloppe et vous suit lorsque vous partez. » Ce parfum, perçu comme l’élément le plus angoissant de l’installation, est ainsi décrit : « La fin des temps. L’assèchement. Un corps enfermé dans un sac. Des choses désagréables. » Rien d’étonnant quand on sait que l’exposition tout entière prétend explorer la relation entre le cinéma d’épouvante et l’art contemporain au travers d’une multitude de médiums, tangibles et intangibles. Nathan Taare est en outre habitué des compositions olfactives pour le moins déroutantes, notamment pour sa marque de parfums Of Body qui propose par exemple une fleur martienne, une rose sanglante ou encore une amulette parfumée inspirée par les roussettes à tête-grise d’Australie…
Comme le rapporte la radio RNZ, le lien entre odeur et film d’horreur sera également bientôt au cœur d’un autre événement néo-zélandais: une projection en odorama — ou « smell-o-vision » — de l’iconique Nosferatu (1922) de Friedrich Wilhelm Murnau. « Les cinéphiles de Wellington ressentiront l’effroi non seulement avec leurs yeux mais aussi avec leur nez » annonce l’article qui revient également sur certaines expérimentations dans le champ du cinéma odorant depuis les années 1920. Cette nouvelle tentative, initiée par Tammy Burnstock, fondatrice de Scented Storytelling et habituée de l’exercice, proposera des cartes en scratch-and-sniff permettant de découvrir dix compositions — signées par l’artiste américain Jas Brooks — associées à divers moments du film de Murnau. Intitulée Nosferatu: A Symphony of Horror – Scent & Sound, la projection sera également accompagnée en live par le pianiste Peter Dasent.
Retour en Europe avec l’exposition « Sensing the Ways: On Touch, Story, Movement, and Song » au Casco Art Institute d’Utrecht (Pays-Bas) qui a attiré l’attention du magazine Metropolis en raison de l’odeur « familière et pourtant étrangère » qui accueille les visiteurs et visiteuses. Celle-ci, envahissant les différents espaces du centre d’art, émane d’une installation de l’artiste AZ OOR, Issaffen n Irifi (Rivers of Thirsts) (2023-2025), « une accumulation d’éléments culturels berbères, africains et arabes » dont une fresque murale réalisée à partir de pigments telluriques (fortement odorants) et des fragments de cire parfumée consumés à la manière d’un encens. Comme dans le cas du compte-rendu de l’exposition « The Brood », le sillage de cette œuvre sert d’ouverture et de fil conducteur à l’article montrant combien la dimension olfactive, autrefois largement ignorée par les critiques d’art, concentre désormais l’attention au point de devenir un élément central de l’expérience.
En Ecosse, le Herald ScotlandetThe National s’intéressent à l’exposition « Not to Be Sniffed At: An Aromatic History of Sauchiehall Street » qui vient de s’ouvrir à la Edward House de Glasgow. Cette collaboration entre le Glasgow Building Preservation Trust et la parfumeuse Clara Weale — fondatrice de la Library of Olfactive Material — met en valeur l’histoire de cette rue « connue pour sa richesse culturelle et sa vie nocturne animée, à travers ses effluves passés et présents ». Ateliers, conférences, promenades olfactives et autres « sniffaris » (visites guidées par le nez) permettront d’approcher autrement l’héritage culturel de cette rue iconique mais également de s’initier à la chimie des odorants et à la neurobiologie de l’olfaction grâce à l’intervention de chercheurs de l’université de Glasgow.
En Italie, enfin, plusieurs événements récents ont aussi attiré l’attention de la presse pour leur dimension olfactive. Media Keynous apprend que le festival PARMA 360 accueille cette annéeune exposition d’œuvres à respirer signées par l’artiste Francesca Casale Sensu. « Pianeti Olfattivi » entraîne le public dans un labyrinthe odorant installé au sein la Tour Visconti, un édifice médiéval iconique de la ville de Parme. Dans l’installation principale, divers parfums imprègnent des disques colorés suspendus dans l’espace, évoquant tout à la fois « des corps célestes et des structures moléculaires. » Au niveau inférieur, une seconde installation, Roots pipeline_violet (2025), composée d’un réseau de tuyaux à travers lequel circule une composition olfactive, s’inspire du système racinaire et du parfum délicat de la violette, héritage culturel olfactif de la ville, tandis qu’au deuxième étage, « une table dressée invite le spectateur à reconnaître les arômes et les parfums des aliments et des denrées typiques de la culture gastronomique et vinicole de Parme. » L’artiste présente en outre simultanément un autre série d’œuvres au Parco Sculture Del Chianti, à Castelnuovo Berardenga, en Toscane, sous le titre « Olfactus Loci ». Cette exposition, « inaugurée à l’occasion de la Journée du Parfum promue par l’Accademia del Profumo », comme le précise The Way Magazine, évoque plus particulièrement la palette aromatique des vins de la région du Chianti.
