Juliette Karagueuzoglou

Le développement durable, moteur d’innovations – Juliette Karagueuzoglou (IFF)

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Des techniques agricoles aux méthodes d’extraction, et jusque dans l’engagement auprès des cultivateurs, le développement durable incite l’industrie à repenser de nombreuses pratiques liées aux ingrédients naturels. Parfumeur senior chez IFF, Juliette Karagueuzoglou détaille les différents champs d’innovation de Laboratoire Monique Rémy (LMR). Pionnière d’une démarche durable dès sa création au début des années 1980, cette petite société grassoise a démultiplié son activité depuis son intégration en 2000 par IFF, dont elle produit aujourd’hui 70 % de la palette d’ingrédients naturels.

Quels types d’innovations le développement durable inspire-t-il dans le domaine des naturels ?

Chez LMR, le développement durable influe sur chaque étape de la chaîne, que l’on cherche à maîtriser et à améliorer autant que possible. Nos neuf ingénieurs agronomes et chercheurs en biologie végétale, basés à Grasse, sont affectées chacun à une plateforme – c’est-à-dire une région du monde où nous avons plusieurs filières (Inde/Indonésie, Turquie, Provence…) –, ce qui leur permet de créer dans la zone concernée des partenariats forts, souvent sur le long terme. Chaque semaine, ils échangent avec un groupe de 8 parfumeurs, dont je fais partie, afin que nous puissions guider leurs travaux en fonction de nos besoins. Pour une plante donnée, le premier enjeu est celui de la sélection variétale : en étudiant en profondeur chaque espèce, ils identifient celle qui sera la plus intéressante pour nous. Puis, de la plantation jusqu’à la récolte, ils cherchent à mettre en place les meilleures pratiques agricoles qui préservent les ressources tout en améliorant le rendement et la qualité finale de l’ingrédient. Nous avons un champ expérimental, à Grasse, où nous essayons différentes pratiques que nous testons ensuite en conditions réelles, sur le terroir concerné, avant de former et sensibiliser les agriculteurs à ces nouvelles façons de faire. En Turquie, par exemple, les locaux cueillaient la rose ouverte, or on s’est rendu compte que c’est fermée, lorsqu’elle a moins été exposée au soleil, que la rose est la plus chargée en huile essentielle. Enfin, la partie extraction constitue elle aussi un vaste terrain d’innovation : nous cherchons les techniques les moins énergivores pour le meilleur rendement. Nous avons ainsi pu faire certifier un bon nombre d’ingrédients dans ce sens avec des labels comme For Life, FairWild ou encore Ecocert.

Que permet aujourd’hui le surcyclage (upcycling) ?

Initié chez LMR il y a dix ans avec la Rose Ultimate, il nous permet de valoriser des sous-produits qui, autrement, finiraient à la poubelle. Par exemple, on a développé une essence de curcuma à partir de ses feuilles : comme c’est le rhizome de la plante que l’on extrait traditionnellement, celles-ci étaient jetées par les agriculteurs, alors qu’elles s’avèrent intéressantes olfactivement. En France, on récupère les copeaux de bois de chêne d’un fabricant de tonneaux pour vins et spiritueux : de ces déchets, on crée une essence boisée aux accents fumés, lactés et vanillés.

Outre la création de nouveaux ingrédients, êtes-vous amenés à réviser les processus liés à des matières premières existantes ?

Oui, bien sûr. Les extractions de matières nécessitent souvent de la chaleur, et donc beaucoup d’énergie. À Madagascar, où les ressources sont particulièrement précieuses, on essaie d’optimiser tout ce que l’on a déjà. Par exemple, après avoir distillé des écorces de cannelle, on les fait sécher et on s’en sert comme combustible pour la distillation suivante.

Quelles nouvelles opportunités cette démarche de développement durable génère-t-elle pour les parfumeurs ?

Des notes inédites, dont beaucoup d’ingrédients captifs [exclusifs, non commercialisés] qui participent à notre signature. Mais aussi une autre façon de réfléchir : la logique de développement durable titille notre curiosité et ouvre de nouvelles perspectives à des produits naturels inchangés depuis des décennies.

Cet entretien est tiré de :
Le Grand Livre du parfum – Pour une culture olfactive, 2e édition augmentée, 240 pages, Collectif, Nez éditions, 2020, 30€

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