Nez, la revue… de presse – #24 – Où l’on apprend que les chiens sentent le temps passer et que les mésanges des villes ont plus de nez que celles des champs

Au menu de cette revue de presse, de la sueur, des fleurs et des antennes de criquet.

On sait que les odeurs ont le pouvoir de nous replonger dans le passé, grâce à la puissance de la mémoire olfactive, mais nos lointains ancêtres, que sentaient-ils ? Pas tout à fait comme nous, selon Slate. Des chercheurs de l’Université d’Alaska à Fairbanks et de l’Université Paris-Saclay ont tenté de recréer le nez d’hommes préhistoriques, en reconstituant des récepteurs d’odeurs à partir des génomes de Néandertaliens et d’un Denisovien. Si ce dernier avait un système olfactif plus performant que nous, avec une sensibilité particulière aux odeurs sucrées bien pratique pour la cueillette, ce n’était pas le cas de l’homme de Néandertal, qui avait développé une mutation génétique diminuant sa capacité à sentir l’androsténédione, une hormone que l’on retrouve dans la sueur masculine –une évolution sans doute préférable dans les grottes mal aérées, quoique les effluves de transpiration ont peut-être des vertus insoupçonnées.

Renifler d’autres personnes pourrait en effet être utile dans le traitement de l’anxiété sociale, d’après la BBC. Des chercheurs suédois suggèrent ainsi que l’odeur corporelle dégagée par une personne pourrait communiquer son état émotionnel – heureux ou anxieux, par exemple – et même susciter des réactions similaires chez ceux qui la sentent. Selon les résultats de leur étude, des patients ayant été exposés à des effluves corporels humains durant une thérapie de pleine conscience ont vu leur anxiété diminuer d’environ 39 %, après une séance de traitement. Des résultats encourageants, mais qui restent à confirmer. 

Mais revenons aux liens entre odeurs et passé : archéologues comme historiens s’intéressent de plus en plus à l’olfaction dans le cadre de leurs recherches, et une étudiante de l’Université Sorbonne Nouvelle a consacré un mémoire à l’Allemagne de l’Est vue par ce prisme. Dans l’article qui en découle, on apprend que la Stasi avait créé une base de données rassemblant les odeurs corporelles d’opposants au régime et permettant d’entraîner des chiens à identifier des suspects. Mais aussi, dans un registre bien moins sinistre, que la RDA sentait la Trabant, la voiture-phare du pays dont le moteur deux-temps expliquait les effluves puissants ; le Wofasept, un désinfectant utilisé dans les lieux publics ; les cigarettes sans filtre bon marché ; le café Mocca Fix Gold ou encore la crème hydratante Florena.

Voyage dans le temps toujours avec France Bleu qui nous rappelle qu’avant Grasse, Montpellier était la capitale française du parfum. Entourée de garrigues, proche des ports languedociens qui commerçaient avec l’Orient, lieu de passage entre Italie et Espagne, la cité offrait au Moyen-Âge toutes sortes de matières premières odorantes. La création d’une école de médecine au XIIIe siècle permit de développer les savoirs pour en faire des remèdes, onguents et autres compositions parfumées… avant que Grasse ne s’impose grâce à ses champs de fleurs à la fin du XVIIIe siècle. 

Dans la ville des Alpes-Maritimes, c’est une inquiétude bien actuelle qui plane chez les producteurs de plantes à parfum : celle du changement climatique et de la sécheresse qui fait souffrir les cultures, nous dit France 3 Provence-Alpes Côte d’Azur. Cet hiver, il n’est pas tombé une goutte d’eau pendant près de deux mois, ce qui a obligé à arroser les roseraies notamment beaucoup plus tôt que d’habitude. L’année dernière, la production de roses était déjà en baisse en raison des conditions météorologiques. 

