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À la croisée de la tradition et de l’innovation, la maison de composition française associe la technique ancestrale de l’enfleurage et l’extraction au fluide supercritique pour apporter des nuances inédites à la palette des parfumeurs, avec un impact environnemental limité.
De délicates fleurs de jasmin ou de tubéreuse parsemées sur des châssis en bois recouverts d’une couche de graisse immaculée : la scène est courante à Grasse jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Basée sur la capacité des corps gras à absorber les molécules odorantes, et connue depuis l’Egypte antique, la technique de l’enfleurage se généralise dans la région grassoise au XVIIIe siècle. Elle permet de traiter les fleurs trop fragiles pour résister à la chaleur d’une distillation. Jasmin, tubéreuse ou jonquille sont disposés sur un mélange de graisse animale (porc et bœuf) à température ambiante, et renouvelés pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines jusqu’à ce que la graisse soit saturée en substances odorantes. Rose de mai, cassie et fleur d’oranger sont quant à elles immergées dans des cuves de cuivre remplies de graisse animale portée à une température de 40 à 45°C, puis infusent jusqu’au lendemain, avant d’être remplacées par des fleurs fraîches. Après cet enfleurage à froid ou à chaud, la graisse, appelée pommade, est traitée par lavage à l’alcool pour donner l’absolue. Coûteux en temps et en main d’œuvre, le procédé tombe en désuétude dans les années 1950 avec la généralisation de l’usage de solvants comme l’hexane.
Mais en 2015, l’idée germe chez Mane de moderniser cette technique en l’associant à celle du Jungle Essence, qui consiste en une extraction au fluide supercritique. Plus respectueux de l’environnement que d’autres méthodes de traitement, et permettant d’obtenir un ingrédient olfactivement plus proche de la matière première d’origine, ce type d’extraction, utilisé depuis les années 1970, occupe une place croissante dans la palette des parfumeurs. Il présente cependant l’inconvénient de ne pouvoir s’appliquer à tous les ingrédients, notamment parce qu’il nécessite des installations coûteuses qui ne peuvent donc être implantées près de chaque lieu de récolte des matières premières. « Cela implique un temps de transport avant transformation qui ne pose pas de problème pour les bois ou les épices, mais qui empêchait jusqu’ici le traitement de fleurs ou de feuilles, plus fragiles », souligne Serge Majoullier, parfumeur chez Mane. « Il nous fallait créer un produit intermédiaire, facile à produire au plus près des champs puis à transporter pour ensuite faire l’objet d’une extraction au fluide supercritique dans nos laboratoires. »
Historiquement destinée aux ingrédients fragiles, la technique de l’enfleurage remplissait ces pré-requis, mais demandait des adaptations. Le développement de ce nouvel enfleurage a nécessité de nombreux tests pour s’assurer un résultat olfactif et un rendement satisfaisants. « Nous avons fait nos essais en Inde, dans la région du Tamil Nadu, où de nombreuses matières premières sont produites », explique Serge Majoullier. Première étape : le choix du corps gras utilisé. L’usage des graisses animales étant désormais écarté pour des raisons éthiques, les huiles végétales s’imposaient. Mais l’heureuse élue devait encore cocher plusieurs cases : être sans odeur, facile à produire, y compris en bio. « Nous avons testé de nombreuses huiles », rapporte le parfumeur. « Beaucoup fonctionnent, mais certaines sont plus efficaces que d’autres en fonction des matières premières. C’est finalement sur l’huile de jojoba que notre choix s’est porté. »
Il a fallu ensuite mettre au point le processus en lui-même : durée d’enfleurage, température de l’huile, nombre de bains (c’est-à-dire nombre de fois où des fleurs fraîches sont plongées dans la même cuve d’huile)… Autant de paramètres qui varient selon les ingrédients traités et les molécules recherchées. Et qui restent secrets, le processus ne pouvant être breveté. À l’issue de cet enfleurage de nouvelle génération, on obtient des huiles, les E-Oils, qui sont ensuite acheminées dans les laboratoires de Mane à Bar-sur-Loup, près de Grasse, afin de subir une extraction au fluide supercritique permettant d’obtenir les E-Pure Jungle Essence.
Principal avantage de cette nouvelle méthode d’extraction : n’utilisant ni pétrochimie ni solvant volatil, elle peut être considérée comme « verte », ce qui ouvre la voie à l’utilisation des E-Pure Jungle Essence dans les parfums naturels et les formules labellisées « Cosmos Bio », contrairement aux absolues par exemple. Un atout précieux alors que les marques et les consommateurs sont de plus en plus avides de naturalité. Autre bénéfice : les ingrédients obtenus révèlent un profil olfactif très proche de la matière première d’origine. Le Jasmin grandiflorum E-Pure Jungle Essence présente ainsi des nuances vertes, légèrement fruitées, bien moins animales que l’absolue obtenue de la même fleur. « C’est un extrait d’une grande fidélité, on retrouve vraiment le jasmin comme on le connaît en pleine nature », s’enthousiasme Serge Majoullier. De même, le Jasmin sambac E-Pure Jungle Essence gomme les aspects indolés de l’absolue, un peu médicinaux, ou rappelant le pétrole, pour mettre en valeur les facettes les plus délicates et fraîches de la fleur. Quant au Red Champaca E-Pure Jungle Essence, obtenu à partir du champaca, dont les fleurs ornent les temples indiens, il développe des notes évoquant la fleur d’oranger, miellées et narcotiques. Elles pourront par exemple rendre plus charnu un accord lys ou muguet. « Il existe une absolue de champaca, mais elle est rouge sang, donc difficilement utilisable pour les marques qui souhaitent ensuite colorer leur jus. Notre E-Pure est quant à lui très clair », souligne le parfumeur.
À ces trois premiers extraits mis à la disposition des parfumeurs de Mane s’en ajouteront bientôt d’autres. « À l’avenir, on peut imaginer transformer de la même manière d’autres fleurs ou des feuilles », précise Serge Majoullier. « Pour certaines matières premières, on peut même imaginer créer plusieurs E-Pure : quand on utilise l’extraction au fluide supercritique, on peut modifier les paramètres comme la température ou la pression pour conserver plus de molécules qui auront un impact en tête, ou au contraire en fond. Autant de possibilités d’élargir la palette des parfumeurs et de stimuler leur créativité. »
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