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Souvent employées pour évoquer une atmosphère marine, les notes salées ont ceci de particulier qu’elles font référence avant tout au goût. Tour d’horizon de leurs spécificités physiologico–chimiques et de leurs interprétations olfactives, éclairé par les regards d’Aliénor Massenet (Symrise) et de Cécile Matton (Mane).
Lorsqu’on les interroge, les parfumeurs rattachent les notes salées aux qualificatifs de « minéral, ozonique, aquatique, embrun, marin », résume Cécile Matton de Mane. Aliénor Massenet, de Symrise, complète : « Il est dur de penser le salé en dehors des notes marines en parfumerie, car il renvoie à un goût, et non à l’odorat à proprement parler ». Or, les matières que l’on qualifie comme telles diffèrent selon notre culture culinaire : si nous rangeons la noix de coco dans la catégorie sucrée, ce n’est pas le cas du marché asiatique, par exemple, où l’ingrédient, utilisé dans les plats de résistance, n’est pas associé à la plage ou aux desserts comme en Occident.
Puisque définir ce que peuvent être les notes salées semble ainsi de prime abord complexe, il n’est pas inutile de passer par la case physiologico–chimique afin de mieux comprendre de quoi l’on parle.
Profil physiologique
Au sens chimique du terme, un sel est un cristal généralement soluble dans l’eau, formé par la combinaison d’un élément à charge positive (cation) et d’un autre à charge négative (anion). Ce que nous nommons « sel » dans le langage courant et que nous utilisons en cuisine est le chlorure de sodium (NaCl), assemblage de sodium (Na) et de chlore (Cl), même s’il est parfois agrémenté d’autres sels comme le chlorure de magnésium. Connu depuis toujours pour ses propriétés conservatrices et pour son pouvoir exhausteur de goût – « comme aux couleurs il faut de la lumière, de même les aliments ont besoin de sel pour que le sens du goût soit excité » écrivait déjà Plutarque[1]Plutarque, Propos de tables, IV, trad. Victor Bétolaud –, véritable monnaie d’échange, à l’origine du mot salaire (salarium désigne en effet le sel distribué en allocation aux centurions), objet d’un impôt – la gabelle – au Moyen-Âge et à l’Époque moderne, il accompagne l’histoire de l’humanité.
On peut distinguer le sel marin, issu des marais salants (comme le sel de Guérande) du sel de gemme, issu de mines résultant de la présence d’océans il y a des centaines de millions d’années (comme le sel rose de l’Himalaya, qui doit sa couleur au fer qu’il contient).
Quelle que soit son origine, le sel est cependant imperceptible au nez, mais qualifié d’exhausteur de goût. D’une part, il stimule les glandes salivaires ; mais surtout, grâce à ses charges électriques, il provoque la fuite des molécules odorantes volatiles dans le fond de notre gorge – les précipitant par la voie rétro-nasale vers nos récepteurs olfactifs. Grâce au sel, nous ne percevons ainsi pas mieux le goût mais l’arôme des mets, peu soluble dans les milieux aqueux comme notre salive. Notre odorat, qui permet de capter ces arômes par voie rétro-nasale, constitue 80% de notre perception d’un aliment grâce à ses 400 types de récepteurs olfactifs différents. Cependant, le sel ne fait pas qu’amplifier notre perception gustative : il peut aussi diminuer la sensation d’amertume, et à forte dose celle du sucré.
Rappelons en effet que par la gustation, nous percevons principalement (mais pas exclusivement) cinq saveurs dites primaires : le salé, donc, mais aussi le sucré, l’acide, l’amer et l’umami (signifiant « goût savoureux », identifié par Kikunae Ikeda en 1908, mais depuis longtemps connu empiriquement). Ce dernier peut également être perçu comme salé : il ne s’agit alors plus d’une salinité minérale mais organique, principalement exprimée par le glutamate de sodium. Le salé peut également être attribué à d’autres composés que le chlorure de sodium, mais il est alors en général perçu comme désagréable, avec un arrière-goût amer. Bon à savoir : l’idée selon laquelle les capteurs des saveurs seraient répartis distinctement sur la langue est quant à elle totalement fausse, elle provient d’une erreur de traduction d’un article scientifique !
