Femmes en parfumerie : la face cachée de l’industrie

Longtemps réservée aux hommes, la création olfactive a commencé à ouvrir ses portes aux femmes à partir de la deuxième moitié du XXe siècle seulement. Derrière une poignée de grands noms, l’industrie du parfum est pendant des années restée le creuset de stéréotypes bien ancrés et d’inégalités de genre, n’échappant pas en cela aux préjugés déjà abordés dans ce dossier. Retour sur un long chemin pavé (ou pas) de bonnes intentions, éclairé par plusieurs témoignages.

Dans les discours de parfumeurs, on croise souvent des histoires écrites « de père en fils ». Derrière l’aspect traditionnel, qui passe a priori pour un gage de qualité, se cache surtout la coutume des lignées masculines pensées sur le modèle royaliste, et l’idée que la parfumerie serait une sorte de don que l’on reçoit en héritage, installant la légitimité d’être un « fils de ». On ne parle jamais des filles de ces pères créateurs qui ont baigné de leurs compositions le monde aristocratique : « La parfumerie est imprégnée de ce côté filial que je trouve insupportable : lorsque j’ai commencé ma carrière, on parlait de “fils de”… Personne dans ma famille ne vient de ce milieu, et j’en suis très heureuse : je n’ai hérité de rien, j’ai poursuivi une passion, travaillé pour y arriver. Mes études à l’Isipca ont été un passeport pour pouvoir entrer dans le parfum », note la parfumeuse indépendante Delphine Thierry.

Les femmes auraient-elles un nez moins performant ? Bien au contraire, les stéréotypes de l’époque (qui persistent encore aujourd’hui) leur attribuent une sensibilité olfactive plus poussée. Mais pour leur ouvrir l’accès à certains métiers ou encore les portes des universités, il restait à imaginer que les femmes pouvaient réfléchir. Rappelons par exemple que Schopenhauer, en grand penseur du XIXe siècle, proclamait sans trop d’inquiétude que « le seul aspect de la femme révèle qu’elle n’est destinée ni aux grands travaux de l’intelligence, ni aux grands travaux matériels. »[1]Arthur Schopenhauer, Essai sur les femmes in Pensées & Fragments sur Wikisource Longtemps leur éducation se cantonne donc à celle offerte par le couvent, et l’accès aux études scientifiques reste très anecdotique. Il faudra ainsi attendre 1863 pour qu’une femme – Emma Chenu – se voit attribuer le baccalauréat scientifique en France, ou encore 1900 en Allemagne pour qu’on décerne un premier doctorat de chimie – à Clara Immerwahr. Aujourd’hui encore, « d’après l’Institut de statistiques de l’UNESCO, seulement 30 % des chercheurs en science, dans le monde, seraient des femmes. Pire, alors qu’elles représentent 50 % des effectifs dans la filière scientifique du baccalauréat, la part des doctorantes parmi l’ensemble des doctorants en sciences, selon BCG, le Boston Consulting Group, ne serait que de 25 %. […] Seuls 3 % des prix Nobel scientifiques ont, à ce jour et depuis leur création en 1901, été attribués à des femmes. »[2]Article de Laëtitia Bartholom sur https://www.museum.toulouse.fr/-/la-science-encore-et-toujours-une-affaire-d-hommes- On se réjouit d’autant que l’un d’eux ait été attribué, en 2004, à Linda B. Buck pour ses recherches, avec Richard Axel, sur les récepteurs olfactifs. 