La Design Week de Milan 2025 s’est également distinguée pour la multiplicité des projets olfactifs présentés. Le Journal du luxerapporte que le couturier-parfumeur Marc-Antoine Barrois y a notamment remporté le prix de la meilleure installation pour Mission Aldebaran, un dispositif immersif et olfactif imaginé avec l’artiste Antoine Bouillot : « une forêt de cordes noires qui débouche sur un champ de tubéreuses blanches en origami », paysage contrasté au milieu duquel flottait le dernier parfum de la marque, signé par Quentin Bisch et nommé d’après Aldébaran, « la 13e étoile la plus brillante du ciel nocturne ». Etapes, saluant « une édition sous le signe du sensoriel »,revient en outre sur plusieurs autres projets présentés lors du Salone del Mobile mêlant design et senteurs. L’installation The Second Skinde la marque Aesop dans la sacristie de la Chiesa del Carmine, une église du XVe siècle, utilisait le baume aromatique pour les mains Eleos comme mortier parfumé, créant ce que l’article nomme un véritable « sanctuaire olfactif ». The Oman Collection, issue de la collaboration entre Amouage et — feu — Gaetano Pesce, est également citée par Etapes comme un mélange entre « design olfactif et art totémique ».Présentée dans l’exposition monographique « Una festa per l’architettura: modelli, pensieri e disegni » à la galerie Antonia Jannone, la collection comprend trois sièges sculpturaux — ou « trônes sensoriels » — en résine colorée et aux formes inspirées par la ramification si singulière des arbres à encens que le designer a pu admirer au Wadi Dawkah quelques mois avant sa mort. Comme l’explique le quotidien omanais Muscat Daily, qui est également revenu sur l’étroite collaboration entre Renaud Salmon, directeur artistique d’Amouage, et Gaetano Pesce, l’un des fauteuils de la collection, Oman Chair with Frankincense, mêle au polyuréthane « une autre résine, naturelle cette fois : l’encens », de sorte que « le matériau lui-même porte l’âme résineuse de Wadi Dawkah » et diffuse ses effluves millénaires.
Historienne de l’art, critique d'art et commissaire d’exposition indépendante , Clara Muller mène des recherches sur les enjeux de la respiration comme modalité de perception dans l'art contemporain ainsi que sur les diverses pratiques artistiques employant les odeurs comme médium ou sujet. Outre un certain nombre de publications des éditions Nez, elle contribue à des catalogues d’exposition, monographies d’artistes et ouvrages universitaires sur le sujet de l’art olfactif, tels que Les Dispositifs olfactifs au musée (Nez éditions, 2018) ou Olfactory Art and the Political in an Age of Resistance (Routledge, 2021). www.claramuller.fr
En 2022, les chercheurs du Centre des sciences naturelles et médicales de l’université de Nizwa, à 150 km de la capitale omanaise, Mascate, ont réussi à décoder le génome de Boswellia sacra à partir d’ADN de la feuille fraîche d’encens. Un succès qui doit beaucoup à la persévérance des équipes de scientifiques omanais.
En 2022, les chercheurs du Centre des sciences naturelles et médicales de l’université de Nizwa, à 150 km de la capitale omanaise, Mascate, ont réussi à décoder le génome de Boswellia sacra à partir d’ADN de la feuille fraîche d’encens. Un succès qui doit beaucoup à la persévérance des équipes de scientifiques omanais. L’espèce d’arbre à encens qui pousse dans le sultanat est un peu la star des 24 espèces recensées : au terme de quatre ans d’études, les scientifiques ont élu Boswellia sacra comme le plus prometteur en matière thérapeutique, devant sept concurrents. Dans sa résine, ils ont identifié plus de 100 composés susceptibles de soigner. Parmi toutes ces molécules, les chercheurs ont notamment isolé l’encensol, dont les vertus anti-inflammatoires et antidépressives se sont révélées supérieures, et qui a également été utilisé en combinaison avec les acides boswelliques dans un remède contre le psoriasis.
Ces derniers, principaux constituants de la résine de sacra, seraient à l’origine des effets thérapeutiques les plus intéressants. Un type d’acides boswelliques apparaît même terriblement prometteur : l’acide acétyl-11-céto-β-boswellique (AKBA), un composé anti-inflammatoire puissant. Extrait depuis 2015, l’AKBA est disponible à hauteur de 3 % dans la résine d’encens.
Dans le Dhofar, où pousse l’arbre à encens, ces résultats n’étonneront personne. Au sein de cette région du sud d’Oman, chacun sait que boire de l’eau où macèrent des larmes d’encens permet de chouchouter son colon et de conserver sa mémoire. Dans la médecine du Moyen-Orient, les acides boswelliques sont employés dans le traitement des affections inflammatoires des articulations et des os, de la moelle épinière et des troubles respiratoires. Des études ont été menées sur l’effet analgésique de Boswellia sacra, confirmant le bien-fondé de l’utilisation traditionnelle de l’encens par les Omanais pour soulager les douleurs musculaires et gastriques.
