Cette publication est également disponible en : English
Grand rendez-vous mondial de la parfumerie de niche, le salon milanais Esxence s’est tenu à l’abri du soleil de juin, dans un grand hall transformé en un labyrinthe de marques. Tour d’horizon des découvertes et lancements à venir.
Dix heures du matin, trente degrés, une foule s’amasse devant le Milano Convention Centre, au milieu d’une zone en travaux. Mais une fois le badge récupéré, la lumière tamisée, les néons évoquant la boîte de nuit et le bruit feutré des talons sur le sol moelleux nous font passer dans le monde précieux de la niche. Le thème, cette année : « Through the Mirror ». C’est en effet un monde parallèle qui s’ouvre à nous, avec son aspect labyrinthique. Je décide de procéder avec méthode, et commence par aller à la rencontre de Nomenclature, face à moi. La marque new-yorkaise, qui met en avant les molécules de synthèse, présente une nouvelle collection nommée « Modern Eclectics ». Minted est un thé vert à la menthe, avec des facettes fruitées et de concombre. Wood Dew évoquerait la nature après l’orage, avec ses notes de bois humide et lacté, de fruits et de violette. La Neo Rose est presque métallique, épicée et boisée. Pink Ivory est le plus sucré, un peu melon, assez gustatif. Ma préférence va au jasmin à l’ouverture hespéridée et feuille froissée de Palmetto, mais le fond est plus conventionnel.
J’avance jusqu’au stand de Miller et Bertaux : cela fait longtemps que je n’ai pas croisé ces flacons ! Justement, un petit nouveau est lancé à l’occasion du salon : Aymara promet de nous porter en Bolivie, avec ses notes de cardamome et de cumin, mariées aux bois, à l’encens et à l’ambre… « Ah, mais vous avez un stand pour Nez ? » me demande mon interlocutrice, étonnée. Oui, au sous-sol. « Ah, mais il y a un sous-sol ? » Oui, il suffit de prendre à gauche, encore à gauche, puis tout droit, à droite, à gauche… Un vrai jeu de piste. Le concept est lancé : après les speakeasy, le Nez-easy (mais pas easy à trouver malgré tout).
À l’angle, j’aperçois Etienne de Swardt, le fondateur d’État libre d’Orange. Il me présente Frustration, une vanille qui nous parle de désir amoureux, signée Mathilde Bijaoui chez Mane. Vendu en exclusivité chez Selfridge depuis janvier, le parfum sera désormais diffusé de manière plus globale dans la collection « baroque ». J’ai un effet pop corn à l’ouverture, qui me rappelle La Fin du monde de 2013. L’ensemble se révèle crémeux et appétissant, entre cannelle, marron glacé, vétiver et, évidemment, vanille.
Ambiance pop et estivale sur le stand de Carner Barcelona, qui présente sa gamme « Summer Journey ». Baignade matinale avec Sal y limon, qui comme promis est zesté, iodé et me rappelle… une tequila paf ! Le fond boisé semble offrir de longues heures de tenue. Même aspect salé dans Tennis Club – quelques gouttes perlant sur une peau échauffée par une partie de raquette ? Plus néroli et plus musqué, il est aussi un peu plus complexe que le premier. Proposé pour les soirées, Super Moon évoque la couleur de cette lune par ses fruits rouges, et un cassis légèrement acidulé – mais pas assez pour me faire oublier l’aspect sirupeux un peu trop présent.
Les stands s’enchaînent, dans une blancheur éblouissante, au détour d’odeurs de fleuriste, d’ouds rosés et de notes fruitées qui se succèdent, se mêlent et se répètent avec le rythme d’un rêve éveillé. « Ah, mais il y a un sous-sol …? » J’ai perdu, comme le lapin d’Alice, toute notion du temps. Mais j’arrive un peu par hasard sur un stand inconnu – au nom pourtant familier de Nōse perfumes. Day Off, une tubéreuse boisée et baumée, Meadow Tea, à la fois vert et résineux, ou encore Lumberman, un cuir animalisé et tabacé, me laissent penser que cette marque indépendante originaire de Russie, et encore non distribuée en France, aime travailler des matières chaudes, loin de la fraîcheur espagnole que je viens de quitter.
