Fraîchement arrivée sur le Shop by Nez, une bande dessinée retrace la vie de Germaine Cellier, l’une des premières grandes parfumeuses, créatrice de Fracas de Piguet qui embaume l’ouvrage. Retour sur les coulisses de sa genèse en compagnie de ses autrices, la scénariste Béatrice Égémar et l’illustratrice Sandrine Revel.
Comment a émergée l’idée de cette bande dessinée ?
Béatrice Égémar : J’ai toujours eu une sensibilité particulière pour les senteurs et leur univers. J’avais suivi une formation en design olfactif à Cinquième sens pour alimenter des romans que j’ai écrits sur des parfumeuses imaginaires.[1]Béatrice Égémar, Un Parfum d’histoire, trois tomes, éditions L’Archipel ; Le Printemps des enfants perdus, éditions Points ; Le Fard et le poison, éditions Presses de la Cité. On nous avait alors parlé de Germaine Cellier. En voyant la photo de cette femme – on aurait pu penser que c’était une actrice hollywoodienne – j’avais vu son potentiel romanesque, mais face au peu de données, j’avais mis de côté l’idée de faire sa biographie. Jusqu’à ce que mon éditrice Paola Grieco, qui savait que ce thème m’intéressait, me contacte des années plus tard pour me proposer de travailler sur une bande dessinée qui mettrait en avant une parfumeuse… Avant qu’elle ne prononce son nom, je savais qu’il s’agissait de Germaine Cellier. Lorsqu’on a contacté Karine Leclerc, éditrice chez Nathan et également amatrice de parfums, c’est devenu une évidence.
Sandrine Revel : J’avais déjà collaboré avec Karine Leclerc sur un album jeunesse : elle m’a parlé de ce projet. Je ne connaissais pas grand-chose à ce domaine, mais j’avais par contre travaillé sur des biopics de Glenn Gould et du peintre canadien Tom Thomson.[2]Sandrine Revel, Glenn Gould, une vie à contretemps, et Tom Thomson, esquisses du printemps, éditions Dargaud La démarche était similaire : j’ai pu prendre le temps de découvrir Germaine Cellier, pour rendre compte de sa vie et de son époque. Et, pour la petite histoire, je me suis rendue compte qu’elle était née à deux kilomètres de chez moi.
Avez-vous eu du mal à regrouper les éléments biographiques ?
Béatrice Égémar : J’étais en contact avec Martine Azoulai, la nièce de la parfumeuse, qui m’a transmis quelques informations, et quelques photos. J’avais lu son article sur Vanity Fair. J’ai trouvé quelques éléments dans les registres de recensement, comme le fait que son père ait été blessé de guerre, chose que sa famille ignorait. J’ai fouillé dans la bibliothèque de l’Osmothèque, mais il y avait peu de choses sur les créateurs eux-mêmes. Et puis, par chance, Olivier R.P. David [rédacteur pour Nez] a donné une conférence digitale sur Germaine Cellier à ce moment-là. Je l’ai contacté, il m’a transmis toute la documentation qu’il détenait, et m’a proposé de relire le scénario. Il y avait également un travail de contextualisation : retrouver les chiffres sur l’occupation, lire une biographie de Robert Piguet, du peintre Jean Oberlé…
Sandrine Revel : Béatrice me transmettait la documentation. Parallèlement aux données biographiques, j’ai fait des recherches graphiques pour coller à l’univers de Germaine Cellier : j’ai regardé des films des années 1920 – 1930, recherché des affiches d’époque, cela m’a permis de mieux saisir les postures des femmes d’alors.
Comment se sont organisés les échanges entre vous ?
Béatrice Égémar : C’était ma première expérience de scénariste de bande dessinée. J’étais un peu terrifiée par le nombre de planches, j’avais peur que l’on n’ait pas assez de matière… Je suis allée rencontrer Sandrine pour savoir comment elle voulait procéder, nos échanges ont été fluides.
Sandrine Revel : Selon que je travaille seule ou avec un scénariste, je procède de manière assez différente : dans ce dernier cas, j’ai notamment besoin d’avoir une ligne directrice très précise, avec un découpage case par case, comprenant les dialogues et une description sommaire. Lorsque je remarquais un problème d’enchaînement, une ellipse trop importante qui aurait pu casser le rythme, je revenais vers Béatrice. Mais j’aime bien avancer sur une dizaine de planches, laisser place à la créativité, avant d’envoyer ma production : c’est une question de confiance, qui s’est construite petit à petit. Pendant un an de création, nous nous sommes mises au diapason.