Plusieurs dizaines de dérivés ont depuis été produits à partir de ce composant naturel, en vain jusqu’à ce jour. Des essais ont été mis en place pour accroître sa solubilité dans l’eau, afin d’en faire un médicament plus facile à ingérer. Des recherches ont aussi lieu pour augmenter la concentration d’acides boswelliques dans la résine d’encens. Car pour l’instant ce petit miracle se vend à prix d’or : 120 euros le milligramme !
En septembre 2025, l’université du Dhofar, à Salalah, accueillera la troisième Conférence sur l’encens et les plantes médicinales, où sont attendus une douzaine de conférenciers provenant de onze pays. Le sommet s’annonce prometteur, après deux publications scientifiques qui ont fait date en 2024. « L’encens est magique ! » confirme le professeur Luay Rashan, spécialiste de pharmacologie qui dirige le Laboratoire de recherche sur la biodiversité et l’encens de l’université du Dhofar. Cette structure étudie la « nourriture des dieux » sous un grand nombre d’aspects (chimiques, pharmacologiques, biologiques…) en collaboration avec plusieurs universités, en Allemagne, Suisse, Italie, Corée du Sud et Australie.
Boswellia sacra a été étudié pour ses effets anticancéreux potentiels. Il renforcerait le système immunitaire pendant les chimiothérapies. Et pourrait être utile dans la lutte contre le cancer de la peau. Les acides boswelliques ont également montré un effet antiprolifératif sur les tumeurs, notamment celles du sein et du cerveau. Les extraits alcooliques d’oliban, eux, inhibent la croissance des champignons, bactéries et autres microbes : ces propriétés ont d’ailleurs permis aux chercheurs de mettre au point un puissant désinfectant pour les mains à base d’encens pendant la pandémie de Covid-19.
Alors, Boswellia sacra, remède à tout faire pour soulager les maux modernes ? « Si l’encens était une panacée, cela se saurait, » sourit Xavier Fernandez, professeur de chimie à l’Institut de chimie de Nice. Les propriétés anti-inflammatoires d’un ingrédient ne suffisent pas à en faire un médicament, met en garde le scientifique. Et son usage pourrait être délaissé au fil du temps, car d’autres produits sont mis au point, moins chers, plus simples, plus efficaces. « C’est comme lorsqu’on parle des vertus du chocolat : il contient bien du magnésium qui permet de lutter contre le stress, des polyphénols, aux nombreuses vertus, et du cuivre, efficace contre les cheveux blancs. Mais il faudrait en manger plusieurs kilos par jour pour observer une réelle activité biologique ! »
L’huile essentielle d’oliban est en revanche utilisée avec succès par les aromathérapeutes dans les services de soins palliatifs, indique Xavier Fernandez. Des études ont montré une amélioration de la qualité de l’existence des personnes en fin de vie. Plusieurs articles ont également été publiés afin de démontrer l’effet de Boswellia sacra sur le système nerveux. Ils soulignent l’action de l’encensol, une molécule susceptible de réduire le stress et l’anxiété en favorisant détente, bien-être et relaxation. Jusqu’à soigner la dépression ? Les recherches se poursuivent… Rappelant une fois de plus que la frontière entre l’olfactif et le thérapeutique peut être ténue, à l’image du kyphi des Égyptiens, ce « parfum deux fois bon » qui soignait à la fois le corps et l’esprit.
Journaliste au Monde, Béatrice Boisserie a lancé les ateliers de YOS (yoga olfacto-sonore) pour se mettre à l'écoute de l'effluve, du souffle et de la voyelle. En 2012, elle a créé le blog Paroles d'odeurs pour reccueillir les souvenirs olfactifs de personnalités ou d'inconnus. Après des études de philosophie et d'ethnologie, elle se forme au parfum chez Cinquième sens et au yoga du son à l'Institut des arts de la voix. Elle est l'auteur de 100 questions sur le parfum (La Boétie, 2014).
A journalist at Le Monde, Béatrice Boisserie is a member of the Nez Collective. She has notably published 100 questions about perfume (ed. La Boétie, 2014).
L’apprentissage du métier de parfumeur ne s’arrête pas à la sortie de l’école. On pourrait même dire que c’est là qu’il commence vraiment… Car souvent, les maisons de composition continuent de former leurs plus jeunes recrues en les plaçant sous l’égide d’un ou de plusieurs créateurs expérimentés. Comment fonctionne ce système d’apprentissage ? En quoi consiste-t-il concrètement ? Éléments de réponse avec le parfumeur Jean-Christophe Hérault (IFF) et Alexzander Aboyade-Cole, son apprenti.
Une table ronde enregistrée lors de la Paris Perfume Week 2024 et animée par Sarah Bouasse.
