Ayn Dawkah : la première pierre pour un encens omanais

Cette publication est également disponible en : English

Sur les terres du Wadi Dawkah, classées à l’UNESCO et berceau de l’encens omanais, Amouage vient de poser la première pierre d’un projet ambitieux : un centre culturel consacré à l’or blanc du désert. Entre préservation d’un patrimoine millénaire, structuration d’une filière durable et volonté de faire rayonner un encens d’origine certifiée, cette initiative marque une étape décisive pour la maison comme pour l’avenir de cet ingrédient emblématique de la palette des parfumeurs du monde entier. Nez était présent, en compagnie des acteurs locaux, des équipes d’Amouage et d’une vingtaine de parfumeurs invités à découvrir le site.

L’arrivée sur le site du Wadi Dawkah est saisissante et frappe d’emblée tous les sens. Sur ce plateau aride situé dans la région du Dhofar, au sud d’Oman et berceau de plus de 5 000 arbres à encens, le crépuscule tombe. Les lumières douces du soir enveloppent les invités qui, l’un après l’autre, prennent possession du lieu. De part et d’autre, des chanteurs et danseurs omanais se tiennent prêts ; leurs voix, leurs pas et leurs percussions sculptent un couloir de sons et de mouvements presque palpable guidant les arrivants vers le cœur de la réception. Des brûleurs d’encens, portés avec grâce par certaines femmes, libèrent des volutes qui flottent au-dessus de l’assemblée et l’immergent instantanément dans une atmosphère hors du temps. Le ton est donné : l’énergie est douce, vibrante, presque magnétique.

Le lieu choisi n’a rien d’anodin, c’est ici que se situera le centre culturel omanais dédié à l’encens. Et l’ambition est grande. Comme l’affirme Marco Parsiegla, CEO d’Amouage, dont la voix résonne quelques instants plus tard avec une solennité palpable “Notre vision ? Devenir le centre de gravité de l’encens à travers le monde, à travers la rencontre de la science, de la créativité et de la culture ». Le dirigeant, qui s’exprime devant une centaine d’invités prestigieux, dont son Altesse Sayyid Marwan bin Turki Al Said, le gouverneur de la région du Dhofar et Sayyid Khalid bin Hamad Al Busaidi, le président d’Amouage, s’apprête à poser la première pierre d’un bâtiment destiné à promouvoir et orchestrer la filière d’un encens d’origine omanaise. 

Initiée en 2022 par un accord noué entre Amouage et le ministère de l’Héritage et du Tourisme d’Oman, la mise en place de cette filière prévoit, outre la culture des arbres, une récolte de résines à l’origine certifiée, assurant traçabilité et durabilité. Et c’est aussi ici, au cœur du Wadi Dawkah qu’une distillerie sera installée en partenariat avec DSM-Firmenich pour transformer les larmes d’encens en huile essentielle et pouvoir ainsi être utilisée par les parfumeurs du monde entier.

Surplombant cette terre millénaire, telles que le montrent les images de modélisation en 3D, le site qui initiera les visiteurs à toutes les facettes de l’encens prendra l’allure d’un bâtiment de couleur sable, circulaire, qui évoque la forme d’un œil (Ayn, en arabe). D’où son nom, Ayn Dawkah, l’œil du Dawkah. Cette infrastructure moderne dont le design a été confié au Giò Forma Studio de Milan doit être livrée au printemps 2027. 

Pour en arriver là, l’effort a été collectif. Et Renaud Salmon, directeur de la création chez Amouage confiait ce soir-là, visiblement très ému : « j’ai l’impression que nous franchissons une étape importante pour Amouage et pour la parfumerie. Ces dernières années me reviennent en mémoire : l’énergie que nous avons consacrée à ce projet, les liens que nous avons tissés, les personnes que nous avons rassemblées. Être ici ce soir, pour la parfumerie, porté par l’amour de ce que nous faisons, c’est contempler un rêve devenu réalité. » Quelques minutes plus tôt, il avait gravi un rocher, tel un loup solitaire, pour prendre de la hauteur sur cette cérémonie et admirer le plateau installé pour les invités, lequel adoptait la forme du logo du site Wadi Dawkah, un arbre à encens stylisé.

Cette célébration était aussi l’opportunité pour Amouage de concevoir l’un de leurs désormais iconiques “Amouage Voyages”. Un séjour d’inspiration spécialement conçu pour initier les parfumeurs à la culture omanaise, à l’univers de la marque, à leurs ingrédients signatures et les accompagner dans leur processus créatif. Une sorte de brief à ciel ouvert offert par Renaud Salmon. Cette année, une vingtaine de parfumeurs étaient réunis issus de plusieurs maisons de composition (DSM-Firmenich, Symrise, IFF, Givaudan, CPL Aromas…), de master à junior, et même quelques apprenti(e)s, en écho à l’ouverture revendiquée par Amouage auprès de multiples talents.