Petites mains invisibles

Les femmes ont pourtant longtemps été un rouage essentiel de la parfumerie, officiant – avec leurs enfants – en tant que petites mains pour la récolte et la transformation de matières premières, notamment de fleurs. On retrouvera ainsi facilement sur les photos d’époque les cueilleuses qui ramassent, trient et enfleurent (sans toutefois pénétrer les usines réservées aux hommes) et qui ont participé de manière essentielle à l’histoire de cette industrie, comme le rappelle l’ouvrage de Coline Zellal, À l’Ombre des usines en fleurs. Genre et travail dans la parfumerie grassoise, 1900-1950. L’autrice y démontre qu’à l’inverse, les photographies de laboratoire des années 1920 montrant des hommes en blouse blanche portent un double témoignage : celui d’un accès à ces métiers presque impensable pour les femmes, mais aussi celui d’une représentation scénographique qui cache parfois une mixité des postes.[3] Voir Coline Zellal, À l’Ombre des usines en fleurs. Genre et travail dans la parfumerie grassoise, 1900-1950, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, coll. « Penser le genre … Continue reading

La cueillette du jasmin à Grasse, carte postale, 1908

L’accès à des fonctions plus qualifiées reste complexe du fait d’une difficulté d’accès à l’éducation. Les premières à émerger dans le milieu sont ainsi souvent des « femmes de » : on doit par exemple à Marie-Thérèse, l’épouse d’Edgar de Laire, neveu du fondateur de la maison aujourd’hui réveillée par Symrise, d’avoir composé dès 1891 les premières « bases », assemblages de matières qui facilitaient l’emploi des nouvelles molécules de synthèse alors récemment mises sur le marché. On n’est pas loin de pouvoir parler de la première parfumeuse connue : « La mousse de Saxe, par exemple, est une formule extrêmement complexe. D’après sa petite-fille, elle travaillait comme un parfumeur aujourd’hui : des techniciennes pesaient ses essais, elle les ramenait chez elle pour les essayer… », argumente Olivier R.P. David, maître de conférences à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, responsable du master Formulation et évaluation sensorielle en parfumerie et rédacteur pour Nez. 

Derrière les grands hommes de la parfumerie se cachent ainsi probablement un bon nombre de victimes de « l’effet Matilda » mis en avant par l’historienne Margaret W. Rossiter : leurs contributions sont souvent – et aujourd’hui encore – attribuées à des collaborateurs masculins. On pense notamment à l’anecdote rapportée par Maïté Turonnet dans son récent Pot-pourri : « Edmond Roudnitska était ombrageux, on l’a dit, convaincu de son talent supérieur, capable de donner la densité d’une essence d’ylang-ylang à la troisième décimale (ce qu’il ne manquait pas de rappeler), très jaloux de ses œuvres et plein de secrets. Il n’avait par exemple jamais révélé que Moustache, édité par Rochas en 1949, avait été conçu par sa très discrète épouse Thérèse, elle-même ancienne ingénieure chimiste rencontrée chez de Laire (aujourd’hui Symrise), où elle développait des molécules de synthèse. »

Si la crise que connait la chimie en France au cours du XIXe siècle n’a pas favorisé son développement universitaire, « pour qu’une femme puisse enfin y trouver un rôle par son seul mérite, il a fallu atteindre l’industrialisation et le besoin de petites mains. Lors de la Première Guerre mondiale notamment, alors qu’il faut soutenir l’effort de production industrielle, on les place à des postes de techniciennes : et là, oh, surprise, on s’aperçoit qu’elles sont capables de les occuper ! », explique Olivier R.P. David. C’est ce que l’on appelle en sociologie « l’effet de harem » : constituant une main d’œuvre moins bien payée, les femmes permettent de renflouer les troupes à moindre coût en cas de déficit de personnel. 

