L’encens, “or du désert”, est en passe de devenir un symbole de l’identité omanaise. C’est la conviction de l’anthropologue sociale Ayesha Mualla. Enseignante-chercheuse, elle étudie les usages de l’encens dans la culture omanaise et séjourne régulièrement sur la Terre de l’encens, dans la région du Dhofar, où elle mène ses enquêtes de terrain et s’interroge sur la renaissance de cet ingrédient. Nez l’a rencontrée à l’Université de Technologie et des Sciences Appliquées de Nizwa, à une heure et demie au sud de Mascate, la capitale du Sultanat, où elle enseigne et partage son expertise.
Une interview réalisée par Eléonore de Bonneval.
Ce podcast est disponible uniquement en anglais.
Photo : Ahmed Al Kalbani.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Au menu de cette revue de presse, des odeurs qui font peur, des villes au patrimoine parfumé, des églises à respirer, des artistes et critiques au nez fin, ainsi qu’une multitude d’initiatives traduisant l’heureuse vitalité de la culture olfactive !
Il semble loin le temps où les odeurs ne s’immisçaient que rarement et discrètement dans les pages des journaux. Certaines font aujourd’hui les gros titres… de la presse culturelle ! France Culture nous emmène par exemple dans l’atelier de la designer olfactive Carole Calvez, au Jardin des métiers d’Art et du Design, à Sèvres. Cette dernière, formée à la composition olfactive en 2017, travaille depuis lors avec des artistes et des institutions culturelles, composant « des odeurs » qui n’ont pas vocation à devenir des « parfums » mais plutôt des évocations, des ambiances ou des récits, en somme des moyens d’ouvrir les imaginaires par le prisme de la sensorialité. Ces dernières années, elle a notamment cherché à évoquer l’haleine d’un dinosaure pour l’œuvre Ceci est ton souffle (2023) de l’artiste Anaïs Tondeur ou encore soigneusement associé odeurs et couleurs pour créer, en binôme avec la designer Marta Bakowski, la lampe olfactive Halo (2024). Ses collaborations institutionnelles l’ont également amenée à reconstituer le parfum d’un baume utilisé pour la momification des pharaons, ou encore à imaginer des senteurs pour des lieux historiques comme le Prieuré Saint-Cosme, dernière demeure de Ronsard, ou la villa Savoye, chef-d’œuvre du Corbusier. Au milieu des quelques « 7000 flacons » qui habitent son atelier, Carole Calvez revient ainsi, au micro de Pierre Ropert, sur quelques-unes de ces expériences passées mais aussi sur sa sensibilité de longue date pour le monde des odeurs. Elle évoque également son dernier projet : « donner à sentir le lien entre l’homme et le cheval » pour l’exposition « Des Chevaux et des Hommes » au musée de la Grande Guerre de Meaux.
En ce mois d’avril, Ouest France est également revenu sur plusieurs projets olfactifs dans les champs de l’art et du patrimoine. À Nantes notamment, « Retenir ton odeur », l’exposition personnelle de la plasticienne Julie C. Fortier fait sensation. Depuis le 3 avril ses installations emplissent en effet l’air du Passage Saint-Croix de leurs singuliers effluves. Formée à la composition de parfums il y a une dizaine d’années, l’artiste déploie dans sa pratique une inventivité plastique et olfactive remarquable — d’ailleurs mise en avant dans la monographie publiée par Nez en 2020 — qui parle à la sensibilité des petits et des grands. Depuis les capsules olfactives « givrées » de Le jour où les fleurs ont gelé (2018) jusqu’à l’hypnotique tapis en laine tuftée de Attendu Tendue (2022) en passant par les milliers de touches à parfums noires qui composent Les Intouchables (2018), les œuvres réunies ce printemps à Nantes, tout en évoquant souvenirs, liens et paysages, nous parlent aussi des matériaux odorants eux-mêmes, comme l’explique l’artiste dans l’entretien vidéo publié par le journal. En écho à l’approche multisensorielle de Julie C. Fortier, une seconde exposition, « Nantes, terre de parfums », sera également à découvrir entre le 2 mai et le 7 juin au Passage Saint-Croix. Arnaud Biette et Patrick Sarradin, « descendants de grandes familles de savonniers parfumeurs nantais », ont en effet œuvré à la mise en valeur de ce patrimoine industriel méconnu de la cité des ducs. Quatre parfumeurs nantais des XVIIIe, XIXe et XXe siècles — Sarradin, Biette, Bertin et Roux — seront ainsi mis à l’honneur dans cette exposition organisée en partenariat avec le musée d’histoire de Nantes.
Dans la Sarthe, nous apprend encore Ouest France, une visite olfactive de l’église Saint-Colombe de La Flèche semble avoir été particulièrement appréciée. Organisée par dans le cadre du label Pays d’art et d’histoire et menée par la guide conférencière Sofia Mazelie, cette expérience visait à faire découvrir différemment le patrimoine local. Les senteurs proposées durant la visite orientaient le regard des visiteurs et visiteuses en fonction des souvenirs et associations propres à chacun et chacune. Pour l’une des participantes, le parfum de la lavande évoquait par exemple la couleur bleue, attirant son attention vers l’azur étoilé de la voûte. Pour une autre, cette même essence suggérait « le soleil » et « quelque chose de joyeux », dirigeant son regard vers les vitraux, en particulier celui représentant la Libération, réalisé par l’atelier angevin Bordereau juste après la Deuxième Guerre mondiale.
Le journal nous emmène également à Courseulles-sur-Mer dans le Calvados, où les ateliers Expolfactive proposent quant à eux d’approcher la création contemporaine par le prisme de l’olfaction.Organisées tout au long des mois d’avril et de mai (puis à nouveau en octobre) par Johan Vitrey-Tardif et Charlène Robin-Maire, co-fondateurs de la parfumerie Poppy récemment ouverte dans le village normand, ces animations invitent participants et participantes de tous âges à découvrir les coulisses de la parfumerie à travers une sélection de compositions olfactives avant d’associer celles-ci aux œuvres picturales et photographiques exposées dans l’espace. Enfin, à Laval, en Mayenne, le Musée d’art naïf et des arts singuliers (MANAS) propose au public en situation de handicap (moteur, mental, visuel ou auditif) de découvrir les œuvres exposées grâce à l’odorat, au toucher et à l’ouïe. Ces visites multi-sensorielles, qui s’inscrivent, nous explique Ouest France, dans le cadre du mois de l’accessibilité, illustrent encore une fois le « tournant sensible » de la médiation culturelle ainsi que l’intérêt grandissant pour l’olfaction au sein des espaces muséaux et patrimoniaux français. Dans le cadre de l’exposition « Aube d’un Eden » visible au MANAS jusqu’en juillet, une œuvre de la peintre Jacqueline Benoit, La Rêveuse (2000), est d’ailleurs également associée à un parfum, créé en partenariat avec Les Jardins de Carbey Hills.
À l’étranger aussi les expositions olfactives trouvent de nombreux échos dans la presse. Artsyrevient ainsi sur la dernière exposition d’Otobong Nkanga au Nasher Sculpture Center de Dallas. L’artiste nigériane, qui s’est notamment fait connaître ces dernières années pour ses œuvres monumentales aux effluves d’épices, de terre ou encore de savon, présente ce mois-ci l’installation Each Seed a Bodycréée dans le cadre du prix Nasher 2025 dont elle est lauréate et qui donne son nom à l’exposition. Amarante, chicorée, cacao, café, genièvre, pamplemousse aubépine, orange, salsepareille, sorgho, yucca et sassafras, la liste des matériaux évoquent, selon l’article, « un garde-manger bien garni ou les ingrédients d’une savoureuse préparation ». C’est cependant par le nez et non par la bouche que les visiteurs et visiteuses, s’agenouillant devant la sculpture serpentine de 16 mètres de long, incorporent la dimension volatile de l’œuvre. Ce « volume sculptural qui s’incruste dans les poumons, dans la mémoire », évoque des histoires de migration et de liens aux territoires. Une autre installation de l’artiste, également olfactive, Carved to Flow, se compose de savons solides — 08 Salt Rock et 08 Red Bond — créés en collaboration avec des savonniers texans. Composés d’argile rouge, de miel vanillé, de sel, de pierre ponce et de graines de pavot, ces pains de savon retracent là-encore une certaine histoire des routes commerciales et des usages de la terre. Comme l’écrit la journaliste : les émanations odorantes des œuvres d’Otobong Nkanga sont avant tout « une invitation à prêter attention » à des récits, des systèmes ou des phénomènes enfouis, oubliés ou négligés et qui, pourtant, témoignent des entrelacs du monde.
En Nouvelle-Zélande (Aotearoa), The Post met en lumière l’exposition collective « The Brood », présentée au Dowse Art Museum à Lower Hutt dans la région de Wellington. L’odeur poignante s’échappant de l’installation Olfactory Ghost (2025) de l’artiste, musicien et parfumeur autodidacte Nathan Taarre semble avoir particulièrement remué le journaliste. Dans une pièce obscure, une dizaine de petites amulettes en céramique sont suspendues en cercle autour d’une unique ampoule, « mais la présence principale dans cette pièce est le parfum » qui « vous enveloppe et vous suit lorsque vous partez. » Ce parfum, perçu comme l’élément le plus angoissant de l’installation, est ainsi décrit : « La fin des temps. L’assèchement. Un corps enfermé dans un sac. Des choses désagréables. » Rien d’étonnant quand on sait que l’exposition tout entière prétend explorer la relation entre le cinéma d’épouvante et l’art contemporain au travers d’une multitude de médiums, tangibles et intangibles. Nathan Taare est en outre habitué des compositions olfactives pour le moins déroutantes, notamment pour sa marque de parfums Of Body qui propose par exemple une fleur martienne, une rose sanglante ou encore une amulette parfumée inspirée par les roussettes à tête-grise d’Australie…
Comme le rapporte la radio RNZ, le lien entre odeur et film d’horreur sera également bientôt au cœur d’un autre événement néo-zélandais: une projection en odorama — ou « smell-o-vision » — de l’iconique Nosferatu (1922) de Friedrich Wilhelm Murnau. « Les cinéphiles de Wellington ressentiront l’effroi non seulement avec leurs yeux mais aussi avec leur nez » annonce l’article qui revient également sur certaines expérimentations dans le champ du cinéma odorant depuis les années 1920. Cette nouvelle tentative, initiée par Tammy Burnstock, fondatrice de Scented Storytelling et habituée de l’exercice, proposera des cartes en scratch-and-sniff permettant de découvrir dix compositions — signées par l’artiste américain Jas Brooks — associées à divers moments du film de Murnau. Intitulée Nosferatu: A Symphony of Horror – Scent & Sound, la projection sera également accompagnée en live par le pianiste Peter Dasent.
