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La compétition lancée fin 2021 par la société spécialisée dans la production de bois de santal indien et australien Quintis Sandalwood, en partenariat avec l’American Society of Perfumers, touche à sa fin : les deux gagnantes ont été dévoilées lors du World Perfumery Congress (WPC) à Miami début juillet. Entretien.
La sélection du concours Sandalwood Reimagined fut rude : près de 300 compositions provenant du monde entier ont été évaluées par un jury de parfumeurs professionnels. Les participants avaient pour seule consigne d’utiliser un minimum de 1 % d’huile de bois de santal indien cultivé par la société Quintis dans leur proposition, et de l’accompagner d’une intention créative. Après avoir exploré les parcours et inspirations des finalistes des catégories « Global Winner » (parfumeurs ou talents senior) et « Emerging Talent » (parfumeurs junior et étudiants), nous vous proposons un entretien avec les deux gagnantes dévoilées lors du cocktail de clôture du Congrès mondial de la parfumerie à Miami (WPC), le 1er juillet 2022.
Jennifer Jambon, Argeville, France : prix Global Winner
Vous aviez déjà remporté le concours organisé par Quintis il y a six ans. Participer à cette nouvelle édition vous a-t-il semblé évident ?
Le prix du concours que j’avais gagné était un voyage à la découverte des plantations durables de Quintis en Australie, et c’est justement ce souvenir qui m’a servi d’inspiration pour ma création cette année. Je me souvenais notamment de ce moment magique où le bois était coupé, au milieu d’une immense forêt, et de l’impression de liberté que je ressentais alors. Avoir un sujet aussi vaste est un véritable plaisir : chacun s’approprie le sujet de manière différente.
De manière générale, les concours sont une très belle opportunité pour un parfumeur mais c’est une grande chance lorsqu’ils sont ouverts à tous comme c’est le cas du Sandalwood Reimagined : cela permet aux juniors de se faire connaître et de donner confiance en soi ; en permettant parfois de confirmer une vocation, car on ne travaille pas souvent en parfumerie créative au début de sa carrière. J’avais également gagné un concours de la Société Française de Parfumerie [maintenant SFPC] et cela m’a certainement aidée dans mon parcours par la suite.
Qu’appréciez-vous en particulier dans l’huile de santal Quintis ?
C’est une très belle qualité, très riche, avec ses facettes à la fois crémeuses, lactées, mais aussi boisées plus sèches qui me font penser à de la sciure de bois. Il y a également un côté poudré, vanillé, épicé évoquant la bay Saint Thomas et le safran. Et puis j’y distingue aussi une petite note de café que j’ai voulu faire ressortir ici.
Comment la formule a-t-elle évolué au cours de son développement ?
J’avais l’idée de base : le souvenir de mon voyage. Je voulais ainsi imaginer un santal lumineux, tout en transparence, qui représente l’immensité de la nature, avec aussi l’histoire de l’irrigation qu’a optimisée Quintis. J’ai commencé à travailler une composition plutôt florale, pour soulever le santal, lui apporter une forme de légèreté. Je suis partie sur un mimosa que j’ai progressivement diminué afin de gagner en complexité. J’avais aussi une proposition plus marine, mais elle n’était pas assez riche, et me semblait peu originale. J’ai passé du temps à harmoniser l’ensemble, pour trouver le ton juste.
Qu’aimeriez-vous apporter à la parfumerie de demain ?
Sur le plan créatif, j’aime notamment travailler des formules assez courtes, minimalistes, qui permettent de mettre en avant les belles matières qui sont à notre disposition, et ainsi d’apprécier chacune de celles qu’on utilise à sa juste valeur. Cela rejoint le côté durable de la parfumerie : certains ingrédients vont devenir plus rares, les prix vont augmenter, ce sera un challenge que l’on va devoir accepter de toute façon, mais je pense que les parfumeurs peuvent en tirer profit pour être plus créatifs, pour changer d’écriture.
Quels sont les parfumeurs ou les créations qui vous inspirent le plus ?
L’une des sorties qui m’a le plus marquée est Terre d’Hermès. Je suis également fascinée par le travail de Francis Kurkdjian, pour sa marque ou d’autres maisons. J’aime aussi beaucoup la direction créative chez Tom Ford, avec des compositions comme Soleil blanc, Santal blush, Néroli Portofino et plus récemment Ebene fumé. Et de manière plus générale, j’adore les parfums irisés, comme Iris Prima d’Alberto Morillas chez Penhaligon’s ou Bois d’argent signé Annick Menardo pour Dior.
Que peut-on vous souhaiter suite à la réussite de ce concours ?