Quand la chimie opère

« La chimie, et plus encore la chimie des parfums, était une affaire d’hommes, de chercheurs », note Olivier R.P. David dans un podcast d’Interludes parfumées.[4]Interludes parfumées, Histoire de la chimie des parfums, 3/3 – à écouter par exemple ici : https://open.spotify.com/episode/1BUwKWfytNEGuOYCp958f4 Il y évoque la figure d’une femme chimiste, Yvonne Chrétien-Bessière[5]Voir : https://auparfum.bynez.com/yvonne-chretien-bessiere,1863, qui « étudie pour sa thèse soutenue en 1957 une molécule particulière que l’on retrouve dans beaucoup d’huiles essentielles, l’allo-cymène […] de la famille des terpènes. » Embauchée par l’École normale supérieure, elle travaille avec des industriels, et notamment avec des chercheurs de Chiris. Elle analyse le galbanum, dont elle participe à identifier la principale molécule odorante. Outre cet exemple et celui, plus récent, de l’Anglaise Karen J. Rossiter – chimiste de la société Quest (aujourd’hui Givaudan) qui a notamment identifié le Karanal en 1987 – « il est assez compliqué de trouver la trace de ces femmes chimistes dans l’histoire, parce qu’elles étaient rares, mais aussi parce qu’elles étaient moins mises en avant », confie Olivier R.P. David.   

Symbole ironique de la difficulté d’accès au métier de parfumeuse, la première à être identifiée comme autrice de parfums modernes a été maintenue dans un anonymat total : on ne sait rien d’elle ! Son nom même reste un mystère : Madame Z, Zed ou Zède ? Créatrice du mythique My Sin (1924), elle aurait signé une dizaine d’autres compositions pour Lanvin. Mais faut-il parler de mystère ou d’effacement, au vu des coutumes de l’époque ? 

Le nom de Germaine Cellier sera quant à lui nettement plus médiatisé. Fille d’un employé aux tramways et d’une employée de commerce, elle réussit cependant à accéder au diplôme d’aide chimiste à l’école Scientia de Paris, puis au diplôme d’aide-bactériologiste, avant d’entrer chez Roure (aujourd’hui Givaudan) dans les années 1930. Assistante d’un parfumeur dans un premier temps (ce qui est alors le cas de la plupart des femmes employées dans cette industrie), elle fait ses armes avant de signer sa première composition avec Bandit pour Robert Piguet en 1944. Sans sa forte personnalité, souvent mise en avant, il y a fort à parier que Germaine Cellier n’aurait pas été sacrée « meilleur nez » par un magazine de l’époque.[6]7 Jours, 2 avril 1944

Germaine Cellier (à droite) et deux collègues
©Martine Azoulai

Suivront Joséphine Catapano, entrée chez IFF New York en tant qu’assistante – elle aussi –  du parfumeur Ernest Shiftan et qui signera Youth-Dew pour Estée Lauder en 1953. C’est elle qui épaulera Sophia Grojsman, qui intègre la société en 1966 toujours en passant par l’étape « technicienne de laboratoire » au côté du parfumeur Ellie Fox, et à qui l’on attribue de nombreux chef d’œuvres comme White Linen d’Estée Lauder (1978), Paris d’Yves Saint Laurent (1983), ou encore Trésor de Lancôme (1990) . Également passée par IFF New York avant de rejoindre Créations aromatiques (aujourd’hui Symrise), Betty Busse, qui a signé Estée (1968) et Chloé (1974), était considérée en son temps comme l’une des parfumeuses les mieux payées au monde avec un salaire de 100 000 dollars par an, selon certaines sources.[7]Voir par exemple : https://savour-experience.com/Perfumers/Details/Betty-Busse On relèvera d’ailleurs au passage la présence marquée, chez ces parfumeuses pionnières, de créations pour Estée Lauder, qui a fondé avec son mari en 1946 un véritable empire de la beauté, suivant les traces d’Elizabeth Arden, autre innovatrice qui a initié l’industrie des cosmétiques aux États-Unis au début du XXe siècle.

