Encens et autres résines sacrées : fumées éternelles

Parce qu’il est l’un des trois présents rapportés par les Rois mages – avec la myrrhe et l’or –, l’encens est une note de saison. Mais c’est aussi l’une des grandes tendances actuelles de la parfumerie, notamment de la niche. 
Pour célébrer cette fin d’année, nous vous proposons un tour d’horizon historique et chimique de cet ingrédient, mais aussi de ses interprétations olfactives, éclairé par les regards d’Olivia Giacobetti et d’Anaïs Biguine.

Une fumée familière et pourtant opaque

Matière initiatique de la parfumerie, l’encens est un terme générique qui renvoie à la fois à ce que l’on brûle (regroupant divers ingrédients) et en particulier à une oléo-gommo-résine, l’oliban. Cette polysémie n’est pas nouvelle : en latin par exemple, trois mots ont pu désigner l’encens : « incensum », qui désigne la matière brûlée pour les sacrifices ; « tus » (du grec θυς), qui renvoie à un arbre alors mal identifié par les Romains, comme l’indique Pline l’Ancien (« On n’est pas même d’accord sur la forme de l’arbre », écrit-il dans son Histoire naturelle, XII, 31) ; et c’est le terme plus tardif de « libanos », issu de la racine sémitique lbn qui signifie « blanc », en référence à la couleur des larmes, qui a donné le terme oliban. 
Ainsi, le kyphi, considéré comme l’un des plus vieux encens de l’humanité, était composé principalement de miel, vin, chypre, raisins, myrrhe, genêt, stoenanthe, séséli, safran, genièvre, cardamome, patience et roseau, selon Annick Le Guérer qui a travaillé à sa réinterprétation récente avec Dominique Ropion (IFF) dans Le Dieu bleu d’Astier de Villatte : force est de constater que l’oliban reste absent de cette liste, même si celle-ci varie selon les sources. 

Reste que l’encens renvoie à un passé lointain : « Ce mot nous renvoie aux prémices de l’histoire du parfum conçu comme une forme de communication à la fois entre les hommes et avec le ciel par le biais de la fumée : per fumum », rappelle la parfumeuse indépendante Olivia Giacobetti. Accompagnant le christianisme comme le bouddhisme, « il nous plonge dans une dimension qui nous dépasse un peu, par son caractère spirituel et intemporel, sans être lié à un culte en particulier », surenchérit Anaïs Biguine, qui lui a consacré sa dernière marque Chapel Factory. 
Parfois falsifié avec d’autres résines, il constitue en effet très tôt dans l’histoire de l’humanité une denrée précieuse pour laquelle on n’hésite pas à traverser des étendues désertiques d’Arabie à dos de chameau. Son commerce dessine la route de l’encens, à partir du IIe siècle av. J.C., orchestrant l’architecture des paysages périphériques par la construction de cités, de forts, ou encore de systèmes d’irrigation. Au cours du temps, sa valeur a cependant changé : selon l’archéologue Sterren Le Maguer, « les encens les plus recherchés dans le monde arabe médiéval sont l’ambre gris, l’agalloche et le musc. L’encens oliban était en revanche très prisé dans les régions où il se faisait rare, comme en Chine ».[1]Sterenn Le Maguer, « Une archéologie des odeurs : identifier les encens et leurs usages au Proche et Moyen‑Orient (VIIIe‑XIIe siècles) », Bulletin d’études orientales