Je suis déjà très fière de présenter mon parfum, d’en raconter l’histoire, l’aventure en Australie. Je serais très heureuse d’avoir plus d’opportunités à l’avenir pour travailler sur ce genre de projets créatifs, mettant en avant de belles matières de parfumerie. C’est un véritable challenge car beaucoup de choses ont été faites autour des ingrédients de la palette, mais j’aime justement chercher comment apporter ce twist, ce nouveau regard sur ce qui semble déjà connu, en l’interprétant de manière moderne, et en mariant des notes apparemment opposées.
Fanny Ginolin, Takasago, France : prix Emerging Talent
Pourquoi avez-vous souhaité participer au concours de Quintis ?
J’avais déjà participé au concours Corpo 35, dont j’ai été lauréate en 2019 : c’est un exercice que j’aime beaucoup, cela me donne de nouveaux objectifs et me permet d’avoir le regard d’un jury professionnel sur un travail de création. Donc, quand j’ai entendu parler de Sandalwood Reimagined en lisant l’article sur Nez, j’ai foncé : je souhaitais justement créer une note autour de ce bois. Avoir l’opportunité de travailler une matière d’exception comme le santal de Quintis a été très intéressant et m’ouvre davantage à la recherche de qualités de matières premières peu mises en avant. Pour le concours, j’ai dû m’organiser afin de formuler en dehors de mes horaires de travail. Et c’est un thème de création large, très stimulant : pour preuve, tous les finalistes – dont on a pu sentir les compositions lors de la remise des prix – avaient fait des propositions très différentes.
Par rapport à d’autres qualités que vous connaissiez déjà, qu’avez-vous particulièrement apprécié dans l’essence de Quintis ?
J’avais en effet travaillé avec d’autres huiles essentielles de santal et c’est la première fois que je sentais celle-ci. Au-delà de la démarche éco-responsable remarquable, on perçoit immédiatement la qualité de la matière, puissante et complexe. En plus des facettes crémeuses et lactées, douces et confortables, il y avait une note épicée à laquelle je revenais sans cesse, et que j’ai voulu mettre en avant.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors du processus de création ?
Mon idée était de retracer le voyage du santal entre sa terre d’origine, l’Inde, et son pays d’implantation, l’Australie. Le santal étant une note de fond, si l’on souhaite le percevoir tout au long du porté, c’est techniquement compliqué. Il faut faire attention à ce qu’il ne soit pas masqué par d’autres matières premières qui prendraient le dessus. Or je voulais que l’on puisse le sentir du début à la fin, pour donner l’impression à la personne qui porte la création qu’elle voyage avec le bois. J’ai notamment dû retravailler la note marine en cœur pour qu’elle ne soit pas trop persistante et les épices indiennes très puissantes, comme le cumin, qui ont tendance à prendre toute la place.
Quels sont les parfumeurs ou les créations qui vous inspirent le plus ?
La création qui m’a ouvert au monde de la parfumerie est 24, Faubourg d’Hermès, que portait ma mère, et qui réveille toujours beaucoup de souvenirs et d’émotions. Mais j’aime aussi beaucoup le travail de Jean-Claude Ellena, qui est pour moi un modèle : je trouve fascinante sa manière de mettre en avant des facettes particulières de certaines matières premières, avec des associations inattendues. Quentin Bisch est aussi un exemple pour son originalité et la justesse dans les fragrances qu’il crée.
Quelle vision de la parfumerie aimeriez-vous mettre en avant ?
J’aimerais notamment travailler les associations inédites, mêler des ingrédients de la palette qu’on n’aurait pas pensé voir ensemble, pour créer des dualités, entre douceur et puissance par exemple, qui se démarquent tout en restant accessibles olfactivement.
Je pense aussi qu’il faut mettre en avant ces belles matières premières, valoriser le sourcing comme le fait Quintis, et optimiser la biodégradabilité des formules. Je ne suis pas forcément pour le 100% naturel, je suis convaincue que l’industrie se dirige vers une production verte du synthétique, plus responsable pour l’environnement et les consommateurs. Dans un de mes stages, j’ai notamment étudié les agro-ressources permettant de valoriser des parties des plantes qui ne sont pas utilisées d’habitude, afin qu’il n’y ait pas de perte. C’est une démarche importante écologiquement mais aussi intéressante olfactivement : elle permet d’enrichir la palette, de distinguer les différences entre deux parties d’une même matière.
Que peut-on vous souhaiter suite à la réussite de ce concours ?
J’espère avoir des opportunités d’évolution dans la création, puisque je souhaite devenir parfumeur. La réussite au concours confirme ma poursuite dans cette voie, et me donne espoir de trouver un poste d’élève parfumeur ou de parfumeur junior au sein d’une entreprise.
- Plus sur Quintis : quintis.com.au
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