Pour sensibiliser les parfumeurs à l’encens, la marque avait organisé le matin-même une visite du plateau du Wadi Dawkah. La plupart d’entre eux y ont découvert les arbres pour la première fois et ont été initiés à l’art délicat de les inciser – le « tapping » – à l’aide de manghafs, petits instruments tranchants, pour en extraire la résine. 

Comme plusieurs de ses pairs, Julien Rasquinet (CPL Aromas) a été sollicité il y a deux ans pour sponsoriser l’un de ces arbres, qu’il a baptisé Sanctuary. « Je viens de le rencontrer pour la première fois. On m’a appris qu’il a été malade. Une attaque de termites, l’équivalent de la gangrène pour un humain, a nécessité la coupe de plusieurs branches. Mais il va mieux, il a été bien soigné. Je constate qu’une attention particulière est portée à la santé de chaque arbre. Avoir une histoire avec l’un d’entre eux, c’est quand même magique ! ». Domitille Michalon (IFF), est la marraine de Charme. « Il porte le numéro 73 et, moi aussi, c’est la première fois que je l’approche. Prendre conscience du temps que prend l’incision, puis le séchage de la résine et enfin la récolte de ces “larmes”, cela me reconnecte à l’essence du parfum. On oublie vite, lorsqu’on est dans son bureau, le don de la nature et l’énergie des hommes pour obtenir quelques grammes de matière première ». La parfumeuse le reconnaît : ce voyage l’a inspirée. « Pourquoi pas de l’encens au cœur d’une cologne ? »

Éléonore Oyane-Nang, apprentie auprès de Dominique Ropion (IFF), a quant à elle été frappée par les chants scandés par ceux qui incisent l’arbre – des sortes de mantras censés insuffler énergie et endurance. « C’est comme si le temps s’arrêtait », souffle-t-elle. « Je perçois ici une part de spiritualité qui me bouleverse. Je redécouvre l’encens. La résine, très collante, c’est déjà un parfum en soi, très frais, délicat. Je viens d’avoir une idée : composer un accord bissap – encens ».

Éléonore Oyane-Nang, parfumeuse chez IFF

Midi passé. Le soleil est à son zénith. Pierre Négrin (DSM-Firmenich) regarde attentivement Renaud Salmon, posté à l’ombre d’un Boswellia sacra, distribuer des touches tout juste imbibées d’huile essentielle issue de la production d’encens récoltée au Wadi Dawkah. Cette qualité d’encens, le parfumeur la connaît bien. Il a participé à son élaboration. « DSM-Firmenich a rapidement été impliqué dans le projet d’établissement de la filière. Il y a trois ans, une équipe pluridisciplinaire a été constituée autour de Matthew Wright, directeur du site du Wadi Dawkah et du sourceur Dominique Roques. Des essais pilotes ont été effectués à partir de petites quantités de résine préalablement expédiées à Grasse pour être extraites. Sur une période de deux ans, j’ai dû recevoir deux envois contenant chacun deux ou trois types d’extractions, pour pouvoir les comparer aux autres encens du marché. Avec le parfumeur Fabrice Pellegrin, nous nous sommes arrêtés sur une distillation mettant en avant la richesse en alpha-pinène, donc en terpènes, du Boswellia sacra, qui lui confère des notes de citron et de poivre. Son profil est frais, avec en arrière-plan une note un peu beurrée, chaude sans être résineuse, un peu sensuelle », résume le parfumeur, auteur d’une quinzaine de parfums pour Amouage, tous à base d’encens, un ingrédient pour lequel il a « beaucoup d’affection ».

Pierre Négrin attend d’ailleurs avec impatience l’inauguration de la future distillerie, qui permettra d’obtenir selon lui une huile essentielle « farm to bottle » depuis le site du Wadi Dawkah. Un projet sans aucun doute parmi d’autres pour Amouage, qui pourrait prochainement transposer le processus de sa filière de l’encens à d’autres ingrédients naturels en lien avec l’ADN de la marque. 

Visuels © Amouage

Auteurs/autrices

  • Guillaume Tesson

    Journaliste spécialisé en gastronomie et spiritueux, membre du collectif Nez, Guillaume est l’auteur du Petit Larousse des cigares. À l’écoute des goûts et des odeurs, il est responsable de la chaine « Podcasts by Nez ».

  • Éléonore de Bonneval

    Cette photoreporter indépendante et « photographe des odeurs » a conçu des expositions interactives comme « Odorat, sens invisible ».

Commentaires

Laisser un commentaire

Avec le soutien de nos grands partenaires