Autre fléau environnemental contemporain, la pollution atmosphérique, qui selon la BBC pourrait bien s’attaquer à notre odorat, entre autres maux. Un rhinologue de la Johns Hopkins School of Medicine de Baltimore a coordonné une étude répertoriant les lieux d’habitation de patients anosmiques et les données historiques de pollution atmosphérique associées. Ses données montrent que le risque de perdre l’odorat est multiplié par 1,6 à 1,7 en présence d’une pollution particulaire soutenue. Comment l’expliquer ? Le Dr Ramanathan évoque deux pistes : soit les particules de pollution traversent le bulbe olfactif et provoquent une inflammation dans le cerveau, soit, en frappant le bulbe olfactif presque quotidiennement, elles l’usent lentement.

Celle dont l’odorat ne semble pas pâtir de la pollution urbaine, c’est la mésange, nous apprend Sciences et Avenir. Une équipe de chercheurs des universités d’agriculture d’Uppsala et de biologie de Lund en Suède a habitué treize mésanges charbonnières à chercher leur pitance, sous forme de petits morceaux de ver de terre cachés dans différents perchoirs. Les mésanges capturées en ville ont préféré ceux munis d’un signal odorant, tandis que leurs homologues champêtres ont préféré ceux portant des pastilles colorées. Comme les oiseaux utilisent leur odorat pour identifier les signaux chimiques émis par les arbres attaqués par des chenilles, l’étude suppose que la tâche est facilitée en ville, où la végétation est moins abondante. 

Au chapitre animal toujours, passons aux chiens. Ils sont célèbres pour leur flair, mais se pourrait-il qu’ils sentent littéralement le temps passer ? C’est l’hypothèse formulée par la psychologue Alexandra Horowitz, qui étudie la cognition canine à l’Université de Columbia et au Barnard College. Interrogée sur le comportement d’un chien qui se levait chaque après-midi pour attendre le retour de son jeune maître juste avant l’arrivée du bus scolaire, elle suggère que l’animal avait appris à mesurer l’écoulement du temps en fonction de la disparition progressive de l’odeur de l’enfant dans la maison au fil de la journée.[1]Pour en savoir plus sur le nez des animaux, voir l’ouvrage L’Odorat des animaux – Performances et adaptations de Gérard Brand 

Plutôt qu’une truffe de chien, le premier robot doté du sens de l’odorat arbore des antennes de criquet, apprend-on dans L’Usine nouvelle. Dans une étude publiée récemment dans le journal Biosensor and Bioelectronics, des chercheurs de l’Université de Tel Aviv expliquent avoir mis au point un robot capable d’identifier de nombreuses odeurs avec une précision 10 000 fois supérieure à certains nez électroniques. Il est doté de capteurs biologiques, des antennes provenant d’un criquet, connectées à un système électronique mesurant les signaux électriques qu’elles émettent lorsqu’elles détectent une odeur. Un modèle d’intelligence artificielle est paramétré pour caractériser celle-ci selon le signal émis. Le robot pourrait un jour être utilisé pour détecter des drogues ou des explosifs.

Et on termine avec France Musique, qui se plonge dans les liens unissant musique et parfums. Synesthésie, rapport au désir, langage commun… L’anthropologue Annick Le Guérer, co-autrice du livre Le Parfum et la Voix, et le parfumeur Francis Kurkdjian, qui s’est récemment associé au violoncelliste Klaus Mäkelä pour un concert olfactif à la Philharmonie de Paris, proposent leurs regards croisés. Le sujet, abordé dans le dossier de Nez #14, a par ailleurs été mis à l’honneur par Mathieu Conquet dans un épisode de son émission Et je remets le son, sur France Inter.

Et c’est ainsi que les mouillettes ne servent pas qu’à déguster les œufs !

Visuel principal : © Morgane Fadanelli

Notes

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1 Pour en savoir plus sur le nez des animaux, voir l’ouvrage L’Odorat des animaux – Performances et adaptations de Gérard Brand

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