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Tout aussi attendu que le festival de Cannes et la finale de Roland Garros, le Simppar (Salon international des matières premières pour la parfumerie), organisé au nom de la Société française des Parfumeurs, s’est tenu les 1er et 2 juin 2022, après trois longues années d’attente. L’occasion de découvrir le fruit des dernières innovations et ingrédients qui pimenteront les créations futures mais aussi (et surtout !) de se retrouver enfin !
Après un report dû la pandémie, l’édition 2022 a manifestement attiré le public : 106 exposants, dont 57% d’étrangers et plus de 2000 visiteurs ! Tous venus sentir sans masque, s’embrasser, multiplier les accolades avec de vraies personnes, en chair et en volume ! Sans surprise, les thématiques « green-upcycling-éthique» que l’on a vues fleurir dans les communications ont imprégné les méthodes d’extraction, transformant joliment la palette du parfumeur. Impressions au pas de course (c’est qu’il nous faudrait trois jours pour parcourir tout ce salon !) et en images.
Je commence en beauté avec Robertet, intriguée par l’artiste japonais Dai Dai Tran en train de construire une sorte de rose géante faite à partir de touches colorées et de papiers recyclés. Le ton est donné : des déchets naît la beauté. On y découvre un santal album du Népal, un safran de Grèce, un bois de chêne et son délicieux côté liquoreux-armagnac, l’étonnant Civegan (une note animale obtenue en co-distillant du poivre blanc avec des écarts de patchouli), un son de riz et pour finir, le pétillant poivre du Sichuan vert extrait CO2 aux accents de verveine, citron vert et mandarine.
Chez PCW, c’est en famille que l’on me fait découvrir les nuances des différentes variétés d’encens : Boswellia occulta, assez aldéhydé, le carterii, plus classique, le Boswellia sacra, aussi appelé encens vert ou « luban » à Oman, et enfin le papyrifera, très frais, évoquant la verveine. Bien que connu pour ses vertus thérapeutiques, je n’avais jamais eu encore l’occasion de le sentir ! La myrrhe commiphora et sa note cuirée me rappellent… la combi de plongée! À retenir : le costus de l’Himalaya, un cuir au féminin assez fruité avec ses facettes osmanthus ! On me précise qu’on peut tout acheter en petites quantités, bon à savoir pour les parfumeurs indépendants !
Quittons le Moyen-Orient pour la Bulgarie : rose et lavande sont les ingrédients stars de Triglav-Edelveis. Je demande à la fondatrice comment se porte la filière de la lavande dans son pays face aux surproductions françaises, elle me fait part de son inquiétude par rapport aux pénuries à venir à cause du conflit en Ukraine. Au Simppar, on vit aussi l’actualité du monde en temps réel…
Que se passe-t-il, d’ailleurs, à l’autre bout du monde ? Destination l’Australie avec Quintis qui nous fait goûter la richesse du santal album à travers différents batchs : du lacté car plus riche en bêta-santalol, au plus poudré “cédré”, en passant par le plus “pamplemousse”. La société profite de l’occasion pour annoncer les dix finalistes de leur concours « Sandalwood Reimagined » Bravo à eux, le nom des deux gagnants sera dévoilé lors du WPC à Miami.
Au sud de l’Australie rejoignons la Tasmanie. Connaissez-vous le kunzea ? Sa note aromatique, assez terpénique mais plutôt originale provient d’un arbuste sauvage avec de jolies fleurs en pompons. Jonpaul de la société Jandico en profite pour me faire découvrir sa palette de noms exotiques : tea tree côtier (bien plus doux que le classique), le scoparium du sud (presque eucalyptus) et la rosalina du sud. A l’heure où le parfum s’intéresse à l’aromachologie, et au caractère actif des ingrédients pourquoi pas…
Transition toute trouvée avec Verger, dont le fondateur a justement quitté l’Australie (et son métier de banquier) pour retourner dans son pays originel, le Sri Lanka. Il nous invite à découvrir de très belles qualités d’extraits CO2 des ingrédients clés locaux : cannelle feuille et écorce, vanille, thé vert mais aussi un poivre blanc bien animal. À suivre de près !
