Une parfumerie durable est-elle possible ?

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« Durable, responsable, éco-luxe, éco-conçu, recyclé, recyclable, ressourçable, solidaire, traçable, XX% d’origine naturelle, neutralité carbone, vegan, cruelty-free, clean, bon pour vous, bon pour la planète… » Autant de termes magiques qui fleurissent depuis quelque temps dans les communications des lancements de parfums, qu’ils soient dans le giron des plus grands groupes cosmétiques internationaux ou issus de nouvelles marques indépendantes à la distribution confidentielle. Cette nouvelle parfumerie est-elle vraiment durable ? Nez a enquêté.


Si l’intention est à l’origine louable, la mise en pratique et l’opacité des moyens déployés s’assimilent hélas parfois plus à une forme de greenwashing déculpabilisant, comme on peut souvent l’observer dans le secteur alimentaire.

Signe d’un engouement croissant pour le sujet, il existe depuis 2020 un filtre  « parfum éco-responsable » sur le site de Sephora (qui semble renvoyer sur à peu près tous les best-sellers du moment ; premier sur la liste : Sauvage de Dior), se rapportant à plusieurs étiquetages : Good for better planet, traduit comme  « bons gestes pour prendre mieux soin de la planète », garantirait « des emballages éco-conçus et/ou un sourcing responsable des ingrédients ». Le filtre « parfum vegan » (Good for vegan, donc) renvoie à une liste de 131 produits ne contenant pas d’ingrédients d’origine animale (oubliant évidemment de préciser que ces derniers ne concernent aujourd’hui que très peu de parfums, et que ceux qui n’ont pas le sticker en question ne sont sans doute pas tous  « cruels envers les animaux » pour autant…) Quant à « parfum naturel », ce filtre est associé à la notion de Good for you, et englobe par exemple toutes les références d’Atelier Cologne, qui affichent  « 91% d’origine naturelle » (sans préciser s’il s’agit de pourcentage sur la formule du parfum ou le produit fini, et sans non plus expliquer pourquoi ce serait meilleur pour vous). 
Cet exemple emblématique d’un mode de communication qui se pratique partout aujourd’hui, que ce soit chez Sephora ou dans la presse, démontre avec une triste évidence le recours à la simplification à l’outrance, l’absence d’une information pédagogique, et l’absurdité même de ce genre d’outil, qui sans prendre le temps d’expliquer et de nuancer, ne fait que semer la confusion, le doute, les croyances, donc la peur, et la course à celui qui aura la meilleure étiquette. Bref, que le meilleur gagne, peu importe la réalité cachée derrière…
Ces mentions, qui ne disent pas grand chose de concret, ne font au contraire que renforcer l’idée que le parfum est suspect, et qu’il faut donc se tourner vers les marques qui se targuent de faire quelque chose. Oui, mais quoi au juste ? Ça, c’est plus compliqué de le savoir. Quelles pratiques se dissimulent derrière tous ces slogans ? Que signifie la notion de durabilité pour la parfumerie, une industrie dont le marché pèse globalement près de 35 milliards de dollars, dont les experts annoncent un doublement dans les années à venir1Source : https://www.fragrancefoundation.fr/2021/03/la-parfumerie-francaise-est-en-pleine-expansion, et qui, après avoir traversé une pandémie sans précédent privant au passage un grand nombre de leur odorat, affiche un insolent 10% de croissance ?

Si la question de la limite des ressources commence à germer vers la fin du XVIIIe siècle lors des prémices de la révolution industrielle, la notion de « développement durable » (traduite de l’anglais sustainable development) n’apparaît pour la première fois qu’en 1980, lorsque l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) publie un rapport intitulé La stratégie mondiale pour la conservation. Le terme sera consacré lors du sommet de Rio de Janeiro en 1992 dans le sens d’un croisement des trois piliers du développement : environnemental, social et économique. 
Aujourd’hui, cette notion est décriée : on lui reproche de laisser entendre qu’on peut développer l’économie tout en protégeant l’environnement et ses ressources. Autrement dit, de faire miroiter le mirage d’une croissance infinie dans un monde fini. 

Alors que le concept d’éco-responsabilité se propage au sein de la parfumerie au même rythme effréné que les nouveaux lancements, ce qu’il implique réellement semble beaucoup moins visible et tangible que ses revendications. Beaucoup de mots, d’affirmations, de déclarations, mais comme d’habitude dans cette industrie qui aime cultiver le secret, aussi beaucoup de simplifications et de slogans, peu de discours étayés et nuancés pour mieux expliquer de quoi il en retourne, et permettre de faire des choix éclairés.
Le fait qu’un ingrédient contenu à moins d’1% dans la formule d’un parfum soit cultivé en agriculture biologique pèse-t-il plus dans la balance écologique que les milliers de flacons produits ayant dû être transportés par camions, emballés dans une quantité incalculable de cellophane ? Ou que les centaines de communiqués de presse envoyés individuellement à chaque journaliste ?
Par ailleurs, l’accent est souvent mis sur l’éco-responsabilité, parfois au détriment de la dimension sociale du développement durable : alors qu’un produit se targue d’être bon pour la planète ou bon pour vous, est-il également bénéfique aux populations qui cultivent les plantes à parfums ou qui les transforment, dans des pays à la situation géopolitique et économique fragile ? 

Poursuivant la volonté d’exploration déjà menée sur la parfumerie naturelle, Nez vous propose d’aller plus loin que les accroches des dossiers de presse, et d’examiner de manière approfondie et transparente les différentes pratiques et démarches possibles pour rendre le parfum, à tous les stades de sa vie, plus compatible avec un futur meilleur. 
Depuis la culture des plantes à parfums, leur transformation, la synthèse de molécules, jusqu’au devenir des flacons invendus, en passant par les quantités de déchets générés et recyclés, les outils à disposition des parfumeurs et les différents éléments du packaging, nous vous proposons une plongée dans tout ce que peut englober le développement durable en parfumerie.

Illustration Marion Duval


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