Lorsqu’un amoureux de la nature s’associe aux parfumeurs qui savent la magnifier, de créatives idées bourgeonnent pour honorer les bois. Fabrice Croisé fait ainsi pousser chez IFF une étrange forêt de parfums.
En ce début de printemps, la neige saupoudre encore la forêt de sapins de son manteau de givre. Bientôt, une richesse infinie se révélera avec la fonte de la glace : les arbres retrouveront leur parure émeraude et surtout, leurs effluves pourront à nouveau se répandre. Fabrice Croisé, le créateur de la marque L’Âme du bois, en sait quelque chose : il s’est installé à Park City depuis plusieurs années, au beau milieu de la nature pour savourer les paysages encaissés de l’Utah, au centre ouest des États-Unis. Après avoir commencé sa carrière au développement des parfums Lancôme chez L’Oréal, le fondateur a longtemps travaillé dans une agence de publicité spécialisée dans le luxe. Puis la création l’a rattrapé : en 2014, il explore le territoire olfactif des fleurs : en collaboration avec le célèbre fleuriste américain Éric Buterbaugh, il fonde la société EB Florals, vendue depuis à Puig. Fort de ce succès, l’entrepreneur se lance dans un nouveau projet et décide de poursuivre la découverte du végétal en s’intéressant, cette fois, à la famille des bois.
Français, américain et japonais… La maison se décline en trois langues distillant trois identités ! Voici une originalité dont le fondateur s’amuse encore : « Avoir trois noms, c’est effectivement à l’encontre des principes du marketing ! » L’intitulé change ainsi selon le pays où les produits sont distribués, et détaille, comme une histoire qui se raconte, le parcours des effluves sylvestres, de l’arbre sur pied jusqu’au flacon. ShinrinYoku en japonais signifie « bain de forêt » et évoque un moment de promenade méditative, imprégné de l’énergie des arbres. L’Âme du bois rappelle l’étape de vieillissement en barrique, lorsque l’alcool macéré dans un fût de spiritueux se charge de la patine du temps. Enfin Scents of wood exprime l’étape ultime, c’est-à-dire le résultat du travail de parfumeur.
IFF, un partenaire à la source
En 2020, alors que l’industrie du parfum se fige soudainement, devenant alors aussi immobile qu’un arbre, Fabrice Croisé commence à écrire son histoire. La marque se présente comme « une lettre d’amour à la forêt, un hommage rendu à la beauté des bois ». Elle ne parle ni de lieu, ni de personnalité, mais s’ancre directement dans l’olfaction : « les bois parlent à tous, leurs noms évoquent une histoire directement lisible pour le consommateur » explique le créateur. Et pour aller plus loin dans le concept, pourquoi ne pas faire vieillir un alcool bio dans des barriques en bois ? Une idée un peu folle qui séduit immédiatement Nicolas Mirzayantz, à l’époque président international de la division Parfums et Arômes chez IFF. Le défi technique mérite d’être relevé, la maison de création américaine s’investit alors totalement dans le projet et conclut un partenariat exclusif avec la marque. Entre Paris et New York, huit parfumeurs signeront ainsi les parfums de la gamme.
Une forêt intime
Le fondateur a d’ailleurs développé une façon très originale d’inspirer ses parfumeurs. « Je leur propose de fermer les yeux et de me parler de leur forêt personnelle. Quels sont les bois qui ont joué un rôle dans la construction de leur personne actuelle ? », questionne Fabrice Croisé. Dès lors, tout souvenir sert de support pour raconter une histoire : la forêt où on se promenait avec son grand-père, l’arbre dans lequel on a bâti sa première cabane en compagnie de son frère, où encore un effluve boisé senti dix ans plus tôt et que l’on n’aurait jamais oublié. « Lorsque le parfumeur recherche dans sa mémoire et identifie un bois de son enfance, je l’arrête : “ Partons de là ! ” et la création commence… » explique-t-il.
Prunier en cognac (Plum in Cognac), le best-seller de la collection, est né de ce type d’échange avec Pascal Gaurin. Le parfumeur, qui vit à New York, a immédiatement pensé au prunier de la maison de son enfance dans lequel il grimpait petit, et à ses prunes violettes, « succulentes et juteuses ». Confit de notes de caramel, de vanille et de cannelle, le fruit se fond dans un accord gourmand et épicé, délicieusement décadent. « Il s’agit d’une composition assez sombre qui parle également du rapport que l’on pourrait avoir avec l’addiction », précise le parfumeur, dont la création rappelle aussi les effluves de tabac et de rhum. Enfin, en petites touches subtiles, les volutes fumées de vétiver et de ciste ponctuent l’histoire, en mémoire des branches et herbes sèches que Pascal Gaurin, encore petit, faisait brûler dans son jardin le dimanche, et dont la fumée imprégnait ses vêtements. « C’est une composition qui est directement ancrée dans un souvenir personnel » apprécie Fabrice Croisé, « et je suis persuadé que cela se ressent, que cela touche le consommateur de façon sincère ».
