Produits ménagers premium : c’est du propre !

Alors que l’on reconnaît peu à peu l’importance des odeurs des produits ménagers dans notre mémoire olfactive collective, quelques marques proposent des créations au positionnement plus premium. Comment sont imaginées et développées leur fragrance ? Quelles sont les contraintes spécifiques pour parfumer les produits ménagers ? Pour mieux le comprendre, nous avons interrogé Valérie de Beauregard, évaluatrice, et Julia Nitard, responsable marketing, toutes deux spécialisées en homecare chez Takasago. Quant à l’apparition récente de produits ménagers haut-de-gamme, nous avons réalisé pour vous un banc d’essai sur quelques références, afin d’en évaluer la valeur ajoutée. Enfilez vos gants et respirez un bon coup : c’est parti pour un grand nettoyage de printemps.

On pourrait penser que la création olfactive est anecdotique dans les produits fonctionnels. Mais, comme le rappelaient Olivier R.P. David et Catherine Ganahl lors de la dernière journée d’étude de l’Osmothèque – le conservatoire international des parfums situé à Versailles – qui a eu lieu le 12 avril au musée du Quai Branly, l’odeur constitue notre premier critère de perception du propre.[1] La journée a fait l’objet d’une captation, diffusée sur la chaîne Youtube de l’Osmothèque. Et celle des produits ménagers façonne bien plus que nos flacons de parfum notre environnement olfactif quotidien : « On possède en moyenne chez soi environ dix produits ménagers, et ils sont tous parfumés ! Or les études montrent qu’on développe un lien très puissant envers certaines odeurs, notamment pour des marques iconiques, dont les parfums ont marqué des générations entières, et auxquelles on peut être attachés comme une madeleine de Proust », note Julia Nitard, Senior Marketing Manager Home Care chez Takasago. Parfums d’ambiance, désodorisants d’intérieur, lessives, assouplissants, détachants, eaux de repassage, dégraissants, liquides vaisselle, nettoyants pour le lave-vaisselle,  le sol, les toilettes, ou encore produits d’entretien du cuir et autres matériaux spécifiques, jusqu’aux insecticides : la liste donnerait presque le vertige.

Une formulation exigeante
Si elles sont aussi diverses que les produits, les habitudes olfactives en la matière ont gagné en sophistication ces dernières années : « Il y a vingt ans, c’était très simple : un produit pour nettoyer devait sentir le “propre”. Aujourd’hui, et plus encore après la période de pandémie où l’on s’est rendu compte à la fois de l’importance de l’odorat mais aussi de notre besoin de créer un “cocon”, l’attention portée aux fragrances devient déterminante dans l’achat des produits ménagers. » Celles-ci dépendent des régions du monde : « Aux États-Unis, par exemple, l’odeur de propre est beaucoup plus souple qu’en Europe et peut prendre la forme d’un parfum de noix de coco râpée, vanillée, crémeuse. En Asie, le marché est très segmenté : il faut par exemple développer des parfums différents pour le lavage des affaires de sport, des draps, des vêtements… Et en Amérique latine, le nettoyage du sol est quotidien et n’a pas le même sens que chez nous : les nettoyants de surface sont colorés, presque fluo, et présentent des notes complexes, souvent inspirés des créations de parfumerie fine », poursuit Julia Nitard.

C’est ce qu’on appelle le « trickle down » : les grands succès sont repris dans les produits ménagers ou d’hygiène. Il ne faudrait pas croire, cependant, que les formules de parfums de nos lessives sont les mêmes – ou une version simplement moins chère – que celles de nos pschitts de Chanel N°5, comme l’explique Valérie de Beauregard, évaluatrice homecare chez Takasago : « Contrairement à ce qu’on imagine généralement, la formulation des parfums pour produits ménagers, ou homecare, est particulièrement complexe et demande une grande maîtrise technique. Prenons le cas de la lessive : son développement est particulièrement exigeant. L’odeur doit plaire quand on ouvre le produit, mais aussi quand on sort son linge de la machine, et trois jours, voire plusieurs semaines après… On organise donc trois étapes de contrôle. Tout en sachant que la lessive brute a déjà une odeur, que l’on doit couvrir – contrairement à l’alcool neutre utilisé en parfumerie fine – et qui va réapparaître avec le temps, puisque le parfum s’évapore naturellement. De plus, le parfum peut interagir avec les actifs de la lessive : tensio-actifs, colorants, ajusteurs de pH, régulateurs de viscosité… » À ces contraintes physico-chimiques, il faudra ajouter les exigences de chacun des clients en matière de formulation : depuis notamment l’ère Yuka, les consommateurs ont besoin d’être rassurés, et de plus en plus de marques ne veulent ainsi plus que des allergènes puissent apparaître sur leurs étiquettes.

