Avec ses nuances fruitées, fumées ou citronnées, le piment est un parfum en soi. Mais ceux qui tentent de le capturer en flacons se confrontent à une difficulté de taille : le piquant n’est pas perceptible à notre nez ! Il faut donc composer avec l’imaginaire, comme l’explique le parfumeur Patrice Revillard. À l’occasion de la sortie du livre J’aime le piment de Sonia Lounes, auquel Jessica Mignot a contribué, nous vous proposons cet article initialement paru dans Nez #19, au printemps dernier. Attention ça chauffe !
Contrairement à ce qu’on peut supposer à la lecture de certaines pyramides olfactives, le piment de nos plats, qui appartient à la famille des solanacées et au genre Capsicum, n’est pas une matière première disponible dans la palette du parfumeur. Et heureusement ! Qui aurait envie de brûler ses muqueuses à coups de pschitts ? On peut cependant trouver de l’huile essentielle de piment baie, issue du Pimenta dioica, ou poivre de la Jamaïque. Celui-ci appartient, comme le ‘Bay Saint Thomas’, au genre Pimenta, et il fait partie de la famille des myrtacées. Vous suivez ? Un vrai casse-tête, lié à une confusion terminologique que renforce encore le terme en anglais – pepper pouvant désigner le poivre comme le piment.
Ce flou sémantique explique en partie qu’on ait évoqué l’ingrédient dans Poivre (1954) de Caron ou encore dans Mitsouko (1919) de Guerlain. Mais c’est aussi parce que la parfumerie a ce pouvoir, presque magique, de suggestion. On sait bien qu’on peut sentir la figue sans qu’aucune extraction du fruit n’existe ; le même procédé est à l’œuvre pour le piment. Cependant, l’indisponibilité d’un extrait « rend l’exercice différent, car on ne peut pas s’appuyer sur une matière qui confère une forme de naturalité », explique Patrice Revillard, auteur de Scoville (2024) d’Obvious. Créer une odeur de piment relève ainsi d’un véritable défi, d’autant plus qu’il faut suggérer une sensation qui échappe au nez, celle de la capsaïcine sur notre nerf trijumeau. « Il faut se concentrer sur l’imaginaire auquel le piment renvoie, travailler comme un impressionniste, par touches : on va essayer d’apporter des facettes chaudes, piquantes, d’évoquer le rouge, mais aussi les facettes plus juteuses et vertes », poursuit-il. Pour le côté brûlant, « le poivre noir peut être utilisé, ou encore l’eugénol, molécule caractéristique du clou de girofle ». Pour traduire olfactivement le croquant végétal, « on va piocher dans les notes de jacinthe ; on peut ajouter quelques touches fruitées. Il y a aussi la Galbazine, une molécule qui évoque le poivron coupé. » D’ailleurs, des extractions de poivron sont récemment venues s’ajouter à la palette des ingrédients disponibles. « On peut aussi choisir d’évoquer l’aspect brillant de la peau, comme un cuir glacé », complète le parfumeur.
Ceux qu’on ne connaît désormais que trop bien sous le nom de « bois ambrés » peuvent également participer à reconstruire l’effet piquant, voire agressif, de la note. La matière a bien fait l’objet de quelques interprétations olfactives : citons Xeryus rouge, créé par Annick Menardo pour Givenchy en 1996 ; Series 2 Red : Harissa de Comme des garçons et Piment brûlant de L’Artisan parfumeur, lancés au début des années 2000 et signés Bertrand Duchaufour ; ou encore Paprika Brasil (2006) de Jean-Claude Ellena pour Hermès. Tous ont disparu des rayons, laissant supposer qu’ils ne trouvaient pas leur public. Mais, entre l’explosion des sauces pimentées et l’attrait pour les gourmandises salées en parfumerie, il y a fort à parier que la note devienne très tendance, comme en témoignent certains lancements récents.
Sélection non exhaustive :
Darling Bogota, Len Fragrances, par Daniela Marty, 2023
Une composition explosive et riche, où dansent épices, rhum, fruits confits, café et tabac, et où le piment s’étoffe d’un fond ambré et miellé.
Heaven Can Wait, Éditions de parfums Frédéric Malle, par Jean-Claude Ellena, 2023
Ici, le piment est doux, rappelant le paprika: mêlé au clou de girofle, il réchauffe l’étreinte câline de l’iris, la vanille et les muscs blancs.
Scoville, Obvious , par Patrice Revillard, 2024
Les notes vertes et cinglantes évoquent avec réalisme un poivron juteux immédiatement relevé par la piqûre d’eugénol et de bois ambrés, et réchauffé de cacao.
303 Marbre rouge, Bon Parfumeur, par Sidonie Lancesseur, 2024
Un ambre chaud et épicé, où les baies roses de l’ouverture laissent peu à peu la place à un fond baumé et boisé, vibrant comme une seconde peau.
J’aime le piment, petit précis du goût piquant, de Sonia Lounes, avec la contribution de Jessica Mignot pour le chapitre consacré aux parfums.
Éditions Keribus, octobre 2025, 224 pages, 24 euros.
Retrouvez également bien sûr cet article, ainsi que l’interview du producteur de piment Pierre Gayet, dans le Nez #19, Le Bien et le mal, disponible ici.
Photographie : © Frank Juery, pour la revue Nez.







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