Remontons plus au nord vers l’Inde, chez Jasmine Concrete. Cette année, de nombreux producteurs à la source comme Raja ont pris leur propre stand. On commence par son ingrédient star et inédit : un jasmin grandiflorum tout en fraîcheur traité en extraction CO2, suivi du petit frère sambac, bien fruité et dépourvu d’animalité. Sa tubéreuse est onctueuse, sa vanille excite les papilles ! (déjà quatre ans qu’il en rêvait) ; et enfin des lotus blanc, et rose. « C’est utilisé en parfumerie, ça? ». « Pour le marché japonais, c’est zen ! » Moi ce qui me rend zen, c’est de voir le sourire de Raja, même ses touches colorées portent la joie de vivre indienne.
Si vous cherchez l’exotisme, cap vers le Népal : Aarya Aroma propose de puissantes matières locales. Est-ce le terroir, ou le traitement, mais tous les ingrédients me paraissent différents : jatamansi, palmarosa, lemongrass, cardamome noire, poivre de Timur, menthe arvensis, jusqu’au calamus… J’ai checké mes vieilles notes d’étudiante en parfum et en ai retrouvé ma première description : « cheval qui se parfume à l’iris, rèche, cheveux gras ». Aussi, quand la fille du fondateur me propose d’en manger, bizarrement je ne suis pas très motivée… « Au Népal, on mâche les racines pour soigner les maux de gorge », m’explique-t-elle. Je prends le plus petit morceau qu’elle me tend, très riche en huile essentielle, et je comprends direct pourquoi il n’y a plus de problème de gorge : je n’ai plus de gorge !
J’atterris ensuite en Indonésie chez Van Aroma, au pays du patchouli. Joshua me fait découvrir des cristaux de patchoulol 99%, un composé naturel obtenu par distillation moléculaire et centrifugation. Ça je le mangerais bien en bonbon…
J’arrive enfin, par je ne sais quel miracle, à entrer sur le stand bondé de Nelixia – on comprend pourquoi : la douce effluve baumée et cuirée du gaïac attire les amoureux de l’ingrédient. Surtout quand il est traité avec soin. Cela me donne immédiatement envie de partir au Paraguay voir ces petits arbres se régénérer. Elisa Aragon, la cofondatrice, me montre ses dernières pépites : ambrette certifiée UEBT (tout comme le gaïac d’ailleurs), cardamome, baume styrax… Et me propose de goûter des graines d’ambrette. Après l’expérience précédente, j’hésite : on dirait des mini escargots… « Si, si, c’est bon, essaie !». Effectivement, c’est croquant-gourmand, avec un petit goût de céréales !
Même esprit d’authenticité chez Fair Oils : la société qui a fait ses armes en cosmétiques et en aromathérapie s’attaque aujourd’hui à la parfumerie fine. On peut y sentir les produits phares de Madagascar et du Kenya. L’équipe inspire confiance, (on y retrouve même un ancien de Firmenich !) : welcome dans le parfum !
A propos de Firmenich, dans l’allée principale, se murmurent dans l’ordre (et le désordre) trois lettres : SM… DSM ? – « Tu étais au courant, toi ? », « Mais non ! » Étonnement, stupéfaction, excitation, les avis s’échangent pour commenter la fusion de Firmenich avec le géant néerlandais, spécialiste de nutrition. Mais qui mange qui ? En attendant, la société suisse poursuit la collection « Beyond muguet » avec le très ozonique Muguissimo, présente à nouveau le Sylvamber et le puissant et boisé Z11 HD, la rose damascena Firad, obtenue par concentration de l’eau de rose, et une infusion de vanille planifolia.
Poursuivons avec les géants : IFF présente, côté synthèse, le Veraspice, une molécule épicée aux nuances de clou de girofle, légèrement vanillée, assez proche de l’iso-eugénol. Chez LMR, sa filiale pour les naturels, on découvre trois collections. La première célèbre les agrumes (orange douce et amère, limette, mandarine et bergamote, citron) et illustre l’implantation d’un centre d’innovation en Floride avec CitraSource. La deuxième regroupe les « Conscious green extracts » issus d’une nouvelle technique d’extraction utilisant un solvant vert mais chut !, c’est breveté ! Lavande, bourgeon de cassis, jasmin, narcisse (très original, pas vert, assez marc de café), un lavandin en enfleurage. La dégustation se termine avec des extraits CO2 dont l’excellent poivre Timur, aux accents de fruit de la passion.
