Suite à une proposition de l’Université Ouverte de l’Université Paris Cité et dans le cadre de l’année de la biologie du CNRS, Hirac Gurden, neurobiologiste au CNRS, et Bénédicte Boscher, professeure de SVT à l’École alsacienne de Paris, ont imaginé un atelier olfactif pluridisciplinaire à destination des élèves du secondaire. Expérimenté dans le cadre de la Fête de la science d’octobre 2021, il a été accueilli avec enthousiasme par les élèves et les professeurs. Retour sur expérience à l’occasion de la Journée internationale de l’éducation ce mardi 24 janvier.
Amis de longue date, Bénédicte Boscher et Hirac Gurden avaient depuis longtemps l’idée de réaliser un atelier autour des neurosciences en établissements scolaires. L’odorat, on le sait, n’y trône pas en roi, loin s’en faut. Dénigré par les siècles d’une philosophie où la vue est érigée en sens premier, souffrant actuellement du développement d’un monde de plus en plus virtuel, le nez peine à être éduqué, connu, compris. Si le placer au centre de l’attention des élèves était pour le neurobiologiste une évidence, c’est l’opportunité offerte par l’Université Ouverte de Paris Cité en 2021 – connue pour ses événements hors les murs, cours du soirs, etc. – qui a permis la mise en place concrète d’un protocole d’initiation. Car, suite à la pandémie de Covid-19 qui a frappé d’anosmie – heureusement la plupart du temps temporaire – des milliers de personnes, l’importance de ce sens est apparue comme plus évidente, et a permis de mieux faire connaître le travail de l’association Anosmie.org qui lutte pour la reconnaissance ministérielle de ce handicap.
Un public réceptif
Le but de cet atelier est de pouvoir amorcer l’intérêt pour l’olfaction de façon pédagogique et ainsi de lancer le plus efficacement possible la machine nasale et cérébrale pour l’apprentissage olfactif chez les collégiens et les lycéens. Car le système olfactif est une porte d’entrée intéressante pour stimuler plusieurs réseaux cérébraux : il est impliqué dans la mémoire et les émotions, le plaisir et le bien-être, la curiosité et l’attention.
L’atelier nécessite d’abord une phase préparatoire, durant laquelle les professeurs impliqués peuvent commencer à discuter de l’odorat avec les étudiants du secondaire : « À 15 ans, il est facile d’interagir avec les élèves : ils ont une certaine culture, une expérience olfactive, même si elle n’est pas conscientisée. Un de leurs héros actuels est Tanjiro Kamado, un personnage du manga Demon Slayer, qui a un sens de l’odorat très développé qu’il utilise pour repérer les dangers. Ils comprennent donc facilement l’intérêt que peut avoir ce sens. Ils se sont montrés très curieux et motivés par ce projet », explique Hirac Gurden.
En SVT, on évoquera ainsi l’origine des molécules odorantes lors de la photosynthèse chez les plantes et par des glandes spécifiques chez les animaux, mais aussi leur rôle de communication, leur utilité pour la recherche de nourriture ou leur importance dans la reproduction. Le fonctionnement général de la perception olfactive est également expliqué. En physique-chimie, on étudiera la composition des molécules odorantes, leur poids moléculaire, leur volatilité. Les études dites plus littéraires ne sont cependant pas en reste : approche géographique des plantes odorantes, échanges commerciaux qui ont façonné l’histoire des civilisations et importance des « miasmes » pour la médecine hygiéniste sont évoqués en histoire-géographie ; émotions olfactives et mnésiques et expression poétique dans les textes littéraires en Français ; études des textes antiques faisant mention des parfums et de leur importance culturelle en latin-grec. Mais l’investissement des élèves dépasse même ce qui leur est proposé : « Ils ont d’eux-mêmes souhaité prolonger ce projet en créant des illustrations pour le travail qu’ils devaient réaliser. »
Pédagogie active
Le protocole éducatif ne constitue pas, loin s’en faut, en une exposition des contenus de connaissance comme il est d’usage en classe : « C’est cette approche active qui a certainement beaucoup servi à mobiliser les élèves. Le CDI avait mis à disposition des ressources selon une bibliographie que nous avons construite afin de leur permettre de faire des recherches. Les élèves, en petits groupes, choisissent une odeur sur laquelle travailler : vanille, gingembre, cannelle, menthe poivrée, géranium, fleur d’oranger ou clou de girofle. Nous avions dressé cette liste pour leur permettre d’avoir déjà des repères, en faisant des passerelles avec le goût. Pour les aider dans leurs recherches, ils avaient une liste de questions » poursuit le neurobiologiste.