Photo : DR.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
La deuxième Paris Perfume Week à peine achevée, tous les yeux se tournent déjà vers une autre capitale, du parfum celle-là : Grasse ! Rendez-vous en juillet…
En effet, avant même que le succès de l’événement parisien soit conforté par son édition 2025, Nez, le mouvement culturel olfactif et la ville de Grasse étaient convenus de transposer ce festival d’un genre inédit au cœur de la capitale mondiale du parfum, pour donner naissance à la Grasse Perfume Week. Elle verra le jour en juillet 2025 pour une semaine entièrement dédiée au parfum et à la culture olfactive. Le grand public, les passionnés de parfums, les professionnels, tous pourront venir à la découverte de ce qui fait la création contemporaine de parfum : marques, maisons de composition, parfumeurs, producteurs d’ingrédients, scientifiques…
Au menu de cette revue de presse, des chiens médecins, enquêteurs, sauveteurs ou naturalistes, des rats sommeliers et des loups menés par le bout du nez. Ce printemps, l’odorat des autres mammifères est à l’honneur !
Avec plus de 100 à 300 millions de récepteurs olfactifs — selon les races — les chiens sont, nous le savons, des flaireurs d’exception. Or les résultats d’une étude publiée en mars et relayée depuis par plusieurs médias internationaux nous promettent une connaissance bientôt plus approfondie de ce système sensoriel ultra-développé. Une équipe de l’Université Bar-Ilan de Tel-Aviv a en effet récemment mis au point un système permettant de mesurer à distance l’activité cérébrale des chiens dans le bulbe olfactif, l’hippocampe et l’amygdale. Grâce à un laser et une caméra numérique, les chercheurs et chercheuses ont pu mettre en lumière des « motifs de mouchetures » spécifiques liés à l’activation de ces régions clés au moment de l’olfaction. Cette méthode non-invasive et moins contraignante que l’IRM ou l’EEG (qui réclament la sédation et/ou le confinement de l’animal) ouvre donc de nouvelles perspectives pour étudier le traitement de l’information olfactive chez les mammifères. Les auteurs et autrices imaginent en outre des applications pratiques : examiner en temps réel les réponses cérébrales des chiens permettrait par exemple d’utiliser leur système olfactif « comme capteur olfactif naturel, connecté à distance à un ordinateur, permettant ainsi de comprendre une odeur particulière détectée ». Il ne s’agirait donc plus d’observer seulement les réactions de l’animal face à divers odorants appris — notamment émis par des drogues, des explosifs ou des maladies —, mais d’observer également celles de son cerveau !
Les êtres humains n’ont cependant pas attendu de tels dispositifs pour mettre à profit la sensibilité olfactive des chiens. Dans le domaine médical notamment, celle-ci est de plus en plus exploitée, permettant de détecter efficacement un nombre croissant de maladies. Comme le rapporte le New York Post, l’organisation britannique Medical Detection Dogs forme actuellement des chiens à détecter le cancer colorectal à un stade précoce en analysant des échantillons d’urine. Trois labradors, trois cockers spaniel anglais et un retriever à poil plat ont pour l’instant été soumis à divers exercices et les premiers résultats semblent prometteurs. Les mêmes chiens sont également formés à reconnaître d’autres signatures olfactives, comme celle la maladie de Parkinson, de la maladie d’Addison, ou de la Covid-19. D’après The Guardian, des chercheurs de l’Imperial College School of Medecine de Londres ont également découvert que les chiens peuvent identifier à la truffe certaines bactéries spécifiques telles que Pseudomonas aeruginosa, à l’origine de nombreuses pathologies et très résistante aux antibiotiques. Jodie, un labrador doré de l’équipe canine de Medical Detection Dogs, est ainsi l’un des premiers chiens à être entrainé pour détecter cette bactérie à partir de vêtements portés par les patients. Alors qu’environ un million de décès sont causés annuellement par des bactéries multirésistantes, la détection plus précise qu’autorise le flair canin permettrait de garantir l’usage du « bon antibiotique et ainsi limiter le problème croissant de la résistance aux antimicrobiens, qui s’aggravera si nous administrons aux patients le mauvais type d’antibiotiques, » explique la professeure Jane Davies.
