Au menu de cette revue de presse, un village osmophobe, des ateliers olfactifs en prison, un ver au nez affuté et des œuvres d’art inspirées.
L’actualité des médias tisse un lien avec notre passé, à travers l’étude de l’usage des fragrances au Moyen-Âge, dont la doctorante en histoire Élodie Pierrard nous parle dans un podcast de Passion médiévistes. L’époque, traversée par la peste noire, voit les produits parfumés prendre une importance hygiénique et thérapeutique. Leur emploi trace également une limite entre élite et petit peuple.
Étudier l’usage des parfums, c’est aussi se pencher sur les objets qui s’en font les médiateurs. Clara Muller, également rédactrice pour Nez, retrace leur histoire, des brûleurs néolithiques au design olfactif contemporain, dans un article pour le magazine en ligne Garland – qui a consacré sa 32ème édition (en anglais) à l’odorat. On y découvre également une étude sensorielle de Pompéi par Sissel Tolaas, pour qui « notre nez est plus qu’une simple partie de notre corps ; c’est aussi un instrument d’appréhension intellectuelle. »
L’archéologie olfactive que l’artiste mentionne, complémentaire à l’histoire traditionnelle, est une discipline pluridisciplinaire qui a également permis de dévoiler les éléments utilisés pour embaumer la momie de Senetnay, « femme noble morte il y a environ 1450 avant notre ère, infirmière du fils et héritier du pharaon Thoutmôsis III, le futur pharaon Amenhotep II », rapporte le Huffington Post. L’étude, menée par l’archéologue Barbara Huber – que nous avions interrogée pour l’article sur les odeurs du passé dans Nez, la revue olfactive #15 – Au fil du temps – fait état « de cire d’abeille, d’huile végétale, de graisses, de bitume, de résines de pinaceae (probablement de mélèze), d’une substance balsamique et de résine de dammar ou d’arbre de pistache ». Au-delà de la fragrance en elle-même (qui a été réinterprétée par la parfumeuse Carole Calvez et la muséologue Sofia Collette Ehrich pour le musée de Moesgaard, au Danemark), cette découverte atteste que les échanges commerciaux avec d’autres zones géographiques (nord de la Méditerranée et Asie du sud-est) sont bien plus précoces qu’on ne le pensait jusqu’alors.
Ces senteurs du passé, mais aussi celles plus contemporaines de l’encens qui peut relever de pratiques rituelles, s’installent aussi à Paris, dans l’exposition Parfums d’Orient de l’Institut du monde arabe auquel Libération a consacré un article. France culture la mentionne également dans un reportage sur la présence des fragrances dans les musées, où il est aussi question de l’odeur créée par Nathalie Lorson pour le musée de la Marine à Paris, qui vient tout juste de rouvrir ses portes. L’enthousiasme pour cette pratique émergente est cependant tempéré par le journaliste qui se demande finalement « jusqu’où user des odeurs, par exemple pour la puanteur, quand nos sensibilités peuvent être si variables autour d’une même fragrance et que notre éducation olfactive demeure quasi inexistante ? » Si l’on ne peut qu’acquiescer face à ce constat, mettre ainsi les odeurs en avant dans les expositions n’est-il pas justement une manière de sensibiliser à leur importance ?
La pertinence d’ajouter des senteurs à la présentation muséale est certainement liée à leur puissance mnésique, désormais bien connue. Partant de cette idée, des chercheurs de l’université de Californie ont étudié l’effet sur notre cerveau d’une diffusion d’odeurs pendant la nuit, rapporte Sciences et avenir. Les tests, menés sur un groupe de volontaires ne présentant « aucun trouble mnésique, […] prouvent une augmentation de 226% des performances cognitives ». Les scientifiques, financés par Procter & Gamble, travaillent déjà à la mise au point d’un dispositif pour usage domestique, afin de prévenir cette dégénérescence. Reste, désormais, à pousser l’étude sur un « groupe de personnes souffrant d’une perte cognitive déjà diagnostiquée. »
Au-delà de sa valeur sanitaire, la stimulation olfactive est également utilisée comme un « exutoire créatif » auprès des détenus de certaines prisons du Royaume-Uni. Des ateliers olfactifs nommés « Perfume Stories » sont en effet proposés en leur sein sur plusieurs semaines, relate Perfumer & Flavorist. Ils visent notamment à favoriser la réinsertion et à limiter les taux de récidives, en « renforçant la confiance des détenus en matière d’apprentissage ».
