Le congrès Olfaction & Perspectives comme si vous y étiez

Après une pause imposée par la pandémie, le Congrès Olfaction & Perspectives organisé par la Cosmetic Valley s’est tenu le jeudi 24 mars 2022 à Clichy-la-Garenne. Au programme, avancées de la recherche liée à l’anosmie, intelligence artificielle, naturalité et odeurs de l’environnement quotidien.

La ville d’accueil du Congrès cette année est l’un des grands territoires de l’industrie cosmétique, avec les sièges de groupes comme Givaudan, L’Oréal, ou encore le verrier Pochet. Confortablement installés dans les fauteuils rouges du conservatoire Léo Delibes de Clichy La Garenne, ou en distanciel, les participants assistent ce jour à une quinzaine d’interventions de chercheurs et acteurs du milieu.

Moustafa Bensafi, directeur de recherche en neurosciences au CNRS de Lyon, co-auteur de l’ouvrage Cerveau et odorat. Comment (ré)éduquer son nez, inaugure la journée. Il expose les mécanismes physiologiques de l’olfaction, dans lesquels trois types de cellules entrent en jeu : neurones, cellules de soutien et cellules basales. Leur étude a permis à l’équipe de déterminer les causes des différentes pathologies olfactives – de la désormais célèbre anosmie à l’hyperosmie, en passant par la parosmie et la phantosmie. Si leurs causes sont diverses – post-infectieuse, sino-nasale, post-traumatique, congénitale ou idiopathique – celle de l’infection au virus Sars-Cov 2 a fait l’objet d’études spécifiques, et « plusieurs pistes sont désormais envisagées, parfois complémentaires, et sources de prises en charge différenciées. » Parmi celles-ci, le chercheur évoque notamment la rééducation olfactive, et souligne l’importance d’une sensibilisation pédagogique des patients. 

Olga Alexandre, directrice du laboratoire Kansole Lux, revient sur la méthode de thérapie olfactive OSTMR qu’elle a mise en place, et dont les applications sont variées – coaching, soins palliatifs, bien-être pré et post-natal, troubles anxieux, douleurs aiguës et chroniques, rééducation de la mémoire…  Elle rappelle les troubles provoqués par l’altération de l’odorat, allant de « la mauvaise alimentation aux états anxieux et dépressifs, avec un impact psychosocial important, une difficulté à détecter les dangers, et une diminution importante de la qualité de vie », notant que ceux liés au covid présentent certaines particularités : fatigue et saturation olfactive, fluctuation du seuil de la perception, difficulté d’identification des facettes olfactives dans un même groupe de matière (les principaux étant les muscs, les aldéhydes, les notes hespéridés et les odeurs corporelles), épisodes d’hyperosmie, parosmie et troposmie.

Mais la pandémie a également eu des conséquences sur la communication des marques et leurs techniques de vente. C’est le sujet qu’a étudié Aurélie Dematons, fondatrice de l’agence « Le musc et la plume » et rédactrice pour Nez : « Le modèle, inchangé depuis 40 ans, a dû se transformer, et les marques se sont adaptées en jouant avec la pseudo-synesthésie », c’est-à-dire en convoquant d’autres sens que l’odorat pour évoquer une réalité olfactive. Preuve à l’appui, nous percevons combien un son peut modifier notre perception du parfum. Le goût également, en évoquant des codes universels et des souvenirs positifs. La vue, elle, permet de « créer un univers, en suggérant des ingrédients et jusqu’à l’architecture d’une formule. » Le toucher reste encore peu exploité. Pour résoudre le problème du contact rompu avec le consommateur, l’industrie a également développé les rendez-vous en visio, les box, les mécaniques de « try and buy» par l’envoi d’échantillons et touches parfumées. Mais la période a aussi révélé l’odorat comme sens artistique, à travers plusieurs expositions et événements éducatifs comme la Cité des sens à la Cité des sciences et de l’industrie ou L’Odyssée sensorielle au Muséum d’Histoire Naturelle.

Poursuivant cette matinée riche en informations, Yvonne N. Delevoye-Turrell, professeur de psychologie cognitive à l’université de Lille, a imaginé une théorie de l’évolution olfactive. L’odeur modifie en effet l’activation cérébrale, et peut inciter à bouger. Mais quelles seraient les plus efficaces ? Celles qui sont désagréables, explique la chercheuse : « la cadavérine notamment augmente la fréquence cardiaque, et 100% des personnes veulent partir, par instinct. On peut donc imaginer l’utiliser en trace dans des compositions, afin de pousser des personnes à l’activité physique. » Et de penser le parfumage des espaces avec différentes ambiances olfactives, afin de faire passer l’individu d’une activité à une autre, à l’heure où le télétravail s’est répandu.

C’est au tour d’Arnaud Leleu, maître de conférences en psychologie et neuroscience à l’université de Bourgogne, de prendre la parole autour de la question des odeurs corporelles : « si elles sont souvent mal vues, elles permettent pourtant d’avoir des informations sur une personne, son sexe, ses émotions, son âge » explique-t-il. Et, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les cosmétiques « ont tendance à amplifier la signature olfactive et non à la masquer. » Il nous expose la démarche d’une étude récemment menée sur le rapport olfactif de la mère à son bébé. En mesurant la réponse neurologique du tout-petit face à des images, lorsqu’il est ou non exposé à l’odeur de sa mère, l’équipe en déduit que l’enfant reconnaît en général mieux les visages lorsqu’il est exposé à l’odeur de sa mère.