La médecine n’est d’ailleurs pas le seul domaine dans lequel les chiens et leur odorat s’avèrent des alliés précieux. Dans un second article, The Guardianévoque les canidés qui ont récemment permis de repérer 13 « dragons sans oreilles », ou Tympanocryptis pinguicolla, dans les prairies de l’ouest de Melbourne, en Australie. Cette espèce de reptile endémique, la plus menacée du pays, n’avait plus été aperçue depuis 50 ans quand quelques spécimens avaient été redécouverts à la fin des années 2010. Les scientifiques, qui estiment qu’à peine 200 individus subsisteraient à l’état sauvage, ont cependant beaucoup de mal à recenser précisément ces minuscules sauriens, « difficile à repérer avec les techniques d’enquête traditionnelles ». Formés durant un an au zoo de Victoria, deux chiens ont néanmoins réussi à retrouver la piste de ces créatures et à identifier plusieurs terriers occupés. Comme l’explique l’écologue Emma Bennett – qui travaille depuis une vingtaine d’années avec des chiens sur des missions de préservation –, les agents de détection de la faune sauvage, en Australie comme ailleurs, s’allient de plus en plus souvent à ces animaux au nez fin car « si quelque chose est caché ou camouflé dans un terrier, ou simplement difficile à voir, il peut être facile de le sentir ».
En Belgique, c’est pour la police criminelle que nos amis à quatre pattes remuent ciel et terre, toujours du bout de la truffe. D’après Reuters et Science et Vie,un chercheur de Gembloux Agro-Bio Tech, le Dr. Clément Martin, aurait en effet développé un parfum reproduisant celui des os humains desséchés. Si certains chiens policiers étaient déjà formés à identifier l’odeur de chair en décomposition, celle des os, en revanche, singulièrement différente, ne faisait pas partie de leur entraînement. « Une fois que les tissus mous ont disparu, les molécules odorantes des os restants deviennent nettement moins nombreuses » a déclaré le jeune chercheur. En outre, « un os de 3 ans aura une odeur différente de celle d’un os de 10 ans ». C’est donc à un tout nouvel apprentissage que doivent se soumettre les chiens de la police belge pour assister sur les affaires les plus anciennes. Composé à partir d’analyses chromatographiques d’ossements fournis par un anthropologue, le premier parfum composé par le Dr. Martin a notamment été testé par Bones, le bien nommé Springer anglais de l’inspecteur Kristof Van Langenhove. Il devrait permettre à l’animal de localiser des restes humains anciens, facilitant ainsi la résolution d’affaires jusqu’à présent non élucidées.
En ce début de printemps, France Bleu célèbre pour sa part l’odorat de Max et Sia, deux Border Collies entrainés à secourir les victimes d’avalanche dans les Pyrénées-Orientales où cinq équipages de chiens sauveteurs ont été opérationnels tout l’hiver. Le reportage évoque la manière — ludique — dont ces alliés à quatre pattes sont formés « à détecter n’importe quelle odeur humaine », même à travers un épais manteau neigeux. D’une rapidité ingalée, ces chiens sont essentiels aux secouristes qui disposent d’à peine quinze minutes pour sauver une personne ensevelie. L’été, ces mêmes équipes cynophiles aident également à retrouver les randonneurs et randonneuses ayant perdu leur chemin ! De la médecine à la crimilogie en passant par l’écologie et le secourisme, le flair canin s’avère ainsi, en toute circonstance, d’une efficacité redoutable. Comme l’écrivait en 1900 le grand naturaliste Jean-Henri Fabre : « Nez de chien ne peut mentir. »
Peut-on en dire autant du nez des rats ? Il semble que oui. Une étude publiée en février dans Animal Cognition et intitulée « Les rats peuvent distinguer (et généraliser) deux variétés de vin blanc » a d’ailleurs fait largement parler d’elle en suggérant que les rongeurs seraient en passe de devenir sommeliers. Du moins est-ce ainsi que plusieurs journaux ont humoristiquement repris l’information. Une équipe de chercheuses australiennes a en effet montré que les rats étaient tout à fait capables, après un entraînement spécifique, de distinguer au nez deux cépages, le Riesling et le Sauvignon blanc. Leur taux de réussite de 94% dépasse même les performances habituelles des dégustateurs professionnels ! « Nos rats ont été entraînés à reconnaître un profil olfactif de Sauvignon blanc ou de Riesling, et la plupart d’entre eux ont pu projeter ces profils olfactifs appris sur de nouveaux vins issus de sauvignon blanc et de riesling » expliquent les scientifiques. Ces résultats « étayent clairement l’hypothèse selon laquelle les animaux non humains peuvent à la fois apprendre et généraliser des concepts olfactifs complexes. » Si les rats devront acquérir bien d’autres compétences avant de remplacer les sommeliers et œnologues, les autrices de cette première étude se proposent déjà « d’explorer la capacité des rats à apprendre perceptivement d’autres catégories moins évidentes liées à la dégustation de vin chez l’homme, comme le producteur ou la région d’origine. »
Pour finir cette revue de presse animalesque — qui vous donne peut-être envie de relire le septième numéro de la revue Nez et de plonger dans L’Odorat des animauxde Gérard Brand —, suivons France Bleu sur la piste du loup dans les Pyrénées-Atlantiques « Comment protéger les troupeaux contre les attaques de loups ? ». Dans les régions où le prédateur a repris ses droits ces dernières années, la question est de première importance pour les éleveurs et les éleveuses. Avec l’idée de promouvoir une cohabitation apaisée, plusieurs entreprises ont imaginé des collier conçus pour être portés par les chèvres ou les moutons et diffusant des molécules volatiles connues pour être des phéromones lupines. Il s’agit ainsi de simuler l’occupation d’un territoire par d’autres loups afin de dissuader toute approche ou attaque du troupeau. « Les loups respectent scrupuleusement le territoire d’autres loups, » explique Johann Fournil de l’entreprise M2i, spécialiste du biocontrôle. « Donc l’idée consiste à reproduire une odeur dissuasive, une barrière olfactive. » Le dispositif a pour le moment été testé en Suisse, en Italie et en Grèce, avec des résultats encourageants. D’après La République des Pyrénées, de nouveaux tests devraient avoir lieux en France cette année.