Un arbre précieux

Car il ne s’agit pas d’une culture que l’on peut exporter à tout va : l’arbuste qui permet de produire l’oliban, Boswellia carterii, de la famille des Burséracées, est originaire notamment des terres arides et venteuses de la Péninsule arabique, et pousse en Oman, Somalie, Éthiopie ou encore au Yémen. 
Pour le récolter, il faut procéder par gemmage, un procédé déjà relaté par Pline l’Ancien. La technique, encore employée aujourd’hui, consiste à inciser le tronc pour en prélever ensuite la résine laiteuse une fois séchée, toutes les deux semaines pendant cinq mois, dans un processus précis dévoilé dans le livre De la plante à l’essence par Anne-Sophie Beyls, responsable du sourcing chez Payan Bertrand : « Le gemmage doit s’effectuer avec minutie afin de ne pas endommager l’arbre. Il faut respecter une hauteur minimale d’arbre estimée à deux fois la taille humaine, soit un âge d’environ 20 ans. Boswellia doit au moins se reposer pendant une saison après avoir été exploité durant trois saisons consécutives. Enfin, le nombre d’incisions – entre quatre et dix – est capital et dépend de la taille  de l’arbre : ces entailles commencent à un demi-mètre du sol, avec un écart de 15 à 20 centimètres. »  
Une fois récoltée, la gomme est distillée, avec un rendement oscillant entre 6 et 8%. Certaines sociétés procèdent à des distillations sous vide (sans eau) qui « permettent de facetter les notes, du balsamique au cuir fumé », explique Frédéric Badie, directeur R&D chez Payan Bertrand. L’huile essentielle présente des nuances plus acidulées que l’absolue, issue d’une extraction à l’hexane (ou à l’alcool pour un résinoïde), qui est plus balsamique. L’essence peut aussi être fractionnée pour être débarrassée des notes terpéniques et ne conserver que les facettes résineuses et poivrées. 

Un parfum de mystère

Pour l’arbre, cette résine est un moyen de communication avec son milieu, les composés aromatiques qui la constituent étant « naturellement protecteurs : ils aident à résister aux infections par les champignons, à repousser les attaques des insectes, à éviter la déshydratation et à réparer les tissus abîmés », rappelle Elise Vernon Pearlstine dans son ouvrage Scent: A Natural History of Fragrance.
Cependant, bien que son histoire soit plurimillénaire, la composition chimique à l’origine de la signature olfactive de l’encens est restée mystérieuse jusqu’à récemment. On savait que les monoterpènes (alpha-thuyène, alpha-pinène, bêta-pinène, limonène) la constituaient en partie, mais il a fallu atteindre 2016 pour que l’équipe dirigée par Nicolas Baldovini, de l’Institut de chimie de Nice, identifie deux molécules, présentes de manière infime mais qui lui confèrent son odeur caractéristique de « vieille église » : il s’agit des acides (+)-trans– et (+)-cis-2-octylcyclopropane-1-carboxylique, baptisés « acides olibaniques », qui n’avaient jamais été observés dans la nature jusqu’alors. Les chercheurs ont aussi pu les synthétiser, ouvrant ainsi la possibilité d’enrichir la palette du parfumeur.[2]Pour en savoir plus sur cette recherche, voir https://www.cnrs.fr/fr/lorigine-du-parfum-de-la-reine-de-saba
Mais il ne faudrait pas croire que la matière première se suffit à elle-même pour recréer une note encens en parfumerie : répétons-le, ce n’est jamais le cas. Pour la reconstituer, Olivia Giacobetti explique « travailler avec des matières simples : un encens fractionné de Robertet, plusieurs qualités de ciste ou encore de la myrrhe, plus facettée, mais aussi du bois et des matières de synthèse pour apporter une structure. »