Christian Starkenmann, consultant scientifique, évoque ensuite un parfum nettement moins agréable : celui des excréments. Fruit d’une recherche impulsée par la Fondation Bill & Melinda Gates en collaboration avec Firmenich, le projet  « Reinvente the toilet challenge » a pour but d’encourager l’usage des toilettes en Afrique et en Inde. Et c’est la composante olfactive qui est notamment étudiée ! « À partir d’une analyse sensorielle dans plusieurs pays, nous avons pu reconstituer l’odeur fécale autour de quatre molécules principales : le dimethyl trisulfide, l’acide butyrique, le para crésol, et l’indole.» L’objectif de la recherche étant de trouver les molécules permettant de la neutraliser le mieux possible. Une aventure inédite qu’il relate dans son ouvrage Des accords olfactifs pour un monde meilleur.

Pour clôturer la matinée, Loïc Briand, directeur de recherche à l’INRAE[1]Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement et au CSGA[2]Centre des sciences du goût et de l’alimentation de Dijon, nous parle de l’olfaction au quotidien. L’homme peut percevoir une énorme quantité de molécules, avec différents seuils de détection. Avec nos quelque 400 récepteurs, le nombre de combinaisons possibles dépasse celui de composés chimiques odorants existants : « c’est ce qui nous permet de détecter des éléments qui n’existent pas dans la nature, comme ceux issus de la réaction de Maillard[3]formation de nouvelles molécules à partir d’acides aminés et de sucres simples, lors de la cuisson des aliments, à l’origine d’un déploiement des arômes » explique-il. Et notre perception est assez fine : « Nous sommes capables de distinguer deux aldéhydes très proches chimiquement, comme l’hexanal d’une part (à l’odeur d’herbe coupée) et et l’heptanal d’autre part (qui évoque le savon). »

Après la pause repas, la reprise du congrès se fait en musique : un concert olfactif est organisé par L’Orchestre parfum, nous amenant de Séville à Barcelone, en passant par le Sénégal, Harlem et la Nouvelle Orléans. 

Marie-Claude Mazoyer, évaluatrice et coordinatrice de projets parfums chez Yves Rocher, débute l’après-midi avec la présentation de la récente gamme « Élixir botanique » lancée par la marque, et inspirée du territoire breton où elle est née, entre terre et mer. Elle a été pensée « autour de 4 piliers : des formules hautement naturelles, une immersion sensorielle, des actifs puissants, et une gamme pour tous » avec des « bénéfices émotionnels » revendiqués. 

Mais qu’appelle-t-on une « odeur naturelle » ? C’est la question que s’est posée Morgane Dantec, doctorante en sciences cognitives à l’Institut Paul Bocuse, à l’heure où la demande pour ce genre de produits devient centrale. Elle a cherché à comprendre quels étaient les facteurs cognitifs qui modifient notre perception de la naturalité : « L’authenticité, l’échelle de production, la familiarité au produit, mais également les labels associés, la matière et la couleur de l’emballage et l’image de marque sont autant de variables, qui d’un individu à l’autre diffèrent considérablement. » Certaines odeurs sont plus facilement associées à ce concept, comme le fruit frais, à l’inverse  des parfums forts. 

Si les chercheurs tentent ainsi de comprendre ces concepts en vogue, les acteurs de l’industrie prennent d’ores et déjà acte de la demande des consommateurs en ce sens. Valérie de la Peschardière, business development director chez Givaudan, s’est demandée ce qu’était un parfum responsable – comme nous l’avons fait dans notre dossier sur la parfumerie durable. Si celui-ci peut être 100% naturel, il peut aussi désormais être composé de synthétiques issus de biotechnologies. « Réduction des bois de chauffe, des temps de distillation sur place, et upcycling des biomasses » sont autant de solutions pour réduire l’impact écologique global des sociétés de création.

Autre sujet d’actualité, l’emploi de l’intelligence artificielle a fait l’objet d’une discussion entre l’explorateur de données chez Predicity Marc Atallah, et les parfumeuses Juliette Karagueuzoglou (IFF), Marie Hugentobler (Firmenich) et Véronique Dupont (Azur Fragrances). Frédéric Precioso, responsable intelligence artificielle à l’université Côte d’Azur, rappelle en préambule dans un enregistrement vidéo que « ces nouvelles technologies, dont on parle beaucoup parce qu’elles permettent de faire des calculs mathématiques très sophistiqués, restent très spécialisées sur une tâche.»  Le métier de parfumeur en est-il vraiment transformé ? Quels sont les avantages et les inconvénients de l’informatisation ? L’intelligence artificielle tend-elle vers une uniformisation des parfums ? Les participants expliquent comment ils utilisent ces outils, en quoi ils consistent et ce qu’ils leur apportent. 

Enfin, Marie-France Zumofen, directrice de l’Isipca, partenaire de l’événement, clôture la journée en évoquant le programme Neurona mené par l’école pour « améliorer l’assimilation du savoir, en étudiant l’effet de l’apprentissage sur la perception sensorielle et la mémoire. »

Le congrès est accessible en replay sur demande à différents tarifs, sur le site Olfaction & Perspectives, jusqu’à fin avril 2022.

Notes

Notes
1 Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement
2 Centre des sciences du goût et de l’alimentation
3 formation de nouvelles molécules à partir d’acides aminés et de sucres simples, lors de la cuisson des aliments, à l’origine d’un déploiement des arômes

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