Historienne de l’art, critique d'art et commissaire d’exposition indépendante , Clara Muller mène des recherches sur les enjeux de la respiration comme modalité de perception dans l'art contemporain ainsi que sur les diverses pratiques artistiques employant les odeurs comme médium ou sujet. Outre un certain nombre de publications des éditions Nez, elle contribue à des catalogues d’exposition, monographies d’artistes et ouvrages universitaires sur le sujet de l’art olfactif, tels que Les Dispositifs olfactifs au musée (Nez éditions, 2018) ou Olfactory Art and the Political in an Age of Resistance (Routledge, 2021). www.claramuller.fr
Les 18 et 19 juin 2025, Barcelone accueillera la sixième édition du Barcelona Perfumery Congress. Placé sous le signe de l’innovation et de la création, ce rendez-vous veut devenir un incontournable pour les professionnels de la parfumerie. Rencontre avec Ivan Borrego, directeur général de Beauty Cluster et fondateur de l’événement.
En quelques mots, pouvez-vous nous présenter le Barcelona Perfumery Congress ? Au sein du Beauty Cluster, nous avons créé le Barcelona Perfumery Congress comme un événement à la fois scientifique, technique et axé sur le développement commercial, afin de rassembler tous les professionnels et experts de l’innovation dans la chaîne de valeur de l’olfaction et de la parfumerie. De la science de l’odorat à l’innovation en parfumerie, l’événement permet à la fois de se connecter avec d’autres professionnels, mais aussi de participer à des activités sensorielles, de découvrir les dernières innovations les plus transformatrices, et enfin de prendre part à un espace intense de développement commercial. Le salon est aussi un lieu de rencontre privilégié avec l’industrie espagnole de la parfumerie, actuellement deuxième exportatrice mondiale de parfums et d’huiles essentielles, le tout dans un cadre idyllique : la ville de Barcelone.
Combien d’exposants participent et quels sont leurs profils ? Nous avons déjà confirmé la participation de 100 exposants couvrant tous les métiers de l’industrie du parfum. De grandes entreprises multinationales soutiennent l’événement en tant qu’exposants, sponsors et partenaires. L’exposition couvre les matières premières, les huiles essentielles, les maisons de composition, la sous-traitance, la créativité, le design, le packaging, les technologies numériques, les services réglementaires, les tests et analyses, la recherche olfactive, et bien d’autres services et produits liés à la création olfactive et parfumée ! De plus, l’édition 2025 marque un tournant dans l’internationalisation du BPC, avec un triplement du nombre d’exposants internationaux par rapport à l’édition 2023. Des pays comme l’Inde, la France, l’Italie, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Argentine, le Brésil et l’Égypte seront représentés par des entreprises de premier plan.
L’innovation semble être au cœur de votre événement. Comment cela se traduit-il concrètement ? Au sein du Beauty Cluster, nous menons un travail assez considérable pour identifier du contenu pertinent associé à l’innovation, allant de la recherche scientifique olfactive aux dernières avancées de l’industrie. Nous les recherchons, les collectons, les analysons et collaborons avec des acteurs innovants pour qu’ils puissent les présenter, les exposer, créer du contenu spécifique et leur donner de la visibilité, tout en les connectant à des partenaires potentiels afin que ces innovations deviennent des produits ou services rentables.
Il semble que plusieurs concours seront organisés à cette occasion, comme la Mouillette d’Argent. Que représente ce prix ? Nous participons à l’organisation de deux types de prix. Le premier est celui des Barcelona Perfumery Awards, remis durant le congrès, qui récompensent l’innovation dans l’industrie du parfum. Le second prix, la Mouillette d’Argent, est un concours indépendant de parfumerie organisé depuis 2018, qui met à l’honneur la créativité des parfumeurs. Chaque année, une centaine de parfumeurs issus de 25 pays présentent leur création autour de la note olfactive que nous sélectionnons — en 2025, il s’agira du ciste. Les créations finalistes sont exposées dans les meilleures boutiques de Barcelone, Madrid et Andorre. De plus, un jury d’experts composé de grands maîtres parfumeurs décerne les prix. La Mouillette d’Argent est un concours indépendant que le Cluster soutient depuis sa création et dont la cérémonie de remise des prix aura lieu cette année le 20 juin, juste au lendemain de la clôture du congrès. Une magnifique semaine dédiée à la parfumerie se prépare donc à Barcelone, avec ces deux événements conjugués.
