Thomas Espinasse et Maxime Baud, tout juste diplômés de l’Isipca, ont créé ScenTree, une nouvelle classification interactive et collaborative des matières premières de parfumerie. Ils nous expliquent leur projet.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Thomas Espinasse : Depuis la seconde, je suis passionné de chimie et de sciences. Par ailleurs, un ami de mes parents est parfumeur, et en l’écoutant, je me suis rendu compte à quel point le monde des odeurs m’intéressait. A 14 ans, j’ai visité les bureaux de Firmenich à Genève et ça a été le déclic : devenir parfumeur à mon tour est devenu mon objectif. Après un DUT de chimie, je viens de passer trois ans à l’Isipca en Master of Science Manager création et développement parfum. La formation se déroulant en alternance, j’ai été apprenti analyste chez Firmenich, où je travaillais sur le comportement des matières premières en parfumerie fine.
Maxime Baud : Quant à moi, je n’aime pas la chimie… mais je ne m’en suis aperçu que lorsque j’étais en IUT de chimie. Après cela, je cherchais quelque chose de différent, et j’ai fait un stage dans une société de matières premières à Barcelone. Ça a été un coup de cœur et je suis entré à l’Isipca dans la même promo que Thomas. Mon ambition est aussi de devenir parfumeur.
Comment est né ScenTree ?
TE : Il y a deux ans, nous travaillions ensemble notre olfaction, la reconnaissance des matières premières, et nous avons eu l’idée de créer notre propre classification. Il existe déjà des choses, comme le Champ des odeurs [outil de classification créé en 1983 par Jean-Noël Jaubert], qui présente un classement sous forme d’arc de cercle avec peu de « ramifications », et qui n’est pas numérisé ni interactif. Il y a aussi des sites comme celui de The Good Scents, qui propose des fiches sur des matières, mais il est truffé d’erreurs et très critiqué. Nous commençons à bien connaître le milieu de la parfumerie, et tout le monde a besoin d’une source fiable.
MB : Notre source d’inspiration a été le LifeMap imaginé à l’université de Lyon, qui classe l’intégralité du vivant sur Terre sous forme d’arbre. On a contacté son créateur, qui nous a autorisé à appliquer son modèle au domaine de la parfumerie.
De quelle manière fonctionne ScenTree ?
MB : Nous avons classé les matières en 16 grandes familles olfactives : floral, boisé, aromatique… En naviguant à l’intérieur de chaque famille, on peut ensuite zoomer sur des descripteurs, qui se ramifient de plus en plus : aromatique, puis aromatique-agreste, aromatique-agreste-zesté, aromatique-agreste-herbacé… Au bout de chaque « branche », on retrouve les matières correspondantes. Plus deux matières sont proches géographiquement, plus elles le sont olfactivement. Et on peut retrouver une même matière à différents endroits selon ses facettes. Si on s’intéresse à une matière en particulier, on peut aussi la retrouver grâce à une barre de recherche. Quand on clique sur son nom, on arrive sur une fiche d’identité avec des caractéristiques techniques sur son origine, son utilisation, sa réglementation…
TE : Aujourd’hui, nous avons répertorié 400 matières premières utilisées en parfumerie fine et fonctionnelle. Il s’agit de matières synthétiques pour les 2/3, naturelles pour un tiers, avec quelques bases, mais pas de captifs, car nous ne citons aucun nom de société pour le moment. L’objectif est de classifier 1000 matières minimum, sachant qu’une palette classique de parfumeur peut en contenir 1500.
Comment avez-vous travaillé ?
MB : Nous avons consulté des livres de référence, considérés comme fiables, puis, comme il s’agit d’un projet collaboratif, nous nous sommes entretenus avec des experts, parfumeurs ou évaluateurs pour vérifier la pertinence de nos informations. La plupart des descripteurs olfactifs font consensus, mais leur hiérarchie reste un parti pris, l’olfaction étant quelque chose de subjectif. Certains diront lacté, quand d’autres préfèreront crémeux…
A qui s’adresse ScenTree ?
TE : Avant tout à des utilisateurs professionnels, parce qu’il faut maîtriser les descripteurs. Mais nous avons essayé de rester accessibles, notamment en donnant des précisions sur les risques allergènes liés à certaines matières qui peuvent susciter des questions du grand public.
Que peut-on souhaiter à ScenTree ?
MB : De continuer à s’enrichir. Nous faisons des mises à jour toutes les semaines, en croisant les sources pour n’ajouter que des données dont nous sommes sûrs. Puis d’être traduit en anglais, en italien, en espagnol, en chinois…
TE : Nous cherchons des sponsors qui commercialisent des matières premières, et auraient envie de figurer dans la rubrique fournisseurs des fiches d’identité. Nous aimerions aussi faire de ScenTree une association. Notre plus belle récompense serait de devenir une référence, que lorsqu’on parle d’une matière, on demande : « Tu as regardé sur ScenTree ? »
Y a-t-il une matière que vous appréciez particulièrement ?
TE : L’iris, qui est pour moi lié à l’enfance, car je trouve qu’il sent la farine. Il y a une spécialité en Alsace de pâte à pain cuite au barbecue. Quand je sens du beurre d’iris, je retrouve l’odeur de cette mie à peine cuite.
MB : Je ne peux qu’être d’accord pour l’iris, à la fois élégant et confortable. Mais mon vrai fétiche, c’est l’Eau sauvage créée par Edmond Roudnitska pour Dior. Je l’ai beaucoup portée, je ne la porte plus parce que c’est difficile d’être parfumé quand on sent des choses toute la journée, mais j’en garde un flacon qui me suit partout.
Propos recueillis le 27 août 2019
Le site ScenTree : www.scentree.co
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