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En 2022, un accord a été noué entre Amouage et le ministère de l’Héritage et du Tourisme d’Oman pour relancer la filière de l’encens dans le sultanat. Une initiative qui se place dans la continuité de l’inscription, en 2000, de la Terre de l’encens au patrimoine mondial de l’UNESCO, comme l’explique Renaud Salmon, directeur de la création de la maison de parfum omanaise. Rencontre.
Pourquoi vous a-t-il semblé nécessaire de lancer une nouvelle filière de l’encens à Oman ?
Depuis quelques années déjà, il existe un intérêt croissant dans l’industrie du parfum pour parler d’ingrédients d’origine naturelle avec un minimum de transparence : fleurs, bois, certaines résines… Mais l’encens ne semblait pas concerné. Or, c’est un ingrédient clé pour les parfums Amouage et pour le sultanat d’Oman. Pas uniquement un ingrédient, d’ailleurs, mais un arbre clé, sur les plans historique, culturel et économique. Historiquement, cette matière première a toujours généré beaucoup de business autour d’elle : il y a des traders, de nombreux intermédiaires… Et le fait que la résine passe de main en main complique singulièrement la possibilité d’assurer la traçabilité de l’encens. De façon paradoxale, les meilleures qualités d’encens sont censées être à Oman, mais en réalité il y en a très peu sur le marché. Même ici.
Alors, d’où vient l’encens d’Oman aujourd’hui ?
L’encens d’origine omanaise est récolté dans toute la région du Dhofar, dans le sud du pays. En 2000, quatre sites de la région correspondant à cette Terre historique de l’encens ont été inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. La route commerciale de la précieuse résine rejoignait l’Inde, la Chine et la Mésopotamie, d’un côté, et, de l’autre, traversait le Yémen depuis la région de Salalah, puis l’Arabie saoudite avant de remonter vers Alexandrie et vers l’Europe.
Pourquoi avoir choisi le Wadi Dawkah pour relancer la filière de l’encens omanais ?
La particularité du Wadi Dawkah est d’être situé sur le plateau du Dhofar, entre la sécheresse du désert et l’humidité de la mousson, et de bénéficier ainsi de conditions climatiques potentiellement idéales pour la culture de l’arbre à encens. Dans cet oued, les arbres historiques poussent de manière sauvage. Le projet d’Amouage, en association avec le ministère de l’Héritage et du Tourisme du sultanat d’Oman, est de produire et de récolter l’encens pour la parfumerie sur les quelques kilomètres carrés du site. Jusqu’ici, aucun arbre n’était exploité en ce sens sur le territoire, à peine quelques récoltes sauvages de-ci de-là. Aujourd’hui, le Wadi Dawkah sert de projet pilote pour l’industrie de l’encens à Oman. Il sera aussi un refuge pour des arbres qui devraient être transplantés depuis d’autres zones.
Comment ça, transplantés ?
Les arbres à encens ont la caractéristique d’être extrêmement résistants et de pousser très facilement. Deux qualités qui les rendent aisément transplantables d’un lieu à l’autre. On estime que la capacité d’accueil de l’oued est d’environ 15 000 arbres. Ils pourraient rejoindre le site à raison de 5 individus par jour, et ce pendant dix ans. Une densité qui permettrait aux visiteurs de mieux comprendre le développement des arbres.
Vous parlez de « forêt intelligente », qu’entendez-vous par là ?
Ce concept a surgi dans de nombreux discours depuis quelques années. Il s’agit de géotaguer chaque arbre, afin de pouvoir comprendre l’évolution du cheptel d’arbres et de tracer l’origine des gommes. Chaque arbre est ainsi rendu traçable par l’établissement d’une carte d’identité qui sera accessible grâce à un QR code, une base de données où seront notées toutes les caractéristiques essentielles le concernant : ses évolutions, ses mesures descriptives, la liste de ses maladies ou de ses blessures…
Une première récolte de résine a eu lieu en octobre 2023, qu’a-t-elle révélé ?