Retour en Europe avec l’exposition « Sensing the Ways: On Touch, Story, Movement, and Song » au Casco Art Institute d’Utrecht (Pays-Bas) qui a attiré l’attention du magazine Metropolis en raison de l’odeur « familière et pourtant étrangère » qui accueille les visiteurs et visiteuses. Celle-ci, envahissant les différents espaces du centre d’art, émane d’une installation de l’artiste AZ OOR, Issaffen n Irifi (Rivers of Thirsts) (2023-2025), « une accumulation d’éléments culturels berbères, africains et arabes » dont une fresque murale réalisée à partir de pigments telluriques (fortement odorants) et des fragments de cire parfumée consumés à la manière d’un encens. Comme dans le cas du compte-rendu de l’exposition « The Brood », le sillage de cette œuvre sert d’ouverture et de fil conducteur à l’article montrant combien la dimension olfactive, autrefois largement ignorée par les critiques d’art, concentre désormais l’attention au point de devenir un élément central de l’expérience.
En Ecosse, le Herald ScotlandetThe National s’intéressent à l’exposition « Not to Be Sniffed At: An Aromatic History of Sauchiehall Street » qui vient de s’ouvrir à la Edward House de Glasgow. Cette collaboration entre le Glasgow Building Preservation Trust et la parfumeuse Clara Weale — fondatrice de la Library of Olfactive Material — met en valeur l’histoire de cette rue « connue pour sa richesse culturelle et sa vie nocturne animée, à travers ses effluves passés et présents ». Ateliers, conférences, promenades olfactives et autres « sniffaris » (visites guidées par le nez) permettront d’approcher autrement l’héritage culturel de cette rue iconique mais également de s’initier à la chimie des odorants et à la neurobiologie de l’olfaction grâce à l’intervention de chercheurs de l’université de Glasgow.
En Italie, enfin, plusieurs événements récents ont aussi attiré l’attention de la presse pour leur dimension olfactive. Media Keynous apprend que le festival PARMA 360 accueille cette annéeune exposition d’œuvres à respirer signées par l’artiste Francesca Casale Sensu. « Pianeti Olfattivi » entraîne le public dans un labyrinthe odorant installé au sein la Tour Visconti, un édifice médiéval iconique de la ville de Parme. Dans l’installation principale, divers parfums imprègnent des disques colorés suspendus dans l’espace, évoquant tout à la fois « des corps célestes et des structures moléculaires. » Au niveau inférieur, une seconde installation, Roots pipeline_violet (2025), composée d’un réseau de tuyaux à travers lequel circule une composition olfactive, s’inspire du système racinaire et du parfum délicat de la violette, héritage culturel olfactif de la ville, tandis qu’au deuxième étage, « une table dressée invite le spectateur à reconnaître les arômes et les parfums des aliments et des denrées typiques de la culture gastronomique et vinicole de Parme. » L’artiste présente en outre simultanément un autre série d’œuvres au Parco Sculture Del Chianti, à Castelnuovo Berardenga, en Toscane, sous le titre « Olfactus Loci ». Cette exposition, « inaugurée à l’occasion de la Journée du Parfum promue par l’Accademia del Profumo », comme le précise The Way Magazine, évoque plus particulièrement la palette aromatique des vins de la région du Chianti.
La Design Week de Milan 2025 s’est également distinguée pour la multiplicité des projets olfactifs présentés. Le Journal du luxerapporte que le couturier-parfumeur Marc-Antoine Barrois y a notamment remporté le prix de la meilleure installation pour Mission Aldebaran, un dispositif immersif et olfactif imaginé avec l’artiste Antoine Bouillot : « une forêt de cordes noires qui débouche sur un champ de tubéreuses blanches en origami », paysage contrasté au milieu duquel flottait le dernier parfum de la marque, signé par Quentin Bisch et nommé d’après Aldébaran, « la 13e étoile la plus brillante du ciel nocturne ». Etapes, saluant « une édition sous le signe du sensoriel »,revient en outre sur plusieurs autres projets présentés lors du Salone del Mobile mêlant design et senteurs. L’installation The Second Skinde la marque Aesop dans la sacristie de la Chiesa del Carmine, une église du XVe siècle, utilisait le baume aromatique pour les mains Eleos comme mortier parfumé, créant ce que l’article nomme un véritable « sanctuaire olfactif ». The Oman Collection, issue de la collaboration entre Amouage et — feu — Gaetano Pesce, est également citée par Etapes comme un mélange entre « design olfactif et art totémique ».Présentée dans l’exposition monographique « Una festa per l’architettura: modelli, pensieri e disegni » à la galerie Antonia Jannone, la collection comprend trois sièges sculpturaux — ou « trônes sensoriels » — en résine colorée et aux formes inspirées par la ramification si singulière des arbres à encens que le designer a pu admirer au Wadi Dawkah quelques mois avant sa mort. Comme l’explique le quotidien omanais Muscat Daily, qui est également revenu sur l’étroite collaboration entre Renaud Salmon, directeur artistique d’Amouage, et Gaetano Pesce, l’un des fauteuils de la collection, Oman Chair with Frankincense, mêle au polyuréthane « une autre résine, naturelle cette fois : l’encens », de sorte que « le matériau lui-même porte l’âme résineuse de Wadi Dawkah » et diffuse ses effluves millénaires.
Historienne de l’art, critique d'art et commissaire d’exposition indépendante , Clara Muller mène des recherches sur les enjeux de la respiration comme modalité de perception dans l'art contemporain ainsi que sur les diverses pratiques artistiques employant les odeurs comme médium ou sujet. Outre un certain nombre de publications des éditions Nez, elle contribue à des catalogues d’exposition, monographies d’artistes et ouvrages universitaires sur le sujet de l’art olfactif, tels que Les Dispositifs olfactifs au musée (Nez éditions, 2018) ou Olfactory Art and the Political in an Age of Resistance (Routledge, 2021). www.claramuller.fr
En 2022, les chercheurs du Centre des sciences naturelles et médicales de l’université de Nizwa, à 150 km de la capitale omanaise, Mascate, ont réussi à décoder le génome de Boswellia sacra à partir d’ADN de la feuille fraîche d’encens. Un succès qui doit beaucoup à la persévérance des équipes de scientifiques omanais.
En 2022, les chercheurs du Centre des sciences naturelles et médicales de l’université de Nizwa, à 150 km de la capitale omanaise, Mascate, ont réussi à décoder le génome de Boswellia sacra à partir d’ADN de la feuille fraîche d’encens. Un succès qui doit beaucoup à la persévérance des équipes de scientifiques omanais. L’espèce d’arbre à encens qui pousse dans le sultanat est un peu la star des 24 espèces recensées : au terme de quatre ans d’études, les scientifiques ont élu Boswellia sacra comme le plus prometteur en matière thérapeutique, devant sept concurrents. Dans sa résine, ils ont identifié plus de 100 composés susceptibles de soigner. Parmi toutes ces molécules, les chercheurs ont notamment isolé l’encensol, dont les vertus anti-inflammatoires et antidépressives se sont révélées supérieures, et qui a également été utilisé en combinaison avec les acides boswelliques dans un remède contre le psoriasis.
Ces derniers, principaux constituants de la résine de sacra, seraient à l’origine des effets thérapeutiques les plus intéressants. Un type d’acides boswelliques apparaît même terriblement prometteur : l’acide acétyl-11-céto-β-boswellique (AKBA), un composé anti-inflammatoire puissant. Extrait depuis 2015, l’AKBA est disponible à hauteur de 3 % dans la résine d’encens.
Dans le Dhofar, où pousse l’arbre à encens, ces résultats n’étonneront personne. Au sein de cette région du sud d’Oman, chacun sait que boire de l’eau où macèrent des larmes d’encens permet de chouchouter son colon et de conserver sa mémoire. Dans la médecine du Moyen-Orient, les acides boswelliques sont employés dans le traitement des affections inflammatoires des articulations et des os, de la moelle épinière et des troubles respiratoires. Des études ont été menées sur l’effet analgésique de Boswellia sacra, confirmant le bien-fondé de l’utilisation traditionnelle de l’encens par les Omanais pour soulager les douleurs musculaires et gastriques.
Plusieurs dizaines de dérivés ont depuis été produits à partir de ce composant naturel, en vain jusqu’à ce jour. Des essais ont été mis en place pour accroître sa solubilité dans l’eau, afin d’en faire un médicament plus facile à ingérer. Des recherches ont aussi lieu pour augmenter la concentration d’acides boswelliques dans la résine d’encens. Car pour l’instant ce petit miracle se vend à prix d’or : 120 euros le milligramme !
En septembre 2025, l’université du Dhofar, à Salalah, accueillera la troisième Conférence sur l’encens et les plantes médicinales, où sont attendus une douzaine de conférenciers provenant de onze pays. Le sommet s’annonce prometteur, après deux publications scientifiques qui ont fait date en 2024. « L’encens est magique ! » confirme le professeur Luay Rashan, spécialiste de pharmacologie qui dirige le Laboratoire de recherche sur la biodiversité et l’encens de l’université du Dhofar. Cette structure étudie la « nourriture des dieux » sous un grand nombre d’aspects (chimiques, pharmacologiques, biologiques…) en collaboration avec plusieurs universités, en Allemagne, Suisse, Italie, Corée du Sud et Australie.
Boswellia sacra a été étudié pour ses effets anticancéreux potentiels. Il renforcerait le système immunitaire pendant les chimiothérapies. Et pourrait être utile dans la lutte contre le cancer de la peau. Les acides boswelliques ont également montré un effet antiprolifératif sur les tumeurs, notamment celles du sein et du cerveau. Les extraits alcooliques d’oliban, eux, inhibent la croissance des champignons, bactéries et autres microbes : ces propriétés ont d’ailleurs permis aux chercheurs de mettre au point un puissant désinfectant pour les mains à base d’encens pendant la pandémie de Covid-19.
Alors, Boswellia sacra, remède à tout faire pour soulager les maux modernes ? « Si l’encens était une panacée, cela se saurait, » sourit Xavier Fernandez, professeur de chimie à l’Institut de chimie de Nice. Les propriétés anti-inflammatoires d’un ingrédient ne suffisent pas à en faire un médicament, met en garde le scientifique. Et son usage pourrait être délaissé au fil du temps, car d’autres produits sont mis au point, moins chers, plus simples, plus efficaces. « C’est comme lorsqu’on parle des vertus du chocolat : il contient bien du magnésium qui permet de lutter contre le stress, des polyphénols, aux nombreuses vertus, et du cuivre, efficace contre les cheveux blancs. Mais il faudrait en manger plusieurs kilos par jour pour observer une réelle activité biologique ! »
L’huile essentielle d’oliban est en revanche utilisée avec succès par les aromathérapeutes dans les services de soins palliatifs, indique Xavier Fernandez. Des études ont montré une amélioration de la qualité de l’existence des personnes en fin de vie. Plusieurs articles ont également été publiés afin de démontrer l’effet de Boswellia sacra sur le système nerveux. Ils soulignent l’action de l’encensol, une molécule susceptible de réduire le stress et l’anxiété en favorisant détente, bien-être et relaxation. Jusqu’à soigner la dépression ? Les recherches se poursuivent… Rappelant une fois de plus que la frontière entre l’olfactif et le thérapeutique peut être ténue, à l’image du kyphi des Égyptiens, ce « parfum deux fois bon » qui soignait à la fois le corps et l’esprit.
