Pierre Bénard : « Le parfum connecte les individus »

Parfumeur indépendant vivant à Lavaur, près de Toulouse, fondateur de la société Osmoart consacrée à la fois à l’éducation, aux naturels, à la création et au design olfactif, Pierre Bénard lance un premier parfum baptisé Lilith, sombre héroïne, actuellement en campagne de financement participatif. Il nous parle de la germination de ce soliflore tubéreuse.

Quelle est votre formation ?

Initialement biochimiste, j’ai été propulsé dans le voyage sensationnel des senteurs grâce à un docteur en biotechnologie végétale, un alchimiste passionné d’odeurs, qui m’a transmis, durant six ans, des connaissances dans diverses disciplines étroitement liées à l’olfaction. Suivant le fil rouge que constitue la botanique des plantes aromatiques et à parfum, j’ai poursuivi ma formation d’étudiant en parfumerie à Montpellier, puis à Grasse où j’ai fait mes premiers pas dans l’industrie et où j’ai obtenu le titre de parfumeur. Je suis directeur artistique olfactif de la société Osmoart que j’ai lancée en 2003.

À quoi ressemble votre quotidien d’indépendant ?

Mon quotidien est éclectique. J’ai besoin de bien m’organiser, car les projets sont divers : mise en place de concerts parfumés, d’expositions olfactives, consulting dans la création, formations professionnelles… Mes activités de parfumeur indépendant s’orientent vers quatre directions : l’éducation olfactive (même si je lui préfère le terme d’« enseignement olfactif ») ; l’expertise du naturel, portée par ma formation mais surtout mon amour indéniable pour ces ingrédients ; la création olfactive, à la fois pour imaginer des fragrances pour la peau comme pour l’intérieur ; et enfin ce que j’appelle le « design de l’air », se référant au métier de régisseur olfactif pour parfumer des lieux et des événements.

Ces différentes casquettes me permettent de faire de nombreuses rencontres professionnelles ou personnelles, qui font la richesse de mon métier et de cette entreprise solitaire. Le parfum connecte les individus.

Comment est née l’idée de créer votre propre parfum ?

C’est une longue histoire, qui a mis beaucoup de temps à germer.
Je repense à Constant Viale, l’horticulteur-poète, qui m’avait confié quelques semences de Polianthes tuberosa que j’ai toujours en ma possession : elles sont noires.
À leur image, la longue germination de ce soliflore est une introspection créative de l’ombre à la lumière. Elle est intimement initiée par une histoire d’amour, du coup de foudre à l’attachement. Cette création est arrosée par le temps et comme un symbole, elle célèbre aussi les vingt années que j’ai consacrées à Osmoart et à cette vision artistique du parfum. 

Comment l’avez-vous composé ?

Lilith est façonnée comme un soliflore, autour d’un cœur de tubéreuse.

Au départ, sa conception provient de différentes études olfactives : d’abord, de celle de son essence, le nez à même la fleur, dans les cultures de Constant Viale ; celle de headspace réalisée grâce à Jean-Philippe Paris [anciennement directeur de laboratoire, aujourd’hui directeur scientifique et technique de l’Atelier français des matières premières] lorsque nous exerçions chez Payan Bertrand ; en passant par la découverte d’extraits de cette fleur issus de nouvelles techniques proposés par d’autres sociétés d’ingrédients naturels. Je l’ai donc examinée sous toutes ses coutures, déshabillée avant de la parer d’autres matières précieuses.

En tête, j’ai composé un accord simple entre une huile essentielle fractionnée d’une cardamome indienne, épice froide, et une molécule mentholée. Un effet glacial médusant qui mord la peau comme les crochets de reptiles. À la manière d’un bouquet, son cœur s’entoure de notes florales de roses, d’un jasmin d’Inde, de fleurs d’oranger et exotiques. Son sillage suave et maternel est un baume à ce cœur : une voie lactée de bois de santal et de larmes de benjoin, un voile étoilé de muscs cosmiques sur une peau d’ambre.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées, et quels heureux hasards ?

L’une des difficultés dans la création d’un parfum aussi personnel est cette quête de justesse : utiliser les bons ingrédients comme on trouve les bons mots pour conter olfactivement l’histoire imaginée, pour composer un poème fait de senteurs.

Lilith peut se lire selon différentes approches : au travers des ingrédients de provenance indienne qu’elle contient, elle devient nomade et gitane ; au travers d’effets tactiles, elle incarne plusieurs facettes du féminin… Pendant cette quête d’esthétisme, plusieurs rencontres humaines ont constitué d’heureux hasards qui m’ont permis de faire face aux défis que je me suis fixés.

Au-delà de la création olfactive, comment a été pensé le flacon ?

J’ai une grande sensibilité pour les beaux-arts que j’étudie en autodidacte, c’est ce qui m’a permis d’être concepteur-designer du flacon et du packaging de ce projet.
La forme du flacon évoque une toupie : un jouet, source de fascination pour l’enfant que nous sommes ou avons toutes et tous été. Il suscite l’envie irrépressible de s’en saisir, mais le lancer est contredit par sa fragilité, puisqu’il est réalisé en porcelaine de Limoges, une indication géographique témoignant d’un savoir-faire. 

Ce flacon s’inspire également du Samā‘, une danse giratoire sacrée des derviches tourneurs, inscrite au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité depuis 2008. J’ai déposé ce modèle sous le nom Apocalypse. Étymologiquement, ce terme grec ancien est la transcription d’une action de découvrir, une mise à nu, l’enlèvement d’un voile : une révélation.
Ce flacon androgyne a été remodelé plusieurs fois, comme le parfum, pour permettre son passage de l’imagination à la réalisation.

Vous avez imaginé un jeu de « fil rouge » pour faire découvrir votre parfum, en quoi consiste-t-il ?

Des énigmes sont transmises sur les réseaux sociaux depuis le 8 mars, notamment sur mon compte Instagram, afin de retrouver les doses cachées dans dix sites du centre-ville de Toulouse, contenues dans une pochette noire étanche où est inscrit le nom du jeu, « Smell me I am famous ». Ceux qui les trouvent sont invités à l’annoncer sur les réseaux en taggant #lilithsombreheroine.

Cela permet, tout en dévoilant et médiatisant le parfum, de rendre visible des œuvres artistiques et des lieux culturels toulousains, parfois peu reconnus et pourtant si accessibles. 

Pouvez-vous nous en dire plus sur la campagne de crowdfunding ?

Elle a débuté le mardi 27 février, et dure 35 jours, jusqu’au 1e avril 2024. Cette campagne de financement participatif est une manière de soutenir la production de cette première fragrance, de son flacon en porcelaine et de son packaging.
Il y a plusieurs contreparties. Pour présenter l’esprit de Lilith, une dose de cette « drogue parfaite » est contenue dans une ampoule sécable qui permet son inhalation. Le flacon Apocalypse d’une contenance de 125 ml sera proposé dans son écrin-fleur nommé « Hana » contenant quatre cartes photographiques qui content le parfum. Mais il y a également des lots comprenant des formations professionnelles à destination d’entreprises qui souhaiteraient soutenir le projet. 

Visuel principal : Pierre Bénard

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Excellente tribune, j’adhère au discours complètement. Ce sont des passionnés et des témoignages qui m’ont aujourd’hui donné la force de me lancer moi aussi dans la création de parfums personnalisés et sur-mesure, avec un objectif de créer ce liant que vous évoque entre les individus, tout en permettant aussi de trouver sa propre identité olfactive qui raconte son histoire 😇 http://www.mon-parfum-personnalise.fr

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