La perception du goût salé, enfin, est assurée par le canal ionique ENaC (Epithelial sodium channel) présent dans la membrane de cellules gustatives, mais il est possible que d’autres types de détecteurs spécifiques existent sans avoir encore été découverts : le salé est encore loin d’avoir révélé tous ses secrets aux chercheurs.
Embruns iodés
Si elle nous semble évidente aujourd’hui, l’idée d’un sel inodore n’a pas toujours été de mise. Au XVIIIe siècle par exemple, ceux qui visitent les marais salants lui attribuent un parfum bien précis, comme l’écrit l’anthropologue Laurence Hérault : « Les différents auteurs sont assez d’accord sur la qualification de cette odeur: le sel fraîchement récolté sentirait la violette, ou du moins un parfum floral, car certains évoquent également les senteurs de l’iris de Florence. »[2]Laurence Hérault. L’odeur du sel. Fabre–Vassas C. et Musset D. Odeurs et parfums, Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (CTHS), pp.191–200, 1999. Cette odeur est peut-être due aux composés magnésiens qui accompagnent le sel avant sa purification. Mais la caractérisation olfactive du cristal disparaît au XIXe siècle, avec le développement des appareils technologiques qui remplacent l’odorat en tant qu’instrument de mesure de la qualité du produit.
Sel et violette ont un destin lié cependant, car le terme d’iode, généralement associé à l’idée de salé, vient du grec ioeides, signifiant « violet » : Gay Lussac l’a ainsi nommé en raison de la couleur des vapeurs lorsqu’il est chauffé, après sa découverte par Bernard Courtois en 1811 dans des cendres d’algues marines – c’est en effet dans l’eau de mer qu’il est principalement présent. Oligo-élément faisant partie de la famille des halogènes, l’iode est essentiel à l’homme, et sa carence peut provoquer des problèmes de thyroïde ; ce qui explique que certains sels de table en soient enrichis. Mais le parfum des embruns est surtout dû au diméthylsulfure, issu de la décomposition du phytoplancton, ainsi qu’à un groupe de molécules, les dictyoptérènes, servant aux algues de moyen de communication, au bromophénol, et au giffordène, car « des aldéhydes apparentés à ce dernier – et par ailleurs responsables des notes aquatiques du concombre, de la pastèque ou du melon – sont également présents dans les algues ».[3]Voir notre article sur les odeurs de la plage.
Une pincée de matières
Afin de recréer cette sensation salée, a priori plutôt réservée à la sphère gustative, donc, comment s’y prennent les parfumeurs ? L’extrait d’algue, disponible dans leur palette, est sans surprise l’une des matières choisies dans ce but : « Chez Mane, nous avons un très bel extrait d’algue rouge Jungle Essence iodé, salé, avec une facette boisée mousse », confirme Cécile Matton.
Côté naturels, les facettes marines se retrouvent dans l’ambre gris, cette concrétion intestinale du cachalot jadis considérée comme l’or blanc de la parfumerie et qui doit notamment son odeur à un long voyage dans les mers sans lequel il n’est pas utilisable olfactivement.[4]Pour en savoir plus sur l’ambre gris, voir l’article dédié dans Nez, la revue olfactive – #07 – Sens animal Désormais peu employé, à la fois à cause de sa raréfaction (les cachalots étant moins nombreux que jadis), de son prix et de la tendance vegan, il est « remplacé » par des molécules comme l’Ambrox (contenu dans l’ambre gris naturel).
