Julien Rasquinet : « Au-delà de sa beauté olfactive, Aromatics Elixir porte une leçon de création » 

Il y a des parfums qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Et puis il y a les parfums qui comptent, ceux qui marquent à jamais la vie et la carrière d’un parfumeur. Semaine après semaine, ils sont désormais nombreux à nous avoir conté leur rapport à une création, et l’influence parfois inconsciente de celle-ci sur leur manière de composer.
Parfumeur principal chez CPL Aromas, Julien Rasquinet s’est confié à nous pour évoquer ses souvenirs d’enfance, à travers un parfum emblématique : Aromatics Elixir.

S’il est bien une création qui me renvoie vers mes souvenirs d’enfance, c’est Aromatics Elixir de Clinique. J’ai l’impression de l’avoir toujours connue, comme si j’avais pu la percevoir depuis le ventre de ma mère, avant même d’être né : c’est son parfum signature. Elle lui a presque toujours été fidèle. Quand je le sens, il m’emplit d’un sentiment de réconfort, de sécurité. Je me souviens également du cocktail détonnant qui régnait à la maison : à l’opulence charismatique maternelle, mon père, puis moi, ajoutions le sillage d’Habit rouge !

Je ne l’ai évidemment pas senti que sur elle : cette création a su conquérir le monde, elle a imposé une ligne directrice dans les chypres. Tous ses successeurs semblent ainsi en porter l’empreinte, et nombre de parfumeurs l’ont dans un coin de la tête lorsqu’ils composent. Mais Aromatics Elixir a aussi été un succès auprès du grand public, en opérant cette prouesse de remettre au goût du jour ces chypres qui, dans les années 1970 aux États-Unis, étaient perçus comme vieillots. Pourtant, Aromatics Elixir est radical, sans compromis. 

Il a eu bien des ancêtres, mais semble avoir complètement renouvelé le genre. Il incarne par ailleurs un paradoxe qui m’amuse : il contredit les règles d’écriture dont à peu près tous les parfumeurs se vantent aujourd’hui ! Nous parlons en effet constamment de formules simples et d’épure, et pourtant l’une des plus grandes compositions de l’histoire va exactement à l’opposé d’une telle démarche. À mon sens, cette fragrance porte ainsi, au-delà de sa beauté olfactive, une leçon de création : elle nous invite à être plus attentifs à nos impressions, à notre corps et à nos sensations lorsque nous travaillons, en mettant en partie de côté la raison et la théorie, même si elles restent essentielles.

Aromatics Elixir m’a personnellement beaucoup influencé dans mon écriture, définissant probablement mon goût personnel pour des fragrances raffinées mais ultra puissantes. Même si je n’ai jamais vraiment composé dans sa filiation directe, je crois que j’y pense à chaque fois que je travaille des effets chyprés dans une création : que ce soit dans The Moon des Éditions de parfum Frédéric Malle, dans Tabac Rose de BDK, dans Orchid Leather de Van Cleef & Arpels, ou encore dans Notte d’Oro de Valentino – que j’ai cocréé avec Paul Guerlain.  

Encore aujourd’hui, je pense que ce parfum a beaucoup à nous apprendre et il constitue à mon sens ce qui a été fait de plus élégant, tant pour les femmes que pour les hommes. Il n’a pas pris une ride ! Il est certes moins porté, mais sait frayer son chemin dans le cœur de celles et ceux qui souhaitent se démarquer : signé, différenciant, intemporel, mêlant puissance et élégance, il me semble parfaitement dans l’air du temps !

Julien Rasquinet, octobre 2024

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DOSSIER « CONFIDENCES PARFUMEES »

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