Alors que la parfumerie naturelle est longtemps restée très minoritaire, de plus en plus de marques se revendiquent « vertes », alimentant une suspicion croissante envers les ingrédients issus de la pétrochimie. Même au sein des maisons traditionnelles, les matières synthétiques sont rarement mises en avant. Mais alors, pourquoi la synthèse est-elle plus utile, voire plus nécessaire qu’on ne le croit ? Quid de la chimie verte ? Le point avec Xavier Fernandez, professeur à l’Institut de chimie de Nice, vice-président Innovation et Valorisation de la recherche de l’université Côte d’Azur, directeur du master de chimie FOQUAL (formulation, analyse, qualité).
Pourquoi faut-il réhabiliter la synthèse ?
Depuis quelques années, on ostracise les ingrédients synthétiques et on glorifie les naturels, mais cela n’a pas de sens. D’une part, parce qu’il existe un nombre incommensurable de poisons dans la nature. Sans aller jusque-là, les matières naturelles utilisées par la parfumerie sont des mélanges très complexes de composés organiques, dont certains sont potentiellement allergisants, alors qu’une molécule synthétique est chimiquement définie, donc plus facile à contrôler et à écarter le cas échéant. D’autre part, parce que la synthèse organique est intimement liée à la parfumerie depuis l’emploi de la coumarine dans Fougère royale, créée par Paul Parquet pour Houbigant en 1882. Elle a rendu possible la production de molécules odorantes identifiées dans la nature (comme la coumarine, issue de la fève tonka), mais dont l’origine naturelle ne permettrait pas de répondre à la demande mondiale, et ainsi sauvé des dizaines d’espèces : sans composés de synthèse, le santal ou le chevrotin porte-musc auraient disparu. La synthèse a par ailleurs nourri la créativité des parfumeurs en permettant d’identifier de nouvelles molécules qu’on ne trouve pas dans la nature, mais qui présentent des propriétés olfactives originales.
Comment expliquer cette défiance du public pour les matières synthétiques ?
D’abord parce qu’il y a beaucoup de malentendus. On a ainsi trop souvent tendance à confondre artificiel et synthétique, alors que la synthèse sert en partie à reproduire la nature – et il faut arrêter de faire croire aux consommateurs que les vanillines synthétique et naturelle n’ont pas les mêmes qualités olfactives. Ensuite, même si aujourd’hui la synthèse apporte plutôt de la sécurité au consommateur, il est arrivé par le passé que l’on aille trop vite pour la mise sur le marché de certaines molécules, ce qui alimente, à tort désormais, la méfiance de certains. C’est ce qu’il s’est produit pour les muscs nitrés, par exemple. On a découvert par hasard, à la fin du xixe siècle, dans des travaux portant sur les explosifs, que l’on pouvait obtenir des molécules à l’odeur musquée. C’était une synthèse facile, peu chère, qui donnait des produits stables, et ces muscs ont été très employés en parfumerie, notamment dans les lessives, représentant des volumes énormes… Jusqu’à ce que l’on s’aperçoive qu’ils présentaient un problème de biodégradabilité et de toxicité. Mais c’est en quelque sorte l’exception qui confirme la règle : quand on prend en compte les conséquences pour l’environnement et pour notre organisme de l’usage des molécules au quotidien sur le long terme, comme on le fait aujourd’hui, l’utilisation de la synthèse est sûre.
La chimie verte, qui permet l’application des principes du développement durable à la chimie, peut-elle représenter un bon compromis ?
Il reste de nombreux progrès à faire concernant le coût environnemental des procédés mis en œuvre, la consommation d’énergie, la production de rejets et de déchets… Néanmoins, sans succomber à la tentation de tout repeindre en vert, c’est en effet sur la chimie verte qu’il faut miser à l’heure actuelle. Pour faire un parallèle, on lit beaucoup d’articles expliquant que les voitures électriques sont en réalité plus polluantes que le diesel, à cause de la fabrication des batteries au lithium, de leur recyclage qui n’est pas possible pour le moment… Certes, ce n’est pas parfait, mais il existe une marge de progression pour les voitures électriques, contrairement au diesel. Pour la chimie verte, c’est la même chose.
Cet entretien est tiré de :
Le Grand Livre du parfum – Pour une culture olfactive, 2e édition augmentée, 240 pages, Collectif, Nez éditions, 2020, 30€
- Disponible pour la France et à l’international : Shop Auparfum
- Disponible pour l’Amérique du Nord : www.nez-editions.us
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