Roland Salesse : « Notre objectif, c’est d’apprendre aux enfants qu’ils ont un nez, et qu’ils peuvent s’en servir»

Ingénieur agronome et docteur ès sciences, Roland Salesse a été chargé de mission à la culture scientifique à l’INRA où il a créé et dirigé l’unité de neurobiologie de l’olfaction. Outre son investissement dans des projets liés à l’art olfactif, comme le « programme kodo » (pièces de théâtre olfactif), il se concentre sur l’éducation olfactive. En 2017, il a fondé Nez en herbe, une association dont l’objectif est de développer l’odorat des enfants en bas âge. Rencontre.

À l’école, on apprend à développer tous ses sens, à l’exception de l’odorat. Quelles sont les conséquences de ce manque d’éducation olfactive ? 

On apprend de façon inconsciente à se servir de son nez, on enregistre une bibliothèque olfactive, mais on n’a pas les mots pour la mobiliser. Donc à part les enfants particulièrement motivés, soit spontanément, soit par l’environnement familial, c’est comme si on avait un don qui restait en friche toute notre vie.

Comment est né Nez en herbe et quels sont ses objectifs ? 

L’association est née de la volonté d’anciens chercheurs comme Didier Trottier et moi-même, d’amateurs de parfums et de professionnels de la parfumerie de pallier l’absence d’éducation olfactive. Notre objectif initial, c’est d’apprendre aux enfants qu’ils ont un nez, et qu’ils peuvent s’en servir. La plupart des recherches sur l’odorat dans l’espèce humaine montrent que nous avons une conscience très limitée des odeurs parce que nous n’avons pas été éduqués à y prêter attention, mais que nous apprenons très vite. Chez les animaux, on s’est rendu compte que ceux qui grandissaient dans un environnement olfactif riche étaient plus « intelligents », c’est-à-dire que les tests ont démontré qu’ils avaient moins d’anxiété et plus de capacités d’adaptation. C’est vrai de tous les sens, ce n’est pas spécifique à l’odorat, mais il est possible que l’éveil olfactif apporte un petit supplément dans les capacités cognitives et dans la confiance en soi de l’enfant. Nous allons bientôt commencer une étude sur le développement de l’odorat des tous petits enfants, pour laquelle nous allons suivre des enfants en crèche pendant trois ans.

Quelle est votre méthodologie ? 

Nous travaillons avec un réseau de crèches, Cap Enfant, qui a déjà une expérience de l’éveil musical. Quand nous avons parlé de notre projet d’éveil olfactif à la directrice Claudia Kespy-Yahi, elle a tout de suite manifesté son enthousiasme. Ces crèches d’entreprises accueillent des enfants dont les parents viennent de tous les pays. L’idée de départ était de les faire profiter de toutes ces cultures, on a donc eu l’idée d’illustrer un pays par mois, à travers la musique, les animaux, les paysages, et nous y avons ajouté les odeurs. Même si les enfants ne s’en rendent pas vraiment compte, on a remarqué que dès la deuxième séance, les bébés avaient compris qu’il fallait sentir les boules à thé contenant des produits odorants qu’on leur présentait. Par exemple, pour le mois consacré au Kenya, on a recréé l’odeur du lion à partir d’une composition qui avait été imaginée par Laurence Fanuel pour « Les Parfums de l’âme », une pièce de théâtre olfactif mise en scène par Violaine de Carné. Cette création devait évoquer les odeurs corporelles, et avec le temps, elle avait développé quelque chose d’assez animal. Curieusement, alors que les adultes qui l’ont sentie l’ont trouvée absolument infâme, les enfants, eux, sont restés en interrogation devant cette odeur, ils n’ont pas eu ce réflexe de rejet.

Ce n’est qu’à partir de deux ans que les enfants deviennent de plus en plus difficiles avec les odeurs et commencent à bloquer leur capacités d’exploration. À quatre ou cinq ans, ils ont acquis la culture de leur milieu, et commencent à avoir des réflexes stéréotypés. 

Auprès de qui intervenez-vous ?

Nous essayons de faire connaître l’association et nous intervenons auprès des professionnels de Cosmetic Valley pour promouvoir l’éducation olfactive : les enfants sont les futurs consommateurs, mais aussi les futurs piliers d’une culture partagée de la parfumerie.

Quels conseils donnez-vous aux parents et aux enseignants pour initier l’éducation olfactive des enfants ? 

La toute première chose, c’est de leur apprendre à se servir de leur nez. Une fois qu’ils ont conscience de leur odorat, on peut compliquer les exercices. Une activité très simple est de faire découvrir aux enfants des produits de saison.  On leur présente deux boules à thé, l’une contient de la lavande et l’autre des feuilles de tomates, par exemple. On leur en fait sentir une troisième et on leur demande: “Deux de ces trois boules à thé ont la même odeur, lesquelles ?”.

Propos recueillis en juillet 2020 
Découvrez les ouvrages de Roland Salesse : Odorat et goût. De la neurobiologie des sens chimiques aux applications (Ed. Quae, 2012), un livre scientifique de référence sur l’odorat, et Faut-il sentir bon pour séduire ?, (Ed. Quae, 2019) pour le grand public.

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Quelle belle initiative ! L’odeur du lion… un exercice de l’imagination hors du commun.

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