Quand le sport fait vendre : flankers et images de la masculinité

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, une nouvelle tendance émerge dans le domaine des parfums : celle du sport. Un outil marketing bien rodé, dont nous explorons ici quelques facettes, après avoir dessiné les premiers traits de l’histoire commune qui lie disciplines sportives et flacons sent-bon.

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, une nouvelle tendance émerge dans le domaine des parfums : celle du sport. Elle est en réalité un outil marketing qui favorise l’expansion d’un marché de « flankers », nom que l’on donne dans le milieu à ces déclinaisons qui reprennent (a priori) quelques notes olfactives du parfum initial ainsi que son nom et la forme du flacon. Si l’exercice de la déclinaison peut constituer un réel enjeu créatif, il permet malheureusement le plus souvent de capitaliser sur un succès commercial sans trop de prises de risques.

Les déclinaisons « sportives »  ciblent un public essentiellement masculin, plus jeune et populaire, moins consommateur de parfums que les femmes, creusant au passage les clichés de genre comme sait si bien le faire l’industrie du parfum [voir notre dossier Odor di femina] : féminité séductrice et aimante d’un côté, masculinité puissante et indépendante de l’autre. 

De Ralph Lauren à Dior en passant par Chanel et Yves Saint Laurent, toutes les grandes marques en vogue s’alignent sur cette tendance, présentant des parfums aux profils communs. De Polo Sport à Dior Homme Sport, tous proposent une fragrance avec une tête fraîche d’agrumes ou d’aldéhydes, un coeur fleuri ou épicé (poivre, coriandre) et un fond boisé ambré (cèdre, vétiver, et de plus en plus bois ambrés) parfois enrobé de notes gourmandes (fève tonka, vanille, ethyl-maltol). 

L’objectif est clair : il faut toucher cette nouvelle audience et pour y parvenir, les marques vont adapter leur stratégie. Leur communication d’abord : avec le choix d’égéries sportives ou bien par des campagnes publicitaires mettant en scène des hommes athlétiques, l’enjeu étant toujours de nourrir l’identification aux personnalités pour faire vendre. La part mise dans la communication augmente, celle mise dans le concentré déminue [voir notre dossier Argent et parfum dans Nez, la revue olfactive #17]. Rugbymen, joueurs de foot, surfeurs et même pilotes automobile se prêteront au jeu. On citera notamment Hugo Parisi (plongeur brésilien), Adam Crigler (longskater américain), Danny Fuller (surfeur américain) chez Chanel ; Olivier Giroud (joueur de foot français), Jenson Button (pilote automobile britannique) et Harry Kane (joueur de foot britannique) chez Hugo Boss ; Younes Bendjima (boxeur français), Kylian Mbappé et Zinedine Zidane (tous deux joueurs de foot français) chez Dior ; ou encore Sébastien Chabal (rugbyman français) chez Caron. La liste serait trop longue pour la poursuivre…

Leur stratégie marketing ensuite : les univers olfactifs de ces nouvelles créations portent des valeurs viriles, faisant certes appel au registre de la fraîcheur bienvenue après s’être dépensé (en considérant toujours que cela n’arrive qu’à ces messieurs), mais aussi bien souvent à la puissance, avec l’appui des bois ambrés ou du registre sucré. Les flacons sont uniformisés avec des couleurs sombres (noir, bleu, gris). 

Aujourd’hui, la tendance « extrême »  s’est imposée à son tour, faisant le relai des attributs de force liés aux hommes, et suivant la montée en puissance qui se généralise dans les flacons, quel que soit le genre auquel ils sont destinés. 

Bref : le parfum, c’est comme le sport. Tant que ça fait vendre, on est prêt à investir… Et tant pis si c’est en dépit du bon sens ! Les très nombreuses compétitions sportives sont l’occasion pour les grands groupes comme Coty et LVMH de mettre en avant leurs marques. Logos imprimés sur les maillots, bannières déployées autour des stades et donc visibles tout au long des matchs, ou bien de spots publicitaires diffusés juste avant les diffusions télévisées et monnayés à prix d’or… S’ils sont prêts à tant de dépenses, c’est évidemment parce que cela rapporte gros. Bernard Arnault, le patron de LVMH, le sait bien : comme l’a dévoilé une enquête de Dan Israel et Khedidja Zerouali publiée par Médiapart le 19 juillet dernier,[1]Voir https://www.mediapart.fr/journal/france/190724/jo-lvmh-s-offre-une-place-de-roi-pour-la-ceremonie-d-ouverture celui-ci profite de l’occasion pour mettre en avant ses marques, notamment Louis Vuitton, dont la Fondation a accueilli la flamme durant une après-midi. Histoire de ne pas manquer, selon les propos de son fils Antoine Arnault, les « centaines de millions de paires d’yeux [qui] seront braquées » sur les JO, qui sont autant de portefeuilles à conquérir…

Visuel principal : Un athlète soulevant de lourdes masses, Reims, 1913, Agence Rol. Source : Gallica.bnf.fr / BNF

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