Tiens, tiens, la promo de l’école Givaudan débarque au stand Capua, iconique pour ses agrumes (mais pas que !) Je défends ma place pour découvrir la technologie «Natprofile » qui recycle l’eau issue des extractions encore riche en composés volatils. Elle est récupérée des colonnes à résines, puis lavée à l’éthanol pour donner ces nouveaux produits plus doux, moins zestés appelés bergamote ou citron « Peel Water ». J’ai bien aimé aussi la Rose Water Natpro, le néroli qui fait très petitgrain, et la réglisse proposée en deux concentrations.
Mais au fait, où est le stand Givaudan ?
Chez Floral Concept, pendant que Marc-Antoine Corticchiato et Alexis Toublanc de Parfums d’empire découvrent la fabuleuse cire d’abeille andalouse et ses notes très ensoleillées (café, ambre, ciste, liqueur), Julien, le fils de la fondatrice Frédérique Rémy, m’explique que les abeilles butinent l’immortelle, ce qui donne cette note chaude, très « flamenco » ! Il me présente d’autres trésors : le bois de rose du Pérou, le petitgrain rectifié du Paraguay, et une ambrette qui me rappelle direct le Chanel N°18…
Et si on faisait une petite pause avec les distillations ? Place à l’innovation pure avec Naturamole, les molécules naturelles obtenues par biotech. Abdelkrim a créé sa société il y a 20 ans, et s’est depuis entouré d’une équipe de choc ! Si j’avais quelques millions à investir, ce serait ici (mais apparemment, je ne suis pas la seule sur le coup…)! Les molécules ont des noms qu’on oublie illico, mais elles sont fabriquées à partir de champi, ce qui fait bien triper…
Du stand de Naturamole à celui de Nez, il n’y a qu’un pas.
« J’ai adoré votre livre !», voilà la phrase qu’on entend en continu autour de notre sourceur-poète, Dominique Roques, qui enchaîne les signatures pendant qu’Anne-Laure Hennequin évalue notre culture parfum d’un tour de cartes.
Il est 19h, alors que je m’approche de la zone cocktail, je retrouve Sébastien, un ami parfumeur qui me fait découvrir sa nouvelle maison : Voegele. Tout en me faisant sentir un accord gaïac (décidément à la mode !), on me tend un verre rempli d’une boisson rose, de la même couleur que la moquette : « un gin-tonic à base de concentré ». « C’est sans alcool ? », « Natürlich ! ». Traquenard, je note.
Je me rends compte que je suis loin d’avoir visité tous les stands, il faut que je speede un peu. Je commence ma deuxième journée avec la sobriété japonaise : « More with less ». Tout est bien rangé chez Takasago, symétrie, chiralité, leur Hedirosa me remet le nez au carré avec sa note florale, fruitée, verte, un petit peu métallique. Mon moment préféré reste l’échange de cartes de visite offertes à deux mains à la japonaise, toujours avec révérence.
Trois petits pas plus loin, je regarde de plus près les jolies peintures qui viennent illustrer les molécules de Symrise : une autre façon de voir les notes à travers la couleur… mais que sent-on s’échapper d’à côté ? D’autres molécules bien connues…
Ce sont les notes échappées du stand Synarome ah ah ! où on compare les bases avec et sans Ambrarome, rhodinol, éthyl levulinate, vétiverol, algénone, et isopulegol, ah oui, c’est sûr, ça dépasse les fines cloisons de stands…
Chez Mane, Matthieu nous présente six ingrédients : le pamplemousse rose rectifié, le fameux jasmin grandiflorum en méthode enfleurage que je trouve très frais ; une spécialité appelée Greencatcher, constituée de 50% de bigarade : assez sympa, très propre.