Journaliste au Monde, Béatrice Boisserie a lancé les ateliers de YOS (yoga olfacto-sonore) pour se mettre à l'écoute de l'effluve, du souffle et de la voyelle. En 2012, elle a créé le blog Paroles d'odeurs pour reccueillir les souvenirs olfactifs de personnalités ou d'inconnus. Après des études de philosophie et d'ethnologie, elle se forme au parfum chez Cinquième sens et au yoga du son à l'Institut des arts de la voix. Elle est l'auteur de 100 questions sur le parfum (La Boétie, 2014).
A journalist at Le Monde, Béatrice Boisserie is a member of the Nez Collective. She has notably published 100 questions about perfume (ed. La Boétie, 2014).
L’apprentissage du métier de parfumeur ne s’arrête pas à la sortie de l’école. On pourrait même dire que c’est là qu’il commence vraiment… Car souvent, les maisons de composition continuent de former leurs plus jeunes recrues en les plaçant sous l’égide d’un ou de plusieurs créateurs expérimentés. Comment fonctionne ce système d’apprentissage ? En quoi consiste-t-il concrètement ? Éléments de réponse avec le parfumeur Jean-Christophe Hérault (IFF) et Alexzander Aboyade-Cole, son apprenti.
Une table ronde enregistrée lors de la Paris Perfume Week 2024 et animée par Sarah Bouasse.
Photo : DR.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
La deuxième Paris Perfume Week à peine achevée, tous les yeux se tournent déjà vers une autre capitale, du parfum celle-là : Grasse ! Rendez-vous en juillet…
En effet, avant même que le succès de l’événement parisien soit conforté par son édition 2025, Nez, le mouvement culturel olfactif et la ville de Grasse étaient convenus de transposer ce festival d’un genre inédit au cœur de la capitale mondiale du parfum, pour donner naissance à la Grasse Perfume Week. Elle verra le jour en juillet 2025 pour une semaine entièrement dédiée au parfum et à la culture olfactive. Le grand public, les passionnés de parfums, les professionnels, tous pourront venir à la découverte de ce qui fait la création contemporaine de parfum : marques, maisons de composition, parfumeurs, producteurs d’ingrédients, scientifiques…
Au menu de cette revue de presse, des chiens médecins, enquêteurs, sauveteurs ou naturalistes, des rats sommeliers et des loups menés par le bout du nez. Ce printemps, l’odorat des autres mammifères est à l’honneur !
Avec plus de 100 à 300 millions de récepteurs olfactifs — selon les races — les chiens sont, nous le savons, des flaireurs d’exception. Or les résultats d’une étude publiée en mars et relayée depuis par plusieurs médias internationaux nous promettent une connaissance bientôt plus approfondie de ce système sensoriel ultra-développé. Une équipe de l’Université Bar-Ilan de Tel-Aviv a en effet récemment mis au point un système permettant de mesurer à distance l’activité cérébrale des chiens dans le bulbe olfactif, l’hippocampe et l’amygdale. Grâce à un laser et une caméra numérique, les chercheurs et chercheuses ont pu mettre en lumière des « motifs de mouchetures » spécifiques liés à l’activation de ces régions clés au moment de l’olfaction. Cette méthode non-invasive et moins contraignante que l’IRM ou l’EEG (qui réclament la sédation et/ou le confinement de l’animal) ouvre donc de nouvelles perspectives pour étudier le traitement de l’information olfactive chez les mammifères. Les auteurs et autrices imaginent en outre des applications pratiques : examiner en temps réel les réponses cérébrales des chiens permettrait par exemple d’utiliser leur système olfactif « comme capteur olfactif naturel, connecté à distance à un ordinateur, permettant ainsi de comprendre une odeur particulière détectée ». Il ne s’agirait donc plus d’observer seulement les réactions de l’animal face à divers odorants appris — notamment émis par des drogues, des explosifs ou des maladies —, mais d’observer également celles de son cerveau !
Les êtres humains n’ont cependant pas attendu de tels dispositifs pour mettre à profit la sensibilité olfactive des chiens. Dans le domaine médical notamment, celle-ci est de plus en plus exploitée, permettant de détecter efficacement un nombre croissant de maladies. Comme le rapporte le New York Post, l’organisation britannique Medical Detection Dogs forme actuellement des chiens à détecter le cancer colorectal à un stade précoce en analysant des échantillons d’urine. Trois labradors, trois cockers spaniel anglais et un retriever à poil plat ont pour l’instant été soumis à divers exercices et les premiers résultats semblent prometteurs. Les mêmes chiens sont également formés à reconnaître d’autres signatures olfactives, comme celle la maladie de Parkinson, de la maladie d’Addison, ou de la Covid-19. D’après The Guardian, des chercheurs de l’Imperial College School of Medecine de Londres ont également découvert que les chiens peuvent identifier à la truffe certaines bactéries spécifiques telles que Pseudomonas aeruginosa, à l’origine de nombreuses pathologies et très résistante aux antibiotiques. Jodie, un labrador doré de l’équipe canine de Medical Detection Dogs, est ainsi l’un des premiers chiens à être entrainé pour détecter cette bactérie à partir de vêtements portés par les patients. Alors qu’environ un million de décès sont causés annuellement par des bactéries multirésistantes, la détection plus précise qu’autorise le flair canin permettrait de garantir l’usage du « bon antibiotique et ainsi limiter le problème croissant de la résistance aux antimicrobiens, qui s’aggravera si nous administrons aux patients le mauvais type d’antibiotiques, » explique la professeure Jane Davies.
La médecine n’est d’ailleurs pas le seul domaine dans lequel les chiens et leur odorat s’avèrent des alliés précieux. Dans un second article, The Guardianévoque les canidés qui ont récemment permis de repérer 13 « dragons sans oreilles », ou Tympanocryptis pinguicolla, dans les prairies de l’ouest de Melbourne, en Australie. Cette espèce de reptile endémique, la plus menacée du pays, n’avait plus été aperçue depuis 50 ans quand quelques spécimens avaient été redécouverts à la fin des années 2010. Les scientifiques, qui estiment qu’à peine 200 individus subsisteraient à l’état sauvage, ont cependant beaucoup de mal à recenser précisément ces minuscules sauriens, « difficile à repérer avec les techniques d’enquête traditionnelles ». Formés durant un an au zoo de Victoria, deux chiens ont néanmoins réussi à retrouver la piste de ces créatures et à identifier plusieurs terriers occupés. Comme l’explique l’écologue Emma Bennett – qui travaille depuis une vingtaine d’années avec des chiens sur des missions de préservation –, les agents de détection de la faune sauvage, en Australie comme ailleurs, s’allient de plus en plus souvent à ces animaux au nez fin car « si quelque chose est caché ou camouflé dans un terrier, ou simplement difficile à voir, il peut être facile de le sentir ».
En Belgique, c’est pour la police criminelle que nos amis à quatre pattes remuent ciel et terre, toujours du bout de la truffe. D’après Reuters et Science et Vie,un chercheur de Gembloux Agro-Bio Tech, le Dr. Clément Martin, aurait en effet développé un parfum reproduisant celui des os humains desséchés. Si certains chiens policiers étaient déjà formés à identifier l’odeur de chair en décomposition, celle des os, en revanche, singulièrement différente, ne faisait pas partie de leur entraînement. « Une fois que les tissus mous ont disparu, les molécules odorantes des os restants deviennent nettement moins nombreuses » a déclaré le jeune chercheur. En outre, « un os de 3 ans aura une odeur différente de celle d’un os de 10 ans ». C’est donc à un tout nouvel apprentissage que doivent se soumettre les chiens de la police belge pour assister sur les affaires les plus anciennes. Composé à partir d’analyses chromatographiques d’ossements fournis par un anthropologue, le premier parfum composé par le Dr. Martin a notamment été testé par Bones, le bien nommé Springer anglais de l’inspecteur Kristof Van Langenhove. Il devrait permettre à l’animal de localiser des restes humains anciens, facilitant ainsi la résolution d’affaires jusqu’à présent non élucidées.
En ce début de printemps, France Bleu célèbre pour sa part l’odorat de Max et Sia, deux Border Collies entrainés à secourir les victimes d’avalanche dans les Pyrénées-Orientales où cinq équipages de chiens sauveteurs ont été opérationnels tout l’hiver. Le reportage évoque la manière — ludique — dont ces alliés à quatre pattes sont formés « à détecter n’importe quelle odeur humaine », même à travers un épais manteau neigeux. D’une rapidité ingalée, ces chiens sont essentiels aux secouristes qui disposent d’à peine quinze minutes pour sauver une personne ensevelie. L’été, ces mêmes équipes cynophiles aident également à retrouver les randonneurs et randonneuses ayant perdu leur chemin ! De la médecine à la crimilogie en passant par l’écologie et le secourisme, le flair canin s’avère ainsi, en toute circonstance, d’une efficacité redoutable. Comme l’écrivait en 1900 le grand naturaliste Jean-Henri Fabre : « Nez de chien ne peut mentir. »
Peut-on en dire autant du nez des rats ? Il semble que oui. Une étude publiée en février dans Animal Cognition et intitulée « Les rats peuvent distinguer (et généraliser) deux variétés de vin blanc » a d’ailleurs fait largement parler d’elle en suggérant que les rongeurs seraient en passe de devenir sommeliers. Du moins est-ce ainsi que plusieurs journaux ont humoristiquement repris l’information. Une équipe de chercheuses australiennes a en effet montré que les rats étaient tout à fait capables, après un entraînement spécifique, de distinguer au nez deux cépages, le Riesling et le Sauvignon blanc. Leur taux de réussite de 94% dépasse même les performances habituelles des dégustateurs professionnels ! « Nos rats ont été entraînés à reconnaître un profil olfactif de Sauvignon blanc ou de Riesling, et la plupart d’entre eux ont pu projeter ces profils olfactifs appris sur de nouveaux vins issus de sauvignon blanc et de riesling » expliquent les scientifiques. Ces résultats « étayent clairement l’hypothèse selon laquelle les animaux non humains peuvent à la fois apprendre et généraliser des concepts olfactifs complexes. » Si les rats devront acquérir bien d’autres compétences avant de remplacer les sommeliers et œnologues, les autrices de cette première étude se proposent déjà « d’explorer la capacité des rats à apprendre perceptivement d’autres catégories moins évidentes liées à la dégustation de vin chez l’homme, comme le producteur ou la région d’origine. »
Pour finir cette revue de presse animalesque — qui vous donne peut-être envie de relire le septième numéro de la revue Nez et de plonger dans L’Odorat des animauxde Gérard Brand —, suivons France Bleu sur la piste du loup dans les Pyrénées-Atlantiques « Comment protéger les troupeaux contre les attaques de loups ? ». Dans les régions où le prédateur a repris ses droits ces dernières années, la question est de première importance pour les éleveurs et les éleveuses. Avec l’idée de promouvoir une cohabitation apaisée, plusieurs entreprises ont imaginé des collier conçus pour être portés par les chèvres ou les moutons et diffusant des molécules volatiles connues pour être des phéromones lupines. Il s’agit ainsi de simuler l’occupation d’un territoire par d’autres loups afin de dissuader toute approche ou attaque du troupeau. « Les loups respectent scrupuleusement le territoire d’autres loups, » explique Johann Fournil de l’entreprise M2i, spécialiste du biocontrôle. « Donc l’idée consiste à reproduire une odeur dissuasive, une barrière olfactive. » Le dispositif a pour le moment été testé en Suisse, en Italie et en Grèce, avec des résultats encourageants. D’après La République des Pyrénées, de nouveaux tests devraient avoir lieux en France cette année.