Quelles sont les spécificités de l’industrie de la parfumerie espagnoleet comment évolue ce marché, selon vous ? L’industrie de la parfumerie espagnole s’est toujours distinguée par la combinaison de la tradition, du savoir-faire et de l’innovation. Elle bénéficie également d’une chaîne de valeur très solide, avec de grandes entreprises fournisseurs basées en Espagne et des filiales à l’international. Ces dernières années, elle est clairement devenue une industrie tournée vers l’export (deuxième exportatrice mondiale de parfums et d’huiles essentielles) et connaît un véritable essor des marques de parfumerie indépendante et de niche, dont la majorité est basée à Barcelone. En plus de compter certains des principaux leaders de l’industrie, nous avons également des entités qui valorisent à l’international l’image de nos maîtres parfumeurs, comme l’Academia del Perfume.
Quels sont vos objectifs pour l’avenir ? Nous pensons que le Barcelona Perfumery Congress doit continuer à apporter avant tout de la valeur au secteur. De nombreux événements intéressants existent déjà dans le monde de la parfumerie, mais nous devons continuer à adopter une approche innovante et inspirante de la parfumerie. Notre objectif immédiat au sein du Beauty Cluster est de faire de l’édition 2025 un succès, que les visiteurs comme les exposants atteignent leurs objectifs de participation, puis de prendre le temps, avec les principaux acteurs de l’industrie, de réfléchir ensemble au futur.
On ne le dira jamais assez : les insectes sont essentiels à la vie, indispensables pour la pollinisation. Mais ils sont aujourd’hui mis à mal par nos activités humaines. David Siaussat, professeur à Sorbonne Université et membre de l’Institut d’Écologie et des Sciences de l’Environnement de Paris, étudie les effets des polluants anthropiques sur les insectes, et notamment sur leur système olfactif. Nous avions discuté avec lui pour l’article « Le nez au vert », dans Nez#18 – La Couleur des odeurs. Mais cet échange passionnant méritait bien un article à lui seul : voici donc l’ensemble de l’entretien.
Comment définissez-vous la notion de « pollution » ? Au sens strict, la pollution peut être définie comme un changement de concentration d’un facteur environnemental, par rapport à un état initial. Elle peut donc être chimique comme sonore, visuelle… Au laboratoire, nous sommes globalement centrés sur le versant chimique, avec l’idée que la pollution anthropique, c’est-à-dire générée par l’activité humaine, affecte aussi les insectes. Lorsqu’on choisit les polluants étudiés, on réfléchit à quoi ceux-ci peuvent être exposés : les pesticides, ce qui semble évident, mais aussi des métaux lourds, perturbateurs endocriniens, micro ou nano plastiques qui contaminent les écosystèmes et peuvent affecter les organismes vivant dans les champs.
Comment choisissez-vous les polluants et les insectes que vous étudiez ? Nous reproduisons les situations au laboratoire – nous n’avons pas encore la possibilité de faire des tests in natura. Nous cherchons à reproduire des conditions réalistes, au niveau des concentrations, des interactions entre les différents éléments. Nous testons ce que nous repérons sur le terrain : par exemple, nous avons mesuré la deltaméthrine, après avoir vu passer plusieurs rapports pouvant indiquer des effets inattendus suite à une exposition à des doses sublétales de ce pesticide. Nous ne testons pas ce qui est créé par les industriels avant que ce soit mis sur le marché ; nous testons des pesticides en usage et ceux qui ont été interdits, car ils peuvent être très persistants – comme le chlorpyriphos ou le méthomyl.. Quant aux insectes, nous en étudions deux principaux : le Spodoptera litoralis, un ravageur de cultures et notamment de coton ; et la drosophile comme boîte à outil génétique. En parallèle, nous avons des programmes spécifiques : on va alors chercher les insectes sur le terrain. Nous sommes cependant limités pragmatiquement car ces recherches prennent du temps. Mais on sait qu’il faudrait faire ces études sur beaucoup plus d’insectes, car on a pu observer que les réponses ne sont pas du tout les mêmes selon les insectes évalués pour un même polluant, et même en fonction des lieux, car les trajectoires de vie (exposition ou non à certains pesticides) font que les réponses sont différentes. On connaît encore trop mal les effets de tous les polluants.