Parmi les molécules artificielles évoquant l’odeur des embruns, la plus célèbre est certainement la Calone, synthétisée pour la première fois en 1966 par trois chimistes de Pfizer, John J. Beereboom, Donald P. Cameron et Charles R. Stephens, qui découvrent un composé (la méthylbenzodioxépinone) à l’odeur « de feuille fraîche, verte et rappelant le melon ». La société confie sa production à l’une de ses filiales spécialisées dans les matériaux odorants, Camilli, Albert & Laloue (C. A. L.), d’où ce nom de « CALone ».[5]Pour en savoir plus sur la Calone, voir Nez, la revue olfactive – #05 – Naturel et synthétique Outre ses facettes de fruit d’eau et d’embruns marins, elle présente également des notes anisées et grasses, et elle est très puissante olfactivement : « on l’utilise surtout en facette, rarement en overdose : lorsqu’on en met trop dans une formule, cela peut donner un effet métallique écœurant », souligne Cécile Matton. « Mais c’est la matière reine lorsqu’on parle de notes iodées, plutôt réduites dans la palette. La mousse naturelle, remplacée parfois par l’Evernyl, et certaines notes florales aquatiques qui avaient un effet salé ou mouillé, comme l’Helional, ou encore l’Algénone avec son côté ambre solaire, sont aujourd’hui limitées. Nous pouvons encore utiliser la Floralozone, qui est cependant plus aquatique que salée, ou encore le Melonal pour ses facettes de melon gorgé d’eau. Mane a développé des captifs comme l’Aqual, pour son côté floral aquatique et le Marinal, un aldéhydé marin, qui viennent enrichir notre palette salée. Quant à la facette ambre gris, l’Orcanox, une molécule de Mane upcyclée, est intéressante pour sa complexité. »
Chez Symrise, la palette s’est enrichie fin 2020 par une collection nommée Garden Lab qui met à l’honneur des ingrédients produits à partir de légumes : « Comme des enfants lors de la découverte des cadeaux de Noël, nous sommes enthousiastes, voire même exaltés, sourit Aliénor Massenet. Ce sont de très belles matières. L’asperge peut constituer une nouvelle manière de travailler sur une note verte un peu salée, à la manière d’un galbanum ; l’artichaut a des facettes plus rosées, florales ; le chou-fleur dans une composition gourmande va casser le côté sucré, comme la Calone pouvait le faire : et l’oignon peut remplacer des notes un peu animales. Ce sont des ingrédients que j’emploie en touche, pour donner du contraste au parfum. Nos clients sont très intrigués par ces nouvelles matières mais certains restent encore frileux quand il s’agit de les utiliser ou de les mentionner dans leurs parfums. J’utilise donc ces matières sans forcément le mentionner. Alexandra Carlin a utilisé notre Symtrap de chou-fleur dans la collection du Potager de L’Artisan parfumeur. C’est un parfait exemple qui permet désormais de mieux montrer la créativité qu’ils peuvent apporter et fera peut-être bouger les lignes. »
Le grain de sel des parfumeurs
C’est donc d’abord sous la forme de compositions marines que les notes salées sont apparues sur le devant de la scène : « Ce sont deux créations Mane, New West for Her [d’Yves Tanguy pour Aramis en 1990], puis Escape pour femme [Calvin Klein, 1991], qui ont lancé la tendance », rappelle Cécile Matton. La note va ensuite structurer sur le long terme le marché masculin : Kenzo pour homme [signé Christian Mathieu en 1991] constitue un véritable chef de file, alors qu’il n’est pas si facile d’accès : comme quoi, le consommateur peut très bien accepter des nouveautés radicales présentant une véritable innovation olfactive ! », poursuit la parfumeuse. Après le plus aquatique Eau d’Issey signé Jacques Cavallier-Belletrud en 1992, suivra Acqua di Gio en 1996 par Alberto Morillas, Annick Menardo et Annie Buzantian pour Giorgio Armani, plus marin, mais très propre et policé.
La même année sort Rem de Reminiscence, à la signature ambrée-salée reconnaissable entre toutes, mais aussi Acqua di sale de Profumum Roma.
En 2004, Nathalie Feisthauer et Ralf Schwieger créent l’Eau des merveilles chez Hermès, une composition autour d’un accord d’ambre gris, devenue un classique de la parfumerie.
La note conquiert peu à peu les marques indépendantes, avec notamment une apparition dans Do Son de Diptyque en 2005 : « les fondateurs, qui avaient vécu en Indochine, voulaient une fleur bercée par les embruns, d’où cette tubéreuse verte, aquatique, marine », explique Cécile Matton.
On pense aussi à Sel marin de James Heeley en 2008, évoquant une promenade sur les dunes, entre feuilles froissées et bois flotté ; ou encore à Aod de la maison bretonne Lostmarc’h et à sa noix de coco florale, aquatique et poétique.