C’est également dans les années 1960 qu’apparaît un nouveau métier, évaluatrice, aujourd’hui encore majoritairement occupé par des femmes, qui s’immiscent ainsi dans la création. Une des premières à s’y atteler est Elisabeth Mathieu-Madeleine, qui témoigne dans une interview[8]visible sur le site du fonds de dotation Per Fumum, dans le cadre du projet Héritage(s) : https://www.fondsperfumum.org/projets/heritage/elisabeth-mathieu-madeleine/ de la manière dont elle a « essuyé les plâtres d’une profession difficile et parfois mal considérée », travaillant d’abord chez IFF, puis Quest, au contact direct de parfumeurs comme Ernest Shiftan, Bernard Chant, Max Gavarry, Olivier Cresp, Francis Kurkdjian…  « Ce poste est occupé à 90% par les femmes ; dans ma carrière en maison de composition, j’ai connu un seul “évaluateur”. Or c’est un métier qui demande beaucoup d’abnégation, car même si l’évaluatrice a souvent les mêmes capacités que le parfumeur, elle n’est jamais mise en avant. Ceci explique donc probablement cela. À l’inverse, lorsque je me rends à l’usine, les métiers de manutention sont encore et toujours occupés par des hommes ! Tout comme les postes à responsabilité », souligne Delphine Thierry. La parfumerie n’échappe évidemment pas aux stéréotypes de genre qui fourmillent toujours dans l’éducation – et donc dans le choix professionnel – des plus jeunes…

L’entreprenariat au féminin dans l’industrie commence à émerger avec des figures comme Monique Schlienger, qui a fondé l’école Cinquième Sens – aujourd’hui dirigée par Isabelle Ferrand – en 1976, après avoir travaillé chez Robertet. Ou encore Annick Goutal, une ancienne pianiste et mannequin formée au métier de parfumeuse à Grasse, qui lance sa marque et ouvre une boutique en 1981, d’abord épaulée par Henri Sorsana, puis par Isabelle Doyen, autre pionnière de la parfumerie indépendante féminine. Dans un tout autre registre, l’ingénieure chimiste Monique Remy fonde la société d’ingrédients naturels Laboratoire Monique Rémy (LMR) à Grasse en 1983, aujourd’hui filiale d’IFF. « Si j’ai pu réussir, c’est grâce au fait d’être une femme, car mes concurrents, tous masculins à l’époque, ne se sont pas méfiés de moi, tellement ils étaient sûrs que j’allais échouer, précisément parce ce que j’étais une femme ! », confiait d’ailleurs celle-ci dans Les Femmes en parfumerie. De la terre au flacon, de Rafaëla Capraruolo.[9]Voir l’article https://www.50-50magazine.fr/2021/02/17/femmes-en-parfumerie-comme-une-fragrance-doubli/ Quand les préjugés se retournent contre eux-mêmes…

Au cœur des entreprises, le sexisme normalisé

Pour que les femmes puissent plus largement accéder au métier de parfumeuse, il faut attendre la naissance d’écoles de parfumerie, qui ont permis de rompre avec la tradition filiale. Patricia de Nicolaï rentre ainsi à l’Isip (aujourd’hui Isipca) en 1979, démarre sa carrière en 1981 et sera la première femme a recevoir le prix international du meilleur parfumeur créateur en 1988,[10]Voir https://www.luxe-en-france.com/2014/08/18/nicolai/ avant de lancer sa marque l’année suivante. Françoise Caron, à qui l’on doit Eau d’orange verte (1979), Ombre rose de Jean-Charles Brosseau (1981) ou encore Iris Nobile d’Acqua di Parma, fait elle aussi partie de ces pionnières de l’industrie : « Quand j’ai commencé, il n’y avait que des hommes à ce poste. J’ai eu la chance de naître à Grasse ; c’est mon père qui m’a fait faire de la parfumerie, qui m’a mis le pied à l’étrier. Quand j’ai commencé dans les arômes à 19 ans, il n’y avait aucune femme ! Puis j’ai rejoint l’école de parfumerie de Roure : là encore elles étaient peu présentes, mises à part quelques stagiaires étrangères, dont les parents avaient des accointances avec le milieu et qui retournaient ensuite dans leur pays d’origine. »

