Nez, la revue… de presse – #12 – Où l’on apprend que le N°23 n’est pas un grand aldéhydé, que les oiseaux sont parfumés et que le savon sent jaune (ou vert)

Une revue de presse qui se penche sur les liens entre odeurs et identité, des maisons de couture à nos intérieurs douillets, sans oublier les vieux livres, les fleurs de lotus et Isabelle Adjani.

Peut-être avez-vous déposé ou trouvé au pied du sapin un flacon du N°5 de Chanel, qui reste un des parfums les plus vendus en France ? S’il a des racines russes via son créateur, Ernest Beaux, né à Moscou, c’est une fragrance nommée N°23 qui fait parler d’elle en ce moment dans la capitale russe, rapporte Le Monde. Dans la formule de ce lointain descendant, point d’aldéhydes scintillants ni de suave jasmin : on y sent des effluves nettement plus sinistres de « sous-sol humide », de poudre à canon et de cendre. Ce N°23 a en effet été imaginé pour alerter l’opinion sur la transformation annoncée d’un des lieux emblématiques de la Grande Terreur stalinienne en… parfumerie de luxe. 

Il existe pourtant des liens privilégiés entre odorat et mémoire, et l’olfaction pourrait même permettre de mieux conserver notre patrimoine, selon le site ActuaLitté. Des chercheurs de l’université d’Aveiro au Portugal ont ainsi mis au point un nez électronique capable d’analyser l’odeur dégagée par les livres anciens (due notamment au furfural, un composé chimique associé à la dégradation de la cellulose) pour évaluer leur état et déterminer le traitement le plus adapté pour assurer leur sauvegarde. 

Chaque livre présente une senteur caractéristique, et il semble que ce soit le cas également chez certaines espèces d’oiseaux, nous apprend le site du Smithsonian magazine. Une chercheuse de l’université du Michigan a mis en évidence chez les oiseaux chanteurs un mode de communication chimique basé sur l’huile odorante sécrétée par une glande située à la base de leur queue, et qu’ils utilisent pour lisser leurs plumes. C’est notamment la combinaison de bactéries propre à chaque individu qui déterminerait son parfum, et par ricochet son attractivité en période de reproduction. 

Nous possédons nous aussi notre signature olfactive particulière, tout comme nos maisons – ce que nous sentons distinctement quand nous nous rendons chez quelqu’un. Mais pourquoi ne le percevons-nous pas dans notre propre foyer ? Par le même phénomène d’habituation qui fait qu’on devient anosmique à un parfum que l’on porte depuis plusieurs années, selon Le Vif. Une odeur connue est considérée comme inoffensive par notre cerveau, qui ne la détecte plus. Mais il suffit de quelques semaines d’absence pour se déshabituer des effluves typiques de son chez-soi, qui deviennent alors à nouveau perceptible, lorsqu’on rentre de vacances par exemple. 

L’odeur est décidément porteuse d’identité, et les maisons de mode l’ont bien compris. Alors que les départements couture et beauté des marques de luxe fonctionnaient le plus souvent indépendamment ces dernières années, la tendance est à l’implication croissante des créateurs de mode dans la conception des parfums, souligne Le Monde. Hedi Slimane a pensé de A à Z (avec trois parfumeurs) la collection Haute parfumerie de Celine, Julien Dosséna a initié la Pacollection chez Paco Rabanne, comme Alessandro Michele Bloom, Mémoire d’une odeur et la collection Alchemist’s Garden chez Gucci. A la clé, une cohérence et une désirabilité accrues des jus, notamment sur les réseaux sociaux – et des réussites olfactives dans la plupart des cas.  

Peut-on déceler une identité féminine dans les parfums créés par des femmes ? Rien n’est moins sûr, mais elles sont de plus en plus nombreuses à exercer dans l’industrie, relève Le Temps. De Françoise Caron à Aliénor Massenet en passant par Sophie Labbé, Isabelle Doyen et Daniela Andrier, le quotidien retrace le parcours et donne la parole à quelques-unes d’entre elles. 

Lorsqu’elles ont composé Nuit étoilée, Isabelle Doyen et Camille Goutal ne se sont pas inspirées du tableau du même nom de Van Gogh, mais du film Le Dernier des Mohicans. Pour découvrir l’odeur associée à la célèbre toile, c’est à Melbourne qu’il faudra aller cette année. Une exposition immersive présentera à l’automne à la galerie « The Lume » des reproductions numériques d’oeuvres du peintre hollandais mises en musique et en parfum. 

Autre art qui fait de plus en plus appel à notre odorat : le théâtre. Outre la marque Comme des garçons qui vient de lancer Odeur du théâtre du Châtelet Acte 1, le site Hyperallergic se penche sur le travail de Cyril Teste, qui a odorisé sa mise en scène de la pièce Opening Night, qui a tourné en France en 2019. Une fragrance a notamment été créée pour le rôle principal, tenu par Isabelle Adjani. « La difficulté était de créer un parfum, un vrai parfum, pas une odeur », souligne Cyril Teste. Il a fait appel pour cela à Francis Kurkdjian, qui a retravaillé son Absolue pour le matin, créée pour sa marque, avec des notes intenses et solaires de tubéreuse.

Le même Francis Kurkdjian a imaginé en collaboration avec Fendi un parfum dédié cette fois… à un sac à main, selon le magazine W. Le célèbre Baguette de la maison de luxe romaine a désormais droit à sa propre senteur, FendiFrenesia, dévoilée à l’occasion de la foire Art Basel Miami. Inspirée par le cuir Selleria emblématique de la marque, la composition comprend des notes de rose, de labdanum, de styrax et de vanille. Grâce à une technique traditionnelle de parfumage du cuir revue et corrigée (et déposée), le Baguette pourra rester parfumé jusqu’à quatre ans. La photographe Christelle Boulé a de son côté traduit en images cette senteur, en en déposant une goutte sur du papier argentique. Une image imprimée sur 20 Baguettes en édition limitée.

A quelle couleur associez-vous l’odeur du cuir ? La question peut paraître saugrenue, mais c’est celle que des chercheurs californiens ont posé à des groupes originaires de différents pays concernant des produits de la vie quotidienne : savon, fruits, bonbons, riz, poisson, plastique… Si l’odeur des fruits est universellement considérée comme rose ou rouge, certaines font nettement moins consensus, et tendent à prouver que notre monde olfactif est modelé par notre culture, selon The Atlantic. Le savon est ainsi perçu tantôt blanc (par une majorité d’Américains et de Hollandais), tantôt jaune (par les Malais), tantôt beige (par les Allemands), tantôt vert (par les Chinois vivant en Hollande). 

Quant au parfum des fleurs, est-il rose, jaune, bleu ? Le Washington Post se désole que nos jardins aient souvent perdu une grande part de leurs charmes odorants (parce qu’on privilégie souvent désormais l’attrait esthétique ou la capacité de croissance lorsqu’on choisit ses plantes), et détaille les espèces à privilégier, que l’on préfère les jonquilles, les hamamélis, les graminées aux effluves de popcorn ou de coriandre ou encore les fleurs de lotus. « La clé pour apprécier ces dernières est de sentir une plante assez proche du bord de l’étang pour ne pas tomber dans l’eau en la reniflant. Et même si cela arrive, le jeu en vaut sûrement la chandelle », conclut l’article.

Et c’est ainsi que les mouillettes ne servent pas qu’à déguster les œufs ! 

Visuel principal : © Morgane Fadanelli

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