Nez x GDR O3 – Nez à nez : quand la recherche en neurosciences s’invite dans le spectacle vivant

Lorsque l’imaginaire vient à la rencontre des laboratoires, cela fait parfois des étincelles ! Nez à nez, expérience olfactive itinérante, fait partie de ces pépites. Issu de la rencontre entre d’une part Alexandra Veyrac et Nathalie Buonviso – toutes deux chercheuses au CNRS dans l’équipe Codage et mémoire olfactive du Centre de recherche en neurosciences de Lyon, et membres du GDR O3 – et de l’autre, de la compagnie de spectacle vivant Le Centre imaginaire, ce « théâtre des sens » illustre à merveille la croisée de deux mondes, l’un scientifique, l’autre artistique. Récit d’un projet fantastique.

La naissance du projet

L’histoire commence en 2017, lorsque Alexandra Veyrac, dont la recherche porte sur la neuroplasticité et la mémoire olfactive, croise le chemin du « musée itinérant de Germaine » proposé par Le Centre imaginaire, une compagnie de spectacle vivant originaire de Chabeuil (Drôme), qui travaille notamment autour de la thématique de la mémoire. Le dispositif permet alors d’écouter à l’aide de casques différents parcours constituant autant de portraits de femmes. Faisant écho à la réflexion de la chercheuse sur les modalités de médiation scientifique, il fait germer l’idée d’un « musée itinérant des odeurs ». « Lorsque les scientifiques s’adressent au grand public, notamment lors d’événements comme la Fête de la science, il s’agit souvent d’une explication très descendante. J’ai commencé à penser qu’on devrait trouver d’autres manières de communiquer, notamment à travers l’aspect participatif », explique-t-elle. Une idée qu’elle partage avec sa collègue Nathalie Buonviso, qui travaille sur le lien entre respiration et olfaction.

C’est dans ce cadre qu’elles contactent Jean-Baptiste Sugier, directeur artistique du Centre imaginaire : « Pour quelqu’un qui travaille dans le spectacle, les odeurs sont un territoire globalement inexploré, donc plein de potentialités. Le premier échange avec Alexandra et Nathalie a réveillé des souvenirs d’enfance : celui d’un péplum odorisé au Royal Deluxe, avec le parfum du bain de Néfertiti balancé sur 300 spectateurs ! J’en ai parlé à l’équipe, et nous nous sommes lancé dans le projet, avec mille idées en tête. »

Encore faut-il faire le tri entre ces idées. Dans cette optique, l’équipe artistique atterrit dans les laboratoires lyonnais pour une résidence financée par le Ministère de la culture. Elle y découvre la réalité expérimentale autour des travaux sur lesquels planchent les chercheuses : mémoire épisodique chez l’animal pour Alexandra, respiration et olfaction pour Nathalie ; l’occasion aussi de butiner auprès d’autres équipes du centre de recherche : « Ils ont pu échanger mais aussi voir la réalité du métier : par exemple, le fait que nous devons fabriquer nos propres instruments d’expérimentation pour répondre à des besoins précis les a beaucoup étonnés. Notre métier a en effet cette composante de création, même si ce n’est pas ce qui est mis en avant », sourit Alexandra.
Les échanges entre les deux équipes s’étendent sur plusieurs mois, et aboutissent au projet de spectacle immersif, qui mêlera l’olfaction à deux autres sens : le toucher et l’ouïe, afin d’imaginer « un bain d’odeurs pour expérience existentielle quasi-chamanique, qui capte l’attention des spectateurs », dixit Jean-Baptiste. Plusieurs membres de l’équipe du Centre imaginaire s’impliquent dès le départ dans la création du projet, qui devient une véritable création collaborative.

Questions techniques

Cependant, là encore, entre l’idée et la pratique, il y a un monde : celui de la scénographie olfactive. Comment diffuser des odeurs de manière successive, sans les mélanger ? Qu’est-ce qui sera réalisable dans un espace relativement petit et, de surcroît, déplaçable, alors que les méthodes actuelles nécessitent souvent des machineries conséquentes ? Régulièrement confrontés à des problèmes d’ordre technique et scénographique, les artistes testent les moyens du bord : « On a tenté des choses parfois un peu loufoques : inversion d’un souffleur de feuilles au bout duquel on plaçait les parfums, utilisation de ballons, machines diverses… Mais l’air était vite saturé. On a finalement travaillé avec différents types de tissus imbibés, que nous pouvons manipuler facilement, placer sous le nez des participants », poursuit-t-il.