Les femmes font ainsi peu à peu leur place au sein des grandes sociétés, mais ces dernières sont toujours en majorité dirigées par des hommes qui continuent parfois à dévaloriser le sexe opposé. Les brimades masculinistes, si elles tendent apparemment à s’apaiser, ont longtemps été de mise, comme en témoigne Françoise Caron : « Lorsque je travaillais chez Quest [aujourd’hui Givaudan] dans les années 1970, j’avais des patrons espagnols vraiment machos, horriblement misogynes. Il y avait beaucoup de rivalité, plus encore entre femmes. Nous étions, je pense qu’on peut le dire, maltraitées, méprisées ; on devait supporter des réflexions quotidiennes. J’ai très mal vécu ces moments, mais je ne pouvais rien dire : il fallait que je gagne ma vie. Quand j’ai intégré Takasago, la structure était beaucoup plus petite et l’ambiance était radicalement différente : j’ai eu la sensation de revivre ! Aujourd’hui, j’ai l’impression que cela a changé. Un ancien patron, que j’ai par ailleurs beaucoup admiré, confiait d’ailleurs qu’il ne pourrait pas se comporter comme il l’avait fait à l’heure actuelle. »

Si le métier s’est féminisé, il n’échappe évidemment pas aux discriminations classiques qui touchent toute la société : « Il est presque banal d’évoquer le rapport de fausse séduction qui s’installe entre le dirigeant et les parfumeuses, par lequel celui-ci impose sa domination. Et puis il y a évidemment les contraintes classiques qui pèsent plus lourdement sur les femmes, comme la nécessité de s’organiser pour faire garder ses enfants lorsque l’on doit se déplacer, ce qui est l’une des exigences du métier. La question de la maternité reste vraiment problématique : au moment de la naissance de mon deuxième enfant, j’ai été obligée de m’arrêter, cela a été très mal vu par la société dans laquelle je travaillais », se rappelle Delphine Thierry. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles la parfumeuse a choisi de s’installer en tant qu’indépendante : « Cela m’a permis d’exercer avec la liberté de suivre les rythmes qui sont les miens, et de m’occuper de mes enfants, d’être avec ceux que j’aime, ce qui nourrit en retour mon travail. »

Quand la parfumeuse fait vendre

La médiatisation du métier a certainement contribué à encourager son ouverture à la gent féminine. Mais on peut également imaginer qu’elle a aussi été l’occasion de mettre en avant des jolies femmes pour l’image : la « parfumeuse » fait vendre, c’est bien connu ! Le mot désignait à l’origine, en effet, le métier de vendeuse de fragrances (ce qui explique d’ailleurs en partie la réticence de celles qui exercent aujourd’hui ce métier à féminiser ainsi le nom de leur profession, appuyée par la volonté d’être traitées d’égale à égal avec leurs confrères masculins, et non rabaissées par un terme qui leur semble dévalorisé par son usage initial.) Les parfumeuses peuvent ainsi parfois être instrumentalisées par les marques dont elles signent les créations, par exemple mises en avant dans les dossiers de presse aux messages pseudo-féministes, comme un prolongement d’une certaine marchandisation de la féminité, corroborée par l’image d’une femme-objet totalement à l’encontre de l’intention initiale. S’il s’est largement amplifié aujourd’hui, le phénomène ne date pas d’hier, comme le rappelle Olivier R.P. David : « Lors de l’Exposition des arts et techniques de la vie moderne en 1937, on est allés chercher une chimiste de haut niveau, Pauline Ramart pour organiser la salle « parfums et teintures », alors que rien ne la liait au parfum : on a demandé à une femme de parler de “frivolité”, c’est une autre forme de sexisme ! » 

Ainsi sous ce nom de métier que les intéressées nous demandent si souvent de masculiniser dans nos publications, réside aussi le besoin de rappeler que les parfumeuses ne sont pas simplement des femmes dotées d’une sensibilité olfactive exacerbée, mais des individus qui ont étudié, appris, échoué, réussi, vécu, et qui ont dû souvent se battre pour prouver qu’elles étaient aussi compétentes que leurs homologues masculins. 

