Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a les parfums qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Semaine après semaine, ils sont désormais plusieurs à nous avoir conté leur rapport à une création, et l’influence parfois inconsciente de celle-ci sur leur manière de composer.
Aujourd’hui, Michel Almairac évoque Habanita de Molinard, une « pièce de musée » composée en 1921 par Henri Bénard, qu’il a découvert enfant.
Pour moi, Habanita de Molinard fait partie de ces compositions illustres de l’histoire de la parfumerie, au même titre que Shalimar ou L’Heure bleue de Guerlain.
Notre rencontre a eu lieu en 1963 ou 1964. Je devais avoir une dizaine d’années à cette époque, et à part quelques notes d’eau de Cologne ou d’eau de toilette à base de lavande, le parfum m’était totalement étranger. Jusqu’au jour où mon père, qui faisait partie de l’organisation du rallye automobile Pays de Grasse Fleurs et Parfums, a rapporté à la maison des cadeaux reçus de la part de sponsors. Parmi ceux-ci se trouvaient plusieurs flacons et savons siglés Habanita de Molinard. « Surtout, tu n’y touches pas ! », crut-il bon de me préciser. À votre avis, que fis-je ? Une fois mon père éloigné, non seulement j’ouvris l’un des vaporisateurs, mais je m’en aspergeai généreusement. Pour l’enfant que j’étais, dépourvu de tout vocabulaire spécifique, cela sentait tout simplement le miel. Je n’ai su que plus tard que la fragrance s’appuyait sur un accord associant au miel – que j’avais bien perçu – le vétiver et la vanille. Cet accord précurseur confère à Habanita un caractère très marqué. Son empreinte olfactive ambrée, vanillée, miellée fixe cette composition dans le temps et lui donne un impact inoubliable. En cela, je le considère comme un chef d’œuvre.
Je ne saurais dire si Habanita a décidé de ma vocation, mais il est vrai qu’il m’a souvent inspiré. J’ai beaucoup travaillé et décliné cet accord. Je peux citer une variation pour femme avec Joop ! Nuit d’été, ou ce que je considère comme en étant des interprétations masculines : Relax de Davidoff et Minotaure de Paloma Picasso. J’aime particulièrement ce dernier.
Après le décès de mes parents, j’ai retrouvé dans leur maison l’un des fameux flacons d’Habanita reçus au début des années 1960. Il est remarquablement scellé par un opercule métallique, comme sur certains médicaments. Je n’ai jamais eu le courage de l’ouvrir. Non pas à cause de l’émotion qui pourrait surgir : c’est plutôt l’envie de garder intacte ce que je considère comme une pièce de musée.
Michel Almairac, le 5 septembre 2023.
Visuel principal : © William Parra
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