Créations initiatiques

L’encens est donc intimement lié à l’histoire du parfum, on l’a dit. Mais la note est
parfois restée timide : « Elle est considérée comme un thème difficile, parce qu’on la lie uniquement à la chrétienté. Mais pourtant l’encens fait partie de ces odeurs qui viennent de la nuit des temps et appartiennent à un patrimoine culturel universel. Il m’a toujours fasciné, son parfum est à la fois clair et profond, familier et sacré, brut et complexe », explique Olivia Giacobetti. Parmi les premières compositions qui lui font honneur, on compte l’un des préférés de la parfumeuse : L’Eau trois de
Diptyque, grand précurseur sorti en 1975, dont elle souligne « la vraie simplicité de composition, avec peu d’artifices, offrant un encens brut et sombre ». Serge Kalouguine le mêle à la myrrhe, au ciste et aux herbes aromatiques que l’on retrouve l’été en Grèce. En 1996, Christopher Sheldrake joue la note en twistant la fleur classique provençale dans Encens et lavande pour Serge Lutens, signant le début d’une longue histoire d’amour de la marque avec la résine. 
Puis, à l’occasion du passage à l’an 2000, sort Passage d’enfer de L’Artisan parfumeur : « À l’origine, ce parfum devait être éphémère mais il a connu un succès inattendu. J’ai voulu travailler la sensation d’une fumée blanche pour obtenir un encens fluide et lumineux. Je l’ai marié à un lys blanc senti dans une église à Saint-Jacques-de-Compostelle, la fleur se marie délicatement à l’encens. Il ne s’agit pas d’un travail figuratif mais plutôt d’un effet floral, comme un voile de fleurs blanches qui enveloppe délicatement les notes encens. Pour souligner l’effet vaporeux, j’ai travaillé avec des muscs blancs et des notes santalées, mais en petites touches. La version Extrême, sortie en 2020, reprend la formule en augmentant essentiellement la concentration. Je n’ai pas touché l’équilibre mais la note a plus de profondeur et plus de force ».

L’Artisan parfumeur, Passage d’enfer, 1999

Le rythme s’accélère ensuite : les années 2000 voient se succéder plusieurs interprétations, toujours dans la parfumerie de niche ou exclusive. Chez Comme des garçons, en 2002, c’est toute une série qui rend hommage aux différents cultes avec Zagorsk, Jaisalmer, Ouarzazate, Kyoto et Avignon. Ce dernier, signé Bertrand Duchaufour, évoque l’image d’un encensoir dans une cérémonie catholique. 
L’année suivante, Olivia Giacobetti compose L’Éther pour sa propre marque, Iunx, désormais disparue : « J’avais découvert que l’on ajoutait parfois du sucre dans l’encensoir, j’ai recherché cet aspect très doux. J’ai aussi utilisé de la myrrhe qui m’évoque plutôt les messes orthodoxes, et ajouté de la rose et une pointe de safran », précise la parfumeuse. Et de souligner son admiration pour Bois d’encens sorti en 2004 dans la collection Armani Privé, un autre classique « encré dans la thématique, évident, brut » que l’on doit à Michel Almairac. 
La même année, Annick Menardo (Firmenich) s’empare de la note dans Bois d’argent, un iris fumé masculin-féminin créé pour Dior. Trois autres compositions sortent en 2006 : Cardinal, de James Heeley, rafraîchi par un accord lin blanc ; Dzongkha de L’Artisan parfumeur, dans lequel Bertrand Duchaufour « retranscrit l’atmosphère de sérénité au cœur des monastères du Bhoutan », et Olibanum de Profumum Roma où le bois des cathédrales est patiné de cire.
L’année suivante, c’est à la maison Goutal de nous proposer une collection de trois parfums autour des matières précieuses offertes par les Rois Mages : Ambre fétiche, Myrrhe ardente et Encens flamboyant sont ainsi imaginés par Isabelle Doyen et Camille Goutal.
En 2008, Christopher Sheldrake reprend la note encens pour Serge noire, inspirée par le tissu sergé, qui se révèle plutôt clivant avec ses notes brûlées.
Un an plus tard, Marc-Antoine Corticchiato mêle « encens de Somalie, myrrhe du Kenya, opoponax d’Ethiopie, santal d’Inde et cyprès du Maroc » symbolisant les rites cultuels des différentes cultures, dans Wazamba pour sa marque Parfum d’empire.
Chez Cartier voit également le jour L’Heure mystérieuse, que Mathilde Laurent décrit dans son livre Sentir le sens comme « un encens travaillé avec des effets de jasmin sambac et de musc : une note enveloppante, intime, que j’ai imaginée comme un moment de repli introspectif, de reconnexion à soi-même. » La Treizième heure, sortie au même moment, présente également des notes fumées évoquant un thé lapsang souchong marié à une vanille boisée.
Après une courte pause, d’autres compositions émergent à partir de 2011 : Sancti de Liquides imaginaires, signé Sonia Constant (Givaudan) ; La Liturgie des heures chez Jovoy par Jacques Flori (Robertet). On pense aussi à Relique d’amour et Rêve d’Ossian d’Oriza L. Legrand, ou encore au plus clivant et caractériel Bois d’ascèse composé par Julien Rasquinet (IFF) pour Naomi Goodsir, tous trois sortis en 2012.
Deux ans plus tard, Lavs de Filippo Sorcinelli, L’Orpheline de Serge Lutens signé Christopher Sheldrake, et Copal Azur de Bertrand Duchaufour pour Aedes de Venustas rejoignent les étals des boutiques.