Comment mesurez-vous les effets des polluants sur les insectes ? Nous avons deux types d’analyse : celles sur le développement et celles sur le comportement. Il s’agit de processus assez longs. Pour évaluer le développement, nous travaillons sur l’exposition des individus selon le mode supposé de contamination des polluants, soit par contact, soit par ingestion. Nous analysons alors les effets sur les différents stades du développement (larvaire, chrysalide, adulte) : la mortalité, la durée des stades, les altérations de prise de poids, l’équilibre entre proportions de mâles et femelles – ou sexe ratio –… Quand nous observons des effets, nous cherchons au niveau moléculaire (analyse transcriptomique), en étudiant les taux d’hormones pour mesurer la perturbation endocrinienne, en mesurant les gênes pour voir par exemple s’il y a des gènes de stress ou de détoxification qui sont activés. Quant à l’analyse du comportement, plutôt chez l’adulte, on regarde la qualité de la reproduction : y a-t-il accouplement ? Production d’œufs ? Ces œufs donnent-ils des larves vivantes ou non ? On peut aussi analyser la qualité de l’accouplement, en mesurant par exemple le temps d’accouplement. On peut aller jusqu’à l’analyse de paramètres comportementaux : vibration à l’air, redressement des antennes, mouvements de l’abdomen… dont l’altération est la preuve que le polluant altère le comportement de l’insecte. Pour aller plus loin, on fait de l’électrophysiologie au niveau des antennes des insectes, de certains neurones olfactifs.
Quelles conséquences avez-vous pu observer ? Ils sont divers. On sait que les polluants sont responsables d’un taux de mortalité élevé chez certaines populations d’insectes, mais l’exposition sublétale peut avoir des conséquences tout aussi dramatiques. Une de nos spécialités est d’étudier les perturbations endocrines, qui auront des conséquences sur l’accouplement et la reproduction. Mais les effets neurotoxiques peuvent provoquer des problèmes de détections, de perturbation de l’intégration du signal visuel ou olfactif. Or, chez les insectes, le système olfactif est extrêmement important, plus encore que la vision : c’est un système hautement performant, qui permet en grande partie l’orientation. Cela aura des conséquences importantes sur leur survie, mais aussi sur leur reproduction par exemple, puisque le brouillage peut empêcher de trouver un partenaire. On sait aussi que, contrairement au principe de Paraclèse, ce n’est pas la dose qui fait le poison avec les perturbateurs endocriniens. Ce qui ne tue pas l’insecte peut avoir de forts effets hormétiques négatifs ou positifs. Cela peut parfois aussi toucher plusieurs générations et avoir des effets très négatifs sur la physiologie et le développement des générations (N+1). Les effets peuvent être faibles voire inexistants sur la population directement exposée, mais très forts pour les générations suivantes. Nous avons en projet de tester les effets sur 25 générations : au laboratoire, dans des conditions optimales, cela nous prendra un an.
Avez-vous observé des modifications de l’odorat des insectes ? Nous avons notamment noté une évolution dans la détection des phéromones lors de l’exposition à la deltaméthrine, à travers une capacité accrue, une surexcitation des mâles, qu’on pourrait qualifier d’« effet viagra ». Ils s’accouplent alors beaucoup plus rapidement avec la femelle : c’est ce qui pourrait expliquer qu’il y ait une explosion de ravageurs sur un champ alors même qu’un traitement phytosanitaire a été appliqué. Une femelle pondant entre 400 et 600 œufs, l’effet multiplicateur est conséquent.
Les produits les plus persistants sont-ils nécessairement les plus dangereux ? De nombreux produits persistants, développés dans l’après-guerre, ont provoqué de grands scandales dans les années 1970 parce qu’ils provoquaient une forte mortalité des insectes mais également parce qu’ils ont eu des effets délétères sur les écosystèmes et la santé humaine. Les nouveaux pesticides de synthèse, comme les pyréthrinoïdes, ont des demi-vies plus courtes en se dégradant plus rapidement. Mais leur dégradation dans le temps ou dilution dans l’espace lors de l’application en champs peut aussi à créer des conditions de faibles ou doses sublétales. : ces conditions peuvent avoir des effets hormétiques importants, parfois moins évidents à observer car moins immédiats ou marqués. A l’Institut d’Écologie et des Sciences de l’Environnement, nous analysons actuellement les perturbateurs endocriniens par l’intermédiaire de la plante : on l’arrose avec du bisphénol A ou des phtalates, on regarde l’effet sur la plante, on la donne à manger aux insectes, puis on étudie leur comportement. Si les résultats sont en cours, on peut déjà observer des effets très clairs de perturbation, preuve que la pollution peut passer par le réseau trophique et l’alimentation.
Vos travaux sont-ils pris en compte par les réglementations ? Je n’ai pas observé de changement pratique. J’ai vu une prise en considération par les agences de réglementation de nos résultats, en tant que données qui se cumulent dans les preuves de la dangerosité des produits ; mais pas de loi qui impose d’étudier les effets des faibles doses avant la mise sur le marché d’un produit, ou qui teste les effets hormétiques potentiels…
Illustration : Maxime Sudol
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Jessica Mignot
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
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