En 2010, dans la parfumerie sélective, Womanity, cocréé en équipe chez Mane avec entre autres Cécile Matton, fait grand bruit avec son côté sucré-salé : « le brief était le souvenir de Thierry Mugler d’un moment passé sous un figuier, bercé par la brise marine. Serge Majoullier [parfumeur et expert en développement de nouvelles matières premières chez Mane] avait développé un Jungle Essence de caviar, qui avait permis de créer un accord caviar. Le ciste labdanum participe également à cet effet minéral salé, enrichi par les pyrazines pour donner un effet “riz qui pousse dans l’eau”, et permet de faire le lien avec le sucré de la figue. Trouver l’équilibre était complexe, nous y avons passé du temps, et c’était un pari audacieux », se rappelle la parfumeuse. Sur le même thème suivra Olympéa de Paco Rabanne en 2015, composé par Loc Dong, Anne Flipo et Dominique Ropion d’IFF.
Plus rarement peut-être, la note rappelle l’animalité des peaux, la sueur corporelle issue des glandes sudoripares eccrines ayant un goût salé. Musc Tonkin, composé par Marc–Antoine Corticchiato pour sa marque Parfum d’empire en 2012, joue sur cette minéralité animale avec une maestria remarquable.
Un goût de renouveau ?
Si la tendance sucrée a la dent dure, le salé serait-il un moyen de s’éloigner en douceur du glucose et de ses liqueurs collantes ? « Ce n’est pas encore la norme au niveau des demandes clients, note Aliénor Massenet. Je pense que les notes salées sont plus “intello” que les sucrées, moins évidentes de prime abord. Pourtant, en employant cette facette comme on ajoute une pincée de sel dans un gâteau au chocolat, on crée du contraste et une nouvelle forme d’addiction. » En touche, certes, mais bien présent cependant, le sel semble bien présent olfactivement dans de nombreux lancements récents. « Cela reste une famille particulière, difficile à renouveler, car nous n’avons pas tant de matières dans la palette. Sortir des notes marines classiques est un défi », ajoute Cécile Matton.
Réinventer le genre est cependant l’une des voies envisagées par certains, comme Marc–Antoine Corticchiato qui en 2018 dédiait Acqua di Scandola, « un parfum paysage , surprenant comme le lieu qui l’inspire » à la presqu’île et réserve naturelle Corse du même nom. « J’ai voulu exprimer l’accord marin autrement que par des molécules aquatiques artificielles, désormais galvaudées. J’ai trouvé la clef dans un très bel extrait d’algue », indique le parfumeur. À la mer se mêlent l’expression olfactive de « la nature sauvage, traduite par la nervosité aromatique du genévrier et les effluves épicés de l’immortelle » et « des rochers veloutés de mousse ».
Coulant sous les ponts de Venise, c’est la mer Adriatique qui inspire Christine Nagel pour sa première composition dans la collection des Jardins d’Hermès en 2019. À la fois floral et salé, ce Jardin sur la lagune est un tissage de souvenirs du lieu que la parfumeuse a visité à plusieurs reprises, constituant « un jardin rêvé, caressant et vibrant ».
Pour son second parfum, Marc-Antoine Barrois se pose sur Ganymède, l’un des satellites de Jupiter, « une planète rocheuse, lumineuse, submergée d’océans d’eau salée » découverte par Galilée en 1610. Son acolyte le parfumeur Quentin Bisch imagine « un quatuor de mandarine, de violette, de daim et d’immortelle », cette dernière venant « en contrepoint relever l’accord de ses facettes tantôt minérales tantôt salées ».
En 2019 toujours, Stéphanie Bakouche signe pour la Maison Crivelli une Rose Saltifolia qui évoque l’expérience « d’une promenade en bord de mer, parmi des champs de roses fraîchement écloses et brassées par les vents marins ». La reine des fleurs se fait ici « pétillante et cristalline » et se marie à « un absolu d’algues salées et soyeuses ».