Ailleurs, l’odorat est vecteur de discriminations, notamment envers les personnes en situations précaires. En interdisant l’accès à ses bibliothèques aux personnes « ayant une hygiène corporelle qui incommode les autres usagers ou le personnel » et en prévoyant une amende en cas de récidive, Montréal s’est exposée aux critiques de la directrice du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal, selon Le Parisien.
Au Japon, les habitants s’organisent de manière plus drastique encore : les personnes souffrant « d’osmophobie. C’est-à-dire la peur des odeurs ou une extrême sensitivité à tous les parfums, toutes les fragrances», explique France info, se sont regroupés dans un quartier du village de Nasu. Là, ils appliquent une politique excluant de leur quotidien les produits parfumés : exit le pshiit dans le cou, mais aussi les senteurs ajoutées dans les lessives, adoucissants, détergents… Selon un sondage rapporté par le journaliste, « 4,4% des adultes japonais se déclarent « très très sensibles » aux odeurs ».
Ce n’est donc pas eux qui appliqueront la méthode de « scent scaping » dont nous parle Femina, préconisée pour les télétravailleurs. Il s’agirait de parfumer différemment les espaces de la maison, pour mieux délimiter physiquement, et donc mentalement, notre bureau de notre chambre à coucher. Mais aussi pour favoriser la concentration ou la détente. Mais gardons en tête que les référentiels sont souvent personnels et non pas universaux, comme le rappelle la chercheuse Roxane Bartoletti dans un entretien avec Nez.
Notons cependant que « nous sommes incapables de nous orienter avec nos narines » à la manière dont les animaux le font par leurs antennes. Certes, il est désormais établi que le cerveau humain, comme celui d’autres mammifères, traite les senteurs en stéréo : « la zone du cortex qui reçoit les informations olfactives réagit différemment selon que l’odeur est entrée par la narine droite ou la gauche », rapporte un article de Courrier international, selon une étude publiée dans la revue Nature. Mais nous ne savons pas dire par quelle narine nous sentons une odeur lorsque celle-ci est présentée.
Autre découverte autour de l’activité olfactive, le site de l’Université de Basel fait état de la recherche autour du nez des femmes enceintes. On dit souvent que celles-ci sont plus sensibles : on sait désormais que de nouveaux neurones se forment dans le bulbe olfactif au moment de la grossesse, permettant à la mère de reconnaître son enfant à son odeur. Résultant d’une migration et d’une modification de certaines cellules, ils disparaissent quelques semaines après l’accouchement, offrant une preuve supplémentaire de la plasticité de notre cerveau.
Mais le nez humain n’est pas le seul à étonner par ses capacités : parmi les derniers en date, un ver minuscule, le Caenorhabditis elegans, peut détecter les tumeurs cancéreuses, dont l’odeur serait proche de celle de ses aliments. Un test préventif a été mis en place au Japon, peut-on lire sur le site La Santé publique.
Plus populaires sur les réseaux sociaux, les chats sont aussi une source d’espoir scientifique. Leur système olfactif étant nettement plus complexe que celui des humains, sa compréhension fonctionnelle permettrait des améliorations notamment de la chromatographie en phase gazeuse, particulièrement utilisée par les maisons de composition pour repérer les molécules présentes dans un parfum. Il s’agirait de « [reproduire] son fonctionnement afin de gagner en efficacité au niveau de la séparation des molécules d’un mélange gazeux », explique Sciencepost.
Si elles sont réjouissantes pour la recherche, ces observations faisant des animaux des objets utiles ne rompent pas avec une vision capitaliste et utilitariste de la nature, celle-là même qui procède depuis des siècles à sa destruction avide. Dans un article publié dans la revue en ligne Astasa, Clara Muller, décidément prolifique, propose une réflexion sur d’autres manières de respirer avec le « non-humain » conceptualisé par Bruno Latour, à travers l’étude d’œuvres olfactives. Celles-ci, explique l’historienne de l’art, « permettent d’envisager de nouveaux modus vivendi et offrent une réponse sensible à la crise de notre relation au monde vivant. » À lire de toute urgence.
Et c’est ainsi que les mouillettes ne servent pas qu’à déguster les œufs !
Visuel principal : © Morgane Fadanelli
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