Historienne de l’art, critique d'art et commissaire d’exposition indépendante , Clara Muller mène des recherches sur les enjeux de la respiration comme modalité de perception dans l'art contemporain ainsi que sur les diverses pratiques artistiques employant les odeurs comme médium ou sujet. Outre un certain nombre de publications des éditions Nez, elle contribue à des catalogues d’exposition, monographies d’artistes et ouvrages universitaires sur le sujet de l’art olfactif, tels que Les Dispositifs olfactifs au musée (Nez éditions, 2018) ou Olfactory Art and the Political in an Age of Resistance (Routledge, 2021). www.claramuller.fr
Les 18 et 19 juin 2025, Barcelone accueillera la sixième édition du Barcelona Perfumery Congress. Placé sous le signe de l’innovation et de la création, ce rendez-vous veut devenir un incontournable pour les professionnels de la parfumerie. Rencontre avec Ivan Borrego, directeur général de Beauty Cluster et fondateur de l’événement.
En quelques mots, pouvez-vous nous présenter le Barcelona Perfumery Congress ? Au sein du Beauty Cluster, nous avons créé le Barcelona Perfumery Congress comme un événement à la fois scientifique, technique et axé sur le développement commercial, afin de rassembler tous les professionnels et experts de l’innovation dans la chaîne de valeur de l’olfaction et de la parfumerie. De la science de l’odorat à l’innovation en parfumerie, l’événement permet à la fois de se connecter avec d’autres professionnels, mais aussi de participer à des activités sensorielles, de découvrir les dernières innovations les plus transformatrices, et enfin de prendre part à un espace intense de développement commercial. Le salon est aussi un lieu de rencontre privilégié avec l’industrie espagnole de la parfumerie, actuellement deuxième exportatrice mondiale de parfums et d’huiles essentielles, le tout dans un cadre idyllique : la ville de Barcelone.
Combien d’exposants participent et quels sont leurs profils ? Nous avons déjà confirmé la participation de 100 exposants couvrant tous les métiers de l’industrie du parfum. De grandes entreprises multinationales soutiennent l’événement en tant qu’exposants, sponsors et partenaires. L’exposition couvre les matières premières, les huiles essentielles, les maisons de composition, la sous-traitance, la créativité, le design, le packaging, les technologies numériques, les services réglementaires, les tests et analyses, la recherche olfactive, et bien d’autres services et produits liés à la création olfactive et parfumée ! De plus, l’édition 2025 marque un tournant dans l’internationalisation du BPC, avec un triplement du nombre d’exposants internationaux par rapport à l’édition 2023. Des pays comme l’Inde, la France, l’Italie, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Argentine, le Brésil et l’Égypte seront représentés par des entreprises de premier plan.
L’innovation semble être au cœur de votre événement. Comment cela se traduit-il concrètement ? Au sein du Beauty Cluster, nous menons un travail assez considérable pour identifier du contenu pertinent associé à l’innovation, allant de la recherche scientifique olfactive aux dernières avancées de l’industrie. Nous les recherchons, les collectons, les analysons et collaborons avec des acteurs innovants pour qu’ils puissent les présenter, les exposer, créer du contenu spécifique et leur donner de la visibilité, tout en les connectant à des partenaires potentiels afin que ces innovations deviennent des produits ou services rentables.
Il semble que plusieurs concours seront organisés à cette occasion, comme la Mouillette d’Argent. Que représente ce prix ? Nous participons à l’organisation de deux types de prix. Le premier est celui des Barcelona Perfumery Awards, remis durant le congrès, qui récompensent l’innovation dans l’industrie du parfum. Le second prix, la Mouillette d’Argent, est un concours indépendant de parfumerie organisé depuis 2018, qui met à l’honneur la créativité des parfumeurs. Chaque année, une centaine de parfumeurs issus de 25 pays présentent leur création autour de la note olfactive que nous sélectionnons — en 2025, il s’agira du ciste. Les créations finalistes sont exposées dans les meilleures boutiques de Barcelone, Madrid et Andorre. De plus, un jury d’experts composé de grands maîtres parfumeurs décerne les prix. La Mouillette d’Argent est un concours indépendant que le Cluster soutient depuis sa création et dont la cérémonie de remise des prix aura lieu cette année le 20 juin, juste au lendemain de la clôture du congrès. Une magnifique semaine dédiée à la parfumerie se prépare donc à Barcelone, avec ces deux événements conjugués.
Quelles sont les spécificités de l’industrie de la parfumerie espagnoleet comment évolue ce marché, selon vous ? L’industrie de la parfumerie espagnole s’est toujours distinguée par la combinaison de la tradition, du savoir-faire et de l’innovation. Elle bénéficie également d’une chaîne de valeur très solide, avec de grandes entreprises fournisseurs basées en Espagne et des filiales à l’international. Ces dernières années, elle est clairement devenue une industrie tournée vers l’export (deuxième exportatrice mondiale de parfums et d’huiles essentielles) et connaît un véritable essor des marques de parfumerie indépendante et de niche, dont la majorité est basée à Barcelone. En plus de compter certains des principaux leaders de l’industrie, nous avons également des entités qui valorisent à l’international l’image de nos maîtres parfumeurs, comme l’Academia del Perfume.
Quels sont vos objectifs pour l’avenir ? Nous pensons que le Barcelona Perfumery Congress doit continuer à apporter avant tout de la valeur au secteur. De nombreux événements intéressants existent déjà dans le monde de la parfumerie, mais nous devons continuer à adopter une approche innovante et inspirante de la parfumerie. Notre objectif immédiat au sein du Beauty Cluster est de faire de l’édition 2025 un succès, que les visiteurs comme les exposants atteignent leurs objectifs de participation, puis de prendre le temps, avec les principaux acteurs de l’industrie, de réfléchir ensemble au futur.
On ne le dira jamais assez : les insectes sont essentiels à la vie, indispensables pour la pollinisation. Mais ils sont aujourd’hui mis à mal par nos activités humaines. David Siaussat, professeur à Sorbonne Université et membre de l’Institut d’Écologie et des Sciences de l’Environnement de Paris, étudie les effets des polluants anthropiques sur les insectes, et notamment sur leur système olfactif. Nous avions discuté avec lui pour l’article « Le nez au vert », dans Nez#18 – La Couleur des odeurs. Mais cet échange passionnant méritait bien un article à lui seul : voici donc l’ensemble de l’entretien.
Comment définissez-vous la notion de « pollution » ? Au sens strict, la pollution peut être définie comme un changement de concentration d’un facteur environnemental, par rapport à un état initial. Elle peut donc être chimique comme sonore, visuelle… Au laboratoire, nous sommes globalement centrés sur le versant chimique, avec l’idée que la pollution anthropique, c’est-à-dire générée par l’activité humaine, affecte aussi les insectes. Lorsqu’on choisit les polluants étudiés, on réfléchit à quoi ceux-ci peuvent être exposés : les pesticides, ce qui semble évident, mais aussi des métaux lourds, perturbateurs endocriniens, micro ou nano plastiques qui contaminent les écosystèmes et peuvent affecter les organismes vivant dans les champs.
Comment choisissez-vous les polluants et les insectes que vous étudiez ? Nous reproduisons les situations au laboratoire – nous n’avons pas encore la possibilité de faire des tests in natura. Nous cherchons à reproduire des conditions réalistes, au niveau des concentrations, des interactions entre les différents éléments. Nous testons ce que nous repérons sur le terrain : par exemple, nous avons mesuré la deltaméthrine, après avoir vu passer plusieurs rapports pouvant indiquer des effets inattendus suite à une exposition à des doses sublétales de ce pesticide. Nous ne testons pas ce qui est créé par les industriels avant que ce soit mis sur le marché ; nous testons des pesticides en usage et ceux qui ont été interdits, car ils peuvent être très persistants – comme le chlorpyriphos ou le méthomyl.. Quant aux insectes, nous en étudions deux principaux : le Spodoptera litoralis, un ravageur de cultures et notamment de coton ; et la drosophile comme boîte à outil génétique. En parallèle, nous avons des programmes spécifiques : on va alors chercher les insectes sur le terrain. Nous sommes cependant limités pragmatiquement car ces recherches prennent du temps. Mais on sait qu’il faudrait faire ces études sur beaucoup plus d’insectes, car on a pu observer que les réponses ne sont pas du tout les mêmes selon les insectes évalués pour un même polluant, et même en fonction des lieux, car les trajectoires de vie (exposition ou non à certains pesticides) font que les réponses sont différentes. On connaît encore trop mal les effets de tous les polluants.
Comment mesurez-vous les effets des polluants sur les insectes ? Nous avons deux types d’analyse : celles sur le développement et celles sur le comportement. Il s’agit de processus assez longs. Pour évaluer le développement, nous travaillons sur l’exposition des individus selon le mode supposé de contamination des polluants, soit par contact, soit par ingestion. Nous analysons alors les effets sur les différents stades du développement (larvaire, chrysalide, adulte) : la mortalité, la durée des stades, les altérations de prise de poids, l’équilibre entre proportions de mâles et femelles – ou sexe ratio –… Quand nous observons des effets, nous cherchons au niveau moléculaire (analyse transcriptomique), en étudiant les taux d’hormones pour mesurer la perturbation endocrinienne, en mesurant les gênes pour voir par exemple s’il y a des gènes de stress ou de détoxification qui sont activés. Quant à l’analyse du comportement, plutôt chez l’adulte, on regarde la qualité de la reproduction : y a-t-il accouplement ? Production d’œufs ? Ces œufs donnent-ils des larves vivantes ou non ? On peut aussi analyser la qualité de l’accouplement, en mesurant par exemple le temps d’accouplement. On peut aller jusqu’à l’analyse de paramètres comportementaux : vibration à l’air, redressement des antennes, mouvements de l’abdomen… dont l’altération est la preuve que le polluant altère le comportement de l’insecte. Pour aller plus loin, on fait de l’électrophysiologie au niveau des antennes des insectes, de certains neurones olfactifs.
