Originaire de New York et désormais installée à Fort Lauderdale, en Floride, Nancy Cavallaro s’est d’abord constitué une solide expérience en développement de produits avant de se tourner vers un autre versant de l’industrie, celui de la création olfactive, où sa curiosité innée et son amour de la nature nourrissent aujourd’hui son travail de directrice de l’évaluation chez Cosmo International Fragrances.
En tant qu’évaluatrice, elle travaille en effet en étroite collaboration avec les parfumeurs afin de guider le développement des fragrances, en traduisant les briefs marketing et en orientant les formules selon les attentes du client tout en tenant compte des contraintes techniques. Dans cet entretien, Nancy Cavallaro revient sur le cheminement qui l’a menée à écrire un livre pour enfants et à animer des ateliers de sensibilisation olfactive destinés à éveiller l’odorat des plus jeunes et, peut-être, susciter quelques vocations !
Enfant, étiez-vous particulièrement sensible aux senteurs ?
Je ne crois pas avoir été exceptionnellement sensible aux odeurs, mais je me souviens très vivement de certaines d’entre elles. Par exemple, mon père avait un magnifique jardin d’herbes aromatiques, et je me rappelle encore l’odeur du persil, de la menthe, du basilic, des feuilles de tomate… Il y a aussi l’odeur du linge, car ma mère avait une très grande buanderie. Le linge propre, avec ses notes musquées ou florales fraîches, m’apporte encore aujourd’hui un profond sentiment de réconfort. Ce sont là quelques-uns de mes souvenirs olfactifs les plus précieux.
Quelle attention portez-vous aux odeurs dans votre vie d’adulte ?
Je suis de nature très curieuse, toujours à la recherche de nouveautés, qu’il s’agisse d’un plat ou d’une exposition. Mais je suis aussi une grande amoureuse de la nature. Or ici, dans le sud de la Floride, les odeurs à découvrir abondent ! Je respire sans cesse les arbres, les plantes, les fleurs, l’air du matin, l’atmosphère juste avant l’orage ou après la pluie. Quand je me promène, je m’arrête souvent au milieu du sentier pour dire à la personne qui m’accompagne : « Tu dois sentir ça ! » Être constamment à la recherche de nouvelles odeurs fait aussi partie de mon métier d’évaluatrice. Il faut s’inspirer pour pouvoir ensuite inspirer les parfumeurs, et il faut également s’assurer que les clients sentent que l’on est non seulement à l’écoute du marché, mais aussi dans une dynamique de créativité.
Pourquoi vous intéressez-vous à la sensibilisation olfactive des plus jeunes ?
Quand je suis arrivée chez Cosmo en Floride, il était vraiment difficile de recruter des collaborateurs, et cela m’a poussée à me demander : où est la prochaine génération d’évaluateurs ? J’adore demander aux enfants ce qu’ils veulent faire plus tard et j’ai entendu toutes sortes de réponses – médecin, avocat, pompier… –, ce qui est formidable, mais jamais rien lié aux métiers de la parfumerie. Je me suis donc dit : ne devrait-on pas faire savoir aux enfants qu’il existe une voie qui mêle science et créativité ? Combien de parfumeurs, de développeurs produits ou de commerciaux pourrions-nous former si les enfants connaissaient un peu mieux le monde des senteurs ? C’est ce qui m’a inspirée pour écrire un livre, que j’ai autopublié en 2024, Stinky and Bigs: The Smelly Adventures.
De quoi parle ce livre ?
Il raconte l’histoire d’un chat noir et blanc que l’on prend pour une mouffette, et de son minuscule ami, une mouche appelée Bigs, qui cherche à aider Stinky à sentir bon et à se sentir bien. Bigs parcourt donc le monde pour récolter diverses matières premières et créer une « potion » extraordinaire pour Stinky. Le livre explique, en des termes simples, le métier de parfumeur, mais il parle aussi d’amitié, d’estime de soi et d’acceptation. Un parfum ne vous transforme pas en quelqu’un d’autre, il révèle ce que vous êtes déjà.
Votre livre est désormais un point de départ pour organiser des ateliers de sensibilisation olfactive. Comment cela se passe-t-il ?
En effet, ce projet de livre, qui me tenait tant à cœur, est en train de devenir une véritable mission : éveiller le nez du plus grand nombre d’enfants possible ! J’organise des lectures dans des écoles locales et des salons du livre, mais j’ai aussi eu la chance d’animer un atelier à New York en collaboration avec la World Taste and Smell Association, auprès d’enfants âgés de 3 à 6 ans. Après la lecture du livre, nous avons proposé différents jeux olfactifs. Nous avons par exemple mis à leur disposition une collection d’autocollants parfumés – banane, raisin, vanille, etc. – et les avons encouragés à les combiner sur une page afin de composer leur propre accord parfumé. C’était une manière simple et ludique de leur montrer qu’ils peuvent créer en assemblant des odeurs.