La pincée de sel relève aussi les matières gourmandes et notamment la vanille dans Couleur vanille de l’Artisan parfumeur sorti en 2020. L’idée d’Aliénor Massenet, qui l’a créé, était « d’évoquer le vent de l’océan qui caresse la gousse exotique », explique-t-elle. « J’ai donc contrebalancé ma vanille par la Calone mais aussi l’immortelle, qui a ce côté salé avec un effet céleri épicé, et qui pousse au bord de la mer. Pour arrondir la note et la voiler, j’ai employé le salicylate, une molécule salée, solaire, très abstraite. »
La marque Memo décide quant à elle d’imaginer la rencontre avec un cétacé mythique en se frayant un chemin vers le chant des baleines. Pour Ocean Leather, Aliénor Massenet a pensé à un « cuir tourné vers l’océan, contrasté par des notes salées avec notamment une absolue d’algue à l’odeur très particulière, à la fois végétale et animale, entre reptile et mousse d’arbre, mais qui bien dosée apporte une belle signature, arrondi par le salicylate ».
Destination la Corse avec le Sel d’argent de BDK qui nous conte le souvenir d’une « fin d’après–midi sur les rochers de l’Île de Beauté », avec « le goût du sel est encore sur la peau ». Anne–Sophie Behaghel y mêle l’odeur d’un figuier croisé dans l’air « marin, frais et transparent ».
La marque de parfums 100% naturel et bio Nout revient, elle aussi, sur un souvenir d’été dans son Sel de mer en 2021. Laure Jacquet de Robertet imagine « un accord fruité melon [qui] vous entraîne ensuite vers des notes d’embruns », puis vers une « fleur d’oranger, capiteuse et suave » sur une structure boisée de cèdre.
C’est encore les fleurs que l’on retrouve parsemées de grains de sel dans Ça boum, l’une des « Expressions parfumées » de Teo Cabanel. Patrice Revillard y propose un « contraste sucré-salé audacieux et hypnotisant, inspiré de l’envoûtant lis des sables. »
Diptyque lançait la même année une eau de toilette en édition limitée, Venise, intégrant « Le Grand tour » proposé à l’occasion du 60e anniversaire de la marque. « L’idée était d’imaginer un jardin potager dans la lagune. J’ai travaillé la tomate qui est entre le fruit et le légume, et apporte une dimension de plaisir au parfum, avec son côté juteux mais pas sucré. Je l’ai associée au poivron vert Jungle Essence de Mane, qui est lui aussi très juteux, à l’odeur du légume que l’on coupe, naturellement aquatique, et évoque la brise marine légère », explique Cécile Matton. Une création délicate que l’on espère voir de retour un jour dans les rayons de la marque.
L’année 2022, répondant peut-être à l’enfermement des confinements par l’ouverture sur l’ailleurs, a été riche en périples iodés.
Liquides imaginaires nous offre un véritable voyage dans les profondeurs salines avec les trois « eaux des Bermudes » qui « racontent une traversée mythique et périlleuse en mer et celle d’un aventurier imaginaire qui déjoue ses dangers avant de les raconter en parfums ». Dans Abyssis, Shyamala Maisondieu de Givaudan affronte le Kraken à coups de Calypsone, Cosmone et de Sylkolide, portés par des notes boisées et poivrées. Navis, signé Nadège Le Garlantezec, figure un bateau « plein de trésors » autour du cèdre, de l’amyris et de la mousse d’algue laminaria. Sirenis enfin nous fait entendre « son chant obsédant » dans un souffle de sauge sclarée, de mousse et de bois composé par Sonia Constant et Marion Costero.
C’est en Méditerranée que Carner Barcelona nous emmène avec Sal y Limón, avec son « accord salé tranchant, qui confère une profondeur » à la composition « citronnée et pétillante » porté par des muscs et du patchouli en fond.
Repetto travaille la fleur d’oranger dans son Néroli solaire, « addictive avec son côté salé travaillé grâce à la Calone qui donne un effet fleur d’eau », explique Aliénor Massenet, et qu’elle a accompagnée « d’un ballet de fleurs blanches lumineux et radieux : frangipanier exotique, ylang–ylang Madagascar gracieux, gardénia velouté ».
Chorégraphie florale de même chez The Different Company avec Dance of the Dawn, une eau de parfum lancée dans la collection L’Esprit cologne de la marque, dont « le cœur boisé et floral soutenu par une vanille délicate » nous « transporte sur une plage exotique lointaine ». Émilie Coppermann de Symrise a notamment rendu la touche salée dans son accord bois flotté, « véritable écho à une balade au bord de l’océan, comme le bois séché par les rayons du soleil, fossilisé par le sel de la mer, blanchi par l’air marin ».