L’exotique Cocotone obtenue par biotech (coco, tonka, amande, figue), le Vayanol , une note vanille girofle qui m’évoque le pop corn, rigolo ; et le patchouli Gayo, en Pure Jungle Essence, joli avec son effet salé, presque mousse de chêne.
Je m’attaque à Payan Bertrand, le stand « comme à la maison », aussi bondé qu’une cuisine en soirée. Certains ingrédients m’ont déjà été cités comme incontournables, et j’ai envie de tout rapporter : résinoïde gentiane, baies roses CO2, extrait de copeaux de chêne, extrait de lentisque décoloré, résinoïde d’iris DM très cacao-fruits rouges, et enfin la fameuse fleur de cuir Process E dont la réputation précède l’olfaction : si vous aimez la fourrure de chat et l’abricot qui arrive à pas de velours, cet ingrédient est fait pour vous !
Chez Bontoux, je retrouve Maxime de Scentree – c’est aussi ça le Simppar, on commence à sentir avec l’un puis on termine avec d’autres. Marine nous délecte de sa lavande pure cœur, avant d’envahir le stand d’un débouché de flacon de l’huile essentielle d’amande amère : « c’est fait à partir de noyau d’abricot », « Ah bon ? je ne savais pas ! »
Chez Biolandes, je me console du départ en retraite de Renaud, en sentant avec Cédric les dernières découvertes qui elles aussi ont leur petit succès : un extrait de pop corn très gourmand, aux notes de cacao, beurre, lait chaud, iris. Un composé très étonnant : le vétiver by absolue, produit à partir de drèche de la plante, ce qui lui donne une note fumée mais aussi copeau de chêne-armagnac, très original ; un ylang ylang bien fruité pour une huile essentielle complète, et un encens d’Oman Boswellia sacra.
Le hasard veut que je termine avec les ingrédients d’Égypte. Chez Hashem Brothers j’apprends que le pays rivalise avec l’Espagne en matière d’agrumes. J’y sens du petitgrain d’orange douce, très aromatique, et des spécialités maison : le néroli sur fruit, entre fleur et zeste ; le petitgrain sur fleurs ; une essence de jasmin, mais oui, c’est possible ! Leur basilic verveine est fabuleux et je termine pour le plaisir sur la feuille de tomate, l’absolue d’épinard et l’absolue de feuille de violette que j’avais déjà senties la dernière fois.
Chez Fahkry, Husein me fait découvrir sa fierté : une nouvelle essence de jasmin très rafraîchissante que je verrais bien dans un accord thé vert. Sortons des sentiers battus avec la feuille d’olivier, l’absolue ortie qui évoque le cresson, et l’absolue artichaut, entre rose et cacao poudré. Et comme on aime tous les deux les notes dites du passé mais qui feront peut-être l’avenir de la parfumerie, on termine avec l’absolue de cassie aussi poudrée qu’un pompon de mimosa, et son admirable œillet, miellé à souhait : on en ferait volontiers un Opium 2023. De jolies matières qui illustrent tout l’amour que le couple y met !
17h40, retour à la réalité, les organisateurs démontent subitement les lampes, la moquette couleur gin tonic est dégrafée, aussi vite que le tapis rouge du festival de Cannes. Adieu ingrédients champions, je repars du Simppar repue.
Mais on se retrouve l’année prochaine ! Le report de l’an passé nous permet de gagner un an ! Youpi !
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A noter, vous retrouverez certains des exposants du Simppar cités dans cet article dans notre ouvrage, publié en 2021 à l’occasion des 30 ans du salon et ré-édité en juin 2022 : De la plante à l’essence – un tour du monde des matières à parfums (Biolandes, Bontoux, Capua, Fahkry, Firmenich, Floral Concept, Givaudan, Hashem Brothers, LMR naturals, Mane, Naturamole, Nelixia, Payan Bertrand, Quintis, Robertet, Symrise, Takasago, Van Aroma, Verger Naturals).
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Quel bel article! Agreable a lire, frais et tellement pro en meme temps!
Bravo Aurélie, Bravo l’equipe NEZ!
Virginie