Quelles conséquences avez-vous pu observer ? Ils sont divers. On sait que les polluants sont responsables d’un taux de mortalité élevé chez certaines populations d’insectes, mais l’exposition sublétale peut avoir des conséquences tout aussi dramatiques. Une de nos spécialités est d’étudier les perturbations endocrines, qui auront des conséquences sur l’accouplement et la reproduction. Mais les effets neurotoxiques peuvent provoquer des problèmes de détections, de perturbation de l’intégration du signal visuel ou olfactif. Or, chez les insectes, le système olfactif est extrêmement important, plus encore que la vision : c’est un système hautement performant, qui permet en grande partie l’orientation. Cela aura des conséquences importantes sur leur survie, mais aussi sur leur reproduction par exemple, puisque le brouillage peut empêcher de trouver un partenaire. On sait aussi que, contrairement au principe de Paraclèse, ce n’est pas la dose qui fait le poison avec les perturbateurs endocriniens. Ce qui ne tue pas l’insecte peut avoir de forts effets hormétiques négatifs ou positifs. Cela peut parfois aussi toucher plusieurs générations et avoir des effets très négatifs sur la physiologie et le développement des générations (N+1). Les effets peuvent être faibles voire inexistants sur la population directement exposée, mais très forts pour les générations suivantes. Nous avons en projet de tester les effets sur 25 générations : au laboratoire, dans des conditions optimales, cela nous prendra un an.
Avez-vous observé des modifications de l’odorat des insectes ? Nous avons notamment noté une évolution dans la détection des phéromones lors de l’exposition à la deltaméthrine, à travers une capacité accrue, une surexcitation des mâles, qu’on pourrait qualifier d’« effet viagra ». Ils s’accouplent alors beaucoup plus rapidement avec la femelle : c’est ce qui pourrait expliquer qu’il y ait une explosion de ravageurs sur un champ alors même qu’un traitement phytosanitaire a été appliqué. Une femelle pondant entre 400 et 600 œufs, l’effet multiplicateur est conséquent.
Les produits les plus persistants sont-ils nécessairement les plus dangereux ? De nombreux produits persistants, développés dans l’après-guerre, ont provoqué de grands scandales dans les années 1970 parce qu’ils provoquaient une forte mortalité des insectes mais également parce qu’ils ont eu des effets délétères sur les écosystèmes et la santé humaine. Les nouveaux pesticides de synthèse, comme les pyréthrinoïdes, ont des demi-vies plus courtes en se dégradant plus rapidement. Mais leur dégradation dans le temps ou dilution dans l’espace lors de l’application en champs peut aussi à créer des conditions de faibles ou doses sublétales. : ces conditions peuvent avoir des effets hormétiques importants, parfois moins évidents à observer car moins immédiats ou marqués. A l’Institut d’Écologie et des Sciences de l’Environnement, nous analysons actuellement les perturbateurs endocriniens par l’intermédiaire de la plante : on l’arrose avec du bisphénol A ou des phtalates, on regarde l’effet sur la plante, on la donne à manger aux insectes, puis on étudie leur comportement. Si les résultats sont en cours, on peut déjà observer des effets très clairs de perturbation, preuve que la pollution peut passer par le réseau trophique et l’alimentation.
Vos travaux sont-ils pris en compte par les réglementations ? Je n’ai pas observé de changement pratique. J’ai vu une prise en considération par les agences de réglementation de nos résultats, en tant que données qui se cumulent dans les preuves de la dangerosité des produits ; mais pas de loi qui impose d’étudier les effets des faibles doses avant la mise sur le marché d’un produit, ou qui teste les effets hormétiques potentiels…
Illustration : Maxime Sudol
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Jessica Mignot
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
Plongez dans l’histoire de ce qui est aujourd’hui le premier cosmétique consommé au monde, tous formats confondus. L’occasion parfaite pour renouer avec ces formats solides, dont nous avons testé quelques références parfumées !
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
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Depuis une vingtaine d’années, la société DSM-Firmenich dévoile à ses clients sa vision des tendances en parfumerie. Le programme Mind Nose + Matter1 explore ainsi les grands phénomènes de société, et donne carte blanche aux parfumeurs de Paris et de New York. Un « avant-goût » du futur…
Article rédigé en partenariat avec DSM-Firmenich
Cette année, la thématique du plaisir s’est placée au cœur de l’exercice. Oscillant entre « attraction » et « évitement », le sujet analyse la relation que nous entretenons avec la notion de bien-être. « Comme l’explique la psychiatre américaine Anna Lembke dans son ouvrage «Un monde sous dopamine », le plaisir et la douleur sont souvent proches l’un de l’autre », rappelle Justin Welch, directeur marketing global parfumerie. « Lorsque l’on mange épicé, jouissance et brûlure vont de pair, de même lors d’une course à pied, le sentiment de bien-être est proportionnel à l’effort fourni. La société actuelle a tendance à éviter ce qui nous met mal à l’aise ou ce qui nous gêne. Or si le corps génère trop de dopamine2, nous devenons nerveux, et ne savons plus quoi faire de toute cette énergie. »
Fort de ce constat, DSM-Firmenich a conçu une présentation immersive intitulée Momentum, qui se conjugue autour de quatre moments de vie : « Push, Lift, Release, Rest » [Pousse, Soulève, Relâche, Repose], à l’instar des quatre mouvements de la respiration abdominale destinée à détendre. Cette présentation est également l’occasion de mettre en lumière les ingrédients de la collection Smell-The-Taste (STT), une palette innovante visant à traduire les expériences gustatives multisensorielles en parfums. « Les ingrédients STT transposent les arômes en parfumerie. Ils offrent une retranscription réaliste des odeurs mais aussi de leurs textures et sensations : salé, velouté, croustillant… » explique Albane Furet, compositrice de parfums et d’arômes, en charge des créations STT chez DSM-Firmenich.
La quête du réalisme
« Nous avons commencé à reproduire les odeurs de la nature avec le procédé NaturePrint. Ce procédé agit comme «une photographie olfactive » en capturant les composants volatils odorants d’une matière organique (biomasse, objet ou même atmosphère ambiante). De retour au laboratoire, le parfumeur analyse ces composants par GC-MS (Chromatographie gazeuse-spectrographie de masse) et va reconstituer précisément cette photographie olfactive à l’aide d’un assemblage de matières premières. ». L’équipe a ainsi d’abord travaillé sur des notes de fleurs, de bois. Mais très vite, les parfumeurs ont souhaité avoir davantage de fruits dans leur palette. « Capter l’odeur d’un fruit peut se révéler très complexe : certains ont davantage de goût que d’odeur » précise Fabrice Pellegrin, parfumeur principal et directeur de l’innovation des produits naturels. Historiquement, les fruits étaient simplement évoqués grâce à des molécules, comme la gamma-undecalactone pour la pêche ou des bases butyriques qui pouvaient évoquer le kiwi, « mais ne cela ne donnait pas l’impression de croquer dedans », précise le parfumeur.
Le programme Smell-the-Taste, qui a ainsi vu le jour à la fin des années 2000, résulte d’un rapprochement entre parfumeurs et aromaticiens. Si ces derniers bénéficient de supports salés ou sucrés qui sont de véritables exhausteurs de goût, « les parfumeurs, eux, travaillent sur un support neutre : l’alcool » explique Fabrice Pellegrin.
En 2019, la société passe un nouveau cap et recrute Albane Furet, une aromaticienne qui apporte son expertise du goût au service des parfumeurs. Après avoir passé neuf ans en Belgique sur des formulations d’arômes pour boissons, Albane Furet note les différences majeures entre les deux approches : « je me suis rendu compte que les parfumeurs qui me précédaient utilisaient certains ingrédients en grandes quantités comme les muscs, tandis qu’en arômes, ces derniers sont plus rares, exceptés l’Exaltolide, ou l’Ambrettolide. Leur palette contient par ailleurs davantage de naturels, et la gamme de prix est également plus élevée ». Autre constat, le manque de notes dites « salées » : « j’avais l’impression qu’il y avait un déficit par rapport à la diversité qu’offre le monde culinaire ». Grâce aux STT, la maison de composition DSM-Firmenich a pu satisfaire un besoin des parfumeurs avec des notes salées comme la sauce soja STT, l’olive noire STT, ou encore le caviar STT.
La genèse
Lorsqu’un projet est identifié, tout commence par une dégustation : il s’agit de capter la sensation en bouche et de la traduire en odeurs. Albane Furet analyse méticuleusement tous les sens impliqués lors de l’expérience de dégustativeon :
La vue : la forme, les couleurs, l’esthétique et la beauté à déguster. Le toucher : la texture du produit, sa prise en main jusqu’à l’entrée en bouche, la température. L’odorat : les premiers effluves qui nous poussent à croquer à pleine dents ou à savourer délicatement. L’ouïe : le son qu’il produit en bouche, comme le croquant ou le pétillant.
Enfin, le goût : toute la complexité gustative, y compris les sensations de base détectées par les papilles gustatives sur notre langue – le sucré, le salé, l’amer, l’acide et l’umami (savoureux). Les sensations somesthésiques telles que le froid de la menthe, la chaleur de l’alcool ou d’un piment, le piquant du wasabi ou de la moutarde. La longueur en bouche et sa persistance marqueront la fin de l’expérience gustative.
L’aromaticienne revêt alors son habit de parfumeur pour composer un accord qui sera dans un premier temps évalué par Fabrice Pellegrin. Puis, tous deux comparent cette nouvelle création au produit dégusté : est-elle assez figurative ? Contient-elle une facette dérangeante ? Sera-t-elle facile à employer ? Possède-t-elle une signature propre ? « Un accord trop lisse ne présenterait pas d’intérêt. Par exemple, la sauce soja, qui est très figurative, peut surprendre, mais c’est son aspérité salée qui fait sa particularité, tout comme la facette animale fait la naturalité du jasmin » confie Fabrice Pellegrin. « Au parfumeur d’exacerber ou de camoufler cette singularité ».La durée de développement d’un STT varie selon les projets, certains sont validés en une semaine, d’autres prennent plusieurs années. « il est parfois très complexe de trouver un consensus, c’est le cas de l’accord matcha ! » explique Albane Furet.
« Chaque parfumeur a une vision différente de ce thé : chocolat en poudre, vert, poudre, algue… Nous avons réalisé une dégustation avec une experte en thés et les parfumeurs ont ainsi pris conscience de la complexité de la tâche : l’ingrédient varie selon son origine, s’il est senti en poudre ou en boisson. » confie Albane Furet.
Pour confirmer l’évaluation olfactive, il arrive que l’équipe utilise la technique AFFIRM, une technologie qui analyse les composés volatils dégagés lors de la mastication. « Une sonde installée dans les narines permet d’analyser les molécules perçues par la voie rétro nasale. Nous l’avons notamment utilisé pour étudier l’arôme de la grenade, un fruit assez demandé par les parfumeurs pour son esthétique mais dont le goût est peu affirmé. L’analyse nous a permis de trouver des marqueurs dans ses grains qui apportent un effet astringent et vert »
Lorsque les critères olfactifs sont validés, le STT est appliqué à Grasse dans des accords classiques tels qu’une cologne, une fougère, un floral, afin d’en évaluer l’impact olfactif. Puis une équipe de scientifiques va tester le STT, cette fois à Paris, afin de vérifier ses attributs, c’est-à-dire quelles sont les impressions induites par cette note : plaisir, onctuosité, surprise… Une fois sa formule approuvée, le STT est mis à la disposition des parfumeurs qui peuvent l’utiliser tel quel, comme une matière première, ou bien choisir de le modifier, l’enrichir ou en atténuer certaines facettes, la formule ouverte est modulable.
