Les odeurs de l’école

Tout parent qui a accompagné son enfant pour la première fois à la rentrée de maternelle saura tout de suite de quoi on parle : un puissant flashback olfactif qui submerge le cerveau, fait remonter des émotions confuses et saisissantes, et nous replonge dans un passé lointain et pourtant si proche. Mais au juste, ça sent quoi, l’école ? Sept odeurs, sept souvenirs… En cette période de rentrée, nous vous proposons une dissection des objets culte de la salle de classe.

Le crayon à papier

On a tous machouillé, lors de cours de maths un peu ennuyeux, son extrémité… et ce n’était pas très bon ! Ce crayon en bois vient des États-Unis, où il fut fabriqué à partir de 1812 avec du genévrier ou cèdre rouge de Virginie (Juniperus virginiana) puis du cèdre à encens (Calocedrus decurrens), un conifère proche du thuya, plus abondant et encore utilisé aujourd’hui. Quant à la mine (qu’on finit aussi par goûter, à force de mâcher), c’est un mélange de graphite et d’argile inventé à la fin du XVIIIe siècle. Plus il y a de graphite, plus c’est dur (H comme hard); plus il y a d’argile, plus c’est noir et tendre (B comme black). Une mine HB a une dureté moyenne. Si on aime l’odeur du crayon à papier fraîchement taillé, on peut la retrouver dans l’huile essentielle du cèdre de Virginie, riche en cédrol, au parfum boisé, sec, suave et assez aérien. À ne pas confondre avec celle du cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica), dont l’odeur plus brute et résineuse évoque plutôt une forêt sombre et humide.

Molécules : cédrol, acétate de cédryle, silicate d’aluminium, carbone


La colle Cléopâtre

S’il existe une « odeur madeleine de Proust » qui traverse les générations en France, c’est bien celle de la colle Cléopâtre. Tout commence en 1930, à une époque où l’on fabriquait soi-même sa colle avec de la farine et de l’eau. À Paris, un certain M. Chamson invente, à partir d’amidon de pomme de terre, une nouvelle colle, vendue dans des pots en aluminium. Quelques années plus tard, face à la concurrence, le petit pot s’enrichit d’un pinceau et surtout de la bonne odeur d’amande qui fera son succès. Mais ce parfum si célèbre, à quoi est-il dû ? Au benzaldéhyde (ou amandol), une molécule présente dans l’essence d’amande amère et très utilisée en aromatique alimentaire pour recréer la saveur de la cerise ou celle de l’amande, par exemple dans le sirop d’orgeat. Mais si le benzaldéhyde est comestible, rappelons que la colle, elle, n’a pas très bon goût !

Molécules : benzaldéhyde, amidon


Le protège-cahier

La rentrée des classes a toujours une odeur de plastique neuf : celle du PVC. Le polychlorure de vinyle (PVC), polymère découvert par hasard au XIXe siècle et breveté en 1913, est une des matières plastiques les plus produites au monde. Si lui-même est inodore, il libère une quantité infinitésimale de monomère, le chlorure de vinyle, un gaz toxique, inflammable et narcotique à haute dose, utilisé pour sa fabrication. La dose résiduelle libérée, très réglementée et surveillée, est bien en deçà du seuil défini comme dangereux pour la santé… mais suffisante pour donner au protège-cahier cet effluve éthéré et douceâtre si caractéristique. A priori, pas d’inquiétude si vous avez déjà « sniffé » compulsivement ces couvertures souples et colorées.

Molécules : polychlorure de vinyle, chlorure de vinyle


Le marqueur

Certains fabricants revendiquent depuis quelques années l’absence d’odeur comme argument de vente. Alors que parfois, c’est précisément cet effluve si caractéristique qu’on recherche en achetant un marqueur ! Si ces feutres indélébiles, ou ceux qui sont utilisés pour écrire sur les tableaux blancs, exhalent cette forte odeur, c’est parce qu’ils contiennent des solvants très volatils pour que l’encre sèche rapidement une fois appliquée sur la surface écrite. Toluène, xylène, acétate de butyle, 4-méthyl-2-pentanone : autant de noms rigolos qui font (ou faisaient) plus ou moins tourner la tête, l’inhalation de ces substances chimiques pouvant provoquer somnolence et vertiges. À humer avec modération.