Quant au choix des senteurs, puisque le projet était de faire vivre une expérience personnelle à chacun, de réveiller ses souvenirs, il fallait des parfums assez complexes pour ne pas renvoyer à un seul référent (comme une odeur d’orange) et convoquer plus facilement l’imaginaire. L’équipe a donc fait appel à la parfumeuse indépendante Laurence Fanuel, spécialisée dans l’odorisation des lieux, pour lui demander de proposer des créations autour de mots-clés évoquant des moments de la vie (« enfance », « mort »…). Il faudra encore plusieurs échanges pour s’accorder sur des choix qui mettent l’équipe d’accord. Le projet se concrétise.

Des premières représentations au spectacle actuel

Mais le spectacle s’est aussi construit autour de rencontres avec son public : les enfants, ou encore les personnes malvoyantes, invitées à imaginer les odeurs du futur et dont les voix enregistrées peuplent désormais sa version finale. Par ailleurs, lors des premières représentations en 2021, Nathalie et Alexandra proposent des rencontres bord-plateau : « Nous étions là pour répondre aux questions souvent très riches des spectateurs, qui étaient assez touchés par l’expérience », explique Alexandra. Petit à petit, suivant les réactions, certaines odeurs ont été retravaillées, la scénographie s’est adaptée. Jean-Baptiste, Christina Firmino et Clémentine Cadoret du Centre imaginaire en assurent le bon déroulement à chaque représentation.

Aujourd’hui, après plusieurs évolutions et environ 300 représentations, le spectacle se compose de deux parties : dans la première, un comédien fantasque accueille le public dans un cabinet de curiosités, explicitant de manière poétique le système olfactif et son importance sur notre vécu, l’anosmie, l’hyperosmie… Il l’invite ensuite à prendre place sur des transats dans une ambiance feutrée et à se placer un bandeau sur les yeux. « Dans cette pièce circulaire, on commence par un rituel autour du feu. Un projecteur permet de jouer avec les lumières et les couleurs, mais aussi avec la sensation de chaleur sur la peau ; des sons, diffusés en même temps que les différents parfums, créent un voyage sensoriel en différents tableaux, à travers le présent, le passé et l’avenir. On en sort un peu bouleversé. On se rend ainsi compte que l’expérience immersive vaut tous les discours du monde », conclut Alexandra. Et Nathalie de poursuivre : « Cela nous a permis de voir les odeurs de manière beaucoup plus poétique, mais aussi de toucher, avec le spectacle de rue, un public qui n’est pas le même que celui des conférences, dont les participants ont souvent un capital culturel plus élevé. Nous avons aussi pu aller dans un lycée agricole, où les témoignages sur les odeurs des métiers techniques étaient passionnants ; ou encore au festival de Villeneuve en scène à Avignon, pour lequel Nez à nez a été sélectionné. Les échanges étaient toujours très riches, alors que les gens ne venaient pas forcément en étant intéressés par les neurosciences. »

Perspectives futures

Le spectacle continue de tourner, mais ses créateurs se projettent dans l’avenir : « J’aimerais travailler avec une nouvelle palette olfactive, en collaborant par exemple avec un autre parfumeur, pour proposer un nouveau voyage », lance Jean-Baptiste. Alexandra note quant à elle : « Nous rencontrons les mêmes difficultés que tout le secteur de la culture. Le spectacle est par ailleurs contraint par sa jauge, limitée à 30 personnes : on a parfois du mal à le faire programmer. Mais on adorerait aller toucher d’autres publics encore, d’autres lieux : les hôpitaux, les prisons, les Ehpad… » Pour l’heure, les plus chanceux pourront vivre cette expérience les 21 et 22 novembre, respectivement à Evry et Saclay, à l’occasion de la Biennale des sciences. On espère vous y voir nombreux !

Prochaines représentations les 21 et 22 novembre, puis le 10 mars 2026.

Plus d’informations et inscription ici !

Le site du GDR O3 : www.gdr-o3.cnrs.fr/
Visuel : @ Antoine Brendlen

Commentaires

Laisser un commentaire

Avec le soutien de nos grands partenaires