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Si le Covid-19 a eu un mérite, cela aura peut-être été celui de révéler au public l’existence de maladies comme l’anosmie ou l’agueusie, tant l’odorat s’est avéré une victime collatérale de l’infection virale qui nous frappe. En creux, ces affections soudaines, généralement temporaires, ont révélé l’importance de l’odorat dans notre vie quotidienne, la détresse dont souffrent ceux qui sont affligés de sa perte… et le long chemin encore à parcourir pour maîtriser la physiologie de nos voies olfactives, parfois encore impénétrables à la connaissance. En guise de prémisse à une collaboration de diffusion scientifique avec Nez, que nous espérons au long cours, Sylvain Antoniotti, directeur de recherche au CNRS et directeur de l’Institut d’innovation et partenariats Arômes Parfums Cosmétiques d’Université Côte d’Azur nous éclaire sur l’état de la recherche en la matière.
L’odorat est longtemps resté un sens méconnu. Quand la recherche sur l’olfaction a-t-elle commencé à se développer ?
L’odorat n’est pas considéré à première vue comme le sens le plus utile dans la vie de tous les jours, et l’intérêt qu’il suscite est récent. Le prix Nobel de physiologie ou médecine attribué en 2004 à Richard Axel et Linda Buck pour leurs travaux sur le système olfactif a constitué un moment-clé. Il a bien sûr permis de mettre l’olfaction dans la lumière, mais aussi de réorienter certains thèmes de recherche. Axel et Buck ont montré par quels mécanismes nos récepteurs olfactifs détectent les molécules odorantes, et étudié les liens entre le traitement au niveau cérébral, où d’autres effets interviennent comme le plaisir ou la mémoire. Cela a révélé à quel point l’odorat est compliqué à étudier, et qu’il doit l’être de manière interdisciplinaire avec des chimistes, des biochimistes, des physiologistes, des médecins, des psychologues, des sociologues, des linguistes, des anthropologues…
Comment s’organise la recherche sur l’olfaction en France ?
Historiquement, plusieurs laboratoires de recherche, qui peuvent être liés à des universités comme au CNRS, à l’INRAE (anciennement INRA), ou à l’Inserm, travaillent sur ces questions d’olfaction, certains avec des spécialités. A l’Université Côte d’Azur, nous menons depuis plusieurs décennies des recherches fondamentales et appliquées en lien avec la science des parfums, étant donné la proximité avec Grasse et les nombreuses entreprises de la parfumerie qui s’y trouvent. A Dijon, on trouve le Centre des sciences du goût et de l’alimentation (CSGA), à Lyon, le Centre de recherches en neurosciences, d’autres laboratoires à Montpellier, Toulouse, Paris, au Havre, Lille, Strasbourg, Nantes, Angers…
Ce maillage reflète l’interdisciplinarité que j’évoquais. En 2015, il a été structuré par la création d’un groupement de recherche, nommé, selon la terminologie du CNRS, le GDR O3 (Odorant, Odeur, Olfaction), qui assure l’animation scientifique du réseau avec des rencontres, des échanges et des projets collaboratifs. Ces dernières semaines, il a notamment permis de répondre très vite à l’enquête internationale lancée par le Global Consortium for Chemosensory Research (GCCR) sur les problématiques autour de l’anosmie et de l’agueusie que l’on voit apparaître chez les malades atteints du Covid-19. Un questionnaire à soumettre aux malades a été créé et traduit dans près de 30 langues pour avancer sur la compréhension de ces phénomènes de perte ou d’altération de l’odorat et du goût et en faire peut-être un outil de diagnostic de la maladie. Grâce au GDR, les chercheurs français ont pu se mobiliser rapidement et recueillir plus de 10 000 réponses.
Quels sont les autres laboratoires en pointe sur le sujet au niveau international ?
Le Monell Chemical Senses Center à Philadelphie aux Etats-Unis, partenaire d’Université Côte d’Azur. Cet institut de recherche à but non lucratif est spécialisé dans la biologie moléculaire, les neurosciences et la physiologie de l’olfaction et du goût, notamment en lien avec l’alimentation et en particulier l’obésité. Par ailleurs, des chercheurs rattachés à des universités sans affichage thématique particulier peuvent contribuer aux avancées dans le domaine ailleurs aux Etats-Unis, mais aussi en Allemagne, en Angleterre, en Italie, aux Pays-Bas, au Japon, en Corée …
Pourquoi nouer ce partenariat avec Nez ?
Chacun d’entre nous a un flacon de parfum dans sa salle de bain, mais tout le monde ne sait pas forcément comment il est fabriqué, ce qui compose le parfum, quelle est la différence entre les matières premières synthétiques et les naturelles ou ce qu’est une molécule. Comme pour d’autres domaines où les technologies sont à un niveau avancé, il est parfois difficile pour le grand public de s’y retrouver, et beaucoup d’idées fausses sont véhiculées. Il y a encore peu de vulgarisation dans ce domaine car la science de l’olfaction est jeune, mais une des missions des scientifiques est d’éclairer le citoyen. Nous allons donc proposer des contenus pour apporter une médiation scientifique sur la science des parfums.
Quels seront ces contenus ?
Nous commencerons avec un article de contexte pour planter le décor, ensuite nous nous intéresserons à des points particuliers : l’aspect moléculaire de tel ou tel ingrédient, les biotechnologies, la question du synthétique et du naturel… Nous pourrons aussi proposer des articles « spin-off » de nos recherches : quand un chercheur publie un article dans une revue scientifique, il pourrait en proposer une version courte accessible au grand public pour expliquer ce que cela apporte à nos connaissances.
Propos recueillis le 13 mai 2020
A paraître : The chemistry of perfumes, Ed. V. Michelet, Sylvain Antoniotti, Imperial College Press, 2021
- La page Facebook de l’Institut d’innovation et de partenariats sciences des odorants
- Lire également notre article Covid-19 : le jour où le monde perdit l’odorat
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