Qu’espérez-vous que les enfants retirent d’ateliers comme celui-là ?
J’espère que le livre et les ateliers aideront les enfants à découvrir une nouvelle voie professionnelle, mais aussi, de manière plus générale, à être plus à l’écoute de l’ensemble de leurs sens. Tout le monde ne deviendra pas parfumeur – ce n’est pas le plus important –, mais tout le monde peut apprendre à apprécier les odeurs et les parfums au quotidien. Cela rend la vie plus riche, plus pleine, plus connectée.
Comment les enfants réagissent-ils à ces exercices d’olfaction et de création ?
Lorsque les enfants sentent quelque chose, leur réaction est instinctive et immédiate : « Ça me rend heureux ! » ou encore « Ça sent comme mes dernières vacances ! » Il y a aussi un engagement physique : ils se lèvent, parlent entre eux, partagent leurs souvenirs. Les enfants sont si ouverts, ils n’ont pas peur de s’impliquer ! Pour moi, en tant qu’évaluatrice, c’est merveilleux de voir cette flamme, cette passion chez la jeune génération. Cela prouve qu’il existe une véritable joie liée à l’expérience du parfum.
Envisagez-vous des liens entre l’éveil olfactif et le développement de la conscience de soi, de l’intelligence émotionnelle ou même du langage chez les enfants ?
Oui, c’est d’ailleurs passionnant à observer, car l’odorat est directement connecté aux zones du cerveau liées à la mémoire et aux émotions. Un entraînement olfactif précoce peut donc favoriser une meilleure conscience de soi, améliorer la mémoire, et peut-être même enrichir le vocabulaire émotionnel. C’est une pratique très saine – mentalement et physiquement.
Pourquoi, selon vous, sommes-nous si en retard en matière d’éducation olfactive en Occident ?
Je ne sais pas… Nous avons tendance à nous concentrer sur les sens les plus liés à notre survie. Peut-être l’odorat est-il devenu moins essentiel dans nos modes de vie modernes. Pour beaucoup de gens, une odeur est bonne ou mauvaise, et cela leur suffit. Mais on peut leur apprendre qu’il existe une autre manière de sentir : que l’on peut, par exemple, discerner des nuances fruitées ou d’artichaut dans une rose. Ce n’est plus une question de survie, mais cela offre une autre manière, plus riche, de percevoir le monde. Les gens ne réalisent pas qu’apprendre à sentir permet de nous relier davantage aux autres, à notre environnement, mais aussi à nous-mêmes. Cela peut même être bénéfique pour la santé mentale. D’ailleurs, les autres animaux sont beaucoup plus attentifs aux odeurs que nous. Mon chat a un meilleur odorat que la plupart des gens que je connais ! Mais je suis optimiste : je pense que la société va évoluer. Je n’imagine pas que l’on puisse découvrir cet univers sans en être enthousiasmé !
De quelle manière votre entreprise, Cosmo International Fragrances, s’implique-t-elle dans l’éducation olfactive ?
Même avant le lancement de mon livre, Cosmo menait déjà des formations olfactives et des séminaires en partenariat avec des universités et des organisations spécialisées, aux États-Unis comme à l’étranger. L’entreprise œuvre depuis longtemps à faire découvrir le monde du parfum. Pour elle, mon livre est l’occasion de s’adresser à un public plus enfantin et de s’impliquer dans le système éducatif dès le plus jeune âge.
Quel exercice simple recommanderiez-vous pour entraîner son odorat au quotidien ?
J’adore l’idée du journal d’odeurs, car c’est ludique et peu intimidant. Après trente ans dans l’industrie, j’en tiens toujours un ! Peu importe où vous êtes : si une odeur vous interpelle, notez-la, en laissant libre cours à vos associations d’idées. Même si vous ne pouvez pas la décrire précisément, essayez de voir à quelle couleur ou forme elle vous fait penser, quelles émotions elle suscite, ce qu’elle vous rappelle… Par exemple, certaines facettes de la rose me rappellent l’artichaut, alors que certaines notes aldéhydées me font penser à des cheveux sales… C’est très personnel, mais plus on prend l’habitude de tenir ce journal, plus il devient facile d’identifier des motifs récurrents et donc de nommer les matières premières ou les sources olfactives. Et cela ne doit pas forcément passer par l’écriture : on peut aussi dessiner, surtout pour les enfants ou les personnes plus visuelles !
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Cet entretien est tiré du livre Manuel d’éveil olfactif – pour petits et grands, Nez, 2025








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