Enfin, après avoir coché toutes les cases de ces contraintes, il faut savoir se montrer imaginatif, créatif, pour un développement qui prendra « des semaines à des mois »,  avec des budgets « pouvant aller du simple au quadruple ». L’évaluatrice poursuit : « Les briefs de ces produits pour le linge sont très divers, mais on a souvent peu de lignes directrices. Parfois, il s’agit de thématiques : bleu, réconfortant… J’essaie de partir dans plusieurs directions pour proposer un éventail de choix. Historiquement, les plus classiques étaient les notes citrus (comme la citronnelle) et les aromatiques – le terme « lavande » vient d’ailleurs du latin lavare, qui signifie laver. Mais le marché des produits ménagers s’est vraiment diversifié. Pour les lessives, à côté des traditionnels floraux blancs aldéhydés, on voit apparaître de plus en plus des notes fruitées, exotiques, fruits rouges. Pour les adoucissants, c’est le bleu qui domine, olfactivement traduit par un accord chypré mêlant ses notes musquées “cocon” avec du patchouli qui donne beaucoup de fraîcheur et de rémanence. » Et qui rappelle la tradition de feuilles de patchouli utilisées comme anti-mites pour les vêtements lors de longs voyages en bateau. Les parfumeurs spécialisés doivent ainsi faire preuve de beaucoup de créativité dans la contrainte, mais restent pourtant toujours dans l’anonymat, contrairement à leurs collègues de parfumerie fine. Leur rôle, pourtant central dans notre univers olfactif quotidien, est ainsi peu reconnu.

Le renouveau du propre
Si le territoire principal de ces produits est toujours la grande distribution, qui vend par millions ses bidons de Soupline ou de Mr Propre, on observe aujourd’hui certaines marques qui proposent des références au positionnement plus sophistiqué, plus premium, notamment vendues en ligne, à destination d’un public qui souhaite s’éloigner de l’offre mass market. Quelques maisons de parfumerie de niche ont ainsi lancé un produit ménager sur le marché, quand d’autres développent toute une gamme. « On veut à la fois habiller sa maison et arrêter de s’infliger les odeurs de Javel quand on nettoie ses WC. En parallèle, les influenceurs promeuvent certains produits sur les réseaux sociaux – comme Kris Jenner [mère de la famille Kardashian] avec Safely –, lancent parfois leur propre gamme – Homecourt de Courteney Cox – et créent le buzz. Les grandes marques comprennent donc de plus en plus l’intérêt pour ces produits et développent des fragrances plus travaillées. Les parfums sont ainsi plus sophistiqués, avec parfois de belles matières premières mises en avant, s’inspirant dans ce dernier cas des petites marques pionnières », conclut Julia Nitard.

D’un autre côté, la vague des produits fait maisons et la prise de conscience écologique a entraîné un courant de lancements plus écoresponsables : « Chaque client a cependant sa définition de la question, et les labels (ecocert, ecolabel) ont des exigences très différentes, avec souvent une valorisation du naturel – qui n’est pas toujours, rappelons-le, le plus écoresponsable en parfumerie. Mais cela se traduit dans tous les cas olfactivement par un sillage plus discret : si c’est trop puissant, cela ne semble pas écologique, même si la corrélation n’a rien d’une évidence », remarque Julia Nitard.

Références fraîchement testées
En marge des grandes enseignes et de leurs codes olfactifs bien établis, est-ce que ces produits de niche au parfum plus raffiné – et au prix qui monte en conséquence… entre trois à cinq fois plus élevé – apportent réellement une valeur ajoutée à l’utilisation ? Pour le savoir, nous avons réalisé pour vous un banc d’essai sur quelques références. 

Démarrons par le linge, où les propositions sont peut-être les plus courantes, une des pionnières étant la marque Antoine, lancée en 2010, et qui se décline aujourd’hui en quatre références (Classic, Intense, Pour elle et Jasmin), que nous n’avons pas testées. 