Tout récemment proposé par la marque Poécile, qui invite à la redécouverte des régions françaises par le nez, Bleu Asgard nous plonge sur les côtes bretonnes pour « se laisser bercer par les enivrantes vagues atlantiques ». Créé par Patrice Revillard, le parfum s’ouvre sur des notes iodées fraîches, puis construit un chemin à la fois minéral et aquatique, où sourdent l’absolue d’algue et des accords ambre gris et bois flotté.
Le même Patrice Revillard a également travaillé la note pour Teo Cabanel, en édition limitée (et épuisée !) et en collaboration avec la marque Modetrotter. Dans Peau salée, il la marie au frangipanier et au jasmin qui « s’entremêlent [au] bois flotté et [à la] crème de tonka », avec des inflexions de noix de coco. Un parfum qui « sent bon les vacances », à porter « tout au long de l’année et pour se remémorer les chaudes journées d’été ! »
Peau salée est aussi le nom d’une des huiles de parfum « au sillage confidentiel, addictives et réconfortantes » de la récente marque bordelaise Elaïo. Les parfumeuses Clémentine Humeau et Marie-Julie Hébert ont composé « un parfum floral, minéral et salin » à l’effet lacté, salé, solaire avec des notes de noix de coco, inspiré « d’une journée à Bondi Beach, plage mythique d’Australie, au spot de surf ultra prisé et à l’ambiance décontractée ».
On retrouve la gourmandise dans Tonka blanc de L’Artisan parfumeur, où les facettes crémeuses sont arrondies par… du chou–fleur ! Alexandra Carlin de Symrise signe ainsi « le premier parfum du marché à mettre en scène un extrait naturel de légume » dans la collection du Potager, dont la douceur est contrebalancée par les agrumes en tête.
Enfin, s’il n’est pas encore commercialisé, le parfum Umema composé par Ugo Charron de Mane en collaboration avec la journaliste anosmique Emmanuelle Dancourt joue sur la gourmandise salée, au travers notamment d’une exploration rarement mise en avant en parfumerie de la note umami. Le résultat est texturé, crémeux, grâce au Suederal, à la Tropicalone, aux muscs et au santal ; mais aussi salé et gourmand, avec les extraits Jungle Essence de noisette et d’algue rouge, mariés à un accord de cacao, mousse, cèdre et salicylate. En attendant de pouvoir l’appréhender par le bout du nez, vous pouvez le faire à travers les mots en lisant l’article que nous lui avons consacré.
Et après ?
Gageons que l’inspiration plus légumière ou umamiesque gagnera dans un futur relativement proche la volonté des marques pour rejoindre l’inspiration des parfumeurs qui attendent d’explorer de nouveaux territoires olfactifs par-delà le sucre et la mer.
Cécile Matton de Mane choisirait alors de travailler sur « le goût du velours de vinaigre balsamique, dont j’adore la texture, l’acidité, l’impression de sucré-salé » ou encore « un poivron aldéhydé, pétillant, avec des notes de cassis, pour réinventer un floral vert hespéridé ». Aliénor Massenet évoque quant à elle un grand nom de la parfumerie : « J’aimerais beaucoup imaginer un nouveau Jicky, en remplaçant la civette par l’oignon, que nous avons récemment acquis dans notre palette chez Symrise et qui a des facettes animales fascinantes, permettant de penser un nouvel oriental. »
De quoi mettre l’eau à la bouche, et peut-être enfin cesser de céder aux sirènes du glucose.
Notes
↑1 | Plutarque, Propos de tables, IV, trad. Victor Bétolaud |
---|---|
↑2 | Laurence Hérault. L’odeur du sel. Fabre–Vassas C. et Musset D. Odeurs et parfums, Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (CTHS), pp.191–200, 1999. |
↑3 | Voir notre article sur les odeurs de la plage. |
↑4 | Pour en savoir plus sur l’ambre gris, voir l’article dédié dans Nez, la revue olfactive – #07 – Sens animal |
↑5 | Pour en savoir plus sur la Calone, voir Nez, la revue olfactive – #05 – Naturel et synthétique |
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