La part d’inconnu dans la vie de Germaine Cellier reste importante. Cela vous a-t-il posé problème ?
Béatrice Égémar : Il y a en effet beaucoup de choses que nous ignorons sur sa vie : pourquoi avait-elle fait des études de chimie ? Voulait-elle déjà être parfumeuse ? Sa nièce m’avait parlé des œillets des sables qu’elle aurait sentis petite fille à Marseille, mais pourquoi aurait-elle été là-bas ? Le médium de la bande dessinée m’a permis d’intégrer ces mystères. J’ai adoré imaginer des dialogues en me fondant sur les caractères des personnages.
Sandrine Revel : Lorsque j’ai travaillé sur Glenn Gould et Tom Thomson, c’était similaire : j’aime le flou, cela fait partie de l’histoire de la personne, et laisse au lecteur une part d’imaginaire. Pour citer Agnès Varda : « Je ne veux pas montrer, mais donner l’envie de voir » : chacun peut alors se l’approprier à sa manière, cela permet d’attiser la curiosité de chacun, on peut chercher des réponses dans ses parfums, par exemple !
L’ouvrage est d’ailleurs parfumé, grâce à une carte imprégnée de Fracas, qu’elle a composé en 1948 pour Robert Piguet…
Béatrice Égémar : Cela faisait des années que je souhaitais ajouter cette dimension olfactive à un livre. J’avais imaginé des concrètes pour ma série de romans, mais c’était trop complexe à mettre en place techniquement. Karine Leclerc a vraiment soutenu l’idée, et grâce aux équipes de Piguet et de Givaudan et en partenariat avec Nez, elle a pu voir le jour : j’en suis ravie. J’ai aussi imaginé une petite recette d’ « eau pétillante », que l’on peut réaliser chez soi avez des ingrédients du commerce, sur la base du galbanum : c’était un vrai challenge, qui ajoute encore une autre dimension à l’ouvrage !
Sandrine Revel : On va de plus en plus vers de la bande dessinée augmentée : accompagnée de musique, d’un code à scanner… C’est intéressant pour donner de la profondeur, et dans ce cas je trouve l’idée vraiment pertinente.
Qu’avez-vous particulièrement apprécié dans ce travail autour de Germaine Cellier ?
Sandrine Revel : J’étais ravie de pouvoir mettre en lumière cette femme qui, comme beaucoup d’autres – mais peut-être plus encore dans le domaine de la parfumerie, où l’on met peu en avant les créateurs –, était restée dans l’ombre. J’avais envie de rendre visible l’invisible, comme elle l’a fait à travers le parfum : même si je ne connais pas grand-chose à cet univers, le côté artiste de ce personnage me fascine, par sa persévérance mais aussi son caractère, ses contradictions.
Béatrice Égémar : Germaine Cellier, pour moi, c’est d’abord un choc visuel. Mais c’est aussi ses contrastes qui m’ont fascinée : apprendre qu’elle fumait, buvait ; sa manière de travailler les matières en overdose ; son assurance, qui passait par son caractère bien trempé certainement nécessaire pour percer dans le milieu à l’époque, mais aussi sa tendresse vis-à-vis de sa famille… C’est passionnant !
Visuel principal : Béatrice Égémar, à gauche, et Sandrine Revel, à droite.
Notes
Ce livre, sous forme de BD, doit être passionnant d’autant qu’à cette époque là une femme « nez » était rare ! Il y a quelques années j’ai eu l’occasion de porter « Vent vert » de Pierre Balmain, magnifique chypré vert, dont elle était la créatrice. Elle a été à l’origine de plusieurs autres fragrances de ce grand couturier dans les années 50. C’est en partie pour cette raison que je me suis intéressée à elle. Il est toujours agréable de connaître des femmes qui ont « compté » dans tous les domaines, notamment celui de la parfumerie, assez misogyne dans le milieu du XX ème siècle. Aujourd’hui, heureusement, beaucoup de femmes s’imposent dans la création olfactive.
Je compte me faire offrir cette BD qui m’intrigue et m’attire !! Est-elle vendue en librairie ?
Merci pour ce site si intéressant.
Une idée originale ! Sauf que dans l’exemplaire que j’ai acheté la carte ne sentait absoluement rien !