Nous avions en revanche essayé quelques lessives pour la sélection du cahier critique de Nez #04, et avions particulièrement apprécié alors – et c’est toujours le cas – la référence Super frais chez Kerzon, dont on notait alors que l’odeur « s’inspire du subtil accord floral, vert, poudré et musqué du lait pour bébé Mustela, ce qui a le pouvoir de nous bercer instantanément ». La gamme, qui s’est enrichie depuis, méritait qu’on y replonge le nez – et quelques vêtements sales. Reprenant les codes historiques du segment, Méga propre et son accord aldéhydé aromatique boisé présente une note verte assez stridente, et des bois secs qui s’accrochent bien aux fibres. Dans un registre toujours boisé mais plus cotonneux, Giga doux évoquerait presque un accord fougère, les muscs en plus. Gym tonique nettoie quant à lui à grands coups d’agrumes, avec une note ozonique saline. On lui préfère le joli Petit grain, avec sa fleur d’oranger régressive que l’on piquera au doudou des enfants, Maille câline, qui parfume les lainages d’une violette moelleuse et légèrement anisée, ou encore Place des Vosges, pour sa rose un peu verte, légèrement aquatique, élégante, dans un esprit très parisien.
19,50 euros/1l

Les trois références (disponibles sur la boutique en ligne de Nez) de la marque Pikoc, fondée par deux diplômées de l’ESP, promettent quant à elles des parfums raffinés. Éclat d’iris se distingue par un accord floral sophistiqué de belle facture. Une dimension irisée et verte apparaît sur linge mouillé pour évoluer, une fois celui-ci sec, vers une jolie violette boisée, musquée et poudrée aux inflexions de rose cosmétique et talquée. Adaptée à toutes les fibres, la formule est efficace même à froid et laisse le linge doux, enveloppé d’un nuage d’élégance discrète. Juste ce qu’il faut. La maison a depuis lancé également trois liquides vaisselles et trois vinaigres ménagers.
19,90 euros/1l, eco recharge 77,50/5l, coffret découverte 30 euros

Commercialisée fin 2022, la lessive Not A Detergent de Juliette Has a Gun reprend l’accord du parfum Not A Perfume que la marque avait lancé en 2010 : une explosion de bois ambrés – cohabitant avec un accord fruité poire – qui envahit la maison lors du séchage, et persiste sur le linge pendant des semaines. Il vaut mieux le savoir !
30 euros/500ml

Aqua Universalis de Maison Francis Kurkdjian se décline elle aussi sous la forme d’une lessive et d’un assouplissant parfumants, mis sur le marché en 2010. Nous l’avons particulièrement appréciée, avec sa note florale à la fois musquée, poudrée et crémeuse à l’effet presque lacté, et sa belle rémanence subtile mais signée.
39 euros/1l

Enfin, la marque de niche BDK propose sur son site deux « eaux de lessive » au « parfum travaillé comme un parfum de peau ». L’Édition rose, signée Anne-Sophie Behaghel, présente un accord floral frais, vert, musqué, sophistiqué et subtil, pour un résultat sur le linge tout doux, discret et assez neutre. (En rupture de stock pour l’instant, elle sera de retour dans une nouvelle texture dès le 1er mai !)
35 euros/1l

Côté vaisselle, nous ne vous parlerons pas des deux références chez Kerzon (Graine de carotte-gingembre et Fleurs de romain) ni des cinq senteurs chez Astier de Villatte, que nous n’avons pas testées. Nous avons pu en revanche nettoyer nos assiettes avec le liquide vaisselle à la fleur d’oranger certifié par Ecocert et créé par Diptyque pour sa collection consacrée à l’entretien de la maison, « La Droguerie ». Dans son très joli flacon en verre fumé, il diffuse ses notes vertes et hespéridées de néroli et petit-grain, légèrement florales. Le sillage n’est pas fulgurant, mais ça parfume très agréablement l’air et les mains.
38 euros/500ml

Last but not least, les produits pour les toilettes nous ont prouvé qu’ils pouvaient aussi être élégants, et plus subtils que les légendaires Air Wick, Breeze et compagnie. Si les Gouttes anti-odeur de merde d’Aesop s’avèrent plutôt efficaces et agréables en situation, elles se révèlent aussi assez basiques dans leur formulation : un mélange d’huiles essentielles d’ylang-ylang et de mandarine – que l’on peut donc aisément refaire soi-même, pratique.
25 euros/100 ml

Mais on a été particulièrement séduits par le spray L’Eau des toilettes de Domaine singulier, qui en plus de présenter un très joli graphisme, aux antipodes des codes du genre, dévoile un parfum amandé et rosé, cosmétique, crémeux, très doux – comme des fesses de bébé – mais super efficace contre toutes les odeurs indésirables ! La référence Elixir bien élevé diffuse quant à elle dans son flacon compte-goutte un parfum de lavande et de patchouli qui envoie un boost de propreté épurée en toutes circonstances.
De 38 à 42 euros/100 ml

Et chez vous, ça sent quoi, le propre ?

Visuel principal : John Singer Sargent, La Biancheria, 1910. Source : Wikimedia Commons

Notes

Notes
1  La journée a fait l’objet d’une captation, diffusée sur la chaîne Youtube de l’Osmothèque.

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