C’est cette même densité que l’on retrouve dans la nouvelle création que me présente Hiram Green, du nom d’Arcadia, cette région grecque plongée dans la mer Egée. Le parfumeur s’est inspiré de la vision idyllique de la nature que ce lieu véhicule, pour construire une fougère à l’ouverture aromatique, où une lavande miellée fait écho à la résine que l’on imagine perlant sur les arbustes méditerranéens, enracinés dans un sol sec révélé par un patchouli terreux. Une composition 100% naturelle, comme les précédentes.
Ambiance bucolique et chants d’oiseaux s’élèvent du Jardin retrouvé, verdoyant et calme comme un havre de paix au milieu du tumulte environnant. Sur mon chemin pour retrouver le stand caché de Nez, je croise Anatole Lebreton, et en profite pour sentir sa future création – mais chut ! Nous en saurons plus à l’automne prochain.
Une conférence m’attend, au sous-sol, justement. Marta Siembab nous y parle des innovations autour de l’odorat. Dans le champ de la santé, des dispositifs sont pensés pour repérer les changements de perception olfactive d’une personne, considérés comme un bon indicateur pour certaines pathologies. Elle nous explique aussi que les études récentes expliquent la cacosmie (trouble de l’odorat caractérisé par la perception persistante d’une odeur désagréable) par la présence d’une molécule spécifique qui serait mal traitée par le cerveau ; et nous parle des traitements pour ces troubles qui se développent depuis la pandémie.
Sur le plan de la création, après avoir évoqué les outils d’intelligence artificielle mis en place dans les maisons de composition, c’est le développement du dispositif par le Tokyo Institute of Technology qui est mis en avant : celui-ci permettrait de recréer l’illusion de percevoir des senteurs complexes, avec seulement une vingtaine de composés odorants.
Marta Siembab évoque également les différentes tendances, de la « functional fragrance » – qui prend en compte les effets des parfums sur nos émotions – au do it yourself et à ses problèmes en matière de sécurité et de régulation,; ou encore la blockchain qui offre une traçabilité des créations.
Ce sont ensuite les différents parcours olfactifs proposés dans les musées qui sont évoqués – ça tombe bien, nous vous en proposons une mise en perspective sur le site de Nez ! Enfin, selon l’intervenante, plusieurs sociétés cherchent à développer des dispositifs afin de nous faire sentir à travers nos écrans, agrémentant les futures réunions Zoom, mais aussi le tourisme virtuel. L’odeur serait-elle la dernière clef de l’expérience en ligne ? C’est sur cette question, et un peu frigorifiée, que je quitte la salle de conférence, retrouvant les tables polychromes de Nez juste en face.
Retour « en haut », où Karine Torrent, la fondatrice de Floratropia – dont vous pouvez lire l’entretien ici –, me fait sentir deux futures créations réjouissantes, encore en cours de développement.
Mais je change rapidement d’ambiance : intriguée par l’univers gothique et le personnel tout de noir vêtu de Coreterno, je m’approche timidement. La marque, lancée en 2014, me présente Hardkor, dont les notes très fruitées et sirupeuses à l’ouverture sont contrastées par un fond cuiré et fumé, aux intonations d’oud bien présentes.
De l’oud toujours chez Histoire de parfums, qui lance Encens roi, une création autour de l’oliban – la matière préférée de son fondateur, Gérard Ghislain, qui lui a d’ailleurs consacré toute une marque baptisée Olibanum, présente au stand d’à côté.
Soudain, passe un troupeau d’influenceurs qui sautillent derrière leur selfie de groupe et attirent mon attention sur le stand de Perfume Sucks, au nom provocateur, tout comme les boîtes – des tubes de papier toilette. Le parfumeur suisse Andreas Wilhelm a fondé sa propre marque en 2017, après une carrière au sein de maisons de compositions. Il a choisi d’imprimer sa formule sur le flacon, et propose plusieurs kits de parfumerie – un « perfume hacking kit » pour créer soi-même deux parfums de la collection, et des coffrets d’apprentissage de matières premières. Parmi les créations, aux noms de couleurs, ma préférence va à Living Coral, un iris cosmétique un peu gourmand.
Mais je commence à fatiguer : traversant une déferlante de parfums boisés et épicés, de roses orientales et de fleurs blanches indolées, je cherche la sortie, me trompe dix fois de chemin, et finis par retrouver la lumière du jour, la morsure du soleil, l’odeur de jasmin dans les rues milanaises, le chant de la ville et du petit métro qui la traverse, comme venu d’un autre temps. Ouf, je respire à nouveau !
Deuxième jour. Après une nuit de sommeil où je rêve de mouillettes, de labyrinthe et de néons, et deux tout petits cafés à la mode italienne, me voilà de retour sur la piste.