Années 2020, le mysticisme retrouvé

Serait-ce dû à l’engouement autour du développement personnel ou à la hausse des médecines dites douces, avec leur cortège de lithothérapie et bâtons de sauge ? Faut-il voir dans le néo-mysticisme l’aveu d’un désemparement face aux catastrophes climatiques et sociales en explosion ? Quoi qu’il en soit, la note encens revient depuis quelque temps plus que jamais sur le devant de la scène. 
Le parfumeur Aurélien Guichard en propose ainsi en 2019 une interprétation qu’il veut « noire, addictive et charnelle » pour sa marque Matière première. S’ouvrant sur des notes gourmandes amandées café et fève tonka, Encens suave met en avant l’encens somalien, entouré de labdanum, de vanille et de bois ambrés. 
Au même moment, Guerlain intègre dans sa collection des « Absolus d’Orient » un Encens mythique, signé Thierry Wasser, « relevé par la rose et sublimé par l’ambre gris. »
Olivia Giacobetti propose également le floral vaporeux Audacious pour Nars : « François Nars m’avait parlé de l’odeur de la nuit à Tahiti, du parfum de ces fleurs, presque voilées, se mêlant à celui des feux qu’on devine dans la pénombre. J’ai imaginé des fleurs blanches douces et laiteuses comme celles du frangipanier, contrastées par un bois légèrement fumé. C’est un travail en noir et blanc rappelant les magnifiques photographies de Tahiti du fondateur de la marque. »
L’encens est aussi au centre des parfums de la marque Chapel Factory, créée en 2020 par Anaïs Biguine, qui voue à la note « un très grand respect, car c’est une matière qui a traversé les cultures, les époques et les frontières », explique-t-elle. « Le premier, Heresy, renvoie à l’image d’un encens après la grand cérémonie, qui se déposerait sur le minéral d’un sol froid, sec et boisé. Dans Holy Stick, c’est le rituel chamanique qui est exploré, autour du palo santo et de la dimension épicée que peut avoir l’encens, offrant un ensemble très chaud, presque gourmand. Baptisma quant à lui évoque la symbolique du baptême ; c’est la version la plus tendre, la plus douce, avec des notes de fleur d’oranger baumées et lactées évoquant la peau de bébé. Hermit Coat est plutôt l’encens baroudeur : alors qu’ailleurs j’ai lutté contre la lourdeur, ici j’en ai joué, en ajoutant une facette ambrée, cendrée, qui lui donne un caractère très mystérieux. Pour Pura Lux, j’étais inspirée par les psaumes du roi David, j’ai voulu retranscrire la lumière intérieure en odeur, en l’associant à des notes boisées claires. Enfin, pour le dernier, l’Eau d’épine, j’ai souhaité travailler sur du vert très vif, autour de la couronne d’épine avec des notes de ronces, de rosier, et en jouant avec l’hinoki, qui procure une fraîcheur persistante. » Mais la note invite aussi essentiellement à exploiter d’autres formes que l’approche liquide : « si en parfumerie alcoolique je travaille avec des chimistes qui formulent les compositions une fois que j’ai imaginé toute la pyramide, j’aime l’approche très physique que je peux avoir en créant mes encens à brûler. Je suis au contact des matières brutes, et l’idée de créer une sorte d’autel chez soi me réjouit ». Sur son site, sont proposés des amulettes d’encens Kyphi et le très beau mélange pour fumigation Ceremonia, qui associe 25 plantes et résines emplissant la pièce par vagues odorantes.