Des goûts et des couleurs…
La majorité des demandes sur les Smell-the-Taste provient des États-Unis, grands consommateurs de notes gourmandes et de nouveautés. « Il s’agit d’un marché très dynamique où les projets s’enchaînent rapidement. Il faut sans cesse proposer des accords inédits” précise Albane Furet. Certaines modes sont très éphémères comme l’accord Negroni présenté durant lors de l’événement Mind Mose Matter. « Le cocktail présenté sous forme de gelée a créé le buzz à New York en 2024, il faut savoir capter ces tendances et les mettre en parfum avant qu’elles ne passent de mode » explique Justin Welch. « Les STT apportent une écriture plus ludique et accessible à la création olfactive » complète Alexandra Monet, créatrice de parfums à New York. « Cette palette d’ingrédients confère aux parfums des tonalités gustatives plus alimentaires, une Fraise STT se rapproche ainsi davantage de la fraise que l’on retrouve dans un yaourt ou dans une glace. Aux États-Unis, des marques comme Bath & Body Works ou Victoria’s Secret explorent cet univers gourmand avec des formats tels le body mist qui satisfait une envie de notes souriantes, de plaisir immédiat. Son dosage plus léger qu’une eau de toilette classique, nécessite des ingrédients puissants à faible concentration. Les STT jouent ainsi un rôle clé sur le marché américain, notamment pour l’intensité et la singularité des notes fruitées qu’elles permettent d’obtenir. « Pink Guava STT, Maracuja STT, ou encore Jus de Tomate STT, le registre des fruits exotiques et colorés est infini !…
L’Asie représente également un terrain d’exploration stimulant, inspirant des accords comme les STT Wasabi ou White Rabbit, « cet iconique bonbon chinois, à la fois lacté et caramélisé. L’accord a connu un vif succès auprès des marques de niche chinoises », rappelle Albane Furet. Autre note lactée, le Lait infantile STT, a été développé spécialement pour Mind Nose Matter et rappelle le lait maternel, légèrement vanillé. « Nous cherchions une sensation nourrissante, sans le goût crémeux et gras du classique Lait STT qui évoque le lait chaud » note l’aromaticienne.
Un menu varié
A ce jour, le catalogue des Smell-the-Taste contient une soixantaine de références, dont 50 % de fruits, 40 % de notes gourmandes (biscuits, lacté, caramel…), et 10 % de notes singulières et variées: boissons, alcools, légumes, notes salées ou marines. « Nos best-sellers ? la Pomme rouge, pour son impact et sa puissance ; la Crème chantilly, une nouvelle vanille fluide et aérienne, comme un nuage ». Certains accords STT sont déjà présents sur le marché : la note Sobacha aux accents de sarrasin toasté s’est glissée dans Ikebana Sakura de Kenzo, signé par Alexandra Monet et Alberto Morillas, pour faire le lien avec la culture japonaise ; le Caviar STT est au cœur du parfum Caviar Addiction de Mauboussin, créé par Florian Gallo.
Pour l’avenir, l’équipe mise sur des gourmands moins collants, des sucres plus subtils ou des sucrés-salés à l’instar d’un parfum intitulé « Brûler » autour de l’accord crémeux-craquant banane-caramel, audacieusement réhaussé de la Sauce Soja STT proposée par la créatrice de parfums Amandine Clerc-Marie. Et pourquoi ne pas relever le défi de retranscrire la saveur umami, cet exhausteur bien connu en Asie, mais si difficile à capturer en parfum ?
Soja Sauce STT
plateforme exclusive proposée aux clients à New York, Paris, Dubai, Shanghai, Genève et Sao Paulo en fin d’année 2024. ↩︎
Fondatrice de l'agence Le Musc & la Plume, spécialisée en création de parfums et identités olfactives, elle accompagne les marques du concept au développement. Après avoir débuté chez Coty, puis Cinquième sens, Aurélie explore les territoires d'innovation : diffusion du parfum dans l'air ou création pour d'autres secteurs (hôtellerie, automobile, train). En 2017, elle part faire le tour du monde des plantes à parfums. Elle contribue régulièrement à Nez et à Expression cosmétique.
Si l’odorat fait figure de grand oublié dans la société contemporaine, il n’en est pas moins essentiel à la socialisation, à la découverte du monde ou encore au travail de la mémoire. L’environnement olfactif dans lequel nous évoluons est le fruit d’un héritage colonial, fait de violences sociales et de discriminations. Afin de lutter contre cette « aliénation olfactive », il convient de revaloriser l’éducation, en portant une attention accrue au vivant et en limitant la pollution olfactive.
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
Le marché chinois fait rêver – depuis des années ! Et il est vrai que certaines marques, généralement portées par de grands groupes, ont déjà su s’y faire une place. Mais un tournant a eu lieu en 2024, qui offre enfin un espace d’expression à toutes celles désireuses de s’y implanter ainsi qu’aux maisons de composition qui veulent rayonner auprès de clients locaux : la création du salon « Notes Shanghai.» Si l’affirmation d’un marché domestique est souvent confirmée par la naissance d’événements professionnels et/ou grand public, alors « Notes » est sans aucun doute l’indicateur que tous attendaient d’une appétence confirmée du public chinois pour le parfum.
Nez est allé pour vous à la rencontre de son créateur, éclectique et passionné, Alex Wu.
En quelques mots, qu’est-ce que Notes Shanghai, et quel est son objectif ? C’est le tout premier événement professionnel dédié au parfum en Chine. Ce salon est organisé deux fois par an, au printemps (27 au 30 mars 2025) et en octobre, et chaque édition regroupe plus de 160 exposants et marques, pour attirer une vaste communauté d’environ 15 000 visiteurs !
Quel est le profil type des exposants ? Il y a de tout, des marques locales et internationales allant de la parfumerie fine à la parfumerie fonctionnelle. Si la moitié d’entre elles sont chinoises, 50 % des marques participantes changent à chaque édition, ce qui permet de rendre Notes Shanghai toujours plus attractif.
Vous organisez également de nombreuses conférences. Quel est leur objectif ? J’ai toujours considéré que le fond était plus important que la forme. Toutes ces conférences, avec les échanges de savoirs qui en découlent, sont nécessaires pour stimuler l’industrie du parfum et permettre l’essor d’une culture olfactive chinoise.
À tel point qu’un magazine gratuit, Nez in China, créé en partenariat avec Nez, sera distribué à vos 15 000 visiteurs. Comment est née cette initiative ? Cette collaboration éditoriale avec Nez est à l’image de notre vision globale et à long terme : éduquer avant de vendre. Bien que le marché du parfum en Chine présente un potentiel fort, il est en réalité encore balbutiant, et à ce stade nous pensons que la priorité est d’aider les consommateurs à acquérir des connaissances solides et variées sur le parfum.
Selon vous, quelle sera l’évolution à court terme de ce marché ? Il s’est développé rapidement ces dernières années. On observe que de plus en plus de jeunes consommateurs chinois se parfument, et il est heureux de constater que leurs choix deviennent plus indépendants et personnels. Au-delà des grandes marques plus commerciales, ils sont également très réceptifs à la niche.
Vous êtes également coorganisateur des Gold Osmanthus Awards. Que représente ce prix ? Les GOA visent à récompenser l’immense créativité dont font preuve les professionnels de l’industrie chinoise du parfum. A travers la communication de cet évènement, nous espérons que les consommateurs s’intéressent davantage au parfum, et l’apprécient. Pour résumer, ce prix non rémunéré vise avant tout à encourager la liberté de création.
Qui remet ce prix, et sous quelles conditions ? Les GOA sont organisés par l’Association Chinoise des Produits Chimiques de Consommation et gérés par le Conseil des GOA. Ce Conseil est composé de membres issus de maisons de composition, d’entreprises de la chaîne d’approvisionnement ou d’entreprises de distribution, mais d’aucune marque. Le processus de sélection des GOA est strict : tout se joue à l’aveugle, garantissant la confidentialité jusqu’à l’annonce des résultats. Nous nous concentrons uniquement sur le parfum lui-même, sans attente ou quelconque considération commerciale.
La création de parfums est cependant encore largement dominée par les maisons de composition avec des équipes européennes et américaines. Pensez-vous que les parfumeurs chinois s’impliquent davantage à l’avenir ? Absolument ! De nombreux parfumeurs chinois travaillent déjà dans des entreprises internationales, et de plus en plus de jeunes se rendent en France pour étudier la parfumerie. Le parfum est une question de mémoire et d’expression. Les parfumeurs chinois apportent ainsi des perspectives uniques dans l’utilisation et l’expression des matières premières.
Revenons au salon. Quelles sont vos ambitions pour les années à venir ? Nous aimerions être davantage impliqués à l’international et interagir avec des marques de différentes régions et cultures. Toujours dans cette optique de démocratiser, en Chine, la richesse d’une culture olfactive en pleine expansion.
Roulement de tambour et notes de fête : la billetterie de la Paris Perfume Week est officiellement ouverte !
Pour cette deuxième édition plus étoffée que jamais, notre formule fait peau neuve, notamment pour permettre de contourner les inconvénients d’une jauge limitée au sein du Bastille Design Center et garantir ainsi une pérégrination plus fluide des visiteurs parmi les nombreuses marques, conférences, expositions et autres surprises olfactives de l’évènement.
Vous pourrez donc vous imprégner de cette une culture olfactive bouillonnante le temps d’une demi-journée (ou bien sûr plus si affinités).
Notre pass pour une durée de 4 heures sera vendu au prix de 19 euros (12 euros pour les étudiants et -18 ans) et offrira à l’ensemble des participants des conditions d’accueil optimales. Deux créneaux horaires pourront ainsi être réservés selon vos préférences, de 10h à 14h ou de 15h à 19h. Et pour les plus mordus d’entre vous qui ne voudraient surtout rien rater de l’évènement, une offre (limitée) depass quatre jours est également proposée à la vente à 99 euros.
Du 20 au 23 mars, embarquez pour des voyages parfumés au Brésil, en Espagne ou au cœur de la vallée de l’encens, levez le voile sur la chimie de l’attirance et sur l’histoire des matières premières, retenez les petits secrets des grands parfumeurs, rencontrez les nouveaux acteurs de la niche comme les plus installés, goûtez, humez, et rejoignez une aventure sensorielle hors du commun.
Le compte à rebours est lancé, rendez-vous dans deux mois au Bastille Design Center !
Légende vivante de l’industrie, Chantal Roos est une marketeuse visionnaire à qui la parfumerie des années 1970 à 1990 doit quelques-uns de ses plus grands succès, notamment Opium, Paris et Kouros d’Yves Saint Laurent, L’Eau d’Issey ou Le Mâle de Jean-Paul Gaultier. Femme de tête dans un monde d’hommes, Chantal Roos a finalement créé la marque Roos & Roos avec sa fille Alexandra en 2014. Lors de cette discussion, elle revient sur son parcours hors normes et partage ses réflexions sur la parfumerie d’hier et d’aujourd’hui.
Une masterclass enregistrée lors de la Paris Perfume Week 2024 et animée par Sarah Bouasse.
