Pissara Umavijani (Dusita) : « La plus grande difficulté pour un parfumeur, c’est d’exprimer sa signature dans des registres différents »

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Lancée à Paris en 2014, la marque Dusita exporte dans 60 pays son univers singulier, empreint de la culture thaïlandaise de sa fondatrice. Collectionneuse de parfums vintage devenue parfumeuse autodidacte, Pissara Umavijani rend hommage à son pays natal et à l’œuvre poétique de son père dans un style nourri d’influences européennes. Interview. 

Comment est née la marque Dusita ? 

Dusita découle avant tout de ma passion pour la parfumerie. À la mort de mon père – le poète Montri Umavijani – j’ai voulu créer quelque chose de spécial en sa mémoire. Il m’est venu l’envie de créer des fragrances qui réuniraient la délicatesse de la culture du Siam et l’art de la parfumerie moderne que j’admire, étudie et collectionne depuis longtemps. Au départ, c’était juste pour le plaisir. Mais lorsque je suis arrivée à Paris pour m’y installer en 2011, un ami m’a mise en relation avec François Hénin, fondateur de la parfumerie Jovoy. Je lui ai présenté mes deux premières compositions : Mélodie de l’Amour et Issara. À ce moment-là, je ne songeais pas du tout à les vendre ! C’étaient des parfums que j’avais faits pour moi, et j’étais simplement curieuse de savoir ce qu’en penserait un professionnel du secteur. Mais François Hénin m’a encouragée à fonder ma marque. C’est ainsi que, trois ans plus tard, j’ai lancé Dusita. Un mot emprunté à la croyance siamoise, qui désigne un paradis céleste où règne le bonheur. 

Où avez-vous appris la parfumerie ? 

Je suis autodidacte. J’ai développé mon amour des parfums aux côtés d’un ami, en Thaïlande, et nous nous sommes formés ensemble. Lui s’intéressait surtout aux compositions naturelles, et lisait notamment les livres de Mandy Aftel. Ma préférence allait plutôt à la parfumerie moderne et j’ai suivi, notamment, la méthode Jean Carles [une technique d’apprentissage des ingrédients mise au point par le parfumeur éponyme, fondateur de l’école interne de Roure, désormais Givaudan]. J’ai aussi eu la chance de connaître un parfumeur d’IFF installé en Thaïlande, avec qui j’ai pu échanger et qui a parfois accepté de sentir mes créations. Cet apprentissage « classique » fait que j’aime travailler de manière traditionnelle, notamment écrire mes formules à la main. Et je les ai toujours pesées moi-même – ce qui m’a largement aidé à me familiariser avec les ingrédients. 

Où trouviez-vous vos matières premières lorsque vous étiez en Thaïlande ?

Mon ami et moi commandions nos ingrédients aux quatre coins du monde et nous les faisions envoyer en Thaïlande, parfois en passant par l’intermédiaire de revendeurs car nous achetions évidemment de petites quantités. Depuis 2014, c’est Accords et Parfums qui fabrique mes formules, donc j’utilise exclusivement la palette d’ingrédients de la société, ce qui a demandé un peu d’adaptation au début ! Je me rappelle que, la première fois que j’ai reçu l’une de mes formules fabriquées par eux à Grasse, j’ai été très surprise : olfactivement, ça n’avait presque rien à voir avec cette même formule fabriquée à partir de ma propre palette !  

Comment naissent vos nouveaux parfums ? 

Mon ambition est de créer une collection complète qui couvre toutes les familles olfactives. À chaque nouveau parfum, je me demande comment relier mon inspiration première à cette idée de « Dusita » – de paradis, donc – tout en gardant une touche française. Par exemple, pour La Douceur de Siam, j’avais en tête l’idée d’une princesse marchant dans un jardin, au coucher du soleil. Je l’ai imaginée douce et élégante ; et je l’ai dépeinte à l’aide de fleurs exotiques : champaca, jasmin et rose damascena. Le bois de santal et la vanille font allusion au parfum qui imprègne ses vêtements ; et j’ai ajouté une touche de modernité en habillant la rose de damascones. Mon inspiration est un mélange d’images, d’odeurs et de couleurs ; et les poèmes de mon père jouent un rôle important aussi. 

Les marchés sur lesquels vos parfums sont présents influencent-ils vos idées ? 

Je ne pense pas vraiment aux marchés, non. Juste à la création. Bien sûr, il me semble important de pouvoir proposer plusieurs types de parfums, donc je cherche à explorer des univers olfactifs différents, mais j’essaie de conserver un style unique. C’est la plus grande difficulté pour un parfumeur, je crois, d’exprimer sa signature dans des registres différents. Cela demande de casser son propre moule. Moi-même je suis très à l’aise avec les floraux, que j’aime beaucoup, je peux donc composer un accord assez facilement. Mais si je veux imaginer un parfum gourmand, boisé, ou aromatique, j’ai besoin de changer ma disposition d’esprit. 

Comment s’exprime votre signature ? 

J’aime beaucoup travailler des ingrédients peu ou pas connus. Je suis surprise de voir l’influence des tendances, même dans la parfumerie de niche. Par exemple, il y a 10 ans, on voyait de la baie rose partout. Et je me demandais : pourquoi toutes les marques suivent cette mode, alors que nos clients ont justement envie d’explorer des choses différentes ? En ce moment, je réfléchis à faire un parfum gourmand – une famille que je n’ai pas encore explorée. Et je me dis que je voudrais faire autre chose qu’un parfum sucré, ou vanillé. La gourmandise peut être interprétée de tant de façons différentes. Ce matin, je sentais une essence de basilic du Vietnam, une odeur qui est quasiment absente de nos parfums et pourtant tellement familière dans la cuisine. Et je me disais qu’elle se marierait bien avec des aldéhydes, des épices, et pourquoi pas un bois exotique comme le bois de Hô, lui aussi peu utilisé. Il y a beaucoup de choses à inventer !

Quels sont vos best-sellers ?

En France, ce sont Anamcara – un fruité fleuri boisé plutôt féminin – et Moonlight in Chiangmai, lui plutôt masculin. En Asie, Mélodie de l’Amour marche si bien que nous sommes constamment en rupture de stock. Je ne pensais pas que ce parfum serait tant apprécié. Le responsable du site Lucky Scent m’a récemment appris qu’il était la treizième référence plus vendue chez eux ! Je vais bientôt la décliner en spray pour le corps. 

Depuis quand participez-vous au salon Esxence et pourquoi ? 

J’y vais depuis les débuts de Dusita. La première fois, en 2015, ma collection n’était même pas encore en vente. J’étais la dernière marque à m’être inscrite et le stand qu’on m’avait donné était juste en face des toilettes… Mais finalement c’était un endroit assez stratégique car tout le monde finissait par passer devant moi ! Cette année, c’est la sixième fois que je participe. Il s’agit bien sûr de présenter la marque et de réfléchir à sa stratégie avec les revendeurs, distributeurs et représentants de tous les pays. Mais cela permet aussi de voir et revoir des gens du secteur avec qui j’ai noué des amitiés, de découvrir ce que font les uns et les autres. J’ai fait plusieurs salons, mais Esxence est celui que je préfère parmi tous. 

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DOSSIER « NICHE ET CONFIDENCES »

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