Chapel Factory, L’Eau d’épine, 2022

En 2021, c’est au Yémen, et plus particulièrement au port d’Aden, que nous invite Thierry Bernard, enjoint par Parfumeurs du monde à s’inspirer des terres originaires d’ingrédients naturels. Décrit par la marque comme « un sillage miellé et hespéridé porté par un sirocco de myrrhe et d’encens », Les Larmes d’Aden s’ouvre sur une brassée d’agrumes fruités et verts pour s’adoucir dans les baumes aux accents de fleurs blanches, où les résines se patinent d’encaustique.

On poursuit le chemin de la route de l’encens avec la marque américaine Aedes de Venustas, qui reprend la thématique en faisant une fois de plus appel à Bertrand Duchaufour. Celui-ci imagine un Encens japonais explorant « sa fraîcheur avant qu’il ne soit brûlé » autour de notes plutôt chaleureuse d’orange, de poivre et d’immortelle.

Bon parfumeur revendique également « un encens ultra frais » avec 702, signé Juliette Karagueuzoglou (IFF), où, marié à la lavande et au bois de cachemire, il constituerait un « mélange mi spicy, mi vert, aux inflexions florales » en revisitant l’accord fougère. 

2022, année encensée   

Cette année, la note a connu un retour à la lumière certain. La marque Amouage a notamment démarré un programme visant à une production responsable de la matière en Oman, évoqué ici par Renaud Salmon. 

C’est d’ailleurs dans ce pays que le musée des Beaux-Arts de Lyon et le musée national d’Oman ont conçue une programmation croisée dans le but de faire connaître la richesse de leurs collections. Le palais « Bayt Greiza » à Mascate accueillera ainsi, du 17 octobre 2022 au 7 mai 2023, des œuvres remarquables du musée lyonnais, notamment de nombreux objets en lien avec l’encens, les parfums et les aromates. Quentin Bisch (Givaudan) a créé trois accords olfactifs représentants autant d’œuvres présentes dans l’exposition. Pour L’Adoration des mages, un tableau émaillé du XVIe siècle, myrrhe et encens figurant sur le tableau sont rendus visibles au nez, enrichies par  « le pamplemousse qui illumine et représente l’éclat associé à des aldéhydes qui apportent la facette métallique, pour représenter l’or », et de « notes musquées pour représenter l’enfant Jésus », explique le parfumeur. Pour illustrer la navette à encens du XVIe siècle, où  « l’encens est associé à cette navette, ce bateau, qui glisse sur l’eau », il raconte avoir trouvé  « intéressant d’imaginer un encens associé à l’élément aquatique. J’aime beaucoup l’association de l’encens et du bateau. C‘est un voyage. J’ai privilégié un accord algue, minéral, eau et encens. » Lyon accueillera en retour des pièces de l’histoire du territoire omanais du 23 avril au 17 juillet 2023.

La note encens constitue également la principale source d’inspiration qui a guidé le chef Akrame Benallal et Fabrice Pellegrin dans leur création d’Adorem, dernier né de la collection 1+1, traduction olfactive de la couleur noire. Le parfumeur de Firmenich a employé une spécialité maison nommée Encens Vulcain : la résine chauffée à température élevée offre un extrait pyrogéné aux facettes fumées et cuirées. Vous pouvez découvrir la genèse du parfum en écoutant le podcast que nous lui avons consacré et en lisant notre article dans Nez, la revue olfactive #14 – Musique et parfum

Mais nombreuses sont les marques qui ont également cédé aux sirènes de l’encens et autres résines sacrées. Célébrant un retour à la vie, Ben Gohram propose par exemple pour Byredo une création qui « incarne le pouvoir transcendant des rassemblements cérémonieux ». De Los Santos s’ouvre ainsi sur « un nuage aromatique musqué percé par la clarté de la sauge », et se prolonge avec un encens ambré et lumineux, « pour un doux parfum de souvenir. »

