Dora Baghriche : « J’ai depuis Hiris cette passion pour ces matières terriennes, protectrices »

Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a ceux qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Semaine après semaine, ils sont désormais plusieurs à nous avoir conté leur rapport à une création, et l’influence parfois inconsciente de celle-ci sur leur manière de composer. Aujourd’hui, Dora Baghriche, créatrice de parfums chez DSM-Firmenich, nous parle d’un iris avec un grand H, celui d’Hermès.

C’est par le H d’Hiris que j’ai découvert le H d’Hermès. J’ai moins de vingt ans, je n’aime que les eaux fraîches, les citrons, les nérolis, rien d’autre ; influence de ma grand-mère collectionneuse d’eaux de cologne. Et vient le jour où je tiens pour la première fois ce flacon tout bleu, d’un bleu profond comme ma Méditerranée, bleu comme les faïences de notre maison andalo-mauresque d’Alger que j’ai quittée pour vivre à Paris. Hiris, un iris avec un H, ce H placé bizarrement qui m’a immédiatement ramenée au H silencieux de mon propre nom, ce H qui hache mon nom, qui le rend si difficile à prononcer, BagHriche, un H qui a été successivement ôté puis remis puis ôté puis finalement remis par mes aïeux. Entre Hiris et moi c’est, dès les premières secondes de notre rencontre, une histoire de lettre, une histoire de « l’être ». Et puis je le sens, et nos liens sont définitivement scellés, si je puis dire. 

Un parfum frais, presque froid, austère et tendre à la fois, qui me murmure « tiens-toi droite, debout, et continue de rêver ».  Je suis une jeune étudiante qui se met un peu trop de pression, des parents brillants, perfectionnistes, amoureux de l’excellence, Hiris est un allié et fait le pont entre la tendresse et la discipline, le lâcher-prise et le combat. Ce n’est vraiment pas un parfum de jeune fille, en tous cas pas celui que mes copines portent, trop raide, pas un brin de sucre, sérieux, hirsute. 

Mais pour moi il est simple, parfait, et si puissant dans son message. Écorces, rhizomes, graines, j’y puise une force incroyable et j’ai depuis Hiris cette passion pour ces matières terriennes, protectrices, à très haute énergie, porteuses de vie et de renouveau, les racines et les semences, iris, carotte, angélique, ambrette, comme la conviction que le plus beau est toujours enfoui. C’est de là que viennent mes créations comme You de Glossier et son ambrette en majesté, Iris Meadow d’Aerin, si singulier avec son départ très vert, ou encore Iris Malika de Chopard, chaud, suave, oriental. Hiris est toujours un livre d’inspiration, comme les livres sacrés ou les contes pour enfants : on y revient souvent pour vérifier qu’on en a saisi tous les messages, toutes les émotions.
Je l’ai senti de nouveau il y a une semaine : le flacon a perdu son opacité ; le jus est aussi légèrement plus « clair » ; mais c’est ce départ vert froissé qui m’a émue comme au premier jour. Coriandre, galbanum, amertume vibrante et addictive qui caractérise la maison Hermès. Je pense avec grande nostalgie au flacon bleu profond de mon adolescence, mais je sais qu’Hiris va poursuivre son chemin et faire son comeback. Les chefs-d’œuvre ne meurent jamais, comme on dit. Hamen !

Dora Baghriche, le 5 juillet 2023

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DOSSIER « CONFIDENCES PARFUMEES »

Visuel principal : © DSM-Firmenich

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