Que la filière est en chantier ! Cette récolte expérimentale est un jalon fondamental dans l’avenir de la filière et son développement. Elle a en effet pour objectif de déterminer les meilleurs moments de l’année pour récolter, mais aussi de qualifier les différentes qualités de résine obtenues selon les zones de l’oued où elles ont été prélevées. Une étape visuelle, esthétique, où se jugent la couleur, la taille, l’apparence, avant de pouvoir procéder à l’analyse des composants lors de la distillation et à l’évaluation olfactive. Nous étudions également l’impact de la poussière sur les jeunes arbres à encens, notons l’influence de l’altitude ou de la proximité de la mer sur la qualité de la résine. Il semblerait que l’humidité de l’océan augmente le nombre d’impuretés dans les larmes d’encens.
Quelle serait la particularité de ce nouvel encens d’Oman ?
Ce qui le rendrait unique, c’est qu’il serait extrait d’un arbre appartenant à une terre distinguée par l’UNESCO. Par ailleurs, il se dit que la qualité de l’essence d’encens qu’on tire des arbres de la région du Nadj où se trouve le Wadi Dawkah est exceptionnelle (avec une teneur en alpha-pinène supérieure à 70 %).
À qui sera-t-il destiné ?
Une partie des larmes d’encens sera réservée au commerce local, dans la boutique du Wadi Dawkah, par exemple. Mais toute la production d’essence d’encens provenant du site sera d’abord utilisée par Amouage exclusivement. Une fois les besoins de la maison assurés, rien n’empêchera d’en faire profiter les parfumeurs du monde entier. Car l’huile essentielle devrait être destinée en priorité à la parfumerie fine, et non plus à l’aromathérapie, qui est pour l’instant le principal secteur acheteur de l’encens. Je suis persuadé que cette nouvelle filière va tirer toute l’économie d’Oman vers le haut.
Une unité d’extraction va également être créée à l’entrée du Wadi Dawkah. Pour quelle raison ?
Chez Amouage, nous sommes convaincus que le circuit de transformation le plus court est aussi le plus vertueux. Il s’agit ainsi de transformer l’encens et d’extraire l’essence au plus proche du lieu de récolte. On ne voudrait pas d’une résine produite à Oman qui soit transformée ailleurs et qui revienne ensuite sous forme d’huile essentielle pour être utilisée dans nos parfums !
Cela a aussi un intérêt didactique. En créant une petite unité de distillation proche de l’oued, nous avons fait le choix de distiller la production du site petit à petit, et non pas en quelques jours. Cela permet à la transformation de s’étaler dans le temps, et à davantage de visiteurs d’en profiter.
Quelle est la place du volet tourisme dans le projet d’établir une filière ?
Il est central ! L’un des avantages du classement par l’UNESCO est que les sites distingués sont valorisés auprès d’un public très large. Nous pensons que la question du tourisme est directement liée au développement industriel de l’ingrédient. Il nous faut aussi avancer main dans la main avec tous les autres acteurs concernés par le site, comme les tribus locales avec leurs troupeaux de chameaux, et conjuguer le fait de fournir les meilleures conditions de croissance aux arbres avec celui de laisser à ces tribus un accès à l’oued et de créer de l’emploi local. Produire un encens de qualité à un prix juste dans le respect des populations et la protection des arbres, voilà notre pari.
Visuel principal : © Renaud Salmon
AU SOMMAIRE DE NOTRE GRAND DOSSIER « WADI DAWKAH »
- Oman, une position stratégique dans le Golfe
- Dominique Roques : « Travailler sur un projet multifacettes autour de l’arbre à encens est une opportunité merveilleuse »
- Renaud Salmon : « Le Wadi Dawkah sert de projet pilote pour l’industrie de l’encens à Oman »
- Wadi Dawkah, la terre de l’encens (Podcast)
- Le parfum, un véritable mode de vie au Moyen-Orient
- Sterenn Le Maguer-Gillon et Dominique Roques – Wadi Dawkah : La Route de l’encens (Podcast)
- La Route de l’encens, par Sterenn Le Maguer-Gillon
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