Byredo, De Los Santos

Si les évocations sacrées sont également une source d’inspiration pour Ferveur de Le Galion, il est aussi décrit par la marque comme « un parfum diablement sensuel. » Rodrigo Flores-Roux (Givaudan) explique l’avoir imaginé « comme un monument ambré sculpté dans des larmes d’encens. »  Les fumerolles boisées s’enlacent à un bouquet aromatique de bergamote, sauge sclarée, myrte et cyprès, pour se prélasser sur un fond de baumes incandescents et cuirés évoquant un moment finalement charnel où « corps et âmes se retrouvent, se font prier, s’implorent et s’explorent, s’abandonnent et communient avec ardeur. »

Le Galion, Ferveur

Fondateur de Le Galion, Nicolas Chabot a également lancé cette année sa marque Headspace, se faufilant dans « les régions reculées de la psyché » à travers l’exploration de matières premières naturelles emblématique. La Myrrhe, signée Julien Rasquinet, s’inspire de l’image « d’un rocher de bord de mer réchauffé par le soleil ». La minéralité rendue par l’encens, le cèdre et l’Ambroxan est réchauffée par une cannelle brûlante dans l’ambiance mystique de la résine précieuse.

Headspace, Myrrhe

Même jeu sur « le contraste de notes froides et chaudes » pour Encens céleste d’Atelier cologne, qui nous propose « une création unique à la signature lumineuse et magnétique » associant la note à la bergamote et au labdanum dans une eau de parfum boisée épicée.

Atelier cologne, Encens céleste

Chez Aesop, c’est Eidesis qui en reprend les codes, dans une composition évoquant les « épices profondes, la terre humide et les bois secs », avec une belle fraîcheur en tête, portée par une envolée de poivre, sur un fond plus chaud de cèdre. 

Aesop, Eidesis

Abîme, inspiré par le nom d’un parfum qui existait dans la collection de la maison Violet en 1930, a été imaginé comme étant « à la fois sombre et caractériel ». Nathalie Lorson (Firmenich) signe une composition dont « l’accord épicé/boisé attire comme un chant de sirène », entre froideur terpénique du poivre, élémi citronné et chaleur vaporeuse du palo santo et du santal. À découvrir dans la Box Auparfum #35 septembre/octobre 2022.

Violet, Abîme

Explorant sa puissance en le mêlant à une base oud, Encens roi d’Histoire de parfums peint « le bois brûlant de l’arbre-encens et sa résine exsudant passivement ses effluves ». Fumé, presque pyrogéné, il est contrebalancé par des notes plus sucrées de « cacao blanc et de vanille, régressifs, impies et gourmands »

Histoires de parfums, Encens roi

Mais Gérald Ghislain, fondateur d’Histoire de parfums, ne s’arrête pas là dans son hommage à la matière : il lui offre une marque tout entière, sobrement nommée Olibanum. Pensées pour être superposées selon le concept du layering, les compositions en explorent toutes les facettes. Sacra, le parfum signature, est travaillé autour de « résines minérales amplifiées par le sapin baumier » fruitées et gourmandes.

Olibanum, Sacra

Si elle n’est pas entièrement consacrée à l’ingrédient, la marque Spiritum lancée cette année par Jonathan Dufour puise son inspiration de cérémonies chamaniques du Pérou où sauge, oliban et santal sont mis à l’honneur pour leurs vertus bienfaisantes. Dans la première collection baptisée Numerus, qui « s’inspire d’anciens traités de numérologie », Mystic Warrior, signé Philippe Paparella, explore par exemple les facettes caramélisées et ambrées de l’encens, offrant un « cri de jubilation qui s’adresse à ceux qui ont à cœur de réaliser le rêve d’Icare ».