Photo : DR.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Parmi les matières premières regrettées, on cite souvent la mousse de chêne, soumise aux standards de l’International Fragrance Association, mieux connue sous son acronyme IFRA. Petit historique de l’affaire, avec Matthias Vey, vice-président de l’IFRA chargé des affaires scientifiques.
La mousse de chêne est un lichen qui se développe sur l’écorce de certains arbres et que l’on cultive notamment dans les Balkans. Son absolue, qui apporte chaleur et profondeur aux parfums, est l’un des éléments clés des accords chyprés et fougères. Son usage est cependant aujourd’hui fortement limité, et elle est généralement remplacée par des matières premières synthétiques telles que le méthyl 2,4-dihydroxy-3,6-diméthylbenzoate (aussi connu sous le nom commercial Evernyl).
La mousse de chêne fait partie des allergènes qui, depuis 2003, doivent obligatoirement être indiqués sur la liste des ingrédients d’un produit mis sur le marché de l’Union européenne. Quand a-t-elle été considérée comme problématique ? L’absolue de mousse de chêne, qui est la forme employée en parfumerie, a été assez tôt identifiée par la communauté des dermatologues comme une source potentielle de sensibilisation cutanée, à partir d’un certain niveau de concentration dans les produits finis. Elle entre dans le « fragrance mix 1 », créé à la fin des années 1970 à partir des travaux de Walter G. Larsen, un mélange d’ingrédients de parfumerie utilisé comme test cutané par les dermatologues afin de détecter des allergies aux composés de parfumerie. La première réglementation de l’industrie a été publiée en 1988 sous la forme d’une norme IFRA.
Des amendements ont ensuite été publiés. Pourquoi les recommandations de l’IFRA ont-elles évolué ? Les standards IFRA sont constamment adaptés pour refléter l’état des dernières connaissances scientifiques. La mousse de chêne a été identifiée comme un sensibilisant cutané puissant, mais comme pour tous les éléments appartenant à cette catégorie, il est possible de déterminer des dosages maximum. Cela permet à la majorité de la population d’utiliser des produits contenant de la mousse de chêne en toute sécurité, sans risque de développer une sensibilité. Avec le temps, on a pu mieux identifier les différents constituants de l’absolue, ce qui a permis de déterminer les principaux responsables de la sensibilisation cutanée. Cela a permis de fixer des critères de pureté limitant la présence d’acide déhydroabiétique (DHA) et, plus récemment, de deux constituants appelés atranol et chloratranol (43e amendement, 2008). Ces derniers ont été restreints de manière à ce que, en combinaison avec les niveaux d’utilisation maximale stricts établis par l’IFRA, l’exposition potentielle des consommateurs soit considérée comme négligeable. Les restrictions les plus récentes concernant l’extrait de mousse de chêne, émises dans le cadre du 49e amendement en 2019, sont le fruit d’une méthodologie d’évaluation perfectionnée, nommée QRA2 (évaluation quantitative des risques 2).
Les instances gouvernementales ont-elles reconnu ces restrictions ? D’un point de vue réglementaire, la mousse de chêne est l’une des matières allergènes (aujourd’hui au nombre de 80) qui doit être déclarée sur l’emballage des produits cosmétiques en Europe. Le rôle de cette liste est d’informer le consommateur de la présence de ces substances, lui permettant d’éviter les produits qui les contiennent s’il y est allergique. En 2012, l’organe consultatif scientifique de l’Union européenne, inquiété par les taux élevés de réactions à la mousse de chêne, a émis un rapport proposant une interdiction complète de l’atranol et du choratranol. L’IFRA a présenté ses recherches [à l’origine de l’amendement de 2008] démontrant que le potentiel allergène de la mousse de chêne est principalement dû à l’atranol et au chloroatranol, et que l’emploi de mousse de chêne rectifiée, où ces deux molécules sont présentes à l’état de traces, réduit considérablement le risque de réactions cutanées. Des études complémentaires, menées en collaboration avec des dermatologues, ont démontré que les nouvelles qualités présentaient également beaucoup moins de problèmes pour les personnes à l’allergie déclarée. Ces preuves scientifiques ont aidé les régulateurs de l’UE à élaborer une réglementation interdisant l’utilisation de l’atranol et du chloroatranol en tant qu’ingrédients cosmétiques (au-delà de traces) sur le marché européen, mais qui autorise cependant l’utilisation d’extraits de mousse de chêne conformes, c’est-à-dire traités pour ne pas contenir ces molécules. Comme c’est souvent le cas, d’autres zones, attentives aux décisions de l’UE, ont réglementé de la sorte, ou sont en train de le faire.
Texte initialement paru dans le livre publié par Nez, en partenariat avec l’IFRA : We Love Fragrances
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We Love Fragrances, Nez, 160 pages, 2023
The world of fragrance, in all its infinite variety, is an essential part of our lives. Its many perspectives – cultural, economic, social and emotional, as well as agricultural, industrial and technological – are explored in this book, showing just how much fragrance is an element that links us together. To perpetuate this field, the International Fragrance Association (IFRA) plays a role in the safety and sustainability of fragranced products.We Love Fragrances brings together numerous testimonials and gives voice to all players in the value chain, from growers, suppliers of natural and synthetic raw materials, creators and producers to researchers, engineers and chemists… A book to discover and rediscover fragrance in all its different facets and understand its present and future challenges.
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Jessica Mignot
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
Musées, institutions, installations… Odeurs et parfums s’exposent et s’affirment comme des œuvres à part entière. Quelles émotions particulières le médium olfactif suscite-t-il chez les visiteurs ? Comment bien exposer l’odeur, et notamment concilier sa nature volatile avec le temps long de l’exposition ? Anne-Cécile Pouant, directrice de l’Osmothèque, Julie C. Fortier, artiste plasticienne spécialisée dans l’olfaction et Mazen Nasri, fondateur et directeur de création de Magique Studio échangent autour de leurs pratiques et de leurs expériences.
Une table ronde enregistrée lors de la Paris Perfume Week 2024 et animée par Sarah Bouasse.
Photos : DR.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Dans une industrie où la différenciation olfactive est un Graal, les grandes maisons de composition développent depuis longtemps des molécules dites « captives », c'est- à-dire d’usage exclusif. Depuis quelques années, Eurofragance, maison de composition installée tout près de Barcelone, a décidé d’adopter cette stratégie afin, entre autres, de renforcer le caractère unique de ses créations. Plongée dans les arcanes de cette course à l’innovation olfactive.
Cet article a été écrit en partenariat avecEurofragance.
« Nous découvrons et inventons de nouveaux ingrédients qui enrichissent la palette des parfumeurs et rendent possibles de nouvelles expériences sensorielles » constate Felipe San Juan Tejada, scientifique au siège d’Eurofragance. Ces captifs d’origine naturelle ou synthétique constituent désormais un enjeu de taille pour les maisons de composition qui les créent. Selon Olivier Anthony, directeur de la R&D : « un captif peut être une matière première existante ou bien issue de notre recherche interne. Conçu pour un usage exclusif dans un premier temps, il est généralement protégé par la propriété industrielle ». Le captif peut avoir comme objectif de constituer une odeur innovante ou originale, mais aussi de remplacer une molécule ou une matière réglementée. Pour la société qui le développe, c’est un gage d’exclusivité olfactive, et de contrôle de l’ensemble d’une chaîne d’approvisionnement – par opposition à un ingrédient qu’elle achète à un fournisseur, par exemple. « La possession d’un captif est auréolée d’une forme de prestige, mais c’est avant tout une façon de se différencier de la concurrence en répondant à un besoin créatif ou technique », continue Olivier Anthony. Sans oublier la possibilité, si la maison de composition le souhaite, de vendre le captif à d’autres sociétés pendant la validité du brevet.
Nature et synthèse
Qu’il désigne une origine naturelle ou synthétique, le mot « captif », en parfumerie, sous-entend une notion d’appartenance. La compagnie qui le développe en est propriétaire. Eurofragance a expérimenté l’option naturelle et synthétique : « pour notre captif L’Âme du Bois 1Lire sur le site https://www.eurofragance.com/fr/notre-ingredient-captif/, nous avons travaillé à partir de déchets de sciure de bois du cèdre rouge de l’Ouest, très utilisé dans l’industrie de la construction au Canada. » En purifiant ce matériau selon un procédé breveté par Eurofragance, les équipes ont mis en valeur des facettes olfactives particulièrement riches que l’on ne retrouve pas lors d’une extraction ordinaire. L’Âme du Bois est ainsi un ingrédient « surcyclé » (issu de l’upcycling), relevant d’une démarche durable, en résonance avec les objectifs d’Eurofragance pour sa palette d’ingrédients. En parallèle, les scientifiques du département R&D explorent des segments spécifiques de la chimie, susceptibles de leur offrir des composants à fort impact olfactif. « Nous construisons nos projets de recherche sur notre connaissance des besoins de nos parfumeurs, la compréhension des liens entre la structure des molécules et leur odeur, ainsi que sur une exploration de nouvelles voies de synthèse ou de purification », poursuit Olivier Anthony. C’est ainsi que le captif Euphorion 2Lire sur le site https://www.eurofragance.com/fr/euphorion/a vu le jour chez Eurofragance, une molécule cette fois entièrement synthétique contrairement à L’Âme du Bois. « Euphorion est un bon exemple de ce qui peut quelquefois se produire dans un processus de recherche. Né d’une démarche délibérée entreprise lors de notre travail sur un autre profil olfactif, il combine à la fois une singularité et des performances olfactives remarquables, » conclut Felipe San Juan Tejada. Les deux captifs, qui ont désormais rejoint la palette d’ingrédients d’Eurofragance, permettent à la société de singulariser ses créations en les dotant de spécificités esthétiquement et techniquement uniques.
Un projet transversal
Mais développer un captif nécessite une synergie de compétences qui ne se limite pas aux parfumeurs et aux scientifiques de la R&D. Si ce dernier département est clé dans le projet, de nombreux autres services sont sollicités : les évaluateurs et les parfumeurs techniques sont chargés de faire le lien entre les scientifiques et les parfumeurs créateurs pour s’assurer que les propriétés et performances olfactives du captif soient concrètement pertinentes dans des compositions parfumées, quelque que soit le format de l’application : alcool, crème, huile… Le service des achats est quant à lui chargé d’assurer un approvisionnement stable et constant de la matière première : végétale lorsqu’il s’agit d’un captif d’origine naturelle, mais aussi les précurseurs chimiques nécessaires à un captif de synthèse. Les sourceurs d’Eurofragance épluchent toutes les possibilités qu’offre la transformation des ingrédients naturels : valorisation de déchets et de résidus, purification d’essences et autres extractions spécifiques. Les aspects financiers et logistiques sont abordés pour mesurer les projections industrielles et évaluer la production à grande échelle et ses retombées économiques. Enfin, le département de conformité technique joue également un rôle prépondérant dans le développement du captif en informant les équipes sur la viabilité de leur démarche, assurant ainsi la pérennité du futur ingrédient. Il évalue aussi l’impact environnemental, depuis l’approvisionnement jusqu’à son élimination : « En particulier, tout au long de cette chaîne, nous étudions et mesurons l’impact que le captif peut avoir sur les émissions de carbone, la consommation d’eau, et d’éventuelles questions éthiques connexes » résume Diana March Bladé, responsable du développement durable et de la conformité technique chez Eurofragance. Enfin, ce dernier fait réaliser des tests par des organismes extérieurs afin de s’assurer de l’innocuité du captif. « Un des tests les plus connus concerne le trio CMR poursuit Diana, qui permet d’identifier les éventuels effets cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques, mais il y a aussi les tests de sensibilisation qui visent à confirmer les propriétés non allergisantes du captif. » Une fois que la réglementation du produit a été établie, Eurofragance homologue le nouveau captif et commence sa commercialisation.
