Si cet été les bords de la Tamise vous tentent, un crochet s’impose par la Somerset House qui propose jusqu’au 17 septembre une exposition abordant la spécificité de la parfumerie contemporaine par l’entremise des autres sens : « Perfume: A sensory journey through contemporary scent ».
Pour Claire Catterall, senior curator à la Somerset House et à l’origine du projet, « le parfum est l’art du XXIe siècle ». Son idée pour l’exposition ? Proposer un voyage olfactif à travers l’espace, le temps et les émotions suscitées par les parfums. « Si les livres et les films peuvent nous faire voyager de cette manière, pourquoi pas les parfums ? » explique-t-elle en guise d’introduction. Lizzie Ostrom, la commissaire associée, connue sous le pseudonyme Odette Toilette et auteure d’un ouvrage sur l’histoire du parfum au XXe siècle, Perfume: A Century of Scents (2015, Ed. Hutchinson), considère quant à elle cette exposition comme un moyen de mettre en valeur les changements à l’œuvre dans la parfumerie du XXIe siècle : de l’originalité des matières (une liste ouvre l’exposition mêlant sans distinction l’iris, le créosote, la chlorine ou encore le sang) aux nouvelles intentions créatives des parfumeurs, qui ne sortent plus seulement des écoles des maisons de composition ou de l’Isipca, mais sont aussi parfois complètement autodidactes.
Une salle d’introduction historique présente aux visiteurs quelques chefs-d’œuvres de la parfumerie du XXe siècle, pas nécessairement les plus connus, mais parmi les plus représentatifs et iconiques de chaque décennie. Ainsi, autour d’une grande table en bois, dix flacons sont présentés sous des cloches en verre. Deux petits pots en aluminium, plutôt low-tech, permettent de sentir deux « pôles » du XXe : L’Origan de Coty (1905) dans une recomposition de Daphné Bugey, et CK One (1994) de Calvin Klein, confrontation illustrant clairement le fossé que le siècle a creusé entre ces deux créations. On découvre également sans les sentir le Chypre de Coty, N° 5 de Chanel, Schocking de Schiaparelli, Vent vert de Balmain, Youth Dew d’Estée Lauder, Eau sauvage de Dior, Opium d’Yves Saint-Laurent, et Giorgio de Giorgio Beverly Hills.
En quittant cet espace liminaire, les visiteurs sont invités à se saisir d’une carte vierge et d’un crayon avant de pénétrer dans le parcours de l’exposition. L’idée est de permettre à chacun de noter ses impressions sur les dix parfums présentés à l’aveugle, c’est-à-dire sans aucun support textuel mais simplement intégrés à des installations qui reflètent leurs inspirations, leurs évocations ou leurs formes : un bac de gravier noir, un cube blanc équipé de diffuseurs, des troncs d’arbres en guise de bancs, un confessionnal sombre… Les installations sont plus ou moins abstraites et immersives, intégrant des éléments visuels de formes, de couleurs, de lumières, mais aussi textures, mouvements et ambiances sonores. La voix des parfumeurs est notamment diffusée dans chaque salle, une manière de leur donner corps et présence. Les visiteurs sont ainsi invités à interagir avec chacun des environnements, à s’y assoir, s’y allonger, se saisir des éléments odorants pour les porter à leur nez. « L’expérience de sentir est une expérience intime. Idéalement il faudrait tout sentir sur peau. Nous avons cherché à reproduire cette intimité avec des objets dont on peut se saisir, ce qui implique une relation en tête-à-tête » explique Lizzie Ostrom.
