Serge Majoullier

Renouveler la gamme des naturels – Serge Majoullier (Mane)

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Conditionnée par une biodiversité que l’homme a déjà beaucoup explorée, la palette des ingrédients naturels peut sembler figée. Comme nous le révèle Serge Majoullier, parfumeur chez Mane, c’est en réalité tout l’inverse. La palette fait l’objet d’une recherche constante d’innovation de la part des maisons de composition, qui développent chaque année de nouveaux produits dans le but d’offrir à leurs parfumeurs et à leurs clients des nuances olfactives inédites… mais pas seulement.

Quelles sont les raisons qui peuvent pousser une société de composition à développer un nouvel ingrédient naturel ? 

La première, commune à toutes les sociétés, est liée à un enjeu créatif. Chaque fois que l’on introduit une nouvelle odeur, cela déclenche chez les parfumeurs une réflexion extraordinaire : on se dit qu’on pourrait l’employer dans tel projet, l’associer à tel autre pour créer un accord inédit… Tout nouvel ingrédient invite à imaginer quelque chose de différent. D’autres raisons répondent à des inclinations du marché : parfois, on développe un ingrédient qui ne constitue pas une innovation olfactive majeure mais qui s’accompagne par son origine d’une histoire intéressante, ou qui résulte d’une méthode d’extraction  plus « verte ». D’autres fois encore, un nouveau produit nous permet d’en remplacer un autre que la législation nous interdit d’utiliser. Enfin, les tendances sont importantes : la vague « gourmande » nous a notamment incités à faire entrer dans la palette des notes de fruits et de fruits secs pour pouvoir y répondre avec des produits naturels.

Y a-t-il aussi des raisons liées à l’approvisionnement ? 

Bien sûr. À une époque, les sociétés de composition ont d’ailleurs délaissé le développement de naturels, parce que ces ingrédients sont sujets à des variations olfactives d’une année sur l’autre et qu’ils sont soumis à des aléas climatiques, politiques, etc. Mais, de nos jours, l’engouement pour les naturels renaît car ce sont des produits très facettés, donc uniques. D’autre part, les marques aiment revendiquer leur utilisation. Alors on y revient et, pour sécuriser l’approvisionnement, on cherche à avoir dans notre palette plusieurs produits de qualité botanique identique mais de provenances géographiques différentes, afin de ne pas être pris au dépourvu en cas de problème. 

Quelles sont les différentes étapes du processus, entre la découverte d’un nouvel ingrédient et son entrée officielle dans la palette maison ?

Une fois qu’on a identifié la matière première qui nous intéresse, on teste en laboratoire différentes méthodes d’extraction. On cherche celle qui lui réussit le mieux, puis on présente le résultat aux parfumeurs pour valider  – ou non – son intérêt olfactif. En parallèle, le produit subit des analyses pour déterminer s’il contient des molécules allergènes, cancérigènes, etc. De son côté, le département achats étudie les questions liées à la pérennité de l’approvisionnement en matière première : pourra-t-on en acheter une quantité suffisante ? Quelle logistique prévoir pour son acheminement, ou pour le transfert sur place de la technologie d’extraction ? Puis il évalue un prix de revient. Si toutes ces étapes sont passées avec succès, la transposition à l’échelle industrielle peut commencer. En général, tout cela prend environ trois ans et le cycle est semé d’imprévus : environ un tiers des développements sont abandonnés en cours de route. 

Combien de nouveaux ingrédients développez-vous chaque année ?

Deux ou trois, dans les bonnes années. Mais une matière première qui apporte une tonalité inédite, si on en a une tous les trois ou quatre ans, c’est bien ! Et une nouvelle méthode d’extraction, c’est tous les dix ans. 

Cet entretien est tiré de :
Le Grand Livre du parfum – Pour une culture olfactive, 2e édition augmentée, 240 pages, Collectif, Nez éditions, 2020, 30€

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