Molécules : toluène, xylène, acétate de butyle, 4-méthyl-2-pentanone


La ronéo

Avant la démocratisation des photocopieurs, toutes les salles de classe étaient équipées de ce drôle de duplicateur à alcool. La maîtresse tournait la manivelle, et l’étrange machine rotative délivrait une à une ces copies imprégnées d’alcool et d’encre violette baveuse qui dégageaient une puissante odeur chimique. En 1923, l’Allemand Wilhelm Ritzerfeld, fondateur de la société Ormig à Berlin, invente ce système de reproduction par transfert d’encre diluée dans l’alcool à travers un papier carbone. En France, la société Ronéo fabrique et commercialise un appareil similaire. Le pigment le plus utilisé était la mauvéine (le premier colorant synthétique, découvert au milieu du XIXe siècle), qui donnait à l’impression cette teinte violacée typique. La solution alcoolisée, qui devait être très volatile pour ne pas trop imbiber le papier, a longtemps été à base de méthanol. Toxique, elle a peu à peu été remplacée par une solution d’éthanol dénaturé par du 2-propanol. C’est elle qui était responsable de cette odeur si enivrante que l’on « sniffait » dès que la feuille était déposée sur notre table. Si elle n’était objectivement pas si agréable, elle reste à jamais associée aux années d’école primaire de ceux qui l’ont connue.

Molécules : mauvéine, éthanol, méthanol, 2-propanol


L’encre de stylo-plume

Sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui, ce stylo est une invention de la fin du XIXe siècle. Et c’est Waterman qui, en 1927, a inventé les cartouches. Les premières étaient en verre. L’encre des stylos de notre enfance est composée d’un colorant (comme le bleu d’aniline), de tensioactifs, d’un conservateur et d’un ajusteur de pH et de viscosité. Mais pourquoi avait-elle autrefois une odeur particulière, aujourd’hui disparue et souvent regrettée ? Parce qu’elle contenait une très faible dose de phénol. Ce conservateur fut aussi l’un des premiers antiseptiques utilisés en médecine, ce qui explique que beaucoup lui trouvent une odeur d’hôpital. Soupçonnée d’avoir des effets toxiques à haute concentration, cette molécule a par prudence été remplacée par une autre substance. Mais son parfum de champignon ou de tapenade, légèrement animal et cuiré, évoque toujours le souvenir nostalgique de lignes soigneusement tracées sur des copies doubles à grands carreaux.

Molécules : bleu d’aniline, phénol 


Le savon jaune

Nos doigts tachés d’encre, nous avons tous au moins une fois dans notre vie d’écolier frotté nos mains autour de ce gros ovale accroché au mur des lavabos… Et avouons-le, sur le moment, on ne l’aimait pas tellement, son odeur ! Avec le temps, tout souvenir d’école se teinte de nostalgie, et l’on regrette presque ce savon au parfum de liquide vaisselle qui laissait nos mains aussi douces que du papier de verre. La société Provendi, qui fabrique toujours le célèbre produit en Haute-Savoie, avait décroché dans les années 1950 un marché avec l’Éducation nationale française, qui cherchait une alternative plus hygiénique aux savonnettes humides trempant dans les lavabos des écoles… Détrônée par l’usage de savon liquide dans les années 1990, la société a été rachetée en 2010, son activité diversifiée, mais le savon rotatif sur son support chromé connaît depuis quelques années un nouveau succès auprès des amateurs de vintage. Si des variantes au lait d’amande et au cèdre exfoliant ont été développées, la version jaune aurait, selon Provendi, gardé le même parfum qu’à l’origine. Ses notes de citral (aldéhyde présent dans l’huile essentielle de citron) un peu stridentes et métalliques, mêlées à l’odeur grasse de la base savon de Marseille, forment une odeur inoubliable qui semble toujours crier : « Gare à vous, les microbes ! »

Molécules : citral, limonène, cocoate de sodium, glycérol

Cet article est initialement paru en avril 2016 dans Nez, la revue olfactive #01 – Pour une culture olfactive

Visuel principal : Jean Geoffroy, En classe, le travail des petits, 1889 ; source : Wikimedia Commons

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These types of articles are so interesting.
I would love to see them extracted from the Nez magazine’s Odorama section and reunited in a printed book exactly like they apear there (text and the lovely illustrations):
– La dissection
– Les molécules
– L’herbier.
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