Présentée comme non exhaustive, elle reprend les différentes approches, ouvre les discussions : de quelles molécules odorantes est composée l’odeur ? En prenant comme exemple une de ces molécules, pouvez-vous indiquer sa structure chimique au niveau atomique ? Quelle plante est à l’origine de cette odeur ? Quels en sont les pays de production ? Quelles routes de commerce sont-elles empruntées pour les échanges mondiaux ? S’ils existent, quels sont les parfums qui contiennent cette matière ? Est-ce que cette odeur est présente dans certains aliments ? Comment est-elle utilisée en cuisine ? Est-ce que cela fait partie des plats préparés dans votre famille ? Pouvez-vous proposer une recette voire une dégustation ?
Aux élèves de faire les recherches afin de présenter la matière à leurs camarades d’autres groupes.
Test sensoriel et évocation autobiographique
Une deuxième phase construit cette approche active : les odeurs sont présentées aux élèves sur mouillettes ; ils doivent alors remplir une fiche d’appréciation : reconnaissent-ils l’odeur ? Est-elle agréable, puissante, ronde, alimentaire ? Ont-ils des souvenirs liés à cette odeur ?
Puis les groupes présentent, chacun à leur tour, leurs travaux à l’ensemble de la classe. Team vanille, team cannelle, team gingembre rivalisent d’informations et ouvrent la parole entre les étudiants : « Je trouve ça très piquant, moi ! – Ah, non, moi ça me rappelle ma grand-mère ! – Mais c’est fou, ils en mettent dans les yaourts qu’on mange tous les jours, alors que ça vient de si loin ! – Ce n’est pas vraiment ça qu’ils mettent, mais une molécule moins chère ! » : les discussions s’animent.
Pour favoriser la sensibilité olfactive, ces étapes ont lieu le matin, car à jeun, l’odorat est plus sensible. L’après-midi, un invité ou professeur présente les mécanismes de la perception cérébrale : des ressources (article sur l’olfaction publié dans le bulletin de l’Association des Professeurs de Biologie et de Géologie n°2-2022[1] Voir aussi le premier chapitre du Grand Livre du Parfum sur les mécanismes de l’odorat, écrit par Hirac Gurden. ; vidéo d’Hirac Gurden présentant les grandes étapes neurobiologiques de la perception olfactive, tournée à la BPI du Centre Georges Pompidou, lors d’une soirée organisée par Nez en 2017) sont disponibles en ligne à destination des professeurs.
Une expérience à diffuser
Nécessitant peu de moyens financiers – moins d’une centaine d’euros comprenant l’achat d’huiles essentielles, arômes alimentaires et touches à parfum – l’atelier permet de réveiller l’enthousiasme des élèves : « ils étaient très dynamiques, moteurs, curieux : c’était une super expérience ! Et c’était aussi le cas du personnel éducatif. Nous allons répéter ce protocole cette année avec deux classes. Mais notre but est que les professeurs s’emparent de cette proposition afin de la mettre en place dans leurs propres établissements. C’est pourquoi nous avons mis toutes les ressources en ligne », conclut Hirac Gurden.
Afin de consolider ces nouvelles connaissances, les élèves sont invités dans un troisième temps à composer un texte autobiographique, un poème (haïku, épigramme…), une présentation plastique… et à recueillir les témoignages de leurs proches, les « madeleines de Proust ». Pour une diffusion digne d’un parfum contemporain.
Si l’odorat demeure l’éternel absent du programme de l’Éducation Nationale, de telles initiatives montrent, si cela était encore à prouver, qu’il y aurait toute sa place en mêlant approche active, pluridisciplinarité et moyens financiers réduits. En attendant une prise de conscience étatique – ce protocole a d’ailleurs été soumis à l’Académie de Paris – espérons que d’autres établissements s’emparent du projet à l’avenir !
- La publication synthétisant cette expérience, les ressources et la bibliographie ont été publiés dans le Bulletin de l’APBG 3-2022, accessible sur adhésion.
Visuel principal : © École Alsacienne
Notes
↑1 | Voir aussi le premier chapitre du Grand Livre du Parfum sur les mécanismes de l’odorat, écrit par Hirac Gurden. |
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