Vincent Ricord : « Avec Féminité du bois, je découvrais une mélodie intimiste débordant de poésie »

Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a les parfums qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Semaine après semaine, ils sont désormais plusieurs à nous avoir conté leur rapport à une création, et l’influence parfois inconsciente de celle-ci sur leur manière de composer.
Aujourd’hui, le parfumeur senior Vincent Ricord (TechnicoFlor) évoque Féminité du bois de Serge Lutens, un parfum dont l’écriture limpide a influencé son regard sur la mise en scène des matières premières.

Lorsque Féminité du bois est sorti en 1992, j’étais adolescent. Je me souviens qu’il faisait réagir mes proches – beaucoup travaillaient dans l’industrie du parfum. Ils n’étaient pas dithyrambiques mais on les sentait intrigués. Je suis allé vérifier par moi-même en poussant la porte des Galeries Lafayette de Nice. Une solennité se dégageait du corner Serge Lutens, avec ses airs de bar à parfum. J’ai demandé à sentir… Et j’ai été transporté. Moi qui avais grandi dans les années 1980 au milieu des florientaux, des chypres tonitruants, des sillages magnifiques d’Opium d’Yves Saint Laurent et de Parfum de peau de Montana, dont les structures me faisaient penser à des orchestrations symphoniques, je découvrais une mélodie intimiste débordant de poésie. C’était comme si j’avais toujours écouté de l’opéra et que je mettais la main sur un vinyle du Velvet Underground. Mouillette sous le nez, je décèle la prune, la cannelle et le cèdre, mais je n’ai pas de mots pour décrire la structure. Mon esprit flotte dans une sorte de candeur. Je me prends une nouvelle forme olfactive en pleine figure. Je me dis que le parfum, cela peut être aussi cela : une expression de la sincérité.

Aujourd’hui encore, après des années de pratique, il m’arrive de sentir une fragrance sans l’intellectualiser, exactement comme ce jour-là. Et cette sincérité dans l’écriture influence chaque nouvelle création. Elle m’interroge. Que vais-je, que dois-je raconter comme histoire ? Construire une narration abstraite en associant des matières premières, c’est primordial pour moi. Il peut m’arriver de « citer » Féminité du bois, mais très indirectement. Cela se situe dans la démarche de mettre sur le devant de la scène une matière, avec une écriture limpide. Je pense à la note verte de l’Eau d’Ikar de Sisley, où le lentisque corse joue au garçon manqué avec ses facettes de bigarade et de graine de carotte. Je citerai aussi Velvet Date pour Maison Rebatchi, où la datte est mâtinée d’ambre et de notes cuirées.

Un jour, à Grasse, j’ai pu exprimer ma gratitude au créateur de Féminité du bois, Christopher Sheldrake, un homme très accessible et aussi élégant que ses parfums. Sa réponse ? « Ah oui, l’idée c’était de composer un cèdre très féminin ». Tout simplement !

J’ai la chance d’avoir trois filles. Sans leur imposer l’univers des parfums, je les initie à leur grammaire, comme on découvre celle d’une musique ou d’un film. La plus jeune est encore petite, mais j’ai déjà offert à l’aînée Chanel N°5 en version extrait. Et je sais déjà que j’emmènerai ma cadette chez Serge Lutens pour y chercher son flacon de Féminité du bois.

Vincent Ricord, septembre 2023. 

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DOSSIER « CONFIDENCES PARFUMEES »

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