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Dans la première galerie new-yorkaise entièrement consacrée à l’art olfactif, Olfactory Art Keller, l’artiste Nicklaus-Maurer expose une œuvre immersive, hommage multi-dimensionnel à Andy Warhol et à La Factory. À voir et à sentir jusqu’au 17 avril.
En février dernier ouvrait à New York la première galerie entièrement consacrée aux œuvres olfactives – sculptures, installations immersives ou projets de parfumerie expérimentale. Olfactory Art Keller, du nom de son fondateur, le docteur en philosophie et neurobiologie allemand Andreas Keller, s’est implantée dans le quartier que l’on appelle Two Bridges, à quelques pas de Chinatown. Pari à la fois osé et engagé au cœur d’une pandémie mondiale dont l’une des conséquences est une explosion des cas d’anosmie !
Alors que chaque art lié à une modalité sensorielle avait son local spécifique (la salle de concert, le théâtre, le musée, le restaurant…), c’est la première fois qu’un lieu d’exposition est spécifiquement pensé et adapté en amont pour la présentation d’odeurs – ce que de nombreux artistes, commissaires d’expositions et chercheurs ont appelé de leurs vœux ces dernières années face à la croissance exponentielle des pratiques olfactives (notamment dans l’ouvrage Les Dispositifs olfactifs au musée publié par Nez éditions en 2018). Traditionnellement, le white cube, ce cube blanc de la galerie devenu une norme, est dominé par le paradigme moderniste de l’hégémonie du visuel et bien peu préparé, aussi bien idéologiquement que matériellement, à accueillir des odeurs. Exposer l’art olfactif, c’est en effet se confronter à plusieurs problématiques, spatiale, temporelle et climatique, car qu’elles soient conçues en ce sens ou non, les œuvres olfactives ont toujours une forte tendance à s’accaparer l’espace. C’est pourquoi Andreas Keller a d’emblée implémenté un système d’aération performant qui permet de contrôler la circulation de l’air, et donc aux odeurs d’être efficacement contenues, animées ou extraites.
Olfactory Art Keller a accueilli en février son exposition inaugurale, /Forest Bath, de l’artiste et designer M Dougherty. C’est à présent au tour de l’artiste allemande Camilla Nicklaus-Maurer, qui emploie depuis longtemps les odeurs comme l’un des médiums principaux de sa pratique, d’investir le petit espace avec son projet immersif : olFACTORY. Dans le jeu de mot de ce titre se cache un hommage à Andy Warhol et à La Factory, son atelier culte ouvert à New York en 1964. Warhol qui était, comme nous l’exposions dans le sixième numéro de la revue Nez, un grand collectionneur de parfums, autant pour les flacons que pour les odeurs elles-mêmes, leur propension à rayonner dans l’espace et à abolir le temps. Il travailla d’ailleurs à plusieurs projets de parfums, notamment le provocateur You’re In, contenu dans des bouteilles de Coca-Cola bombées de peinture argentée, pour l’exposition Museum of Merchandise organisée à Philadelphie en 1967.
Avec olFACTORY, Camilla Nicklaus-Maurer tire avantage de l’espace à la fois restreint et propice que lui offre cette exposition personnelle : l’intérieur de la nouvelle galerie new-yorkaise, plongé dans une semi-obscurité, est entièrement recouvert de feuilles d’aluminium et occupé par l’odeur à la fois étrange et familière de la banane ! En forme de clin d’œil visuel et olfactif, c’est un hommage multi-dimensionnel que rend Camilla Nicklaus-Maurer au Pape du Pop Art puisqu’on y retrouve à la fois son goût immodéré des senteurs, son obsession pour la couleur argentée – dont il fit recouvrir le murs de la Factory –, ainsi que son iconique banane qui servit de couverture à l’album The Velvet Underground and Nico.
Or cette fameuse banane jaune était à l’origine un auto-collant sous lequel on pouvait en découvrir une autre, épluchée, et d’un rose pâle suggestif… À la manière de cette « double banane » warholienne, la banane olfactive de Camilla Nicklaus-Maurer est, elle aussi, double. Elle évolue en effet dans l’espace à mesure que le visiteur s’avance vers le fond de la galerie. C’est que l’artiste a employé deux compositions, respectivement intitulées Young Banana et Old Banana, qui lui permettent de spatialiser une expérience temporelle, celle du mûrissement de ce fruit invisible. Comme les sérigraphies pop de Warhol qui simplifiaient les lignes et bousculaient les couleurs, ces interprétations olfactives de la banane sont identifiables sans être naturalistes, et les intonations froides et métalliques qui se cachent sous les aspects fruités, doux et crémeux de la banane, s’accordent avec l’environnement visuel créé par l’artiste.
La saison elle-même sied par ailleurs bien à cette installation hommage à celui dont l’odeur favorite était « la première effluve du printemps à New York » (Andy Warhol, « Giant » Size, Phaidon, 2009) !
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olFACTORY – Camilla Nicklaus-Maurer
À voir et sentir du 25 mars au 17 avril 2021
Olfactory Art Keller
25 Henry Street
New York NY 10002
Du jeudi au samedi, de midi à 18h
La boutique en ligne de la galerie commercialise également une édition à 13 exemplaires signés : olFACTORY recreation kit ($440), une boite en métal argenté contenant les matériaux nécessaires – aluminium et parfums – à la recréation, en version miniature, de l’exposition. :
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