Vieilli en fût de bois
Comme une extension de la palette du parfumeur, l’alcool bio utilisé est vieilli en barrique de spiritueux, en l’occurrence le cognac pour cette dernière création. Le bois imprègne ainsi la composition et lui apporte sa patine incomparable. « Il s’agit d’un fût d’eau de vie que j’avais acheté à Cognac et dans lequel vieillissait le spiritueux depuis une dizaine d’années. Les notes de cognac résonnaient de façon divine avec l’accord rhum et prune de Pascal », explique Fabrice Croisé. Tous les produits de la gamme suivent d’ailleurs cette même démarche, selon un procédé tenu secret que la société IFF a mis au point dans ses usines. Clin d’œil aux méthodes ancestrales – infusion de vanille ou encore de musc dans l’alcool – que les parfumeurs utilisaient avant l’avènement de l’industrialisation ? Peut-être, mais avec une différence majeure : ici, c’est l’alcool lui-même qui vieillit dans une pièce de bois, captant ainsi toute la substance olfactive de celle-ci. Il est vrai que l’élément principal d’un parfum, sa part alcoolique, est bien souvent considéré comme un solvant, une composante peu noble du produit. « Plus l’alcool qui compose le parfum est pur, moins il interfère avec le concentré. Je me suis demandé ce qui se passerait s’il n’était plus un élément invisible de la composition, mais un ingrédient de plus dans la palette du parfumeur », explique le fondateur. Un alcool enrichi, en quelque sorte. C’est ainsi que Fabrice Croisé a commencé à collectionner les tonneaux de bois, chaque fois qu’il en trouvait au fil de ses voyages, de Cognac au Kentucky, en passant par l’Écosse. Parfois il s’agissait de fûts anciens qui avaient prêté leur âme à de nombreux spiritueux, parfois ces fûts étaient neufs, imprégnant les créations de leur essence terreuse et puissante, réminiscence d’une précédente vie d’arbre. Chaque fût distille ainsi ses nuances variées, tantôt ambrées, tantôt boisées, toujours riches et profondes. Le choix de l’essence se fait de façon très expérimentale : « nous sentons différents essais et choisissons avec Fabrice le meilleur couple création/barrique », détaille Pascal Gaurin. Le temps de vieillissement de l’alcool diffère alors selon les bois : l’acacia qui est en général utilisé pour les vins blancs est plus subtil, sa macération prendra environ huit semaines ; tandis que le cognac, plus puissant, est aussi plus rapide : deux semaines suffiront pour teinter l’alcool de ses nuances liquoreuses. À ce jour, la marque a expérimenté cinq types de fûts neufs : chêne américain, chêne français, châtaignier, acacia, bois d’hinoki ; et quatre fûts millésimés jadis dédiés au cognac, calvados, whisky au seigle, bourbon puis sirop d’érable.
Une source d’inspiration inépuisable
La collection complète compte aujourd’hui trente-trois parfums, de quoi parcourir toutes les facettes qui s’accordent aux essences de bois : ambré, gourmand, frais, fleuri, vert, cuiré…. Pascal Gaurin, qui a en signé neuf, se souvient qu’il s’était attaché à explorer des thèmes inédits pour la deuxième année de création, recherchant davantage la fraîcheur des notes boisées. Cèdre en Acacia (Cedar in Acacia), qui évoque la chaleur du soleil sur la peau à l’aube, est rafraîchi par une envolée de gingembre. Pin en Acacia (Pine in Acacia) éveille le souvenir des forêts landaises : « son nom de code était d’ailleurs Lacanau, lieu de villégiature où mon parrain avait une maison », avoue le parfumeur. « La côte Atlantique était également une forte source d’inspiration », un lieu bien connu de Pascal Gaurin qui possède également de la famille sur l’île d’Oléron. Sa création est ainsi le fruit du contraste entre la fraîcheur lumineuse de l’océan et la vibration résineuse des pins et du cyprès. Le fondateur ne compte pas s’arrêter là et imagine déjà les suivants : « plus on étudie la nature, plus apprécie sa richesse infinie ; le nombre d’histoires à raconter ne manque pas. »
Les NFT, un nouvel outil pour la distribution
Amoureux de la nature, Fabrice Croisé n’en est pas moins féru de nouvelles technologies. Pour animer sa marque, il a imaginé un système d’abonnement original où les NFT – de l’anglais non fongible token, ou « jeton non fongible » – peuvent s’utiliser comme un crédit. Ces jetons cryptés permettent d’identifier de façon unique un titre de propriété, lui conférant ainsi toute sa rareté. Les NFT proposés par L’Âme du bois donnent à leur propriétaire accès à quatre parfums durant deux années. « Les NFT apportent un véritable intérêt à la plateforme d’abonnement », explique Fabrice Croisé : « ils permettent aux adhérents d’utiliser leur crédit au rythme où ils le souhaitent, de pouvoir revendre si besoin leur abonnement, ou tout simplement d’interagir avec une communauté. Les propriétaires de NFT sont en effet très fiers de les posséder et aussi de les montrer aux autres. » En avril 2023, la marque a participé au salon NFT NYC qui rassemble à New York les propriétaires de NFT du monde entier : « J’aime l’idée d’éduquer les amoureux du parfum à la technologie et les gens de la tech au parfum », s’amuse le créateur. Traditionnel dans le savoir-faire et la qualité des parfums, Fabrice Croisé sait aussi se montrer avant-gardiste dans sa distribution.
La marque est vendue sur leur site internet ainsi que chez Jovoy à Paris et au Paravent à Lyon.
Visuel principal : © Fabrice Croisé
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