Après avoir senti cinq parfums, une salle offre la possibilité de les ressentir dans des pots en aluminium en découvrant cette fois leur nom, marque, créateur et principales matières premières (naturelles et de synthèses, accords par accords). Pour ne pas compromettre l’expérience voici la liste des parfums exposés, dans le désordre :
• Purple Rain (2015), de Daniela Andrier pour Prada
• Sécrétions magnifiques (2007), d’Antoine Lie pour Etat Libre d’Orange
• Comme des garçons 2 (1999), de Mark Buxton pour Comme des Garçons
• Avignon (2002), de Bertrand Duchaufour pour Comme des Garçons
• En passant (2000), de Olivia Giacobetti pour Editions de Parfums Frédéric Malle
• Charcoal (2016), de Lyn Harris pour Perfumer H
• El cosmico (2015), de David Seth Moltz pour D.S. & Durga
• Molecule 01 (2007), de Geza Schoen pour Escentric Molecules
• L’air du désert marocain (2005), de Andy Tauer pour Tauer Perfumes
• Dark Ride (2015), de Killian Wells pour Xyrena
La dernière salle, sponsorisée par la maison de composition Givaudan, reconstitue un laboratoire de parfumeur. Des apprentis parfumeurs y composeront et pèseront des formules devant le public qui aura la possibilité d’y sentir matières et accords.
Les dix parfums choisis par les commissaires sont supposés être représentatifs du renouvellement de la parfumerie au XXIe siècle, et faire figure de parfums-pionniers, radicaux, différents. « Nous devions trouver des parfums intéressants et originaux », explique Lizzie Ostrom. « .
Le choix des parfums comme la démarche diffèrent nettement de l’exposition de Chandler Burr « The Art of Scent », présentée au Museum of Arts and Design de New York en 2013. Le propos n’est pas de présenter les parfums comme des œuvres d’art pures en les intégrants à un espace d’exposition de type white cube, ni d’y apposer la terminologie de l’histoire ou du discours critique de l’art. Au contraire, il s’agit pour Lizzie Ostrom de questionner le statut ambivalent du parfum, entre produit et œuvre d’art, en le dépouillant de ses attributs commerciaux (nom, flacon, marque) et en l’introduisant dans le contexte muséal d’une manière originale. « Je ne dis pas vraiment que le parfum est de l’art mais que c’est équivalent, au même niveau » précise Claire Catterall. L’exposition propose donc de faciliter l’appréhension du parfum dans toutes ses dimensions en lui adjoignant une dimension visuelle, auditive, voire tactile, pour en faire une expérience totale. Claire Catterall explique : « Nous espérons avoir fait quelque chose d’assez ouvert pour ne pas forcer les visiteurs à adopter notre point vue. C’est un équilibre entre trop en dire et pas assez.»
Mais si l’exposition sort le parfum de son contexte commercial, les installations lui en donnent un autre, peut-être plus hasardeux. Conçues sans la participation des parfumeurs, celles-ci ne sont que le reflet d’une interprétation de chaque parfum, biaisant nécessairement la subjectivité du visiteur. Le résultat est certes ludique mais l’on est en droit de s’interroger sur sa pertinence. Les installations ne sont pas forcément propices à expliciter les spécificités du parfum comme création, et inclus dans ces environnements construits, les parfums perdent leur autonomie, empêchés de signifier et de provoquer une expérience esthétique par et pour eux-mêmes. D’autant plus que les dispositifs déployés privent les parfums de leur évolution dans le temps, tronquant tristement les créations… Exposer le parfum n’est décidément pas chose facile, mais chaque nouvelle tentative apporte d’intéressantes nouvelles perspectives qui nourriront les projets futurs. Et le simple fait qu’une institution culturelle telle que la Somerset House s’intéresse au parfum annonce une forme de reconnaissance dont nous ne pouvons que nous réjouir.
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Somerset House
Perfume: A sensory journey through contemporary scent
Du 21 juin au 17 septembre 2017
East Wing Galleries, Somerset House, London
Ouvert tous les jours
Tarif normal : 11£
Tarif réduit : 9£
Plus d’informations et agendas des événements sur : https://www.somersethouse.org.uk/whats-on/perfume
Podcasts des conférences : https://www.somersethouse.org.uk/blog/perfume-pioneers-introduction
La librairie du musée propose une sélection de parfums, d’ouvrages anglophones sur le sujet, un petit catalogue de l’exposition ainsi que la version anglaise du numéro 3 de NEZ.
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