Spiritum, Mystic Warrior

Partant « d’un portrait peint représentant l’un des fondateurs de la marque, Desmond Knox-Leet, au théâtre », Opsis (signifiant « spectacle » en grec) de Diptyque, vendu en exclusivité chez Harrods à Londres, associe les volutes de l’encens à des notes poudrées de maquillage pour reconstruire l’odeur d’une loge, « tandis que les éclats de bergamote évoquent les projecteurs lumineux qui illuminent la scène principale. » 

Diptyque, Opsis

Il n’est pas question de loge mais bien de stars chez Room 1015, qui entend faire un lien entre musique et parfum. Avec Purple Mantra, son fondateur surnommé « Dr Mike » nous invite à suivre le chemin des Beatles qui découvrent la méditation transcendantale en Inde en 1968 et dont « les longues séances ont abouti à l’enregistrement du White Album, l’un des disques les plus créatifs jamais produits. » Serge de Oliveira (Robertet) purifie nos pensées à coups d’encens, de lavande, de sauge sclarée, de fleurs blanches dans un halo musqué et ambré.

Room 1015, Purple Mantra

Chez Maison Crivelli, c’est « un trek dans des jungles multicolores à la recherche de résines de benjoin » qui nous attend avec Ambre chromatique. Quentin Bisch y travaille huile essentielle d’encens, absolue d’osmanthus et de benjoin Orpur (une qualité particulièrement luxueuse chez Givaudan), baies roses, davana, vanille Bourbon et oud pour dévoiler un extrait de parfum aux « facettes vives et résineuses contrastant avec un accord ambré et chaud. »

Maison Crivelli, Ambre chromatique

Passons de la jungle à la savane avec la création inspirée par la figure du lion dans la collection hommage à l’Art Nouveau lancée en cette fin d’année par Alexandre J. Majestic Nard, disponible en eau de parfum et en extrait, fait rugir l’encens dans un accord poivré et animal qui laisse place à un fond boisé épicé « destiné à ceux qui recherchent des fragrances puissantes. »

Alexandre J, Majestic Nard

Enfin, après tous ces parfums de niche, soulignons la sortie de l’une des rares composition disponible en circuit grand public (chez Nocibé et Blissim) qui exploite la note fumée et résineuse : Myrrhe & bois brûlés de Carlotha Ray, décrit comme un « floral gourmand boisé qui souffle le chaud et le froid. » Le parfumeur Jean-Michel Duriez nous invite dans un salon d’hiver, bercé par les pâtisseries aux effluves de pomme anisée que l’on déguste près d’un feu de bois réconfortant. 

Carlotha Ray, Myrrhe & bois brûlés

Sur un autre registre, si vous souhaitez vous aussi passer à l’action, Aromandise propose un coffret DIY « Mon atelier encens », permettant de fabriquer vos propres cônes parfumés grâce à vos huiles essentielles personnelles. Facile à utiliser, il constitue un outil d’initiation à l’odorat intéressant, notamment pour les plus jeunes.

Et demain ? 

Qui sait, la note pourra peut-être prendre le relais des bois ambrés qui saturent les sorties actuelles, tous canaux de distribution confondus ? Avec ses échos universels et son caractère familier, elle constituerait un ingrédient de choix, qui permettrait aussi une approche plus contemplative du parfum, au-delà d’un marketing visant seulement à « sentir plus fort et plus longtemps ».
Quoi qu’il en soit, Anaïs Biguine lui consacrera bientôt une nouvelle composition, « j’aime avoir une fulgurance qui me surprenne, travailler dans la spontanéité.  Pour l’instant, je suis dans la réceptivité, l’inspiration peut venir d’une image, d’une matière, d’un film, d’un livre, d’un lieu… »
Quant à Olivia Giacobetti, elle rêve d’un « encens senti dans un temple au Japon, un encens d’une grande finesse, étrangement sec et froid, presque minéral et pourtant d’une douceur infinie…»
Nous attendons donc demain avec impatience.

Commentaires

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Très sensible à l’encens dans les parfums, je trouve dommage de ne pas retrouver Samharam de Arte Profumi. Les trois résines me fascinent toujours autant et m’ont valu plusieurs rencontres avec des gens qui me complimentaient… Les latins l’auraient appelé « carmen », mot qui signifie « poème, chant, charme ou envoûtement », j’en suis certain.

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