Je profite de la relative place disponible pour m’aventurer sur le stand de Filippo Sorcinelli, dont le décor noir, plastifié et orné de tableaux attire les hipsters du salon, à l’image du fondateur (lui-même orné d’une barbe et de tatouages). Aux côtés de sa nouvelle collection de produits pour le corps nommée « SuperFluo? » est présenté Lux visionaria, créé en collaboration avec la journaliste Bianca de la Garza. Un encens froid, fumé et presque humide s’élève, réchauffé d’une graine d’ambrette musquée, de fleurs blanches solaires et surtout d’un fond ambré vanillé. Mais la foule me force rapidement à quitter le lieu devenu bondé, laissant mon hôte se faire happer.
Le stand Panouge s’éclaire quelques pas plus loin, et je demande à sentir l’extrait Iris de Fath, lancé en 2018. On m’apprend qu’une version eau de parfum, également signée Patrice Revillard, sera proposée au début de l’année 2023 : joie ! En septembre 2022 sortira Vétiver gris, créé par Jean Christophe Hérault d’IFF, qui propose un traitement assez gourmand de la racine, avec un accord noisette. Chez Isabey, repris par le groupe en 1999, c’est Avant et après, un bouquet de fleurs blanches sucré-salé qui sera mis sur le marché en octobre ; et début juillet, la très jolie bougie Fleur de gardénia composée par le même Patrice, où l’on perçoit même légèrement la facette champignon de la plante.
Au détour d’un croisement, porté dans les bras de sa propriétaire – qui a peut-être voulu par là faire un pied-de-nez au terme de niche – un chien me regarde, le cœur battant. Je trouve l’image amusante, quand on sait que ceux-ci ont 44 fois plus de récepteurs olfactifs que les humains. Apprécia-t-il plus la parfumerie moyen-orientale et ses ouds animalisés ou les hespéridés espagnols pour le rafraîchir de cette canicule qu’il ne supporte plus ? L’histoire ne nous le dit pas.
Mais le stand de la photographe et parfumeuse Christèle Jacquemin me sort de ces questions métaphysiques et me plonge dans la contemplation esthétique. Chacune de ses compositions met en parfums l’un de ses clichés, pris dans différentes villes du monde. Je découvre notamment les trois dernières créations, Echoes of Silence, inspiré de Murcie en Espagne, très vert et hespéridé, avec des facettes de citronnelle ; Slow Life, pour la ville d’Okubo au Japon, à la fois animal et vert – le nard, m’explique Christèle – ; et enfin Enlightenment, une sauge poivrée froide et irisée, créée en hommage à La Foux d’Allos, une station de ski française. Une parfumerie signée et soignée, qui fait plaisir à sentir.
Plusieurs nouveautés sont également mises à l’honneur chez Pont des arts, dont je connais bien l’oriental À ce soir de Bertrand Duchaufour. Il a aussi signé un hommage au vétiver avec Next Tee, un boisé aromatique ouvert par une note juteuse et épicée de pamplemousse. Je découvre également Chukker, avec son oud floral et cuiré, Jardins des Avelines, un floral fruité musqué, Cologne Vendôme, une eau chyprée aux allures vintage et enfin On Board, un aquatique salé et fruité – décidément, la note salée est à la mode.
Dernière découverte de la journée, The Harmonist est l’une de ces marques travaillant sur des « functional fragrances » – nous les avions évoquées plus tôt, vous suivez ? Elle est fondée sur la philosophie du feng shui et les compositions sont déclinées en versions noires et blanches – pour le yin et le yang. Au côté de la collection existante, trois nouveautés me sont présentées : Yin Transformation, aqueux, cotonneux et musqué ; Moon Glory, un bouquet de fleurs blanches miellées ; et Sun Force, un boisé épicé plus conventionnel.
Son nom me rappelle que dehors, le soleil brille encore. Comme moi, certains cherchent la porte de sortie et s’éloignent lentement, comme d’une soirée arrosée, leurs yeux tentant de se faire à la lumière encore éclatante d’un jour trop chaud. Du gothique hipster à la femme d’affaire tirée à quatre épingles, de la modeuse surmaquillée au représentant extravagant, chacun retrouve les rues milanaises, posant leurs pieds sur le bitume fondu, prêt à aller siroter son spritz bien frais.
- Plus d’informations sur Esxence : www.esxence.com
Cette publication est également disponible en : English
Commentaires