À l’approche de l’annonce de lancement du produit, la communication entre en jeu et joue sur différents leviers pour séduire clients et prospects : « Le nom et la définition du captif doivent être parlants, et puisque nous nous adressons à des marques de parfum de toutes tailles, nous devons rendre très claires ses qualités, ce qu’il apporte à une composition et comment il peut être un vecteur de différenciation dans le produit fini » affirme Gloria Rosique, responsable de la communication institutionnelle d’Eurofragance. La société compte également sur l’engouement du client final pour les ingrédients de parfumerie et sur certains captifs, dont la notoriété grandit de jour en jour. « Avec nos captifs, nous participons, à notre échelle, à l’élargissement et l’amélioration de la palette des parfumeurs, » conclut Gloria Rosique.
Remerciements à Felipe San Juan Tejada, Oliver Anthony, Diana March Bladé, Stéphanie Marze et Gloria Rosique.
En 1973 naissait l’IFRA, répondant au besoin d’harmoniser les pratiques de l’industrie du parfum pour mieux la réguler avec pour mot d’ordre la sécurité humaine et environnementale. Si cet organe, créé par les sociétés de composition elles-mêmes, est souvent blâmé pour les reformulations de formules qu’il entraîne, il permet pourtant de défendre la création des parfumeurs et d’assurer la sûreté des produits pour les consommateurs.
Le passage du XIXe au XXe siècle marque un tournant important pour la parfumerie, passant d’un artisanat de petite échelle à une industrie structurée, qui s’ouvre à de nouvelles classes sociales, notamment grâce à l’avènement de la chimie permettant de synthétiser de nouvelles molécules disponibles plus facilement, mais aussi à travers l’évolution des pratiques d’usage des fragrances.
Poursuivant dans cette volonté de structurer et de rationaliser le secteur, certains acteurs avancent au début des années 1960 qu’elle doit s’autoréguler afin de protéger les hommes et l’environnement, tout en continuant à exister et à faire rêver le monde par le bout du nez. Si ses volumes de production restent faibles en comparaison avec ceux d’autres industries, son emploi et sa production croissants et l’exportation de ses produits à l’échelle mondiale rendent nécessaires des dispositions plus spécifiques et des mesures d’autorégulation. C’est pourquoi A.L. van Ameringen, alors président d’IFF, envoie en 1965 une lettre aux directeurs des principales maisons de composition concurrentes pour leur soumettre l’idée de créer un organisme indépendant qui contrôlera la sûreté des ingrédients de parfumerie.
Certes, les sociétés effectuent déjà des recherches de leur côté ; mais celles-ci ne sont ni systématiques ni exhaustives. Pour parer à ce manque, le Research Institute for Fragrance Material (RIFM) est créé en 1966 : il produit les données scientifiques jusqu’alors manquantes. Mais il faut encore les transformer en indications concrètes pour que les parfumeurs puissent s’y référer, et réunir toutes les informations produites par les sociétés de composition par ailleurs. L’Organisation européenne pour le contrôle des parfums et des arômes (OECB), fondée en 1967, commence à établir des normes obligatoires pour l’usage des ingrédients de cette industrie.
L’IFRA, une autorité qui défend l’auto-régulation
Poursuivant un but similaire, Guy Waldvogel, alors CEO de Givaudan, s’en inspire pour fonder l’IFRA en 1973 : elle produit des recommandations dont l’application est volontaire, et non pas légalement contraignante. Le principe est relativement simple : puisque l’instance répond à un besoin des acteurs de la parfumerie, ce sont eux qui la financeront. Plusieurs associations nationales se réunissent dans cette optique. Pour garantir son indépendance, l’International Fragrance Association prend la forme d’une association à but non lucratif, distincte du Research Institute for Fragrance Materials (RIFM) qui produit les dossiers scientifiques, et travaille toujours avec le plus de transparence possible : pour assurer la sûreté des matières, celles-ci font désormais l’objet d’une publication officielle lorsqu’un problème est identifié.
Les membres de l’IFRA signent un code de conduite dans lequel figure le respect des standards IFRA, règles explicitant les conditions d’utilisation des matières pour garantir la sécurité pour les consommateurs et l’environnement. Cependant, depuis les années 2000, les réglementations imposées par les gouvernements des différents pays sont de plus en plus importantes et drastiques. C’est pourquoi en 1996, l’IFRA s’est implantée à Bruxelles, siège des institutions européennes, prenant alors un rôle supplémentaire : celui de défendre l’industrie auprès des décideurs politiques afin de porter la voix du secteur dans le cadre des discussions européennes visant à l’édiction de nouvelles réglementations. Elle apporte notamment son expertise dans le domaine de la parfumerie (aspects réglementaires, scientifiques) afin de s’assurer que les futures règles qui seront adoptées soient adéquates pour le secteur.
L’une des actions de l’IFRA tient également dans la communication des informations entre les différents acteurs. Du Meeting annuel qui rassemble ses membres pour discuter des enjeux de l’industrie, au Global Fragrance Summit qui, depuis 2017, rassemble de nombreux acteurs autour des tendances et des défis du secteur, en passant par les conférences, les webinaires et les newsletters, elle diversifie les canaux et occasions.
Mais l’histoire de l’IFRA est également ponctuée de plusieurs partenariats et collaborations qui lui ont permis d’évoluer au cours du temps. Ainsi, en 2007, elle signe un protocole d’accord avec l’Union for Ethical BioTrade (UEBT) pour collaborer à la promotion de pratiques commerciales éthiques et durables dans l’industrie, Pour promouvoir un engagement collectif de l’industrie vers des pratiques plus durables, l’une des premières étapes était d’établir un état des lieux qui rende compte des avancées déjà mises en place en la matière. C’est dans ce but que l’IFRA et l’IOFI (International Organization of the Flavor Industry), historiquement liées, ont joint leurs efforts et travaillé pendant quatre ans avec des membres et experts externes. Le premier IFRA-IOFI Sustainability Report, publié en 2021, permettra de suivre les progrès accomplis par le secteur en termes de durabilité au cours des années à venir. L’IFRA-IOFI Sustainability Charter, signée par 127 entreprises, permet de structurer l’engagement collectif des industries du parfum et des arômes autour de cinq domaines clés : l’approvisionnement responsable, la réduction de notre empreinte environnementale, le bien-être des employés, la sécurité des produits, et la transparence.
Naissance de l’IDEA (International Dialogue for the Evaluation of Allergens)
Poursuivant son but fondateur d’établir des normes communes pour l’industrie concernant l’utilisation des matières premières, l’IFRA met en place l’International Dialogue for the Evaluation of Allergens en 2008. Son but ? Échanger plus facilement avec les différentes parties prenantes afin de promouvoir une évaluation cohérente des allergènes. Le projet réunit scientifiques, dermatologues, experts politiques, représentants de la filière, afin de perfectionner les méthodes d’évaluation de la sécurité des produits. Il a notamment abouti à la mise en place de l’approche de l’évaluation quantitative des risques 2 (QRA2), pour prendre en compte les données les plus récentes, en intégrant par exemple les études sur les habitudes d’utilisation des consommateurs, ou encore en utilisant des modèles plus sophistiqués pour établir les seuils de sécurité des ingrédients. L’IDEA travaille également à développer un nouvel outil pour l’évaluation des tests cutanés qui permette de mesurer la pertinence des évaluations basées sur New Approach Methodologies (NAMs), qui se passent des tests sur animaux.
Les dates à retenir
1969 : Fondation de l’Organisation Internationale de l’Industrie des Arômes (IOFI) 1973 : Fondation de l’IFRA par Guy Waldvogel 1974 : Publication du premier standard (36 ingrédients, contre plus de 200 aujourd’hui) 1996 : L’IFRA ouvre un bureau à Bruxelles 2001 : Tripartition entre membres réguliers, associations nationales et membres soutien 2006 : Lancement de la première version du Quantitative Risk Assessment (QRA), méthode d’évaluation des risques pour la santé humaine associés à l’utilisation de parfums et d’arômes 2012 : Création du Dialogue International pour l’Evaluation des Allergènes (IDEA) 2016 : Lancement du programme IFRA Fragrance Sustainability Initiative, qui vise à encourager l’utilisation de matières premières d’origine durable dans les parfums et les arômes 2019 : Publication du rapport The Value of Fragrance 2022 : Dernière version de la Liste de Transparence IFRA
Texte initialement paru dans le livre publié par Nez, en partenariat avec l’IFRA : We Love Fragrances (livre en anglais uniquement)
We Love Fragrances, Nez, 160 pages, 2023
The world of fragrance, in all its infinite variety, is an essential part of our lives. Its many perspectives – cultural, economic, social and emotional, as well as agricultural, industrial and technological – are explored in this book, showing just how much fragrance is an element that links us together. To perpetuate this field, the International Fragrance Association (IFRA) plays a role in the safety and sustainability of fragranced products.We Love Fragrances brings together numerous testimonials and gives voice to all players in the value chain, from growers, suppliers of natural and synthetic raw materials, creators and producers to researchers, engineers and chemists… A book to discover and rediscover fragrance in all its different facets and understand its present and future challenges.
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Jessica Mignot
Rédactrice en chef web associée des sites Nez et Auparfum.
Titulaire d'un diplôme en philosophie, elle s'intéresse à l'esthétique du parfum et de la cuisine, à l'éthique et à l'épistémologie.
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Digital Deputy Chief Editor for Nez and Auparfum.
She holds a master's degree in philosophy and is interested in the aesthetics of perfume and cooking, ethics and epistemology.
Quand le parfum s’invite dans l’univers des boissons, il suscite des initiatives originales, qui marient joyeusement les univers olfactifs et gustatifs. Co-fondatrice de la marque de liqueurs H.Theoria, Marlène Staiger collabore avec des maisons de parfum ou encore des artistes. Parfumeur créateur, Jean-Charles Sommerard accompagne de grands fabricants de boissons, distillant une approche tournée vers le bien-être et les émotions. Ils évoquent ensemble leur travail de création à la croisée des chemins.
Une table ronde enregistrée lors de la Paris Perfume Week 2024 et animée par Sarah Bouasse.
Photos : DR.
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Guillaume Tesson
Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine Podcasts by Nez.
Après une première édition réunissant près de 3000 passionnés et professionnels du monde entier, la Paris Perfume Week revient du 20 au 23 mars 2025 au Bastille Design Center. Dans son sillage, se dessine une programmation inspirée et foisonnante.
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