L’ascension vers les postes prestigieux

On aurait aimé compléter cet article d’une comparaison salariale, qui reste souvent taboue – plus encore peut-être dans l’industrie du parfum. On sait seulement qu’en 1930, les salaires des hommes étaient deux fois supérieurs à ceux des femmes en général, dans une société comme Chiris, témoignant souvent d’une difficulté à accéder aux postes plus qualifiés.[11]Voir Coline Zellal, Op. Cit Qu’en est-il aujourd’hui ? Difficile d’avoir la réponse. Si les femmes sont majoritaires en école de parfumerie, elles n’accèdent pas toujours aux postes les plus prestigieux, comme le rappelle Chantal Artignan, ancienne directrice de l’ESP (École supérieure du parfum) : « Nous avons formé un certain nombre de parfumeuses, mais paradoxalement encore plus de parfumeurs alors que les hommes ne représentent qu’un quart de notre effectif. »
Dans les grandes sociétés de composition, si les postes importants restent encore bien souvent occupés par les hommes, le changement semble s’installer, à l’instar d’Ilaria Resta, présidente monde parfumerie chez Firmenich ; Samantha Mane, directrice de la région EMEA pour la société Mane ; ou encore Sabrya Meflah, tout récemment promue présidente de la division parfumerie fine chez IFF.
Par ailleurs, parmi les rares et prestigieux postes de « parfumeur maison », deux sont aujourd’hui occupés par des parfumeuses : Mathilde Laurent qui, après avoir travaillé dans l’ombre de Jean-Paul Guerlain, dirige la création chez Cartier depuis 2006, et Christine Nagel, qui a succédé à Jean-Claude Ellena en 2014 chez Hermès.
Ces promotions professionnelles sont certainement le signe d’une prise de conscience et d’une évolution de plus en plus visible dans l’industrie, que l’on ne peut que féliciter et encourager de tous nos vœux ! 

Visuel principal : Travailleuses embouteillant des parfums à l’usine de cosmétiques Lido de Tel Aviv en 1934. Source : Wikimedia Commons

DOSSIER « ODOR DI FEMINA »


Notes

Notes
1 Arthur Schopenhauer, Essai sur les femmes in Pensées & Fragments sur Wikisource
2 Article de Laëtitia Bartholom sur https://www.museum.toulouse.fr/-/la-science-encore-et-toujours-une-affaire-d-hommes-
3  Voir Coline Zellal, À l’Ombre des usines en fleurs. Genre et travail dans la parfumerie grassoise, 1900-1950, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, coll. « Penser le genre », 2013. Voir aussi son article « Mémoire et images du travail dans les parfumeries grassoises (1900-1950) : les clichés du genre »
4 Interludes parfumées, Histoire de la chimie des parfums, 3/3 – à écouter par exemple ici : https://open.spotify.com/episode/1BUwKWfytNEGuOYCp958f4
5 Voir : https://auparfum.bynez.com/yvonne-chretien-bessiere,1863
6 7 Jours, 2 avril 1944
7 Voir par exemple : https://savour-experience.com/Perfumers/Details/Betty-Busse
8 visible sur le site du fonds de dotation Per Fumum, dans le cadre du projet Héritage(s) : https://www.fondsperfumum.org/projets/heritage/elisabeth-mathieu-madeleine/
9 Voir l’article https://www.50-50magazine.fr/2021/02/17/femmes-en-parfumerie-comme-une-fragrance-doubli/
10 Voir https://www.luxe-en-france.com/2014/08/18/nicolai/
11 Voir Coline Zellal, Op. Cit

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